HISTOIRE DES ÉTATS GÉNÉRAUX

TOME TROISIÈME

 

HENRI IV.

 

 

Après cent soixante et onze ans de règne, la race des Valois, usée, tombée en dissolution, s'est éteinte. A défaut d'héritier direct, la couronne appartenait-elle de droit à un collatéral ? jusqu'où devait-on remonter pour le trouver ? jusqu'aux Carlovingiens, aux Mérovingiens ? n'était-il pas plus naturel, plus légitime, plus conforme au principe d'où découle le pouvoir, que la disposition du trône retournât à la nation ? L'histoire en fournissait des exemples. A l'extinction de la branche directe des Capétiens, deux prétendants se disputaient le trône : Édouard, roi d'Angleterre, et Philippe VI, tige des Valois. La question fut soumise à une assemblée nationale. Elle prononça en faveur de Philippe, par la raison formellement exprimée que, par l'extinction de la branche régnante, la nation était rentrée dans son droit originaire d'élire son roi. Mais, depuis ce temps-là et au seizième siècle, la souveraineté royale avait absorbé la souveraineté nationale. Les rois regardaient le trône, la France, le sol, les hommes comme leur propriété ; les peuples se prêtaient à cette hérésie ; elle était professée dans les écoles et au palais. Tandis que les lois civiles sur les successions n'admettaient pas d'héritier au delà du septième degré, la successibilité au trône n'avait pas de limites. La famille des Bourbons, descendant de Robert, de Clermont, et séparée du trône depuis trois cents ans, n'était parente des Valois qu'au vingt-deuxième degré. Cependant on ne met pas un instant en doute que la couronne ne lui soit légitimement dévolue. Les états de 1576, dans les instructions données aux députés envoyés au roi de Navarre, l'avaient reconnu comme le plus proche héritier du trône. Dans l'ordre de successibilité il y a deux Bourbons, l'un vieux et cardinal, marotte ridicule de la ligue ; l'autre jeune, brave, entreprenant, fort de son caractère et de son épée encore plus que de son droit. Dans l'ordre de l'élection se présente la maison de Lorraine, et en première ligne le duc de Mayenne. Ses prétentions ne sont pas douteuses ; mais surpris par la mort imprévue de Henri III, il n'est pas prêt.

Dans Paris, la ligue se livre à des transports de joie, aux plus audacieuses folies. On décerne au moine Clément la palme du martyre. Son effigie est exposée sur les autels à la vénération publique. On insulte à la mémoire de sa royale victime ; mais toute la fureur des ligueurs se concentre sur le Béarnais. On le menace du même sort. Un seul cri ose se faire entendre : Pas de prince hérétique sur le trône, mort au Béarnais !

Il ne faut pas en conclure que toute la population soit pour la ligue. A Paris et dans les provinces, quel est l'état des partis ? Il y en a deux principaux, les catholiques et les calvinistes. Les catholiques forment sans doute une grande majorité, mais ils se divisent en ligueurs et en politiques ou tiers parti. Parmi les ligueurs, il y a, suivant Étienne Pasquier, plusieurs nuances ; les zélés, les Espagnols, les clos et couverts. Les calvinistes veulent un roi pur huguenot, le Béarnais tel qu'il est ; les politiques, le roi de Navarre, mais converti ; les ligueurs, un roi né pur sang catholique et romain. Les prétendants de la ligue sont nombreux : les Lorrains dans l'ordre suivant : le duc de Mayenne, déjà investi du pouvoir ; le jeune duc de Lorraine, présenté par son père comme né d'une fille de Henri II ; le jeune duc de Guise, fils du Balafré, maintenant en prison. Philippe II aspire aussi à la couronne. Il n'y a pas jusqu'au petit duc de Savoie qui n'y ait des prétentions, comme fils d'une fille de France.

Les ligueurs zélés veulent une nouvelle Saint-Barthélemy, tout tuer, huguenots et politiques ; les clos et couverts désirent l'extirpation du calvinisme, mais sans ruine ou mutation de l'État ; les Espagnols sont pour Philippe II et plusieurs à sa solde.

Le parti de la ligue parait formidable ; il est le plus nombreux ; il a le peuple, la plupart des grandes villes et des parlements, la majorité du clergé. Il a l'Espagne, Rome et presque tous les princes catholiques. Il a l'argent et les troupes de Philippe II, les cotisations des confréries, les revenus communaux et ceux de la maison de Lorraine.

Le parti royaliste a une grande partie de la noblesse, les officiers de la vieille cour, les calvinistes, les politiques, tous les princes protestants, et parmi les puissances catholiques Venise et Florence, en opposition à l'Espagne. Le parti a peu de ressources pécuniaires.

Toutes les chances de succès semblent être du côté de la ligue. Cependant c'est une grande cohue, peu disciplinée, qui n'obéit pas à un seul chef, comme le parti royaliste, et tiraillée en tous sens par des influences rivales. Sa puissance se fonde sur la conviction religieuse, le fanatisme des masses, et sur la terreur qu'elle inspire aux classes supérieures et éclairées.

Pendant l'agonie de Henri III, le roi de Navarre s'est retiré à Meudon. Héritier provisoire de l'armée royale, il s'y trouve avec quarante mille hommes, pour la plus grande partie catholiques. Les nobles capitaines de ce parti, désirant conserver leurs places, sont tout prêts à saluer le soleil levant, pourvu qu'il se convertisse, et sur-le-champ. Ils menacent, ils tempêtent. Le Béarnais ne se laisse pas imposer par tout ce vacarme. Il n'est, ni par philosophie, ni par dévotion, assez dévoué à la réforme pour risquer de lui sacrifier le trône. Habile politique, il tonnait les partis, leur force, et juge bien leur avenir. La majorité de la France est catholique, nul doute qu'il ne soit décidé pour le culte de la majorité et prêt à satisfaire les politiques ; mais il ne veut pas se laisser prendre à la gorge. Sa conversion aurait de graves inconvénients. Son honneur et son intérêt ne lui permettent pas de déserter aussi subitement la réforme, son parti, qui a fait preuve de valeur et de constance, et qui est là sous les armes. Le parti catholique est très-divisé. Il est prudent de laisser se débrouiller les projets, les intrigues des prétendants, et d'attendre que l'horizon, chargé de nuages, s'éclaircisse. C'est l'affaire du temps, de la fortune, et surtout de la victoire. Pour le moment, le Béarnais reste donc calviniste ; seulement il promet, dans une déclaration, enregistrée au parlement de Tours et publiée, de se faire instruire dans la religion romaine, de convoquer les états généraux, et en attendant de maintenir exclusivement la religion catholique dans le royaume, excepté dans les lieux où l'édit de Bergerac accordait la liberté aux calvinistes. Parmi les seigneurs catholiques, les uns restent avec le roi de Navarre, le plus grand nombre l'abandonne. Il ne lui reste qu'environ dix mille hommes.

Depuis vingt ans, la maison de Lorraine aspire au trône, du moins on l'en accuse, et c'est l'opinion générale. Plusieurs fois elle l'a, pour ainsi dire, tenu dans sa main, mais il était occupé, et lorsqu'elle bravait l'autorité royale, elle protestait toujours de sa fidélité au roi. L'usurpation répugnait-elle aux princes lorrains ? Jamais l'occasion ne fut aussi favorable. Lorsque Henri III vivait, sur le sceau de l'union le trône était vide, mais il n'était pas vacant ; il l'est maintenant. On l'offre, dit-ou, au duc de Mayenne. Pourquoi ne l'accepte-t-il pas ? Probablement il n'a pas confiance dans la force de ceux des ligueurs qui prétendent disposer ainsi du pouvoir suprême. Il ne peut pas se dissimuler les obstacles qui, dans ce moment, s'y opposent. Il n'a pas d'ailleurs les qualités propres aux grandes entreprises, qui les justifient et imposent aux peuples. Si c'était son frère, le Balafré, il écarterait tous ses rivaux ; peut-être fonderait-il la dynastie lorraine. Mayenne fait proclamer roi, par la ligue, sous le nom de Charles X, le cardinal de Bourbon, prisonnier de son neveu le roi de Navarre. C'est une inconséquence. La reconnaissance de la légitimité des Bourbons semble fermer aux Guise l'accès du trône. On frappe une médaille à l'effigie du nouveau roi avec les insignes de la royauté, et cette inscription : regale sacerdotium. Qui peut croire que la France, pardessus tout guerrière, supportera cette injure, un gouvernement théocratique ? Le vieux cardinal est regardé comme un pont jeté par Mayenne pour le conduire au trône. Il promet encore de convoquer les états généraux pour régulariser cette nomination, et sortir du provisoire.

Après quelques avances sans résultat, faites au duc par le Béarnais, que nous appellerons désormais le roi, il entre en campagne, et se jette en Normandie.

Tandis qu'ils en viennent aux armes, les partis semblent reconnaître cependant que la nation seule peut disposer du trône. Le roi convoque les états généraux à Tours pour le mois d'octobre ; le duc de Mayenne les convoque à Melun pour le 3 février (1590).

La fortune favorise les armes du roi à la bataille d'Arques (13 septembre 1589) ; elles sont victorieuses ; il paraît devant Paris ; n'ayant pas d'artillerie pour l'assiéger, il se retire, et va enlever toutes les places dans le Maine, la Touraine et l'Anjou. Sa renommée a grandi par la victoire, surtout à l'extérieur ; plusieurs puissances le reconnaissent.

La cour de Rome est appelée à exercer une grande influence dans la grande question qui divise la France. Chaque parti cherche à se rendre le pape favorable. La ligue a pris les devants et lui a, dès le mois de mai, envoyé par une députation des mémoires rédigés par l'évêque de Senlis. Aussitôt après la mort de Henri III, le roi a envoyé aussi une ambassade au pape, mais elle n'a pas été reçue. Sixte-Quint nomme son légat en France le cardinal Gaetano. A Lyon, il publie une bulle ; il vient à Paris, et y est fort complimenté (20 janvier 1590). Sa bulle est enregistrée au parlement. Il se répand que le roi demande une conférence pour son instruction religieuse. La faculté de théologie déclare qu'on ne peut le reconnaître pour roi, même quand il se ferait catholique. Le légat interdit aux prélats de se trouver à aucune conférence ; il reçoit le serment des magistrats et chefs de la milice de persévérer dans l'Union jusqu'à leur dernier soupir.

Au nom de Charles X, le duc de Mayenne écrit à toutes les villes pour qu'on y procède à l'élection des députés aux états, et qu'ils se trouvent à Melun le 20 mars, et, cette ville ayant été prise par le roi, le 30 avril à Orléans.

Le roi, en personne, défait à Ivry l'armée de la ligue (14 mars). C'est la plus glorieuse de ses victoires. On s'attend à ce qu'il marchera sur Paris. La ligue y est effrayée ; des modérés parlent de conciliation ; mais le roi ne parait pas ; ils sont menacés et réduits au silence. La ligue reprend de l'assurance. Enfin, après deux mois, le roi vient devant la capitale. Les ligueurs, encouragés par le légat et l'ambassadeur d'Espagne, se décident à la plus vigoureuse résistance.

Bien que le vieux prêtre, roi de la ligue, soit prisonnier, et n'occupe pas le trône, il n'est pas vacant. Au moment même où le roi vient devant Paris, le cardinal de Bourbon meurt à Fontenay, dans sa prison. La ligue n'a plus de roi, même nominal ; puisqu'il ne fonctionnait pas, ce n'est point une perte. Elle ne s'en inquiète pas. La disposition de la couronne est ajournée jusqu'aux états généraux. La grande affaire des ligueurs est de défendre Paris. Après des efforts et des sacrifices incroyables, la ville est réduite à la dernière extrémité. Fatigué de ses mortelles souffrances, le peuple commence à crier : Du pain ou la paix. Le duc de Parme accourt, réuni au duc de Mayenne ; ils font lever le siège (29 août). Forcé à la retraite, le roi va guerroyer dans les provinces. Les ligueurs chantent victoire. Dieu a fait pour eux ce miracle ; Dieu... et le dévouement héroïque du peuple pour sa conviction religieuse.

Les ligueurs reviennent au projet de réunir les états généraux. Le duc de Mayenne les convoque à Orléans pour le 20 janvier 1591, et cette ville ayant été isolée par des succès de l'armée royale, Reims est indiqué pour la réunion des députés.

Les chefs de l'union tiennent dans cette ville un conseil où se trouvent les princes de la maison de Lorraine, les ambassadeurs d'Espagne et de Savoie, et Landriano, nonce du nouveau pape, Grégoire XIV, qui s'est déclaré ouvertement pour la ligue. Ce nonce est chargé de fulminer contre le roi de Navarre de nouvelles bulles d'excommunication. Les plus sages, le duc de Mayenne, sont d'avis de ne rien brusquer ; les exaltés l'emportent, les bulles seront publiées.

La ligue a un autre auxiliaire puissant avec lequel elle doit se concerter. Eu l'appuyant, Philippe II a un but en apparence désintéressé, le triomphe de la religion catholique. Il est le chef de la croisade contre l'hérésie. Il a aussi un but secret, continuer la rivalité de Charles-Quint et de François PT, de l'Autriche et' de la France, et, pour en finir d'un seul coup, de s'emparer du trône. Cet ambitieux dessein était soupçonné par quelques hommes d'État. A la réunion de Reims, ses ambassadeurs revendiquent *la couronne de France pour l'infante Isabelle, comme issue d'Élisabeth, fille aînée de Henri II. Cette prétention contrarie singulièrement les projets du duc de Mayenne ; il envoie le président Jeannin à Philippe II pour le dissuader, et lui représenter les difficultés qu'il ne peut manquer d'éprouver, et n'y parvient pas.

Jusqu'à présent la ligue s'est maintenue à Paris par ses propres forces ; quatre mille hommes de troupes espagnoles 'y sont appelés. Le duc de Mayenne ne veut pas prendre cela sur lui ; il demande au parlement son autorisation, il ne l'accorde qu'avec grande répugnance.

La ville de Chartres se rend au roi après un long siège. C'est une perte très-sensible aux ligueurs de Paris. Dans leur fureur, ils ne savent à qui s'en prendre ; ils annoncent les projets les plus sanguinaires, et attaquent jusqu'au duc de Mayenne.

Le légat Landriano publie dans toutes les villes les bulles de Grégoire XIV. Elles déclarent Henri de Bourbon excommunié et déchu de tous ses royaumes et seigneuries, et menacent d'excommunication tous ceux qui ne l'abandonneront pas. Jusqu'à présent le pape n'a fourni à la ligue que de l'argent, il lève une armée.

Le roi, sur l'avis de son conseil, mande à ses parlements de poursuivre le légat. On y parle même de créer un patriarche en France. Les sections du parlement de Paris, séant à Tours et à Châlons, flétrissent les bulles, les cassent et annulent, décrètent Landriano, ordonnent de le prendre au corps, rompent toute communication avec la cour de Rome, et déclarent Grégoire XIV ennemi de la paix, de l'Église, du roi, de l'État. La section du parlement séant à Paris, animée des mêmes sentiments, les aurait aussi manifestés, si elle n'avait pas été dominée par les ligueurs. Nullement disposé à se séparer du pape, le roi veut seulement l'effrayer. C'est pour cela, et pour relever l'espoir des calvinistes, qu'il révoque les édits rendus contre eux, qu'il remet en vigueur les édits de pacification, mais seulement par provision, et jusqu'à ce que par une bonne paix il ait réuni tous ses sujets.

Quel gouvernement veut établir la ligue ? Des écrivains n'hésitent pas, elle est démocratique et républicaine. Sur quoi se fonde cette assertion ? Parce qu'elle a la majorité dans le bas clergé, les curés, les moines, la bourgeoisie, le peuple ; parce que dans ses fureurs contre Henri III et le roi de Navarre, elle professe dans des écrits, et prêche du haut des chaires des principes peu monarchiques, tels que la souveraineté du peuple, son droit d'élire et de destituer les rois, et même de tuer les rois tyrans ou hérétiques.

Mais dans la ligue il y a aussi des princes, des évêques, des seigneurs, des nobles, des magistrats. Elle a pour auxiliaires le roi d'Espagne et le pape. Ces personnages-là ne sont pas républicains. Dans les villes où il y a des conseils de la ligue, ils sont composés de notabilités des trois ordres de l'État. A Paris le conseil est formé des mêmes éléments. Le chef qu'il a choisi et que les provinces ont accepté, n'est pas un Marcel, un bourgeois, c'est un prince lorrain, le duc de Mayenne, candidat royal. Les doctrines démocratiques de la ligue, principalement à Paris, ne sont pas, il est vrai, propres à inspirer du respect pour la royauté, ni à consolider la monarchie. Ce n'est qu'une arme de guerre depuis longtemps à l'usage de tous les partis aux prises avec un roi. La réforme, après l'avoir aussi employée, l'abandonne dès que par l'extinction de la race des Valois, son ennemie, un roi calviniste se présente pour hériter de la couronne. Au fond la ligue, pas plus que la réforme, ne veut sérieusement établir la république sur les ruines du trône. Il est sur le sceau de la ligue, vide, mais il y est. Tous ses discours, tous ses actes, ne tendent qu'à obtenir un roi catholique. C'est pour l'avoir qu'on appelle les états généraux. Catholique, elle est incontestablement dans son droit.

Le roi de Navarre se présente pour succéder à Henri III, la ligue ne dit pas : Plus de roi. Elle ne conteste pas même le droit du Béarnais, mais, hérétique, il l'a perdu. Elle proclame roi le cardinal de Bourbon. Depuis sa mort, elle est divisée, non entre la république et la monarchie, mais entre la maison d'Espagne, celle de Lorraine et même le roi de Navarre, pour qui penchent en secret les ligueurs modérés, les meilleures tôles. En attendant que le sort en décide, la ligue s'occupe de mettre des limites au pouvoir absolu de la royauté. A l'hôtel de ville de Paris, on lit publiquement ce programme royal :

Le roi nouvellement élu sera pourvu d'un bon conseil, principalement d'évêques sages et craignant Dieu, d'un bon nombre de seigneurs gentilshommes vieux et expérimentés, et tirés, s'il est possible, des provinces de l'Union. Si l'on trouve bon de faire des lois fondamentales, on les fera jurer au roi, et en cas de contravention, les sujets seront dispensés du serment de fidélité. Les états généraux se tiendront tous les six ans, les états provinciaux tous les trois ans.

Elle n'était pas bien ambitieuse la démocratie qui composait le conseil royal d'évêques et de gentilshommes. Cela se passait le 8 juin 1591. La ligue changera-t-elle de principes ? Jusqu'ici elle est royaliste.

Il lui arrive un nouveau candidat. Le jeune duc de Guise, fait prisonnier à la mort de son père, s'évade du château de Tours, le 15 août. C'est une contrariété pour le roi, et pour Mayenne un sujet d'inquiétude et de jalousie. Le fils du Balafré est, à cause de la triste fin de son père, le plus populaire de toute sa famille ; on lui suppose de l'ambition. Il peut servir les desseins de l'Espagne en épousant l'infante. Pour célébrer sa délivrance, la ligue fait des feux de joie.

A Paris et dans la plupart des villes, on procède à l'élection des députés aux états. Ils viennent à Reims, mais lentement. Le duc de Mayenne s'y rend ; ils ne sont pas en assez grand nombre pour qu'il ouvre l'assemblée. Il renvoie l'ouverture à la fin de l'année, et retourne à l'armée. De son camp, il écrit aux députés présents à Reims, pour les prier de se rendre à Laon au-devant du duc de Parme, qui vient au secours de Rouen assiégé par le roi, afin, dit-il, qu'ils interposent leurs bons conseils et prudents avis en une si grande occasion. Les Espagnols pressent vivement l'ouverture des états généraux, ayant à leur faire des propositions importantes. Le duc de Mayenne élude sous différents prétextes.

Depuis la mort de Henri III, près de deux ans la ligue règne dans Paris. Son conseil, les Seize, ses prédicateurs, ses écrivains ont fait beaucoup de bruit, et ne sont pas encore parvenus à se donner un roi ni un gouvernement. Loin de fortifier la puissance de la ligue, le temps a été favorable au roi. On se fatigue d'une turbulence anarchique ; on se rallie en secret à un prince qui offre des garanties d'ordre et qui a de l'avenir. Les ligueurs ne s'aveuglent pas, surtout les Seize, fraction la plus exaltée du parti, ainsi nommés parce qu'ils ont dans les seize quartiers de Paris une espèce de conseil secret. On a assez crié, menacé, il est temps que les paroles se traduisent eu actions ; ils se décident donc à frapper un grand coup. Malgré ses tergiversations, le parlement est toujours gallican, national et opposé aux prétentions de Rome et de l'Espagne ; il faut commencer par le parlement. Les Seize ont leurs coudées franches, le duc de Mayenne est absent. Ils établissent un conseil des Dix. Le président Brisson et les conseillers Larcher et Tardif sont expédiés sans forme de procès (15 novembre). Les Seize n'en resteront pas là. Ils ont versé un peu de sang ; si on les laisse faire, ils en verseront à flots. Ils se préparent à établir une chambre ardente, tribunal révolutionnaire, devant laquelle on traduira pour la forme les hérétiques, traîtres, conspirateurs contre la religion. On dresse des listes de proscription. Il n'est pas dit un mot contre la monarchie.

Les Seize sont audacieux, mais conséquents ; ils ont brûlé leurs vaisseaux. Mayenne, homme de ruse et de temporisation, n'est pas à leur hauteur. Il improuve hautement leurs mesures. Les Seize crient ouvertement contre lui. Puisque, disent-ils, ils l'ont fait ce qu'il est, ils peuvent bien le défaire. Ils écrivent au roi d'Espagne, pour offrir décidément la couronne à l'infante. Tous les vœux et souhaits de tous les catholiques, porte leur lettre, sont de voir votre catholique majesté tenir le sceptre de cette couronne, et régner sur nous. Remarquons encore ici que ces curés et ces bourgeois, les plus révolutionnaires du parti, auxquels on prête le projet d'établir une démocratie théocratique, ne font usage de leur pouvoir que pour avoir un roi et maintenir la monarchie.

Mayenne, effrayé, revient en toute hâte de Laon à Paris, fortement escorté. Les Seize baissent de ton, vont au-devant de lui, le haranguent, et lui disent que tout ce qu'ils ont fait est pour son service et assurance de la cause commune d'eux tous. Mayenne répond qu'il vient exprès pour accommoder toutes choses. Maître de Paris, il casse le conseil de la ligue, donne les places municipales à des politiques, et, de sa propre autorité, condamne à mort neuf des Seize. On en prend quatre qui sont pendus (4 décembre). Les autres profitent d'une amnistie, publiée quelques semaines après. Par cet acte de vigueur, Mayenne semble avoir épuisé toutes ses forces et quitte de nouveau Paris. Mais il a tiré sur ses troupes, et affaibli la ligue en décimant son avant-garde.

La guerre continue sans amener de solution et au grand détriment des peuples. La situation du roi n'est pas brillante, l'autorité royale a peu de force, mais le roi a un grand avantage, il est seul chef de son parti. Son triomphe sortira du sein même du désordre, du conflit des ambitions et des influences rivales. Ce sont à Paris les Seize qui se sont reconstitués après la rude leçon que leur a donnée Mayenne ; ce sont Mayenne, Guise, les Espagnols, le pape, et le jeune cardinal de Bourbon, qui essaye de former un tiers parti ; dans les provinces, les villes agitées par l'esprit de liberté, jalouses de la suprématie de la capitale, abandonnées aux événements, sans direction uniforme, et se gouvernant elles-mêmes ; les grands, les gouverneurs, épris d'idées féodales, visant à l'indépendance, au fédéralisme ; enfin les gentilshommes, les capitaines, dévorés de la soif du pillage, ne respirant que la guerre, et faisant payer cher au parti qu'ils servent leurs services et leur fidélité.

L'époque de l'ouverture des états approche, le duc de Mayenne traite avec Henri IV, par l'entremise de Villeroi. Pour un ambitieux aspirant à la couronne, c'est une étrange résolution. On le suppose persuadé que les chances de l'élection ne lui seront pas favorables. Mais n'y a-t-il pas d'autres princes dans sa maison ? En serait-il jaloux au point de les sacrifier ? N'est-il pas plus probable que sa négociation n'est pas sérieuse, et n'a pour objet que. de connaître les dispositions du roi ? Quoi qu'il en soit, on tombe d'accord sur ces points : le roi se fera catholique, et prendra six mois pour se faire instruire sans nuire à sa dignité et à sa conscience. La noblesse de son parti députera vers le pape pour qu'il emploie son autorité. En attendant, on travaillera toujours à la paix, et le roi sera reconnu par les princes unis. Les calvinistes jouiront des édits rendus en leur faveur avant 1585. L'exercice de la religion catholique sera partout rétabli. On réglera la gendarmerie et l'infanterie. On modérera la taille et les impôts. On maintiendra les privilèges des officiers et des villes.

Mayenne s'engage à obtenir l'approbation de cet arrangement par les Espagnols et les états. Il fera trouver à l'assemblée non-seulement les députés, dont plusieurs sont mal choisis, mais le plus grand nombre d'hommes de qualité qu'il pourra, messieurs de Lyon, de Rieux, de Sennecey et le cardinal Pellevé. Diverses causes empêchent la conclusion du traité ; les prétentions excessives de Mayenne pour lui et sa famille ; celles des grands qui s'offensent qu'on traite sans eux ; les plaintes des députés qui disent hautement que c'est trahir la cause que de prévenir la résolution des états à la veille de leur ouverture. Ces députés, qu'on traîne de ville en ville, sont de très-mauvaise humeur. Éloignés de leurs foyers, plusieurs sont dans le plus grand dénuement. La municipalité de Reims leur prête 200 écus, à condition qu'ils obtiendront du duc de Mayenne la prorogation de la ferme du vin pour trois ans, au profit de la commune.

Assemblera-t-on enfin les états ? Le parlement ne voit pas ave plaisir un pouvoir qui lui est supérieur. Les royalistes ne voudraient pas qu'on mit en question la couronne ; elle est héréditaire, non élective. Les politiques préféreraient la conciliation à une assemblée tumultueuse dont on ne peut prévoir les résolutions. Le duc du Mayenne n'est rien moins qu'assuré d'en obtenir le suffrage. La ligue, au contraire, met tout son espoir dans les états. Les Seize s'inquiètent des négociations et des bruits de conversion du roi. Bien qu'ils fassent bonne contenance, ils s'aperçoivent que l'influence de leurs prédicateurs décline. Ils ont peu de confiance en Mayenne, ils se défient de tout le monde, ils ne veulent pas de conciliation, ils craignent une surprise. Les Espagnols se lassent de la longueur de la lutte, veulent un dénouement, et demandent hautement la réunion immédiate des états. C'est aussi le cri des ligueurs des provinces, qui comptent sur cette assemblée pour mettre un terme aux maux que leur cause le provisoire. Le duc de Mayenne est obligé de céder.

Pour influencer l'assemblée, chacun vent l'avoir sous la main. Le lieu de sa réunion est encore mis en question. Le duc de Lorraine désire Reims ; le duc de Parme, général des Espagnols, veut Soissons ; Mayenne voudrait Paris. Il cède pourtant, et Soissons est désigné. Les états s'y assembleront le 20 octobre (1592). On s'occupe sérieusement de compléter les élections dans les provinces ; quelques députés seulement se mettent en route. L'assemblée est encore ajournée.

Paris souffre de la continuation de la guerre. Les troupes royales interceptent les vivres ; les royalistes forment des réunions pour demander la paix. Mayenne se rend à une de ces réunions, les harangue vertement, leur promet l'assemblée des états, et, s'adressant à la Chapelle-Marteau, secrétaire d'État de la ligue, lui dit : Que voudrait le peuple que je fisse davantage ?Monsieur, ils demandent un roi. — Les états, répond le duc, leur en donneront un. — Mais quand ils l'auront, que leur fera ce roi davantage que je leur fais ? Nouvelle preuve que la ligue est monarchique.

Le lieu de la réunion des états est encore changé ; c'est enfin Paris, et pour le 20 décembre. Le duc de Parme ne peut pas contredire, il meurt quelques jours après. Les députés ne se trouvant pas en nombre, l'assemblée est remise au 17 janvier (1593).

Le duc de Mayenne l'annonce par une déclaration pour la réunion de tous les catholiques du royaume, enregistrée en parlement et publiée. C'est à la fois un manifeste et une justification très-étendus du parti. Depuis Clovis, y dit-on, pour régner en France, la condition indispensable a été de professer la religion catholique. Cette condition a été maintenue jusqu'à ces derniers temps que l'hérésie s'est glissée si avant dans le royaume, et que les catholiques même se sont divisés et armés les uns contre les autres... A la mort du roi — Henri III —, advenue par un coup du ciel et la main d'un seul homme, sans l'aide ni le su de ceux qui n'avaient que trop l'occasion de la désirer, le parti prouva que son seul but était de conserver l'État et de suivre les lois du royaume. Il reconnut pour roi le cardinal de Bourbon, plus prochain et premier prince du sang. Si le roi de Navarre l'eût reconnu pour son roi, eût attendu que la nature eût fini ses jours, et se fût fait instruire et réconcilier à l'Église, il eût trouvé les catholiques unis disposés à lui rendre la même obéissance et fidélité après la mort du roi son oncle. Mais, dès qu'il persévérait dans son erreur, ils ne pouvaient le faire sans enfreindre l'ancienne coutume si religieusement conservée depuis Clovis, et déclarée loi fondamentale par les états généraux de 1576 et de 1588, non-seulement avant les massacres inhumains qui rendirent le roi si infâme et si funeste, mais encore depuis. On avait espéré que si quelque apparence de devoir avait retenu plusieurs catholiques près du feu roi, après sa mort la religion les unirait tous en la défense de ce qui leur doit être le plus cher. Le contraire arriva. On leur persuada que les catholiques unis étaient coupables de la mort de Henri III à laquelle ils n'avaient jamais pensé, et que l'honneur obligeait d'assister le roi de Navarre, publiant qu'il en voulait prendre vengeance, et promettant de se faire catholique dans six mois. Pour prévenir les maux que devait produire cette division des catholiques, le duc avait tenté à plusieurs reprises les voies de conciliation, et fait déclarer que si le roi de Navarre se réconciliait à l'Église, les catholiques unis lui apporteraient volontiers leur obéissance. Le roi de Navarre a toujours répondu qu'il ne voulait pas être forcé par ses sujets, et que lorsqu'ils l'auraient reconnu, il se ferait instruire en un concile libre et général.

Le duc entre dans de longs développements sur les dangers que courraient la religion, les catholiques unis, tous les catholiques, s'ils commençaient par se soumettre à un roi hérétique. Ce serait le triomphe de l'hérésie. Il répond au reproche fait aux catholiques unis de leur alliance avec le roi d'Espagne. Ils se félicitent d'avoir obtenu, pour la religion affligée, l'appui de ce grand roi qui l'a prêté sans rien exiger pour lui. Ils n'ont fait avec lui, ni avec qui que ce soit, aucun traité contraire à la grandeur et à la majesté de l'État.

La réconciliation des catholiques devant mettre un terme aux malheurs de la France, le duc de Mayenne supplie, adjure ceux du parti du roi de Navarre de se séparer de lui. Il leur promet qu'ils seront respectés, reconnus et honorés conformément à leur rang et dignité. Il les prévient qu'il a prié les princes, pairs de France, prélats, seigneurs, députés des parlements et des villes et communautés de l'Union, de se trouver à Paris, le 17 janvier, pour ensemble choisir, sans passion et sans respect de l'intérêt de qui que ce soit, le remède qu'ils jugeront en conscience devoir être le plus utile pour la conservation de la religion et de l'État. S'il plaît aux catholiques royalistes d'envoyer à Paris quelques personnes de leur part pour faire des ouvertures, elles y auront toute sûreté, elles seront entendues avec attention et désir de leur donner consentement. S'ils ne veulent entendre à aucune réconciliation, devant Dieu et devant les hommes, le blâme de tout ce qui pourra s'ensuivre retombera sur eux.

Le remède, que d'après la déclaration les états devront chercher, est connu ; il a été annoncé d'avance par les écrivains et les prédicateurs de la ligue. Le cardinal légat Philippe de Sega, évêque de Plaisance, dit nettement, dans une proclamation, qu'il faut élire un roi qui soit d'effet et de nom très-chrétien et vrai catholique. Chacun écrit ou prêche pour son candidat. Tous soutiennent le droit d'élection des états en vertu de la souveraineté du peuple dont ils ont l'exercice. Ceux que l'Espagne a gagnés attaquent la loi salique ; quelques voix isolées la défendent ainsi que l'hérédité dans l'intérêt du roi.

A mesure que les membres des états arrivent à Paris, les agents des prétendants à la couronne vont les visiter et briguer leurs suffrages. Ce sont le duc de Guise, fort de l'affection que conserve le peuple pour la mémoire de son père ; le duc de Mayenne, déjà investi du pouvoir, et comptant sur le dévouement de députés qu'il a fait choisir ; le duc de Nemours, qui s'est illustré dans la défense de Paris en 1590 : il promet aux Espagnols de faire élire l'infante, dans l'espoir qu'elle le prendra pour époux, et offre au duc de Mayenne de lui laisser son entière autorité ; le marquis de Pont, fils aîné du duc de Lorraine, comme chef de cette maison ; le duc de Savoie, fils d'une fille de France ; enfin le roi d'Espagne, pour sa fille, à cause des services qu'il a déjà rendus, et parce qu'il est le seul, avec son argent et ses troupes, en état de soutenir et défendre le royaume.

La plupart des députés ont des pouvoirs généraux ; un très-petit nombre ont des pouvoirs spéciaux ou instructions ; quelques-uns sont impératifs. Deux objets principaux sont recommandés aux députés : l'élection d'un roi, prince français, catholique, non fauteur ni adhérent d'hérésie, à l'exclusion du roi de Navarre, même quand il se convertirait, et la réception du concile de Trente. D'autres vœux sont exprimés par ces instructions dans l'intérêt des libertés communales et provinciales.

Les états généraux ne comptent que quarante-neuf députés du clergé, vingt-quatre de la noblesse, cinquante-six du tiers état, total : cent vingt-huit. Les gouvernements sont très-inégalement représentés relativement à leur importance ; le Languedoc ne l'est pas du tout. Pour conserver la forme ancienne des assemblées, divisées en douze provinces ou gouvernements, on donne rang à l'Ile-de-France qui jusque-là formait corps avec Paris. Dans chaque gouvernement, la représentation entre les trois ordres est aussi très-inégale. D'où proviennent ces défectuosités ? Comment se sont faites les élections ? Il y a sur tout cela une grande obscurité. Dès qu'elle s'est séparée de Henri III, la ligue en a appelé aux états généraux. Pendant quatre ans le duc de Mayenne les a convoqués plusieurs fois dans six villes différentes, et sans qu'ils se soient assemblés. Il y a eu des élections, des démissions, des morts, de nouvelles élections. Il y a des députés nommés dès 1590 à côté de députés élus au mois de janvier 1593. C'est une confusion. Dans l'état de désordre où était le royaume, des députés reculent devant les dangers, les dépenses du voyage et du séjour à Paris, peut-être aussi devant les progrès du roi. Cent vingt-huit députés seulement, cela ne dénotait pas dans les provinces une grande ardeur pour la ligue, ni une grande confiance. Imposaient-ils au moins par leur rang et leur qualité ? Il ne faut pas s'en rapporter entièrement aux écrivains royalistes qui les ont couverts de ridicule. Dans le clergé, sont quatre archevêques et six évêques[1] ; dans la noblesse, il n'y a ni princes, ni pairs, ni grands seigneurs ; ce sont, la plupart, des gentilshommes de province. Le tiers état est composé de magistrats, de municipaux, d'avocats ; on n'y trouve qu'un praticien et un laboureur[2]. Dijon députe son maire, l'avocat Bernard qui s'est fait un nom aux états de Blois. Paris nomme quatre hommes de bien : Lhuillier, prévôt des marchands, le président Lemaistre, le conseiller Duvair, le colonel d'Aubray. Néanmoins, pour une si grande circonstance, c'est une représentation bien incomplète. Aux états de 1576, il y avait trois cent vingt-six députés, et cinq cent cinq aux états de 1588.

Le 26 janvier, les états sont ouverts en séance publique dans la grande salle du Louvre depuis longtemps préparée. Sur une estrade et sous un dais de drap d'or, est une chaire couverte de velours, et à droite, sous la frange du dais, une chaire semblable. Une tribune est occupée par de grandes dames et des personnages de distinction, tels que don Diégo, agent du roi d'Espagne. Des bancs sont disposés pour les députés, et des députations de cours souveraines. Les députés sont appelés, introduits et placés, on ne dit pas en quel nombre ; mais il n'y en avait pas cent. Il en vint successivement dans le cours de la session, et quelques-uns fort tard. Alors entre le duc de Mayenne, mec le cardinal Pellevé, archevêque de Reims, Emmanuel de Lorraine, fils du duc, ses gardes, gentilshommes et officiers, les secrétaires d'État et membres du conseil. Le duc de Mayenne s'asseoit sous le dais, et le cardinal à sa droite.

Le duc expose la cause et l'occasion de l'assemblée, et tout ce qui s'est passé depuis les derniers états de Blois. Il prie les états d'aviser à ce qu'il faut faire pour l'avenir. Il proteste d'employer non-seulement tous ses moyens, mais sa propre vie pour le maintien de la religion catholique, apostolique et romaine, la conservation de l'État, et le salut commun des trois états. On croit reconnaître dans ce discours le faire de l'archevêque de Lyon. Le duc parle si bas, que les deux tiers des assistants ne l'entendent pas. Ou remarque qu'il change souvent de couleur ; il relevait de maladie.

Le cardinal Pellevé prend la parole et remercie le duc au nom de l'assemblée. Il discourt aussi et très-longuement sur tout ce qui s'est passé en France ainsi qu'à Rome pendant qu'il y était. Il dit, entre autres choses, que le Saint-Siège a envoyé en France jusqu'à 600.000 écus de deniers clairs pour soutenir la guerre, lesquels ont été très-mal ménagés. Le pape envoyer de l'argent ! c'est un phénomène. Probablement les Seize et leurs prédicateurs s'en étaient appliqué une bonne part.

Suivant de Thou, le cardinal parla en vieillard, et dit bien des choses inutiles et hors de saison ; en sorte que, bien loin d'attirer l'attention de l'assemblée, il fit rire la plupart de ceux qui la composaient. D'autres le trouvèrent fort ennuyeux. Ces discours ne sont pas dans le procès-verbal. La séance est ensuite levée et renvoyé au lendemain. Des historiens disent que deux autres discours furent prononcés, l'un court et hardi par Sennecey, député de la noblesse, l'autre par du Laurens, député du tiers état. On n'en trouve aucune trace. De quel droit auraient-ils parlé pour leurs ordres ? Les bureaux n'étaient pas organisés. Pellevé lui-même, député du clergé, n'avait aucune mission. Il s'autorisa de sa dignité de cardinal pour laquelle on le plaça à la droite du duc de Mayenne, ce qui fit dire qu'il harangua pour le roi d'Espagne et le légat.

Le 27, le duc de Mayenne expose que le cardinal Philippe de Sega, légat du pape, désire se rendre dans le sein des états, dans cette assemblée si catholique. Cette annonce éveille la susceptibilité gallicane. On oppose qu'il est absolument contre les lois du royaume d'admettre des étrangers dans les états. Le cardinal Pellevé répond que le légat veut seulement venir les voir, leur donner sa bénédiction, et qu'il n'y aura aucune voix délibérative ni consultative. Il est décidé que le légat pourra venir avec deux évêques de sa suite et sa croix, laquelle demeurera au bas de la salle sans entrer dans le parquet, sinon lorsqu'il donnera sa bénédiction ; que le due de Mayenne et trois députés de chaque ordre iront le recevoir au bas du grand escalier. Le 4 février, le légat est reçu en grande pompe. Il traverse, sans croix ni masse et découvert, la salle des états jusque dans la chambre du roi en faisant des signes de croix. Il est ramené dans la salle et placé sur un siège, sous le dais, à la droite du duc de Mayenne assis au milieu du dais comme le roi. A gauche, hors du dais, siège le cardinal Pellevé. Après avoir assez longtemps regardé et considéré les membres de l'assemblée. le légat ôte son bonnet, salue d'abord le duc, ensuite toute l'assemblée, se couvre et, dans une harangue en latin, commence par des actions de grâces de sa réception, et dit les causes pour lesquelles il est venu. A son commandement, son porte-croix s'avance et se met à genoux ; le légat se lève, se découvre, donne sa bénédiction aux députés qui fléchissent le genou ainsi que le duc de Mayenne, lit dans un livre des prières et oraisons, se couvre, s'assoit, reprend et termine sa harangue. Le duc le remercie en français et le cardinal Pellevé en latin. Ensuite le légat se retire dans le même ordre qu'il était venu. Chacun se remet en place ; le cardinal Pellevé prend celle du légat.

Par sa déclaration du 5 décembre, le duc de Mayenne a adjuré les catholiques royalistes de se séparer du roi, et les a invités à se rendre à Paris. Ils jugent convenable de demander un sauf-conduit au duc, pour qu'une personne du conseil royal aille traiter dans cette ville. Le roi craint que son parti ne se compromette en montrant un si grand désir de la paix. On répond par écrit au nom des Princes, prélats, officiers de la couronne, gentilshommes et autres catholiques étant du parti du roi de Navarre. Ils déplorent la continuation de la guerre ruineuse pour l'État et la religion. En reconnaissant le roi que Dieu leur a donné et lui faisant service comme ils y sont obligés, ils ont toujours eu pour but principal la conservation de la religion catholique. Ils se sont d'autant plus roidis pour la défense du royaume sous l'obéissance du roi, lorsqu'ils y ont vu entrer les étrangers, ennemis de la grandeur de cette monarchie, de l'honneur et de la gloire du nom français. Tous les Français doivent tendre à une bonne réconciliation entre ceux que le malheur des temps tient divisés et armés. En conséquence, avec la permission du roi, ils signifient au duc de Mayenne et autres princes, prélats, sieurs et autres personnes assemblés à Paris, que s'ils veulent entrer en conférence, et députer quelques bons et dignes personnages en tel lieu qui pourra être choisi entre Paris et Saint-Denis, ils y feront aussi trouver leurs envoyés. Ils protestent devant Dieu et les hommes que si cette voie est rejetée, les suites n'en pourront être imputées qu'à ceux qui auront préféré les expédients qui peuvent servir à leur grandeur et ambition particulière, à ceux qui regardent l'honneur de Dieu et le salut du royaume.

De son côté le roi publie une déclaration sur les impostures et fausses inductions contenues dans celle du duc de Mayenne. En se disant prêt à recevoir toute sorte d'instructions, il défend à toutes personnes, villes, universités, d'aller ou d'envoyer à l'assemblée de Paris, sous peine d'être punies comme criminelles de lèse-majesté. Le parlement séant à Châlons ordonne que la ville et le lieu où se tiendront les états, seront démantelés, rasés et ruinés sans espérance de réédification.

La réponse des catholiques royalistes est apportée par un trompette. Le premier mot du cardinal Pellevé est qu'on lui donne le fouet pour lui apprendre à ne plus se charger de telles bagatelles. Dans le conseil du duc de Mayenne, la proposition d'une conférence excite la plus violente opposition. Royalistes, politiques, hérétiques, pour les ligueurs c'est tout un. Se rapprocher d'eux, traiter d'égal à égal, ce serait lâcheté, souillure, trahison. Cependant on ne peut se dispenser d'en référer aux états. Le duc de Mayenne leur fait donner lecture de la proposition, et les requiert de décider s'il est expédient d'y répondre. Les députés se lèvent, et, sans sortir de la salle, se consultent par province et bailliage. Les députés du clergé se retirent dans la garde-robe du roi avec le cardinal Pellevé. Le duc de Mayenne parcourt la salle, parle en particulier aux gens du conseil, du parlement, de la chambre des comptes, aux députés de la noblesse et du tiers état. Au tiers état il dit, entre autres choses, ces mots : Messieurs, vous voyez de quoi il est question ; res maxima rerum agitur. Je vous prie d'y bien adviser, et de faire en sorte que les adversaires n'aient aucun pied ni avantage sur nous. Toutefois je veux tenir ce que je leur ai promis. Chacun étant rentré en séance, l'assemblée unanimement requiert le duc de Mayenne de différer, et de faire remettre au trois ordres des copies collationnées de la proposition pour en délibérer.

Le cardinal Pellevé propose d'en faire aussi remettre une copie à l'école de Sorbonne, pour juger s'il y a des hérésies, et d'établir dix ou douze notables personnages, tant docteurs en théologie qu'en la faculté de droit civil et canon, pour s'enquérir contre ceux qui parlent contre la religion, et faire leur rapport à l'assemblée, afin d'y statuer et de contenir le peuple en son devoir. La ligue dans Paris même ne manquait donc pas de contradicteurs. Les députés rejettent cette mesure comme contraire à la dignité des états.

Le duc de Mayenne part pour l'armée. Chacun des trois ordres s'assemble séparément, organise provisoirement son bureau, et procède à la vérification des pouvoirs. Les députés ne sont pas en nombre, ils viennent lentement, surtout ceux de la noblesse. Les états invitent le duc de Mayenne à écrire, et écrivent eux-mêmes pour presser leur arrivée. Dans ce temps-là on ne traitait pas les députés comme dans la monarchie constitutionnelle ; cependant le prévôt des marchands donna à dîner à tous les membres du tiers état au logis de M. d'O, Vieille-Rue-du-Temple ; c'est consigné au procès-verbal.

On procède à l'organisation définitive des bureaux. Clergé : présidents, le cardinal Pellevé et d'Espinac, archevêque de Lyon ; secrétaire, de Pilles ; adjoint, Millot ; promoteurs, l'évêque de Vannes et de Villars.

Noblesse : président, de Rabutin ; secrétaire Cordier ; évangéliste, de Lenoncour.

Tiers état : président, Lhuillier, prévôt des marchands ; secrétaire, Thielement ; évangélistes, Venot et Boucherat. Les députés jurent de tenir les délibérations secrètes, de n'en rien révéler, et de ne pas désemparer sans excuse légitime et sans congé. Les députés du clergé jurent en outre de vivre et mourir dans la religion catholique, apostolique et romaine, de porter honneur, révérence, obéissance et fidélité au Saint-Père le pape Clément V et à tous ses successeurs.

On arrête un règlement. Les chambres s'assembleront trois fois par semaine, les lundi, mercredi et vendredi. Les voix se prendront par province. Les inconvénients de ce mode de voter ne tardent pas à se faire sentir. Il n'est venu qu'un député de telle province, et à lui seul il aurait une voix, comme telle autre province qui a dix députés présents ! On réclame ; ce mode de voter n'est pas moins maintenu.

Les propositions qui seront faites dans chaque chambre seront communiquées aux deux autres avant de délibérer, afin que les trois états travaillent en même temps sur le même sujet.

Aucun député ne s'en ira sans très-grande et juste cause ni sans congé des états, c'est-à-dire des trois chambres, jusqu'à ce qu'ils aient terminé.

Avant de s'occuper des grandes affaires, il est décidé que les députés communieront de la main du légat. Il veut que ce soit dans l'église de Sainte-Croix, à cause des reliques des saints Denis, Rusticq et Éleuthère, qui y sont déposées depuis les guerres. C'est l'objet d'un long débat. Le tiers état trouve que l'église est trop petite, et obtient que la cérémonie se fasse à Notre-Dame. Il y a messe, Veni Creator, sermon ; quatre-vingt-neuf députés seulement communient, ce qui prouve que beaucoup n'étaient pas encore arrivés. L'archevêque d'Aix, Genebrard, prêche des invectives contre le Béarnais et les politiques : cela s'appelle l'évangile des Seize, c'est le ton habituel de la chaire. Il va chercher dans Tacite un passage pour prouver qu'on ne peut pas communiquer avec les excommuniés. Il attaque la loi salique, que le peuple français pouvait changer.

On discute longtemps et à plusieurs reprises pour savoir quelle suscription sera mise aux lettres qu'on adressera au duc de Mayenne : il est décidé d'abord qu'on lui écrira simplement à monsieur ; plus tard on lui donne le titre de monseigneur ; mais il n'est considéré que comme président des états, qui seuls, dans l'opinion générale, ont l'omnipotence.

Après plusieurs ajournements, on s'occupe enfin de la conférence proposée par les catholiques royalistes. La question est de la plus grande importance. Les ligueurs ne voient dans cette proposition qu'un piège pour leur faire reconnaitre le roi implicitement. Les Seize et leurs orateurs attaquent avec fureur le projet de conférence ; ils déclarent fauteurs d'hérésie les députés qui communiqueront arec les royalistes, et les menacent de leur faire un mauvais parti. Malgré le refus des états, le cardinal Pellevé a consulté la Sorbonne, elle a décidé que la proposition est hérétique. C'est aussi l'avis du légat, qui fait tous ses efforts pour qu'elle soit rejetée. La discussion est longue et animée, principalement dans la chambre du clergé. Il y a des opinions pour ne pas répondre ; on ne se décide à faire une réponse, que pour ne pas décourager le peuple. Quant à la conférence, le grand argument des opposants est qu'on ne pouvait, sous aucun prétexte, communiquer avec les excommuniés. Les partisans de la conférence soutiennent qu'on le peut pour la grande utilité commune, pro magna ipsorum vel nostra ulilitate. On se tire de cette impasse par un biais, savoir, que l'on conférera avec les catholiques qui suivent le parti du prince de Béarn, et que l'on ne conférera, ni directement, ni indirectement, avec lui ni aucun autre hérétique ; le tout après s'être entendu avec le légat et le duc de Mayenne. L'archevêque de Lyon dans la chambre du clergé, le président Lemaitre et Bernard, avocat de Dijon, dans celle du tiers état, sont les plus chauds défenseurs de la conférence. Après une vive résistance, le légat cède et l'approuve, mais dans l'espérance qu'elle pourra servir à réunir les catholiques royalistes aux catholiques de l'Union. La décision prise, chaque chambre fait sa rédaction. Laquelle sera adoptée ? C'est encore un sujet de discussion. On s'accorde enfin ; la réponse est signée par les secrétaires des trois ordres et expédiée, au nom du duc de Mayenne et des princes, prélats, seigneurs et députés des provinces assemblés à Paris, aux prélats, seigneurs, etc., catholiques du parti du roi de Navarre.

En acceptant la conférence, les états font une grande faute dans l'intérêt de la ligue. Elle montre de la faiblesse en négociant avec son ennemi.

Le bruit se répand en ville que des députés reçoivent des pensions du roi de Navarre et d'autres princes. La noblesse décide que tous ses membres jureront qu'ils n'ont ni intelligence, ni pensions, ni bienfaits du roi de Navarre, ni d'autres princes quelconques, tant dedans que dehors le royaume, qu'ils n'en pourront prendre ni recevoir en aucune manière, et qu'ils ne feront aucune faveur auxdits princes français et étrangers contre le devoir de leur conscience. Le serment est prêté. La noblesse en prévient les deux autres ordres. Ils prêtent le même serment, le clergé, le trouve soudain et martial. Il excepte le Saint-Père et le duc de Mayenne, le premier qui peut aider à soulager la nécessité de plusieurs ecclésiastiques souffreteux ; le second, parce que, comme lieutenant général du royaume, il peut gratifier les ecclésiastiques de bénéfices, les nobles de charges, et le tiers état d'offices. Le clergé escobarde. Il y a de faux serments.

Le mercredi des Cendres, les députés vont les recevoir de la main du légat, dans la chapelle de la reine, rue de Grenelle. Ils s'y trouvent tous, dit le procès-verbal, excepté Roland, député du tiers état de Paris. L'évêque de Senlis prêche. On donne de l'éclat à cette cérémonie, où les députés d'une grande nation viennent en toute humilité se prosterner et incliner leurs fronts aux pieds de l'envoyé du pape.

Les gouverneurs et capitaines catholiques abusent de leur autorité pour établir arbitrairement des contributions, des péages, des droits d'entrée dans les villes ; des gentilshommes s'emparent de places et châteaux, les fortifient et pillent les paysans et leur bétail. Les trois ordres décident que, pour mettre un terme à ces témérités, voleries et ravages, des lettres patentes seront expédiées par le duc de Mayenne, et que les contrevenants seront poursuivis en restitution, eux et leurs héritiers, jusqu'à la quatrième génération. La noblesse vent que si l'on attrape ces pillards, fussent-ils gentilshommes, on leur fasse couper la tête. Le duc de Mayenne expédie des lettres patentes.

La publication du concile de Trente est une idée fixe de la cour de Rome ; elle y revient sans cesse. Ce temps d'exaltation catholique parait plus que jamais favorable. La question est traitée dans la chambre du clergé. Pour et contre, ce sont toujours les mêmes arguments que dans les précédents états ; la matière y a été épuisée. La réserve des libertés gallicanes a encore quelques partisans. Le cardinal Pellevé la repousse. Le clergé décide que le concile de Trente est reçu purement et simplement, sans modification ; toutefois qu'en égard au temps, à la nécessité et au bien de l'église gallicane, le Saint-Père sera prié de maintenir les exemptions et privilèges des chapitres. Les cardinaux légat et Pellevé donnent leur parole d'intervenir pour cela auprès du pape. Le légat est enchanté de ce succès.

Ce n'est pas une affaire finie. La noblesse et le tiers état, auxquels le clergé communique sa décision, ne sont pas dévorés de la même ardeur pour le concile. Le tiers état nomme six commissaires pour examiner la question ; ce sont des magistrats, défenseurs des libertés de l'église gallicane. La noblesse, considérant l'importance de la question, trouve raisonnable de différer, et d'attendre pour la résoudre jusqu'à ce qu'il ait plu à Dieu de donner à la France un roi catholique. Pressée par le clergé, la noblesse faiblit un peu ; le tiers état tient ferme. Ses commissaires lui remettent le résultat de leur examen, intitulé articles du concile de Trente qui semblent être contre et au préjudice des droits du roi et libertés de l'église gallicane ; il y en a dix-huit. Ce travail, fort de raisonnement et d'autorités, attribué au président Lemaître et à Duvair, excite plus de critiques que d'éloges. Le légat, craignant des divisions et du trouble dans les états et dans la conférence qui approche, dissimule son ressentiment, et attend une occasion plus favorable. Pendant quatre mois on ne parle plus du concile.

Le duc de Mayenne est toujours absent ; il a beaucoup à faire avec son armée, celle d'Espagne, le duc de Lorraine et l'ambassade espagnole ; il va de Soissons à Reims et de Reims à Soissons. Assemblés depuis un mois et demi, les états n'ont encore rien fait. C'est un corps sans âme et sans énergie ; les députés appellent le duc de Mayenne à leur secours. Ils ne se sentent pas la force d'aborder sans lui les grands objets pour lesquels ils sont réunis. Il s'excuse de ne pouvoir se rendre à leurs vœux aussitôt qu'il l'avait espéré, et leur fait comprendre que ses relations avec les Espagnols ne sont pas sans difficulté. Il annonce son prochain retour et le départ de l'ambassadeur espagnol, duc de Feria ; il est accompagné de Jean-Baptiste de Taxis, grand veador, et du docteur Inigo Mendoça. L'ambassadeur arrive à Paris le 29 mars, avec une forte escorte de cavalerie et les principaux seigneurs de la ligue, qui sont allés au- devant de lui par ordre du duc de Mayenne. Il est logé à l'hôtel de Longueville près du Louvre.

Dans la chambre du clergé, on met en question si les états ne doivent pas aller faire la révérence à l'ambassadeur. On répond que c'est à lui à prévenir les états en qui réside toute la majesté de la France. D'autres sont d'avis qu'il faut avoir égard à l'état des affaires, qu'on a des obligations infinies au roi catholique pour les secours qu'il a fournis contre les hérétiques. Le cardinal Pellevé remontre que, lorsqu'il arrive un ambassadeur à Rome, le pape envoie au-devant de lui toute sa cour et sa garde ; que toutes les déférences qu'on aura pour l'ambassadeur espagnol ne préjudicieront en rien. Le tiers état consent à la démarche, seulement par forme de courtoisie et politesse. Les trois ordres décident donc que non-seulement il est honnête, mais très-nécessaire, d'aller faire la révérence à l'ambassadeur, et nomment chacun quatre de ses membres pour remplir cette mission. L'évêque de Senlis lui fait une harangue en français, autant pleine de beau discours et à-propos que le sujet le pouvait requérir, avec la grâce et l'action digne de l'orateur et de son éloquence accoutumée. Le duc de Feria demande à don Diego en quelle langue il répondra. Il est d'avis que le duc, ayant été harangué en français, peut choisir la langue qui lui conviendra ; il répond en espagnol, quoiqu'il entende et parle le français. Sa réponse est tout de suite traduite dans cette langue et lue. Jusque-là cc n'est qu'un échange de compliments et de politesses.

Un député du tiers état est poursuivi devant les tribunaux en matière civile. Il s'en plaint, n'étant venu à Paris que pour affaires publiques, et demande à jouir de la franchise qui ne doit pas être moindre pendant la tenue des états que celle communément observée pendant le temps des foires, ou bien qu'il puisse retourner chez lui. La chambre décide que le député doit comparaître aux tribunaux devant lesquels il est actionné ; que n'étant pas raisonnable qu'il soit poursuivi pour ses affaires particulières, lorsqu'il est occupé des affaires de l'État, le ministère public sera prié de présenter l'exception, et le duc de Mayenne invité à faire une déclaration pour exempter généralement tous les députés de semblables poursuites pendant qu'ils sont à l'assemblée. C'est l'inviolabilité.

Le duc de Mayenne est toujours absent de Paris pour les opérations militaires. Il assiège Noyon, et annonce aux états que, dès qu'il aura pris cette place, il ira en attaquer d'autres dont elle lui ouvrira le chemin. On lui représente que les états sont depuis longtemps réunis, que les députés sont ennuyés et honteux d'être si inutiles, qu'ils désirent expédier les affaires et se retirer chez eux. Le duc ne tarde pas à prendre Noyon ; il échoue à Compiègne qu'il assiégeait en même temps. Il se porte ensuite à Hans pour y rafraîchir son armée, recevoir de nouvelles forces des Pays-Bas, et s'entendre avec le comte Charles de Mansfeld pour qu'elles ne restent pas inutiles, il écrit qu'ensuite il se rendra à l'assemblée. Les états s'impatientent de ce retard, et écrivent à Mayenne pour presser son retour, le menaçant de se retirer, parce qu'il y a des députés qui n'ont plus de moyens d'existence. C'est le cardinal Pellevé qui a été chargé de rédiger la lettre, et il y ajoute que le légat et le duc de Feria l'ont expressément chargé de mander au duc que sa présence à Paris est absolument nécessaire. Les états veulent qu'on raye cette addition parce qu'ils n'entendent pas que les étrangers se mêlent de leurs affaires. Le président de Neuilly va trouver le cardinal, qui l'injurie grossièrement. Le président se plaint aux états. Ils envoient le député Bernard témoigner leur mécontentement au cardinal, lui déclarer que, vu son âge et sa qualité, ils veulent bien oublier l'injure, et qu'ils exigent la rature de l'addition. Elle est enfin consentie par le cardinal.

La susceptibilité des états, honorable sans doute, est cependant déplacée ; n'avaient-ils pas admis solennellement le légat et le duc de Feria à intervenir dans leurs affaires ? Quant au cardinal Pellevé, il affecte une suprématie dédaigneuse qui excite plusieurs fois le mécontentement des états et de vives remontrances.

Lorsque la députation des états est allée complimenter le duc de Feria, il leur dit qu'au premier jour il ira à leur assemblée pour leur faire connaître le motif de son ambassade et ses pouvoirs. Un gentilhomme espagnol, nommé Maldonnat, vient de sa part aux trois chambres leur dire que le duc désire saluer les états, et les prie de lui indiquer un jour et une heure ; la chambre du tiers état se montre chatouilleuse pour sa dignité. Le gentilhomme y entre sans en avoir demandé la permission ; on le fait sortir pour délibérer, on le rappelle et on écoute sa communication. Pour recevoir l'ambassadeur, les trois chambres sont d'accord ; sur la forme, il y a quelques différends qui intéressent la dignité de la nation et la susceptibilité de ses représentants.

Le clergé est d'avis que le duc de Feria soit reçu comme le légat. Il avait été placé sous le dais, à la droite du siège royal, occupé par le duc de Mayenne. Le tiers état change cette disposition : il n'y aura sous le dais que ce siège, qui, en l'absence du duc, restera vide ; hors du dais, la place la plus honorable, à droite du siège, sera occupée par le cardinal Pellevé, et les princes qui seront à l'assemblée. Le côté gauche sera donné au duc de Feria comme suffisant. Qui lui répondra ? Ce serait le duc de Mayenne, comme chef des états, s'il était présent. En son absence, ce sera le cardinal Pellevé, sans entendre reconnaitre par là le chef de l'Église pour chef des états. En quelle langue répondra-t-il ? En français, attendu que les états sont français, et après en avoir conféré avec les présidents des autres chambres, afin qu'il palle selon leur avis et non autrement. Le cardinal trouve qu'il serait indécent que, l'ambassadeur parlant en latin, on lui répondit en une autre langue. Le tiers état et la noblesse persistent. Le clergé ne veut pas céder, et déclare que, s'il résulte quelque .inconvénient de l'obstination des deux autres ordres, il les en rendra responsables. Ils remontrent que lorsque deux ordres sont d'accord, le troisième doit se soumettre. Il est enfin convenu qu'après avoir répondu en français, le cardinal répétera sa réponse traduite en latin ; il s'y engage.

Une autre question se présente. Des membres du conseil d'État et des cours souveraines ont assisté à la séance où a été reçu le légat ; ils se sont même immiscés dans les affaires. Le duc de Mayenne introduisait ainsi dans les états un quatrième ordre qu'il croyait à sa dévotion. Le clergé propose de les inviter à la séance, ainsi que tous les prélats et évêques non députés. Le tiers état s'y oppose fortement. On laisse au duc de Mayenne ou à son conseil la faculté d'inviter, s'il le veut, les membres des cours souveraines comme assistants pour honorer l'ambassadeur. Ils y sont invités par le gouverneur de Paris.

Le 2 avril, le duc de Feria est reçu en séance publique et solennelle. Dans une galerie sont plusieurs gentilshommes, princesses et damoiselles, entre autres mesdames de Nemours, de Guise et de Mayenne. Une députation de douze membres va au-devant du duc au bas du grand escalier. Il est reçu à l'entrée de la salle par le cardinal Pellevé accompagné de quatre évêques. Le duc est précédé de ses estafiers et serviteurs domestiques au nombre d'environ cinquante, et suivi de quinze colonels et capitaines, napolitains, espagnols, wallons, de la garnison de Paris ; toute l'assemblée est debout.

Lorsque chacun a pris place, le duc ôte son bonnet, salue l'assemblée et commence sa harangue en latin. Il prend les choses de loin, énumère les services que Philippe II a rendus à la religion catholique, à la France, à ses rois, et les injures qu'ils ont faites à l'Espagne. Il trouve moyen, en passant, de parler de MM. de Guise, princes qui ne sauraient jamais être assez dignement loués selon leurs mérites. Le roi d'Espagne a fourni des troupes et dépensé plus de six millions d'or. Il n'en a tiré aucun profit. Cela ne l'a pas empêché de continuer son intérêt à la France. Ainsi il a pressé, comme un point principal et de la plus grande conséquence, la convocation de cette célèbre assemblée, et a envoyé un ambassadeur pour exposer aux états son conseil et son dessein dans une si haute et difficile affaire, et les aider et assister. Or le roi d'Espagne estime que leur salut consiste à ce qu'ils élisent pour roi catholique et très-chrétien un prince qui soit embrasé d'un très-ardent zèle pour la religion catholique, apostolique et romaine, qui ait des forces suffisantes pour mettre bon ordre à leurs affaires et les délivrer des ennemis. Le roi prie donc les états et les conjure de procéder à cette nomination sans retard, vu le grand danger qu'il y aurait à différer. Il promet pareil secours que par le passé, même beaucoup plus grand s'il est nécessaire. Quant à l'ambassadeur, il secondera de tout son pouvoir les bonnes intentions de son maître.

Il remet ensuite au cardinal Pellevé une lettre du roi qui accrédite auprès des états le duc de Feria, principalement pour presser l'élection d'un roi. Elle est adressée aux très-révérends, illustres, magnifiques et bien-aimés l'assemblée des états généraux de France. Il en est fait lecture par le secrétaire du clergé.

Le cardinal Pellevé se lève, dit qu'il désirerait répondre en français, selon que les états l'en avaient chargé, pour témoigner l'honneur du royaume et de la langue nationale, mais que l'ambassadeur l'a invité de répondre en latin, ce qu'il supplie humblement les états de trouver bon. Il se rassied et commence sa harangue. C'est d'abord un éloge du duc de Feria, de sa noblesse, de celle de sa maison. Il raconte les services signalés rendus à la religion catholique et à l'Espagne par les rois de France, depuis Clovis jusqu'à Charles IX. Il fait ensuite un long éloge de Philippe II, que la France reconnaît, après Dieu, pour son libérateur, et auquel aucun roi de l'antiquité et des temps modernes ne peut être comparé, pas même les sept ou huit papes, y compris Clément VIII, qui ont secouru le royaume de bon nombre de gens et quantité de deniers. Il rend des grâces immortelles pour les immortels bienfaits du roi ; prie son ambassadeur de continuer promptement les secours, et promet à Philippe H que par ce moyen il entrera droit dans le ciel.

On reconduit le duc de Feria hors de la salle avec le même cérémonial qu'à son entrée.

Les états décident que les discours et les pièces seront imprimés pour Mie portés à la connaissance du peuple.

Les royalistes sont en retard de répondre à la lettre des états sur la conférence ; ils s'excusent sur ce qu'ils sont dispersés et éloignés. Ils vont se rapprocher, et feront incessamment connaitre leurs sentiments et leurs intentions. En attendant, ils prient l'assemblée de leur désigner les personnages qu'elle veut députer à la conférence. Les états se concertent mec le conseil pour répondre dans les termes les plus gracieux. Ils expriment leur regret du retard qu'éprouve la conférence et le plus vif désir qu'elle commence. Ils enverront douze personnes d'honneur et de qualité dans un lieu qui sera convenu, entre Paris et Saint-Denis. Les commissaires sont nommés : neuf par les états, trois par le duc de Mayenne[3], avec pouvoir de répondre à tout ce qui sera proposé par les royalistes catholiques pour la conservation de la religion, le bien et le repos de l'État, et la réunion de tous les catholiques. On donne aux commissaires ces instructions secrètes : tâcher d'induire les catholiques du parti contraire à quitter l'hérétique, pour s'unir aux états sous l'obéissance et l'autorité du Saint-Siège, et pour conserver la religion. Les commissaires, s'ils ne peuvent gagner les catholiques, traiteront de manière que les ennemis ne puissent prendre aucun avantage de la conférence. Ils feront leur rapport, et ne pourront rien conclure. Après une vive discussion entre les trois ordres, il est recommandé aux commissaires de ne faire rien de contraire aux conditions sous lesquelles la conférence a été consentie le 26 février par les états, c'est-à-dire de ne pas traiter avec le roi de Navarre.

Dans une dépêche au roi Philippe II, le duc de Feria caractérise ainsi les commissaires : Clergé. L'archevêque de Lyon ; il a promis de bien faire et de persister, il tiendra parole. — L'évêque d'Avranches ; on avait nommé l'évêque de Senlis : c'était un personnage plus sûr ; mais il a craint de se mettre entre les mains des ennemis. — L'abbé de Saint-Vincent ; on avait fait espérer que ce serait le curé Boucher, personnage très-savant et assuré au service de sa majesté ; mais celui-ci n'est pas mauvais.

Noblesse. — le baron de Talmey, député de Bourgogne. En général, les députés bourguignons sont tenus pour très-suspects, dépendant entièrement de la volonté du duc de Mayenne ; celui-ci, en particulier, n'est pas bon. — De Montigny, député de Bretagne ; il paraît des plus sûrs et des meilleurs. — Nicolas de Pradel, député de Troyes ; il est tenu pour bon.

Tiers état. — Bernard, député de Bourgogne ; personnage influent et savant, tenu pour bon catholique ; il fera ce que le duc de Mayenne demandera[4]. — Le président Lemaître, député de Paris ; on n'est pas très-satisfait de lui. — Du Laurens, député de Provence ; c'est un des meilleurs sujets de son ordre, et il montre de l'affection au service de sa majesté.

Duc de Mayenne. — Le président Jeannin ; il fera ce qui lui paraîtra avantageux au duc de Mayenne. — L'amiral de Villars ; il agira dans son propre intérêt. — De Belin, gouverneur de Paris ; personnage peu sûr et affectionné à l'autre parti.

Après une assez minutieuse enquête de commodo et incommodo, ordonnée par les états sur le lieu le plus convenable pour tenir la conférence, on choisit Suresnes. On divise le village en deux parts pour être tirées au sort entre les deux partis, à croix ou pile, avec une pièce de quinze sous. On prend le premier paysan qui passe, il jette la pièce en l'air en disant : Au nom de Dieu et de Notre-Dame de Lorraine. La croix échoit aux ligueurs, ils ont la plus belle partie du village, où est l'église. Sur la pile, qui reste aux royalistes, est un écusson portant fleurs de lis et couronne. Chaque parti est content, et conçoit un heureux présage.

Le 29 avril, les commissaires des deux partis[5] se réunissent à Suresnes. Avant leur départ, ceux de la ligue vont entendre le Veni Creator, la messe du légat, et recevoir sa bénédiction. Il leur fait une courte exhortation, et leur recommande sur toutes choses l'honneur de Dieu. Le peuple, rassemblé pour les voir, crie : La paix ! Bénis soient ceux qui la procurent et la demandent ! maudits, à tous les diables, soient les autres ! Les commissaires se font le meilleur accueil, se communiquent leurs pouvoirs, et se promettent réciproquement protection. Ceux de la ligue reviennent tous les soirs à Paris ; ce qui n'est pas très-commode. Une suspension d'armes de dix jours a été convenue.

Dès la première séance un incident faillit tout brouiller. Les commissaires de la ligue refusent de conférer avec Rambouillet, accusé par la duchesse de Guise et poursuivi pour avoir trempé dans le meurtre des Guise à Blois. Il s'indigne, s'explique avec les commissaires, et soutient qu'il est innocent. Les commissaires sont disposés à le croire, mais disent que la retraite de Rambouillet est un sacrifice qu'il faut faire à l'irritation de la duchesse de Guise et de toute sa famille. Il paraît que Rambouillet ne parut plus à la conférence. Les commissaires des états saisissent des prétextes pour retarder les délibérations. Ils ne veulent pas traiter d'affaires importantes en l'absence du duc de Mayenne.

Il arrive à Paris (6 mai) avec les ducs de Guise, d'Aumale et d'Elbeuf. Les états tiennent (le 10) une séance extraordinaire pour la réception solennelle du duc de Mayenne et sous sa présidence. Il rend compte des motifs qui l'ont empêché de revenir à Paris aussitôt qu'il l'aurait désiré. C'était principalement son entrevue avec le duc de Lorraine et les autres princes de la famille, à laquelle il tenait beaucoup pour détruire le bruit répandu par la malveillance qu'ils étaient divisés entre eux. Ils sont de la meilleure intelligence, se sont promis de rester unis et de s'assister les uns les autres pour la conservation de la religion et de l'État. Le duc de Mayenne, particulièrement, proteste qu'il n'a en vue que le bien public et nullement son intérêt particulier. Le cardinal Pellevé remercie le duc au nom des états, L'archevêque de Lyon fait un rapport de ce qui s'est passé à la conférence. L'archevêque de Bourges et lui, y ont débuté par des doléances sur les malheurs de la guerre : C'est, a dit M. de Bourges, la terre en friche, horrible à voir avec ses cheveux hérissés à faute d'être peignés. Des deux côtés, égal désir du rétablissement de la paix ; mais les moyens ! c'était à qui les proposerait ; les royalistes s'y décident. M. de Bourges arrive sans détour à la question principale. Pour établir l'ordre, il fallait un chef ; ce chef, il existait ; c'était le roi légitime et par succession. En principe, on devait reconnaître le chef donné de Dieu, de la nature et par les lois du royaume. Cette reconnaissance était commandée par les Écritures. Les premiers chrétiens avaient obéi à des princes païens et persécuteurs de la foi. Il rappela tout ce qu'avait fait son royal client pour rassurer les catholiques. Ce n'était pas un idolâtre ou un mahométan, c'était un bon chrétien, séparé des catholiques seulement par quelques erreurs ou différences touchant les sacrements, dont il fallait essayer de le retirer après l'avoir reconnu pour roi, et lui avoir rendu ce qui lui appartient. Les promesses qu'il avait faites à son avènement et ses démonstrations depuis, donnaient tout lieu d'espérer ce qu'on désirait de lui.

L'archevêque de Lyon soutenait au contraire que tout, lois temporelles, droits civils et politiques, devait céder aux choses spirituelles, à la grâce de Dieu ; qu'en France la première condition pour régner avait toujours été de professer la religion catholique ; qu'en conséquence, on ne reconnaîtrait jamais un prince hérétique et qu'on ne l'inviterait pas à se convertir, parce que la conversion à la foi ne pouvait être qu'une œuvre de Dieu. Sur ce terrain, les deux archevêques tirent à l'envi un grand étalage d'érudition et assaut d'arguments et d'éloquence, sans que la solution de la question avançât d'un pas.

Les prétentions du roi d'Espagne sont connues, elles n'ont pas été annoncées officiellement. L'ambassadeur demande audience aux états. Ne conviendrait-il pas auparavant de conférer avec lui et de l'entendre en particulier ? C'est l'avis du duc de Mayenne. Chaque ordre nomme deux députés pour cette conférence. Elle a lieu chez le légat. La réunion se compose du duc de Mayenne, des trois princes de sa famille, des membres de son conseil, des six députés des états, d'une vingtaine de grands personnages. L'ambassade espagnole est introduite.

Le duc de Feria fait l'éloge du roi sou maître, et de sa fille l'infante. Le roi, dit-il, depuis cinq à six ans, a dépensé, pour les frais de la guerre de France, G millions d'or, salis espoir de les recouvrer, et pour le seul intérêt de la religion. Il offre encore d'entretenir pour cette année douze mille hommes de pied et deux mille chevaux avec tout leur attirail, et 1.200.000 écus pour la crue de la guerre des Français. Au moyen de ce secours, qu'il fournira dans deux mois, il espère de els exploits de guerre, que l'année prochaine la moitié de ce secours sera suffisant. Pour tout cela le roi ne demande aucune récompense ; mais par la mort de Henri III, la succession directe appartenant à l'infante, sa fille, il désire que les états la déclarent reine de France, comme fille de l'aînée fille de France, et par conséquent principale héritière du royaume ; attendu que, lorsqu'on voudrait continuer la succession dans la maison de Bourbon, cela ne se pollua ni ne se devait, le roi de Navarre étant hérétique, relaps, excommunié, tous ses parents étant fauteurs d'hérésie, et par conséquent exclus de la royauté. Ainsi n'y ayant aucuns parents, le titre de reine ne pouvait être dénié à l'infante tant par droit de succession que d'élection.

Rose, évêque de Senlis, député du clergé, répond : Les politiques avaient assez bon nez et bien senti en disant Qu'il y avait de l'ambition mêlée avec la religion. Souventes fois, lui et ses compagnons s'étaient fort courroucés en chaire pour soutenir qu'il n'y avait rien autre chose que le zèle de la religion. Mais il serait lui-même politique si le duc de Feria continuait ses prétentions. Le royaume de France s'était conservé douze cents ans, à l'exemple de ceux de Juda, sous la domination des rois de France, selon la loi salique et coutume du royaume. Si l'on rompait la loi salique, ou que par élection on nommât une fille, elle pourrait se marier avec un prince étranger qui, avec le temps, changerait les lois du royaume.

Dans la bouche d'un des plus enragés ligueurs, et acquis à l'Espagne, ce langage est surprenant. Il est inconciliable avec ses antécédents et avec ses discours postérieurs. Il était fou, dit-on ; il faut convenir qu'il eut un bon moment lucide. Ce coup de la main de Rose contre l'Espagnol en valait quatre de la main d'un autre.

Le duc de Feria ne parait pas s'étonner de cette sortie, et n'est pas moins disposé à continuer la conférence. Dans tous les cas, il désire que les états soient informés de ses propositions, et qu'ils entendent un docteur qu'il a amené. Le duc de Mayenne est d'avis que la conférence soit continuée. Impatients de tous ces retards, les états décident qu'ils donneront audience à l'ambassade espagnole. Avant de fixer un jour, Mayenne juge convenable qu'on demande au légat s'il veut y assister, et qu'on s'accorde sur la préséance. Des députéS du clergé vont chez le légat. Il répond que sa présence aux états sera nécessaire, puisque la proposition de l'Espagne a déjà été traitée devant lui. Quelle place occupera-t-il ? Grave question d'étiquette. Dans la conférence tenue chez lui, le légat était au milieu, ayant à sa droite le duc de Mayenne, et à sa gauche le cardinal Pellevé. Aux états il exige le même ordre, c'est-à-dire la première place. Cette insolente prétention excite de vifs débats. Le clergé et la noblesse l'adoptent, le tiers état s'y oppose fortement. Le légat, dit le député Masparault ail nom de ses collègues, ne doit point assister à la séance où il ne s'agira que de l'état temporel de la France. S'il a été reçu aux états, c'était pour sa bénédiction, acte purement spirituel. Si on l'y reçoit, il ne doit pas avoir la préséance, elle appartient au duc de Mayenne. Lui-même consulté, répond : Comme duc de Mayenne, il céderait en tout et partout au légat. Comme lieutenant général du royaume, il ne le peut pas, et prie les états de le soutenir en ce qui est du fait et du devoir de sa charge. Le tiers état imagine des tempéraments qui ménagent la susceptibilité du légat, entre autres de laisser vide la chaise du milieu, celle du roi, de- donner la droite au due de Mayenne, et la gauche au légat ; il est intraitable. Le tiers état lui envoie une députation, elle y. en trouve une du clergé. Le légat est très-fâché. Il se plaint d'être dédaigné par le tiers état qui est le peuple et qu'il aime le plus. Le clergé et la noblesse lui accordent sa demande. Il préfère ne point se trouver à l'assemblée. Il est venu en France comme représentant la personne du Saint-Père. Le député Masparault lui répond : Les membres du tiers état sont tous gens d'honneur, instruits des droits de la couronne acquis depuis douze cents ans. Le légat aurait raison de se moquer d'eux et du duc de Mayenne s'ils ne maintenaient pas ces droits. Le légat réplique : Il trouve bon de garder l'honneur de monsieur de Mayenne ; mais il n'y a point d'égalité entre un pape et un roi, ni entre un roi et le sieur de Mayenne. On lui objecte que, lorsque le légat va au parlement, il ne siège pas au-dessus des présidents. Il persiste dans sa résolution de ne pas aller aux états. Les députés du clergé insistent pour qu'il y aille, parce qu'on dirait à Rome qu'il y avait eu mauvaise volonté de la part des états. Messieurs de l'Église, reprend Masparault, sont experts en ce qui est de la parole de Dieu, messieurs de la noblesse à manier les armes, ceux du tiers état se sont appliqués à savoir ce qui est de la couronne. Le légat persiste à sièger au-dessus du duc de Mayenne. On lui oppose enfin qu'il est étranger et non Français, et qu'on n'a jamais vu un étranger présider au conseil de France. Il n'entend rien céder de ses prétentions, et demande alors que l'affaire d'Espagne, déjà commencée chez lui, s'y continue. Ou a cette déférence pour la cour de Rome. L'audience demandée par l'ambassadeur espagnol est indéfiniment ajournée.

Depuis que les états sont assemblés, toutes les séances sont précédées d'offices religieux, messes, sermons, hymnes, prières, litanies. C'est là que Genebrard, Rose, Dadré, Cueilly, Boucher, etc., débitent leurs diatribes fanatiques et sanguinaires contre le roi et les politiques, et qu'ils donnent le ton aux prédicateurs des paroisses. Les députés ne sont pas très-curieux d'aller à des cérémonies et à des offices où, sous le voile de la religion, les passions les plus haineuses se donnent libre carrière et en style des halles. Un dimanche, Rose dit la messe et Dadré prêche dans la chapelle de Bourbon. Le cardinal Pellevé se lève et dit tout haut qu'il s'étonne du petit nombre de députés présents, qu'il n'en voit guère du tiers état, encore moins de la noblesse, notamment de messieurs de Paris, que c'est une honte ; il fait là-dessus un long discours, et le termine par prier le tiers état et la noblesse de recevoir enfin le concile de Trente.

Déjà les députés s'étaient plaints plusieurs fois du ton de suprématie et des propos offensants du cardinal. Cette nouvelle sortie excite l'humeur du tiers état. Son président Lhuillier déclare que les députés envoyés à la chambre du clergé y ont été tellement gourmandés, qu'il ne communiquera plus avec elle. Le discours du cardinal doit nuire dans le public aux députés et faire croire qu'ils sont moins zélés que les autres pour l'union. On arrête qu'il sera remontré au cardinal de ne plus s'arroger aucune autorité sur la chambre qui ne reconnaît pour supérieur que le duc de Mayenne. Une députation du clergé vient présenter des explications. Il regrette que les affaires ne se traitent pas plutôt avec les anges qu'avec les hommes. Ce dont on se plaint n'est que le fait d'un particulier. Le cardinal est vieux, les membres du clergé ont de la déférence pour son âge et sa qualité, et prient qu'on l'excuse. Le plus souvent ils ont assez de peine à supporter ses mœurs et ses manières de faire, mais il a pris son pli comme le camelot. La chambre du clergé a toujours tenu et tient les députés du tiers état pour gens de bien et très-affectionnés à la sainte cause ; elle désire l'honorer et le reconnaître comme partie du corps universel des états, et le prie d'oublier tout ce qui a été dit par le passé.

D'autres griefs sont articulés contre le cardinal. En sa qualité de président du premier des trois ordres et de prince de l'Église, il se regarde comme autorisé à remplacer le duc de Mayenne dans ses rapports avec les états. Il convoque des assemblées et sans dire à l'avance pour quel objet ainsi que le veut le règlement. Le tiers état se plaint amèrement de cette usurpation et ne veut pas s'y soumettre.

Les députés du tiers état ont plusieurs fois exposé au duc de Mayenne et à son conseil les incommodités qu'ils souffrent à cause de la lenteur avec laquelle se traitent les affaires, la honte de n'avoir rien avancé depuis quatre mois que les états sont assemblés, ni apporté aucun soulagement aux maux qui affligent les provinces. Les députés sont hors de leur maison depuis très-longtemps, quelques-uns depuis dix-huit mois. On ne tient pas exactement les séances des chambres aux jours fixés par le règlement du 19 février. On ne leur fait aucune communication sur ce qui se traite ; on ne leur donne rien à faire ; ils perdent leur temps. Cet infructueux séjour les constitue en frais immenses. Il y en a qui n'ont plus les moyens de subsister. Les états sont venus pour participer aux affaires, on agit envers eux comme si on ne les avait appelés que pour servir d'ombre. S'ils n'avaient pas été donnés en spectacle à toute la chrétienté, qui par leur médiation espère beaucoup de la bonté de Dieu, les députés se seraient retirés chez eux. Prévoyant qu'ils seront dans peu forcés à désemparer par l'extrême nécessité qui surmonte toutes les résistances et par les clameurs de leurs provinces qui leur parviennent journellement, les députés veulent que le blâme de la rupture des états tombe non sur eux, mais sur ceux qui la désirent. En conséquence, ils arrêtent de présenter au duc de Mayenne, avec prière de les adopter, les dispositions suivantes : Il fera travailler incessamment à l'œuvre commencée, afin que les députés puissent s'en retourner dans leurs provinces le plus tôt qu'il se pourra, pour rendre compte de leur mission, et leur témoigner que ce n'est faute d'intégrité et de bonne affection si elles n'ont pas obtenu ce qu'elles espéraient ; il leur communiquera tout ce qui se traitera pour en délibérer ; les délégués des états rendront compte par écrit de tout ce qui s'est passé à la conférence de Suresnes et à celle tenue chez le légat avec l'ambassade espagnole. La chambre arrête qu'elle fera part aux deux autres chambres de ces mesures, le tout pour servir de décharge à celle du tiers état. La noblesse partage ces sentiments ; le clergé ne s'émeut pas. Le cardinal Pellevé dit que les affaires à résoudre sont trop importantes pour que l'on précipite leur décision. Il engage les députés à prendre patience. Dieu leur fera la grâce d'en voir bientôt la fin, pour sa gloire et le salut du royaume. Alors ils s'en retourneront joyeux dans leurs provinces.

Le duc de Mayenne ne peut répondre qu'en termes vagues à toutes ces plaintes. Il en est très-fâché. On a affaire à tant de personnes, il lui a été impossible d'accélérer les choses autant qu'il l'aurait voulu et que le désiraient les gens de bien ; il fera en sorte qu'on en voie bientôt la fin. Quant à la pénurie des députés, s'il avait eu les moyens d'y pourvoir, il n'aurait pas attendu qu'on lui en eût tant de fois parlé. Dieu sait la nécessité qui est dans sa propre maison, néanmoins il cherchera tous les moyens possibles, pour satisfaire les députés.

On fait quelques changements au règlement. Les chambres tiendront leurs assemblées ordinaires le mardi et vendredi de chaque semaine. Les assemblées extraordinaires pour les cas urgents seront, à la demande du duc de Mayenne et de nul autre, convoquées par les trois présidents ; ils feront connaître aux députés l'objet de la convocation, afin qu'ils aient le temps d'y penser. On arrête ensuite que les trois ordres s'assembleront tous les matins pour accélérer les travaux, et qu'avant d'entrer en séance, les trois présidents se communiqueront les objets à traiter, afin qu'ils soient résolus en même temps.

On sait que l'intention du duc de Mayenne est de convoquer à la séance où sera entendue l'ambassade espagnole, les princes, prélats, officiers de la couronne, gouverneurs, cours souveraines, avec voix délibérative, et d'en former même de nouveaux ordres. Ce projet soulève une grave question. Lorsque le duc de Mayenne a expédié ses lettres aux députés des états pour se rendre à Paris, il e invité les parlements à y en envoyer aussi. Celui de Paris a répondu que ce qui était arrêté aux états étant soumis à la vérification, il ne pouvait pas se lier d'avance en y envoyant des députés, qu'il, n'était pas dans cet usage. Le duc a insisté, parce que ces états étaient convoqués, non pour règlement de justice, des finances et autres affaires de cette nature, mais pour l'élection d'un roi. Le parlement a cédé et nommé des députés aux états, sous la réserve qu'ils pourraient cependant opiner sur ce qui serait vérifié en la cour pour le fait des états, comme s'ils n'y avaient pas assisté. L'introduction des députés des cours souveraines aux états trouve une vive opposition dans les chambres. Le clergé voudrait que l'on consultât, à cet égard, le légat et le duc de Feria ; le tiers états s'indigne et s'oppose à ce qu'on admette les étrangers à se mêler des affaires intérieures. Le 27 mai, les états envoient une députation au duc de Mayenne. L'évêque d'Amiens porte la parole.

La France, dit-il, a été composée de trois membres seulement, représentés par les trois ordres, l'Église, la noblesse et le tiers état. Le roi les a assemblés, lorsque la nécessité l'a requis, pour pourvoir aux affaires urgentes et importantes du royaume. On n'y a pas ajouté un quatrième membre pour difformer ce corps, et former dans l'état un monstre aussi étrange et admirable à voir qu'un monstre dans la nature. Les états ont été convoqués dans la forme ordinaire ; ils doivent être d'autant plus maintenus en l'honneur et dignité qui leur ont été de tout temps déférés, que l'acte pour lequel ils sont assemblés est important, non-seulement pour le royaume, mais pour toute la chrétienté. Il supplie le duc de ne pas permettre que par la misère de ce siècle les prérogatives et prééminences soient ruinées et violées. Car quoique la face de l'État fût bien déchirée, néanmoins on devait tâcher d'approcher le plus près que possible de son teint et lustre, pour faire connaitre aux peuples voisins que les Français n'étaient pas encore si misérables, que d'avoir enseveli parmi la corruption des mœurs les lois fondamentales de l'État, sans lesquelles ils ne pouvaient être honorés des nom et qualité de Français.

Le duc de Mayenne répond : Il honore et respecte grandement les états, et désire maintenir leur autorité. L'affaire qu'il s'agissait de traiter étant la plus importante pour la religion de l'État, il croyait devoir convoquer non-seulement les députés des trois ordres, mais aussi les princes, seigneurs, cours souveraines, afin que, par l'avis et délibération commune de tant de grands et notables personnages, il se pût prendre une bonne et sainte résolution pour l'honneur de Dieu et le repos de l'État. Il s'en remet du reste à ce qui sera avisé par les députés avec les membres de son conseil là présents.

C'est le président Jeannin qui développe l'avis du conseil. Les états, dit-il, que convoquaient les rois, n'étant assemblés que pour leur représenter les plaintes et doléances des peuples, il n'était pas raisonnable que d'autres que les députés des trois ordres y fussent admis. Les décisions des rois sur leurs remontrances étaient envoyées aux cours souveraines pour y être vérifiées et homologuées, sans quoi elles n'avaient ni force, ni autorité. L'assemblée actuelle est différente, elle n'a à faire ni plaintes, ni remontrances ; ses membres doivent aviser tous ensemble, et par un commun conseil, à ce qui sera le plus utile à la conservation de la religion et au maintien de l'État. Il est, juste et raisonnable que tous ceux qui ont à prêter main-forte à l'exécution de ce qui sera décidé y soient appelés, surtout ceux qui y ont le plus d'intérêt, tels que les princes, les officiers de la couronne, les principaux seigneurs, les membres des cours souveraines, qui ont le plus de pouvoir et d'autorité, comme représentant la personne du roi et rendant la justice pour lui. Pour cela, il a été trouvé bon, dans les lettres de convocation, de les inviter à se rendre à l'assemblée. Plusieurs cours ont envoyé des députés, ils ont assisté à l'ouverture des états et aux autres assemblées générales. Les en exclure maintenant, ce serait les offenser et diminuer l'autorité des états. L'exemple n'est pas nouveau ; aux états de 1557, on appela des députés des cours souveraines, ils y opinèrent après le clergé et la noblesse et avant le tiers état.

Les députés répliquent : Ils ont l'intention non d'empêcher tous ces personnages d'assister à l'assemblée, mais d'y avoir voix délibérative : car, au lieu de trois voix, il y en aurait cinq ou six, ce qui ne pourrait pas avoir lieu sans une grande diminution de l'autorité des états, ni sans jeter de la confusion dans l'assemblée.

L'évêque de Vannes fait cette observation : L'assemblée de 1557 était une assemblée de notables et non d'états généraux. Le président Saint-André, pour les cours souveraines, remercia le roi de ce qu'il les avait fait opiner à part, n'ayant jamais eu ni voix ni opinion dans ces assemblées. C'est un fait extraordinaire, isolé, et qui ne peut tirer à conséquence. Cela est si vrai, que messieurs du parlement, convoqués aux états actuels, ont, dès le commencement de la session, dit qu'ils s'y trouvaient pour donner avis et conseil au duc de Mayenne, s'il le leur demandait, et non pour opiner.

La députation du tiers état proteste qu'il ne consentira pas à ce que, comme en 1557, personne, autre que lui, délibère après la noblesse, n'y ayant que trois ordres reconnus dans le royaume.

Le président d'Amours convient qu'en effet le parlement a fait beaucoup de difficultés pour se trouver à l'assemblée, parce que ce n'est pas la coutume, et qu'il n'y est venu que pour se conformer à un désir du duc de Mayenne. Messieurs du parlement n'ont pas pour agréable de se mêler avec messieurs du tiers état, ni d'opiner après messieurs de la noblesse ; le parlement, étant mixte et composé de membres appartenant aux trois ordres, a compté que le duc de Mayenne, qui lui a fait l'honneur de l'appeler, lui donnerait le rang que mérite la dignité de cette compagnie souveraine.

Le président Jeannin, au nom du conseil, propose cet expédient : Lorsque les trois ordres auront opiné, le duc de Mayenne demandera l'avis des cours, et ensuite de son conseil, non pour avoir voix résolutive, ni pour faire partage avec celle de messieurs des états, mais seulement par forme d'avis.

Les députés du parlement et des états n'ayant pas le pouvoir de rien décider feront leur rapport à leurs corps, et donneront réponse au duc de Mayenne.

La question n'est pas encore résolue, lorsqu'il convoque l'assemblée pour entendre la proposition écrite de l'ambassadeur espagnol. Les députés du parlement, de la cour des comptes et du conseil d'État assistent à cette séance, mais on n'y délibère pas. Après la lecture de la proposition, Mayenne dit que l'ambassadeur désire faire donner en public des éclaircissements par le docteur Mendoça. Il prie l'assemblée de se réunir le lendemain matin ; elle y consent.

Le procureur général Molé, ne pourra, dit-il, se trouver présent, lorsque le docteur Mendoça développera la proposition espagnole, sans y répondre et s'y opposer, et sans interpeller messieurs de la cour d'en faire autant ; car elle répugne, elle est contraire aux lois du royaume, inviolablement observées depuis le commencement de la monarchie dont elles ont maintenu la splendeur pendant plus de douze cents ans.

L'archevêque de Lyon répond que le procureur général ne pourrait former son opposition sans préjudicier à la dignité de l'assemblée des états où il n'était pas appelé comme procureur général ; que cela serait trop scandaleux, que les états ne pouvaient le permettre.

Le président de Hacqueville dit qu'il est alors plus expédient que messieurs du parlement ne se trouvent pas à l'assemblée, ce que les états approuvent très-volontiers.

Le duc de Mayenne se lève et se retire.

Les députés se rendent dans leurs chambres. Étonné de ce que Mayenne a levé brusquement la séance, le tiers état envoie Barbier demander au clergé s'il en sait la cause ; il l'ignore. Barbier a dit à messieurs du clergé qu'il était envoyé pour s'informer auprès d'eux, tanquam e superioribus... À ces mots de son rapport, la chambre du tiers état éclate en murmures, et le blâme d'un tel langage. Elle ne reconnaît messieurs du clergé que comme frères, nullement comme supérieurs.

Le tiers état et le clergé se réunissent de bonne heure le 29 mai, pour délibérer sur la question relative aux cours souveraines ; les deux chambres étaient à peine réunies, on vient les avertir, de la part du duc de Mayenne, qu'il est en séance et qu'il les attend ; elles s'y rendent. Les députés des cours souveraines n'y sont pas. Nous reviendrons sur cette séance.

Le tiers état reprend ensuite la question qui les concerne et décide que les cours souveraines ne seront pas admise à former un quatrième ordre, sauf au duc de Mayenne à les appeler, s'il le veut, pour prendre leur avis et conseil. Il reste encore une autre question à résoudre relativement aux princes, seigneurs, etc., dont le duc moulait aussi faire un ordre avec voix délibérative. Ce projet est repoussé par les trois chambres. Elles envoient une députation au duc de Mayenne, pour s'en expliquer avec lui. L'évêque d'Amiens lui donne l'assurance que les états ne prendront aucune résolution sans son avis et celui des princes, espérant qu'il n'y aura entre eux qu'une même voix et une même opinion, sans qu'il soit nécessaire de faire une nouvelle chambre qui altérerait l'autorité et la dignité des états.

Le duc répond : Puisqu'on lui a fait l'honneur de le choisir pour chef et lieutenant général de l'État, il saura fort bien conserver son autorité, même au péril de sa vie. En cela, messieurs les princes de sa maison, ses compagnons, ont le même intérêt que lui ; ils ont aussi, comme chacun sait, apporté à la cause leurs fortunes et leurs vies. Les avoir honorés des commandements des armées pour être les premiers aux coups, et maintenant qu'il est question de remédier aux divisions, ne vouloir leur donner aucun rang, c'est une chose qu'ils ne peuvent endurer. Toutefois il loue grandement la résolution des états s'assurant que lorsqu'ils gouverneront de cette façon, on le trouvera toujours disposé, ainsi que les princes, à faire ce que l'on pourra souhaiter d'eux, pourvu que Dieu n'y soit point offensé.

L'admission de deux nouveaux ordres composés d'individus tirant leur droit de leur rang ou de leurs places, et non de l'élection, était une grossière infraction aux lois et coutumes. Des jugements divers ont été portés sur les motifs de ce projet. D'après la Satire Ménippée, les magistrats des cours souveraines ne voulaient pas être classés dans le tiers état, suivant eux composé de manants. Cependant, dans les députations du tiers état, notamment dans celle de Paris, il se trouvait plusieurs de ces magistrats. Suivant Villeroy, on voulait balancer les voix des trois états composés pour la plupart de factieux, de nécessiteux, ennemis du repos public, affamés du bien d'autrui, sans expérience ou jugement aux affaires publiques, élus et venus exprès pour favoriser les desseins des Espagnols. On verra que c'est une calomnie. Le duc de Mayenne essaya l'innovation parce qu'il ne se croyait pas sûr, pour ses vues, de la docilité des trois états. Ils n'auraient probablement pas fléchi, ils ne le pouvaient pas sans se suicider. Pour éviter une division funeste on laisse tomber la question, et on se borne à des protestations réciproques de bonne intelligence. Dans la réponse du duc, il y a du mécontentement et de l'amertume. Il y en a aussi dans un préambule qui la précède. Il y prend un ton justificatif comme s'il était accusé ou soupçonné. Il y proteste de la pureté de sa conscience, et qu'il n'a fait avec qui que ce soit aucun traité, tant dedans que hors du royaume, qui puisse préjudicier à sa grandeur. Et l'alliance de la ligue avec l'Espagne !

Pour vider la question de l'introduction de nouveaux ordres dans les états, nous avons laissé un moment de côté la proposition de l'ambassadeur espagnol. Nous y revenons.

Il demande d'abord la cessation de la trêve et de la conférence, attendu qu'il est inconvenant de négocier avec les ennemis en même temps que l'on traite avec un ami — le roi d'Espagne. Il établit le droit de l'infante dona Isabella Clara, fille de la reine Isabeau, femme du roi, et fille de Henri II. Cependant le roi trouve bon, si on le juge nécessaire, qu'on joigne au droit l'élection. L'ambassadeur donne à entendre que le pape sera satisfait en voyant par ce moyen la religion conservée. Il insinue aux princes, seigneurs, gentilshommes, que l'infante reine fera pleuvoir sur eux les faveurs et les grâces. Un mois après la nomination de la reine, l'Espagne enverra une armée de huit mille hommes d'infanterie et de deux mille chevaux avec tout le matériel nécessaire, et pourvoira à sa solde, ainsi qu'à celle des gens de guerre français que le duc de Mayenne voudra joindre à l'armée espagnole. Trois mois après, elle sera doublée, et ainsi entretenue pendant deux ans. Il sera fourni au duc de Mayenne 100.000 écus par mois pour l'entretien de dix mille hommes de pied et trois mille chevaux. En outre, quand l'infante sera reine, le roi son père s'empressera de l'aider dans tous ses besoins.

Le 29 mai, l'ambassade espagnole est reçue en grande solennité à l'assemblée des états. Le duc de Mayenne se place sous le dais sur le siège royal ; à sa droite, le cardinal Pellevé et les princes lorrains ; à sa gauche, le duc de Feria et toute son ambassade. Les officiers de la couronne et les membres du conseil assistent à la séance.

Taxis parle en français. Il sait que la proposition espagnole a trouvé de l'opposition ; il cherche à prouver que c'est pour la France le seul moyen de salut, et à détruire les soupçons qui ont pu s'élever sur les intentions du roi d'Espagne ; il n'a d'autre ambition que de maintenir la religion et de délivrer le royaume des calamités dont il est affligé. Du reste, si l'expédient proposé n'était pas jugé convenable, l'ambassade était prête à entendre les moyens qui paraîtraient meilleurs.

Cette petite allocution est comme l'exorde du fameux discours de Mendoça. Le docteur ne parle pas moins de deux heures et en latin, avec une belle et grave action, bien tissue et en beau et éloquent style, porte le procès-verbal du clergé. Ce discours, dit de Thou, médité depuis longtemps et prononcé avec tout l'appareil d'un pédant, était divisé en sept points, avec une conclusion : son but était de prouver que, par le décès de Henri II, la couronne appartenait à l'infante d'Espagne ; qu'il fallait procéder à l'élection et confirmer par un juste choix le droit de la princesse ; que ceux qu'on regardait comme les plus proches héritiers du trône étaient ou hérétiques ou fauteurs des sectaires ; qu'ils s'en étaient rendus indignes soit par leur propre fait, soit par la déclaration du souverain pontife, juge suprême dans ces matières. Mendoça rapporta à ce sujet un nombre prodigieux de lois, de canons, de capitulaires, et mille principes ennuyeux de docteurs en droit civil et canonique. Fier de la puissance de son maitre, dont les forces étaient le seul appui de la ligue, le docteur parla comme un étranger qui ignorait entièrement les coutumes, l'histoire et les lois de la monarchie française.

L'ambassade espagnole est reconduite avec le même cérémonial, et les états se séparent.

Depuis le commencement de l'année les députés aux états sont à Paris ; il en est un bon nombre qui, nommés depuis longtemps, ont été promenés de ville en ville jusqu'au moment où la capitale a été définitivement affectée à leur réunion. D'après l'usage, il leur est alloué une indemnité, payée seulement à la fin de la session. En attendant, beaucoup de députés avaient épuisé leurs ressources, et demandé qu'on leur fournît les moyens de pourvoir à leurs besoins. Le duc de Mayenne fait mettre 8.000 écus à la disposition des états pour être distribués entre les trois ordres. Sur l'invitation du clergé, des commissaires sont nommés par les états pour recevoir ce fonds, le répartir et le distribuer. Auparavant, les commissaires du tiers état vont s'informer d'où procèdent les deniers. Le cardinal Pellevé leur demande s'ils sont jurisconsultes, d'autant qu'il y a une loi qui commence par ces mots : Non unde originem. Il ajoute : Cet argent vient du ciel ; quand il sera prêt, on le distribuera. Le cardinal faisait là un infâme métier ; l'Espagne fournissait l'argent. Les députés n'en demandent pas davantage. La noblesse est pressée de toucher sa part. Le cardinal répond à ses commissaires que les fonds sont entre les mains du caissier du duc de Mayenne, et demande si on veut le prendre à la gorge. Non, monsieur, réplique le sieur de Thoires, je contenterai incontinent les états, et je châtierai un larron.

L'huissier de la chambre du tiers état demande à être payé de ses salaires ; on renvoie son payement jusqu'à ce que les 8.000 écus aient été distribués.

Les princes de la ligue ne sont pas beaucoup plus à leur aise que les députés. Dans une conférence sur la trêve, le duc de Mayenne dit que lorsqu'il avait accepté la lieutenance générale il avait 300.000 ou 400.000 écus, et qu'il devait maintenant 2 millions d'or.

Les députés ne sont pas les seuls qui reçoivent l'argent espagnol. Ces prédicateurs furibonds, qui ne semblent animés que d'un zèle ardent pour la religion, sont les vils stipendiés de Philippe, et ont l'impudeur de l'avouer en chaire. Beaucoup de gens de bien, dit Cueilly, curé de Saint-Germain l'Auxerrois, ne reçoivent-ils pas pension de l'Espagne ?On ne m'en a pas offert, s'écriait Aubry, curé de Saint-André-des-Arcs ; mais quelle difficulté fait-on à cela ? Lorsque l'Espagne, à la dernière extrémité, fera prêcher pour la royauté du duc de Guise, elle doublera la pension de Boucher, et augmentera le traitement en nature de Cueilly et des minotiers.

Depuis le 29 avril qu'elle s'était ouverte, la conférence de Suresnes avait langui. Le but de la ligue était d'attirer à elle les catholiques royalistes ; ceux-ci tendaient à faire reconnaître le roi. Le système soutenu par l'archevêque de Lyon était sans issue, ou du moins ne pouvait aboutir qu'à l'exclusion absolue du roi de Navarre et à l'élection d'un autre roi. C'était pour y préparer les esprits que la ligue avait fait une procession générale, à laquelle assistaient le légat, tout le clergé, Mayenne, les Guise, le parlement, les autres cours souveraines, le corps municipal, etc. On y porta quantité de reliques. La procession se rendit à Notre-Dame. Le curé Boucher prêcha sur ce texte, Eripe me de luto, et, faisant allusion au roi, dit qu'il fallait se débourber — débourbonner —, et désigna indirectement le duc de Mayenne comme digne de la couronne. Les états généraux n'assistèrent pas en corps à cette procession, à cause de difficultés pour la préséance. Pour déjouer ces manœuvres, les royalistes remettent à la conférence des propositions rédigées par écrit, après le retour de Schomberg et de Revol, qui avaient été envoyés au roi. La ligue, y disait-on, n'a jamais contesté que le roi était appelé à la couronne par droit successif. Elle a seulement argué le défaut d'une qualité que les royalistes désirent comme elle, pour réunir les cœurs et volontés des sujets en un même corps d'État, sous l'obéissance du roi. Ils l'ont trouvé très-bien disposé à donner ce contentement à tous les bons catholiques. S'il ne l'a pas fait plus tôt, les continuelles guerres ne l'ont pas permis. Pour rendre au Saint-Père l'honneur qui est dû à sa dignité, le roi lui a envoyé une ambassade. Mais en attendant une solution de ce côté, qui est retardée par des empêchements, les royalistes, qui ont conseillé au roi de prendre la voie de 'Rome, l'ont engagé à chercher, pour sa conversion, le remède qui se trouve dans le royaume, toujours dans l'intention de rendre à sa sainteté l'honneur et la soumission qui lui appartiennent. Le roi a résolu de convoquer auprès de lui un bon nombre d'évêques, prélats et docteurs catholiques, pour être instruit sur tous les points de la religion catholique. Il a résolu aussi de faire en même temps une assemblée du plus grand nombre possible de princes et autres grands personnages, pour rendre l'acte de son instruction et de sa conversion plus solennel. Les royalistes espèrent donc que ceux de la ligue ne feront plus de difficulté de traiter des conditions et moyens de la paix et de la sûreté de la religion catholique et de l'État, sous la réserve toutefois que rien ne sera effectué jusqu'à ce que le roi soit catholique. Pour faciliter les opérations, il offre une Crève de deux ou trois mois.

Les commissaires des états déclarent qu'ils n'ont aucune confiance dans ces beaux projets du roi. D'ailleurs ils n'entendent pas traiter comme vaincus et inférieurs en puissance, mais comme entre égaux qui reconnaissent un roi. Ils proposent que la religion catholique soit la seule religion de l'État ; que le culte calviniste soit seulement toléré pour tin temps ; que les calvinistes ne soient admis à aucune charge ; que les états soient convoqués tous les six ans ; que les principaux gouvernements soient donnés aux chefs de la ligue. Sur des hases aussi limitatives du pouvoir royal, il est impossible de s'entendre. Aux états on fait beaucoup de bruit d'une grande découverte du clergé. Ce sont notamment des pièces qui prouvent que le roi de Navarre a ordonnancé le payement d'une somme de 129.000 écus, pour l'entretien des ministres et des collèges du culte réformé. Voyez, s'écrie-t-on, quelle foi on peut avoir dans son projet de conversion. Que le roi soutint le culte de son parti, rien de plus naturel. Mais, ainsi qu'à la conférence de Suresnes, M. de Bourges le fit observer, ces pièces avaient plus d'un an de date.

L'archevêque de Lyon fait aux états le rapport de ce qui s'est passé à la conférence. On donne lecture de la pièce remise par les royalistes. Le duc de Mayenne prie l'assemblée de bien réfléchir à la réponse à faire à ces propositions. C'est la plus haute délibération qui se soit jamais présentée dans la chrétienté. De sa part il proteste devant Dieu et devant les hommes qu'il n'y apportera autre chose que ce qu'il jugera utile et expédient pour la conservation de la religion, le bien et le repos de l'État, imitant et conjurant l'assemblée d'en faire autant.

On ne laisse que trop de temps aux états pour réfléchir. Les chambres, surtout le tiers état, s'impatientent, murmurent, menacent de s'en aller. C'est que le duc de Mayenne confère avec le légat et l'ambassade espagnole, sans le consentement desquels on n'ose rien décider, et qui repoussent les propositions des royalistes. De leur côté ils sollicitent une réponse. Le duc, les princes, les seigneurs du conseil et le légat, donnent leur avis aux états. Sur la conversion du roi, ils ne peuvent qu'y applaudir, et la désirent. Mais comme c'est un fait purement spirituel, la connaissance n'en appartient qu'au pape, auquel, comme chef universel de l'Église, appartient la puissance de délier ce que ses prédécesseurs ont lié. Ainsi le roi doit s'adresser à lui pour faire sa soumission et être reçu au giron de l'Église. Traiter avec les catholiques de son parti, cela est subordonné à sa conversion. Quant à la trêve, il y a beaucoup de difficultés ; la nécessité extrême où se trouve le peuple invite à l'accepter, toutefois' il y sera avisé, après que les royalistes auront répondu sur les deux premiers points.

Tandis que les états délibèrent, on leur lit une lettre des habitants de Reims au cardinal Pellevé ; ils apprennent, écrivent-ils, qu'on veut faire la paix avec le roi de Navarre, mais jamais ils ne le reconnaîtront. Quelques jours après, lettre semblable des habitants de Laon ; ils aiment mieux la guerre perpétuelle que de subir le joug d'un hérétique, quelque promesse qu'il fasse de se convertir. On cherche à influencer les états par ces manifestations.

Les états adoptent l'avis envoyé par le duc de Mayenne et le remettent aux royalistes dans une réponse longuement délayée. Ceux-ci répliquent. De part et d'autre, ce sont toujours les mêmes arguments. Depuis le premier jour, la question n'a fait aucun progrès. Le légat juge à propos d'intervenir ouvertement. Une maladie qui le retient chez lui ne lui permettant pas de venir aux états, il écrit une longue lettre au cardinal Pellevé, qu'il charge de la leur communiquer. Il n'ajoute aucune foi à la conversion du roi ; ce ne sont de sa part que ruses et artifices pour suivre l'exemple de l'Angleterre et bannir de France la religion catholique. Le légat croit donc de son devoir de prier et adjurer les états de ne plus conférer avec les royalistes, et de ne permettre en aucune manière que dans l'assemblée il soit parlé ou fait mention de l'hérétique prétendu roi de Navarre, car on ne peut traiter avec lui sans encourir les peines portées contre les fauteurs des hérétiques. Si l'on faisait autrement, sa sainteté se trouverait grandement offensée. Pour lui, légat, il proteste qu'il n'approuvera jamais rien qui répugne tant soit peu aux instructions du Saint-Père. Il se retirera plutôt du royaume, si l'on traite de paix ou de trêve avec l'hérétique. Il prie les états d'élire le plus promptement possible un roi, qui soit non-seulement de nom et d'effet très-chrétien et vrai catholique, mais qui ait encore le courage et les autres vertus requises pour réprimer et anéantir tous les efforts et mauvais desseins des hérétiques.

Cette lettre est d'abord communiquée aux chambres. La noblesse et le tiers état sont pour la trêve ; mais, comme cela regarde surtout ceux qui commandent les armées, ils s'en remettent à la prudence du duc de Mayenne. Dans la chambre du clergé il y a un grand tumulte. L'archevêque de Lyon dit que le fait de la trêve appartenait mieux à la noblesse qu'à l'Église, mais que, puisqu'on en a référé aux états, dont le clergé fait partie, il faut passer outre, et que la réponse presse. Genebrard, archevêque d'Aix, s'emporte contre ceux qui désirent la paix, et injurie personnellement Rennequin, évêque de Soissons, présent, et toute sa famille. La chambre se sépare dans la confusion. La délibération reprise, le clergé est d'avis qu'il ne peut s'écarter des exhortations et ad monitions contenues dans la lettre du légat, et qu'il ne peut consentir à la trêve, ni à aucun traité avec l'hérétique.

Le duc de Mayenne est pour la trêve ; l'état des forces militaires et la situation de Paris en font une nécessité ; mais il ne veut pas prendre sur lui seul de la conclure ; il ne peut pas non plus dire hautement les motifs qui le décident. Il de mande que les chambres nomment des commissaires pour traiter de la trêve avec lui, le légat et l'ambassade espagnole.

L'opposition du clergé ayant été connue, le peuple se porte en foule à l'hôtel de ville. Aubert, avocat du roi à la cour des aides, porte la parole, et développe les motifs qui rendent la trêve nécessaire. Le prévôt des marchands répond que, l'après-midi, il se transportera, pour la réclamer, chez le duc de Mayenne, où doivent se trouver le légat, le duc de Feria et des membres du conseil ; et qu'il invite le peuple à n'y envoyer que cinq ou six personnes. Il s'y en trouve une centaine. Le prévôt ne vient pas ; on l'envoie chercher, il répond qu'il ne viendra pas, parce que la députation du peuple est trop nombreuse. Le lendemain, le prévôt, accompagné de quatre hommes du peuple, porte sa réclamation chez le duc de Mayenne qui le renvoie au légat pour lui représenter la nécessité de la trêve. Il répond que tout ce qu'on pourra lui dire est inutile, qu'il n'y consentira pas. Un député d'Orléans qui accompagnait le prévôt, et qui était chargé par cette ville de demander aussi la trêve, proteste que si on ne l'accorde pas, ses commettants feront en particulier leur composition. Le légat est inflexible.

A la conférence on attend toujours une réponse de Paris sur la trêve. On ne peut s'accorder dans les conseils. Fatigués de ces retards et de la prolongation de la guerre, les bourgeois sollicitent les députés aux états, partisans de la trêve, d'en finir. Ils en sont empêchés par le légat, le cardinal Pellevé, le duc de Feria et les Seize. La conférence, la trêve sont regardées par eux comme un acheminement à la paix, et la paix c'est leur ruine. Des placards sont affichés, des pamphlets jetés dons les chambres des états ; ils contiennent des injures scandaleuses contre le légat, le cardinal Pellevé, le duc de Feria, le roi d'Espagne et les Espagnols. C'est l'ouvrage des Seize ; ils imputent ces pamphlets aux politiques, pour irriter contre eux et brouiller les cartes. Les personnages injuriés se plaignent au duc de Mayenne ; il ordonne au lieutenant civil du Châtelet de poursuivre, il charge deux commissaires des Seize d'informer contre ceux qui parleraient mal de sa sainteté, du légat, du duc de Feria. On trouve cette mesure très-mauvaise, parce que cela ressemble à l'inquisition d'Espagne. On procède contre deux bourgeois, prévenus, non d'avoir fait les pamphlets, mais d'être allés à la Villette parler de paix aux membres de la conférence du parti du roi. Le parlement évoque l'affaire, arrête qu'il ne sera passé outre, et députe au duc de Mayenne pour l'en instruire.

Le roi a fait annoncer qu'il appellera auprès de lui des docteurs catholiques pour sa conversion. Les curés de Paris ont une grande influence. Il n'y a parmi eux que trois royalistes, Benoît à Saint-Eustache, Morenne à Saint-Merry, et Chavagnac à Saint-Sulpice. Ce n'est pas sans peine et sans danger qu'ils ont prêché la modération et la paix. Ils se montrent favorables au roi néophyte. Chavagnac appelle, en chaire, les adversaires du roi des ministres de Satan, pires que les pharisiens ; et prêche qu'il faut aller au-devant de la brebis perdue, admettre à résipiscence l'enfant prodigue, et imiter enfin saint Remy, quittant son évêché pour aller convertir Clovis. A cause de son royalisme, Morenne est violemment exclu de la chaire de Saint-Germain l'Auxerrois par le curé Cueilly. Le roi songe à appeler auprès de lui ces trois curés pour l'aider de leurs lumières et travailler à sa conversion. Il s'adresse d'abord à Benoît, et l'engage à se faire accompagner par deux théologiens de son choix. Le curé, d'un caractère timide et indécis, a peur, et va consulter le duc de Mayenne, qui lui répond sèchement : Je suis fort joyeux de la conversion de cet homme ; il n'y a rien que je désire davantage. Il engage Benoît à voir le légat. Celui-ci répond au curé qu'il ne peut déférer à l'invitation du roi sans l'autorisation du Saint-Siège. Il n'ose partir. En vain le roi le presse, ainsi que ses deux collègues. Impatienté de leur retard, il écrit à Guincestre, curé de Saint-Gervais, un des plus sanguinaires prédicateurs de la ligue. Depuis quelque temps, par repentir, ou plutôt par prévoyance de l'avenir, il s'est opéré dans ce curé une subite métamorphose ; il a prêché hautement pour la conversion du roi et la trêve. Il est Gascon le roi dit : Jamais bon Gascon ne fut Espagnol. Guincestre va chez le légat, se jette à ses pieds, représente les services qu'il a rendus à l'Union, implore son indulgence, Le légat l'accable de malédictions et le renvoie, en lui disant : Retire-toi de moi, maudit !

Quelque temps après, le curé Chavagnac se décide à donner l'exemple. Il annonce son dessein, et, malgré la défense du légat, part en plein jour, et seul. Ses collègues l'imitent. Leur départ ébranle beaucoup de consciences, et augmente singulièrement Io nombre des royalistes. La fureur des ligueurs ne connaît pas de bornes. Le légat demande à la Sorbonne de retrancher ces déserteurs de la communion de l'Église. Elle ne l'ose ; ils sont préservés par leur probité et leur orthodoxie ; ils ont pour eux le parlement.

D'intelligence avec le légat, l'ambassade espagnole presse les états de répondre à sa proposition du 29 mai en faveur de l'infante. Ils s'en occupent enfin. Ils ne sont pas disposés à donner la couronne à une femme, et à une femme étrangère. Les Français, dit la Châtre, ont le cœur trop généreux et principalement l'ordre de la noblesse, si belliqueuse, pour consentir à supporter la domination d'une femme. S'ils y ont consenti seulement pour les mères de nos rois, lorsque le prince se trouvait en bas âge, ce n'était qu'à grand regret, et pour éviter de tomber dans une pire condition. Cependant, par ménagement pour leur allié, le roi catholique, les états ne refusent pas sèchement l'infante, et prennent un biais. Le clergé l'imagine. C'est avant de délibérer sur la proposition du duc de Feria, de l'inviter à déclarer si l'intention de son maître serait de marier sa fille à un prince français, et s'il désire que cette question lui soit faite au logis du légat ou bien en séance d'états. La noblesse adopte la proposition du clergé. Le tiers état ajoute : Sans en tirer la conséquence que les états s'obligent à nommer l'infante, et sans préjudicier à leur liberté de choisir un roi. Il ne s'oppose pas à ce que la délibération soit communiquée au légat par le duc de Mayenne, s'il le juge à propos, et non de la part des états, l'élection d'un roi étant une chose purement temporelle. Le duc de Feria trouve que la délibération des états répond si peu à son attente, qu'il suffira de la lui remettre chez lui. Le duc de Mayenne pense que cela serait contraire à la dignité du roi d'Espagne et des états. La délibération est communiquée à Feria dans une réunion chez le légat (12 juin).

Le lendemain, les états s'assemblent pour entendre la réponse des Espagnols. Mayenne préside ; Guise, d'Aumale et d'Elbeuf sont présents. L'ambassade espagnole est reçue et placée suivant le cérémonial accoutumé.

Au nom du duc de Feria, Taxis réplique à la délibération des états : Il s'attendait à une tout autre réponse, si la proposition de l'Espagne ne leur plaisait pas, il eût été plus à propos qu'ils voulussent bien en faire une autre. A quoi bon leur question sur une femme s'ils n'en voulaient pas, et s'ils étaient si fort attachés à leur loi salique qu'ils n'en voulussent aucunement démordre ? C'était une perte de temps très préjudiciable. Il fallait se hâter de faire un roi catholique, le danger imminent de la religion ne l'exigeait que trop. Si l'on tardait, le prince de Béarn, par sa feintise, leur en ôterait les moyens. Pour contribuer autant qu'elle le pouvait au choix d'un roi, l'ambassade espagnole venait proposer un moyen qui ne contredisait en rien les lois qu'on appelait fondamentales ; c'était d'élire pour roi l'archiduc Ernest, premier frère de l'empereur. Le roi d'Espagne l'aiderait et l'assisterait, ainsi qu'il l'avait offert pour l'infante ; et pour que les états en fussent plus assurés, il la marierait à l'archiduc.

Taxis développe ensuite les raisons qui militent en faveur de ce parti, et les avantages qui en résultent. L'archiduc était très-zélé catholique, il l'avait prouvé en Autriche et surtout à Vienne, depuis qu'il y gouvernait. Il avait ramené un nombre infini d'hérétiques au giron de l'Église, ce que pouvait attester le légat. Il était mûr et rassis, doux et fort traitable, amateur de la justice et de tous les gens de bien. Il savait diverses langues ; il parlait français ou au moins l'entendait. Eu peu de temps il serait autant Français que qui que ce fût en France. Par son moyen on obtiendrait de l'Allemagne les troupes dont on aurait besoin ; l'ennemi s'y recruterait plus difficilement. L'empereur, frère de l'archiduc, n'était pas marié. S'il mourait sans enfants males légitimes, l'archiduc Ernest serait son héritier, l'archiduc Ferdinand son oncle n'ayant que des filles qui n'hériteraient pas de son État ; avec le temps tout cela pouvait lui échoir, et n'était pas peu de chose.

Allant au-devant d'une objection qui se présentait naturellement, Vous me direz, continua Taxis, que l'archiduc n'est pas né en France. Il n'est pas contre vos lois et coutumes d'avoir pour roi un Allemand. De sa première tige l'archiduc est Français, il l'est encore plus fraîchement par Marie, duchesse de Bourgogne. D'ailleurs, ce n'est pas chose nouvelle que, dans le cas de nécessité urgente, les royaumes se soient servis de rois étrangers, et dans l'état où se trouve la France, en proie à des divisions, et où il s'agit principalement d'extirper l'hérésie, rien ne serait plus à propos que d'avoir un prince libre de toutes passions, impartial, etc. En outre, s'il plaisait à Dieu d'appeler à soi sa majesté catholique, avant que les affaires fussent en bon état en France, ne conviendrait-il pas qu'elle pût compter sur son fils pour continuer l'œuvre de son père, et soutenir sa sœur ?

Après cette communication, l'ambassade espagnole se retire, et la séance est levée.

La proposition de Feria ne blesse plus la loi salique, mais il veut imposer à la France un roi étranger. On presse vivement les états de l'accepter. La Châtre soupçonne quelque sinistre dessein. Ce serait, dit-il dans la chambre de la noblesse, une très-grande folie de passer si légèrement par-dessus nos lois et coutumes. Quand on s'y déciderait, encore faudrait-il auparavant faire nos conditions, de manière à ce que rien ne fût innové dans l'État. Sans quoi nous asservirions lâchement nos vies, nos honneurs, et toute la dignité du royaume aux étrangers.

La question de la trêve occupe tellement les chambres, que pendant plusieurs jours on laisse de côté la proposition de l'Espagne. Elles ont seulement nommé des commissaires pour l'examiner avec le duc de Mayenne. La réponse ne paraît pas douteuse. Malgré le soupçon de vénalité qui pèse sur les états, les lois, les mœurs et les inclinations des Français résistent trop au choix d'un roi étranger, pour qu'il ne soit pas unanimement repoussé. L'ambassadeur espagnol le prévoit, et insinue que si l'on veut élire un prince français, le roi son maitre pourrait lui donner l'infante en mariage. Du moins, le 19 juin, le duc de Mayenne le dit en conseil. Pour son compte, ajoute-t-il, il le désire parce qu'il est Français. Ensuite, si le roi catholique voulait faire cet honneur à sa maison, il lui en serait infiniment obligé. Il désire donc que l'ambassadeur s'ouvre à cet égard. Là-dessus le duc de Feria fait demander à parler à Mayenne. Il sort ; que s'est-il passé entre eux ? Il rentre, et dit que l'ambassadeur ne s'est pas ouvert. Tout cela ressemble à une comédie préparée. Il reste que Mayenne ambitionne la royauté polir sa maison. C'est le premier aveu qu'il en fait hautement. Il est décidé en conseil que l'archiduc Ernest sera refusé. C'est aussi l'avis des chambres ; celles du tiers état et de la noblesse s'en remettent au duc de Mayenne pour que ce refus soit dans les termes les plus polis et honnêtes. La chambre du clergé ajoute : S'il plaisait à sa majesté catholique de choisir pour mari à l'infante un de nos princes, nous lui en aurions beaucoup d'obligations.

Le duc de Mayenne fait circuler dans le public qu'il ne veut point de la royauté ; que, si le roi d'Espagne adoptait pour gendre un prince français, il ferait connaître que les vues ambitieuses qu'on lui prête sont de pures calomnies, et qu'il serait le premier à reconnaître le roi ainsi élu, et à lui rendre soumission.

Mayenne apporte à l'assemblée des états la réponse à l'ambassade espagnole qu'ils l'ont chargé de rédiger. Elle contient un éloge de l'archiduc. Les étals regrettent bien de ne pouvoir déférer au désir du roi ; mais les lois du royaume s'y opposent. Si le roi veut avoir pour agréable le choix qui sera fait de l'un des princes français pour roi, et lui donner en mariage l'infante sa fille, on lui aura une obligation infinie.

Les députés se retirent dans leurs chambres pour délibérer sur ce projet, et l'adoptent. Il y a quelque opposition dans celle du tiers état, et le député Duvair, conseiller au parlement, dépose une protestation. Dans la forme, y est-il dit, les députés n'ont pas de pouvoirs, on ne leur laisse le temps ni de consulter leurs commettants, ni de réfléchir eux-mêmes sur l'affaire la plus importante. Au fond, si l'Espagne accepte, les états sont engagés. On révoque tacitement les négociations de Suresnes, avec les royalistes. La conférence est rompue. Le roi de Navarre est définitivement exclu du trône. Les partis recommencent la guerre. Ces considérations ne touchent pas les états, ils passent outre. L'intérêt et l'influence du duc de Mayenne l'emportent.

L'ambassade espagnole est introduite dans l'assemblée, le duc lui communique sommairement la réponse. Le duc de Feria demande qu'on la lui donne par écrit.

Le 21 juin, les états tiennent une assemblée générale et solennelle à laquelle se rend l'ambassade espagnole. L'affaire est de si grande importance, que le légat y vient aussi et a renoncé à ses prétentions de préséance. Le duc de Feria fait sa réponse.

Pourvu, dit-il, qu'on laisse à son maître le choix d'un prince français, y compris la maison de Lorraine, il en choisira un digne et capable de gouverner et régir le royaume avec l'infante sa tille, qui lui sera donnée en mariage. Ils gouverneront conjointement et in solidum. La royauté entière demeurera au survivant pour lui et ses Successeurs.

Taxis, orateur de l'ambassade, développe ce système. Le principal but du roi d'Espagne est de sauver la religion de la ruine imminente dont elle est menacée par le prince de Béarn. L'élection d'une royauté catholique peut seule couper queue à ce venin. Sa majesté, quoique les états ne se soient pas montrés disposés à la satisfaire, préfère le service de Dieu à toute autre chose. Ainsi, moyennant que les états fassent incontinent roi et in solidum l'infante et celui d'entre les princes français, y compris toute la maison de Lorraine, que sa majesté voudra choisir, elle sera tenue de la marier avec lui ; à défaut de quoi, ce que les états auront fait en faveur de l'infante sera nul. Le roi fera connaître sa volonté dans deux mois après l'élection. L'Espagne fournira les mêmes secours qu'elle a déjà offerts. Si cet arrangement n'est pas agréable aux états, le roi s'en décharge envers Dieu et les hommes, et en laisse la faute à ceux qui en auront été cause. Sa proposition demeurera comme non avenue, et il ne fournira plus de secours. L'ambassade se retire.

Le légat prend ensuite la parole. Il s'était rendu aux états sur l'invitation de l'ambassade espagnole pour être témoin et spectateur de sa proposition. Toutefois, après l'avoir entendue et bien considérée, il ne pouvait s'empêcher d'en dire deux mots. La principale intention du Saint-Père était que la religion fût conservée dans le royaume. Il avait toujours estimé que l'unique moyen d'y parvenir était de convoquer les états généraux pour élire un bon roi, ce que désirait aussi le roi d'Espagne. Si sur ces deux premières propositions, le légat s'était abstenu de parler, c'était parce qu'il y trouvait beaucoup de difficulté, et qu'elles étaient peu agréables aux états à cause des lois et coutumes. Ces propositions n'étaient, à vrai dire, que préparatoires à la dernière par laquelle sa majesté catholique voulait dédier et sacrifier sa fille aînée au commun bien de la religion catholique et de la très-chrétienne couronne de France, qui n'avait pas d'autre moyen de salut[6]. Il pensait ne pouvoir et ne devoir sortir de l'assemblée, sans exhorter de toutes ses forces la piété et la prudence des états à embrasser promptement une si belle occasion, envoyée par la providence de Dieu, d'assurer la religion, de se fortifier contre la tyrannie de l'hérétique. Le légat offrait ses bons offices, tout son labeur, le peu de conseil et d'industrie qui était en lui, pour concourir à cet arrangement. Il le ferait avec une telle dévotion, que s'il pouvait agglutiner et joindre avec son propre sang les volontés des députés et accorder leurs conventions, il l'y emploierait aussi volontiers qu'il en faisait l'offre.

Sur la proposition du duc de Mayenne, les chambres nomment chacune quatre commissaires pour conférer de la proposition espagnole avec lui et les princes chez le légat.

La troisième proposition de l'ambassade espagnole ouvre un vaste champ à l'ambition des aspirants au trône et surtout de la maison de Lorraine. Les intrigues sont en jeu, les conseils, les conciliabules se multiplient. Le duc de Mayenne, ses conseillers, les commissaires des états, se réunissent tantôt chez lui, tantôt chez le légat. Les ambassadeurs espagnols sont appelés à ces réunions. On y discute avec, eux leur dernière proposition. Dans un de ces conseils, la Châtre dit qu'elle lui semble pleine d'artifice et captieuse, bien qu'elle paraisse apporter quelque bien aux affaires. Mais il serait plus parfait si dès ce moment les Espagnols voulaient nommer le prince auquel ils prétendaient donner l'infante. Alors du moins on connaîtrait leur intention ; et s'adressant aux princes : Vous autres, messieurs, dit-il, vous vous accorderiez ensemble. Car sans cela l'acceptation de l'offre des Espagnols serait plus dommageable qu'utile. Cela est encore nécessaire pour que les états puissent délibérer en connaissance de cause. Par ce moyen, ils évitent toutes tromperies, coupent court aux pratiques qui pourraient se faire pendant un plus long délai, rompent les altercations infinies qui pourraient s'élever entre les princes pour aspirer A cette grande et belle fortune.

Les Espagnols refusent de s'expliquer sur le prince de leur choix, et persistent dans leur proposition. C'est la même, dit le Châtre, que celle du 14 juin. Reconnaissant qu'elle nous fut amère et de dure digestion, ils y ont mis un petit morceau de sucre pour l'adoucir. J'estime l'intention de ces gens-là mauvaise. Si elle était bonne et peur nous sauver, comme ils le répètent, ils accepteraient nos offres, au lieu d'exiger de nous des choses non-seulement impossibles, mais aussi déshonnêtes que peu sûres pour nous. Je suis donc d'avis de tenir ferme à l'offre que nous leur avons faite. J'ai entendu dire qu'il n'y avait plus de moyen de salut qu'avec eux, puisqu'il n'était pas permis à un homme d'honneur de traiter avec le roi de Navarre. Je ne suis point de cette opinion. Quant à moi, je n'ai jamais été en volonté, ni désireux de traiter avec lui, demeurant hérétique ; mais quand il sera catholique, je dis qu'au cas que ces gens nous voulussent précipiter dans un péril imminent, comme ils semblent y tendre, il se peut trouver de la sûreté avec le roi de Navarre et plus d'honneur qu'avec eux.

La question se résume. De la part des états, on dit : En matière de mariage, notamment entre princes, il faut que les conditions soient égales. Cela n'existe pas dans la proposition des Espagnols. Ils demandent une royauté présente dans l'espérance d'un mariage futur ; après la consommation du mariage, ou au moment où il serait contracté, on pourrait déclarer les époux roi et reine. Déclarer présentement l'infante reine, se serait contrevenir à la loi salique, tellement engravée dans le cœur des Français, qu'ils ne s'en départiront jamais, quoique l'offre de l'Espagne semble ne pas la violer ouvertement. Enfin les états ne peuvent consentir à ce que le roi d'Espagne se réserve la faculté de choisir un roi. Il peut bien se faire un gendre à volonté, mais l'élection d'un roi appartient aux états et non à un prince étranger.

L'ambassade espagnole répond : Les états, qui réclament l'égalité, ne l'observent pas. Ne déclarer les époux roi et reine qu'après la consommation du mariage, ce serait absurde. De même que les états craignent une royauté sans mariage, l'ambassade craint une consommation de mariage sans royauté. L'infante pourrait être mariée à un prince qui n'aurait pas de son chef les moyens d'entretenir sa grandeur. Elle rie partirait pas d'Espagne sans un titre honorable.

La députation des états propose un expédient. Les états donneraient une procuration au duc de Mayenne, avec pouvoir de substituer, pour déclarer de leur part l'infante reine in solidum avec le prince qui serait nommé par le roi catholique pour être son mari, après le mariage contracté par paroles de présent, et deux ou trois jours avant sa consommation.

Cet expédient est communiqué aux ambassadeurs espagnols chez le légat. Ils se retirent pour délibérer, rentrent, disent qu'ils ne peuvent l'accepter, parce qu'il n'est pas selon l'intention du roi son maître, et demandent à être reçus en assemblée générale pour obtenir une réponse à leur dernière proposition.

Les ambassadeurs étant sortis, la Châtre dit au duc de Mayenne : On ne doit rien changer à la résolution. Le refus des Espagnols dénote leur mauvaise intention, il l'a toujours dit et voudrait s'être trompé. Quels sont les offices d'un ami quand son ami est en nécessité ? Il lui offre son cheval, son épée, et lui ouvre sa bourse. Les Espagnols nous voyant dénués de tous moyens, pauvres et misérables, nous ferment leurs bourses, nous retirent leurs armes et leurs forces, laissant perdre les places à leur vue et à celle des états, sans s'ébranler pour y apporter remède et secours. Si, n'étant pas encore à eux, ils nous traitent ainsi, que devons-nous espérer si nous nous soumettons à leur loi et puissance ? Ils nous tiendront comme ils font les Indiens en leur conquête.

Les états décident qu'on discutera préalablement les conditions du mariage. La conférence est transférée dans le sein des chambres où se rendent Taxis et Diego. Ils disent que s'occuper de ces conditions, c'est traiter de l'achat d'une maison avant que l'on sache si on veut la vendre, et mettre la charrue devant les bœufs. Ils insistent sur une réponse écrite à leur proposition. Le duc de Mayenne est chargé de faire cette réponse. Il l'apporte à l'assemblée générale des états.

Ils tiendront toujours, y est-il dit, à très-grand honneur et obligation infinie, s'il plaît au roi d'Espagne de donner sa fille en mariage à un prince français, aux conditions qui seront trouvées justes et raisonnables, ainsi qu'ils l'ont déclaré le 20 juin. Mais, sur la proposition des ministres espagnols d'établir présentement une royauté, les états estiment que ce serait hors de propos et même périlleux pour la religion et l'État, lorsque l'on était si peu fort en hommes et en moyens. Ils se réservent d'en délibérer ultérieurement, lorsqu'ils verront une armée prête à soutenir et exécuter leurs délibérations. Ils supplient sa majesté catholique de faire préparer et avancer les forces dont il prétend secourir les états, et, en attendant, de fournir les moyens de maintenir les affaires, et d'arrêter les progrès de l'ennemi.

L'assemblée approuve cette réponse ; elle est remise à l'ambassade espagnole dans la séance suivante.

Les Espagnols disent enfin leur mot. Ils proposent de choisir le duc de Guise pour mari de l'infante, si les états la nomment incontinent reine. L'affaire est traitée en conseil. Dans l'insistance des Espagnols, la Châtre ne voit qu'un piège. Il se défie de leur proposition, si éloignée de celles par lesquelles ils avaient débuté. On ne peut pas établir cette royauté sans consulter les princes et les amis absents qui ont le gouvernement des places ; ils se courrouceraient de se voir, sans avoir été appelés, livrés à une main étrangère. Ceux qui engageaient leurs biens, leur fortune, leurs têtes et leur postérité, méritaient bien d'être entendus, car une fois le marché conclu, personne ne pourrait plus faire valoir ses raisons. Il craint encore que la plupart des villes de l'Union, par la conversion du roi de Navarre, ne jettent plutôt les yeux sur lui que sur cette nouvelle royauté qui n'a pas des moyens suffisants pour se soutenir, et ne courent au roi où elles estimeront voir plus de salut et de droit. Pour ne pas se montrer ingrat envers le fils — le duc de Guise —, dont il a tant honoré, aimé et sen i le père, pour lequel il a les mêmes sentiments, et à qui il désire toute grandeur et prospérité, il dit, en concluant, qu'avant de consacrer sa nomination, il faut faire venir une forte armée et les moyens de vaincre les résistances, sans quoi il craint qu'on ne fasse cette royauté plus courte qu'on ne pense et moins honorée qu'il serait nécessaire.

Cette question n'est pas portée aux états, et pour le moment n'a pas de suite.

Le 5 juillet, le duc de Feria apporte à l'assemblée générale des états sa réplique à leur réponse de la veille. Il y a vu qu'ils étaient résolus à ne faire de royauté à présent. C'était l'unique remède pour couper queue au danger dépendant de la feintise du prince de Béarn, assurer la religion et tirer hors de misère. Puisque l'expédient ne leur semblait pas, à propos, il ne saurait qu'y faire et demeurera tout consolé, le roi, son maître, ayant insisté autant que possible, et offert tout ce qui dépendait de lui. Il avait dit aussi que, sans royauté, l'on ne saurait de la part de sa majesté donner de secours, attendu que ce serait jeter dans l'eau les travaux et la dépense, ce qu'on n'avait que trop fait par le passé. Cependant, afin que le monde connût que l'on faisait encore plus qu'on ne pouvait, et pour rendre encore plus claire et plus manifeste sa bonne volonté envers la cause publique, il continuera à assister les états du mieux qu'il pourra, ainsi que le lui permettront les propres affaires de sa majesté, jusqu'à ce que, avertie de ce qui se passe, elle fasse savoir son ultérieure volonté. Les états l'obligeront s'ils s'abstiennent de faire la trêve avec l'ennemi, et s'ils font casser l'arrêt du parlement. Ils le devaient d'autant plus volontiers, que par la trêve on mettait la religion au droit chemin de la mort, que l'arrêt était entièrement en contradiction avec l'autorité des états, qu'il ne répondait pas à la sincère et bonne volonté dont il avait usé à leur égard par ses propositions, et qu'il semblait avoir voulu priver messieurs du sang de Lorraine de la grandeur à laquelle leurs mérites pouvaient les porter.

Le duc de Mayenne dit aux ambassadeurs qu'on essayera par tous les moyens possibles de satisfaire sa majesté catholique et lève la séance.

Sur cette réplique, le parti français dit que c'est une ruse pour flatter les princes lorrains, et les aigrir contre le parlement ; qu'au fond elle n'a pour but que de maintenir la guerre en France, la détruire et ruiner, pour conserver les États du roi d'Espagne. On trouve très-mauvais que les étrangers fassent la loi pour troubler le repos du pays. Toutefois on pense que les offres de l'Espagnol n'auront aucun résultat. Au contraire, les Espagnols et ceux qui sont de leur parti espèrent beaucoup, et se réjouissent fort de cette réplique.

L'ambassade espagnole demandait aux états de casser l'arrêt du parlement. Cet arrêt est un épisode très-important.

Fortement ému des prétentions du roi d'Espagne, et justement inquiet des concessions auxquelles peuvent être entraînés les chefs de la ligue, le parlement s'assemble le 25 juin.

Le duc de Mayenne l'invite à surseoir pendant deux jours, promettant que pendant ce temps il le satisfera ainsi que le peuple. Le parlement défère à l'invitation, et proteste qu'il s'assemblera, toute affaire cessante, si dans le délai le duc ne tient pas sa promesse. Il ne donne aucune satisfaction, le parlement s'assemble, toutes les chambres réunis, et, le 28, rend cet arrêt :

La cour n'ayant, comme elle n'a jamais eu, d'autre intention que de maintenir la religion catholique, apostolique et romaine, et l'État et couronne de France sous la protection d'un roi très-chrétien, catholique et français, a ordonné et ordonne que des remontrances seront faites à M. le duc de Mayenne, en la présence des princes, etc., à ce qu'aucun traité ne se fasse pour transférer la couronne dans la main d'un prince ou princesse étranger ; que les lois fondamentales du royaume soient gardées, et tes arrêts rendus par la cour pour la déclaration d'un roi catholique et français exécutés ; qu'il ait à employer l'autorité qui lui a été commise pour empêcher que, sous prétexte de la religion, la couronne ne se transfère en main étrangère, contre les lois du royaume, et pourvoir le plus promptement que possible au repos du peuple. Et néanmoins, dès à présent, la cour a déclaré et déclare tous traités faits ou à faire, pour l'établissement de prince ou princesse étrangers nuls, et de nul effet et valeur, comme faits au préjudice de la loi salique et autres lois fondamentales du royaume.

Le président Lemaitre, accompagné de vingt conseillers, va faire les remontrances au duc de Mayenne, qui est assisté de l'archevêque de Lyon, du maréchal de la Châtre, du président Jeannin et autres conseillers.

Trois causes motivaient la conduite du parlement : l'obligation où il était de maintenir les fois fondamentales du royaume ; la crainte qu'avaient les vrais Français de subir le joug et la domination de la nation espagnole, très-opposée, pour les mœurs et la façon de vivre, à la nation française ; les justes plaintes des habitants de Paris, qui, au milieu de leur détresse, reprochaient au parlement d'être muet, et de ne pas exciter le duc à avoir pitié du pauvre peuple.

La conservation de l'état royal et couronne de France dépendait entièrement de l'observation des lois fondamentales, au maintien desquelles les membres du parlement, comme les premiers officiers de la couronne, étaient étroitement obligés, tant par l'institution du parlement que par leur serment.

Le duc de Mayenne n'y était pas moins obligé, en sa qualité de lieutenant général du royaume, par laquelle la couronne lui avait été donnée en garde et dépôt seulement, et en vertu de son serment solennel, de conserver l'état royal en son entier, de garder et faire garder les lois du royaume. La première et principale était la loi salique, par laquelle, depuis douze cents ans, la majesté et la grandeur de la couronne avaient été conservées, et les femmes perpétuellement exclues du droit de la couronne, quoiqu'elles fussent originaires de France et les plus proches parentes du roi décédé.

La loi salique avait été introduite, reçue et pratiquée en France, depuis Clovis, à deux tins. La première, pour empêcher que la couronne ne tombât entre les mains des étrangers, ce qui serait arrivé plusieurs fois par mariage, si les femmes avaient été admises à y succéder. La seconde, pour que les Français, qui avaient, en valeur et magnanimité, surpassé toutes les autres nations, ne fussent pas contraints de se soumettre à la domination des femmes. Leur gouvernement, lorsqu'elles avaient eu celui de l'État, non de leur chef, comme reines, mais à cause de leurs maris ou enfants rois, avait toujours été funeste, et excité des séditions et des guerres civiles, comme les reines Frédégonde, Brunehilde, Judith, la reine Blanche, mère de saint Louis, Espagnole de nation, et en dernier lieu Catherine de Médicis. Leur gouvernement avait excité de merveilleuses tragédies et causé plusieurs guerres civiles dans le royaume.

Le président rappelait les actes solennels du parlement et du lieutenant général, annonçant la convocation des états généraux pour l'établissement d'un roi catholique et français. Ce serait donc contrairement à ces actes et aux lois qu'on donnerait la couronne à l'infante d'Espagne, princesse étrangère, fille d'un roi étranger, née en pays étranger et y demeurant. La nomination de l'infante continuerait, perpétuerait la guerre et ruinerait le parti de l'Union. La plupart des nobles et des villes étaient déjà dans le parti du roi de Navarre. Que serait-ce donc si l'on élisait l'infante ? les nobles et les villes du parti de l'Union, ayant le cœur français et la haine de la domination étrangère, s'indigneraient, quitteraient ce parti et se joindraient au roi. Le pape, tous les potentats d'Italie et d'autres princes chrétiens, jaloux et irrités de la trop grande puissance du roi d'Espagne, s'allieraient contre l'Union et feraient cause commune avec le roi de Navarre. Les provinces seraient offensées, celles qui n'avaient pas envoyé de députés aux états, telles que le Languedoc, l'Auvergne et autres, parce qu'on ne les aurait pas consultées ; et celles qui avaient envoyé des députés, parce qu'ils n'auraient pu, sans mandement spécial, consentir à l'établissement d'une princesse étrangère.

Sans doute le roi d'Espagne était pour l'Union un puissant auxiliaire ; mais sa puissance n'était pas telle qu'il pût délivrer l'Union des calamités de la guerre dans laquelle elle serait encore plus précipitée. Il était facile d'en juger par le passé. Depuis cinq ans les forces espagnoles et celles de l'Union réunies n'avaient rien gagné sur l'ennemi. Depuis vingt-cinq ou trente ans que le roi d'Espagne faisait la guerre à une partie de ses sujets, il n'avait pu les dompter ; comment triompherait-il du roi de Navarre et de toute la noblesse française quand ils seraient réunis ? Si l'Union avait des obligations au roi d'Espagne pour l'assistance qu'il lui avait prêtée, toute l'Europe avait obligation à la France, dont les défunts rois avaient, par leur valeur, chassé le paganisme et l'idolâtrie, et planté, Far leurs armes, la foi catholique. Quand même l'obligation qu'on avait au roi d'Espagne mériterait une autre récompense, entre cette récompense et la couronne de France il n'y avait aucune proportion. Bref, cette couronne ne pouvait être transférée dans une main étrangère sans une note perpétuelle d'infamie et d'infidélité pour' les auteurs ou participants de cette translation.

Le second objet des remontrances était la conclusion d'une trêve générale avec le roi de Navarre. Elle était depuis longtemps négociée dans la conférence tenue par les commissaires des deux partis. Le duc de Mayenne et son conseil la trouvaient nécessaire. La noblesse et le tiers état partageaient cet avis, mais le légat s'y opposait fortement. Cette opposition, dit le président Lemaitre, était contre l'intention vraisemblable du pape, puisque, pour le repos et la sûreté de ses sujets d'Avignon, il avait conclu une trêve avec Lesdiguières, chef des ennemis en Provence. Si le duc de Mayenne cédait au légat, il méconnaîtrait son autorité, celle de son conseil, de la noblesse et du tiers état ; il préjudicierait aux droits et libertés du royaume qu'il avait juré de garder. Les rois de France, ne tenant le temporel du royaume que de Dieu, ne reconnaissaient, en fait de guerre ou trêve, ni le Saint-Père, ni ses légats. S'il n'y était promptement pourvu, il était à craindre que le peuple de Paris, poussé à bout par la nécessité qui violait toutes choses, ne changeât sa patience en fureur, et qu'il n'éclatât une sédition merveilleuse qui serait la ruine entière de la ville.

Bien que vivement blessé, le duc de Mayenne se contient et répond brièvement : Depuis sa nomination à la dignité de lieutenant général du royaume, il a gouverné pour le maintien de la religion et de l'État, et on pouvait être assuré qu'il ne ferait rien qui leur fût contraire. Il trouvait étrange que, sans égard à son titre et à son rang, le parlement eût délibéré et rendu son arrêt sur des affaires de cette importance, sans l'en prévenir, et sans appeler aussi les princes et les pairs faisant partie de la cour. Quant au soulagement du peuple, il avait fait tout ce qu'il avait pu, il avait voulu la trêve ; mais le respect que, comme prince catholique, il portait au légat, qui ne la trouvait pas bonne, l'avait retenu. Il aviserait aux deux objets des remontrances.

On prétend que tandis que Lemaitre parlait, le duc changea de couleur et laissa deux ou trois fois tomber son chapeau. Un greffier du châtelet dit tout haut, en pleine rue, que le duc devait avoir vingt-quatre sacs tout prêts, pour jeter à l'eau le président Lemaitre et ses conseillers.

Sur le compte de sa mission rendu par le président Lemaitre, le parlement ordonne l'enregistrement de sa harangue et de la réponse du duc de Mayenne, et proteste que tous ses membres mourront avant que l'arrêt de la cour soit changé ou cassé.

Le duc de Mayenne fait dire au président Lemaître qu'il désire lui parler, et qu'il l'invite à venir, assisté de deux conseillers, au logis de l'archevêque de Lyon chez lequel il dînait. Lemaitre s'y rend, trouve le duc avec l'archevêque, et lui demande ce qu'il désire. Le duc, en colère, renouvelle son reproche au parlement d'avoir rendu son arrêt sans l'avoir averti, ainsi que les princes et pairs. Vu son titre et son rang, on lui a manqué de respect, on lui a fait un grand tort et affront. Il espère que l'arrêt sera cassé par les causes que dira l'archevêque.

Lemaître rappelle au duc que le parlement l'avait averti, et avait, à son invitation, tardé deux jours à délibérer ; que, n'ayant pas reçu de ses nouvelles, la cour avait trouvé bon de passer outre. S'il se fût -trouvé au milieu d'elle, il aurait reconnu qu'elle n'avait parlé de lui qu'avec honneur et respect. L'intention de la cour n'était pas de mécontenter personne, mais de faire justice à tous.

L'archevêque de Lyon prend la parole ; en colère comme le duc, il répète que la cour lui a fait un grand affront.

Monsieur, réplique soudain Lemaître, lorsque M. le duc a usé de ce mot d'affront, j'ai gardé le silence pour le respect et l'honneur que lui porte la cour en général et en particulier. Mais de vous, surtout lorsqu'il ne s'agit pas de moi, mais de la cour, je ne le puis endurer ; la cour sait faire droit et justice, et maintenir les lois, mais elle ne sait ce que c'est que d'affronter grand ni petit. En mon particulier, j'ai toujours fait cas du savoir de M. de Lyon ; je vois bien qu'il sait toutes choses, fors le respect et l'honneur qu'il doit à la cour.

Le duc dit à l'archevêque de continuer, il répond que M. Lemaître lui a cousu la bouche.

Le duc ne trouve pas le procédé aussi étrange de la part de la cour en corps, que de quelques-uns de ses membres et des plus notables qu'ira avancés dans les plus belles charges et dignités. Ceux-ci lui sont le plus contraires ; il en est bien malheureux. Si c'est de moi, répond Lemaitre, que M. le duc entend parler, il se trompe fort ; j'étais simple avocat, je travaillais comme je voulais. Je donnais aux parties des mis et conseils qu'elles n'étaient pas tenues de suivre. Je vivais honnêtement de ma profession. En me faisant président, on ne m'a pas ôté la liberté de parler franchement ; on m'a obligé à rendre justice à chacun, sous ma responsabilité devant Dieu. Tout le fruit que j'ai retiré de ma charge, c'est, outre la peine et le travail, la ruine de ma maison et les calomnies des méchants. En voulant me faire et avancer, on m'a défait et désavancé.

L'arrêt, dit le duc, sera cause d'une sédition et jettera la division dans le peuple. Déjà ou le voit assemblé dans les rues et murmurer. Depuis cieux jours, l'ennemi s'est rapproché de la ville pour voir s'il ne pourrait pas faire quelque entreprise.

Si quelqu'un, répond le président, est assez hardi pour commencer une sédition, qu'on avertisse la cour, elle saura fort bien les moyens de châtier les séditieux. Le peuple ne demande que le rétablissement de la justice. Quant à l'ennemi, ce sont de faux bruits répandus par les menées des Espagnols.

M. de Lyon dit que s'il arrivait maintenant qu'on traitât de la paix, l'honneur en serait déféré à la cour et non au duc.

La cour, réplique Lemaitre, est assez honorée d'elle-même, et ne cherche ni honneur, ni gloire. Elle prie M. le duc et les autres princes de dire ce qu'il y a dans l'arrêt qui ne soit pas juste et qui les ait offensés. Quant à la cour, elle pense qu'elle n'a fait que son devoir en excluant l'étranger de la couronne qu'il voulait attraper. Cet arrêt peut servir à réconcilier et réunir tous les bons catholiques et bons Français. Pour moi, je souffrirai plutôt la mort que d'être Espagnol ou hérétique.

Le duc termine en disant qu'il verra s'il aura la puissance de faire rompre l'arrêt.

Le parlement donne de grands éloges à la fermeté de son président. Tous les membres jurent de sacrifier leur vie pour le maintien de l'arrêt, et députent au duc de Mayenne le président de Neuilly et trois conseillers, pour l'assurer que la cour, par son arrêt, a eu l'intention, non de se séparer de lui, mais, au contraire, de s'unir plus fortement à lui pour la conservation des lois fondamentales et du maintien du serment fait à Dieu et à la patrie ; que l'arrêt était pour lui servir de décharge envers les étrangers et se délivrer de leurs poursuites. Les députés de la cour ayant rempli leur mission, le duc de Mayenne leur répond qu'il est très-fâché que l'arrêt ait été rendu sans lui en avoir communiqué, mais que, puisque c'était fait, et qu'il n'y avait plus de remède, il priait la cour de ne plus procéder de cette manière.

On a prétendu que Mayenne avait été le secret promoteur de l'arrêt, et que sa colère était factice et purement politique. On ne peut admettre que le parlement et un homme du caractère du président Lemaitre se fussent prêtés à jouer une comédie.

Ce n'est pas en vain que Philippe s'appelle sa majesté catholique. Autrichien et roi d'Espagne, il est le plus ardent soutien de la religion ; sa conviction religieuse est d'accord avec sa politique. Il veut sincèrement le triomphe du catholicisme en France, et, pour mieux l'assurer, faire de la France une province espagnole, une propriété de la maison d'Autriche. C'est une grande ambition, une entreprise audacieuse. Les circonstances paraissent. des plus favorables ; mais malgré les divisions qui déchirent le sein de la patrie, malgré la lâcheté des traîtres que soudoie l'étranger, la majorité des Français a le sentiment de sa nationalité et de son indépendance. C'est un grand peuple résolu à maintenir son existence. Tous les partis sont d'accord. Les états, bien qu'incomplets, nommés par une faction alliée du roi Philippe, et à sa solde, repoussent toutes ses offres trompeuses. A l'infante, ils opposent la loi salique ; à l'archiduc Ernest, son origine étrangère. Point de femme ! point d'étranger ! un roi catholique, mais Français ! c'est le cri national. Cependant l'Espagne ne veut pas en avoir le démenti ; elle exige, elle recule, elle revient, elle se retourne, et ne renonce pas. Pour tout concilier, il s'agit de marier l'infante à un prince français, de la déclarer reine, de le nommer roi. L'Espagne veut choisir le prince et que la royauté soit solidaire entre les deux époux. Les états ne consentent pas à aliéner leur droit d'élection. Commencera-t-on par établir la royauté ou par contracter le mariage ? Question puérile sur laquelle on dispute sans pouvoir s'accorder. Tout cet imbroglio se termine par une déclaration des états que la ligue n'est pas assez forte pour établir une royauté, par un ajournement jusqu'au moment où l'Espagne aura fourni une armée, et par l'arrêt du parlement qui déjoue complètement les projets ambitieux de Philippe. Dans toutes tes manœuvres, la maison de Lorraine joue un grand rôle. Depuis plus de vingt ans qu'on l'accuse d'aspirer au trône, jamais elle ne parut plus près d'y monter. C'est avec un de ses princes que Philippe, pour dernier expédient, se flatte d'établir une royauté franco-espagnole.

Avec la main d'une princesse espagnole, recevoir la couronne de France, quelle haute fortune pour eux ! Mais lequel l'obtiendra ? La discorde est parmi eux. Trois y aspirent. Le duc de Mayenne, lui ou son fils aîné, le duc de Nemours et le duc de Guise. C'est ce dernier que choisissent les ambassadeurs espagnols ; il en est question dans un conseil chez le duc de Mayenne. Il a de la peine à dissimuler son désappointement, et demande un délai de huit jours pour en avertir le duc de Lorraine, chef de la maison. Cette combinaison aurait pu réussir, si elle avait été présentée franchement à l'ouverture des états généraux. Mais la fierté et la lenteur espagnoles ne comportaient pas une semblable résolution. Maintenant il est trop tard. Par ses prétentions excessives, l'ambassadeur a réveillé l'esprit national. Il s'est hautement manifesté, il ne reculera pas. Les Guise eux-mêmes n'ont pas su profiter de l'occasion. D'ailleurs, les événements ont marché ; la cause du roi a fait de grands progrès. La royauté hispano-lorraine est antinationale, elle s'en ira en fumée.

Inquiets de la mauvaise tournure que prennent les affaires de la ligue par suite de l'arrêt du parlement et la prise de Dreux par le roi, les Espagnols pressent vivement les états de consacrer leur ultimatum, la royauté de l'infante et du duc de Guise. Les Seize se rallient à ce projet. Les Espagnols et le légat appointent de ce qu'ils peuvent les prédicateurs pour le soutenir. La pension de Boucher est augmentée. Il est convenu que Cueilly recevra par semaine un quartier de mouton et un quartier de veau ; par mois, un setier de blé et dix doublons. Tous les minotiers, ainsi nommés parce qu'ils reçoivent de l'Espagne un minot de froment par jour, obtiennent quelque nouvel avantage.

Déchu de ses espérances, le duc de Mayenne est très-refroidi, et prend peu d'intérêt au dernier projet de l'Espagne. Le duc de Guise lui-même, dit-on, ne se fait pas illusion. Il répugne à la comédie royale qu'on veut lui faire jouer, et se fâche. Cela n'arrête pas les Seize et leurs prédicateurs ; ils veulent le faire roi malgré lui. C'est disent-ils, le vœu de tous les honnêtes gens, le seul moyen de sauver la France. Ils outragent, ils menacent tout ce qui ne dit pas comme eux, les politiques, le parlement, la conférence, et jusqu'au duc de Mayenne. Quant au roi, c'est un monstre, on gagnera le ciel en le renvoyant aux enfers qui l'ont vomi. Ils ne respectent pas plus les états. Le cordelier Garin, prêchant devant les députés réunis, ose leur dire que leurs beaux états, c'était la cour du roi Pétaud. Le légat le suspend, la Sorbonne lui rend la parole. Le jésuite Commelet, discourant sur l'Évangile de la nacelle agitée par la tempête, et assurant que Judas était dedans, dit que, parmi les députés, il n'y a pas un Judas, mais vingt, mais trente : On les connaîtra au vote, s'écrie-t-il ; à cette heure, mes amis, ruez-vous hardiment dessus, étouffez-les-moi, car ils en sont.

Pendant douze jours, les états ni les chambres ne s'assemblent plus. Il circule toutes sortes de bruits. Le légat a reçu de Rome des dépêches. C'est une aggravation contre le roi de Navarre et ses adhérents ; non, c'est une absolution ; ou bien, vu l'intention du roi de se convertir, un ordre au légat de ne rien faire jusqu'à nouvel ordre ; enfin c'est le consentement du pape à l'élection du duc de Guise comme roi, et à son mariage avec l'infante. On va jusqu'à dire qu'il est nommé roi, que le duc de Mayenne a été comme forcé de consentir à la nomination, et l'a signée ; que dans quatre mois le roi d'Espagne enverra l'infante en France pour être mariée au duc de Guise avec une armée de trente mille hommes pourvue de tout son matériel ; qu'elle viendra par la Lombardie en Savoie, où les ducs d'Elbeuf et d'Aumale et les deux sœurs du duc de Guise iront la recevoir ; qu'en attendant, pour la sûreté de Paris, on augmentera a garnison de deux mille hommes de pied et de quelque cavalerie ; que le comte Charles Mansfeld, qui est sur la frontière avec environ huit mille hommes, sera renforcé jusqu'à dix mille pour s'approcher de Paris.

Suivant les partisans des Guise, le duc de Mayenne avait beaucoup fait pour lui et sa maison, puisqu'il avait fait son neveu roi de France, de Naples, de Sicile, duc de Milan et comte de Flandre, et, en cas de mort du prince royal maladif, roi d'Espagne, de Portugal, et de toutes les possessions espagnoles. Le nouveau roi aura les moyens d'avancer et de récompenser tous ceux de son parti, sans compter le duc de Mayenne, qui, pour sa part, aura en propriété et souveraineté la Bourgogne et la Champagne.

Suivant les ennemis des Guise, le duc de Mayenne a été très-mal conseillé. Jusqu'à ce moment, il n'a pas montré ouvertement son ambition ; tous les orateurs du monde ne persuaderont pas que Guise le Balafré n'avait rien entrepris contre le feu roi. Les mémoires de l'avocat David n'ayant pu rien opérer en faveur du père, on essaye d'en tirer parti pour le fils. Il n'y a plus de réconciliation possible entre le roi et le duc de Mayenne. Le roi d'Espagne n'est pas en état de tenir ses promesses. Comment fournirait-il une armée, lorsqu'il a trop peu de troupes pour se soutenir dans les Pays-Bas ? Les ambassadeurs espagnols s'adressent à tous les banquiers et ne trouvent par un liard. Jamais, dans l'état maladif de son fils, le roi d'Espagne ne se séparera de sa fille chérie ; jamais il ne la mariera qu'à un prince de la maison d'Autriche.

D'autres ne peuvent croire que le duc de Mayenne élève au-dessus de lui son neveu auquel il a commandé. Ils se fondent sur ce que le jour même où l'élection aurait été faite, il a mandé les colonels de la ville, et les a engagés à rester fermes dans leurs engagements envers lui.

Cependant les conseils continuent sur la question de la royauté.

L'ambassade espagnole est invitée à se trouver le 10 juillet à un conseil convoqué par le duc de Mayenne chez le légat[7]. Le duc exprime son désir de voir une bonne fin aux affaires, et de donner satisfaction à sa majesté catholique. L'ouverture que l'ambassade a ci-devant faite de donner M. de Guise pour mari à l'infante leur est grandement agréable ; il l'embrasse comme le plus grand honneur qui pût arriver à sa maison. Mais avant de rien résoudre, il désire voir les pouvoirs de l'ambassadeur, et aviser aux conditions et conventions. Lorsqu'ils en seront d'accord, on fera la déclaration de la royauté, telle que les Espagnols la désirent.

Le duc de Feria tire des pleins pouvoirs du roi d'Espagne. On en fait lecture.

Le cardinal Pellevé pense qu'outre le pouvoir général, les envoyés espagnols doivent avoir des instructions particulières pour traiter du mariage de l'infante, et que s'ils voulaient les montrer, cela faciliterait beaucoup les affaires.

Les Espagnols répondent que s'ils n'en avaient pas la charge expresse, ils ne négocieraient pas une affaire aussi importante ; qu'il n'y allait de rien moins que de leurs têtes ; que ce n'était pas la coutume de communiquer les instructions. Cependant, après de nouvelles instances, le duc de Feria montre une longue instruction signée du roi. Il marque avec une plume le passage qu'il consent à communiquer. Le légat en fait lecture. Il contient en substance : Sa majesté, en considération du sang répandu par l'aïeul et le père du duc de Guise pour le service de la religion, et vu la miraculeuse délivrance du fils, voulait préférer le bien de la religion à ses particuliers neveux et autres intérêts ; estimant que M. de Lorraine, du sang duquel le duc de Guise était descendu, le trouverait bon, et que le duc de Mayenne, qui était soit si proche parent, y tiendrait la main et l'assisterait, il le nommait et choisissait pour son gendre et mari de l'infante, sa fille aînée, aux conditions portées par ses instructions.

On prend la résolution de dresser le plus tôt possible les conditions pour les communiquer aux envoyés espagnols, afin de s'accorder et de faite ensuite la déclaration qu'ils désirent. La couronne est un assez beau lot pour satisfaire le duc de Guise. Mais les autres princes lorrains élèvent des prétentions et veulent stipuler leurs intérêts. Ainsi, Mayenne demande huit cent mille écus dont il prétend que ses biens ont été grevés pour les frais de la guerre, et deux gouvernements pour ses deux fils. L'avidité de ces princes est telle, que, suivant l'expression du député Soret, le jeu de malcontent se jouait.

Le 12 juillet, dans une réunion chez le cardinal Pellevé où sont le duc de Mayenne, les princes, leur conseil et quelques autres, M. de Lyon lit les articles généraux des conditions de la royauté, et un état des forces et moyens pour l'entretenir. On remet au lendemain à dresser les conditions particulières au duc de Mayenne. Deux mémoires sont présentés à cet égard par le cardinal Pellevé[8]. C'est lui et le clergé qui soutiennent la royauté du duc de Guise[9]. Cependant au sein même de cet ordre il y a de l'opposition. Dans une réunion où le cardinal presse la ratification de la nomination de Guise, il est vigoureusement contredit par l'abbé de Saint-Vincent.

Pendant ces débats, la question de la trêve a mûri, Paris est menacé par le roi. Les ligueurs ne sont pas en force ; le légat, les députés, les princes lorrains craignent un siège et l'exaspération du peuple. Déclarer une royauté, sans avoir les moyens de la soutenir, ce serait aggraver la situation. Le duc de Mayenne assemble les états et leur déclare qu'on ne peut s'en occuper quant à présent, et qu'il faut conclure la trêve. Il n'est plus question de la royauté lorraine.

Successivement transférées de Suresnes à la Roquette, à la Villette, à Aubervilliers, les négociations languissent ou continuent sans rien conclure. Endoctrinés par le légat, les ligueurs remettent le jugement de la conversion du roi à l'autorité du Saint-Père, ayant seul le pouvoir de lui ouvrir la porte de l'Église. Les royalistes ne reconnaissent pas cette autorité au pape, parce que c'est mettre à sa disposition la couronne. La conférence, loin d'avoir pour les ligueurs les avantages qu'ils en ont espérés, tourne au profit du roi. Pour la facilité et la sûreté des communications, on a fait et renouvelé des trêves de quelques jours. Elles donnent au peuple le goût de la paix. Mais ces courts temps de repos des armes ne suffisent pas pour ramener la sécurité. La crainte des hostilités gène toutes les transactions et les approvisionnements de Paris. Les habitants se fatiguent d'être comme prisonniers dans leurs murs, et d'y faire la garde. Pour les affriander davantage à la paix, le roi se montre plus difficile. Plus de ces courts sursis qui ne mènent à rien ; mais une bonne trêve de plusieurs mois pendant laquelle on puisse respirer. Le duc de Mayenne, les députés de la noblesse et du tiers état sont de cet avis. La trêve est tout à l'avantage du roi. Le légat et les Espagnols le sentent bien ; aussi s'y opposent-ils de toutes leurs forces.

Pour accélérer la conclusion de la trêve, le roi fait approcher des troupes de Paris comme pour l'assiéger. Tout le monde a peur, les états, le légat. Il a vu en partie les horreurs du siège de 1590, il n'est pas curieux de recommencer l'épreuve, il craint de tomber entre les mains du roi. Il s'humanise et consent à la trêve. On la négocie.

Le cardinal de Bourbon, le chancelier, plusieurs membres du conseil, avec un grand train, vont à Saint-Denis. Les royalistes de Paris se portent aux faubourgs pour voir des parents, des amis dont ils sont séparés depuis trois, quatre et cinq ans ; c'est le plus touchant spectacle. Le 22 juillet le roi arrive à Saint-Denis aux acclamations du peuple et des Parisiens qui le saluent des cris de vive le roi. Tout ce mouvement, qui retentit à Paris, effraye les ligueurs, les états et le légat. Sur l'initiative du clergé, les états députent au duc de Mayenne. Paris est menacé d'un siège, disent les députés, ils s'ennuient de leur long séjour, ils n'ont plus de moyens d'y vivre, ils demandent la permission de s'en aller, ou la prendront si on la leur refuse.

Le légat, qui avait à la vérité, par peur, consenti à la conclusion de la trêve, change tout à coup d'avis, et menace, si on la conclut, de battre en retraite et de sortir de Paris. Son collègue, le cardinal Pellevé, rassemble les députés de cette ville, leur dit qu'il ne serait pas raisonnable de laisser partir ainsi le légat, et qu'ils doivent s'opposer à la trêve de tout leur pouvoir. Ils répondent que c'est une affaire de guerre ; que la noblesse, qui y hasarde sa vie, et en comprend mieux qu'eux le besoin, la juge nécessaire ; que le tiers état est aussi de cet avis ; que par conséquent ils ne peuvent y apporter aucun empêchement.

Frustré dans son espoir, le cardinal fait adopter dans sa chambre une mesure qu'elle communique aux deux autres états. L'évêque de Senlis et le docteur Bouclier viennent dans la chambre du tiers état. Monseigneur le légat, disent-ils, a tant de mécontentement, qu'il veut se retirer de la ville et s'en aller ailleurs ; il pourrait en arriver un schisme dans l'Église. Pour l'éviter, il fallait examiner si on ne devait pas lui envoyer des députés comme à un père, pour le supplier de ne pas abandonner les états. Dans le cas où il persisterait à partir, attendu qu'il n'y a pas de sûreté pour les états, ne devraient-ils pas le suivre comme leur chef ? Alors, à la mode des apôtres, il secoue la poudre de ses souliers contre ceux qui seraient réfractaires à le suivre, et la malédiction de Dieu tombera sur eux.

On trouve cette proposition grandement étrange. Ou ne comprend pas pourquoi le légat est mécontent. On ne lui en a donné aucun sujet. On l'a toujours reconnu comme représentant du Saint-Père en ce qui est du spirituel. Mais le suivre comme chef des états de France pour aller le tenir en telle autre ville que bon lui semblerait, ce serait de très-périlleuse conséquence, d'autant que dans les états il ne se traite que de choses purement laïques concernant le temporel et non le spirituel, et entre les Français seulement qui n'ont jamais reconnu et ne reconnaîtront jamais pour chef que le roi et maintenant, à son défaut, le duc de Mayenne. Ces principes son chaudement soutenus par le président Lemaitre et le prévôt des marchands.

Le Barbier et du Laurens, avocats du roi aux parlements de Normandie et de Provence, les attaquent avec impétuosité et arrogance, leur disant que, chose étrange, on se formalise pour le temporel et non pour le spirituel ; que l'on contredit toujours le saint concile de Trente ; principalement le président Lemaître, qui ne parle que des droits et autorités du roi et de la couronne, privilèges, franchises et libertés de l'église gallicane, ce qui constituerait un schisme dans l'Église, ainsi que ce bel arrêt du parlement rendu le 28 juin.

Le président Lemaître, avec une grande modération, leur répond que, comme officiers du roi et ministres de justice, ils devaient honneur et révérence à la cour et à ses arrêts ; que celui dont ils parlaient était saint et saintement donné, et qu'ils ne devaient pas en parler de cette façon, surtout dans la ville de Paris où siégeait la cour de parlement ; qu'il le saurait avant vingt-quatre heures.

Du Laurens et le Barbier répliquent que l'arrêt est nul et nullement rendu au préjudice des états qui sont au-dessus de la cour et qu'ils le casseront.

La séance devient très-orageuse. Les députés offensés et leurs amis sortent de la salle et vont se plaindre au duc de Mayenne. Que peut-il faire à cette dispute de ménage ? Elle ne le regarde pas. Il répond qu'il parlera au légat ; que du reste ceux qui voudront le suivre en sont bien les maîtres ; qu'il donnera ordre pour que chacun soit content.

Les commissaires de la conférence traitent toujours de la trêve générale, la suspension d'armes est prorogée, on la publie à Paris. Il est enjoint aux capitaines des portes de retirer les armes des royalistes qui entreront en ville, et aux hôteliers et bourgeois de porter aux capitaines et colonels, tous les soirs, les noms, surnoms et qualités de ceux qu'ils logeront.

Le 24, à l'assemblée générale des états, le duc de Mayenne dit qu'il est d'avis de conclure la trêve, et que l'assemblée continue sans désemparer. Il prie les députés de ne pas se fâcher et ennuyer de leur long séjour. Il essayera par tous les moyens possibles de les soulager et de fournir à leur dépense. En ce qui concerne la scène dont le président Lemaître a été l'objet, il prie les députés de vouloir bien s'accorder.

Les députés se retirent dans leurs chambres pour délibérer. La noblesse et le tiers état opinent pour la trêve. Le clergé n'y consent pas. Sur la continuation des états, on ne s'accorde pont ; les uns veulent bien rester, pourvu qu'on les défraye ; les autres veulent à tout prix s'en aller, sauf à revenir quand il le faudra ou à envoyer d'autres députés à leur place ; sur le tout on s'en rapporte au duc de Mayenne. Pour la scène faite au président Lemaître, les députés du tiers état Misent qu'ayant dormi dessus, ils n'y pensent plus, et qu'il n'est pas nécessaire de se mettre en peine pour accorder ce différend. Ce même jour, Genebrard, archevêque d'Aix, dit en prêchant qu'il n'y a dans le parlement qu'une vingtaine de gens de bien, que tout le reste n'est bon qu'à jeter à l'eau.

Il y a une grande activité dans les conseils, les conférences et les négociations. De son côté, le roi n'en met pas moins dans les préparatifs de sa conversion. L'archevêque de Bourges, les évêques du Mans, d'Évreux et de Mantes ont, à Saint-Denis, un entretien particulier avec le roi, et viennent à Paris en rendre compte chez le cardinal de Bourbon, accompagné d'autres ecclésiastiques, et aviser à ce qui reste à faire.

Le roi écrit à sa maîtresse qu'il est décidé à faire le saut périlleux, et dit que Paris vaut bien une messe. Sa conversion est toute politique. S'il en a fait une affaire de conscience, s'il a voulu se faire instruire, c'est pour l'édification des catholiques. Avant les conseils de Biron et de Sully ; avant ses conversations théologiques avec les curés royalistes de Paris, qu'il a mandés auprès de lui, et avec Du Perron, prouvant éloquemment l'existence de Dieu, et offrant, le lendemain, de prouver le contraire ; avant l'insistance de Gabrielle d'Estrées, qu'on fait aussi agir auprès de son royal amant, il était décidé, il l'était dès que Henri III rendit l'âme. Il faut en finir, le moment est arrivé ; on rédige le formulaire de la conversion : il n'y a plus qu'une difficulté. Qui donnera l'absolution au roi ? Le légat publie une longue lettre par laquelle il défend à tous prélats et ecclésiastiques de s'attribuer l'autorité d'absoudre Henri de Bourbon, sous les peines portées par les canons, et à tous catholiques de se trouver ou d'assister à sou abjuration sous peine d'excommunication. C'est donc le pape seul qui peut absoudre un pécheur aussi criminel, un pécheur de ce haut rang. Le pape ! il est loin, le temps presse ; provisoirement on se contentera d'un prélat français. Une fois proclamé roi, Henri s'arrangera avec la cour de Rome.

Cependant, à mesure qu'on approche du dénouement de la crise, les ligueurs paraissent la redouter, ou du moins craindre une surprise. Ils redoublent de surveillance et de précautions. Bien qu'il y ait une trêve de quatre jours, un ordre est publié à Paris pour que les royalistes, même munis de passeports, sortent immédiatement de la ville, sous peine d'être arrêtés et déclarés de bonne prise ; pour que nul habitant ne puisse aller à Saint-Denis sans passeport ; pour que les capitaines et colonels fassent bonne garde jour et nuit, et que les portes soient fermées. On conclut, de ces mesures, que les affaires vont mal et qu'on touche à une rupture. Mais l'impulsion est donnée aux Parisiens, rien ne les arrête. Attiré par la conversion prochaine du roi, le peuple s'échappe et se porte à Saint-Denis. Plus de deux cents gentilshommes royalistes s'approchent jusqu'à la barrière de ce nom pour encourager cette émigration. Alléchés par le gain, des bateliers passent des habitants aux deux extrémités de la rivière. L'affluence est telle à Saint-Denis, déjà encombré de royalistes nobles, ecclésiastiques, fonctionnaires civils, que le roi leur ordonne de se gêner pour faire place aux Parisiens.

Enfin arrive le grand jour impatiemment attendu. Le dimanche, 25 juillet, le roi, vêtu d'un pourpoint de satin blanc, symbole de l'innocence, les chausses de la même couleur, un manteau de satin noir, un panache blanc au chapeau, sort de son logis, accompagné et suivi d'une foule de prélats, d'ecclésiastiques, de nobles et officiers de toutes qualités, escorté des archers et des Suisses de sa garde, et, à travers une si grande affluence de peuple qu'on ne voit pas le pavé, arrive à la porte de l'église. Il est reçu par l'archevêque de Bourges. assis, dans l'intérieur, sur une chaise couverte de blanc, près du cardinal de Bourbon, accompagné de douze évêques. Le roi s'agenouille et fait sa profession. L'archevêque le fait lever, lui donne l'accolade et le mène par la main, le cardinal tenant l'autre, dans l'église, au bruit des trompettes, des tambours, de l'orgue, de l'artillerie, des arquebusades, et aux cris répétés de vive le roi. Au milieu du chœur, le roi jure sur l'Évangile. L'archevêque le mène derrière une tapisserie comme pour le confesser, le conduit à la place qui lui est destinée, où il s'agenouille, entend la messe, dite par l'évêque, de Mantes, entre l'archevêque et le cardinal, qui lui expliquent la signification de ce qui se passe à l'autel. Le roi se lève pour l'évangile et. va à l'offrande. La messe dite, deux hérauts montent au jubé, et l'un d'eux déclare que, pour la bienheureuse et joyeuse conversion de très-haut, très-puissant, valeureux et vertueux prince Henri, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, ils vont, par son commandement et de ses deniers, faire largesse ; et, prenant chacun d'eux en un sac, jettent de l'or et de l'argent. Pour l'édification publique, la concubine royale, Gabrielle d'Estrées, assiste à la cérémonie, et se flatte d'être l'épouse du nouveau converti. Le roi s'en va dîner et revient à l'église pour entendre le sermon de l'archevêque et les vêpres. Le soir on allume des feux de joie dans la ville, les villages voisins, même à Montmartre ; les trompettes royales viennent sonner des fanfares jusqu'aux faubourgs de Paris, aux applaudissements des bourgeois et à la barbe des Espagnols de garde sur les remparts, qui tirent quelques coups d'arquebusades.

Dans le principe, la ligue s'était formée pour la conservation de la religion catholique, et semblait n'être que défensive ; elle finit par être agressive, en ne voulant exclusivement que cette religion. Pour être conséquente, elle devait repousser de toutes ses forces un roi calviniste. Son abjuration faisait tomber l'objection de l'hérésie. Il restait encore la prétention au catholicisme exclusif. Mais ce n'est pas cela qui empêche la ligue de se dissoudre. Ce qui la fait persister, ce sont les intrigues de l'Espagne et de la cour de Rome, les ambitions de la maison de Lorraine et de quelques seigneurs, la vanité, l'intérêt et l'inquiétude des boutefeux compromis par la violence de leurs discours et de leurs actes. Loin de désarmer les Seize et leurs suppôts, l'abjuration du roi redouble leurs fureurs. Sa conversion n'est que simulée, c'est le texte de tous leurs sermons.

Cependant, si les communications étaient libres, toute la population se porterait à Saint-Denis ; mais les Seize les rendent de plus en plus difficiles. Les portes sont toujours fermées, les gardes très-sévères. Des habitants sont arrêtés pour avoir tenu quelques propos en faveur du roi et contre le duc de Mayenne. Il y a des collisions entre les Espagnols et les bourgeois armés. Le 31 juillet, la trêve est signée pour trois mois et publiée à Paris. Elle suspend les calamités de la guerre et apporte du soulagement à la détresse de la capitale. Un nommé Senault cherche à ameuter les soldats espagnols contre le héraut du roi ; le peuple les menace de tomber sur eux. Le colonel d'Aubray accourt et prévient une collision ; la publication se continue paisiblement. La conclusion de la trêve est célébrée à Saint-Denis par une procession à laquelle assiste le roi. Les défenses et les rigueurs des Seize, les menaces et les censures du légat ne suffisent plus à contenir le peuple de Paris ; il viole les consignes. Saint-Denis est encombré par la foule, avide de voir le roi et de lui témoigner sa joie. On est obligé d'entourer d'une barrière la table où il dîne pour qu'elle ne soit pas renversée. Enfin le légat s'est ravisé. Les présidents des provinces aux états vont le prier de ne pas quitter Paris. Flatté de cette démarche, il les remercie, et leur dit qu'il a des ordres du pape qui lui laisse la liberté de rester dans cette ville.

A mesure que la mission des états se prolonge, la détresse des députés augmente ; ils ne se bornent plus à la menace de s'en aller ; ils demandent formellement leur congé : si on le leur refuse, ils le prendront. Le duc de Mayenne les conjure de rester à leur poste, et leur promet de venir à leur secours. Mais l'argent n'est pas commun. Les banquiers n'ont pas grande confiance. L'ambassade espagnole elle-même a peu de crédit chez eux. Le secours n'arrivant pas, des députés exécutent leur menace et partent sans congé. Les états sont obligés d'en accorder afin de légaliser cette déroute. On n'entend pas néanmoins que les états soient dissous, et pour qu'ils paraissent au moins continuer d'exister, on imagine un nouveau serment d'union à prêter par le duc de Mayenne, les princes, pairs de France, officiers de la couronne et députés des états généraux. Ils jureront de rester unis pour la conservation de la religion catholique et le rétablissement du royaume dans sa dignité et splendeur, de ne jamais consentir à rien qui lui porte préjudice et qui soit avantageux à l'hérésie, d'obéir aux décrets du Saint-Père. Comme pour beaucoup de grandes considérations on n'a pu encore prendre une entière et ferme résolution sur les moyens de parvenir au but, il est ordonné que les états continueront à Paris ou ailleurs, ainsi qu'il sera avisé. Néanmoins si des députés demandent leur congé pour causes justes et raisonnables, il leur sera accordé, pourvu qu'ils promettent par serment, avant leur départ, de retourner ou de se faire remplacer au lieu où sera l'assemblée à la fin d'octobre.

Le serment est une mesure imaginée par le clergé ; la formule qu'il présente donne lieu à une discussion de laquelle il résulte que le tiers état et surtout la députation de Paris n'en étaient pas partisans. Ce serment est mal vu par les royalistes. Le duc de Mayenne craint même qu'il n'amène la rupture de la trêve. Le clergé fait une mauvaise plaisanterie, et dit que le roi, qui prétend être catholique, doit lui-même le prêter. Il n'est adopté qu'avec quelques modifications à la rédaction première.

Le 8 août, à l'assemblée générale des états, le duc de Mayenne et le cardinal Pellevé se lèvent, se prennent les mains, les baisent, les mettent sur le livre des saints évangiles, et font le serment. Viennent ensuite les princes, les membres du conseil, les députés du clergé, de la noblesse et du tiers état. Les états écrivent aux provinces pour les inviter à prêter le serment et pour se justifier du long séjour qu'ils font à Paris.

Des historiens disent que le duc de Mayenne congédia les états parce qu'il en était mécontent. C'est une erreur ; les états furent maintenus, mais la plupart des députés, fatigués d'une très-longue cession, mourant de faim, et n'ayant plus rien à faire, retournèrent d'eux-mêmes dans leurs foyers. Pour dissimuler cette désertion, le duc écrivit aux provinces, qu'il avait jugé à propos de licencier ces députés pour informer au vrai leurs commettants de tout ce qui s'était passé, les priant d'ajouter foi à ce que diraient les députés, et que le corps des états restait toujours en son entier.

N'ayant pu empêcher l'absolution du roi, et la conclusion de la trêve, le légat ne vent pourtant pas quitter la partie sans avoir obtenu quelque avantage. Il se rabat sur le concile de Trente. Dès l'ouverture des états et dans le cours de la session, il en a demandé la publication. Il revient à la charge. Une députation du clergé se rend dans la chambre du tiers état. S'il y eut jamais, dit-elle, occasion de se roidir contre l'hérésie, c'est à présent que l'on voit une vraie hypocrisie, ou plutôt une momerie, ou singerie contre l'honneur de Dieu, la piété et ia religion. Pour cette cause elle supplie de vaquer à la réception du concile, à l'imitation du duc de Mercœur, en Bretagne, qui le fait prospérer dans cette province.

Masparault, pour la députation du tiers état de Paris, désirerait, dit-il, satisfaire le légat au nom duquel on poursuit la publication du concile ; mais il est impossible d'opiner maintenant là-dessus. Il faut entendre le rapport des commissaires nommés, le 10 mars, pour examiner s'il n'y avait pas dans les actes du concile, des objets qui intéressaient l'État et l'église gallicane. Le président Lemaître et d'Orléans, avocat général, avaient fait un travail. Il faut les inviter à le présenter, et voir aussi un édit rendu avec les princes après la journée des barricades, et ce qui avait été résolu aux derniers états de Blois. Il demande donc qu'on remplisse ces préalables.

Du Laurens dit qu'il n'y a pas de ville où les hérétiques aient autant de privilèges qu'à Paris. Le colonel d'Aubray lui répond qu'il n'y a pas de ville au monde plus catholique, et qu'on savait comment on vivait ailleurs et même dans son pays — la Provence.

Sans s'arrêter à l'opinion de Masparault, le tiers état reçoit purement et simplement le concile de Trente, et décide que, par article séparé, le pape sera supplié de conserver les privilèges, franchises et libertés de l'église gallicane, et le roi qu'il plaira à Dieu de donner, de les garder et faire observer. La noblesse vote comme le tiers état.

A la séance même où l'on a prêté le nouveau serment d'union, le légat arrive. On fait en sa présence lecture de la délibération sur la réception et publication du concile. Il joint les mains et en rend grâce à Dieu, ainsi que du serment. Les bons mariniers, dit-il ensuite, aux accidents de la tempête, cherchent tous les moyens et font tous leurs efforts pour éviter le naufrage, même en jetant l'ancre. C'est ce qu'a fait l'illustre et magnifique compagnie, lorsqu'en ces temps tempestueux elle a jeté deux bonnes ancres, la publication du concile et le serinent. Assuré qu'au moyen de ces deux bonnes ancres, le navire de l'église catholique ne fera point naufrage, confiant en la bonté et l'expérience de monseigneur le duc de Mayenne, qui est comme le patron au gouvernail, il donnera garde aux voiles, pour moyennant le souffle et le vent de la grâce du Saint-Esprit, conserver et conduire tous ceux qui seront dans ce navire à bon port de salut. Il en ressent extrême joie et contentement. Le Saint-Père et tout le saint consistoire en recevront très-grande consolation et allégresse. Il offre, de leur part à tout le royaume et particulièrement à toute la compagnie, tous les moyens et faveurs de sa sainteté. Pour être reconnaissant d'un tel bienfait, il est raisonnable d'en aller rendre grâce à Dieu à la paroisse de Saint-Germain-l'Auxerrois.

Le cardinal Pellevé ne veut pas céder sa part de la jubilation qu'excite dans le clergé la réception du concile, et fait un long discours, que les historiens regardent comme un radotage ridicule. Toute l'assemblée va à la suite des deux cardinaux et du duc de Mayenne chanter le Te Deum à Saint-Germain-l'Auxerrois.

Par la délibération des états, le concile est reçu purement et simplement. Quant à la réserve des privilèges et libertés de l'église gallicane, le légat et le cardinal Pellevé ont dit, en conversation, que le pape y aura égard. Mais ils n'en font nulle mention dans leurs discours.

C'est, à proprement parler, le dernier acte des états. Mayenne donne un dîner aux députés ; ils continuent à s'en aller chez eux. On convient qu'il en restera au moins un de chaque ordre par gouvernement pour représenter le corps des états, dans le cas où il surviendrait une affaire importante. Il n'en survint pas et ils ne cherchèrent pas à en faire naître. Il s'éleva bien quelques voix pour qu'on s'occupât de réformes, de finances, du soulagement du peuple, elles crièrent dans le désert.

Huit jours avant la conversion du roi, le projet de royauté hispano-lorraine était tombé dans le néant. Depuis cet événement et la conclusion de la trêve, il n'est plus possible de revenir à ce projet, puisqu'il est convenu entre les deux partis de députer vers le pape pour en obtenir l'absolution du roi, sans laquelle la paix éprouverait de grands obstacles de la part du duc de Mayenne, qui couvre encore une situation désespérée du manteau de la religion. Le roi envoie à Rome le duc de Nevers, avec plusieurs personnages d'église et de robe. Le duc de Mayenne choisit le cardinal de Joyeuse et le baron de Sennecey. Mais il retarde de plusieurs mois leur départ, parce que la ligue trouve très-mauvais qu'il concoure ainsi à l'absolution du roi. Du reste, la conduite du duc est très-équivoque. On soupçonne que, sous le nouveau serment d'union, il cache des intentions peu loyales. On répand qu'il reste lié avec l'Espagne, qui doit lui fournir six mille hommes de pied et six mille chevaux. De son côté, le légat travaille auprès du pape pour qu'il refuse l'absolution, ou qu'il la fasse attendre et payer chèrement.

Le duc de Mayenne a principalement conclu la trêve pour le soulagement du peuple de Paris ; elle est néanmoins générale et étendue à tout le royaume. Mais, bien loin de se relâcher sur les moyens de garde et de conservation des villes, la ligue entend qu'on redouble de vigilance. Le duc de Mayenne le leur recommande. A Paris, les divers partis s'agitent, sont en défiance les uns des autres, et s'observent. A la moindre alarme, les bourgeois passent la nuit sous les armes. Une foule de bruits circulent : les politiques méditent une entreprise en saveur du Béarnais ; les Seize projettent de faire, avec les Espagnols, une Saint-Barthélemy sur les royalistes ; le duc de Mayenne et le duc de Guise sont brouillés, les Espagnols veulent se saisir de la personne de l'oncle et proclamer roi le neveu. Cependant le duc de Mayenne décide que, vu la négligence des bourgeois, la garde des portes et des remparts sera faite exclusivement par les Espagnols. Les bourgeois s'assemblent, repoussent le reproche qui leur est fait, et déclarent qu'ils ne souffriront pas que des étrangers les remplacent. Les Seize, qui se trouvent en petit nombre dans les assemblées, gardent le silence ; on en conclut qu'ils sont d'accord pour écarter la bourgeoisie du service de la ville et la livrer aux Espagnols.

Depuis la trêve, des communications s'établissent entre Paris et le roi ; des prélats, des conseillers d'État, des conseillers au parlement vont en secret lui rendre leurs devoirs. D'un autre côté, les vrais ligueurs, moines et gens d'église sont furieux et complotent contre sa vie. Pierre Barrière est arrêté, accusé d'avoir voulu l'assassiner à Melun, condamné et exécuté. Pour mettre fin à ces complots, le roi désire ardemment la paix. Il fait à Mayenne des offres magnifiques. Il refuse et ne veut rien conclure tant que le pape n'aura pas donné son absolution.

En attendant, on ouvre une négociation. MM. de Schomberg, de Bellièvre et de Renel de la part du roi, et MM. de Belin, de Villeroy et le président Jeannin de la part du duc de Mayenne, vont à Milly, en Gâtinois, pour traiter de la paix. Le roi en personne confère avec eux. Il leur exprime la peine que lui cause la grande misère du peuple, et son regret de ne pouvoir y apporter de remède ; c'est pourquoi il désire la paix. Il n'envoie point à Rome M. de Nevers en qualité d'ambassadeur du roi, mais comme procureur du plus pauvre gentilhomme qui fut jamais, pour demander à sa sainteté sa bénédiction avec la pénitence qu'elle jugera convenable en son corps et en ses biens, fût-ce veilles, jeûnes, macérations, fondations et bâtiments d'églises. Il n'y a rien au monde qu'il ne supportât patiemment, pourvu que son peuple demeurât en repos. Il se retranchera de telle sorte, que, par le moyen de l'épargne qu'il fera, il espère si bien contenter sa noblesse et tous ses sujets, qu'ils auront occasion d'être satisfaits de lui. Il n'ignore pas ce que certains prédicateurs disent de lui sur sa conversion, il ne peut les empêcher de parler, mais il sait bien dans son âme que son désir et son intention sont de continuer dans la religion catholique dont à présent il fait profession. Le roi profère ces paroles avec tant de compassion et de douceur, que ceux à qui il parle en ont les larmes aux yeux.

Avant la séance du 8 août, où le nouveau serment d'union a été prêté, et le concile de Trente reçu, les états étaient incomplets. Plusieurs députés avaient obtenu ou pris leur congé. Depuis cette séance, ils s'en vont en foule, il n'y a plus qu'un simulacre d'états. Pour avoir l'air d'être encore quelque chose et de s'occuper, le peu de députés qui restent se proposent de revoir les cahiers des derniers états de Blois pour les articles sur lesquels il n'a pas été statué. Ce projet ne sera pas exécuté. Ces députés crient toujours famine. Ce qui reste de noblesse déclare qu'elle va toute décamper, si dans la semaine on ne vient pas à son secours. Ceux du tiers état ne sont pas moins impatients, et demandent quelques deniers sur leurs taxes pour les aider à vivre. Le clergé les renvoie au duc de Mayenne, le duc les renvoie au clergé, qui, dit-il, devrait et pourrait bien y pourvoir.

Six mille écus sont répartis entre les trois ordres pour le mois d'août. Le tiers état en a 1.850. De cette somme, on en donne à la députation de Paris 300. Elle réclame, on lui promet qu'à la première répartition on l'indemnisera. Le député de Normandie, Odet Soret, laboureur, réclame aussi, on le renvoie aux députés de Paris ils décident que ceux qui ont reçu 97 écus en rendront 7 pour être donnés à ceux qui en ont eu moins, et qu'à l'avenir on partagera par tête.

Nouveaux besoins des députés, nouvelles demandes. Le cardinal Pellevé promet de faire donner de l'argent. Le tiers état l'envoie remercier. Le cardinal ne tient pas sa promesse. Le tiers état s'adresse au duc de Mayenne pour qu'il l'occupe d'affaires sérieuses ou qu'il le licencie. Sur le bruit que certains députés reçoivent de l'argent, au préjudice de la généralité des états, les députés du tiers état décident que chacun se purgera de ce soupçon par serment. Ils le prêtent et députent au clergé pour qu'il fasse de même. Ce sont des membres de cet ordre que le tiers état a en vue. Informé de ce qui se passe, le clergé prête le serment, et dit à la députation du tiers état, lorsqu'elle arrive, que c'est une affaire faite. Il avoue néanmoins que quelques-uns de ses membres ont reçu de l'argent, mais sur ce qu'on doit leur donner, et non au préjudice de la généralité, à laquelle ils Veulent toujours rester unis. Le clergé annonce que dans le jour ou le lendemain Taxis doit arriver avec de l'argent pour payer à chaque député sa subvention de deux mois.

Il est dû aux députés une indemnité, c'est ce qu'ils appellent leur taxe. Elle est ordinairement payée directement ou indirectement par leurs commettants. Ils demandent au chef du gouvernement le payement de leur taxe, et reçoivent des à-compte. Jusque-là il n'y a rien à blâmer. Il est difficile de croire que les députés ne savaient pas l'origine de cet argent. Cependant elle n'avait pas été annoncée ouvertement. Lors de la distribution du premier fonds de 8.000 écus au mois de juin, le cardinal Pellevé avait mis leur conscience à l'aise en mentant à la sienne, et en leur disant que cet argent venait du ciel. Maintenant le doute n'est plus permis. Le clergé dit ouvertement que l'Espagnol Taxis est attendu avec de l'argent. Les députés savent donc que c'est l'étranger qui paye leur taxe. Ils n'en rougissent pas, leur honte est consignée dans leurs procès-verbaux. Cependant ils ont juré le 1er mars qu'ils ne recevront aucune pension, etc., de princes français ou étrangers.

L'évêque d'Amiens reçoit du duc de Feria 5.000 écus pour la subvention et l'entretenement de messieurs les députés des trois ordres pendant le mois de septembre. Cela est plus clair ; il ne s'agit plus de la taxe des députés, c'est une subvention : ils sont à la solde de l'étranger. Il y a 1.630 écus pour le tiers état. Les députés Venot et Desportes, non compris dans la distribution parce qu'ils étaient absents pendant ce mois, réclament. Ils prouvent qu'ils ne se sont absentés que par ordre du due de Mayenne et pour affaires de service. On leur paye à chacun 25 écus. La députation de Paris dans la répartition des 1,630 écus en a 432 ou 42 par tête. C'est aussi sur ces fonds que les chambres payent leurs huissiers et leurs portiers.

Le tiers état propose au duc de Mayenne qu'il soit écrit aux députés absents de revenir ou d'envoyer des remplaçants, et demande une nouvelle subvention. Il promet d'en parler au duc de Feria. Les trois chambres lui envoient une députation. Il répond que dans quelques jours il leur fera payer les mois d'octobre et de novembre.

On est prévenu que l'évêque d'Amiens a reçu du duc de Feria 5.048 écus pour la subvention et l'entretenement de messieurs des états pendant le mois d'octobre. Des commissaires sont nommés pour la répartition. 1.600 écus sont alloués au tiers état pour sa part. Il en veut 2.000. Le clergé marchande, il compte encore trente et un membres ; la noblesse n'en a que sept ; le tiers état est aussi en petit nombre, encore dédaignent-ils de venir. Il y a des députés qui ne veulent pas prendre cet argent, qui s'en rient, l'envoient aux pauvres et en tirent quittance. Par toutes ces raisons, le tiers état est prié de se contenter de 1.600 écus. Si l'on ne s'accorde pas, les Espagnols ne donneront plus d'argent. Pour qu'il soit reconnu provenir de M. de Mayenne, le clergé désire qu'il en soit donné quittance au duc, signée des secrétaires ou greffiers des trois chambres, afin que maintenant ne s'accomplisse la prophétie de Malachie, erit sacerdos sicut populus. Le tiers état persiste à exiger 2.000 écus, faute de quoi il proteste qu'il ne s'assemblera plus. La noblesse demande 800 écus, y compris 200 retentis par don Diego pour deux membres absents.

Le clergé dit qu'il y a des députés qui ne veulent pas de cet argent, et qui l'envoient aux pauvres. Cela est vrai, et le procès-verbal du tiers état du 4 novembre constate que Duvair et le secrétaire Tielement ont envoyé à l'Hôtel-Dieu ce qui leur a été alloué dans toutes les distributions. Un manuscrit ajoute le président Lemaitre et Lhuillier, prévôt des marchands ; on cite aussi d'Aubray ; en tout, cinq députés de Paris. Ils ne voulaient pas, disaient-ils, s'engager pour de l'argent, car, suivant l'ancien proverbe, qui prend s'oblige. Beaucoup des députés qui prirent l'argent ne se crurent pas sans doute obligés, votèrent suivant leur conscience, et ne gagnèrent pas ce qu'ils reçurent ; car les états ne firent rien pour l'Espagne qui les payait.

Il est vrai qu'elle les traitait avec une sordide mesquinerie. 24.000 écus (72.000 livres) pour gagner une assemblée de 126 membres pendant près d'un an, et qui en comptait encore, vers la fin 40, ou 50 ! C'était ridicule.

Aussi, en payant cette subvention, les Espagnols ne se proposèrent principalement que de retenir un simulacre d'états pour en tirer parti à la première occasion. De la somme de 24.000 écus le clergé prit la plus grosse part, 11.000 ; le tiers état en eut 8.180, la noblesse 4.720.

Les réunions en chambres deviennent de jour en jour plus rares,

n'y a presque pas d'assemblées générales. On n'y traite plus de matières importantes, ni, pour ainsi dire, d'affaires publiques. Par le procès-verbal du tiers état qui constate la présence de ses membres, on voit que leur nombre, terme moyen, n'excède pas une douzaine. Les deux autres ordres ne mentionnent pas le nombre des présents. Leurs procès-verbaux s'arrêtent, pour le clergé, au 13 juillet, pour la noblesse au 8 août, pour le tiers état au 22 décembre. Ce jour-là les chambres tiennent leur dernière séance. Des députés du clergé viennent se plaindre au tiers état du mépris qu'on fait, dans la ville, de la compagnie des états, à quoi l'on ne peut remédier. Sur le bruit que le duc de Mayenne veut s'en aller, ils disent qu'il serait bon de se rendre chez lui, pour savoir si cela est vrai, et chez le légat, le duc de Feria et les Espagnols, pour savoir ce que deviendront les états, afin qu'ils ne succombent ni par faiblesse ni par défaut d'affaires. Le tiers état nomme des députés pour aller d'abord chez le duc de Mayenne. Le résultat de cette députation est inconnu. On ne voit pas que les états soient congédiés, ni qu'ils tiennent des assemblées. Les députés les plus influents ont couru au-devant du roi pour taire leur paix. D'autres retournent chez eux. Il en reste toujours quelques-uns dans Paris, mais sans activité.

La conversion du roi a porté un coup fatal à la ligue ; cependant elle n'est pas morte, elle domine toujours à Paris. Dans les provinces on l'abandonne et on revient au roi, les peuples de bonne foi et gratuitement parce qu'il a embrassé leur religion. Autrement les soumissions se font chèrement payer, c'est une sordide spéculation. Passe encore pour des villes où la bourgeoisie stipule le maintien de leurs libertés. Mais les grands, les nobles, les gouverneurs, les commandants de places, imposent, dans leur intérêt privé, les conditions les plus dures, et aux dépens du peuple qui en définitive acquittera les engagements du roi.

La France a conquis l'unité. Les provinces convergent sur Paris, antique berceau de la monarchie, résidence la plus habituelle des rois. La capitale tient unies les diverses parties du royaume, c'est la tête qui les gouverne et leur commande. Tête trop grosse, disait déjà Henri III, pleine de beaucoup d'humeurs nuisibles au repos de ses membres, à laquelle la saignée de temps en temps était nécessaire. Tête redoutable en effet au pouvoir lorsqu'elle se révoltait contre lui. Henri III en avait fait une dure épreuve. Cependant point de véritable roi, s'il ne règne à Paris. Henri IV en est convaincu. Les esprits y sont ébranlés, Mayenne les contient par sa présence. Pendant la tenue des états, au plus fort de la lutte, lorsqu'il y avait des chance en faveur de sa maison, il a montré beaucoup d'irrésolution. Maintenant que Sa situation est désespérée, il se jette à corps perdu dan les bras de l'Espagne. Il veut vendre sa soumission, on ne peut expliquer autrement son inconséquence. Pour les ligueurs et les catholiques de bonne foi, la conversion du roi ne suffit pas ; il lui faut l'absolution du pape, il faut aussi qu'il soit sacré. Maitre de satisfaire à cette dernière condition, il s'empresse de la remplir. Reims n'est pas encore à lui, il se rend à Chartres. Il n'a pas la sainte ampoule ; cela ne l'embarrasse nullement. Pour la remplacer, il fait venir de l'abbaye de Marmoutier une fiole, apportée par un ange au grand saint Martin, pour remettre ses membres fracassés par une chute. Il se fait oindre et sacrer dans l'église de Notre-Dame de Chartres par l'évêque Nicolas de Thou (27 février 1594).

Mayenne veut en vain prolonger son occupation de Paris. Les bourgeois demandent la paix ; le parlement ordonne que les garnisons étrangères évacueront la ville. Mayenne ne s'y croit plus en sûreté. Il excite les Espagnols à tenir ferme, et leur promet d'amener bientôt à leur secours l'armée que Mansfeld rassemble à Soissons.

Il ressuscite les Seize et leur rend toute l'autorité. Il encourage les minotiers, écume de la populace, qui reçoivent chacun par semaine, de l'Espagne, un reichsthaler et un minot de blé. Enfin, il donne le commandement de Paris au comte de Brissac, un des plus furieux ligueurs. Après avoir pris toute ces précautions, Mayenne sort de Paris avec sa famille, à peu près certain de n'y plus rentrer que par la grâce du roi.

En effet, à peine a-t-il le dos tourné, que Brissac, de concert avec les chefs du corps municipal, négocie avec le roi pour lui livrer Paris. Le marché est bientôt conclu, Henri IV accorde une amnistie, la confirmation des privilèges de la ville, l'interdiction du culte calviniste, et pour les princes de Lorraine, le légat, l'ambassade espagnole, les troupes étrangères, la liberté de sortir de la ville. Pour prix de sa trahison, car c'en est une véritable, Brissac reçoit le bâton de maréchal, le gouvernement de Mantes et de Corbeil, deux cent mille écus, vingt mille livres de pension, etc. ; telle est la source de la haute fortune dont jouit auprès des Bourbons la famille de Brissac, dans laquelle le gouvernement de Paris devient, pour ainsi dire, héréditaire.

Toutes les mesures étant prises pour comprimer la résistance, prévenir le désordre et éviter l'effusion du sang, Henri IV entre militairement dans la capitale, par surprise, au milieu du peuple ébahi. Je suis, dit-il, si enivré d'aise de me voir où je suis, que je ne sais ni ce qu'on me dit ni ce que je dis. Il n'y a rien de l'homme en ceci, c'est une œuvre de Dieu. Le roi va droit à Notre-Dame entendre la messe et chanter le Te Deum (22 mars 1594).

Tout prétendant au pouvoir, dès qu'il est le plus fort, ne manque jamais d'acclamateurs à son triomphe. Maître dans Paris, Henri IV est réellement roi de France. Plèbe, bourgeois, magistrats, tous accourent à l'envi se prosterner à ses pieds. Chacun se dispute le mérite d'avoir conspiré pour lui et contribué à le placer sur le trône, qui par ses actes, qui par ses vœux secrets ; les ligueurs furieux, tels que Brissac, n'ont servi si chaudement l'Union, que pour mieux servir les intérêts du roi. C'est un étourdissement général. Le premier moment de cette ivresse hypocrite passé, la vérité surnage. L'entrée du roi a été très-pacifique : l'armée espagnole s'est retirée avec les honneurs de la guerre, emmenant dans ses bagages une trentaine de ligueurs enragés. S'abstenir de toute réaction, c'est difficile. Les autorités sont renouvelées, une centaine de ligueurs proscrits, quelques-uns des meurtriers de Brisson pendus. A cela près, Henri IV est clément ; ce n'est pas sa faute si, tandis qu'il chantait le Te Deum, ce vieux radoteur le cardinal Pellevé meurt subitement de rage ou de peur.

La Sorbonne, si furieuse d'orthodoxie, reconnaît le roi qu'elle avait proscrit. Tous les ordres religieux, excepté les jésuites et les dominicains qui l'avaient le plus outragé, se soumettent. Le parlement enregistre le traité conclu avec Brissac. Il casse et révoque tout ce qu'ont fait les prétendus députés de l'assemblée tenue à Paris sous le nom d'états généraux du royaume, comme nul et fait par personnes privées, choisies et pratiquées la plupart par les factieux et les partisans de l'Espagnol, et n'ayant aucun pouvoir légitime ; il fait défense aux prétendus députés de prendre cette qualité et de s'assembler en cette ville ou ailleurs, à peine d'être punis comme perturbateurs du repos public et criminels de lèse-majesté ; il enjoint aux prétendus députés qui sont encore dans cette ville, de se retirer chacun dans sa maison, pour y vivre sous l'obéissance du roi et y faire le serment de fidélité par-devant les juges des lieux (30 mars). Le parlement, corps judiciaire, fait acte de souveraineté et excède ses pouvoirs. C'est en faveur du roi, et probablement de concert avec lui. Cela ne suffit pas ; on prétend effacer jusqu'aux traces du passé, et dérober la connaissance des faits à l'histoire. Le parlement supprime dans ses registres tout ce qui s'est fait pendant les troubles contre la mémoire du feu roi, et l'honneur, obéissance et fidélité dus au roi régnant. Le roi étend cette mesure à tous les registres publics, et ordonne d'enlever des églises, cloîtres, monastères, collèges, maisons communes, lieux et endroits publics, les tableaux, inscriptions et autres marques qui pouvaient conserver le souvenir de ce qui s'était passé à Paris, pendant qu'il avait été au pouvoir de la ligue. Henri IV est dans la capitale, c'est un grand pas ; mais, pour être maître du royaume, il lui reste encore beaucoup à faire. La tâche est rude et difficile ; il l'accomplira, et cc sera un de ses plus beaux titres de gloire. Dès que Paris a donné le branle, dans les provinces plusieurs villes commencent à se soumettre ; les autres ne tarderont pas à suivre cet exemple. Quant au plat pays, on ne doute pas de sa soumission. Cependant, voilà qu'on se soulève dans la haute Guienne ; mais ce ne sont ni des seigneurs, ni des royalistes ; ce sont des paysans, de simples cultivateurs qui, ainsi qu'on l'a vu à différentes époques, sont poussés au désespoir par les pillages des nobles et les extorsions des agents du fisc, qu'ils flétrissent du nom de croquants. Les croquants les appellent tard-advisés. En effet, ils avaient mal choisi leur moment. Bien qu'on porte leur nombre à quarante mille, sans armes et sans organisation, ils sont battus et dispersés. Pour achever la soumission de ceux qui résistent encore, on fait une remise de tailles. On finit par où l'on aurait dû commencer. Nais le pouvoir ne doit jamais avoir tort : tuer d'abord, justice après.

Un État n'est pas impunément déchiré par de longues guerres civiles. Après que la tempête paraît apaisée, il reste encore de la haine au fond des cœurs et de la fermentation dans les esprits. Privé :lu chef qui faisait sa force et sa sûreté, le parti calviniste est déchu, inquiet de son avenir et mécontent. Les prédications furibondes ont cessé, mais la queue de la ligue s'agite dans l'ombre. On conspire contre la vie du roi ; du moins le parlement condamne des individus obscurs, accusés de cet attentat. Jean Châtel porte un coup de couteau au roi, et le manque (27 déc. 1594). Le crime est constant, le coupable est arrêté. Cela ne suffit pas à la vindicte publique. Les jésuites sont accusés d'avoir dirigé le bras de l'assassin ; le parlement, sans forme de procès, les expulse du royaume comme corrupteurs de la jeunesse, perturbateurs du repos public, ennemis du roi et de l'État. Le père Guignard, plusieurs prêtres sont pendus ; Châtel est écartelé.

Le roi s'est converti, a été absous et reçu dans le giron de l'Église par des évêques français. Pour ses ennemis et beaucoup de ses amis, cela ne suffit pas. Afin d'imposer silence à tout le monde, il faut l'absolution du pape. Henri IV lui-même en a senti le besoin, et l'a demandée. La négociation est longue et difficile. Clément VII ne veut pas par un refus s'exposer à un schisme ; mais-fier de voir le roi d'un grand peuple implorer, pour ainsi dire, sa consécration, il voudrait l'amener à ses pieds et lui mettre la couronne sur la tête. Ces temps-là sont passés. L'absolution est enfin prononcée. Les rapports de la France avec la cour de Borne sont rétablis. C'est un grand obstacle de moins à ce que Henri IV règne en paix.

Cependant, jaloux les uns des autres, les nobles des divers partis boudent, s'agitent et intriguent. Les Guise, les nobles ligueurs, continuent la guerre. Le roi n'en a pas aussi bon marché que de ces pauvres tard-advisés. Il pourrait tuer ces seigneurs qu'il ne le ferait pas. Mais ils sont armés, ils ont des troupes, des villes, des places. Il leur fait des avances ; vénaux, exigeants, avides, ils lui mettent le pistolet à la gorge. Il est obligé de les acheter au poids de l'or ; pour les satisfaire, il dépouille ses amis. Chacun fait son traité, stipule et reçoit des honneurs, des places, des gouvernements, de l'argent. Ils vendent au roi ses villes, les villes de France : tant pour Paris, Rouen, le Havre ; tant pour Lyon, Marseille ; tant pour Orléans, Bourges, Amiens, Poitiers, etc., etc. Les vendeurs s'appellent Elbeuf, Mayenne, Guise, Nemours, Lorraine, Joyeuse, Montpensier, Villars, Brissac, la Châtre, Épernon, Villeroy, etc., etc. Ces barbaresques exigent une rançon de la France ; elle leur paye 37 millions, et leur fait remise de tous leurs brigandages. Dans cette immense curée, la maison de Lorraine reçoit pour sa part 17 millions. Henri IV fait bien et agit politiquement. Mais la noblesse ! qu'on ne vante plus ses vertus chevaleresques, ni son désintéressement !

On attribue à la maison de Lorraine la gloire d'avoir sauvé le catholicisme, et par conséquent l'unité de la France. D'abord il faudrait prouver que l'existence du catholicisme a été sérieusement menacée. Ou ne voit pas à quelle époque. Serait-ce lorsque Catherine de Médicis parut un instant pencher pour la réforme ? On sait très-bien qu'elle n'affectait des velléités de tolérance que pour contenir l'ambition des Guise ; que sa politique, pour conserver le pouvoir, était d'opposer un parti à l'autre ; qu'au fond elle était pour le catholicisme exclusif. Elle en donna d'assez rudes preuves au parti calviniste. Ce parti ne débuta pas par l'attaque, et ne prétendit pas à remplacer le catholicisme ; il ne demandait qu'à vivre en paix à côté de lui. On lui fit la guerre, une guerre acharnée, d'extermination ; il se défendit : les excès de la défense ne furent pas pires que ceux de l'attaque, et restèrent même au-dessous. Lorsque le parti eut des succès, il put en être fier, il ne se posa pas en conquérant. Sa situation ne lui permit jamais d'y prétendre.

Si les Guise n'ont pas sauvé le catholicisme, ils ont du moins puissamment contribué à ruiner le calvinisme. Ils ne lui ont pas, il est vrai, laissé un moment de repos ; ils l'ont poursuivi sans relâche, avec ténacité, acharnement, à outrance, sans jamais pactiser avec lui, ni lui faire la moindre concession. Ils n'ont reculé devant aucuns moyens, la guerre civile, l'alliance avec l'Espagne, l'ennemie invétérée de la France, la suprématie du spirituel sur le temporel, la vénalité, la corruption, le déchainement des fureurs populaires, les proscriptions, les massacres, l'avilissement et l'affaiblissement de l'autorité royale, le régicide, l'ébranlement de l'unité française. A quoi aboutissent tant d'efforts ? A la reconnaissance légale du culte réformé par l'édit de Nantes.

Encore si les Guise n'eussent été entraînés que par un zèle ardent pour le catholicisme, par conscience, par fanatisme ! Ils étaient bons catholiques, mais ils exploitaient leur religion au profit de leur ambition excessive. Comme descendants de Charlemagne, ils osèrent disputer le trône aux Valois pendant leur vie, après leur mort aux Bourbons. L'histoire doit-elle leur faire un mérite du service douteux, mais intéressé, qu'ils ont rendu au catholicisme, et les absoudre entièrement des moyens par lesquels ce service a été si chèrement payé ? Ce fut sans contredit une très-noble et grande maison que cette maison de Lorraine ; elle produisit des hommes illustres dans l'Église et les armes ; elle n'eut pas un homme de génie, un grand homme. Quelle triste lin I Par le traité de Folembray (janvier 1596), le duc de Mayenne se soumet, lui et les siens ; ils reçoivent leur grâce, de l'argent, des honneurs, une foule d'avantages. Les orgueilleux descendants de Charlemagne, amnistiés, tombent à la condition de gentilshommes. Pour en venir là, ce n'était pas la peine de déchirer si longtemps la France et de faire tant de bruit dans le monde.

L'unité d'un État ne dépend pas nécessairement de l'unité de religion. Au XVIe siècle, l'Italie et l'Espagne étaient toutes catholiques et n'avaient pas d'unité ; elles n'en ont pas encore. L'Allemagne était divisée en petites principautés avant la réforme. C'étaient de plaisants défenseurs de l'unité que ces nobles ligueurs qui excitaient les villes à l'indépendance municipale, qui prétendaient se cantonner dans leurs gouvernements, ou qui, pour ne pas diviser la France, l'offraient tout entière à un roi étranger. Du moins on ne peut pas faire aux calvinistes ce dernier reproche. Du reste, dans nos guerres civiles, il était bien question d'unité ; personne n'y pensait. Nous le répétons, lorsque le pouvoir central n'offre phis ni garanties, ni protection, on se réfugie nécessairement dans le fédéralisme pour éviter autant que possible l'anarchie. La ligue n'a pas plus que la réforme échappé à ce mouvement naturel, auquel poussaient des nobles ambitieux. L'une et l'autre ont mis en circulation une grande provision de principes libéraux, sans profit pour la liberté ; elles ont préparé la royauté absolue.

Depuis son entrée à Paris, le roi a été obligé de continuer la guerre avec les chefs insoumis de la ligue. Il l'a déclarée à l'Espagne, leur alliée. Avec cette puissance, la guerre a changé de caractère ; elle est devenue toute politique et nationale. Elle n'a pas été heureuse. La frontière a été entamée sur plusieurs points, et la mer fermée. Le peuple souffre de la surcharge des impôts et du pillage des gens de guerre. Les grands ne voient pas sans jalousie la puissance royale se rétablir. Comblés de places et d'argent, ils ne sont pas contents, ils sont insatiables. Ils osent proposer au roi de faire rétrograder la royauté de plusieurs siècles et de donner en propriété les gouvernements à ceux qui les occupent. Le roi les couvre de confusion. D'un autre côté, les calvinistes ne sont pas plus contents ; ils sont très-excusables : le roi ne les a pas achetés aux dépens de la nation ; ils l'ont reçu pauvre prince de Béarn, ils ont versé leur sang pour lui, ils lui ont ouvert le chemin du trône, et gratuitement : par ménagement pour le pape et le parti catholique, il ne fait rien pour ses anciens amis. Ils l'accusent d'ingratitude, ils craignent qu'il ne les sacrifie, ils s'assemblent et s'agitent pour chercher leur sûreté. On leur prête la prétention de former dans le royaume un État à part, ayant ses places, ses finances, ses magistrats, son protecteur. Le roi a donc à défendre le pouvoir royal et l'unité de la France des atteintes que veulent leur porter les seigneurs catholiques et les chefs calvinistes.

La plus grande plaie de l'État est le désordre épouvantable des finances. 37 millions pour acheter les nobles ligueurs ; 67 millions payés ou à payer à des alliés étrangers ; des pensions ou assignations à des seigneurs sur les revenus ; un conseil de finances composé d'effrontés voleurs ; le roi lui-même dépensant sans compter pour ses maîtresses, son jeu, sa maison. Heureusement pour le roi et le royaume, Sully est appelé au conseil. Il faut de l'argent pour la guerre, et promptement. Pour faire face à ses engagements, le roi n'a pas épargné le peuple. Mais la mesure est comblée. Imposer de nouvelles charges, le roi ne veut pas en prendre sur lui l'odieux. Il convoque une assemblée, non d'états généraux, mais simplement de notables. Sous prétexte de la peste qui sévit dans Paris, il appelle à Rouen dix personnages du clergé, dix-huit de la noblesse, cinquante des parlements, cours souveraines et corps municipaux. Les parlementaires y sont en force. Ce fut, dit Sully, une invention des gens de robe et de finance. Honteux de se voir, dans les états généraux, confondus dans le tiers état et ravalés à la classe du peuple, ils sentaient que, dans les assemblées de notables, ils marchaient au moins de pair avec le clergé et la noblesse, et que même, par leur richesse et leur autorité, ils y avaient souvent la supériorité.

L'assemblée s'ouvre, le 4 novembre 1596, dans une salle de l'abbaye de Saint-Ouen, où était logé le roi. Il est sur une estrade, assis sur une chaise de drap d'or, sous un dais. Les princes, les ecclésiastiques, les nobles, les magistrats, les maires, sont assis sur des bancs séparés, les maires les plus éloignés du trône. Le roi prononce ce discours :

Si je voulais acquérir le titre d'orateur, j'aurais appris quelque belle et longue harangue, et vous la prononcerais avec quelque gravité. Mais, messieurs, mon désir nie pousse à deux glorieux titres, qui sont de m'appeler libérateur et restaurateur de cet État, pour à quoi parvenir je vous ai assemblés. Vous savez à vos dépens, comme moi aux miens, que lorsque Dieu m'a appelé à cette couronne, j'ai trouvé la France, non-seulement quasi ruinée, mais presque toute perdue pour les Français. Par la grâce divine, par les prières et bons conseils de mes serviteurs qui ne font profession des armes, par l'épée de ma brave et généreuse noblesse — de laquelle je ne distingue point les princes, pour être notre plus beau titre —, foi de gentilhomme, par mes peines et labeurs, je l'ai sauvée de la perte ; sauvons-la à cette heure de la ruine. Participez, mes chers sujets, à cette seconde gloire,

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avec  moi, comme vous avez fait à la première. Je ne vous ai point appelés, comme faisaient mes prédécesseurs, pour vous faire approuver mes volontés. Je vous ai assemblés pour recevoir vos conseils, pour les croire, pour les suivre, bref pour me mettre en tutelle entre vos mains ; envie qui ne prend guère aux rois à barbe grise et aux victorieux. Mais le violent amour que je porte à mes sujets, et l'extrême envie que j'ai d'ajouter ces deux beaux titres à celui de roi, me font trouver tout aisé et honorable. Mon chancelier vous fera plus complètement entendre ma volonté.

De tous les discours d'ouverture prononcés par les rois, celui-ci est sans doute le plus remarquable par le tour d'esprit, le ton dégagé et l'air de franchise qui y règnent ; l'homme s'y peint tout entier. Quant à la promesse de suivre les conseils de l'assemblée, ce n'est pas la première fois qu'elle sort de la bouche royale ; mais Henri IV, vrai Gascon, ne la tiendra pas plus que la plupart de ses prédécesseurs.

Ce discours achevé, le roi se lève, en disant qu'il ne veut pas même assister, soit par lui, soit par son conseil, à des délibérations que rien ne doit gêner. Il sort avec ses conseillers, laissant seulement Sully dans l'assemblée pour lui communiquer les états, mémoires et papiers dont elle pourrait avoir besoin.

Philippe Hurault de Chiverni, chancelier, expose, dans un long discours, les malheurs des temps passés et les extrémités auxquelles la France a été réduite par les guerres civiles qui l'ont déchirée. Il ajoute que le royaume n'est pas encore tranquille, et qu'on est menacé d'une guerre plus cruelle avec un ennemi dont la haine, jointe à son ambition démesurée, parait irréconciliable ; que sa majesté ne doute pas qu'à l'exemple de leurs fidèles et courageux ancêtres, les trois ordres du royaume ne fassent des efforts proportionnés à la grandeur du péril. Sa majesté, dit-il, a affronté une infinité de dangers pour le salut de l'État, et ne s'est jamais ménagée pour ce grand objet. Il est bien juste que ses sujets offrent leurs biens et leurs vies pour la même cause.

Pour la facilité de leurs travaux, les députés se divisent en trois chambres, présidées par le duc de Montpensier, le duc de Retz, le maréchal de Matignon. Chaque chambre est composée de membres des divers ordres de l'État, et doit rapporter ses délibérations à l'assemblée générale.

Les finances sont le pivot sur lequel roule toujours la convocation des assemblées nationales ; c'est aussi la pierre d'achoppement entre ces assemblées et le gouvernement. Elles ont été si constamment trompées ! la défiance leur est bien permise. Alors elles imaginent d'intervenir dans la gestion des finances par des moyens mal combinés, temporaires, que font facilement avorter le pouvoir et ses entours, courtisans, fonctionnaires ou traitants.

Les notables proposent l'établissement d'un conseil, qu'ils appellent, on ne sait pourquoi, conseil de raison, dont les membres seront nommés par l'assemblée, et dans la suite par les cours souveraines. On partage en deux portions égales tous les revenus de l'État, qu'on estime, sans trop d'examen, à 30 millions. Une moitié est à la disposition du conseil de raison pour acquitter les pensions, les gages d'officiers, arrérages, dettes et engagements de l'État, pour réparer les villes, bâtiments, chemins et autres ouvrages publics. Le roi ni les cours souveraines ne peuvent prendre connaissance ni demander compte de l'emploi de ces fonds.

Le roi dispose, avec la même indépendance, de l'autre moitié des revenus pour l'employer aux dépenses militaires, y compris l'artillerie et les fortifications, aux affaires étrangères, ambassades et négociations, à l'entretien de sa maison et de ses équipages, enfin à des gratifications à ses officiers, et à ses menus plaisirs.

L'évaluation des revenus annuels à 30 millions paraissant exagérée, pour assurer cette somme on établit un nouvel impôt, dont le produit est estimé à 5 millions ; c'est la levée d'un sou pour livre sur toutes les marchandises et denrées vendues et achetées dans le royaume, tant en gros qu'en détail.

L'assemblée envoie des députés présenter son plan au roi en son conseil. L'indignation éclate en murmures et en cris si confus, que le roi a beaucoup de peine à faire opiner séparément les membres du conseil. La colère les rend tous éloquents. Sully, quand vient son tour, se contente de dire froidement qu'il n'a rien à ajouter à ces beaux discours. Frappé de cette réserve, le roi veut en savoir la raison, avant de joindre son avis à celui du conseil, qui est contraire au projet des notables ; il renvoie la délibération au lendemain. Seul avec Sully, et étonné de son silence, le roi lui en demande le motif. - En rejetant, dit-il, avec hauteur, comme le proposait le conseil, un plan dont les notables étaient infatués, on excitait parmi eux un mécontentement d'autant plus grave, que cette assemblée ne reconnaissait à personne, pas même au roi, un pouvoir supérieur. Dans un gouvernement monarchique, le prince devait surtout se garder de réduire ses sujets au point de lui désobéir d'effet ou seulement de parole. D'ailleurs le roi irait directement contre la parole qu'il avait donnée dans son discours de se conformer aux résolutions de l'assemblée. Si l'on rejetait le projet, les notables ne manqueraient pas de crier qu'on avait repoussé le seul système capable de rétablir l'ordre, après lequel on soupirait depuis si longtemps. On savait le penchant des peuples, surtout de ceux qui ont l'esprit vif, à médire des actions du souverain. Il suffisait de la plus légère connaissance en finances pour être convaincu que le projet était à la fois ruineux et inexécutable. Le conseil de raison lui-même serait le premier à le sentir. Le roi se ferait un mérite de sa condescendance pour le vœu des notables ; et son autorité, loin de diminuer, augmenterait encore en indépendance lorsque le conseil aurait fait sa triste épreuve.

Le roi, après avoir écouté attentivement Sully, craint longtemps que son ministre ne le jette dans une fausse démarche dont les suites pourraient être irrémédiables. D'ailleurs l'orgueil du roi à barbe grise et victorieux est singulièrement blessé de ce que l'assemblée l'a pris au mot et veut le mettre en tutelle. Cependant, après les réflexions les plus sérieuses, il se décide à suivre l'avis de son ministre et à jouer la comédie.

Il assemble son conseil qui persiste, ainsi que Sully, à rejeter le projet des notables. A la grande surprise de ses conseillers, le roi leur déclare qu'il ne peut partager leur opinion. Il se rend à l'assemblée des notables et leur dit que, désirant seconder de toutes ses forces les vues d'un corps aussi sage, il accepte sans aucune restriction, ni modification, leur projet qu'il réduit à trois articles : l'érection d'un conseil indépendant, le partage des revenus de l'État, la levée du sou pour livre. Il engage l'assemblée à nommer dans vingt-quatre heures les membres de ce conseil, à faire un état de revenus de 30 millions dont il prendra la moitié, ajoutant qu'on verra par sa conduite s'il cédera en économie au nouveau conseil. Il n'y a pas assez d'expressions pour louer la bouté et la condescendance du roi. La session de l'assemblée se trouve ainsi terminée. On revient à Paris pour mettre la dernière main à l'exécution du système.

Le conseil est organisé et entre en fonctions. Ce que le prudent Sully a prévu ne se fait pas longtemps attendre. Par ignorance, inexpérience, peut-être par les obstacles secrets que suscite le gouvernement, et enfin par les vices inhérents à l'établissement du conseil, dès son début il se trouve tellement empêtré dans ses opérations, qu'il ne sait où donner de la tête. Enfin au bout de trois mois, succombant sous le fardeau, les conseillers viennent prier le roi de vouloir bien les en décharger. Henri IV joue la comédie jusqu'au bout ; il fait le scrupuleux ; il leur représente que les commencements étaient toujours difficiles, les exhorte à prendre courage et les renvoie. Mais les conseillers reviennent à la charge, et accablent le roi d'importunités ; il veut bien enfin accepter leur démission. Les finances retombent à la disposition exclusive du roi.

D'après le président de Thou, il fut aussi rédigé un cahier souscrit par les présidents des trois chambres, et seulement au commencement de 1597. Il contenait plusieurs justes demandes. Relativement au clergé, la promotion des archevêques et évêques par voie d'élection, ou au moins l'observation de l'ordonnance des états de Blois ; des informations sur la religion, la vie,  les mœurs et la capacité des sujets, etc. Les mêmes formalités dans la nomination aux abbayes, surtout de filles, pour rétablir l'ordre et la discipline dans les monastères où ils étaient entièrement éteints, au grand scandale des âmes et à la honte de l'Église. Tenir tous les trois ans des conciles provinciaux pour réformer les abus et corriger les dérèglements du clergé. Publier et faire observer la bulle de Sixte V contre les simoniaques et les confidentiaires. Pour empêcher la profanation des lieux saints, défendre, sous les peines les plus sévères, aux troupes de se loger dans les temples, les chapelles, les sacristies, ni d'y mettre leurs chevaux.

Relativement à la noblesse, la principale colonne de l'État, qui dans les dernières guerres avait presque soutenu le royaume sur le penchant de sa ruine, donner aux nobles par préférence les dignités ecclésiastiques. N'accorder des lettres de noblesse que pour services importants rendus à l'État et surtout de grandes actions de guerre. Conserver aux gentilshommes domiciliés dans les villes les anciens droits et privilèges de la noblesse, les exempter des fonctions de garde et sentinelle et autres pareilles corvées. Que le roi eût un plus grand nombre de pages pour faire donner une éducation convenable à des gentilshommes et capable de les former dans l'exercice des armes. Observer exactement les édits concernant les sénéchaux et baillis qui ne devaient être tirés que de la noblesse ; que les sentences des lieutenants civils et criminels, qui rendaient la justice sous eux, fussent prononcées en leur nom. Que les roturiers et les hommes de basse naissance, ceux même qui avaient acheté des lettres de noblesse, ne pussent porter les noms des places, châteaux et seigneuries qu'ils auraient acquis, ni en quittant leur propre nom s'enter sur des familles nobles dont ils auraient acheté les terres. Que lorsque les magistratures judiciaires auraient été réduites à l'ancien nombre suivant l'ordonnance de Blois, les charges ne fussent plus vénales, et les conférer aux nobles de préférence. Que les compagnies ordinaires de cavalerie dont le roi était le chef ne fussent composées que de gentilshommes. Pour rappeler la frugalité et la modestie des ancêtres, et diminuer les dépenses que le luxe et l'émulation de la noblesse faisaient croître de jour en jour, renouveler les anciennes lois somptuaires. Défendre absolument l'usage de l'or, de l'argent, de pierreries, perles et autres choses que le luxe rendait précieuses et dont on se parait à grands frais. L'observation exacte de l'ordonnance de Saint-Germain de 1587 portant taxation des denrées consommées par les voyageurs dans les hôtelleries. Fixer l'honoraire des avocats et le salaire des procureurs dans les cours souveraines. Divers articles sur les monnaies, le commerce, les tailles, etc.

Cette assemblée n'aboutit réellement qu'à un impôt du produit présumé de 5 millions. C'est la première et la dernière que convoque Henri IV pendant un règne de près de vingt-deux ans. Il se montre très-jaloux de son pouvoir ; peut-être a-t-il raison. Après les dissensions, les troubles, les guerres civiles qui viennent de déchirer ta France, il faut une dictature pour contenir les partis, les ligueurs, les calvinistes, les politiques', les mécontents de toute espèce, les nobles ambitieux dont la paix intérieure ruine les prétentions. Il faut une dictature pour que la royauté, forte au dedans, puisse au dehors, par les armes et les traités, rétablir la puissance française. Mais il est à craindre que, la nécessité passée, la dictature continue. Henri IV termine la guerre extérieure par le traité de Vervins, et assure la paix intérieure par l'édit de Nantes (1598). Cet édit, quoique émané du seul pouvoir royal, est un traité de puissance à puissance. C'en était une en effet qu'un parti qui avait deux cents places et châteaux, et qui pouvait mettre sur pied vingt-cinq mille hommes, dont quatre mille nobles. Soumettre ce parti par la force, c'était recommencer la guerre. Pour Henri IV, ce rôle était odieux. Obtenir du parti de renoncer à son organisation, de désarmer, de s'en remettre à la justice et à la protection du roi, c'était impossible. Le souvenir des dissensions religieuses était trop vivace, le principe de la liberté des cultes trop peu compris, l'esprit de tolérance trop peu répandu, pour que le pouvoir royal pût protéger efficacement un parti flétri du nom d'hérétique. Comme pacification du moment, même comme transition à des temps de charité et de tolérance, l'édit de Nantes était une transaction nécessaire. Mais il avait un grave inconvénient ; en constituant en quelque sorte un parti politique, il portait atteinte à l'unité du pouvoir royal, et offrait un point d'appui aux ambitieux, aux mécontents. Pour un avenir prochain l'édit de Nantes était la guerre, tantôt sourde, tantôt ouverte.

Entouré de désordre et de ruines, Henri IV règne, gouverne, administre pour les réparer. Il choisit de bons, d'habiles ministres ; Sully est son bras droit, son ami. Il encourage l'agriculture, l'industrie, le commerce ; il régularise les finances. Ce qu'il fait d'une main pour le bien du peuple, il le pompe de l'autre. Il veut que le paysan mette la poule au pot le dimanche, et ne lui en laisse pas les moyens. C'est encore une gasconnade. L'impôt est excessif, la perception dure et cruelle. Il établit le droit de la poulette, et consacre ainsi l'hérédité des offices. Il spécule sur la refonte des monnaies.

Il professe le plus grand dévouement à la religion catholique, le plus profond respect pour la cour de Borne. Il rappelle les jésuites malgré le parlement et la Sorbonne. Il divorce avec sa femme Marguerite, et épouse Marie de Médicis, nièce du pape ; ce nom a déjà été fatal à la France.

La conduite du roi excite des mécontentements. Le parti calviniste et les seigneurs royalistes, qui prétendent lui avoir mis la couronne sur la tête, l'accusent d'ingratitude et de réserver ses faveurs aux anciens ligueurs. Les calvinistes n'ont pas tout à fait tort ; mais il est difficile au roi de garder l'équilibre. I.es seigneurs sont insatiables et toujours entichés des vieilles idées féodales. Les mécontentements se traduisent en complots. L'étranger les encourage. Biron entre en négociations avec la Savoie et l'Espagne ; il s'agit de partager la France en petits états ; il doit avoir trois provinces dans ce partage. Sous le voile de l'amitié le roi attire Biron à sa cour, et l'engage à tout avouer. Loin de se justifier, le sujet orgueilleux veut connaître ses accusateurs. Il est arrêté ; alors il demande grâce de la vie. Il est trop tard. Le roi est inexorable. La raison d'État l'emporte. Biron est jugé et condamné à mort. Henri laisse exécuter son ami, son ancien compagnon d'armes.

Cet acte de sévérité n'arrête pas les mécontents. Dans un nouveau complot figurent le duc de Bouillon, les comtes d'Auvergne et d'Entragues. Bouillon se sauve en Allemagne. D'Auvergne et d'Entragues sont jugés et condamnés à mort. Le roi commue la peine de l'un en exil, de l'autre en détention.

Le roi veut en finir ; il entre en campagne avec une petite armée et une espèce de tribunal révolutionnaire ; il parcourt le Midi, foyer des complots ; il fait, suivant l'expression de Sully, voler quelques douzaines de têtes, démolir châteaux et forteresses, nids à rébellions. Il a frappé les royalistes ; restent les calvinistes. Le duc de Bouillon est leur chef et tranche du souverain. Eu vain le roi cherche à l'attirer à Paris amicalement, comme Biron ; en vain il le fait citer à comparaître au parlement. Le roi marche sur Sedan, s'en empare, et, dans la crainte de pousser le parti calviniste à des extrémités fâcheuses, il donne au duc des lettres d'abolition.

Ce qui afflige le plus le roi et augmente ses inquiétudes, c'est que la Médicis, sa femme, encourage ces complots par dévouement à l'Espagne et pour se venger des infidélités de son mari. Une reine de France machine contre le pays avec une camarilla italienne, vendue à l'étranger, Concini et Léonor Galigaï, sa femme. Et le roi, qui frappe si rudement sur les mécontents français, sur d'anciens amis, n'a pas la force de chasser ces aventuriers et de faire la police dans son ménage.

Il a, par des sévérités nécessaires à l'accomplissement de ses vastes desseins extérieurs, comprimé les seigneurs turbulents et assuré la paix intérieure ; ils le laissent respirer. Mais le parti calviniste fermente, la queue de la féodalité s'agite sourdement. Tant qu'elle ne sera pas anéantie, la royauté ne sera pas tranquille et contente. Ce sera l'œuvre des successeurs de Henri IV ; il a le mérite de l'avoir commencée et de leur avoir enseigné ce qu'ils devaient faire.

Reconstituer l'Europe sur la base d'un équilibre des États et de leur indépendance ; pour cela, arracher à l'Espagne et à la maison impériale d'Autriche la domination universelle à laquelle elle aspire ; rendre et assurer à la France la prépondérance due à sa situation topographique, à ses richesses, à sa civilisation, à sa puissance : tels sont les plans politiques de Henri IV ; ils sont gigantesques, et déposent de son génie, de son grand cœur.

Leur exécution n'est pas impossible. Le roi l'avait commencée. Bravant les sourdes menées, les basses intrigues, les clameurs de ses ennemis, des ennemis de la grandeur nationale, il va marcher pour entreprendre la guerre décisive qui doit le mener à son but, lorsqu'il succombe sous le poignard de Ravaillac (11 mai 1610).

Le gouvernement de Henri IV se ressent de ses qualités et de ses défauts, pour ne pas dire de ses vices. Son règne doit être placé parmi les plus glorieux et les plus prospères, surtout si on le compare à ceux qui l'ont précédé. Ses contemporains l'ont méconnu ; ses successeurs l'ont condamné à l'oubli ; le dix-huitième siècle a réhabilité sa mémoire. La restauration de 1814 s'est recommandée de lui auprès de la France. Ce qu'il y a de curieux, ce qui témoigne de la légèreté.des esprits et de la futilité de l'époque où Henri IV devient un objet d'adoration, c'est que, dans des chants devenus populaires et presque nationaux, on le loue précisément de ce qui a taché son caractère. Charmante Gabrielle..., Vive Henri IV..., sont des hymnes au libertinage et à l'adultère.

Sous les Valois, la royauté a été avilie plus encore par l'incapacité, les vices, les folies de la plupart des rois, que par l'ambition factieuse des grands et les passions populaires. Mais le principe monarchique n'a jamais été sérieusement compromis. En définitive, il a profité des perturbations qu'a éprouvées la France. Les libertés publiques ont plus perdu que gagné. Henri IV relève la royauté et ouvre aux Bourbons la voie du pouvoir absolu ; malgré quelques obstacles éphémères, ils y marchent à grands pas. La nation reste étrangère à la politique, au gouvernement, à l'administration de ses affaires. Les états généraux tombent en désuétude. Pendant deux siècles ils ne sont plus assemblés qu'une seule fois. La royauté a triomphé de la noblesse, du clergé, du tiers état. Une seule institution reste en vigueur, les parlements. Dans le principe, simples corps judiciaires, ils ont pris, on leur a donné le nom de cours souveraines. Juges suprêmes des procès, ils ont étendu leur souveraineté aux matières d'État, aux affaires politiques. Tant qu'ils n'agissent que d'après les insinuations de la royauté et dans son intérêt, elle approuve ou laisse faire. Archivistes dépositaires des lois, ils se sont arrogé le droit de les critiquer, de les modifier, d'en arrêter l'exécution par le refus d'enregistrement. Plus que jamais ils prétendent remplacer les états généraux. La royauté ne reconnaît aux parlements tout au plus que la faculté de faire des remontrances, à la charge. d'obéir à ses volontés ; résistent-ils, elle biffe leurs registres, y inscrit ses commandements, et inflige aux magistrats l'exil, la prison. Ce n'est pas là un contrepoids régulier au pouvoir absolu ; c'est le désordre, c'est la guerre. Il faut que les parlements ou la royauté succombent ; ils périssent ensemble.

La raison de ce résultat parait fort simple. Le peuple a aidé les rois à se débarrasser de tout ce qui l'opprimait, de tout ce qui portait obstacle à l'unité de la France et du pouvoir. Mais il n'a pas entendu que de protecteurs les rois se fissent oppresseurs à leur tour. Éblouis par leurs triomphes, enivrés de leur omnipotence, ils n'ont pas cru qu'elle dût avoir d'autre limite que leur bon plaisir. Ils ont mal jugé les temps. L'esprit humain a marché et marche ; le peuple s'est éclairé et s'éclaire. Toutes les questions d'économie sociale ont été discutées. La royauté va se trouver sans intermédiaire, face à face avec le peuple. Suivant qu'elle le traitera, il sera son plus dangereux ennemi, ou son appui le plus solide. Le pouvoir absolu que les rois n'ont pu exercer sans contradicteurs dans des temps d'ignorance, s'il s'établit dans des siècles de lumières, n'a pas chance de durée.

 

 

 



[1] Et cinq des plus enragés prédicateurs, Genebrard, archevêque d'Aix, Rose, évêque de Senlis, Boucher, curé de Saint-Benoît, Cueilly, de Saint-Germain l'Auxerrois, Jean Dadré, pénitencier de Rouen.

[2] Odet Soret, laboureur, député pour le tiers état du bailliage de Caux. C'était un ardent ligueur. La relation des états, par lui rédigée, prouve que c'était un homme instruit. Sur sa demande, le duc de Mayenne, pour l'indemniser de ses pertes et dépenses, et le récompenser de son zèle, ordonna qu'il lui serait payé une indemnité, et que lui et son fils seraient, leur vie durant, exempts de toutes contributions.

[3] Clergé : d'Espinac, archevêque de Lyon, Péricard, évêque d'Avranches, en remplacement de Rose, évêque de Senlis, un des prédicateurs les plus fougueux de la ligue ; de Billy, abbé de Saint-Vincent de Laon. — Noblesse : le baron de Talmey, Louis Montigny, Nicolas de Pradel. — Tiers état : le président Lemaitre, Etienne Bernard, avocat, maire de Dijon ; du Laurens, avocat du roi au parlement de Provence. — Le duc de Mayenne, l'amiral de Villars, le comte de Belin, gouverneur de Paris, Pierre Jeannin, président au parlement de Dijon, conseiller d'État ; Villeroy, adjoint plus tard.

[4] Un des députés les plus marquants, et orateur du tiers état aux états de 1588, auteur du meilleur journal de ces états, maire de Dijon. Son départ de cette ville, pour se rendre à Paris, fut comme un triomphe. Toute la population l'accompagna jusque hors de la ville, lui baisant les mains et lui souhaitant toutes sortes de bénédictions.

[5] Commissaires des royalistes, Renaud de Beaune, archevêque de Bouges, Bellièvre, Rambouillet l'aîné, Schomberg, Chavigny, Pontcarré, d'Émery, de Thou, Revol.

[6] Ainsi disait l'empereur d'Autriche, en 1814, après le triomphe de la coalition. En mariant sa fille avec Napoléon, il l'avait sacrifiée au commun bien de l'Europe.

[7] Présents : le légat, le cardinal Pellevé, les ducs de Mayenne, d'Aumale et d'Elbeuf, la Châtre, Bassompierre, M. de Lyon, le président Jeannin, MM. de Viterbe, de Monterio et Aguchi.

[8] Ici s'arrête le registre du clergé où il est parlé de ces mémoires ; ils n'y sont pas rapportés. Les registres de la noblesse et du tiers état n'en font aucune mention.

[9] Il parait que le clergé avait été initié longtemps d'avance dans ce projet et adopté. Le clergé d'Auxerre avait chargé son député de nommer un roi français catholique, agréé par le pape et le roi d'Espagne, qui lui donnerait sa fille en mariage, venant à la couronne par élection et non par droit d'hérédité.