HISTOIRE DES ÉTATS GÉNÉRAUX

TOME PREMIER

 

INTRODUCTION.

 

 

Dès son origine, la monarchie française a eu des institutions représentatives, parmi lesquelles les états généraux sont au premier rang. Ils ne tiennent qu'une petite place dans les histoires de France. Une foule d'écrivains ont traité plus ou moins spécialement des états. Leurs travaux sont très-abrégés, superficiels, incomplets et fautifs : c'est une histoire encore à faire. Nous l'avons entreprise, aidé dans nos recherches laborieuses par les essais de nos prédécesseurs et par des documents restés inédits jusqu'à nos jours, et dont ils n'avaient pu profiter.

Les états généraux ne datent que de 1302 ; mais alors le peuple français n'était plus dans l'état de barbarie. Sans remonter à la Gaule conquise, et sous la domination romaine, il avait, en 1302, huit siècles d'existence, une organisation politique, civile, religieuse, des institutions, un droit public. C'est une chaîne continue du cinquième siècle au commencement du quatorzième. Les états généraux n'ont pas été improvisés ; un long, un douloureux travail, d'autres institutions analogues, les ont amenés et leur ont servi de base. Il faut nécessairement connaître ces précédents pour apprécier l'origine des états, leur constitution, leurs vices, leur utilité. C'est l'objet de cette introduction.

L'établissement des Francs dans la Gaule fut monarchique. Sur le caractère de la royauté, et le mode de sa transmission aux premiers chefs francs, titrés rois, l'histoire est extrêmement obscure et ne contient guère que des fables. L'élection de Pharamond, s'il a existé, de Clodion, de Mérovée — Mérowig —, qui a donné son nom à la première race, de Chilpéric, fut faite par les Francs, c'est-à-dire par l'armée qui les proclama en les élevant sur le pavois. Clovis — Chlodowig —, lui-même, qu'on fait succéder à son père Chilpéric, qu'était-il lorsqu'il marchait à la conquête ? roi ou chef militaire ? héréditaire ou élu ? Ce qu'il y a de plus clair, c'est qu'avec le concours et le consentement des Francs, ses compagnons d'armes, Clovis fit tuer ou tua lui-même une demi-douzaine de ces espèces de rois, ses voisins, ses parents, s'empara de leurs possessions, et en forma à son profit un seul État. Sous ses successeurs, sous la dynastie carlovingienne et jusques et y compris Hugues Capet, la royauté fut un mélange d'hérédité, d'usurpation et d'élection. L'élection domina et fut faite par l'assemblée de la nation. Le plus souvent l'élection se concentrait dans une famille. A la mort du père, le fils commençait par prendre la couronne. S'ils étaient plusieurs fils, il n'y avait point de droit d'aînesse, ils se la partageaient également comme un patrimoine, et ils érigeaient chacun leur lot en royaume. Ils faisaient ensuite confirmer ou reconnaître leur titre dans une assemblée plus ou moins nombreuse. C'est ainsi que procédèrent les quatre fils de Clovis. Cependant leurs intérêts communs se traitaient dans une assemblée générale. Du reste, dans les attributions de la royauté rien de déterminé, rien de fixe ; tant valait l'homme, tant valait le pouvoir ; ni balance ni contrepoids, ni limite, ni garanties ; chez le peuple, nulle idée bien nette de la nature et de la destination de la royauté ; chez le roi, à l'exemple des empereurs, tendance continuelle à l'extension du pouvoir, à la violence, au despotisme brutal ; la royauté franque, même jusque sous les premiers rois de la troisième race, fut le point de mire des hautes ambitions, le jouet des événements et de la fortune.

Cependant, suivant l'institution germaine, il est certain que le roi n'avait pas un pouvoir absolu. Les grands intérêts de l'État étaient traités dans les assemblées de la nation. De quels éléments étaient-elles composées ? quels étaient leurs attributions, leur pouvoir ? Pour ces temps si loin de nous, l'histoire est comme un vieux cimetière ; on n'y trouve que cendres et ossements blanchis et épars ; ils ont été souvent mis en œuvre par l'ignorance, ou par l'esprit de système pour faire des peintures fabuleuses de l'état social de nos ancêtres. Des siècles s'écouleront encore avant que la France ait des annales dignes de ce nom. Malgré les dénégations de quelques partisans de la royauté absolue, il est avéré par la presque unanimité des historiens que le pouvoir royal était jusqu'à un certain point tempéré par le concours d'assemblées plus ou moins représentatives de la nation. Une de ces assemblées était annuelle et se tenait au mois de mars en plein champ. On s'y rendait avec armes et bagages, tout prêt à entrer en campagne, car l'armée et le peuple étaient la même chose. C'était une réunion militaire, une revue. Suivant les historiens, on y élisait les rois, on y confirmait leur prise de possession du trône. On y faisait les lois, on y décidait la paix, la guerre, et toutes les grandes affaires de l'État. Le roi ou son délégué proposait ; en signe d'approbation, chacun frappait de son épée sur son bouclier ; un murmure général exprimait l'improbation ; dans ce cas, la proposition était rejetée. C'étaient les formes germaines. Il était difficile de bien constater les votes donnés dans une forme aussi sauvage. L'assemblée était donc à peu près toute militaire.

La soi-disant loi fondamentale de la nation, la salique, porte qu'elle fut rédigée par quatre personnes, et discutée dans trois mois ; que des additions faites par divers rois mérovingiens l'ont été avec les Francs, toute l'assemblée du peuple — cum Francis... universo cœtu populi.

Pour se convertir au christianisme, Clovis rassembla les grands et le peuple, le menu peuple, disent les chroniques. Qu'était-ce que ce peuple ? La forme dans laquelle les assemblées se tenaient, discutaient et délibéraient, devait être fort peu réglée : savoir lire et écrire, c'était une rareté, excepté chez les prêtres. On ne s'amusait pas à rédiger des procès-verbaux, ni à tenir des registres. On n'écrivait pas même les jugements ; on les écrivait encore rarement dans les onzième, douzième siècles et une partie du treizième, et on ne les datait pas. De là l'usage de recorder les juges, quand une partie déniait que le procès eût été jugé. Pour l'histoire des assemblées politiques sous les deux premières races, des éléments dont elles se composaient, des matières qui y étaient traitées, il n'existe presque pas de monuments originaux ; on n'a pas d'autre ressource que des copies de chartes, de lois et d'autres instruments adoptés dans ces assemblées ; que les chroniques et les écrivains qui les ont plus ou moins exactement traduites, recopiées et compilées. L'authenticité de ces documents est fort équivoque. La paperasse est fille de la civilisation. Les archives royales n'étaient pas très-encombrantes ; les rois dans leurs voyages les emmenaient à leur suite. En 1194, Philippe-Auguste perdit les siennes, elles tombèrent au pouvoir des Anglais, elles ne se sont plus retrouvées.

D'après les actes et les chroniques, le caractère des assemblées, leur composition, leur compétence, leurs pouvoirs ou fonctions sont donc très-difficile à fixer ; on varie extrêmement dans les termes qu'on emploie. Sur leur signification, les historiens en général, et surtout les modernes, sont peu scrupuleux. Ils ne le sont pas davantage sur les dates. Au lieu de distinguer les institutions et d'en suivre avec précision la marelle progressive ou rétrograde, ils confondent tout, les noms et les époques, et les approprient à leurs systèmes. Il n'est pas facile de s'y reconnaître. Éclaircirons-nous ce chaos ? Nous l'essayerons.

Au champ de mars, Clovis convoque des assemblées sous ces diverses rubriques rapportées par les chroniques Les Francs... les principauxprincipesde toute la nation... tout son peuple... toute l'armée. A cette époque de la conquête flagrante, c'était encore pour la forme et le fond la coutume germaine. Tout homme libre étant astreint au service militaire, le soldat étant obligé de faire la guerre à ses frais et sans aucun espoir que sa part du butin, l'armée devait être une élite du peuple. Elle était presque toujours réunie ou facile à rassembler. L'assemblée était pure franque. Il serait absurde de supposer qu'on y appelât alors le peuple qu'on venait de conquérir ou que l'on conquérait.

Clovis expose brièvement son dessein ; c'est presque toujours une expédition guerrière. Son allocution est comme un commandement de marche. Il n'y a point de délibération. Excitée par la soif et les profits de la guerre, l'assemblée répond par des acclamations, et suit son chef. Ou bien lorsqu'il se convertit, à son exemple elle se prosterne devant un prêtre, reçoit en masse le baptême sans savoir ce qu'elle fait et de pure confiance.

Sous les fils de Clovis, la conquête avait marché, et s'était étendue. Les conquérants, d'abord peu nombreux, restèrent réunis pour leur sûreté ; à mesure que leur nombre et leur force s'accrurent, ils se dispersèrent pour occuper le territoire, soumettre les populations et tenir dans l'obéissance celles qui s'étaient soumises. Les moyens de communication étaient difficiles et peu sûrs, les assemblées furent moins nombreuses et moins fréquentes. De quoi se composaient-elles ? de gens que les monuments désignent sous les noms latins de proceres, principes, optimates, primores, fidèles, et que l'histoire est convenue d'embrasser dans la dénomination générale de grands du royaume. Qu'étaient ces grands ? D'après les mêmes monuments, c'étaient les dignitaires et officiers publics nommés par le roi, les ducs, les comtes, ses conseillers, les officiers de sa maison, de sa cour, de son palais ; c'étaient les archevêques, les évêques, les abbés, que Clovis avait déjà convoqués à des assemblées politiques sous le nom de pontifices. En un mot c'était une élite. Ils ne recevaient ni mission ni pouvoir du peuple ; il ne les élisait pas ; ils ne s'assemblaient pas de droit. Le roi les convoquait en tel lieu, en tel nombre qu'il voulait et les congédiait suivant son bon plaisir. Il est vrai que le grand nom de peuple figure aussi dans la plupart des assemblées à la suite de tous ces grands. Rien ne s'y fait, pour ainsi dire, que par la volonté du peuple, son consentement, son approbation. Les rois, leurs actes, les chroniques, les historiens consacrent sa souveraineté, son concours nécessaire, sa présence. Eh bien, il n'y était pas. C'est un grand mot, et rien de plus. En supposant que la masse des hommes libres ne fût que de trois cent mille, deux cent mille, cent mille, comment serait-elle venue des diverses parties du royaume ? Comment l'aurait-on logée et nourrie ? comment l'aurait-on réunie pour délibérer et donner son suffrage ? Nommait-elle des députés, des représentants ? Il n'y en a pas la moindre trace. Cette mention du peuple n'est pourtant pas sans importance. On y voit du moins un souvenir, une tradition de l'institution germaine. C'est un hommage de la royauté au principe, une consécration des droits du peuple. Le principe subira bien des vicissitudes ; il a été implanté dans le berceau de la monarchie, il y a jeté de si profondes racines qu'on ne parviendra jamais à l'en arracher.

Le mot Francs semble exclusif des autres Germains et des Gallo-Romains ; il dut l'être dans l'origine ; c'était le nom du conquérant, nom de liberté et d'honneur. En lui s'absorbèrent ensuite les noms de toutes les nations germaines établies dans la Gaule, et les noms de Gaulois et de Romains ; il comprit toutes les populations. Elles eurent longtemps des lois civiles particulières ; mais sous le rapport politique et des relations de gouvernement, elles furent franques activement et passivement. On en trouve la preuve dans les monuments qui nous restent des assemblées politiques ou nationales. Elles sont nominées assemblées des peuples de tout le royaume... des diverses nations qui y demeurent... qui sont sous la domination du roi.

Des écrivains fanatiques de la noblesse — Boulainvilliers, Montlosier — ont placé son origine exclusivement dans les Francs. Ainsi les compagnons de Clovis sont tous arrivés nobles de la Germanie, où il n'y avait pas de noblesse, ou bien ils ont reçu leurs titres de leurs premiers rois qui ne firent pas de nobles jusqu'à Philippe le Hardi (1271), ou de Dieu qui crée tous les hommes égaux, ou enfin ils s'anoblirent eux-mêmes, ce qu'on ne voit pas dans l'histoire. D'autres, plus modestes — Montesquieu —, placent la source de la noblesse dans les leudes du roi. Ce ne sont que de ridicules excès d'orgueil.

Dans le principe, la prééminence des Francs sur les autres nations de la Gaule est incontestable ; elle ne fut que temporaire. Ils ne furent pas exempts des vicissitudes de l'état social. Des lois salique et ripuaire, des capitulaires, des écrits contemporains des deux premières races, il résulte que les hommes libres de toutes les nations, même des affranchis et des esclaves, parvenaient aux plus hautes dignités. Le Gaulois Leudaste, esclave dans une cuisine, devint comte de Tours. Ces dignités étaient, ainsi que les bénéfices qui y étaient attachés, purement personnelles et à vie. Elles donnaient des fonctions, de l'autorité, non des privilèges. Le mot noble ne signifiait que l'origine libre. Parmi les leudes, ceux du roi eurent certainement de la supériorité, et tous les leudes sur la masse du peuple ; mais cette prééminence était de fait, comme il arrive dans les sociétés les moins avancées. Ce sont les grands chênes qui s'élèvent naturellement dans les forêts. Ce n'était pas une supériorité légale et privilégiée ; cette sorte d'aristocratie n'avait aucun rapport avec la noblesse féodale. Cependant, il faut l'avouer, comme on le verra, elle en fut le germe. Du reste, ces questions de pure vanité, qui ont tant divisé les savants, n'ont jamais été, au fond, que des curiosités historiques, sans influence pour le progrès social ; elles sont devenues presque puériles depuis que la noblesse a disparu sous le niveau de l'égalité moderne. Lorsque du mélange des diverses races que l'invasion avait mise en présence, il sortit une nation française, ce qui fut accompli dès le neuvième siècle (850), dans la nuit profonde dont leur fusion est enveloppée, quel noble a jamais pu savoir et dire avec quelque vraisemblance s'il descendait du vainqueur ou du vaincu, d'un Franc, d'un Gaulois, d'un Romain, d'un Visigoth, d'un leude, d'un leude du roi, d'un homme libre, d'un affranchi, d'un serf, d'un esclave ? Après la sanglante bataille de Fontanet (841), où périt la plus grande partie des Français qu'on prétendait de pur sang, avec quels éléments fut donc rempli le vide qu'ils avaient laissé ? En France, la noblesse formant une classe, le second ordre de l'État, est une institution toute moderne. La maxime que le roi fait des nobles à volonté n'est pas très-ancienne. Depuis que les rois l'ont mise en pratique, ce qui n'a commencé que vers la fin du treizième siècle, on sait positivement comment, de tout temps, la noblesse est sortie de la société, tantôt de sa source la plus pure, tantôt de son égout.

Après Clovis, pendant près d'un siècle, les champs de mars furent-ils annuellement tenus ? On en trouve peu de traces. Les chroniques ne citent qu'une douzaine d'assemblées sans date bien précise ; il ne faut pas s'en étonner. La Gaule était partagée entre les descendants du conquérant, et formait plusieurs royaumes. Ils ne s'occupaient qu'à se faire la guerre, à se détrôner, à s'égorger. Les peuples, les grands, les familles étaient en proie à la plus cruelle, à la plus dégoûtante anarchie ; le gouvernement et l'administration, à la violence, au plus brutal arbitraire.

Un édit de 615 porte qu'il a été délibéré par les pontifes, les grands, les fidèles en concile synodal. Dans l'assemblée où est faite la loi des Allemands (620) étaient les princes, savoir : trente-quatre évêques, trente-quatre ducs, soixante et douze comtes et le reste du peuple — cœtero populo ; ce reste n'était là que pour mémoire. Certes la population libre de soixante et douze comtés n'y assistait pas, l'armée non plus ; il y avait un tiers d'ecclésiastiques ; ce n'était plus qu'une assemblée de notables.

On a vu, dès le règne de Clovis, les ecclésiastiques dans les assemblées politiques. Un siècle ne s'est pas écoulé depuis l'établissement de la monarchie franque, et ils y occupent le premier rang. A quel titre ? serait-ce, ainsi qu'on l'a supposé, comme protecteurs et représentants des cités ? C'est plus que douteux ; mais ce titre modeste est bientôt effacé par celui de grands du royaume. Les prêtres se sont faits leudes des rois ; les rois les ont ménagés, protégés, enrichis à cause de leur autorité dans les cités et de leur influence sur le peuple. Une alliance s'est formée entre le trône et l'autel ; mais l'autel, d'abord modérateur des excès et des violences du trône, en devient bientôt le complice. Déjà dotés avant la conquête, les ecclésiastiques prennent ou reçoivent une large part à sa grande curée. Aux riches domaines qui leur sont donnés sont attachés des colons, des serfs, et jusqu'à des esclaves. Profitant des calamités qui affligent le peuple, le clergé vend sa protection aux faibles qui l'implorent et au prix de la liberté de leurs propriétés et de leurs personnes. Des hommes viennent, la corde au cou, se vouer en servitude entre ses mains, à Dieu, à un saint, eux et leurs biens présents et futurs. C'est l'esprit du temps, le clergé le subit. Sous ce rapport il marche de pair avec les grands laïques, et n'est ni meilleur ni pire.

Suivant un écrivain, le clergé n'avait qu'une doctrine, celle de l'autorité royale universelle et absolue, de la protection de tous par le roi et par la loi, de l'égalité civile, dérivant de la fraternité chrétienne ; il avait conservé, sous des formes religieuses, l'idée impériale, de l'unité de puissance publique, et il la maintenait contre l'idée de la souveraineté domaniale et de la seigneurie indépendante, produit des mœurs germaniques et de l'esprit d'orgueil des conquérants[1]. Il est impossible d'admettre que le clergé eût cette doctrine, elle est démentie par les faits. L'égalité civile, la fraternité ! sans doute c'était l'Évangile ; mais le fait prévalait sur le dogme ; le clergé avait des serfs et des esclaves. La seigneurie indépendante ! il en jouissait, il l'exerçait avec le même orgueil que les seigneurs laïques. L'autorité royale, universelle, absolue ! Oui, il la voulait, à condition non-seulement qu'elle ne pèserait pas sur lui, mais que le sceptre se soumettrait à la tiare et qu'elle aurait le droit de juger, de condamner, de faire et défaire les rois.

Sous Dagobert voici l'assistance aux assemblées : les pontifes, les grands — proceres, primates, tous les leudes tant grands que pauvres — tam sublimes quam pauperes. Dans une assemblée pour la loi bavaroise : le roi avec ses princes et tout le peuple chrétien soumis aux Mérovingiens. Il faut faire observer ici que la convocation ne se borne pas aux leudes du roi ; qu'il est question du peuple, non plus seulement du peuple franc, mais au contraire du peuple chrétien, c'est-à-dire dans sa plus grande acception.

(642-662) Sous Clovis II mêmes assistants. On voit reparaître ces mots, l'assemblée publique des Francs. Désormais ce nom comprend tes Visigoths, les Bourguignons, tous les Germains établis dans les Gaules et les Gallo-Romains. Il y avait des hommes de ces diverses nations dans les assemblées comme leudes, ou en vertu des autres titres qui en donnaient l'entrée aux Francs de race.

Sous les rois dits fainéants et leurs maîtres, les maires du palais, le fantôme de roi, dans un chariot attelé de bœufs, comme pour mieux constater l'inertie royale, était mené à l'assemblée publique de son peuple qui se tenait annuellement pour l'utilité du royaume. Il se montrait et recevait les dons. On y annonçait ce qui se ferait dans l'année. On ramenait le roi chez lui, on ne le voyait plus. Le maire du palais gouvernait. Mais ce peuple dont les chroniques font étalage, c'étaient les grands laïques et ecclésiastiques, peut-être aussi des populations voisines, simples curieux attirés par le spectacle. Du reste, ces assemblées se tenaient-elles régulièrement ? on l'ignore. Dans la série de celles que citent les historiens, il y a de grandes lacunes. On voit des champs de mars composés, suivant la coutume, sous Pepin, de tous les Francs, sous Charles Martel, des grands, des magistrats, de tout le peuple.

Plus occupés à se faire centre du pouvoir local, que de concourir à l'action du pouvoir central ou de le contrôler, les grands à qui ce rôle était échu ne mettaient pas beaucoup d'empressement à profiter, pour le remplir, de la nullité ou de la faiblesse des rois fainéants. Ce furent, au contraire, des rois forts, puissants, quelques Carlovingiens, qui ramenèrent la fréquence des assemblées.

(751) Pepin le Bref dépose Childéric III, accomplit la triste destinée des Mérovingiens et s'empare du trône. Il se fait sacrer à Paris par le pape Étienne qui était venu implorer sa protection contre les Lombards : en revanche Pepin lui donne l'exarchat de Ravennes, et fonde ainsi l'autorité temporelle du Saint-Siège. Clovis se lit baptiser et non sacrer. Pepin est le premier roi qui s'humilie jusqu'à recevoir sa couronne de la main d'un prêtre, qui à la vérité le proclame roi de droit divin, l'oint de Dieu, auquel on doit obéir sous peine de damnation éternelle. C'est le renouvellement en France de l'antique alliance entre l'autel et le trône, rarement utile et souvent funeste aux peuples : les prêtres ne tarderont pas à en abuser pour établir leur domination, et les papes à s'en prévaloir contre les rois.

(754-757) Pepin transfère, au mois de mai, la convocation périodique des champs de mars, et cela, est-il dit, pour l'utilité dos Francs. Pendant son règne de seize ans, on trouve huit assemblées sous le titre de placitéplacitum, de champ de mai, d'assemblée générale du peuple, d'assemblée de tous les Francs suivant leur coutume. On y traite d'affaires politiques et générales. Les principales sont les guerres d'Aquitaine, de Bavière, de Lombardie. Il ne faut pas se faire illusion sur la valeur des mots. Le peuple n'est autre que les grands. Mais la royauté admet une sorte de représentation nationale.

(768) Charlemagne est regardé comme le fondateur ou au moins le restaurateur des véritables assemblées nationales. Sous son règne elles eurent plus de régularité et d'importance. C'est pour la première fois qu'on a des détails circonstanciés sur leur composition, leur tenue, leurs fonctions. On les doit à l'archevêque Hincmar qui les avait lui-même copiés dans un livre de l'abbé Adalhar, un des principaux conseillers de Charlemagne. C'est un document authentique, diversement traduit, interprété, commenté, sur lequel l'esprit de système s'est exercé et donné libre carrière.

Jusqu'à Charlemagne une assemblée nationale, d'abord sous le nom de champ de mars, ensuite sous celui de champ de mai, était censée convoquée annuellement. Les rois convoquaient en outre, quand ils le jugeaient à propos. des assemblées extraordinaires. Charlemagne établit deux assemblées ordinaires par an, l'une au printemps, l'autre à l'automne. Dans la première on réglait l'état de tout le royaume. Elle était composée de tous les grands en général, tant clercs que laïques[2] ; les uns, que Hincmar appelle seniores, pour donner conseil, les autres qu'il appelle minores, pour le recevoir[3].

On a beaucoup glosé sur cette distinction[4] ; de quelque manière qu'on l'interprète, il résulte du texte d'Hincmar que l'assemblée nationale n'était composée que des grands — generalitas universorum majorum.

L'assemblée d'automne avait pour principal objet de recevoir les dons ; il n'y assistait que les seniores et les principaux conseillers. On commençait à s'y occuper de l'état du royaume pour l'année suivante, lorsque cela était jugé nécessaire. Jusque-là ce qui y était arrêté était tenu secret.

Dans ces assemblées, on soumettait à l'examen et à la délibération des grands, en vertu des ordres du roi, les articles de loi nommés capitulaires — capitula — qu'il avait rédigés lui-même par l'inspiration de Dieu, ou dont la nécessité lui avait été manifestée dans l'intervalle des réunions. Suivant l'importance de ces articles, les grands discutaient et délibéraient pendant plusieurs jours. Des messagers du palais allaient et venaient pour recevoir leurs questions et rapporter les réponses. Le roi se rendait à l'assemblée, si elle en exprimait le désir, et entendait familièrement les rapports qu'on lui faisait. Le résultat des délibérations était envoyé au roi. Avec la sagesse qu'il avait reçue de Dieu, il prenait une résolution à laquelle tous obéissaient. Tandis que l'assemblée délibérait, le roi, au milieu de la multitude — reliquœ multitudinis, était occupé à recevoir les dons.

Si le temps était beau, tout cela se passait en plein air, sinon dans divers locaux distincts où les membres de l'assemblée et la multitude restante — cætera multitudo — pouvaient s'abriter séparément. Il y avait deux locaux pour les seniores. Dans l'un s'assemblaient, sans aucun mélange de laïques, les évêques, les abbés et les clercs élevés en dignité ; dans l'autre, les comtes ou les grands du même rang quand ils se séparaient dès le matin de la multitude restante jusqu'à ce que, le roi présent ou absent, ils fussent réunis. Alors, selon l'usage, les mêmes seniores, les clercs dans une chambre, les laïques dans l'autre, s'asseyaient sur des sièges qu'on leur avait honorablement préparés. Lorsque les seniores étaient ainsi séparés du reste — cœteri, il demeurait en leur pouvoir de siéger ensemble ou séparément, suivant la nature des affaires qu'ils avaient à traiter, ecclésiastiques, laïques ou mixtes. De même s'ils voulaient faire venir quelqu'un, soit pour demander des aliments, soit pour faire quelque question, ils en étaient les maîtres. Ainsi se passait l'examen des affaires que le roi proposait à leur délibération.

Nous avons dit d'après Hincmar, et nous le croyons, que l'assemblée nationale n'était composée que des grands. Qu'était-ce donc que la multitude restante — cætera, reliqua multitudo — dont parle cet historien ? cette multitude au milieu de laquelle venait le roi pour recevoir les dons, pour témoigner aux seniores un intérêt affectueux, et s'égayer avec les minores ? cette multitude dont les grands se séparaient pour traiter les affaires, et à laquelle un local était affecté pour la mettre à l'abri du mauvais temps ?

Des écrivains[5] n'ont pas hésité ; c'était le peuple, le peuple dont le consentement était, il est vrai, dès le commencement de la monarchie, mentionné dans les lois, comme pour leur donner leur sacré caractère. Mais on voit les grands convoqués par lettres des rois, on n'en voit point pour convoquer le peuple. Le peuple en masse, c'était impossible : des représentants, des délégués, on les aurait signalés, il n'y a pas trace d'élections. Le plus souvent l'assemblée du printemps était le rendez-vous de l'armée, pour entrer en campagne. Les grands, comtes, évêques, abbés, étaient tenus d'y venir en armes, et d'y amener leurs hommes équipés avec cuirasses, casques, lances, boucliers, arcs à deux cordes et douze flèches[6]. A l'assemblée d'automne, ou apportait au roi les tributs déguisés sous la forme de dons volontaires. Le spectacle des assemblées, des pompes de la cour, de l'appareil militaire mettait en mouvement la population locale, et attirait les populations voisines. Voilà probablement ce qu'on appelait la multitude. Quoi qu'il en soit, elle ne faisait pas partie de l'assemblée, elle ne prenait aucune part aux affaires, elle n'était pas consultée. Quelquefois on publiait, en présence de cette multitude, les résolutions prises par le roi sur les délibérations de l'assemblée ; cela s'appelait l'annonciation. Si la multitude répondait par des acclamations, et c'était presque toujours le cas, on les considérait comme consentement du peuple et promesse d'obéissance. Cette formalité, bien qu'illusoire, prouve que la monarchie n'était pas absolue. Ainsi, plus tard, dans les circonstances les plus solennelles, telles que le sacre des rois, la nef de l'église de Reims était occupée par le peuple, et l'archevêque lui demandait son consentement. Quant au régime intérieur de l'assemblée, on n'était plus au temps où les votes s'exprimaient par des murmures, ou en frappant sur les boucliers, en criant : Fiai, fiai ! ou bien : Nous sommes contents ! Us formes devaient s'être civilisées ; mais Hincmar n'en dit rien.

De ce que les grands qui composaient l'assemblée pouvaient se réunir dans des locaux séparés, laïques d'un côté, ecclésiastiques de l'autre, on a conclu qu'ils formaient les deux ordres du clergé et de la noblesse, et que le reste de la multitude était le troisième ou tiers état. On a appliqué à cette époque des idées et des formes d'un temps postérieur. Sous Charlemagne, les grands étaient sans doute une sorte d'aristocratie, mais non deux ordres constitués, comme on le vit ensuite. Du reste, l'assemblée nationale ne partageait pas avec le roi le pouvoir souverain. Le roi la convoquait, prenait l'initiative de ses travaux, recevait ses avis et décidait. L'assemblée rejetait-elle une proposition du roi ? Ce rejet paralysait-il l'action du pouvoir royal ? Il n'y en a pas d'exemple. Charlemagne admettant, dans l'exercice de sa puissance, le concours réel de l'assemblée nationale, son veto, un simple contrôle, c'est une hypothèse démentie par son caractère et l'histoire de son gouvernement. Cependant, dans les assemblées de Charlemagne, on ne peut méconnaitre une institution nationale qui remonte à l'origine de la monarchie, institution imparfaite, impuissante, illusoire, mais fondée sur un principe libéral, sur cette vérité éternelle que toute puissance dérive du peuple, et que son consentement est nécessaire pour donner aux actes de la royauté le caractère de loi. Que ce consentement soit formel ou présumé, que le peuple soit bien ou mal représenté, le principe n'est pas moins reconnu ; il est textuellement inscrit dans les lois, dans les capitulaires ; de bonne foi, ou par courtoisie, la royauté le proclame et lui rend hommage. Les grands réformateurs aiment à se donner un air de libéralité, et sentent le besoin d'associer le peuple à leurs œuvres. Ainsi procèdent Charlemagne et Napoléon. Celui-ci fonde ses institutions sur la souveraineté du peuple, organise des corps représentatifs, et n'exerce pas moins le pouvoir absolu ; sur une requête par laquelle on lui demande d'exempter les ecclésiastiques du service militaire, n'hésite pas à répondre qu'il ne possède pas seul le pouvoir législatif. En effet, il rassemble solennellement autour de lui les grands du royaume, dont la plupart sont ses officiers civils et militaires, les évêques et prélats dont les rois avaient enlevé l'élection au peuple. Il associe ces personnages d'élite à son gouvernement, à sa politique ; il relie par eux les diverses parties de son vaste empire. Cette réunion, il l'appelle le peuple, et, avec des formes plus ou moins gracieuses, dicte ses volontés pour qu'on les transmette aux provinces, et qu'on en assure l'exécution. Le despotisme de Charlemagne et celui de Napoléon étaient un despotisme éclairé, ayant pour but la constitution de la société et l'intérêt général. Voilà pourquoi ils restent grands dans les siècles. Charlemagne était en avant du sien ; Napoléon, sous plusieurs rapports, en arrière.

Outre les assemblées ordinaires que convoquait annuellement Charlemagne, il n'est pas douteux que, suivant le besoin, il en tenait d'extraordinaires. Si l'histoire ne les a pas toutes recueillies, pendant son règne de quarante-cinq ans, elle en cite du moins trente-cinq sous différentes dénominations. Il les tenait dans les divers lieux de son vaste empire, où l'amenaient la guerre et les affaires, principalement au delà de la Meuse et quelquefois du Rhin ; il n'y appelait donc pas tous les grands répandus sur l'immense territoire soumis à sa domination. Ces assemblées se composaient des grands qui suivaient la cour ou qui habitaient les provinces les plus voisines. Ces assemblées sont ainsi appelées : douze conventus generalis ; conventus generalis populi sui ; conventus publicus Francorum ; conventus cum primoribus et optimatibus Francorum ; cinq synodum ; quatre comities ; comities generales ; une concilium ; une concio ; une colloquium ; une placitum. Nous avons dit notre sentiment sur la composition tout aristocratique de ces assemblées. Dans celle de 788, tenue à Ingelbeim, et où fut condamné le roi Tassillon, se trouvaient pontifices, majores, minores sacerdotes, reguli, duces comices, prœfecti, cives oppidani[7]. Voilà bien les citoyens des villes, mais la citation est-elle exacte ? Dans ce cas, ce fait isolé ne serait-il pas une exception qui confirmerait la règle ?

Tacite dit des Germains : De minoribus principes consultant, de majoribus omnes. Ce procédé, d'une pratique facile dans des tribus peu nombreuses, on a voulu l'appliquer à la France, à une grande monarchie[8]. La différence est grande. On a partagé les affaires soumises aux assemblées nationales en causes majeures et causes mineures. Les assemblées réglaient seules et définitivement les causes mineures par des actes législatifs publiés sous le nom de capitulaires. Elles avaient aussi une juridiction contentieuse ; on y discutait les affaires des grands de l'État lorsqu'elles intéressaient l'ordre public. A l'égard des causes majeures, les formes étaient bien autrement solennelles. La loi était d'abord rédigée en simple projet et adressée aux gouverneurs des provinces ou comtés. Chaque comte assemblait les juges, les administrateurs, les notables de son comté, quelques-uns disent tous les hommes libres, leur exposait le projet, recueillait leurs suffrages et les portait à l'assemblée. Là les suffrages étaient calculés, et le projet faisait loi si la majorité des comtés l'adoptait ; autrement il était rejeté. Tout ce système est fondé sur le chapitre 19 du 3e capitulaire, de 803, où on dit : Ut populus interrogetur de capitulis quœ in lege noviter addita sunt, et postquam omnes consenderint, suscriptiones, vel manu firmationes suas in ipsis capitulis faciant.

Quant à la distinction des causes en majeures et en mineures, on ne la trouve nulle part établie, encore moins pratiquée, et elle est tout à fait arbitraire. Celle des lois et des capitulaires n'est pas mieux prouvée. Du passage même du capitulaire ci-dessus cité, il résulterait que c'est à des capitulaires additionnels à la loi qu'aurait été appliquée la solennité réservée aux lois. Dans ce passage, il est question d'interroger le peuple et du consentement de tous. Le peuple ! Tous I on sait quel sens avaient ces mots dans les actes des rois ; c'était une formule de chancellerie, rien de plus. Le consentement s'exprimait par signature ; alors qui donc savait écrire ? Les prêtres, peu de nobles, du peuple presque personne. A-t-il jamais pu passer par la tête de Charlemagne de soumettre l'exercice du pouvoir législatif au consentement du peuple antérieurement ou postérieurement à l'assemblée nationale, composée uniquement des grands du royaume, et qui n'était elle-même que consultative ? on n'en rapporte pas un exemple. Cette supposition est démentie par le récit d'Hincmar. Il faut donc se défier de certains textes, et ne pas les prendre à la lettre, même quand ils seraient dans la loi salique, qui n'est pas l'Évangile.

Quelque restreint que soit le pouvoir des assemblées sous Charlemagne, elles n'en ont pas moins un caractère éminemment politique et vraiment national. C'est dans leur sein qu'assis sur son trône, il traite toutes les grandes affaires intérieures et extérieures. Il reçoit les princes et les rois ; arbitre de leurs différends et de leur sort, il les juge, les absout, les condamne. Il accueille, il envoie des ambassadeurs. Il fait la paix et la guerre. Il rend les lois civiles, ecclésiastiques, de police. Il distribue des couronnes à ses fils ou les associe à son empire. Il n'est pas une transaction importante, un grand acte de souveraineté, auquel il ne fasse concourir solennellement, et au grand jour de la publicité, les représentants de sa nation.

Sous le règne de Louis le Débonnaire, qui dura vingt-six ans, les assemblées nationales continuèrent. On en trouve vingt-cinq avec les mêmes noms, les mêmes éléments, les mêmes attributions que sous Charlemagne. La plupart sont appelées conventus. Le peuple n'y assiste pas ; mais, après les grands, il y est le plus souvent mentionné. Suivant les chroniques, le roi convoque l'assemblée générale du peuple, ou bien il tient un synode général de tout l'empire. Ces assemblées sont surtout remarquables, en ce que la royauté est traduite ou se présente elle-même à leur barre pour y être jugée ; en ce qu'elles font et défont les rois, et dispensent la couronne. Les débats de la famille, royale sont dégoûtants. L'ascendant et l'insolence du clergé sont intolérables. Nous ne les retracerons pas ; cela n'appartient pas à notre plan.

(819) Un capitulaire de ce roi ordonna que chaque comte amenât aux assemblées douze échevins — scabini, s'il y en avait douze, sinon qu'il complétât ce nombre avec les meilleurs hommes — meliores homines — de son comté. Dans cette innovation assez remarquable, on a vu une sorte de représentation du peuple, un germe du tiers état : cette conclusion parait exagérée. Les bons hommes étaient tous les hommes libres qui avaient le droit d'assister au plaid du comte. Les échevins, tenus de s'y rendre, étaient de véritables juges nommés par le comte avec le consentement du peuple. Leur convocation à l'assemblée nationale, composée exclusivement des grands, y introduisait un élément nouveau et très-nombreux. En effet, dans une assemblée tenue au commencement du septième siècle, et où fut faite la loi des Allemands, il y avait soixante et douze comtes. Chacun d'eux devant amener douze échevins ou bons hommes, ils pouvaient se trouver au nombre de huit cent soixante-quatre. En leur présence, quelle figure auraient faite les grands ? Il n'y a pas de trace qu'un renfort aussi formidable ait été admis dans une assemblée et y ait eu le droit de suffrage. Pourquoi était-il donc appelé ? Peut-être pour augmenter l'éclat de la solennité, comme cette multitude dont parle Dincmar, et pour donner aux actes de la royauté un simulacre de consentement populaire ; car la formule de promulgation était : Le seigneur Louis, empereur, a publié ce capitulaire avec l'assentiment du peuple. Charlemagne avait en vain essayé de rattacher à lui les sujets et les vassaux. Peut-être Louis le Débonnaire voulait-il du moins, par la montre de cet élément populaire, contenir les grands qui tendaient sans cesse à se rendre indépendants de la couronne, du pouvoir central. Mais le génie et le bras vigoureux de Charlemagne n'étaient plus là pour maintenir l'unité du gouvernement et de l'empire.

(843-877) Sous Charles le Chauve, qui régna trente-cinq ans, il y eut, suivant Boulainvilliers, quarante-six assemblées. On en trouve vingt-cinq sous les noms de plaid général, comices, concile. Comme sous ses prédécesseurs, les chroniques mentionnent à ces assemblées le peuple ainsi que les grands (851). D'après un des capitulaires de ce roi, on a cru à l'omnipotence de ces assemblées, et qu'il ne pouvait refuser sa sanction à ce qui y était proposé et décidé. Leur régime aurait donc bien changé depuis Charlemagne, sous lequel elles n'avaient que voix consultative. Il est vrai que, dans l'état de faiblesse et d'avilissement où la royauté était tombée, elle était obligée de subir la loi des grands, des leudes, et surtout des évêques et prélats qui composaient les assemblées. Quoique le peuple y fût nommé, il n'y était pas représenté ; moins que jamais, on s'y occupait de ses intérêts, des intérêts généraux. C'était comme un champ de bataille où éclataient les discordes entre les grands laïques et les grands ecclésiastiques, entre eux et le monarque ; où le pouvoir central était au pillage ; où les grands, les prêtres surtout, et le pape, disposaient à leur gré de la couronne. Ils arrachèrent à la royauté, le clergé les plus excessives immunités, les grands laïques une sorte d'hérédité de leurs offices. La dissolution qui commença après la mort de Charlemagne, sous Charles le Chauve, fut à son comble. Aux guerres de princes, de peuples, déchirant à l'envi le vaste empire d'Occident, étaient venues se joindre les invasions des Normands. L'ancien territoire gaulois fut lui-même divisé, et le royaume de France fut renfermé dans d'étroites limites. Ce fut l'époque de la plus complète anarchie, de la plus épouvantable confusion. Il n'y avait plus d'autre droit que celui du plus fort. La race carlovingienne était sur son déclin, et, comme la race mérovingienne, présentait, à peu d'exceptions près, le spectacle dégoûtant de rois inhabiles, ou qui déshonoraient le trône. Sous le règne d'une douzaine de ces pauvres ou indignes monarques, pendant plus d'un siècle, il n'y eut plus d'assemblées nationales. Il n'y avait ni nation ni royaume. Le travail qui, depuis cinq siècles, s'opérait dans la société, approchait de son terme ; il se compléta en même temps que le dixième siècle. La France fut couverte de fiefs et d'arrière-fiefs, de seigneurs suzerains et de seigneurs relevants, de grands et de petits vassaux, tous armés dans des châteaux forts pour maîtriser les sujets et se faire la guerre entre eux. Ducs, comtes, vicomtes, prévôts, tous les dignitaires et officiers royaux, dans le principe révocables ou à vie, se trouvèrent changés eu propriétaires souverains des pays où ils exerçaient leurs fonctions. Le régime féodal s'éleva sur l'abaissement du pouvoir royal, sur la ruine de l'unité nationale. Par quelles causes, par quels moyens s'opéra cette révolution ? fut-elle la conséquence d'un système imaginé par des rois, et qu'on fait remonter à Charlemagne, de la faiblesse et de l'impuissance de certains monarques, de l'ambition fort naturelle des grands, favorisée par les divisions intestines et les guerres ? Il y eut de tout cela dans le régime féodal. Doit-on en conclure que ce fut une institution légale, constitutionnelle, ou bien une violente usurpation ? Nous n'examinons point le droit ; nous nous en tenons au fait nous ne voyons que le résultat. Battus sur la question de l'asservissement général des Gallo-Romains lors de la conquête, les nobles, héritiers présomptueux des Francs, ont vu dans la féodalité la confirmation de cet asservissement. Si, suivant l'abbé Dubos, le peuple gaulois fut alors réellement conquis, ce ne fut pas un départ tranché et rigoureux des deux races, mi triomphe complet de l'une sur l'autre. Tout seigneur n'était pas Franc, ni tout vilain Gaulois. Pendant cinq siècles, les deux races s'étaient mêlées. Tout s'était déplacé, altéré, confondu, les conditions des individus et des peuples. La propriété ayant envahi la souveraineté, il y eut des seigneurs et des vassaux, des hommes libres, demi-libres, et des serfs de toute origine. Il y eut. des alleux en dehors de la féodalité, et des cités conservant des franchises.

Le régime féodal rendait les assemblées politiques plus rares et moins nécessaires. Le motif d'utilité, pour lequel les rois les avaient convoquées, n'existait presque plus. Les seigneurs s'étaient arrogé, dans leurs domaines, les attributs de la royauté, le gouvernement, la justice, la paix, la guerre, la législation. Ils exerçaient tous les pouvoirs sans le concours de leurs sujets. Il n'y avait plus des seigneurs au roi que le faible lien de l'hommage. Sa suzeraineté sur plusieurs provinces, États véritablement souverains, n'était même que nominale. Les seigneuries étaient autant de petits États. L'unité civile et politique était rompue : la France ne formait plus corps de nation. Il n'y existait plus d'intérêts communs et généraux. Si le roi avait voulu rendre communes aux seigneurs les lois qu'il faisait pour ses domaines, ils s'y seraient refusés comme à une violation de leurs droits. Les capitulaires tombèrent en désuétude. Cependant, il restait un roi nominal pour le pouvoir, mais au moins le premier entre des suzerains, qui se prétendaient ses égaux ; roi de France, investi d'une dignité qui inspirait toujours quelque respect, et, à ce titre reconnu, par le peuple et les grands vassaux comme leur chef, et le représentant au dedans et au dehors des intérêts généraux. Des assemblées politiques furent encore convoquées, non plus périodiquement et à époques fixes, mais rarement et dans de grandes occasions. On a vu que, depuis longtemps, elles n'étaient composées que des grands, d'une élite. Après l'établissement du régime féodal, elles le furent à peu près des mêmes éléments, probablement encore moins nombreux, avec cette différence qu'alors cette élite était une aristocratie légalement constituée. Sous les derniers Carlovingiens (993-1013), le peu d'assemblées convoquées le sont sous ces divers noms : tous les grands... les princes du royaume... les grands de la Gaule[9]... les grands des Francs... l'assemblée des Francs[10]. Les échevins — scabini, les notables — meliores, boni homines, que, d'après le capitulaire de Louis le Débonnaire, les comtes devaient amener aux assemblées, ont disparu ; le peuple, quoiqu'il n'y eût figuré que de nom, est aussi rayé.

(987) Hugues Capet fonde la troisième race. Pour pallier son usurpation, on a dit qu'il avait été porté au trône par une assemblée nationale. Il est au contraire prouvé qu'il mit en déroute une réunion de grands qui s'était formée à Compiègne, probablement pour disposer de la couronne. Assisté de ses feudataires, il prit le titre de roi, se fit couronner à Noyon et sacrer à Reims. Pour consolider la couronne dans sa famille, il convoqua à Orléans une assemblée par laquelle il fit reconnaître pour son successeur son fils unique Robert (988), et l'associa à l'empire. Elle n'était composée en grande partie que de ses vassaux du duché de France.

Sous Hugues Capet et son fils Robert, il n'y eut presque pas d'assemblées politiques. Robert en tint une composée des archevêques, évêques et des grands — optimates — de France. Après les avoir consultés, il décida qu'il tiendrait cour solennelle — curiam solonnem — à Noël, à l'Épiphanie, à Pâques, à la Pentecôte. L'assemblée où fut prise cette décision avait par sa composition une sorte de caractère national. Cette cour solennelle qui devait être tenue quatre fois par an était purement judiciaire. On mentionne encore une assemblée où Robert fit couronner son fils Hugues (1017) que la mort empêcha de régner.

(1059) Henri Ier fit reconnaître et sacrer son fils Philippe Ier, en présence du duc d'Aquitaine, des comtes de Flandre et d'Anjou et de douze autres seigneurs. Les chevaliers et le peuple, tant les grands que les petits, donnèrent leur consentement, et s'écrièrent par trois fois : Nous le voulons, nous le louons, qu'il en soit ainsi !

Pendant le onzième siècle, il y a absence presque complète d'assemblées. Les rois faisaient leurs affaires avec leur conseil, leurs grands officiers du palais ou de la couronne ; on a des chartres de Henri Ier et de Philippe Ier souscrites simplement par le sénéchal, le grand maître, le connétable, le bouteiller, le chambrier, le chancelier.

Plusieurs circonstances et de grands événements, expliquent la longue lacune existant dans les assemblées. La conquête de l'Angleterre (1066) par Guillaume de Normandie à laquelle prirent part une partie des grands vassaux de France ; la première croisade (1096) prêchée par Pierre l'Ermite pour laquelle partit une multitude de seigneurs, de chevaliers, de moines, de gens de toutes les classes ; l'État d'abaissement où l'autorité royale était réduite par le régime féodal ; le caractère de Philippe Ier naturellement indolent et encore détrempé par l'excès des voluptés.

(1108) Louis VI, dit le Gros, lui succède. Son règne est signalé par un événement d'un résultat immense, la révolution communale.

Le vasselage germanique, système d'association de tous les hommes libres et de garantie mutuelle, est dégénéré en servage, c'est-à-dire en oppression du faible par le fort. La force, l'autorité, la superstition ont concouru à multiplier le nombre des serfs. Rien n'est plus misérable que leur condition. Le remède à leurs maux sort de leur excès. Il se produit sous trois formes : 1° l'affranchissement ; 2° la bourgeoisie ; 3° la commune.

L'affranchissement étant dans l'esprit de l'Évangile qui établissait la fraternité, on l'attribue au christianisme et au clergé. Il ne fut d'abord qu'un acte isolé, émané du seigneur laïque ou ecclésiastique, le plus souvent par intérêt et à prix d'argent ou comme récompense de services. Dès 814 un diplôme de Louis le Débonnaire distingue trois classes d'hommes, libres, affranchis et serfs. La loi féodale mit des entraves à l'affranchissement. Un document de la fin du dixième siècle donne une idée de l'influence qu'exerçait la loi religieuse. Un évêque de Poitiers affranchit en toute liberté le nommé Durand, son serf — servum, et cela par la crainte de Dieu et pour obtenir son pardon au jugement dernier. Au treizième siècle l'affranchissement devint une loi générale. Ce fut moins l'œuvre de la religion et du clergé, que celle de la royauté et une mesure politique.

La bourgeoisie est un premier pas vers la commune. Les villages s'appelaient bourgs. Ce nom n'est plus donné ensuite qu'aux lieux fermés de murs, et celui de bourgeois à leurs habitants, lorsque ces lieux s'élèvent au titre de ville. La bourgeoisie a diverses acceptions, elle signifie la collection des bourgeois, leur territoire, la redevance annuelle, prix des privilèges à eux concédés. L'origine, les progrès, les caractères, les effets de la bourgeoisie et ses variétés ayant beaucoup d'analogie avec la commune et en étant comme l'introduction, nous ne les retracerons pas.

La révolution communale n'émancipe pas le peuple, mais elle-ouvre une large voie à son émancipation ; elle embrasse les affranchissements, les abonnements de redevances féodales, les concessions ou confirmations de coutumes, les droits de bourgeoisie, et la juridiction. Les amis de la liberté ont attribué tout le mérite de cette révolution à Louis le Gros ; les partisans de la féodalité lui en ont fait un crime. Ce roi est resté pour cela très-populaire dans l'histoire. Le 4 juin 1811, Louis XVIII disait, dans le préambule de sa charte : C'est ainsi que les communes ont dû leur affranchissement à Louis le Gros, la confirmation et l'extension de leurs droits à saint Louis et à Philippe le Bel. Les louangeurs et les détracteurs sont également tombés dans l'excès, et ont méconnu des causes indépendante ; de la volonté royale. Au milieu des perturbations auxquelles pendant cinq siècles avait été livrée la société, il s'était opéré dans sort sein un double travail. Tandis que progressivement le régime féodal s'accomplissait, la masse de la nation n'était pas restée inerte. Les seigneurs s'adonnaient aux jouissances, aux plaisirs, et ne sortaient de leur oisiveté que pour la guerre et le brigandage. C'était leur-métier, ils le regardaient comme leur droit. Le peuple travaillait, cultivait la terre, pratiquait les arts et métiers, l'industrie, le commerce, les professions libérales. Ses facultés physiques et intellectuelles se développaient par le labeur. Il en recueillait, il en accumulait les produits, il acquérait de l'aisance, du bien-être, de la richesse. La population augmentait et s'agglomérait ; il s'élevait des villages, des bourgs, des villes. Malgré la dureté de leur condition, les habitants de la campagne n'étaient pourtant pas tous esclaves, ni appartenant corps et biens à leurs maîtres. Il y avait la nombreuse classe des colons. Dans les villes il y avait en dehors de la hiérarchie féodale des roturiers entièrement libres, les boni, les meliores homines, les légistes, les artisans, les industriels. Ainsi se trouvaient en présence, bien dessinés, pouvant se compter et se mesurer, d'un côté les seigneurs, les oppresseurs avec leur despotisme vexatoire et insolent, de l'autre la masse nationale, les opprimés portant au fond du cœur la haine et l'ardeur de la vengeance.

Cependant le régime féodal a eu ses admirateurs, ses enthousiastes, ses fanatiques ; un écrivain moderne[11] l'a ainsi caractérisé : Au dixième siècle seulement, les rapports et les pouvoirs sociaux acquirent quelque fixité ; le pays appartint enfin à un système qui eut son unité, ses règles, son cours, un nom propre et une histoire. Ce s3stème n'a point été sans force et sans éclat. De grandes choses et de grands hommes, la chevalerie, les croisades, la naissance des langues et des littératures populaires l'ont illustré. Les temps de son règne ont été, pour l'Europe moderne, ce que furent pour la Grèce les temps héroïques. De là datent presque toutes les familles dont le nom se lie aux événements nationaux, une foule de monuments religieux où les hommes se rassemblent encore. Là se rattachent des traditions, des souvenirs qui, aujourd'hui encore, se saisissent fortement de notre imagination.

La conquête avait été suivie d'une longue anarchie, le régime féodal en fut un dénouement, non la fin. S'élevant sur la ruine des institutions germaines et gallo-romaines, il est sous beaucoup de rapports une nouvelle barbarie. Ce système eut ses règles, sa constitution, mais basées sur l'abus de la force, l'usurpation, la violation de la loi chrétienne et le mépris de toute dignité humaine. Rien de fixe sous cette constitution, car elle porte en elle-même tous les genres d'instabilité et de troubles. C'est la guerre organisée de seigneur à seigneur et entre les seigneurs et le pouvoir central. C'est l'absence de toute sécurité et le brigandage permanent au sein de la société. C'est la volonté, le caprice de quelques hommes se jouant avec impudeur de l'existence de tout un peuple. Les grandes choses du temps de la féodalité ont coûté cher à l'humanité ; elles appartiennent à ce régime, comme celles du siècle de Louis XIV appartiennent au despotisme. D'ailleurs il y a des opprobres que les plus beaux monuments, fussent la Thèbes aux cent portes et les pyramides d'Égypte, ne peuvent effacer. En effet, suivant le même écrivain, qui compare les temps de la féodalité aux temps héroïques de la Grèce, son nom ne réveille dans l'esprit des peuples que des sentiments de crainte, d'aversion et de dégoût. Aucun temps, aucun système n'est demeuré aussi odieux à l'instinct public. Jamais le berceau d'une nation ne lui inspira une telle antipathie. A quelque époque de l'histoire qu'on remonte, on trouve partout le régime féodal considéré par la masse de la population comme un ennemi qu'il faut combattre et exterminer à tout prix. Il doit périr, il périra parce qu'il a contre lui les vices de sa constitution, le pouvoir royal et le peuple.

N'est-ce pas assez ? Cependant un autre instrument a concouru puissamment à sa ruine. Suivant l'école moderne, c'est le régime municipal qui avait persisté après la conquête. Que dans le Midi, où les traditions de ce régime avaient été conservées, elles aient facilité la révolution communale, cela est vraisemblable ; mais là et surtout dans le centre et dans le nord de la France, où ces traditions n'existaient pas, la révolution fut produite par l'excès d'oppression qui, pesant sur le peuple, réveilla en lui le sentiment de ses droits. Leur conquête fut le résultat d'un long travail.

Les villageois, les vilains, les serfs, formèrent des associations d'assurance mutuelle contre la violence et l'oppression ; elles s'appelaient ghilde. Un savant écrivain en a récemment donné l'histoire. La ghilde, véritable société secrète, ayant le caractère de conjuration, de conspiration, n'avait rien de commun avec le régime municipal, institution légale. Originaire de la Scandinavie, la ghilde s'étendit en Germanie ; les Francs l'apportèrent dans la Gaule. Le peuple conquis s'empara d'un instrument à l'usage du conquérant. La ghilde se maintint malgré les prohibitions des rois. C'est à son imitation qu'à la fin du dixième siècle (997) se forma la grande association des paysans de Normandie, poussés au désespoir par la tyrannie des seigneurs. Elle embrassait toutes les classes du peuple des campagnes et de plusieurs villes. Elle n'avait pas le nom de ghilde, elle portait celui de commune, qui devint si célèbre un siècle après. On sait quel fut le malheureux sort de ces paysans. Le souvenir n'en était pas effacé (1031) lorsque les paysans de la Bretagne se soulevèrent contre les seigneurs et éprouvèrent le même sort. Trente ans après la défaite des Bretons (1073), les Manceaux se révoltèrent, se lièrent par serment pour se soutenir, formèrent une commune, et succombèrent. Les guerres privées, la trêve de Dieu, la fédération de défense intérieure — communitas popularis, révélèrent aussi le travail intérieur d'une société tourmentée par les excès des pouvoirs et l'absence de garanties.

(1076) Le branle contre la féodalité fut donc donné par le peuple des campagnes qui était le plus opprimé. Le mouvement fut suivi dans les villes, d'abord à Cambray, sous le nom de commune, adopté quatre-vingts ans auparavant pas l'association des paysans de Normandie ; il se propagea, non sans peine, dans une douzaine d'autres villes. Entre les deux courants de la révolution communale, l'un parti du sud, l'autre du nord, M. Aug. Thierry trouve une région moyenne, Bourges, Tours et Angers, qui ne fut remuée que d'une manière faible et tardive. Cependant Orléans fit une tentative qui, à la vérité, échoua pour un moment. La Bourgogne se distingua. Poitiers avait depuis longtemps des libertés et des droits lorsque la reine Éléonore lui concéda la commune jurée (1199). La Rochelle, Saint-Jean-d'Angély, Niort, eurent aussi leur charte de commune.

On est tombé dans d'étranges erreurs sur l'origine et les causes de la révolution communale. Par exemple, les seigneurs, pauvres gens ruinés par les croisades, furent obligés, pour réparer leur fortune, de vendre le droit de commune. A cette assertion, il n'y a qu'un mot à répondre.

La première croisade est de 1095 ; les paysans de Normandie s'étaient, dès 997, soulevés en commune ; Cambray avait conquis la sienne en 1076. La seconde croisade est de 1145 ; pendant la moitié du douzième siècle, plusieurs villes, douze du Nord, eurent leur commune. Lorsque la révolution communale éclata, la fortune des seigneurs n'était pas encore altérée par les dépenses des croisades. Non, cette révolution n'est point sortie des besoins, de l'esprit, du cœur des seigneurs et des rois. Elle a été, surtout la commune jurée, une résolution spontanée des habitants de secouer le joug de la féodalité. C'étaient pour les rois des conjurations, des conspirations ; dès la fin du huitième siècle, ils les interdirent comme des entreprises funestes, abominables. La confédération et le serment précédaient la concession, ce n'était le plus souvent que la confirmation du fait accompli. Le mouvement éclatait dans les propres domaines des rois autant que dans ceux des seigneurs, et attaquait également leur domination. Les uns et les autres cédèrent par prudence, par nécessité, et firent la part du feu pour que l'incendie ne les dévorât pas. C'était une de ces époques de rénovation où la voix du peuple est la voix de Dieu, où nul ne peut ou n'ose résister au cri de l'humanité souffrante, à un de ses besoins impérieux. Les rois eurent moins pour but de soulager le peuple que d'abaisser la puissance des seigneurs, des grands vassaux rivaux du pouvoir royal, de leur enlever leurs sujets, pour en faire des sujets de la couronne. Les chartes royales concèdent la commune aux habitants pour mieux défendre leurs droits, mais en nième temps ceux du roi et sous la réserve expresse de la fidélité. Mieux défendre ! contre quoi ? Les brigandages des seigneurs, qui n'épargnaient pas plus les domaines royaux que ceux des sujets. La révolution eut à subir bien des obstacles, elle fut chaudement disputée et accompagnée de désordres sanglants. Le droit de commune fut prohibé, concédé, retiré, modifié, dénaturé. Le combat fut long. Les rois et les seigneurs ne cédèrent qu'à des conditions très-onéreuses. Leur avidité était insatiable. Lorsqu'on croyait les avoir satisfaits par ries sommes d'argent, des redevances annuelles, d'énormes sacrifices, ils revenaient à la charge et rançonnaient les villes au mépris des chartes et de la foi jurée.

Malgré tous ces obstacles, la révolution communale continua son cours. Rien ne put l'arrêter, mais il ne fut pas aussi rapide qu'on parait le croire. Ce ne fut pas non plus une révolution faite sur un plan uniforme, coulé dans le même moule. Ses formes et ses résultats furent aussi variés que les intérêts, les mœurs, les besoins, les passions des localités. De Louis le Gros à Charles le Bel (1108-1338), pendant deux siècles et plus, on a deux cent trente-six actes du gouvernement royal sur cette matière ; on ne les a pas tous : il faut y ajouter ceux des seigneurs. Mais ces actes royaux ne concèdent pas tous le droit de commune. Beaucoup ne sont que des concessions de certains privilèges, droits, facultés, exemptions à des villes entières, à des quartiers, à des faubourgs, à des classes d'habitants. Quant au droit de commune, les rois et les seigneurs n'en étaient pas prodigues.

Après cinq siècles de vicissitudes subies par la royauté, le régime féodal semble lui avoir porté un coup fatal. Ainsi que le peuple, elle trouve, dans l'excès du mal, le remède à la dégradation et à l'impuissance dont elle avait été frappée. A dater de Louis le Gros, une réaction s'opère en faveur du pouvoir central. Ce roi la commence par les vassaux de ses domaines héréditaires. Il réprime leurs brigandages, s'empare de leurs châteaux, intervient dans leur gouvernement intérieur, en recevant l'appel de leurs sujets. Il se fait craindre et respecter des grands vassaux eux-mêmes, et se mêle de leurs guerres, de leurs traités. Il n'est pas douteux que la révolution communale ne soit un puissant auxiliaire de ces entreprises de la royauté. Mais elle s'en défie et ne lui lâche pas la bride ; elle veut affaiblir ses rivaux, sans trop émanciper le peuple et sans trop le mettre en jeu. Les assemblées nationales sont donc rares. Le règne de Louis VI en est à peu près vide. On ne peut donner ce nom aux conciles, très-puissants depuis Grégoire VIII, et où se traitaient des affaires importantes. C'étaient des assemblées représentatives de la fédération chrétienne. Sous le long règne de Louis V11, dit le Jeune, il y eut aussi très-peu d'assemblées politiques ; on y traita de l'ordonnance du royaume et de l'Église (1137). Les nations étaient alors jetées hors de leur sphère habituelle par les croisades, qui eurent une si grande influence sur leurs destinées. Noble, roturier, vilain, tous, à l'envi, abandonnaient famille, fortune, patrie, pour voler à la conquête de la terre sainte, et renonçaient aux biens de la terre dans l'espoir d'une petite place dans le ciel. Quel Français pensait encore à des droits, à des libertés ? S'il y avait des assemblées ou des réunions politiques, c'était pour échauffer le zèle, exciter l'enthousiasme, obtenir le sacrifice des biens, de la vie, et recruter de nombreux soldats, car la terre sainte dévorait ses conquérants.

Louis VII était assez porté par dévotion à la croisade. Il s'y décida surtout par un remords de sa conscience, sur laquelle pesaient horriblement le ravage de la Champagne et la mort de trois mille individus, qu'il fit brûler dans l'église de Vitry. Pour rendre la paix à l'ante bourrelée du roi, et laver la tache de ce sang innocent, ce n'était pas trop que d'envoyer des milliers de Français à la boucherie. A Vézelay, dans une assemblée d'archevêques, d'évêques, de prélats, et d'une grande quantité de barons, Louis VII s'enrôle pour la seconde croisade.

(1147) Avant de partir pour la terre sainte, sur l'avis d'une assemblée tenue à hampes, il laisse la régence du royaume à Raoul, comte de Vermandois, et à Suger, abbé de Saint-Denis. Cette assemblée n'est composée que de grands ecclésiastiques et laïques. Villaret dit qu'on y voit les gens des bonnes villes. Les historiens sont d'accord que ce ne fut que sous Louis IX (1240).

Cette croisade a, pour la France, des conséquences bien plus funestes que la dépopulation, le divorce du roi avec sa femme Aliénor, qui épouse ensuite Henri, fils de Geoffroy Plantagenet, et lui apporte en dot la Guienne et le Poitou. De là, les longues guerres qui divisent la France et l'Angleterre, et allument entre les deux nations une rivalité que des siècles n'ont pas effacée. La dissolution de ce mariage, si fatale, est prononcée par un concile à Beaugency. Louis VII voulut avoir aussi, dit-on, le consentement des grands de la France — Francorum proceres. On n'a pas de détails sur cette assemblée. Louis VII intervint dans les différends des seigneurs avec Ictus sujets. Tantôt favorable, tantôt contraire à la révolution communale chez les autres, il l'empêcha toujours chez lui.

(1179) Quelques mois avant sa mort, usant de la même prévoyance que la plupart de ses prédécesseurs, Louis VII fait couronner son fils, Philippe II, Auguste, âgé de quatorze ans, dans une assemblée — concilium — où se trouvent les princes et tous les barons de France ; ils expriment leur approbation en criant : Nous acceptons, nous consentons, nous voulons.

Jusque-là les grands du royaume, composant les assemblées nationales, étaient désignés par plusieurs noms latins qui exprimaient une suprématie. Maintenant on les y voit figurer sous le nom de barons. Cette dénomination, du moins pour un assez long temps, si elle n'efface pas toutes les autres, les remplace souvent. Qu'étaient ces barons ? Suivant Saint-Simon, c'étaient des vassaux des domaines de la couronne, que les rois appelèrent pour affaiblir ou balancer l'influence des grands vassaux qui entraient de droit dans les assemblées. Boulainvilliers attribue cette innovation à Hugues Capet. Il parait, et nous l'avons répété, qu'en effet, assisté de ses vassaux du duché de France, il prit la couronne, et fit ensuite reconnaître son fils Robert pour son successeur. Mais ces vassaux sont désignés par les noms latins usités, et non par celui de barons. L'historien de la Conquête de l'Angleterre par les Normands dit que, dès le neuvième siècle, on désignait par le nom de baron, emprunté à la langue de la conquête, tout possesseur de terres habitant au milieu de vassaux, de même que, par une sorte d'opposition, on appelait vilains ou manants ceux qui, n'ayant pas de manoir seigneurial, habitaient les villes, bourgs et hameaux. De ces vilains, les uns étaient libres, les autres serfs de la glèbe. Dans des remontrances des évêques à Charles le Chauve (806), il est déjà parlé du conseil des sages barons. D'un autre coté, d'après la loi des Allemands, le soufflet donné à un baron n'est pas puni plus que celui donné à une servante. Dans le Midi, les bourgeois étaient nommés bons hommes, gentilshommes, barons. Le poème sur la guerre des Albigeois donne continuellement le nom de barons aux bourgeois de Toulouse. Une charte de Louis VII appelle aussi barons les bourgeois de Bourges. En Picardie, la femme a longtemps appelé son mari men baron, pour mon homme. Il faut laisser le soin d'expliquer l'origine du baronnage aux Bouchard, surnommés Montmorency, reconnus pour les premiers barons chrétiens. Quoi qu'il en soit, lorsque les barons figurent sur la scène, on distingue les barons vassaux des domaines de la couronne et les hauts barons grands vassaux. Ceux-ci sont environ trente. il y a aussi des évêques barons, car le clergé a ses barons comme la noblesse, et en plus grand nombre. Quant aux pairs qu'on fait remonter à cette époque, c'est une erreur ; ils ne paraissent qu'un siècle plus tard.

A peine Philippe II est parvenu au trône, qu'on lui fait tenir à Mâcon une assemblée de barons pour décider les affaires de la Bourgogne — propter negotia terres Burgundiœ decidenda. A la suite d'une longue guerre (1180), il se fait céder les comtés de Vermandois, de Valois, d'Amiens. L'évêque de cette ville dont relevait le comté lui en demande l'hommage. Nous ne pouvons, ni ne devons, répond le roi, rendre hommage à personne.

Un grand événement vient consterner les chrétiens ; Saladin a pris Jérusalem. La troisième croisade est décidée (1188). Philippe et Henri, rois d'Angleterre, prennent la croix. Philippe convoque une assemblée — concilium, composée de princes, prélats, barons. On y ordonne que ceux qui ne se croiseront pas, ecclésiastiques ou laïques, excepté les chartreux, les bernardins et les maladreries, payeront, pendant la durée de la guerre, la dixième partie de leur revenu. Cet impôt est appelé dîme saladine. Des chroniques disent que le peuple consentit à l'impôt ; il ne fut pas consulté.

(1189). Le départ de Philippe est retardé par la guerre avec le Anglais La paix est conclue ; le roi Henri se reconnaît l'homme lige de Philippe à merci et à miséricorde, et lui cède le Berri. Les deux rois se disposent à partir pour la croisade. Il rassemble les barons ; de leur consentement — accepta licentia ab omnibus baronibus, la régence est donnée à sa mère, Adèle de Champagne, et à son oncle Guillaume, archevêque de Reims. Il fait son testament qui commence par cette profession de foi : C'est le devoir d'un roi de pourvoir à tous les besoins de ses sujets, et de préférer l'intérêt public à son intérêt personnel.

Après avoir perdu la plus grande partie de leurs armées, les rois de France et d'Angleterre quittent la Palestine. Philippe revient heureusement dans ses États ; Richard est arrêté et détenu par le duc d'Autriche. Comme suzerain, Philippe se trouve mêlé dans les débats et les guerres des Plantagenets pour leurs possessions en France, et en tire habilement avantage. Il a lui-même à lutter contre les prétentions à la domination universelle du pape Innocent III, digne héritier des principes de Grégoire VII. Il porte seul le poids du gouvernement. Seulement Innocent. III le menaçant de lancer un interdit sur le royaume, s'il ne faisait la paix avec le roi Jean, Philippe résiste et appelle à son aide ses grands vassaux (1203). Onze des plus puissants publient la lettre suivante : Je fais savoir à tous que j'ai conseillé au seigneur Philippe de ne faire ni paix ni trêve avec le roi d'Angleterre, par l'ordre ou l'exhortation du seigneur pape ; que si le pape entreprenait de faire à ce sujet aucune violence au roi, j'ai promis à celui-ci, comme à mon seigneur lige, que je viendrai à son secours de tout mon pouvoir, et que je ne ferai de paix avec le seigneur pape que par l'entremise du seigneur roi. Étonné d'un langage aussi nouveau, Innocent recule.

Pendant plusieurs années, on ne trouve qu'une assemblée composée de ducs, comtes et plusieurs autres grands, où fut rendue une ordonnance sur les fiefs.

Presque toutes les possessions des Plantagenets ayant été soumises par Philippe, il fait citer le roi Jean, accusé du meurtre d'Arthur, son neveu, à comparaître à sa cour devant ses pairs. Il demande un sauf-conduit pour l'aller et le retour. Philippe ne veut l'accorder, pour le retour, que si Jean est absous. Il n'ose en courir les risques ; il est condamné par défaut, ses domaines sont confisqués.

Jean-sans-Terre se brouille avec Innocent III, au sujet de l'élection d'un archevêque de Cantorbéry. Le pape l'excommunie, et offre à Philippe la couronne d'Angleterre. Les barons anglais l'appellent (1213) ; il convoque à Soissons tous les grands du royaume — multitudo procerum ; ils s'engagent à l'assister de leurs biens et de leurs personnes. Philippe fait un grand armement. Alors le pape se retourne du côté de Jean. Le légat l'effraye et lui conseille, pour conserver sa couronne, d'en faire hommage au Saint-Siège. Jean se reconnaît vassal du pape, s'oblige à lui payer un tribut annuel de mille marcs d'argent, et reçoit son absolution. Le pape défend à Philippe d'attaquer un feudataire de saint Pierre. Bien qu'indigné, il juge prudent de ne pas braver l'autorité de l'Église, et porte la guerre en Flandre. Il l'a bientôt avec l'Angleterre et l'empereur, et triomphe dans la grande journée de Bouvines (1214).

Les barons anglais forcent le roi Jean à signer la grande charte de leurs libertés (1215). Il se ligue avec le pape qui la casse, et il fait la guerre aux barons. Ils offrent la couronne à Louis, fils de Philippe ; elle est acceptée. Le pape le menace d'excommunication (1216). Philippe convoque à Lyon une assemblée — colloquium — des grands — magnates — du royaume. Le légat s'y présente. On dit que Jean n'a pu l'aire hommage de son royaume au pape, sans le consentement des barons ; qu'ils ont le droit de s'y opposer, que c'est leur devoir. Les assistants s'écrient unanimement qu'ils défendront cette maxime jusqu'à la mort. Philippe paraît hésiter et abandonner son fils. Je suis, dit Louis, votre homme lige pour les terres que vous m'avez données en France ; mais il ne vous appartient pas de décider du fait du royaume d'Angleterre ; si vous le faites, je nie pourvoirai devant mes pairs. C'était une réponse concertée. Malgré les défenses du pape, Louis débarque en Angleterre, reçoit l'hommage des barons et jure leurs libertés. Sa royauté cessa à la mort de Jean, et fut de courte durée (1217).

Par l'établissement du régime féodal, les assemblées politiques ont perdu le caractère de nationalité qu'elles avaient eu auparavant, notamment sous Charlemagne. Depuis deux siècles, les rois n'exercent la souveraineté que dans les domaines de la couronne. Louis VI et Louis VII ont essayé de relever le trône de son abaissement. Philippe II continue sur une plus grande échelle. Sous lui, les domaines des grands vassaux sont envahis par la souveraineté royale. Il commence par leur adresser ses ordonnances ; leur mande et les requiert de les faire publier et exécuter. Requérir, ce n'est pas ordonner. On peut impunément ne pas déférer à la réquisition. Philippe appelle auprès de lui les grands vassaux, les principaux des barons ; il les consulte, et discute avec eux ; leurs noms, leur consentement sont mentionnés en tète de ses ordonnances ; il porte un coup mortel à leur souveraineté en les faisant participer à la sienne. Ils perdent de leur indépendance en prêtant main-forte à l'exécution de ses lois. Les rois étant maîtres d'appeler dans leurs conseils les seigneurs les plus dévoués à leur personne, cette pratique est très-favorable à l'unité de la France et à l'extension du pouvoir royal. Pendant son long règne, Philippe y travaille avec succès. C'est un roi qui a le sentiment de sa supériorité et des devoirs du trône ; il a une espèce de garde royale, et une cour qui n'est pas sans éclat ; il encourage les savants, et fait exécuter à Paris des travaux utiles.

Sous Louis VIII (1223), les assemblées sont fréquentes. Quant à leur caractère et à leur nom, les chroniques varient à l'infini et tombent en contradiction. Pour la première fois, elles donnent à quelques-unes de ces assemblées le nom de parlement, et même de parlement général.

On y fait un établissement sur les juifs, avec la volonté et l'assentiment des archevêques, évêques, comtes, barons et chevaliers du royaume de France.

(1224-1225) Deux assemblées solennelles — consilium — sont tenues à Paris. On y traite de beaucoup d'affaires du royaume — ibique multa regni negotia sunt tractata.

Philippe II n'avait pas pris part à la guerre d'extermination des Albigeois ; une nouvelle croisade est décidée contre eux, sous la conduite de Louis (1226) dans une assemblée par lui tenue, avec presque tous les évêques et barons du royaume — habito diligenti concilio cum omnibus fere episcopis et baronibus.

Il faut encore relever ici une confusion que font les chroniques et les écrivains, leurs copistes ; ils emploient indifféremment, pour nommer des assemblées, les mots consilium et consilium, quelquefois en parlant de la même. Il en résulte de fausses indications et de graves erreurs. Les deux termes ont une signification très-différente. Concile, concilium, est une très-grande réunion, telle que les conciles de l'Église, et se disait alors aussi des assemblées politiques. Conseil, consilium, est une réunion bornée, et exprimait celle où le roi présidait ses conseillers et s'éclairait de leurs avis. Sa cour judiciaire portait également le nom de curia ou consilium.

Louis fait comparaître un faux Baudouin, se prétendant comte de Flandre, à Péronne, où se tenait une assemblée composée des archevêques, évêques, barons de France, de Flandre, de Hainaut, et de peuples — cum plebibus. Le soi-disant Baudouin est renvoyé comme un imposteur, et retourne en Flandre où il finit par être pendu. La chronique de Lambert Petit appelle cette assemblée parlement. Certainement ce n'était pas une cour judiciaire. Sans attacher trop d'importance à la mention de peuples, elle mérite d'être remarquée.

Louis VIII meurt laissant un fils qui n'a pas douze ans. Une minorité est favorable aux prétentions des barons ; ils veulent en profiter pour réagir contre les progrès de la royauté. La reine, Blanche de Castille, prétend de son côté à la régence pendant la minorité de son luis. Elle se fonde sur la volonté exprimée par Louis VIII à son dernier moment, et sur son titre de mère ; elle argumente du droit, nullement applicable à ce cas, qu'ont les femmes au gouvernement des fiefs. Les barons opposent avec raison que le royaume est supérieur à tous les fiefs ; ils consentiraient pourtant à la régence de la reine, si on leur rendait tout ce qu'ils disent que la royauté a usurpé sur eux. Blanche tranche la question, convoque à Reims les archevêques, évêques, prélats et les grands — magnates ; fait sacrer son fils, et, sous le nom de Louis IX, prend, comme mère du roi, les rênes de l'État. Un seul grand, le duc de Bourgogne, assiste à cette cérémonie ; les autres forment une coalition, en apparence formidable ; nomment un roi, et font la guerre. Elle dure trois ans (1231) ; la royauté triomphe de la féodalité. Tous les seigneurs se soumettent à Louis IX.

Pendant ces troubles, le Languedoc relève la tête. La reine Blanche y envoie des troupes contre les Albigeois. Le Languedoc se soumet. Une partie de cette contrée est réunie à la couronne (1229), et forme les sénéchaussées de Beaucaire et de Carcassonne.

Louis IX, comme son père, rend des ordonnances avec l'assistance des barons. Une contre les hérétiques du Languedoc mentionne l'avis de nos grands et prud'hommes (1228). Les derniers sont probablement des légistes, des bourgeois (1230). Une autre, contre les juifs et les usuriers, est dite faite pour l'utilité de tout le royaume, de la volonté expresse du roi et du consentement de ses barons ; elle est signée de six grands vassaux. Philippe-Auguste avait essayé, par forme de réquisition, d'étendre à leurs domaines l'action de ses lois, Louis IX fait plus, il en ordonne l'exécution. Si quelques barons, porte son ordonnance, ne veulent pas l'observer, nous les y contraindrons ; nos autres barons seront tenus de nous y aider de bonne for, de tous leurs moyens.

Louis IX est religieux, pieux, sinon dévot ; il l'a prouvé en n'hésitant pas à poursuivre les hérétiques ; il en donnera les preuves les plus éclatantes. Mais une grande querelle existe entre l'empire et le sacerdoce. Le Saint-Siège aspire à la monarchie universelle ; Louis entend maintenir l'indépendance de la royauté. Grégoire IX excommunie l'empereur Frédéric, le déclare déchu, met sous l'interdit tous les pays qui lui donneront asile, et écrit au roi de France qu'il a choisi, pour être élevé au trône impérial, Robert, comte d'Artois, son frère. Louis IX convoque les barons ; ils expriment leur indignation dans une réponse où ils flétrissent l'audace du pape, qui, s'il réussissait à vaincre Frédéric par l'aide des Français, foulerait aux pieds tous les princes du monde. Son offre est unanimement rejetée (1239).

Décidément les dépositaires du pouvoir temporel ne peuvent plus supporter les usurpations, les projets ambitieux, les excès de pouvoir du clergé. Quelques années plus tard (1247), les barons, regardant la cause de l'empereur Frédéric comme leur étant commune, forment une ligue pour défendre leurs droits contre l'Église, publient un manifeste vigoureux et organisent leurs moyens de résistance. Le pape ordonne aux prélats de rester fermes, et excommunie les barons.

Bien que la royauté se fût fortifiée, le baronnage était loin de lui être entièrement soumis ; il l'avait prouvé en contestant à main armée la régence de la reine Blanche, et il avait parfois des velléités d'indépendance. Ainsi le comte de la Marche refuse de rendre hommage à Alphonse, comte de Poitou, frère du roi, et vient l'insulter dans son palais (1241). Louis IX va marcher pour en tirer vengeance. Auparavant il tient à Paris une assemblée des pairs de France, des barons, prélats et gens des bonnes villes. La guerre commence ; le comte dé la Marche et son allié le roi d'Angleterre sont vaincus à la bataille de Taillebourg. Cette assemblée offre deux innovations ; la phis remarquable est l'introduction des bonnes villes, de l'élément populaire ou roturier, dans la représentation nationale. On oppose le silence de quelques chroniques à cet égard ; il ne peut détruire l'autorité de celles qui en parlent. On sait que Louis IX s'aida des bonnes villes contre le baronnage encore très-puissant.

Après la victoire de Taillebourg, tous les seigneurs se soumettent. Le vainqueur allait marcher en Guienne ; il accorde une trêve au roi d'Angleterre (1243). Louis déclare aux barons qu'aucun serviteur ne pouvant avoir deux maîtres, ceux qui tiennent à la fois des fiefs de lui et de l'Anglais aient à opter (1244). Presque tous choisissent le roi de France. Cette sage mesure tourne au profit de la nationalité,

Un des moyens de la royauté, pour réduire la puissance des barons. est d'intervenir dans leur administration intérieure. Une ordonnance royale est rendue sur le bail et le rachat en Anjou, avec les barons de cette province, après les avoir entendus dans un conseil tenu à Orléans.

Le pape Innocent IV, forcé par l'empereur Frédéric de s'enfuir d'Italie, se réfugie en France. Louis IX a une entrevue avec lui à Cîteaux, et lui déclare qu'il le défendra autant que l'honneur le permettra ; mais qu'il ne peut le recevoir que si le conseil des grands, qu'aucun roi de France ne peut négliger, le lui permet.

Dans une maladie grave, Louis a fait vœu de prendre la croix. Les croisades avaient été si fatales à l'Europe, que l'enthousiasme s'était éteint, et le zèle religieux extrêmement refroidi. Innocent IV assemble à Lyon un concile (1245), et appelle encore les fidèles au secours de la terre sainte. Louis vent accomplir son vœu malgré les représentations de ses amis et les supplications de sa mère. Il tient une assemblée à Paris. Quand le roi se dévoue, personne ne peut reculer. Par honneur on se croise à l'envi : ses trois frères, les barons, les chevaliers, les évêques et nombre de vilains. Les préparatifs de l'expédition durent trois ans. Lorsqu'ils sont terminés, le roi laisse à sa mère le gouvernement du royaume ; il convoque à Paris les barons qui ne partent pas, et leur fait jurer qu'ils porteront foi et loyauté à ses enfants (1248), s'il lui arrive malheur an saint voyage d'outre-mer. On a exalté le dévouement pieux et chevaleresque du roi, et déploré ses malheurs. Tout ce qu'on peut dire, pour l'excuser d'avoir en pure perte consumé les forces de la France, et abandonné pendant six ans son royaume, c'est que l'héroïque folie à laquelle il paya tribut était celle de toute la chrétienté.

Ce qui est moins excusable, c'est le sacrifice des intérêts et de la grandeur de son pays que, par des motifs fort peu plausibles, Louis IX s'obstine à faire à l'Angleterre. Il offre à Henri III de lui rendre le duché de Normandie confisqué sur son père, Jean-sans-Terre, s'il veut s'armer pour la Palestine. Il envoie d'Afrique l'ordre de remettre cette province. Il y a en France un horrible murmure, résistance générale, soulèvement des grands, sur ce que, au mépris du principe professé par le roi et ses prédécesseurs, au sujet des prétentions des papes, il se permet un pareil acte, à lui seul, sans le consentement de tout le baronnage. Le roi recule devant le vœu national. Il veut faire la paix avec le roi d'Angleterre, le baronnage est d'avis contraire, le roi est encore obligé de céder. Plût à Dieu, mande-t-il au roi d'Angleterre, que les douze pairs de France et le baronnage y consentissent ! Nous serions amis à jamais. Si nous étions de pauvres particuliers, nous vivrions dans l'union la plus intime. Mais parce que nous sommes rois, nous sommes ennemis, l'obstination du baronnage s'opposant à ma volonté.

(1254) La mort de la reine Blanche ayant laissé, pour ainsi dire, la France sans pilote, Louis IX se décide à y revenir après six ans d'absence.

Il mine la puissance des barons, en les associant à son gouvernement, et en les consultant sur toutes les affaires importantes ; ils composent seuls les assemblées. Une seule fois, dans celle de 1241, le roi y a appelé un élément nouveau, les bonnes villes. On les voit reparaître dans l'administration d'intérêts locaux, en Languedoc, où sont établis des états provinciaux. Une ordonnance défend aux sénéchaux d'empêcher les habitants d'exporter leurs denrées. Si les circonstances exigent la prohibition, le sénéchal doit assembler un conseil non suspect où se trouveront quelques prélats, barons, chevaliers et habitants des bonnes villes, pour décider à la pluralité des voix. Velly voit dans l'assemblée de 1241 l'apparition du tiers état D. Vaissette, l'origine des états généraux. La conséquence est prématurée. Cependant la résolution des communes se faisait depuis plus de deux siècles. La situation du peuple s'améliorait sensiblement. Le régime féodal était battu en brèche. C'est alors que les nobles vendaient des seigneuries pour en aller dissiper le prix à la croisade. Des roturiers, des colons devenaient acquéreurs et propriétaires de fiefs. Cette innovation se multipliait tellement, que Louis IX essaya de l'arrêter : il ne leur permit d'exercer la justice que sous son autorité.

Non-seulement il donne voix délibérative aux bourgeois dans des conseils, mais il les appelle auprès de lui pour rendre des ordonnances. Les monnaies sont toujours dans la confusion ; il y a encore quatre-vingts seigneurs qui battent monnaie et qui en font de fausse. Le roi fixe le titre de la sienne, et ordonne qu'elle aura cours dans tout le royaume, même dans les domaines des seigneurs, en concurrence avec la leur. L'ordonnance est rendue, non plus avec des évêques et des barons, mais avec douze jurés, des bourgeois, appelés de six villes différentes (1262).

Pour cimenter la paix avec Henri III et l'attirer à la croisade, Louis avait offert de lui restituer la Normandie ; l'opposition du baronnage, le cri de la France empêchèrent cette funeste transaction. Mais le roi avait des scrupules peu communs. Les agrandissements du royaume faits par lui et ses prédécesseurs, il les appréciait d'après les lois de la morale et de la justice ordinaires. Des conquêtes pesaient comme un remords sur la conscience de ce roi, digne en cela d'être sanctifié, mais mauvais politique. (1258) Il conclut un traité par lequel il rend au roi d'Angleterre, sous la condition de l'hommage lige, le Limousin, le Quercy, le Périgord, l'Agenois et une partie de la Saintonge ; il garde pleinement et en souveraineté la Normandie, la Touraine, l'Anjou, le Maine et le Poitou. Il termine ainsi une guerre qui dure depuis cinquante ans ; mais il en prépare une qui durera deux siècles. Le roi assemble les barons (1259) ; les provinces cédées veulent rester françaises les barons repoussent le traité. Le roi n'en tient compte et passe outre. C'est la première fois, disent les historiens, qu'il arrive à Louis IX de choquer la volonté de ses barons. Il choisit une occasion bien malheureuse. Ses motifs sont plus d'un bourgeois que d'un roi. lt avoue que les barons ont raison, que le roi d'Angleterre n'a aucun droit aux cessions qui lui sont faites. Mais, dit-il, nous sommes beaux-frères, nos enfants sont Cousins germains, j'ai un roi pour vassal. Henri est à présent mon homme. Ce n'est ni le premier le dernier exemple du sacrifice de l'intérêt national fait par les rois à l'intérêt ou à l'esprit de famille. Louis IX interdit les guerres privées et les combats judiciaires, d'abord dans ses domaines, ensuite dans tout le royaume. Enguerrand de Coucy fait pendre sans procès trois jeunes nobles, pour avoir chassé sur ses terres. Le roi le fait arrêter et traduire à sa cour. Il ne veut pas se soumettre à un jugement et offre de se défendre par bataille. Le roi répond : bataille n'est pas voie de droit. Coucy est condamné à de sévères réparations. Les barons crient qu'on attente à leur indépendance, à leur sûreté. Si j'étais roi, dit le châtelain de Noyon, je ferais pendre tous les barons ; le premier pas est fait, il n'en coûte pas plus. — Je ne fais pas pendre mes barons, répond le roi, mais je les châtie quand ils méfont.

Substituer l'empire du droit aux guerres privées, au combat judiciaire, ce n'est pas tout. Il faut des tribunaux, des juges pour appliquer le droit. On ne peut pas compter sur les justices seigneuriales ; d'ailleurs elles sont aux yeux des rois une usurpation. Sous Louis IX commence une révolution dans l'ordre judiciaire. Il établit quatre grands bailliages pour juger les appels des justices seigneuriales et les cas royaux. Les légistes, d'abord simples conseillers des juges nobles, finissent par les remplacer. C'est le triomphe de la robe sur l'épée, ou de la science et des formes sur l'ignorance et l'arbitraire. Les légistes ont aidé les rois à vaincre le fédéralisme féodal au profit de l'unité, c'est leur beau côté ; ils ont professé la royauté absolue et embrouillé les lois à force de subtilités, c'est leur mauvais. Rien de parfait.

Parmi les nombreux travaux de législation civile et criminelle de Louis IX, ses Établissements tiennent le premier rang (1270). D'après leur préambule, ils sont faits par grand conseil de sages hommes, de bons clercs, et confirmés par les barons ; sur un registre manuscrit de l'hôtel de ville d'Amiens, ils sont intitulés : Lois et établissements ordonnés et confirmés par les barons du royaume et les docteurs ès lois.

Louis IX voulait que la justice fût bonne et roide et n'épargnât pas plus le riche que le pauvre. Il envoie des enquesteurs dans les provinces. Dans une assemblée qu'on appelle conventus generalis, tenue à Paris pour une réforme de la justice (1255), il est statué que les juges prêteront serment publiquement, aux assises, devant tout le peuple, afin qu'ils soient retenus par la crainte de l'indignation divine et royale, et par la honte toujours inséparable du parjure.

Qu'est-ce que les bonnes villes ? Sans doute les villes royales. Soit qu'il crût la royauté assez forte pour n'avoir pas besoin des communes contre le baronnage, soit qu'il redoutât ces foyers d'indépendance locale, Louis IX ne leur fut pas favorable. Il ne créa qu'une commune, celle d'Aigues-Mortes ; il en abolit deux, celles de Reims et de Beauvais. Il déclara que toutes les villes communales étaient de son domaine direct.

Il donne la liberté à beaucoup de serfs de ses domaines. Les serfs, disait-il, appartiennent à Jésus-Christ autant qu'à nous, et dans un royaume chrétien nous ne devons pas oublier qu'ils sont nos frères.

Une loi contre les hérétiques est faite avec les grands et les sages — magnorum et prudentum concilio ; une ordonnance contre les juifs, avec le commun conseil des barons — communi consilio baronum ; une contre les blasphémateurs dans le parlement de l'Assomption avec l'assentiment des barons — assensu baronum nostrorum.

La papauté a usé et abusé de l'alliance de l'autel et du trône pour dominer la royauté. Rome s'attribue les revenus des bénéfices cri France, et pompe l'argent des fidèles. Bien que dévot et d'une intolérance cruelle, Louis IX n'a pas travaillé à s'élever au-dessus de l'aristocratie féodale pour se soumettre au chef de l'Église. Il est encouragé dans sa résistance par le sentiment de Sa dignité royale, le concours du clergé français dirigé par l'intérêt, des légistes ennemis de la monarchie pontificale. Le roi rend sa célèbre ordonnance (1269) dite pragmatique sanction, qui rétablit l'élection des bénéfices, et soumet au pouvoir civil les levées d'argent faites dans le royaume par la cour de Rome.

Pour la dévotion de Louis IX, et son zèle pour la terre sainte, ce n'était pas assez que cette croisade où il avait perdu son armée, sa liberté, et dissipé des trésors. Usé de vieillesse et de travaux, il veut encore courir les aventures, et, malgré tout le monde, se met à la tète d'une nouvelle croisade (la huitième), dans une assemblée de tout le royaume — convocato toto regni concilio. (1269) Avant de partir, il laisse le gouvernement à Matthieu, abbé de Saint-Denis, et à Simon, comte de Nesle, sans consulter, suivant la coutume, les barons. Le roi est encore plus malheureux que la première fois, et meurt sur les rivages de Tunis (25 août 1270). A son lit de mort, il donne des conseils à son fils, héritier du trône. Regarde avec diligence, dit-il, comment les gens vivent en paix dessous toi, par espécial ès bonnes villes et cités. Maintiens les franchises et libertés esquelles les anciens les ont gardées. Plus elles seront riches et puissantes, plus tes ennemis et adversaires douteront de t'assaillir et de mesprendre envers toi, espécialement tes pareils et tes barons. Paroles très-remarquables ! Le peuple, si longtemps déshérité, est compté pour quelque chose, pour beaucoup ; il est regardé comme l'appui de la royauté contre le baronnage, cette puissance que les rois avaient créée, pour l'opposer aux grands vassaux. La féodalité, minée par des divisions et par les rois, est sur la défensive. Le peuple est en marche et s'avance.

Philippe III, le Hardi, monte sur le trône. C'était un prince simple, faible, illettré, gouverné par un favori, Pierre de la Brosse, chirurgien de Louis IX, et que l'aristocratie fit pendre. La bravoure peu éclairée de Philippe ne servit qu'à l'entraîner à des guerres malheureuses. Pendant quinze ans qu'il règne (de 1270 à 1285), on ne trouve que deux assemblées ; une (1283) pour statuer sur la demande formée par le roi de Sicile touchant le comté de Poitou et les terres d'Auvergne, qu'il prétend lui avoir été léguées par Louis VIII, son père. Elle est composée de sept évêques, huit prélats, dix-neuf seigneurs ou grands officiers de la couronne, et de plusieurs autres laïques, clercs et baillis ; l'autre (1284) pour l'acceptation du don fait par le pape Martin IV à Charles, comte d'Alençon, fils puîné de Philippe III, des royaume d'Aragon et comté de Barcelone. H est dit accepté par les prélats et barons du royaume.

Depuis le commencement du onzième siècle et de la troisième race, pendant près de deux cents ans, on voit une continuation d'assemblées politiques ayant un caractère représentatif. Quelques-unes de ces assemblées s'appellent concile — concilium — ou colloque — colloquium —, vers la fin, très-peu parlement. On y voit figurer, ainsi que dans celles qui n'ont pas reçu de nom, la généralité des évêques et prélats, des grands et barons, ou bien un grand nombre ; dans l'une, il y a les peuples — plebes, dans une autre, les gens des bonnes villes. On voit aussi un corps politique, comprenant les seigneurs laïques et ecclésiastiques, dont Louis IX reconnaît le pouvoir, c'est le baronnage. Dans ces assemblées, les rois sont couronnés et fout reconnaître leurs successeurs. On délibère les croisades, on s'enrôle pour la terre sainte ; on règle le gouvernement du royaume pendant l'absence des rois qui se croisent. On établit des impôts pour les frais de la guerre ; on décide les affaires de la Bourgogne ; on rend des ordonnances sur les fiefs, sur les juifs ; on confisque les vastes possessions de Jean-sans-Terre ; on décide une croisade contre les Albigeois ; on traite en grand nombre les affaires du royaume.

Comme la noblesse, le parlement a eu ses fanatiques. Une cour de justice a prétendu qu'elle remontait à l'origine de la monarchie ; qu'elle avait un caractère représentatif, le droit de mettre son veto sur les actes de la royauté. Les parlementaires ont donné le nom de parlement aux champs de mars, aux champs de mai, aux assemblées politiques convoquées par les rois. Par une étrange confusion, beaucoup d'écrivains ont employé le même mot. Le parlement est devenu sédentaire, les assemblées politiques ont été tenues irrégulièrement, et ont cessé pendant de longs intervalles. Les parlementaires disent que le parlement les a remplacées, on plutôt qu'il n'a été sous ce nom que la continuation permanente de ces assemblées ; que les états généraux étaient une institution nouvelle datant seulement de Philippe le Bel, sans nulle autre existence ou pouvoir que ceux que voulaient bien lui donner les rois. Tout cet échafaudage, préconisé avec un air de naïveté par Estienne Pasquier, ne repose que sur une équivoque, pour ne pas dire une fausseté. Depuis la conquête des Francs jusqu'à Charlemagne, et longtemps après, aucune assemblée politique n'a porté le nom de parlement. Dans les actes publics et les chroniques contemporaines, on les appelle champ de mars, champ de mai, assemblée du peupleconventus, cœtus populi, plaid, plaid général — placitum, generale placitum, concile — concilium, synode — synodum, colloque — colloquium, comices généraux — comitii generales. Hincmar appelle les assemblées placita ; elles sont ainsi nommées dans les capitulaires. Le mot parlement est inconnu.

Outre les assemblées politiques traitant les affaires d'État, il y avait au sommet de l'ordre judicaire un tribunal suprême. Après les plaids du centenier, du comte, du duc, du patrice, venait le plaid ou palais du roi. Il y siégeait, disent les formules de la première race, pour entendre les causes de tous et terminer les justes jugements. Ces causes étaient les appels des plaids inférieurs, celles qui, vu la matière ou le rang des parties, excédaient leur compétence, celles qu'il plaisait au roi, en qualité de juge souverain, de retenir ou d'évoquer. Le plaid du roi était composé de deux éléments : l'un essentiel, les officiers de la couronne et les conseillers royaux ; l'autre accidentel, les grands laïques et ecclésiastiques placés sous la juridiction immédiate du roi. Il les convoquait en tel nombre, et les retenait tout le temps qu'il voulait ; leur présence n'était pas nécessaire. Les conseillers de la cour étaient aussi appelés docteurs en loi, scabins du palais, premiers sénateurs du palais et du royaume. Le comte du palais, le premier d'entre eux, présidait en l'absence du roi. Les séances ou audiences étaient fréquentes. D'après une lettre de Louis le Débonnaire, citée par Baluze, elles avaient lieu une fois par semaine. Ce tribunal s'appelait plaid — placitum, palais — palatium, cour du roi — curia, curiis. La plupart des historiens se sont permis de traduire tous ces noms comme ceux des assemblées politiques, par celui de parlement, et ont ainsi tout confondu. On n'est pas d'accord sur l'époque où ce nom de parlement commença réellement, dans les actes publics, a être donné à des assemblées, soit politiques, soit judiciaires ; on n'en trouve guère de trace avant le treizième siècle (1220).

Ces deux sortes d'assemblées sont trop distinctes pour qu'il soit permis de les confondre. Si la cour judiciaire du roi avait été la même chose que le champ de mars ou de mai, qui ne s'assemblait qu'une ou deux fois par an, ou encore moins souvent, est-ce qu'elle aurait suffi à l'expédition des procès ? Pendant les intervalles plus ou moins longs où, sous les deux premières races, ces assemblées ne furent pas tenues, le cours de la justice aurait donc été entièrement interrompu ? Cette monstruosité n'est pas admissible. Elle est contredite par une foule de documents qui prouvent l'activité incessante du plaid, du palais du roi. Les grands et plus rares rassemblements, formés de tous les grands laïques et ecclésiastiques, appelés assemblées du peuple. dont les actes sont dits faits avec le consentement du peuple, ont évidemment un autre caractère, une autre solennité qu'une cour judiciaire.

Dans la confusion où fut souvent la France sous les deux premières races, les juridictions ne pouvaient être ni rigoureusement définies, ni exactement contenues dans leurs limites. En principe, ou en fait, le roi était la source de toute justice, le premier, le grand juge du royaume. Les rois mérovingiens étaient des justiciers fort sauvages et très-expéditifs. On rapporte que Charlemagne jugeait en s'habillant. Quatre siècles après, Louis IX jugeait sous un chêne à Vincennes. Il est donc tout simple que, jusque sous la troisième race, les assemblées politiques, lorsque le roi s'y trouvait, aient exercé quelquefois des fonctions judiciaires dans de grandes causes qui intéressaient des princes, de puissants personnages, de hauts privilégiés. Cela s'est même perpétué. De nos jours, de grands corps politiques, sans perdre ce caractère, sont en même temps cours judiciaires. C'étaient des cas rares et exceptionnels. Pour tous les autres, la juridiction suprême appartenait à la cour du roi. Le noyau de cette cour judiciaire était permanent, et formait en outre le conseil royal. Elle était ambulatoire à la suite du roi ; il l'augmentait suivant le besoin. L'existence du plaid ou palais du roi est prouvée par la loi ripuaire, des formules de la première race, des capitulaires de Charlemagne, de Carloman, de Louis le Débonnaire, de Charles le Chauve, par des lettres de ces rois, par des écrivains contemporains, entre autres Hincmar, Aimoin, et par un grand nombre de diplômes. En même temps on trouve des assemblées politiques, composées des grands sous ces divers titres : primores, optimales, proceres, principes, fideles ; elles sont appelées conseil général du royaume — generale regni consilium —, convoqué pour avoir le consentement — consensus — de la nation. Lorsque le capitulaire, publié au synode de Pistis, consacra ce principe : Lex consensu populi fit et constitutione regis, il n'entendait pas que le peuple fût représenté par la cour du roi.

Les membres qui la composaient n'y siégeaient que par !a nomination royale. Le roi en arrêtait le rôle et les convoquait individuellement. Les assemblées nationales au contraire n'étaient pas formées par le roi. D'abord ceux qui en faisaient partie y entraient de droit, plus tard par les élections. Ils s'y rendaient sur l'annonce faite par le roi que l'assemblée était convoquée.

Jusque dans le treizième siècle, on voit fonctionner parallèlement deux institutions bien distinctes par leur dénomination, leur composition, leur compétence ; d'un côté une cour judiciaire statuant sur des intérêts privés, jugeant des procès ; de l'autre des assemblées représentant la nation, traitant des matières d'État, des intérêts généraux. La séparation des pouvoirs et les attributions du corps politique et de la cour judiciaire n'étaient pas tellement fixées, qu'il n'y eût quelquefois confusion. Cela dépendait de la volonté des rois. Cette confusion continua même jusqu'au commencement du quatorzième siècle que la cour du roi fut rendue sédentaire sous le nom de parlement. En conclure qu'il n'avait fait qu'un avec les assemblées nationales depuis l'origine de la monarchie, c'est un système insoutenable et contredit par les monuments historiques.

A la lueur de documents épars et incomplets, nous avons essayé de percer l'obscurité des temps jusqu'à 1254. A dater de cette année, on a une série de jugements de la cour du roi ou parlement. C'est, dit le président Hénault, Jean de Montluc, greffier, qui s'avisa le premier d'en recueillir et de les faire relier ensemble. C'étaient des copies, voilà pourquoi on les nomma regestum, registres, comme iterum gestum. Ces recueils, continués pendant soixante-trois ans, formèrent quatre volumes et s'appelèrent olim, ils existaient dans le dépôt du parlement. Ils n'avaient pas été établis par le pouvoir, ni dans le but de faire autorité ; c'était l'invention d'un particulier qui, pour sa satisfaction, voulait bien prendre cette peine. Presque tous les recueils de ces temps-là n'ont pas d'autre origine, et ont été commencés par des magistrats isolés. Dans la suite, on eut recours aux olim, faute d'autres documents, et ils acquirent une sorte d'authenticité. Les parlementaires prétendent y trouver la plus grande preuve de leur système, savoir, que, depuis la fin de la deuxième race, la cour du roi, qu'ils nomment parlement, fut à la fois cour suprême de justice, conseil royal et assemblée représentative, institution judiciaire et politique. Nous croyons avoir prouvé le contraire.

Voici maintenant comment, depuis 1254, fonctionne la cour judiciaire. Jusqu'en 1302, elle a, par an, au moins une session, et quelquefois quatre. Il y en a soixante-neuf pour ces quarante-cinq années ; trente-trois à Paris, une à Orléans, une à Melun, les autres sans mention de lieu. On en a conclu que le parlement était sédentaire avant Philippe le Bel, vers la fin du treizième siècle. Ce n'est qu'une question de date, et insignifiante.

Dans les olim, on trouve à chaque page cour, cour du roi, cour de France, cour des pairs, cour plénièreplena. A près avoir tenu conseil, la cour prononce. Il a été jugé par conseil de la cour. Il a plu au conseil des maîtres de la cour. Par le roi et son conseil. Le conseil du roi a voulu et ordonné. Enquête jugée par le conseil du roi. La cour s'est recordée — recordata — en ce parlement. Cour est le nom le plus généralement employé ; celui de parlement ne l'est que par exception.

Ses actes répondent au nom de cour judiciaire : elle rend des jugements, c'est sa principale affaire, sur toutes sortes de matières, entre toutes personnes, laïques, ecclésiastiques, même le roi pour les questions domaniales ; elle connaît des appels des juges inférieurs, soit royaux, soit seigneuriaux ; elle est cour des comptes, cour des aides, cour des monnaies. Quant aux affaires générales du royaume, à la confection des lois, aux matières politiques, on ne voit pas que la cour du roi s'en occupât ; les olim n'en contiennent pas de trace. Sa composition éprouva une modification très-importante. Ce fut plutôt une révolution dans l'ordre judiciaire, qui s'étendit peu à peu à toutes les fonctions civiles, et qui eut une grande influence sur toute l'économie sociale. Dans le principe, où l'on ne savait ni lire ni écrire, où l'instruction était peu répandue, où les transactions peu nombreuses étaient la plupart verbales, il était tout simple que les grands siégeassent exclusivement dans la cour du roi qui, le plus souvent, n'en savait pas plus qu'eux, et qu'à mesure que le régime féodal s'établit, les seigneurs rendissent eux-mêmes la justice dans leurs fiefs. Mais l'instruction se propagea, d'abord dans le clergé, parmi les moines, ce qui augmenta beaucoup leur crédit ; ensuite parmi les laïques, dans la roture. Les universités furent établies. Les affaires se multiplièrent, les lois aussi ; il fallut rédiger les actes par écrit, savoir les lois pour les appliquer. Ce fut un métier, une science ; ceux qui les professaient s'appelèrent clercs, juristes, légistes. Dotée, par privilège, de la plupart des avantages de l'état sociale, enorgueillie par les armes, instruments de force et de pouvoir, la noblesse ne sentit pas le besoin de l'instruction, ne suivit point ses progrès, la dédaigna, et se fit gloire de croupir dans l'ignorance. Lorsque les procès ne furent plus soumis aux hasards des épreuves par le fer et le feu, et qu'il ne suffit plus d'authentiquer un document par l'application sur le parchemin du pommeau de l'épée, ou de signer par une croix, les nobles eux-mêmes furent obligés, pour leurs affaires et celles de leurs justiciables, d'employer les cleres et les juristes. Les rois les appelèrent dans leurs conseils, dans les tribunaux. Louis IX, ainsi que nous l'avons dit, introduisit cette innovation. Dans la cour judiciaire du roi, à côté de pairs, de barons, d'évêques, de prélats, siègent donc désormais des chevaliers, (les baillis, des martres, des conseillers clercs et laïques, des bourgeois et des moines ; le tout en nombre assez limité. Dans les jugements où l'on relate les noms des principaux personnages, ils sont depuis sept ou huit jusqu'à vingt ou trente au plus. Le reste n'est mentionné que par une désignation en masse, plusieurs autres — plures alii. On cite comme la cour la plus nombreuse, celle où fut rendu, en 1290,  un jugement entre le comte de Flandre et le seigneur de Montaigu, où il y avait plus de soixante membres — sexaginta et plus.

Si la cour du roi, ou parlement, n'était pas appelée par les rois à délibérer, comme les assemblées politiques', sur les lois et les affaires d'État, du moins les lois lui étaient envoyées pour les enregistrer ; ce n'était pas une simple formalité. Cet enregistrement était nécessaire pour leur donner sanction et autorité. Il entraînait examen, vérification. La cour pouvait refuser l'enregistrement et avait le droit de remontrance. Ces prétentions se sont plus tard et en partie réalisées ; au treizième siècle elles n'avaient pas même été élevées. Suivant quelques écrivains, l'enregistrement des lois au parlement remonterait au règne de Louis IX. Il n'y en a aucune trace ; jusqu'à 1254, il n'existe point de registres ; les olim, qui ne remontent pas au delà, ne sont qu'un recueil de jugements. Les parlementaires ont une manière très-commode de trancher la question. La cour du roi, ou parlement, lorsqu'elle reçut ce nom, n'ayant été avec les assemblées politiques dès l'origine de la monarchie qu'une seule et même chose et concourant

la confection des lois, l'enregistrement n'était pas nécessaire ; il le devint et fut établi lorsque les rois ne firent plus les lois qu'avec leur conseil ; ce qui commença sous Philippe III (1270). Ce système pèche par sa base, puisque nous avons démontré que les assemblées politiques et la cour du roi étaient deux institutions très-distinctes. C'est une opinion commune, conforme à la raison et à la nature du pouvoir tel que le comprenaient les rois, qu'ils n'envoyèrent d'abord au parlement leurs édits et ordonnances que pour y être conservés comme dans un dépôt et y servir de règle aux jugements ; cela n'a pu même commencer que lorsque le parlement, d'ambulatoire qu'il était, devint sédentaire. On est d'accord que la première ordonnance enregistrée au parlement est celle de Philippe de Valois sur ses droits de régale, de septembre 1332, laquelle ne fut enregistrée qu'en 1334. Aucun édit sur les finances ne fut enregistré en cette cour jusqu'à François Ier. Ainsi tant qu'il n'y eut d'enregistrement, il ne put y avoir de vérification. Mais avec l'enregistrement, vinrent naturellement l'examen de la loi, avec l'examen la critique, avec la critique les remontrances. Cependant les premières remontrances du parlement ne furent faites que par exprès commandement de Louis XI, qui, mécontent du pape, voulut rendre publiques les extorsions de la cotir de Rome. Le parlement ne s'avisa pas d'en faire de son propre mouvement sous ce roi ; s'il en fit sous les deux règnes suivants, il en fut très-sobre.

Les rois, ne convoquant que rarement les états généraux, n'étaient pas fâchés de remplacer le consentement national par celui d'une cour suprême, permanente et à leur nomination. Le parlement ne demandait pas mieux que d'accepter ce rôle important. Mais si la royauté le lui déférait, c'était à condition qu'il ne la contrarierait pas. Aussi lorsque le parlement prenait son rôle trop au sérieux et refusait l'enregistrement, les rois changeaient-ils de langage. La prétention du parlement était formellement repoussée par les ordonnances de Moulins, de Blois, et de 1667. Elle recevait de rudes démentis dans les lits de justice, par les lettres de jussion, les enregistrements forcés. Voilà pour les lois civiles.

Quant aux matières d'État, l'intervention du parlement n'était pas reconnue par les rois. Ils ne l'admettaient que suivant les besoins de leur politique. On comprend qu'avec le refus d'enregistrement, le pouvoir souverain aurait passé de la royauté au parlement.

Voilà le vrai droit public de la France. Le parlement le respecta peu, se mêla de tout, fit du bien, fit du mal. De là les refus d'enregistrement, les remontrances, les suspensions de la justice, les injonctions, les exprès commandements, les conflits, les collisions, la guerre entre la royauté et les cours judiciaires ; enfin l'aveu fait par le parlement in extremis (1788) qu'il n'avait pas même le pouvoir d'enregistrer les édits bursaux, et qu'il n'appartenait qu'aux états généraux de voter les contributions.

Une question reste à vider, celle de la pairie.

Au milieu du onzième siècle (1146), dans les assemblées les grands sont appelés barons. Pendant un siècle, on trouve encore quelquefois les noms de magnates, proceres, mais celui de baron domine, et enfin liait le baronnage. Au commencement du treizième siècle, sous Louis IX, on voit, pour la première fois, les pairs du royaume. Cependant la pairie a la prétention de remonter plus haut : suivant Estienne Pasquier, à Hugues Capet ; suivant elle, à l'origine de la monarchie, au moins aux douze pairs que la poésie a donnés à Charlemagne. La pairie prétendait représenter les grands vassaux de la couronne, à ce titre entrer de droit aux assemblées nationales, en faire partie essentielle et nécessaire, y avoir le premier rang ; être copartageante de la puissance royale ; avoir le droit de siéger dans la cour du roi ; enfin concourir au gouvernement et à l'administration de la justice suprême. Tout ce qui siégeait avec elle, soit dans la cour du roi, soit dans les assemblées politiques, barons, prélats, députés des bonnes villes, n'y venait qu'appelé par le roi et de son bon plaisir. On ne contestera pas l'importance des grands vassaux de la couronne, ni qu'ils aient eu dans les assemblées politiques et judiciaires un rang conforme à l'étendue de leurs possessions et à leur puissance. Mais il n'est pas vrai qu'au nombre de douze, celui des pairs, ils aient eu les privilèges qu'ils s'attribuent sur les autres membres de ces assemblées, ni que ce titre de pairs signifiât qu'ils étaient presque les égaux du roi. Jusque vers la fin du douzième siècle, ces membres étaient tous désignés par des appellations générales de grands du royaume laïques, ecclésiastiques, ensuite par celle de barons. Le nom de pairs n'appartenait pas privativement aux grands vassaux, et n'était pas une qualification politique. Il tirait son origine du droit germain, d'après lequel tout homme libre ne pouvait être jugé que par ses pairs ; il n'avait qu'une signification judiciaire. Ce droit périt pour le peuple par l'établissement de la justice féodale, il ne subsista qu'au profit des seigneurs dans les divers degrés de l'échelle féodale. On voit une foule d'exemples où ils sont jugés par leurs pairs, c'est-à-dire leurs égaux. Jean-sans-Terre avait tué de ses propres mains Arthur, son neveu, comte de Bretagne. il fut condamné à mort dans la cour du roi de France, par jugement de ses pairs — parium suorum. Le pape, qui protégeait l'assassin, objecta que les barons qui l'avaient condamné étaient ses inférieurs et non ses pairs, la suprême autorité royale absorbant toutes dignités inférieures. On répondit que Jean-sans-Terre, quoiqu'il fût roi, était vassal du roi de France, et que les barons ses pairs avaient pu le condamner, qu'autrement il serait resté impuni. C'est dans le jugement de 1216 que, pour la première fois, on voit des pairs du royaume. Comment surgit cette distinction ? Il n'est pas facile de l'expliquer. Il y eut douze pairies : six laïques, les duchés de Bourgogne, de Normandie, de Guienne, les comtés de Toulouse, de Flandre, de Champagne ; six ecclésiastiques, trois sièges à titre de duchés : Reims, Laon et Langres ; trois à titre de comtés : Beauvais, Châlons et Noyon. Les six pairs laïques étaient les plus grands des vassaux. Leurs possessions environnaient le royaume, ils étaient bien placés pour le défendre. Mais il n'en était pas ainsi des six pairs ecclésiastiques, ils étaient bien loin d'égaler les laïques en territoire et en puissance. C'était une distinction conquise par l'Église, ou qui lui fut accordée pour l'ascendant qu'elle avait sur les peuples. Les douze pairs existaient si peu de toute ancienneté, que les évêques de Langres, qui en faisaient partie, ne devinrent propriétaires du comté de ce nom qu'en 1179. Après le jugement de 1216, il y a beaucoup de séances de la cour du roi et d'assemblées politiques, où les pairs ne sont pas même nommés. Ils suivirent le sort de la cour du roi, et continuèrent d'en faire partie, lorsque, sous le nom de parlement, elle devint sédentaire à Paris. Bien qu'ils y conservassent le premier rang et des prérogatives, ils ne furent plus, comme les autres membres, que des juges. La création des états généraux leur enleva tout caractère politique. S'ils y figurèrent comme pairs, ce fut dans le cortège du roi ; ils n'y siégèrent que comme députés de la noblesse. Lorsque les provinces qui formaient le patrimoine des six pairs laïques furent réunies à la couronne, ils disparurent. Les rois firent des pairs à volonté, on les compta par douzaines. La pairie ne fut plus qu'une distinction honorifique.

 

 

 



[1] Augustin Thierry.

[2] Generalitas universorum majorum, tam clericorum quam laicorum.

[3] Seniores propter consilium ordinandum minores propter consilium suscipiendum.

[4] Suivant les Origines de Claude Fauchet, majores signifie suzerain, minores les arrière-vassaux.

[5] Mably. Lezardière.

[6] Capitulaires de Charlemagne, 813.

[7] Sorberus.

[8] Henrion de Pansey.

[9] Cuncti proceres... principes... proceres Galliœ.

[10] Francorum proceres... Conventus Francorum.

[11] Guizot, Essai de civilisation.