MÉMOIRES SUR LA CONVENTION ET LE DIRECTOIRE

TOME SECOND. — LE DIRECTOIRE

 

CHAPITRE XV. — PROJET DE CODE CIVIL.

 

 

LA Convention avait voulu donner un code civil à la France : elle chargea son comité de législation de le rédiger. Il prépara son travail, et le lui soumit. Il occupa soixante séances : il fut attaqué. On dit qu'il sentait l'homme de palais, et on le renvoya à l'examen d'une commission de philosophes. Ils ne jugèrent point à propos de s'en occuper, et le travail en resta là. Cependant on en reconnaissait l'utilité, la nécessité même, et quelques membres s'en occupèrent en silence ; ils détachèrent les corollaires des règles, les conséquences des principes, et formèrent ainsi un code qui semblait écrit en style lapidaire. Il obtint d'abord l'assentiment unanime : on voulut l'adopter de confiance ; mais bientôt les réclamations arrivèrent de toutes parts. A force de le relire et de le méditer, on reconnut bientôt qu'il ne présentait qu'une sorte de table de matières, et on sentit la nécessité de remplir le cadre qu'elle offrait. Entraînée par la foule des affaires, la Convention ne put accomplir cette idée.

On voulut reprendre ce travail au Conseil des Cinq-Cents. Cambacérès et Merlin de Douai s'étaient partagé le sceptre de la législation civile à la Convention. Il resta à Cambacérès lorsque Merlin fut nommé ministre de la justice. Nos assemblées législatives étaient riches en jurisconsultes. Les lumières n'y manquaient donc pas ; il fallait seulement des temps plus tranquilles, et plus de calme dans les esprits. C'était même une grande difficulté, une difficulté presque insurmontable, que de faire un code civil avec deux Conseils législatifs où cinquante avocats voulaient dire leur mot sur chaque question, sans compter les orateurs qui n'y entendaient rien, et qui cependant se croyaient aussi obligés de ne pas laisser passer une si belle occasion de faire de l'éloquence. Il était à craindre qu'on ne détruisît l'ensemble d'un si grand édifice et l'harmonie qui devait régner dans toutes ses parties, et qu'on ne lui substituât un ouvrage. den marqueterie et rempli d'incohérences, Cambacérès, rapporteur du code civil, en avait fait l'exposé dans un discours préliminaire. Le 11 frimaire an V, le Conseil des Cinq-Cents prit un arrêté pour régler le mode de discussion. Le 9 pluviôse Cambacérès retraça sommairement la théorie du code, et soumit le titre de la paternité. Il en fut adopté trois articles. Ce fut le commencement et la fin. Aux jours et heures affectés à la discussion il se présentait toujours quelque objet plus urgent, qui obtenait la préférence sur le code ; le rapporteur était renvoyé au lendemain, et le lendemain il n'était pas plus heureux. Il finit par en prendre de l'humeur, et le 8 ventôse il déclara reconnaître lui-même que le Conseil était trop occupé pour suivre cette discussion, et il proposa une mesure dilatoire qui équivalait à un ajournement indéfini. On le prit au mot, et il ne fut plus question de code civil.