MÉMOIRES SUR LA CONVENTION ET LE DIRECTOIRE

TOME PREMIER. — LA CONVENTION

 

CHOIX DE MES OPINIONS, DISCOURS ET RAPPORTS PRONONCÉS A LA CONVENTION.

 

 

RAPPORT SUR LE MUSÉUM D'HISTOIRE NATURELLE ET LE JARDIN DES PLANTES.

21 FRIMAIRE AN III.

 

JE viens parler à la Convention nationale d'un grand établissement consacré par la république à l'étude de la nature. De tous les monuments élevés par la munificence des nations, aucun n'a jamais plus mérité l'attention des législateurs que le Muséum d'histoire naturelle.

Il ne fut destiné dans son origine qu'à la culture des plantes médicinales ; on y fonda des cours d'anatomie et de chirurgie pour le consacrer plus spécialement encore à l'étude de l'art de guérir. L'opinion presque générale, qui voulait alors que tous les végétaux fussent destinés par la nature à la guérison des maladies, entraînait toutes les recherches des savants vers l'examen de leurs propriétés : on institua un cours de chimie ; mais le grand mouvement que Tournefort avait imprimé à la botanique, fit diriger presque tous les efforts vers ce côté.

Ces trois sciences, longtemps les seules cultivées dans l'établissement, y furent professées par des hommes célèbres qui illustrèrent cette école. Quelle que fût son utilité, elle était cependant incomplète ; le despotisme en ayant plusieurs fois confié la direction à ses courtisans, il s'y introduisit des abus : il devint plutôt pour eux un objet de spéculation que d'instruction publique.

Tel était l'état du Jardin des Plantes, lorsque Buffon y parut au milieu d'une richesse immense de végétaux, qui semblait avoir repoussé jusque-là toute richesse étrangère. Il vit la botanique fort avancée, et presque toutes les autres sciences naturelles sans mouvement et sans vie. Il conçut le projet d'élever à la nature un monument plus vaste et plus digne d'elle. Aidé par les immenses travaux de Daubenton, il entreprit d'écrire sur les animaux ; il fit naître partout le goût de l'histoire naturelle, et profita de l'enthousiasme qu'il excitait pour appeler en quelque sorte toutes les productions de la nature dans le temple qu'il venait de lui dédier.

De tous les points du globe on lui adressa des animaux et des minéraux : ces présents qu'on s'empressait de lui envoyer, ces matériaux que la renommée demandait et obtenait pour ses travaux, formèrent tout-à-coup une collection qui devait bientôt ne le céder à aucune de celles qu'on admire dans diverses parties de l'Europe. Alors le cabinet d'histoire naturelle fut formé, l'ordre fut établi dans une foule d'objets auparavant épars. Daubenton en augmenta le prix par la disposition qu'il y établit : on construisit des salles ; les règnes eurent chacun leurs galeries particulières ; un arrangement aussi piquant par la variété des objets qu'utile par les rapprochements de formes et de structures fit rechercher le cabinet par les vrais amateurs de l'histoire naturelle autant que par les curieux.

Buffon, qui avait tant fait pour sa gloire dès les premières années de ses travaux sur l'histoire naturelle, contribua beaucoup à l'augmentation de cet établissement ; mais il ne put achever l'exécution du plan immense qu'il avait conçu.

Le Muséum était devenu, pour ainsi dire, l'entrepôt de plusieurs plantes et arbres rares qui se propagent dans toutes les parties de la 'république, parmi lesquelles on distingue le cèdre du Liban, le café qui, apporté d'Arabie et cultivé au Muséum au commencement de 1700, produisit deux individus transportés depuis à la Martinique où ils se multiplièrent et donnèrent naissance à cette branche de commerce colonial.

Le Muséum reçut des plantes, des légumes et des arbres rares et précieux du Canada[1] ; de la partie tempérée de l'Amérique[2] ; de la Louisiane[3] ; de la Chine[4] ; de la Sibérie[5] ; de la Palatine[6] ; de la Tartarie[7] ; de la Moscovie et de toutes les parties du monde.

Dans ces derniers temps il a été enrichi des plantes apportées de l'Afrique, du Chili, du Pérou, du mont Atlas et des États de Tunis et d'Alger. Celles de ces plantes qui ne nous sont pas parvenues vivantes, ou qui ne pouvaient pas soutenir le climat de la France, ont été décrites avec le plus grand soin. Ce travail va bientôt être offert à l'admiration des connaisseurs.

Un autre membre du Muséum continue sans relâche un ouvrage très-étendu sur toute la botanique.

Les professeurs se disposent à publier un journal d'histoire naturelle ; il répandra dans toute la république les expériences et les découvertes utiles au progrès des sciences et aux arts.

En un mot on a recueilli et planté au Muséum toutes les espèces d'arbres fruitiers depuis le groseillier jusqu'au noyer ; on y sème et on y récolte toutes- les plantes qui servent à la nourriture de l'homme, à celle des animaux, et aux arts.

Cette collection de plantes vivantes est composée de plus de six mille espèces différentes ; et l'on conserve dans les herbiers presque toutes les plantes connues au nombre de plus de vingt mille ; et afin d'assurer au moins la représentation exacte et l'image fidèle des divers objets d'histoire naturelle, dont on pourrait craindre la destruction au bout d'un très-long temps, on place chaque année de nouveaux dessins dans la précieuse collection d'animaux et de plantes peints sur vélin par les artistes les plus célèbres, depuis la création de cet établissement, et dont les figures forment déjà plus de cinquante volumes in-folio.

On fixe et on fait revivre par ce moyen des plantes qui fleurissent pour la première fois et meurent ensuite ; d'autres qui fleurissent par une haute température et par hasard en cinquante ou cent ans, comme l'espèce d'Agare qui a fleuri l'année dernière ; il en est de même des animaux rares qui ne font souvent que passer dans nos climats et dont plusieurs siècles ne voient quelquefois qu'un individu.

Un des hommes qui a présidé à la première formation du Muséum, malgré son grand âge et ses infirmités, s'est trouvé ranimé d'un zèle nouveau. Il continue à enseigner la minéralogie et à chercher' les moyens de perfectionner nos laines. Ce dernier objet mérite surtout l'attention du gouvernement puisqu'il pourra nous rendre' moins tributaires de l'étranger.

Tel était jusqu'à nos jours l'état du Muséum. Il approvisionnait les jardins des départements des graines dont ils ont besoin chaque année[8] ; il fournissait en outre des plants d'arbres étrangers ; des drageons de plantes vivaces ; des boutures et des greffes ; c'est ainsi que se sont multipliés des végétaux utiles ou agréables.

Cet établissement, ainsi formé, était cependant encore imparfait. Il était depuis près d'un siècle sans règlements fixes et sans lois. Les objets réunis dans le cabinet n'y étaient point la matière d'un cours spécial, et plusieurs parties de l'histoire naturelle manquaient de professeurs. L'immense variété des productions de la nature dont il était nécessaire d'exposer les rapports, la multitude des objets qu'il fallait faire connaître, exigeaient impérieusement qu'on augmentât beaucoup le nombre des leçons.

La Convention a senti la nécessité de faire entrer dans cette instruction l'étude de l'histoire naturelle, qui est une des bases des connaissances humaines et ennuie une introduction à plusieurs autres sciences.

Par son décret du 10 juin 1793, elle a ajouté au Jardin des Plantes une partie de ce qui lui manquait pour en faire un muséum. Le nombre des professeurs a été doublé. L'anatomie ne se borne plus à l'étude du corps humain ; elle s'étend à celle de toutes les classes d'animaux, depuis les quadrupèdes gigantesques et les monstres des eaux, jusqu'aux vers qui rampent sous l'herbe, jusqu'aux molécules animées qui nagent dans les liqueurs, et que leur petitesse dérobe à nos yeux. On examine non-seulement leur structure intérieure au moyen des dissections, mais encore les rapports de confirmation entre eux et avec l'homme, leurs caractères extérieure, leurs habitudes et leur utilité pour nos besoins.

La botanique, auparavant la plus favorisée dans l'établissement, l'est encore davantage dans la nouvelle institution et l'on y joint les leçons de culture, pour associer la pratique à la théorie, et former des cultivateurs qui ne soient plus uniquement conduits par une routine aveugle.

Aux leçons de la chimie générale qui est si vaste et à l'aide de laquelle on exposait, dans tous les détails et par de savantes expériences, la nature intime de tous les corps, leur composition les combinaisons qu'ils forment entre eux les altérations dont ils sont susceptibles, on a ajouté celles des arts chimiques qui sont d'un si grand avantage dans les manufactures, dans plusieurs grandes fabriques, et pour beaucoup de besoins usuels.

L'Angleterre seule avait offert pendant longtemps quelques parties éparses de cette science ; la fraude à la gloire d'avoir rassemblé tous les faits chintiques, en y en ajoutant un grand cambre, de les avoir liés par une théorie avouée par la nature, et d'avoir fait la langue de la science. Le laboratoire du Muséum ne répondait point à l'utilité de ce qu'on devait y enseigner ; on en a ordonné l'agrandissement ; les réparations sont presque terminées, et bientôt l'amphithéâtre sera digne des sciences qu'on doit y professer et des hommes qui y répandront les connaissances à la découverte desquelles ils ont tant contribué. C'est là que se sont faits les cours révolutionnaires pour l'extraction du salpêtre et la fabrication de là pondre.

On a ajouté aussi des leçons de minéralogie des leçons de géologie, destinées à propager les connaissances sur la formation et la structure du globe terrestre, Sur la situation et la direction de ses filons métalliques et de ses diverses couches.

Un professeur d'iconographie naturelle a été chargé de former des élèves dans l'art d'en peindre les objets.

Vous avez aussi fondé une bibliothèque au Muséum.

L'établissement des cours qui fournissent cinq cents leçons par an, offre l'ensemble le plus vaste et le .plus complet d'enseignement sur toutes les branches d'histoire naturelle dont le plus grand nombre manquait totalement à la France, et dont quelques-unes manquent encore à l'Europe ; l'application immédiate de toutes les sciences naturelles à l'agriculture, au commerce et aux arts I les cours ont été suivis avec beaucoup d'assiduité. La bibliothèque, ouverte maintenant tous les jours, renferme la plus grande partie des ouvrages écrits sur l'histoire naturelle et la riche collection de peintures de plantes et d'animaux, qui s'accroît par les travaux d'artistes choisis au concours ; et les étudiants peuvent y voir, ainsi que dans les herbiers, les plantes qui n'existent pas dans le jardin. On double maintenant, au moyen d'un étage supérieur, les galeries d'histoire naturelle pour y espacer les objets et mettre en évidence ceux que le défaut de local a forcé de reléguer dans les magasins.

Le décret du 10 juin porte que le Muséum fournira les graines et les plantes nécessaires au complément des jardins de botanique des départements.

Par un décret du 6 nivôse, la Convention a ordonné que les arbres, arbustes et plantes rares, soit indigènes, soit exotiques, qui se trouvent dans les jardins et terrains nationaux, situés à Paris et dans le département, seraient transférés au jardin national.

Par un décret du 16 germinal, la Convention a aussi ordonné que dans le courant des mois brumaire, frimaire, nivôse, pluviôse et ventôse, les arbres, arbustes et plantes existant dans la pépinière du Roule, seraient transportés au Muséum national et dans le terrain qui y serait annexé pour es conserver et multiplier.

Le même décret charge le citoyen Thouin de faire la recherche des arbres forestiers tirés des autres climats, existants dans les propriétés nationales de Paris 'et des environs, dans un rayon de trente lieues, qui peuvent être employés utilement à la plantation des montagnes, escarpements, rochers, landes et marais existants dans le territoire de la république, afin qu'il soit pourvu à leur conservation ; d'en faire récolter les graines et de les utiliser.

L'exécution de ces divers décrets nécessite dolic l'augmentation du Muséum d'histoire naturelle ; vous l'avez formellement annoncé par le décret du 16 germinal. Plusieurs autres circonstances exigeaient aussi cette augmentation.

La nation a recueilli beaucoup de richesses en histoire naturelle dans les cabinets et jardins des émigrés et condamnés.

Les commissaires envoyés dans la Belgique pour recueillir tous les objets de sciences et d'arts utiles au complément de nos collections nationales, tint aussi dans cette partie mis à profit les victoires des défenseurs de la patrie. Outre les livres et les tableaux, il y à eu une grande quantité de végétaux originaires de toutes les parties du monde qui manquaient à la collection nationale, envoyée au Muséum, et beaucoup de morceaux rares et précieux d'histoire naturelle, tels que minéraux, fossiles et pétrifications ; ces deux dernières classes sont d'une haute importance pour éclairer la physique du globe.

Les commissaires ont aussi recueilli les graines de plantes propres à la nourriture de l'homme ; ces plantes sont des variétés perfectionnées par la culture, et sont d'un plus grand produit que les nôtres ; ce n'est qu'un échantillon des récoltes qu'ils feront. Ils s'occupent en outre d'une foule d'observations utiles sur l'agriculture, et de faire dessiner les instruments les plus intéressants de cet art précieux, et des modèles de tout ce qui peut, étendre dans ce genre les limites de nos connaissances.

Les bâtiments et les terrains du Muséum, qui, même avant la révolution, étaient trop resserrés pour qu'on pût exposer aux veut du peuple les richesses qui y existaient reléguées dans des greniers, et pour faire des expériences en culture, se trouvent donc, à plus forte raison, insuffisants aujourd'hui.

Votre intention n'est pas plus sans doute de concentrer dans le Muséum d'histoire naturelle que dans k Muséum des arts, tout ce que la nation possède ; il y en aura une partie destinée aux Muséums à former dans les départements ; mais celui de Paris doit être le foyer d'où partiront toutes les lumières et tond les objets qui devront former et diriger les autres.

C'est pour seconder les intentions exprimées à cet égard par la Convention, que le comité de salut public, par son arrêté du 27 floréal, chargea Molinos, architecte, de lever le plan des terrains circonscrits entre le marché aux chevaux et la rue des Fossés-Bernard d'une part, et entre la Seine et la rue Victor de l'autre, et de présenter le devis approximatif des dépenses d'acquisition des. terrains et maisons qui se trouvent compris dans ces limites et qui n'appartiennent point à la nation.

Par un autre arrêté du . . . . . . . . . ., le comité de salut public ordonna que le local de la ci-devant abbaye Victor, et la maison et jardin appartenant au citoyen Léger, seraient réunis au Muséum national, en attendant qu'il fût pris un parti définitif sur les autres propriétés qui l'avoisinent.

Les plans et devis ont été faits ; Molinos, déjà avantageusement connu par la construction de la halle au blé, a donné un projet qui, s'il était exécuté, ferait du Muséum un monument au-dessus de tout ce que l'antiquité nous offre de plus magnifique ; mais le comité, après l'avoir examiné, a pensé qu'il ne pouvait être actuellement adopté dans toute son étendue, et qu'il était possible, sans se jeter dans une aussi grande dépense, de concilier à la fois l'augmentation nécessaire au Muséum et l'économie prescrite par les circonstances.

Le terrain qu'il faut y réunir se trouve enclavé avec le Muséum comme dans une enceinte naturelle, bornée au levant par la rivière de Seine et le quai ; au couchant' par la chaussée qui fait suite à la rue Victor ; au nord, par la rue de Seine ; au midi, par le boulevard de l'Hôpital et la rue Poliveau. Ce terrain est divisé en deux parties distinctes séparées par le Muséum lui-même ; l'une, à sa gauche, bornée par la rue de Seine et le quai, offre, des marais limitrophes du jardin, quelques chantiers de peu d'importance ayant ouverture sur la rue, et quelques maisons occupées, la plupart, par ceux qui exploitent ces chantiers. Deux bâtiments plus importants existent dans ce lieu : l'un est un vaste magasin de farine employé maintenant pour l'approvisionnement de Paris, et qui, étant national, peut, quoique enclavé dans le Muséum, conserver sa première destination, ou être affecté à toute autre, selon les besoins de la nation qui continuera toujours de l'avoir à sa disposition. L'autre est le bâtiment dit des Nouveaux-Convertis, auparavant national, formant une saillie très-forte sur la butte du Muséum, que sa position a toujours fait regarder comme devant y être compris quelque jour — et la réunion, déjà projetée par un comité de l'Assemblée constituante, a été sollicitée. à plusieurs reprises par les di.ers préposés à l'administration du Muséum —, et qui fut aliéné, il y a deux ans, par la municipalité de Paris.

La portion du terrain situé à droite du Muséum, n'en est séparée que par une rue nouvelle — de Buffon —, absolument inutile pour le service public, et facile à supprimer. Ce local offre sur ses bordures, principalement au couchant, quelques maisons, la plupart d'une mauvaise construction ; elles peuvent être aisément sacrifiées, à l'exception d'uu petit nombre qui, plus solides, serviraient pour logement d'employés, pour casernes de soldats vétérans chargés de la garde du Muséum, et pour supplément de magasins. Le reste du terrain est nu, occupé par des marais, des jardins fleuristes, et arrosé par la petite rivière de Bièvre qui le traverse dans toute sa longueur. Ce terrain est celui qui convient le plus pour une partie des pépinières et quelques parcs d'animaux. La rivière, dont on peut prolonger le cours par des contours agréablement dessinés, sera d'une grande utilité pour l'arrosage des plantations, surtout de celles qui exigent un terrain frais et humide, pour la formation de canaux et viviers, et, en général, pour abreuver les animaux ou assainir leurs demeures. Elle ajoutera beaucoup à la salubrité du jardin et à l'ornement de la promenade, lorsqu'on aura pris les précautions nécessaires pour rendre, ses eaux plus pures et plus abondantes. Il existe à ce sujet un travail de la ci-devant société de médecine, fait par ordre du département de Paris qui en avait senti la nécessité, pour prévenir les maladies pestilentielles qu'elle occasionne aux habitants de ce quartier.

L'agrandissement réduit aux limites proposées par votre comité qui s'est entouré de toutes les lumières pour les déterminer, donnera environ cent vingt arpents, et doublera l'étendue du Muséum. La dépense d'acquisition est évaluée par approximation, d'après le travail fait par les ordres du comité de salut public, à la somme de deux millions cinq cent mille livres.

Cette dépense peut effrayer les hommes qui méprisent les arts et les sciences ; mais tous ceux qui sont pénétrés de leur utilité et de leur influence sur la prospérité nationale, sentiront que la république s'en dédommagera amplement dans la suite par les expériences utiles à l'agriculture et aux arts qui se feront alors au Muséum.

Pour rendre l'acquisition moins onéreuse, on avait proposé de faire des échanges M'en lès propriétaires des terrains enclavés dans le plan d'agrandissement ; mais après avoir calculé les résultats de cette opération, vos comités ont pensé qu'elle serait préjudiciable ami intérêts de là république, et qu'il serait encore plus économique de payer les propriétés comptant.

Le terrain de la pépinière du Rome se trouvant libre lorsqu'on en aura enlevé les arbres, pourra être mis en vente, et couvrir les frais de l'augmentation du Muséum.

Quant aux grands plans de construction projetés, les comités ont senti que ce n'était pas le moment de les adopter ; on s'en occupera dans des temps phis propices ; mais l'acquisition des terrains est indispensable, si vous voulez réaliser l'exécution de vos décrets, et donner un exemple Matant de votre amour pour les arts utiles.

Ces terrains seront consacrés à rassembler tontes les espèces de culture qui sont établies, ou qui peuvent s'introduire dans la république.

La première partie présentera des modèles de culture de toutes les plantes céréales.

La seconde, des plantes propres à la nourriture des hommes dans tous les pays du monde, analogues à la température du nôtre.

La troisième réduira, sous un même point de vue, la culture des plantes dont on nourrit les animaux domestiques.

La quatrième, des vergers, des masses d'arbres finitions qu'on laissera croître dans toute leur étendue, et qui offriront les cultures de tous les végétaux dont les fruits fournissent des aliments, des liqueurs et des boissons à l'usage des amen.

La cinquième des massifs d'arbres indigènes et étrangers, plantés d'une manière pittoresque présentant des cultures aussi agréables qu'utiles, et qui feront connaître les progressions des croissances, la nature du terrain qui convient plus particulièrement à chaque espèce, et fourniront dans la suite matière à des expériences sur la force des bois, leur élasticité, leur durée et leur usage dans les arts.

Enfin la sixième partie présentera toutes les fleurs employées dans la décoration des jardins, ou qui peuvent être admises à cet usage. On pourra trouver alors au Muséum toutes les espèces de jardins réunies.

La botanique est sans doute une' des branches les plus étendues de l'histoire naturelle ; mais il y en a plusieurs autres dont l'étude est très-utile. On peut en prendre les premières notions dans les cabinets ; mais on n'y acquerra jamais des connaissances complètes, parce qu'on n'y voit pas la nature vivante et agissante. Quelqu'apprêt que l'on donne aux cadavres des animaux ou à leurs dépouilles, ils ne sont plus qu'une faible représentation des animaux vivants. La peinture n'en retrace même qu'imparfaitement l'image. Quand on compare-les lions qui sont dans la plupart des tableaux, magnifique individu qui existe au Muséum, on voit que la plus grande partie des artistes, se copiant les uns les autres, n'ont pas Tendu la nature ; et que leurs imitations sont beaucoup au-dessous du modèle.

Le Muséum a recueilli des animaux envoyés par la municipalité de Paris, ceux de Versailles, du Raincy. Ils y sont très-mal logés. Le comité de salut public avait en conséquence ordonné à la commission des travaux publics, d'examiner avec les professeurs l'emplacement le plus commode pour y construire provisoirement une ménagerie propre à les recevoir ; elle est presque terminée.

Vous sentirez la nécessité de cet établissement au Muséum qui doit renfermer tout ce qui tient à l'histoire naturelle. Jusqu'à présent les plus belles ménageries n'étaient que des prisons où les animaux resserrés avaient la physionomie de la tristesse, perdaient une partie de leur robe, et restaient presque toujours dans des positions qui attestaient leur langueur.

Pour les rendre utiles à l'instruction publique, les ménageries doivent être construites de manière que les animaux, de quelque espèce qu'ils soient, jouissent de toute la liberté qui s'accorde avec la sûreté des spectateurs, afin qu'on puisse étudier leurs mœurs, leurs habitudes, leur intelligente, et jouir de leur fierté naturelle dans tout son développement.

Les animaux qui servaient pour les grands spectacles des anciens, conservaient toute la beauté des formes.

On atteindra ce but en pratiquant des parcs un peu étendus, environnés de terrasses. Les spectateurs suivront sans danger tous les mouvements des animaux : le peintre et le sculpteur feront alors facilement passer dans leurs ouvrages le caractère qui les distingue.

En rapprochant de nous toutes les productions de la nature, ne la rendons pas prisonnière. Un auteur a dit que nos cabinets en étaient le tombeau ; que tout dans pet établissement y prenne une nouvelle vie par vos soins, et que les animaux destinés aux jouissances et à l'instruction du peuple, ne portent pas sur leur front, comme dans les ménageries construites par le faste des rois, la flétrissure de l'esclavage ; qu'on puisse admirer la force majestueuse du lion, l'agilité de la panthère, et les élans de colère ou de plaisir dans tous les animaux.

Quant à ceux d'un caractère plus doux, ils pourront être placés dans des parcs un peu étendus, en partie ombragés par des arbres, et tapissés de verdure propre à les nourrir.

La zoologie est une partie de l'histoire naturelle si étendue et si intéressante, qu'elle exige l'établissement d'un troisième professeur.

Quelle que soit l'opinion de la Convention sur le projet que je viens de lui soumettre, il est nécessaire qu'elle prononce promptement ; la saison est déjà avancée, et les transplantations de plantes et d'arbres, ordonnées par les décrets de la Convention, ne pourraient point avoir lieu cette année, si elle retardait trop u décision. Les propriétaires des terrains et maisons compris dans le plan, ne peuvent pas rester plus longtemps dans l'incertitude. Il leur a été défendu' de faire aucune construction : il y en avait de commencées qui ont été abandonnées ; ils ne peuvent ni louer ni vendre ; et cette situation pénible, si elle était plus longtemps prolongée, compromettrait leur fortune.

Il est aussi un objet indépendant du plan d'agrandissement du Muséum que je suis chargé de vous soumettre, et sur lequel vous aurez à prononcer sans délai ; je veux parler des fonds nécessaires pour les dépenses courantes de l'établissement.

Le comité s'est fait représenter le devis de ces dépenses ; il a examiné et discuté avec soin chaque article fondé sur un décret ou une disposition du règlement adopté par le comité d'instruction publique. Les dépenses déjà décrétées pour l'année dernière S'élèvent à cent quinze mille livres, en y comprenant celles consacrées pour le complément des peintures de la grande collection, et pour les appointements des aides naturalistes.

Mais cette somme est évidemment insuffisante ; il faut une augmentation :

1° Pour l'entretien des serres nouvellement construites, de nouvelles écoles, de diverses collections réunies dans les galeries d'histoire naturelle ;

2° Pour les dépenses annuelles de divers cours, soit de ceux nouvellement institués, soit des anciens qui doivent être faits avec plus d'étendue ;

3° Pour les frais actuels de la ménagerie calculés d'après ceux qu'elle a occasionnés depuis le 10 brumaire de l'an II ;

4° Pour les appointements à affecter aux nouvelles places que nécessitent une augmentation de travaux, une bibliothèque publique, l'administration et la correspondance des professeurs ;

5° Pour l'augmentation des appointements des divers employés.

Le décret du 10 juin, en multipliant les travaux et créant de nouvelles places, n'a point fait les fonds nécessaires. Ces divers objets exigent une augmentation annuelle de la somme de soixante-quatorze mille deux cent quatre-vingt-neuf livres. Le comité a reconnu la justice et la nécessité de cette dépense, sur laquelle il ne peut être fait aucun retranchement, et qu'il est impossible d'ajourner sans compromettre le sort de cet établissement, et retarder d'une manière funeste la marche de l'instruction.

Nous faisons observer, à cet égard, à la Convention, qu'il n'y a que l'amour de la science et l'attachement invincible que contractent pour un établissement de ce genre ceux qui l'administrent et qui l'entretiennent, qui aient soutenu leurs efforts constants pour le conserver dans toute sa splendeur.

Des hommes qui travaillent toute l'année à la terre, n'ont que sept à huit cents livres. Les professeurs, parmi lesquels on compte, des hommes célèbres par de longs et d'utiles travaux, et qui ont honoré leur siècle, n'ont que deux mille huit cents livres de traitement. Daubenton, octogénaire et l'un des restaurateurs du Muséum d'histoire naturelle, ne reçoit de la nation que deux mille huit cents livres, tandis qu'il est une foule de commis ineptes qui consomment plus du double dans l'oisiveté.

Le comité d'instruction publique a pensé que le traitement des professeurs devait être de cinq mille livres, celui des finances a opiné pour quatre mille livres ; c'est à la Convention à prononcer.

Citoyens, puisque vous voulez encourager les sciences et les arts, faites que l'homme qui les cultive ne soit pas obligé de regretter le temps qu'il consacre à l'étude.

Il est sans doute des récompenses plus dignes du génie et de la vertu que l'argent ; mais il y a de la dérision à laisser périr de faim, au milieu de leur gloire, les hommes qui ont bien servi leur patrie. Assurez, non des richesses, mais une honnête aisance à la vieillesse de l'homme laborieux qui aura consacré ses plus belles années et employé son patrimoine à acquérir des connaissances utiles pour les répandre un jour dans la société.

Le devis présenté au comité contient un état de dépenses extraordinaires qui peuvent être divisées en deux objets distincts.

1° Il y a des dépenses arriérées, telles que celles qui ont été ordonnées par le gouvernement dans le cours de l'année dernière, et qui ont été acquittées par \le trésorier de l'établissement, soit sur des fonds destinés aux dépenses ordinaires, soit de ses propres deniers ; elles s'élèvent à vingt-trois mille sept cent trois livres dix-huit sous cinq deniers.

Ce sont celles de la Ménagerie depuis le 20 brumaire de l'an II ; celles relatives à la dissection du rhinocéros, à la préparation et monture de la peau ; celles enfin qu'a nécessitées l'établissement de la bibliothèque ; elles doivent être restituées au trésorier, pour le remplir de ses avances, et pour acquitter des emprunts.

2° Les dépenses extraordinaires demandées pour cette année montent à dix-huit mille six cent quarante-une livres.

Elles consistent en augmentation passagère de frais d'acquisition et de transport des objets servant à la culture et à l'entretien du jardin, en acquisition première des objets nécessaires pour les différents cours ; en frais premiers d'étiquettes nouvelles qui doivent, d'après les règlements, être placées devant. chaque plante dans les diverses écoles ; en établissement de celles de ces écoles qui n'existent pas encore, et sans lesquelles le cours de culture ne peut avoir lieu ; en frais de replantation de la grande école de botanique, replantation jugée nécessaire, demandée depuis cinq ans, et devenue maintenant indispensable.

Citoyens, l'établissement dont je viens de vous pailler doit devenir le laboratoire où l'on cherchera toutes les vérités et où l'on réunira tous les objets utiles aux progrès des sciences naturelles, à l'art de guérir, et à l'agriculture vers laquelle vous devez surtout diriger tous vos efforts ; elle appelle plus que jamais toute notre attention. Les premières années de la révolution lui avaient donné de grands développements ; le sol de la république, affranchi comme ses habitans, était heureusement fécondé par la puissante influence de la liberté. Des mesures perfides, prises dans la 4uite au nom du salut public, allaient encore le frapper de stérilité. En ouvrant à l'agriculture une grande école, vous préparerez à la nation de nouvelles sources de richesses, vous propagerez des connaissances trop négligées, jusqu'à présent, et qui sont la base la plus solide de toutes les sciences.

Les citoyens y apprendront à connaître les matériaux de nos constructions, les métaux, fondements des arts et du commerce, à fertiliser de vastes terrains qui semblent repousser les arbres indigènes, mais qui sont très-propres à recevoir des arbres exotiques pour la charpente et la construction navale.

Appelez tous les hommes à considérer le grand et magnifique spectacle de la puissance de la nature, la variété de ses productions et l'harmonie de ses phénomènes. Elle est la source des bonnes lois, des arts utiles, des jouissances les plus douces et du bonheur.

Le Muséum d'histoire naturelle est peut-être le seul établissement public qui soit resté intact au milieu des orages de la révolution. La main destructive dès vandales qui a brisé tant de monuments précieux des arts, a respecté le temple de la nature.

Votre décret du 10 juin, le zèle des professeurs, la bonne harmonie qui règne entre eux, l'ont maintenu dans cet éclat qui avait depuis longtemps fixé l'admiration. dotons les savais de l'Europe.

Continuez à l'environner de toute la protection du gouvernement ; en adoptant l'agrandissement que vos comités vous proposent, vous faciliterez l'établissement des jardins des plantes dans les départements, sur lesquels, vôtre comité vous fera bientôt un rapport.

 

 

 



[1] Les deux espèces d'érables à sucre ; plusieurs espèces de noyers, de frênes, de pins, de cèdres et autres arbres qui se distinguent à peine de nos arbres indigènes pour la rusticité, mais dont les bois sont bien plus précieux pour la charpente navale et civile, pour les autres arts, et qui augmenteront les ressources en utilisant des terrains regardés comme stériles.

[2] Les catalpas, des rhododendrons, les tulipiers, les noyers de Virginie, les cerisiers de la Caroline. Ces arbres qui sont actuellement l'ornement de nos jardins, sont l'objet d'un commerce très-considérable avec les peuples du Nord.

[3] Le cyprès à feuille d'acacias, arbre qui croît sous l'eau avec la rapidité du peuplier d'Italie, et dont le bois, quoique tendre et presque incorruptible, est d'une légèreté singulière. Le pacanier, grand arbre qui porte une noix de la forme d'une dive, dont l'amande est excellente à manger, et dont on peut tirer une huile délicieuse. Cet arbre, si important à naturaliser dans les départements méridionaux, n'existe encore que dans quatre ou cinq jardins de la république.

[4] La marguerite, apportée par le jésuite d'Incarville, a donné sa première fleur au jardin national, et s'y est perfectionnée d'une manière si particulière que, renvoyée dans son pays natal, on a eu beaucoup de peine à l'y reconnaître.

Le chanvre gigantesque, né au Muséum, et qui commence à fournir des récoltes dans quelques départements méridionaux.

[5] Le mélilot, excellent fourrage ; la vesce vivace, le lin vivace.

[6] Une espèce de blé qui fournit une récolte dans trois mois et demi, et peut se semer en avril.

[7] La rhubarbe ; elle fournit abondamment des graines dans le jardin national : ses racines sont aussi utiles à la teinture qu'à la médecine.

On pourrait étendre cette liste à l'infini ; l'héliotrope du Pérou, le réséda d'Égypte da pervenche, rose de Madagascar, etc.

[8] Cette fourniture s'élève de douze à quinze mille sachets.