HISTOIRE DE PIERRE TERRAIL

SEIGNEUR DE BAYART

 

CHAPITRE XX.

 

 

Ligue de Cambrai. - Louis XII donne à Bayait une compagnie de trente hommes d'armes et en outre une bande de cinq cents aventuriers à la tête desquels il contribue au gain de la bataille d'Agnadel. 1508-1509.

 

L'année suivante, il se forma à Cambrai une ligue générale contre la république de Venise dont l'orgueil poussé à l'excès semblait braver tous les rois ses voisins. Louis, écoutant plus de vains ressentiments que ses véritables intérêts, s'engagea dans une expédition dont les dangers et les frais furent encore pour lui et les profits pour ses alliés.

Au mois de mars 1509, Louis XII commençait à faire passer ses troupes dans le Milanais sous la conduite de ses plus renommés capitaines, lorsqu'il fit mander notre Bon Chevalier et luit dit : Bayart, vous savez que nous allons guerroyer contre les Vénitiens. Bien que dès à prisent je vous donne les trente hommes d'armes du brave Chastelard dont je viens d'apprendre la mort qui bien me fâche, je veux que vous commandiez en outre dans cette expédition une bande de gens de pied. Votre lieutenant Pierrepont, qui est très-homme de bien, conduira vos gens d'armes, mais nous avons besoin d'un capitaine tel que vous pour maintenir et gouverner nos piétons. — Sire, répliqua Bayart, c'est à vous de commander et à moi d'obéir ; quel nombre de gens de pied me voulez-vous bailler à conduire ?Mille, dit le Roi, personne n'en a davantage. — Sire, c'est trop pour mon savoir, et vous supplie être content que je n'en aie que cinq cents[1]. Je vous jure sur ma foi, Sire, de les choisir de façon qu'ils vous rendront bon service ; un plus grand nombre est au-dessus des forces d'un seul homme, quand il veut faire son devoir. — J'y consens, reprit le Roi, rendez-vous promptement en Dauphiné et trouvez-vous dans mon duché de Milan à la fin de mars.

C'était en sa province à qui servirait sous le bon capitaine Bayart ; aussi sa compagnie fut-elle bientôt complétée et il arriva des premiers dans le Milanais. Louis XII, après avoir fait solennellement déclarer la guerre au sénat vénitien par le héraut d'armes Mont-Joye, s'avança sur les bords de l'Adda où l'attendait l'armée de la République sous les ordres de ses deux plus renommés capitaines, Nicolas Orsino, comte de Pitigliano, et Barthélemy Alviano.

Les circonstances de la reprise de Treviglio n'avaient fait qu'accroître les griefs et la colère de Louis. Le grand-maître Chaumont d'Amboise, secondé par les capitaines Molard, Richemond et Bayart, s'était emparé de cette place à l'ouverture de la campagne. Les Vénitiens, avec toutes leurs forces, revinrent l'assiéger avant qu'elle fût en état de résistance. Michel d'Astarac, baron de Fontrailles, Antoine d'Arces, dit le Chevalier-Blanc, Ymbaut de Romanieu[2], ne voulant point exposer Treviglio à être emportée au premier assaut, obtinrent pour eux, la garnison et les habitants, une honorable composition. Mais à peine les Vénitiens en furent-ils maitres, que sous prétexte de punir cette ville de s'être rendue, ils y mirent le feu et laissèrent périr la population dans les flammes. Ému de vengeance à la nouvelle de cette barbarie, le Roi marcha droit aux ennemis et fit jeter le même jour deux ponts de bateaux sur l'Adda.

L'armée française passa le lendemain cette rivière sans éprouver d'obstacles de la part des généraux ennemis qui avaient reçu l'ordre de temporiser sans en venir à un combat décisif. Leur timidité augmentant la confiance de Louis, il résolut de se porter sur Vaila et de tourner les Vénitiens ou de les attirer à une bataille. Les deux armées s'efforçaient par deux routes parallèles de se devancer à ce poste important, lorsqu'elles se rapprochèrent tellement entre Pandino et Agnadel, le 14 mai 1509, qu'un engagement parut inévitable. Alviano qui commandait l'arrière-garde, prenant son parti avec l'audace qui le caractérisait, chargea les Français si rudement qu'il les arrêta et les mit en désordre. Mais le Roi étant accouru sur le lieu du combat, La Trimouille le montra de la main aux soldats en leur criant : Enfants, le Roi vous voit, et en un instant le passage fut emporté.

Cependant les Vénitiens, retranchés dans des vignes coupées de fossés, bravaient la cavalerie et soutenaient les efforts des aventuriers gascons et picards. On combattit pendant trois heures avec tant de furie et une 'telle confusion, que Français et Vénitiens entremêlés avaient peine à se reconnaître.

Pendant ce temps-là, Bayart, à la tête d'une partie de l'arrière-garde, traversait des marais, l'eau jusqu'à la ceinture, en détournant sur les Vénitiens. Il vint leur tomber si brusquement en flanc, que la frayeur s'empara d'eux et qu'ils se débandèrent sans plus écouter la voix de leur général. Bientôt la déroute fut complète, et Barthélemy Alviano, couvert de sang et de blessures, fut forcé de se rendre, en cherchant vainement à rallier ses troupes. Pitigliano, jugeant plus à propos de sauver que de hasarder le reste de l'armée, battit en retraite plus vite que le pas.

Le premier soin de Louis XII fut de remercier Dieu, sur le champ de bataille, de la victoire qu'il venait de lui accorder ; puis, selon l'antique usage, d'armer chevaliers ceux qui s'étaient distingués dans la journée. Un compatriote de Bayart, Jaffrey Caries, qui ne s'était point dispensé, en sa qualité de président au parlement de Grenoble, de services plus périlleux, eut l'honneur de recevoir l'accolade de la main du Roi et de réunir en sa personne les deux titres de chevalier d'armes et de lois[3].

Profitant de ses avantages, Louis recouvra tout le territoire qu'avait jadis usurpé la république de Saint-Marc sur le duché de Milan ; mais il s'en tint de bonne foi au partage fait à Cambrai, borna là ses conquêtes et remit à ses alliés les clefs des autres villes que de tous côtés les habitants venaient lui offrir.

Cependant il régnait dans Venise une consternation et un désespoir d'autant plus grands que ces républicains s'étaient nourris dans une longue et constante prospérité. Abandonnés de tous leurs alliés, ils s'abandonnèrent eux-mêmes, et c'en était fait de cette antique cité, si la politique de Jules et l'inertie de Maximilien ne fussent venues à son secours. Le pape, jaloux des progrès de la France, s'employa secrètement à l'aide des Vénitiens, et l'Empereur, après avoir dissipé en folles dépenses les subsides des confédérés, ne put jamais parvenir à mettre une armée en campagne[4]. Indigné de ses retards, le Roi, dont la santé exigeait l'air natal, ne tarda pas à reprendre la route de la France.

 

 

 



[1] Et dum contra venetos Galli aciem pararent in Ponti Bellivicini Delphinanis pago, Castellarius mortem obiit, et ejus equitatu Bayardum Ludovicus donavit : eumque quigentis peditibus in hoc bello veneto prefecit et Petrus-Pontius in equitatu vices Bayardi gerebat. RIVALLII, folio 332. —

Molard conduit mille loyaux marchans,

Bayart cinq cens . . . . . . . . . . . . . . .

(JEHAN MAROT, le Voyage de Venise, réimpression de Coustelier, Paris, 1723, in-8°, p. 66.)

[2] Antoine de Morard d'Arces, seigneur de la Bastie, dit le Chevalier-Blanc (a vestibus albis quibus semper utebatur), et Ymbaut de Rivoire, seigneur de Romanieu, étaient deux gentilshommes dauphinois, parents de Bayart. (Voyez les Recherches généalogiques.)

[3] In hoc bello veneto non solum nobis in his quæ sunt muneris et officii sui præsto fuit, sed etiam eques et armatus se cuicumque fortunæ et prælii ancipitis eventui exposuit..... Datum in felicibus et victoriosis castris apud Vaylatas quarto decimo maii, anno millesimo quingentemo nono. Lettres de chevalerie accordées à messire Jaffrey Cartes, président au parlement de Grenoble et au sénat de Milan. (SALVAING DE BOISSIEU, de l'Usage des fiefs, Avignon, 1731, in-folio, p. 235.)

[4] La pauvreté de l'Empereur était passée en proverbe : Massimiliano poco denaro, Maximilien petite chevance ou court d'argent.