HISTOIRE DE PIERRE TERRAIL

SEIGNEUR DE BAYART

 

CHAPITRE XVIII.

 

 

Louis d'Ars et Bayart se maintiennent seuls dans le royaume de Naples contre toutes les forces espagnoles et vénitiennes. - Réponse du Bon Chevalier aux propositions du pape Jules. 1504-1505.

 

Une capitulation honteuse ne tarda point à livrer cette dernière place à Gonsalve qui laissa à la misère le soin d'achever les débris de l'armée française épars sur les routes de l'Italie. Louis d'Ars, cantonné dans la Pouille, refusa d'accéder à une telle composition, et répondit qu'il saurait Mieux garder son honneur et les places que lui avait confiées le Roi son maitre. Après d'inutiles sommations, Barthélemy Alviano et don Diego d'Arellano furent envoyés contre lui avec quatorze mille hommes et une nombreuse artillerie. Mais battus en maintes rencontres, ils éprouvèrent ce que c'était que la différence de capitaine. Les barons de la faction angevine, encouragés par les succès de Louis d'Ars, se déclarèrent hautement pour la France et joignirent leurs forces aux siennes.

Bayart partagea avec son ami les périls et la gloire d'une résistance qui, pendant plus de six mois, fit douter aux Espagnols de l'achèvement de leur conquête[1]. Si les autres capitaines de Louis XII eussent suivi cet exemple, l'astuce de Gonsalve se fût brisée contre la vaillance française et les lis eussent encore fleuri dans le royaume de Naples. L'aine d'un chef devient celle de son armée, et comme disait le Bon Chevalier, vaut mieux une troupe de cerfs commandée par un lion, qu'une troupe de lions sous les ordres d'un cerf. L'obstination du Roi à confier le commandement de ses troupes à des Italiens, ne prouva que trop la vérité de ce dicton.

Gonsalve, redoutant les progrès croissants de Louis d'Ars et de Bayart, n'osa s'avancer sur le Milanais qui, dégarni de soldats, présentait une proie facile, et laissa le temps à Louis XII de pourvoir à la défense de ce duché. Profitant d'une trêve conclue entre les deux partis, le digne lieutenant de Ferdinand d'Aragon essaya de, cerner les Français dans leurs places et de leur couper adroitement les vivres. Mais il fut compris ; Louis d'Ars se mit aux champs en ordre de bataille et vécut à discrétion sur les terres ennemies pendant qu'il envoyait à Blois son secrétaire Jehan de Coulon prendre les ordres du Roi[2]. Louis, ne voulant point mettre en hasard si peu de gens de bien qu'il avait là[3], lui manda de faire ses conditions et d'évacuer le royaume de Naples ; ce qui moult ennuya Louis d'Ars, disant qu'il tiendrait plus de six mois encore contre toute la puissance des Espagnols[4].

Après avoir obtenu la plus honorable composition, il se décida enfin à s'embarquer à Trani avec ses quatre cents hommes d'armes. Ils reprirent terre dans la Marche d'Ancône, et, guerriers aussi pieux que braves, ils se rendirent tous à pied en pèlerinage à Notre-Dame de Lorette. De là, armés de toutes pièces, la lance sur la cuisse, à bannières déployées, comme s'ils eussent été cinquante mille hommes, ils passèrent partout sans que nul se mit au-devant d'eux[5].

En traversant l'Etat ecclésiastique, le voisinage de Rome inspira à Louis d'Ars et à Bayart le désir de visiter cette capitale de la chrétienté. Jules II, qui plus que tout autre pape appréciait les vertus guerrières, leur fit un accueil empressé, et chercha par les caresses et les propositions les plus séduisantes à s'attacher deux hommes qui eussent si bien secondé ses ambitieux projets. Un jour qu'il redoublait ses instances auprès de Bayart jusqu'à lui offrir la charge de capitaine-général de l'Eglise, le Bon Chevalier lui répondit qu'il le remerciait très-humblement de son bon vouloir, mais qu'il n'aurait jamais que deux maîtres, Dieu dans le ciel et le Roi de France sur terre[6]. Jules, forcé à regret d'admirer tant de fidélité, laissa partir les deux Français après les avoir comblés de présents. Ils rejoignirent leurs soldats à Pavie et poursuivirent leur route dans le même appareil, sans entendre retentir à leurs oreilles d'autres cris que : Vive France ! Louis d'Ars et Bayart !

Ils furent magnifiquement reçus et traités par le duc Philibert à leur passage en Savoie, et rentrèrent en France, rapportant avec leur vie et leur honneur, leurs bagues et butin sauvés[7]. Ils arrivèrent à Blois dans le même arroi qu'ils avaient traversé l'Italie, et firent une entrée dont le Roi et la Reine voulurent relever l'éclat par leur présence. Louis prodigua à ses braves serviteurs les louanges et les récompenses qu'à bon droit ils méritaient ; ils furent payés de tout l'arriéré de leur solde, et rien de ce qu'ils demandèrent ne leur fut refusé. La première grâce que sollicita Louis d'Ars fut le rappel d'Yves d'Alègre auquel depuis la journée de Cerignola il avait été défendu de paraître à la cour. Le Roi donna à Bayait une charge d'écuyer de son écurie en attendant qu'il vînt à vaquer une compagnie d'ordonnance.

La mort de la célèbre Isabelle de Castille changea à cette époque les intérêts des puissances européennes. Ferdinand, affaibli par la perte d'une couronne dévolue à l'Archiduc, rechercha l'alliance de Louis XII contre son gendre devenu son rival, et le roi de France, intimidé par les accroissements d'un vassal tel que Philippe, se vit dans la nécessité d'oublier tout ce qui s'était passé en Italie. Germaine de Foix, fille de Marie d'Orléans, sa sœur, fut le gage de cette réconciliation politique, et apporta en dot à Ferdinand la portion du royaume de Naples qui devait revenir à son oncle.

 

 

 



[1] Ludovicus Ars et Bayardus arces suas neapolitanas usque ad sequentem annum retinuerunt et cum militibus quos habehant, hostes premebant (RIVALLII, folio 330.)

[2] Jehan d'Anton, Mémoires manuscrits sur Louis XII, folio 192.

[3] Brantôme, Hommes illustres, disc. 11, p. 76 et 77.

[4] Jehan d'Anton, Mémoires manuscrits sur Louis XII, folio 192.

[5] In animi fortitudine et virtute armorum, brachio extento, hostis in sublime erectis, à Sicilia per regiones et dominia hostium transiens ad suos usque salvus pervenit. (CHAMPIER, Tropheum Gallorum.)

[6] Champier, feuillet 78.

[7] Brantôme, Hommes illustres, disc. 11, p. 76.