HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

NOTES, ÉCLAIRCISSEMENTS ET PIÈCES INÉDITES

 

VII. — HOCHE AU SIÈGE DE DUNKERQUE.

 

 

Le siège de Dunkerque par le duc d’York, en août 1793, fut l’occasion de nombreuses mesures de rigueur contre les généraux employés en Flandre. Indépendamment d’Houchard et de Chancel dont nous avons déjà parlé, O’Meara qui défendait la ville fut destitué le 23 août, comme Irlandais et aristocrate, par le représentant Duquesnoy. Déjà et pour les mêmes motifs, le farouche Conventionnel avait fait arrêter O’Moran, commandant du camp de Cassel. Un autre divisionnaire, Davesne, suivit de près. Souham lui-même se crut menacé et publia un mémoire pour sa défense. Duquesnoy s’acharna contre ses victimes ; il alla déposer au Tribunal révolutionnaire contre O’Moran et Davesne et les fit condamner à mort, le 6 mars 1794, pour fausses manœuvres devant l'ennemi.

Hoche, alors adjudant général, avait été employé à Dunkerque. Nous reproduisons deux lettres de lui qui restituent aux événements leur véritable caractère et montrent en même temps avec quelle facilité on devenait suspect.

Nous les complétons par une lettre de Bouchotte à Fouquier-Tinville, indiquant à quels signes on devait, en l’absence de preuves, reconnaître la culpabilité d’un général.

 

L’adjudant général Hoche au citoyen Audouin, adjoint au ministre de la Guerre.

 

Saint-Quentin, le 8 août an II.

Vous apprendrez, Citoyen, avec surprise que je suis en état d’arrestation et conduit au Tribunal révolutionnaire de Douai, pour avoir dit que Pitt soudoyait des hommes dans notre armée et que, si Cobourg y donnait des ordres, elle n’irait pas plus mal. La preuve que Ton a reconnu que je disais vrai, c’est que le Conseil exécutif l’a senti et que, par suite, il a destitué une grande partie des généraux suspects. C’est ainsi qu’en se heurtant, les patriotes se divisent. J’étais au poste de l’honneur, j’en suis tiré pour un propos que vous avoueriez. Je vous prie d’attester mon civisme aux commissaires de la Convention à Cambray et de me recommander au citoyen Bouchotte.

Tout à vous et à mon pays,

L’adjudant général,

L. HOCHE.

 

Dunkerque 1er septembre 1793, an II de la République

L’adjudant général Hoche au citoyen Audouin, adjoint au ministre de la Guerre.

 

Citoyen, si j’ai été si longtemps sans vous informer de la suite de mon procès, croyez que ce n’est point par négligence, mais seulement parce que j’ai été tant occupé pour mon service que je n’ai point eu un moment à moi. Prêchant la doctrine que j’ai toujours professée, je devais naturellement m’attirer la haine des hommes de boue contre lesquels je criais, et m’attendre à être dénoncé par leurs intrigues, ce qui ne manqua pas ; et quoique j’eusse prévenu le représentant du peuple Levasseur que j’allais être dénoncé, je fus traduit au Tribunal révolutionnaire, parce que ce député ne se trouvait pas pour le moment à Cambrai. Le Tribunal, après avoir examiné mes papiers et particulièrement ma correspondance, prononça que, depuis le commencement de la Révolution, je m’étais montré comme un franc et loyal patriote, et écrivit aux représentants du peuple près l’armée et à un de vos confrères adjoint au ministre de la Guerre. L’acte d’accusation étant aussi ridicule que le procès de mon pauvre Marat, ma défense fut pareille, et j’ose vous dire que je fus déchargé aussi honorablement.

En sortant de là, je me transportai à mon poste et reçus ordre d’aller sur le champ m’enfermer dans Dunkerque, ce que j’exécutai avec la plus vive satisfaction. O’Meara commandait dans cette place ; elle était absolument sans défense ; les troupes désorganisées et harassées de fatigue par le désordre qui régnait dans l’armée.

Je suis arrivé ici avec le général de brigade Souham qui est un vrai sans-culotte ; enfin, à force de travail, nous commençons à nous reconnaître. Pitt avait ici des agents ; des papiers incendiaires ont été répandus, des signaux donnés à la flotte ennemie mouillée à trois quarts de lieue de la ville ; les matelots, frappés d’une terreur panique et probablement travaillés par l’aristocratie, s’étaient insurgés. Les représentants du peuple Hentz et Duquesnoy arrivés ici firent chasser de la ville tous les étrangers et les gens suspects ; Souham fit une proclamation dont je vous envoie un exemplaire et j’écrivis aux matelots dans le style franc et courageux d’un républicain. Ces hommes égarés avaient forcé leurs chefs à quitter la station et voulaient rentrer dans le port ; ils ont reconnu leur erreur ; les sans-culottes sont bons ; il ne faut que les éclairer et leur mettre sous les yeux les dangers de la patrie. A l’heure où je vous écris, tout est rentré dans Tordre nécessaire ; quelques arrestations faites à propos ont patriotisé les esprits ; les citoyens sont dans les bons principes, ils veulent la République, et paraissent disposés à seconder nos efforts. Nous avons besoin d’eux, car nous avons au plus sept mille hommes dans la place, qui n’est à proprement parler qu’un camp retranché qui demanderait quinze à dix-huit mille hommes.

Les ennemis ont établi leur première parallèle, mais soit qu’ils manquent d’artillerie, soit qu’ils soient étonnés de la contenance que nous montrons, soit qu’ils aient été déconcertés par le remplacement d’hommes sur lesquels ils comptaient peut-être, ils ne nous ont point encore envoyé une bombe ni un boulet, et ce n’est que fort lentement qu’ils continuent leurs travaux.

Nous avons à la vérité pris des mesures et fait connaître à leurs partisans que nous avions résolu de laisser brûler la ville plutôt que de la rendre et que, dans le cas où la garde citoyenne entreprendrait de nous forcer, elle devait s’attendre à voir tourner contre elle des armes qui sont destinées à combattre les tyrans et les traîtres. Malgré notre faiblesse, nous tiendrons bon, je vous en assure, et je crois pouvoir vous répondre de la conservation de cette importante place à la République ; on nous promet des secours prompts et puissants ; tardassent-ils quinze jours à arriver, dans l’état où à force de travail la place se trouve maintenant, on peut les attendre. La société populaire s’est dissoute ; j’espère qu’elle va rouvrir ses séances et que l’esprit public se ravivera.

Salut et fraternité.

L. HOCHE.

 

Le ministre de la Guerre à l’Accusateur public près le Tribunal révolutionnaire.

 

Paris, le 13 pluviôse an II de la République.

J’ai fait faire, dans mes bureaux, des recherches des correspondances relatives aux généraux prévenus de trahison ou de suspicion. Leur correspondance n’offre rien de saillant ; ils ont toujours eu soin de s’y masquer ; il est probable qu’ils avaient prévu de bonne heure le danger de donner des armes contre eux.

C’est en établissant, par l’examen de leur vie privée, leur plus ou moins d’éloignement du système populaire, qu’on jugera du motif de leurs mouvements militaires, et de l’inaction à laquelle ils ont condamné les troupes, et des fausses directions qu’ils ont données.

Par exemple, par rapport à Kilmaine, on verra comment il s’est laissé tourner dans son camp de César ; pourquoi il n’a pas occupé Solesmes pour se lier avec la forêt de Mormal ; pourquoi il a abandonné le terrain sans coup férir.

Sur Desbrulys, chef de son état-major, de quelle manière il en a rempli les fonctions.

Toutes les pièces de la garnison de Condé, du blocus et de la capitulation faite par Chancel, ont été envoyées au Comité militaire de la Convention nationale et je n’ai rien reçu à son égard, lors du débloquement de Maubeuge.

Davesne m’a fait passer un mémoire que je joins ici ; Souham, qui s’est cru inculpé, y a répondu et j’y ai joint la réponse. On n’a pas mis assez de secret et d’accord dans les diversions et on a eu au moins la légèreté de publier des projets, comme s’ils avaient été exécutés.

Gay-Vernon avait donné des inquiétudes aux patriotes par ses liaisons avec Custine et l’opinion où on était en général qu’il n’aimait pas le système populaire.

Les patriotes avaient dans le temps bonne opinion du zèle et du républicanisme de Barthélémy ; l’instruction fixera l’opinion sur lui.

Demestre, si c’est le commandant du 7e de cavalerie, était l’homme de confiance de Lafayette, pour la police de son armée, au mois de mai 1792.

O’Moran est étranger ; Landremont et Schauembourg étaient ci-devant et ne jouissaient point de la confiance des patriotes.

Laferrière est dans le même cas. Je n’ai rien reçu de Landau sur les frères Landier et autres.

La sagacité du Tribunal distinguera les coupables des innocents, et de ceux qui peuvent être suspects, et à éloigner des fonctions publiques. Si, dans le cours de l’instruction, tu as besoin de quelques éclaircissements résultant de la correspondance officielle, tu me l’indiqueras et je me ferai un devoir de la procurer au Tribunal.

J. BOUCHOTTE.