HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

NOTES, ÉCLAIRCISSEMENTS ET PIÈCES INÉDITES

 

III. — DOCUMENTS RELATIFS À LA RÉSISTANCE DU CALVADOS ET DE L'ORNE.

 

 

Un grand nombre de pièces relatives à ces événements ont été imprimées dans les Souvenirs de l’insurrection normande de M. Vaultier, ou dans les Notices historiques sur la Révolution dans le département de l’Eure de M. Boivin-Cham-peaux. Pour éviter à nos lecteurs des répétitions inutiles, nous nous bornerons à reproduire ici quelques documents importants ou inédits, qui jettent un jour complet sur les mobiles du soulèvement et les causes de son insuccès. Ce sont :

1° Trois lettres de Barbaroux écrites au début de l’insurrection et en précisant l’étendue ;

2° Un rapport à la Convention, émané d’un membre de la minorité dissidente du Directoire du département de l’Eure, et postérieur au décret du 13 juin mettant en accusation les administrateurs de ce département. — Voir plus haut, livre XLII, § III, et le Moniteur des 15 et 16 juin 1793 ;

3° Les pièces principales de la procédure suivie contre Mouchet, juge de paix de la Section de la Fraternité, à l’occasion de l’enquête qu’il avait été chargé de faire dans l’Eure ;

4° La proclamation préparée par les commissaires des départements insurgés pour être lue, avant le combat, sur le front des bataillons parisiens ;

5° Trois lettres de Brune, le futur maréchal de l’Empire, adressées à Vincent, secrétaire général du Ministère de la Guerre, après la déroute de Pacy.

 

I. — LETTRES DE BABBAROUX.

 

Evreux, 13 Juin 1793, l'an II de la République.

Charles Barbaroux, député par le département des Bouches-du-Rhône, a son bon ami Duperret.

 

Quelle n’aura pas été ta surprise, mon cher ami, à la nouvelle de mon départ. Vallée t’aura dit comment cela s’était fait, et tu rends assez de justice à mon courage pour penser qu’aucun sentiment étranger aux intérêts de la patrie ne m’a déterminé à cette démarche. Instruit de tous les complots des dominateurs de Paris, j’ai pensé que je ne pouvais les dévoiler parfaitement que dans un pays libre ; j’y suis et dans peu je burinerai l’histoire de leurs brigandages.

Continue, mon cher ami, à servir la patrie. Je crois que le meilleur moyen dans ce moment est de ne prendre aucune part aux délibérations de l’Assemblée. Que tous les amis prennent ce parti et le manifestent hautement, qu’ils le fassent imprimer, qu’ils le proclament dans toute la République. C’est une mesure nécessaire pour rallier les départements, dont plusieurs faiblissent par la pensée que le côté droit reconnaît l’existence de la Convention et délibère avec la Montagne. S’il y avait un appel nominal, il ne faudrait pas manquer cette occasion pour protester solennellement de la non-intégrité du corps représentatif. C’est à toi qu’il appartient surtout, mon cher Duperret, de faire entendre ces utiles et importantes vérités ; surtout une déclaration, ne fût-elle signée que par trente députés, qui s’honoreront par cette démarche.

Je voudrais bien que tu pusses déterminer Guadet, Pétion et les amis à venir nous rejoindre. Ils diront que c’est ce qu’on désire à Paris ; soit, mais est-il moins vrai qu’ils seront plus utiles parcourant les départements et y portant la statue brisée de la Liberté pour la relever ? Est-il moins vrai que les puissances étrangères, dont les agents sont à Paris, ont intérêt à se défaire des vrais républicains, et que le peuple de Marat, échauffé par lui, pourra bien encore se livrer à la soif du sang, malgré le décret qui nous met sous la sauvegarde du peuple français. Je sais que ce discours trouvera des objections dans ton âme courageuse et dans la détermination de nos malheureux amis ; mais au moins acquitte-toi de la commission que je te donne de leur lire ma lettre ; c’est une charge que j’impose à ta bonne amitié. Pétion aime à converser avec toi, Guadet t’aime ; vois-les et sois diligent à me faire passer par la voie de l’ami Vallée, hôtel Bouillon, quai Malaquais, tous les avis que tu jugeras importants.

Tous mes papiers sont à toi comme mes lettres ; tu peux tout voir et tout lire ; je n’aurai jamais rien de caché, pas même les erreurs de mon cœur, pour un homme de bien comme toi. J’écrirai demain à la partie saine de la députation, pour lui donner connaissance officielle des motifs qui m’ont déterminé à quitter Paris. Bientôt la France entière sera instruite et je ne doute pas de l’approbation de mon département, puisque les Marseillais étaient de cet avis, et m’ont fait tenir 1.000 lt, au nom de Marseille, au moment de mon départ.

Vois souvent ma mère ; elle a besoin des consolations de l’amitié. Elle te fera lire mes lettres ; tu lui liras celles que je t’écrirai. Tu embrasseras tous les amis fidèles à la cause de la liberté ; tu salueras les dames Noël et en particulier tes demoiselles et Marion. Dis à Duprat. à Mainvielle, à Durand-Maillane, qu’ils continuent à servir la République avec courage. Il est dans la nature des choses que la vertu triomphe, ou la République n’existerait pas. Les proscriptions, les calomnies n’ont qu’un temps ; la vérité seule est éternelle et le moment de la justice n’est pas loin, si j’en juge par les bonnes dispositions dont je suis témoin ici. Le département de l’Eure m’a reçu comme je l’aurais été dans mon pays. Le Nord et le Midi vont se tenir par la main ; ils se lèvent et la liberté ne mourra pas. Adieu.

BARBAROUX.

N’oublie pas l’estimable citoyenne Roland, et tâche de lui donner quelques consolations, dans sa prison, en lui transmettant ces bonnes nouvelles. Pour cela tu pourrais voir son domestique, à la maison au bout de la rue des Cordeliers, ou Champagneux, l’un des chefs des bureaux du ministère de l’Intérieur.

 

Caen, le 15 juin 1793.

A Lauze Duperret.

 

Je ne suis pas à Caen, je suis à Marseille, mon bon ami ; ce sont des Marseillais que j’entends, et ma surprise est extrême autant que mes espérances sont grandes, malgré les maux que les dominateurs de Paris font à la patrie, de concert avec les puissances étrangères. Ce matin je me suis présenté avec Bergœing, Delahaye et Duval, à l’administration du Calvados. On nous a fait l’accueil le plus honorable. Quels hommes que ces administrateurs ! Un bataillon allait partir pour s’avancer sur Paris ; ils se disputaient la gloire de partir les premiers. Ces hommes sont tout de feu, comme toi, et la probité dans cette ville est honorée autant que le crime et l’anarchie y sont abhorrés.

Auras-tu rempli ma commission auprès de Guadet ? Ah ! qu’il vienne ! son âme oppressée par le sentiment de l’injustice a besoin du spectacle de la belle nature et des sentiments de l’amitié. Qu’il vienne avec Pétion, avec Louvet, avec les autres amis et avec toi. Tu peux te concerter à cet égard avec le bon ami Vallée ; il n’y a rien de difficile, quand on veut fortement une chose, et qu’il s’agit de sauver la patrie, en nous sauvant nous-mêmes.

Qui te gênerait ? Tes filles ? mais elles sont avec Marion ; mais on peut réunir les femmes entre elles et les envoyer dans le voisinage de Paris et même à Évreux. Quant à Guadet, sa femme, pour laquelle il veut rester, désire qu’il parte ; Pétion était de cet avis ; ce sera sans cesse mon refrain. Mais je dois te parler de Louvet. En vérité, son silence afflige tous ses amis ; dis à sa mère et aux demoiselles Noël de parler aux nièces de Mme Cholet qui viennent assez souvent les voir, et d’aller ensemble visiter Mme Cholet, qui doit avoir des nouvelles de Louvet. J’en veux absolument recevoir ou je suis malheureux ; il pourrait bien venir à Caen et Mme Cholet à Évreux. Nous sommes dix ici, mais il nous manque beaucoup de ceux qui nous sont extrêmement chers et qui pourraient utilement servir la République. Tu auras sans doute encore rempli ma commission à l’égard de Mme Roland, en tâchant de lui faire passer quelques consolations ; elle doit être bien malheureuse, cette respectable épouse du plus estimable citoyen. Ah ! fais tes efforts pour lavoir et pour lui dire que les vingt-deux proscrits, que tous les hommes de bien partagent ses maux ; puisse ce partage les soulager ! Crois-tu qu’on ait le dessein de la garder prisonnière ? Je ne le crois pas. Je pense au contraire que. sa vertu les embarrasse et qu’ils voudraient la voir éloignée ; elle devrait tenter la proposition de rester seulement aux arrêts chez elle.

Puisse-t-elle bientôt jouir de sa liberté avec nos bons amis. Quelle crise affreuse ; mais aussi quelle gloire, si nous sauvons la liberté I Je te remets ci-joint une lettre que nous écrivons à cette estimable citoyenne. Je n’ai pas besoin de te dire que toi seul peux remplir cette importante commission. 11 faut à tout prix qu’elle tente de sortir de la prison et de se mettre en sûreté.

Tu iras donner de mes nouvelles à ma mère, à laquelle je n’ai pas le temps d’écrire aujourd’hui. Je t’embrasse, et les amis et les amies, etc., et tes filles. Buzot, mon cher Buzot, t’embrasse.

BARBAROUX.

 

Caen, le 18 juin 1793.

A Lauze Duperret.

 

Je n’ai point encore reçu de réponse, mon cher ami, aux deux lettres que je t’ai écrites, l’une d’Évreux, l’autre de Caen. l’on silence m’afflige, parce que tu sais quel vif intérêt je prends à mes amis. D’ailleurs toute communication est ici interceptée par Paris avec les départements méridionaux, de manière que je ne puis, ni écrire à Marseille, ni en recevoir des lettres ; ne manque donc pas de m’envoyer, par le moyen de notre collègue Vallée, le détail des plus intéressantes nouvelles de Marseille et des départements méridionaux, l’état de Paris et celui de la Convention. En vérité, je suis avide de savoir ce qui se fait dans le Midi et quelle est la courageuse conduite des Marseillais.

Tout va bien, dans les dix départements qui composent la ci-devant Bretagne et la ci-devant Normandie ; la liberté n’y mourra pas, car le courage des habitants y est aussi prononcé que celui des hommes du Midi. Les maux de la patrie ne viennent que des trahisons du Comité de salut public, évidemment dirigé par les puissances étrangères. L’intelligence avec les rebelles de la Vendée est bien constatée, puisqu’on a arrêté à Nantes deux agents du Conseil exécutif, l’un desquels était muni d’un passeport pour entrer dans le camp des rebelles, et y était effectivement entré, et d’un cachet aux armes de l’Empire, pour y faire parvenir les dépêches. Santerre n’a été envoyé contre les rebelles que pour leur livrer Saumur et 80 pièces de canon. Partout nous sommes trahis et le centre des trahisons est à Paris ; c’est donc à Paris que doivent se rendre les légions des républicains, pour donner du courage aux bons citoyens et écraser les factieux.

Mais penses-tu, mon cher ami, favoriser cette insurrection des départements contre l’oppression des dominateurs de Paris, penses-tu sauver la liberté en restant à Paris, comme font nos collègues ? D’abord les détenus en arrestation souffrent et ne font rien d’utile pour la patrie. Nos autres collègues tantôt se rendent à l’Assemblée et tantôt s’en absentent ; tantôt ils délibèrent et tantôt ils refusent de prendre part aux délibérations. Cette conduite versatile égare beaucoup d’esprits dans les départements et perd la chose publique. Non, il ne faut pas délibérer ; mais il faut au contraire protester solennellement de la non-intégrité du Corps législatif. Non, il ne faut pas assister aux séances ; mais il faut au contraire sortir de Paris. Mon ami, le retour des députés restés fidèles, dans chacun de leurs départements, est impossible, puisqu’au moyen de certaines communes maratistes, on les arrêterait en route. Quel bien d’ailleurs feraient-ils ainsi divisés et agissant sans aucun concert ? Mon avis, celui de nos collègues réunis ici ou à Rennes au nombre de vingt, c’est que vous veniez nous joindre ; non pour former une autorité qui ne pourrait exister que dans le cas où la majorité de la Convention se trouverait réunie ; mais pour concerter ensemble les mesures propres à sauver la liberté ; mais pour donner à l’opinion des départements un nouveau ressort, en lui présentant une plus grande masse de représentants proscrits’ persécutés par les tyrans de Paris. Le Calvados est, de tous les départements du Nord, le plus éloigné de toute attaque, soit de la part des rebelles, soit de la part des ennemis qui occupent nos frontières, et ses côtes sont dans l’état le plus respectable de défense. C’est un motif de plus pour s’y rendre. Venez, nos collègues, sur cette terre hospitalière, enflammer encore par votre présence le zèle des citoyens ; venez, pour donner de nouvelles consolations à vos amis, et pour vous entretenir avec eux de la patrie et toujours de la patrie.

Cette lettre, mon cher ami, te sera commune avec tous les proscrits, à qui je te charge de la montrer sans perdre une minute, et avec les amis, Chiappe, Vallée, Duprat, Noël et Bresson ; ces deux derniers logent, comme tu sais, dans la même maison que moi. Ne manque pas de les voir. Tu peux encore montrer ma lettre à ceux de nos collègues qui ont ta confiance. Oublie les mouvements mêmes de ton courage et tes anciennes résolutions pour l’intérêt de la République. Ici tes meilleurs amis, les administrateurs, les généraux et surtout les citoyens réunis en société ou en sections n’ont qu’un même avis ; il faut que nos collègues se rendent à ce vœu bien prononcé et qu’ils sauvent la patrie. Toutes les mesures sont prises pour effectuer sûrement leur départ.

BARBAROUX.

 

II. — RAPPORT DE REYNAL, ADMINISTRATEUR DE L’EURE, À LA CONVENTION NATIONALE.

 

Juin 1793.

Législateurs,

Immédiatement |près votre décret du 13 de ce mois contre les administrateurs rebelles du département de l’Eure, j’ai parti pour me rendre à mon poste à Bernay.

Je suis arrivé vendredi soir à Gisors, ville de ma résidence, et me suis aussitôt transporté à la municipalité, qui a convoqué le Conseil général pour le lendemain matin ; et le lendemain samedi, tous les membres étaient à sept heures à leur poste.

J’ai instruit l’Assemblée de ce qui se passait ; je lui ai communiqué vos décrets contre les départements d’Eure et Calvados, dont le ministre de la justice m’avait donné une expédition officielle. J’ai enfin prononcé un discours analogue aux circonstances, dans l’intention de stimuler le patriotisme de l’Assemblée. Mais elle n’en avait pas besoin : elle a d’une voix unanime manifesté son indignation contre la conduite du département de l’Eure, juré de périr plutôt que de partager ses crimes, et arrêté qu’une députation qui déjà, je crois, a été admise dans votre sein, viendrait vous apporter l’hommage de ses sentiments. Une heure après, la municipalité en écharpe, et escortée de la garde nationale, a pompeusement proclamé vos décrets dans tous les carrefours de la ville.

La Société populaire a été extraordinairement convoquée. Elle était nombreuse ; un nommé Ladam, membre du département de l’Eure et de cette société, et qui est un des chefs de la révolte, avait écrit à la Société une lettre corruptrice et infâme, tendant à lui faire adopter les projets de rébellion. La séance a commencé par la lecture de cette lettre, qui a excité la plus profonde indignation dans l’Assemblée ; elle a arrêté d’une voix unanime que le nom de son auteur serait sur-le-champ rayé de la liste des membres et que, pour la prompte réponse qu’il demandait, il lui serait envoyé une expédition du procès-verbal de la séance ; ensuite, par un mouvement spontané, elle s’est levée toute entière et a juré fidélité à l’unité et l’indivisibilité de la République, fidélité à la Convention, obéissance à ses décrets, guerre aux traîtres et aux factieux, amitié et fraternité aux Parisiens, dont elle partagera, s’il le faut, les dangers.

Enfin, une députation de cette Société est à Paris ; elle a dû ou doit paraître ici incessamment, pour vous exprimer les sentiments de leurs frères.

Tel est, Législateurs, l’esprit qui anime les habitants de Gisors que j’ai quitté la même nuit, pour me rendre à mon poste. Je suis arrivé à Andelys dimanche, à 3 heures du matin ; mais le tableau que j’ai à vous donner de cette ville et de son district offre une opposition bien grande avec celui de Gisors.

Les traîtres persistent dans leur rébellion ; toutes les routes des environs d’Évreux sont interceptées et on y arrête vos courriers, ainsi que ce qui n’est pas dans les principes de la révolte ; une force armée est portée jusqu’à Pacy et disposée à abattre le pont au premier besoin. Les grains et farines sont enlevés de chez les laboureurs, pour former des approvisionnements ; on s’empare aussi de toutes autres espèces de choses qui peuvent être nécessaires. Vernon est déjà en proie aux horreurs des vexations et des arrestations arbitraires.

Les administrateurs du district d’Andelys sont en ce moment sous le couteau des assassins ; ils sont avertis qu’une force armée doit les arrêter et peut-être faire pis. En ce moment ces malheurs sont peut-être effectués ; mais les administrateurs du district d’Andelys ont juré de mourir plutôt que d’abandonner leur poste et de trahir leurs devoirs. Leur position. Législateurs, est d’autant plus cruelle que les intrigues des malveillants ont paralysé leur bonne volonté ; le maire et deux ou trois membres de la municipalité, le commandant de la garde nationale sont des traîtres, qui, aidés des autres aristocrates de la ville, rendent nuls les moyens de résistance qu’ils voudraient mettre en usage. L’administration d’ailleurs n’a pas une arme, pas une livre de poudre. Telle est, Législateurs, l’esquisse rapide et bien légère de la position da district des Andelys, que le défaut de temps ne m’a pas permis de tracer avec les couleurs qui leur sont propres. Elle appelle toute votre attention. 11 est temps enfin de tous montrer aux traîtres avec toute la dignité de votre caractère et de les anéantir.

REYNAL, administrateur du département de l’Eure.

 

III. — MISSION DE MOUCHET, DANS LE DÉPARTEMENT DE L’EURE, EN JUILLET 1793.

 

Nous nous contentons de donner sans commentaires les pièces principales de la procédure dirigée contre Mouchet, à raison de la mission que sa Section lui avait confiée, pour s’assurer du véritable état des choses dans le département de l’Eure, au moment même où la Commune recrutait les bataillons qui devaient marcher contre l’insurrection normande.

On verra par ces pièces que les Sections étaient loin d’être unanimes pour approuver cette levée de volontaires, et qu’il y avait une résistance sourde dans beaucoup d’entre elles contre les arrêtés du Conseil général. Cette résistance alla même, de la part de la Section de la Fraternité, jusqu’à ordonner le brisement des scellés apposés sur les papiers de Mouchet par ordre des administrateurs de police, et à accompagner triomphalement à l’Hôtel-de-Ville son juge de paix, qu’elle avait pris sous sa sauvegarde.

Mouchet, en raison de sa qualité de rapporteur de la commission, fut seul déféré au Tribunal révolutionnaire. Il fut arrêté le 16 juillet, mais l’instruction dura six semaines et se termina par un verdict de non-culpabilité.

 

SECTION DE LA FRATERNITÉ.

Séance du 6 juillet 1193.

CREVEL, président, GIROD fils, secrétaire.

Il a été proposé de nommer quatre commissaires, à l’effet de s’informer de ce qui se passe dans le département de l’Eure.

Après de longs débats, la discussion a été fermée.

Il a été arrêté qu’il serait nommé une commission pour s’informer des faits ; qu’il sera donné communication de cette démarche aux quarante-sept autres sections.

Il a été procédé à la nomination des quatre commissaires et il leur a été enjoint de partir à l’instant.

Les commissaires nommés sont les citoyens Paillette, Mouchet, Escabasse, Ango[1].

 

Rapport de Mouchet, lu à la séance du 9 juillet 1793.

Chargés par vous de nous transporter dans le département de l’Eure, afin de connaître d’une manière précise quelles étaient les dispositions des citoyens qui préparaient une force départementale pour venir à Paris, nous nous sommes mis en devoir d’exécuter cet ordre sur-le-champ, conformément à vos intentions.

Le citoyen Payette, qui avait été nommé un de vos commissaires, nous a déclaré qu’il n’avait pas cru que vous lui aviez donné cette mission, et qu’une autre mission publique, qu’il devait remplir dans le jour au comité des secours de la Convention, le mettait dans l’impossibilité de répondre au vœu de la Section.

Sur notre invitation, le citoyen Crevel, qui se trouvait avec nous, consentit à nous accompagner. En conséquence, nous sommes partis dimanche, à trois heures du matin, Ango, Escabasse, Crevel et moi.

Il entrait dans notre mission de nous instruire des faits qui motivaient la levée des volontaires annoncés des administrateurs du département de l’Eure.

On nous avait présenté la nécessité de protéger les convois de subsistances, et de porter des secours à Vernon, dont les habitants avaient, disait-on, été obligés de prendre la fuite.

Quant aux habitants, nous nous sommes informés à différentes personnes ; on ne nous a point dit que leur circulation éprouvât des obstacles. Nous avons seulement appris que du beurre, peut-être en petite quantité et destiné pour Paris, avait été arrêté dans le premier mouvement de mécontentement. Nous savons aussi que, dans le moment actuel, ces vivres passent sans obstacle, et nous en avons été témoins oculaires par rapport aux bœufs et moutons, dont nous avons rencontré plusieurs troupeaux ; ceux mêmes auxquels on aurait pu présumer l’intention de les arrêter, nous ont assuré qu’ils étaient dans des dispositions toutes contraires.

Par rapport aux alarmes de Vernon, nous savons qu’en effet le tocsin a sonné dans cette ville et dans les environs, et que des citoyens des communes voisines s’y sont rendus en assez grand nombre et en armes.

Arrivés à Mantes, nous avons appris les faits par le maître de poste et de différentes personnes qui se trouvaient chez lui. Nous y avons appris de plus que les habitants de Vernon, et ceux qui étaient accourus à leur secours, n’avaient été réunis sous les armes que parce qu’on leur avait inspiré la crainte d’une agression hostile de la part des troupes envoyées par le département de l’Eure. Ce que nous avons appris de plus précis sur les faits nous le tenons des officiers municipaux de Pacy qui, sur la connaissance qui leur avait été donnée par l’officier de service à qui nous avions représenté votre arrêté, étaient venus nous trouver à notre auberge, et des administrateurs d’Évreux qui nous ont parlé les premiers.

Nous avons su qu’à Pacy une vingtaine de soldats avaient été envoyés dans cette commune par des administrateurs d’Évreux.

Les officiers municipaux de Pacy nous ont appris que les soldats avaient été bien reçus et se conduisaient bien, et qu’on était disposé à les conserver ; mais que le tocsin ayant été sonné, dans les municipalités voisines, par l’effet des déclamations de quelques individus de leur commune, et d’autres étant venus requérir leur départ, ils se seraient déterminés à l’ordonner ; que, dans l’après-midi, au moment où la société populaire était assemblée et où le maire, qui en est membre, faisait la lecture des papiers publics, était arrivée tout à coup une armée composée de quatre à cinq cents hommes, avec deux pièces de canon, ayant à sa tête un administrateur du département de l’Eure ; que cette arrivée avait jeté l’épouvante parmi beaucoup de citoyens, et que plusieurs, notamment ceux qui avaient fait sonner le tocsin dans les communes voisines, avaient pris la fuite et s’étaient rendus les uns à Paris, d’autres à Mantes, d’autres à Vernon ; que l’administrateur s’était introduit dans l’assemblée ; qu’après avoir exposé les principes qui dirigeaient les autorités de l’Eure et du Calvados, leurs sentiments et leurs projets, il avait notifié l’intention d’arrêter ceux qui lui avaient été désignés comme prêchant le pillage ; que cette résolution n’avait pu s’exécuter que sur un seul qui, le lendemain, fut mis en liberté par ordre des officiers municipaux.

Les officiers municipaux de Pacy nous ont encore appris que l’administration d’Évreux avait provoqué leur adhésion, et qu’ayant présenté une pièce intitulée Chant républicain, on l’avait chantée en chœur ; — nous avons quelques exemplaires de cette pièce que l’on appelle, dans le pays, chant des Normands — ; que cependant, les citoyens de Pacy se sont refusés à toute adhésion.

Ces mêmes officiers municipaux nous ont déclaré qu’en effet les individus contre lesquels étaient dirigées les poursuites étaient de fort mauvais sujets, redoutés dans le pays, parlant habituellement de couper les propriétés et s’étant livrés à différents actes conformes à leurs maximes ; ce qui est constaté par différents procès-verbaux dressés par l’un des officiers municipaux, qui est en même temps un des assesseurs du juge de paix.

Ils ont ajouté que ces hommes, ou du moins ceux d’entre eux qui s’étaient rendus à Vernon, y avaient annoncé que la ville allait être attaquée par la force militaire du département ; que cela avait été cru avec d’autant plus de facilité qu’il existe une sorte de division entre Vernon et Évreux ; qu’en conséquence, le tocsin avait été sonné dans Vernon et dans les communes voisines qui s’y étaient rendues en armes ; que cependant il ne paraît pas qu’il ait été dans le projet des administrateurs d’Évreux, ou des chefs de leur force armée, de se porter à aucun acte hostile contre la ville de Vernon ; qu’ils sont restés à Pacy fort tranquillement, et s’y sont comportés de manière à ne mériter aucun reproche.

C’est ici le lieu d’ajouter que, dans l’auberge de Mantes, où nous avons pris quelques renseignements, on nous déclara que les citoyens réunis en armes à Vernon s’en demandaient entre eux le motif. Nous devons encore observer que les officiers municipaux de Pacy nous ont témoigné qu’ils avaient vu avec chagrin qu’on eût absolument dénaturé, dans les papiers publics, ce qui s’était passé chez eux, et qu’on eût même publié que des femmes et des enfants y avaient été massacrés, tandis que l’ordre public a été maintenu et même protégé par les citoyens arrivés dans leur ville.

Nous sommes arrivés à Évreux sur les huit heures du soir ; nous avons été prévenus que les étrangers qui arrivaient dans cette ville étaient conduits devant les administrateurs du département ; nous avons même actuellement en mains la délibération du Conseil général du département qui ordonne cette mesure.

Lorsque, devant le premier corps de garde, on nous demanda l’exhibition de nos papiers, nous représentâmes votre arrêté, et pour nous éviter d’être conduits par la force armée devant les administrateurs, nous annonçâmes que notre intention et notre mission étaient de les aller trouver, aussitôt que nous aurions pris quelques rafraîchissements dans l’auberge où nous étions descendus. En effet, il fallait bien que nous leur parlassions, afin de connaître leurs arrêtés, leurs motifs et la disposition de leurs esprits.

Sur notre parole, on nous laissa poursuivre notre route dans la ville, et après avoir déposé nos effets dans l’auberge où nous étions descendus, nous nous sommes rendus de suite à l’administration.

Introduits, après qu’on nous eut fait déposer nos cannes au corps de garde qui est à l’entrée, nous exposâmes franchement l’objet de notre mission et nous fîmes lecture de votre arrêté. Cette lecture a été suivie d’explications et discussions assez longues, qui ont été reproduites lors de l’arrivée des membres qui se sont dits du Comité central des autorités du Calvados.

Le procès-verbal, dressé aussitôt que nous fûmes retirés et dont une expédition nous a été apportée, retrace exactement l’exposé des principes, des sentiments et des motifs qui nous ont été manifestés. Nous observons seulement qu’il ne retrace en aucune manière les objections et les réponses par lesquelles nous avons combattu leur résolution, quoique nous soyons entrés dans de grands détails, quoique nous ayons, auprès des administrateurs qui se disaient animés par le désir de la liberté, particulièrement insisté sur les dangers imminents d’une guerre civile, qui pouvait opérer la perte de la liberté et la dissolution du corps politique.

Nous leur avons aussi observé que si leurs principes étaient réellement ceux de la liberté et de l’égalité, l’acceptation de la Constitution présentée par la Convention nationale, et qui repose évidemment sur des principes de liberté et d’égalité, devait les satisfaire et opérer la réunion des esprits.

Ils nous firent aussi à ce sujet leurs réponses. Mais, obligés de vous faire un rapport prompt, il nous a paru qu’il serait plus facile à chacun de nous de suppléer à cet égard par un exposé verbal des différents détails de discussion qui ont pu se graver dans la mémoire de chacun.

Au reste, la lecture du procès-verbal que nous vous avons annoncé et celle d’une autre pièce, qu’on peut considérer comme le manifeste de l’assemblée centrale des départements du nord-ouest, vous laissera peu de chose à désirer sur les principes et les motifs du moins apparents de leur conduite.

Nous devons ajouter que les administrateurs nous ont déclaré que, pour connaître les intentions des habitants du département, nous étions maîtres d’assister aux séances des assemblées populaires ; mais, pressés de venir rendre compte à nos commettants, nous n’avons pu profiter de cet avantage, et c’est pour y suppléer qu’ils nous ont remis différents arrêtés de différentes assemblées communales de leurs cantons qui, autant que nous avons pu les juger, car nous ne les avons pas encore lus, sont conçus tous dans l’esprit des pièces dont l’Assemblée vient d’entendre la lecture.

Par rapport aux faits particuliers, soit de Pacy, soit de Vernon, les administrateurs nous ont déclaré que les premiers vingt hommes par eux envoyés à Pacy n’y avaient été envoyés que sur la réquisition même des officiers municipaux de cette ville ; qu’ils avaient entre les mains la lettre qui contient cette réquisition, lettre écrite et envoyée en secret par les officiers municipaux de Pacy, qui redoutaient les emportements et les violences de quelques individus de leur commune et que, si nous le voulions, l’un d’eux nous accompagnerait à Pacy, afin que nous pussions là être convaincus par la déclaration des officiers municipaux, qui avaient pu nous taire cette circonstance par un effet de la même crainte.

Quant à l’envoi d’une force plus considérable à Pacy, nous en trouverons le motif dans un arrêté des administrateurs, en date du ili juin ; ils ont voulu s’assurer un poste dans un lieu de passage qu’il leur paraissait important de garder.

Nous nous rappelons que, dans les explications que nous avons eues, ils ont indiqué d’autres raisons encore de cette conduite ; mais comme les explications ont roulé presque en même temps sur plusieurs objets, aucun de nous n’a pu se rappeler bien positivement quelle est la raison qui nous en a été donnée. Nous croyons pourtant que c’est le tocsin sonné dans différentes communes, aussitôt après l’arrivée du détachement de vingt hommes, et que les administrateurs ont cru devoir à la fois déclarer leurs principes, dans l’assemblée populaire de Pacy, et faire arrêter ceux qui avaient motivé le premier envoi et venaient de faire sonner l’alarme.

Quant à Vernon, ils nous ont confirmé ce qui nous avait été dit par les citoyens de Pacy et que jamais ils n’avaient pensé à faire marcher une force sur cette ville.

Sur l’article des approvisionnements, ils sont convenus qu’à la vérité quelques pots de beurre avaient été arrêtés dans le Calvados, dans l’effet du premier mouvement, mais que, loin de vouloir porter la famine dans Paris, ils étaient bien déterminés non seulement à ne pas arrêter l’approvisionnement et la circulation des vivres, mais à les protéger de tout leur pouvoir ; qu’ils sentaient trop — nous répétons ici leur langage sans prétendre ni en assurer ni en démentir la sincérité —, qu’ils sentaient trop, disons-nous, qu’il y aurait de l’injustice à confondre les citoyens innocents qui sont dans Paris avec les coupables que cette ville renferme.

Tel est le résultat des faits et des renseignements parvenus à notre connaissance. Nous aurions désiré qu’un plus long séjour nous mit à portée de nous procurer d’autres détails et de vérifier, avec plus de certitude encore, ceux que nous venons d’exposer. Mais nous avons pensé qu’il était extrêmement urgent de faire parvenir à votre connaissance ce que nous venions d’apprendre, par la même considération qui vous a déterminés vous-mêmes à ordonner notre départ, avant le concours des autres Sections.

Au reste, nous désirerions beaucoup que les autres Sections voulussent s’assurer par elles-mêmes de la vérité des faits que nous avons exposés. Nous le désirerions : pour l’intérêt général, afin qu’aucun citoyen ne puisse être induit en erreur, ni par notre rapport si nous avions été trompés sur quelque point, ni par les rapports étrangers qui’ ont pu leur survenir et dont quelques-uns nous ont paru inexacts ; et aussi pour nous-mêmes et pour la Section, afin qu’on fût bien convaincu que nous n’avons eu d’autre motif et d’autre objet que de connaître la vérité.

Nous laissons maintenant à la sagesse de l’Assemblée à fixer l’opinion qu’elle doit prendre de la conduite des différentes autorités, soit du département de l’Eure, soit du département du Calvados. Nous croyons seulement devoir vous dire qu’ils nous ont déclaré avoir le concours des départements qui composaient la ci-devant Bretagne ; que des  bataillons y avaient été levés ; qu’ils étaient en marche ; qu’ils se présenteraient tous ensemble sous les murs de Paris, portant la bannière qui leur fut donnée lors de la fédération ; qu’ils réclameraient alors le concours des Parisiens, afin d’effectuer leurs résolutions qui vous sont maintenant connues ; qu’ils désiraient obtenir ce concours et fraterniser avec tous les habitants de Paris ; mais qu’ils ne nous dissimulaient pas que si les citoyens de cette ville, égarés ou opprimés — car nous répétons ici leur langage —, ne se ralliaient pas à eux, alors pliant la bannière et développant un drapeau sur lequel est écrit : Guerre à la royauté, guerre à l’anarchie, République une et indivisible, résistance à l’oppression, ils n’écouteront plus alors, comme ils l’ont dit dans leur procès-verbal, que ce qu’ils appellent la voix de la liberté, du devoir et du salut du peuple.

ANGOT, CREVEL, ESCABASSE, MOUCHET.

 

A ce rapport était joint l’extrait suivant du registre des délibérations de l’Assemblée générale des autorités constituées du département de l’Eure.

Du 7 juillet 1793, l’an II de la République une et indivisible, à Évreux, en la séance d’après-midi de l’Assemblée générale des autorités constituées du département de l’Eure, réunies avec les commissaires de l’Assemblée générale du Calvados.

L’Assemblée délibérait les grandes mesures à prendre dans ce moment pour le salut du peuple et la défense de la vraie liberté, lorsqu’on a introduit quatre citoyens députés par la Section de la Fraternité de Paris, ainsi qu’il résulte des pouvoirs qu’ils ont représentés.

La Section de la Fraternité déclare que, pénétrée des alarmes qu’on répand sur les intentions hostiles du département de l’Eure ; craignant également de se livrer à une sécurité dangereuse et d’adopter légèrement des bruits injurieux à des frères qui, jusqu’à présent, lui ont été chers et dont les cœurs sans doute s’entendent avec ceux de leurs concitoyens, quels que soient les nuages qui semblent obscurcir cette union si désirable entre des Français également adorateurs de la liberté, elle charge quatre de ses membres de se rendre avec confiance dans le sein de ses frères et de s’assurer de leurs véritables intentions. Le même arrêté porte que les 47 autres Sections de Paris seront invitées à adhérer à cette mesure.

Cette démarche loyale et fraternelle, ce témoignage de la confiance des citoyens de Paris, ce vœu manifesté pour la paix, pour l’union et pour la liberté, ont flatté l’Assemblée qui a reçu ces députés avec tous les égards dus au caractère dont ils étaient revêtus. Une explication franche a suivi les premiers mouvements d’une réception amicale ; les républicains de l’Eure et du Calvados ont développé leurs principes, avec le langage simple et fier qui convient à la vérité, à l’amour de la liberté, mais de la liberté pure. La sûreté des personnes, le respect et la garantie des propriétés, le maintien de la République une et indivisible, le règne des lois, le culte de la vertu, voilà, ont dit ces administrateurs, ce que nous voulons : voilà les biens qui nous sont chers, ceux pour la défense desquels nos concitoyens, nous-mêmes, avons juré de périr s’il le faut... Jugez vous-mêmes, habitants de Paris, si nos sentiments sont purs, si nos motifs sont sacrés, si une plus juste cause appela jamais des citoyens sous les armes.

Les administrateurs ont de suite rappelé les tristes scènes, les faits si multipliés, les preuves authentiques qui constatent les crimes d’une faction liberticide et sanguinaire, les desseins ambitieux de ses chefs, les attentats commis à la représentation nationale, la violation des droits et de la souveraineté du peuple dans la personne de ses représentants, enfin l’état d’avilissement et de désorganisation où, par la terreur, la séduction et la violence, on est parvenu à réduire la Convention nationale. Non, ont ajouté ces administrateurs, lorsque de nouvelles chaînes menaçaient les mains des Français, lorsqu’un joug nouveau était préparé pour eux, lorsqu’on entendait crier du haut de la Montagne qu’il leur fallait un chef, un maître, les hommes du Nord, les fils des fiers Normands ne pouvaient pas rester dans un honteux silence, dans une infamante léthargie. Les habitants du Calvados et de l’Eure se sont levés ; ils ont fait flotter leurs bannières unies, ils ont proclamé la guerre à l’anarchie comme à la royauté. Les descendants des Bretons ont imité ce mouvement superbe ; déjà leurs bataillons se mêlent avec les nôtres. Notre voix a retenti jusque dans les plaines du Midi. De toutes parts des armées contre-anarchiques se forment ; le droit sacré de résistance à l’oppression est bientôt invoqué dans la grande majorité des départements ; partout le peuple déclare qu’il veut la vertu, les lois et la paix. Et nous, nous jurons de ne quitter les armes que quand il aura recouvré les biens que les scélérats amis de l’anarchie, que les partisans de la royauté, que des hommes avides d’or et de sang ont voulu lui ravir.

Pour vous, citoyens, qu’une Section de la ville de Paris envoie nous porter des paroles amies, vous jouirez ici de tous les droits de la fraternité, vous y serez libres et en sûreté ; les hommes n’y ont rien à craindre que les lois. Peut-être en ce moment, si nous étions dans vos murs, n’y trouverions-nous pas les mêmes avantages ; mais les braves habitants du Nord ne connaissent ni les poignards, ni les haches des proscripteurs ; ils ne savent se servir que de leurs armes.

Citoyens, dites à nos frères de Paris que c’est aussi pour eux que nous marchons ; dites-leur que nous voulons briser le joug sous lequel gémit la majesté des habitants de cette grande capitale, qui n’a à se reprocher que de n’avoir pas montré assez de courage et développé assez d’énergie, lors même qu’elle aurait désiré secouer les chaînes du nouvel esclavage qu’on lui propose.

Si cette majorité nous seconde, si elle se rallie sous nos bannières, le sang sera épargné, nos glaives ne deviendront point l’instrument de la vengeance ; mais si le crime continue à siéger dans le Sénat, s’il y dicte impérieusement les lois, alors nous n’écouterons plus que la voix de la liberté, du devoir et du salut du peuple.

Guerre à la royauté, guerre à l’anarchie, tel est notre serment, et nous ne jurons pas en vain.

Les citoyens de Paris ont exprimé à leurs frères du Calvados et de l’Eure le désir qu’ils avaient de voir se resserrer les nœuds de la fraternité jurée à la naissance de la Révolution ; ils ont annoncé qu’ils allaient reporter à leurs commettants la profession de foi et les principes qu’ils venaient d’entendre. L’Assemblée les a invités à se charger des différentes délibérations et adresses du Calvados et de l’Eure, qui en contiennent la manifestation, et que les citoyens députés ont assuré n’être pas encore parvenues à leur Section ; ils se sont retirés au milieu des témoignages réciproques de l’estime et de la fraternité.

LECERF, président ; J.-N. CHAMBELLANT, vice-président.

 

SECTION DE LA FRATERMITÉ.

Séance du 9 juillet 1793.

COQUEREL, président ; DEBIÈVRE, vice-président ; CHEMITTE, secrétaire.

Les Sections des Arcis, de la Maison Commune, des Sans-culottes, du Pont-Neuf, de la Halle-au-Blé, de l’Observatoire, du Temple, des Tuileries, du Mail, de l’Homme-Armé, de Bon-Conseil, de Molière et La Fontaine, du Muséum, de la Cité, des Gardes-Françaises, du faubourg Montmartre, de Beaurepaire, des Gravilliers, des Amis-de-la-Patrie, ayant envoyé des commissaires pour assister à la lecture du rapport dos commissaires envoyés dans le département de l’Eure, la Section a arrêté sa lecture.

Une députation de la Section de Montreuil et une de la Section de 1792 sont admises.

Un des commissaires de la députation de la Section de la Fraternité, qui avait été envoyé dans le département de l’Eure, a fait lecture de son rapport et des pièces qui lui ont été remises dans ce département.

Plusieurs membres ont demandé l’impression du rapport et des pièces.

La députation du Muséum s’est opposée à l’impression.

Des commissaires de la section du Mail, de Molière et La Fontaine ont demandé qu’il leur fût envoyé, à chacune, plusieurs exemplaires du rapport ensemble des pièces.

Des citoyens de la Section de la Fraternité ont demandé l’impression à leurs frais.

Le commissaire de la Section de Montreuil a demandé l’impression.

Un citoyen de la Section de la Fraternité a demandé si les commissaires envoyés dans l’Eure avaient présenté aux citoyens de ce département la Constitution. II lui a été répondu qu’on leur avait opposé cette Constitution comme le plus fort argument contre les arrêtés de l’Eure et du Calvados.

Les commissaires de la Section du Mail ont demandé à supporter individuellement partie des frais de l’impression ; ceux de la Section de Popincourt, des Amis-de-la-Patrie, des Gardes Françaises et de Montreuil ont fait la même demande.

L’impression, mise aux voix, est adoptée.

Une nouvelle lecture a été faite du rapport et de l’arrêté du département de l’Eure.

La séance est levée.

 

CONSEIL GÉNÉRAL DE LA COMMUNE DE PARIS.

Séance du lundi 10 juillet 1793.

Un membre annonce que la Section de la Fraternité a envoyé des commissaires dans le département de l’Eure ; qu’un de ces commissaires, Mouchet, est porteur d’un manifeste des rebelles qui se trouvent dans le département de l’Eure ; que la Section de la Fraternité, induite en erreur, a invité des commissaires de chaque Section pour en entendre la lecture ; que cette pièce est une véritable déclaration de guerre, un manifeste contre la Constitution et contre la Convention, et que son but et son résultat est d’empêcher le recrutement.

Un autre membre ajoute que déjà, dans quelques autres Sections, l’esprit qui a dicté le manifeste entrave le recrutement et agite les esprits.

Sur le réquisitoire du procureur de la Commune ;

Le Conseil prend pour dénonciation les faits articulés ci-dessus ; arrête qu’ils seront sur-le-champ communiqués au département de police, comme empêchant le recrutement ; ordonne que le Comité de police, sous sa responsabilité, prendra dans l’instant toutes les mesures nécessaires pour étouffer ce nouveau ferment et que, dans trois jours, il fera rapport au Conseil des mesures qu’il aura prises ; invite les membres qui ont fait la dénonciation à se rendre sur-le-champ au Comité de police, pour y donner les renseignements qui dépendent d’eux.

Le Conseil, voulant empêcher les mauvais effets et les inconvénients qui pourraient résulter de ce manifeste répandu par les rebelles et par les correspondants qu’ils entretiennent dans Paris, arrête qu’une circulaire sera adressée aux Sections, pour les prémunir contre les perfides insinuations qui sont présentées par les commissaires envoyés dans le département de l’Eure par la Section de la Fraternité.

RENOUARD, président ; DORAT-CUBIÈRES, secrétaire-greffier.

 

SECTION DE LA FRATERNITÉ.

Séance du 10 juillet 1793.

COQUEREL, président ; POULLETIER, secrétaire.

En l’absence des citoyens secrétaires, l’Assemblée a nommé le citoyen Poulletier.

Une députation de la Section du Luxembourg et une de la Section de la Butte des Moulins se sont présentées, d’après l’invitation qui leur est parvenue trop tard, à l’effet d’entendre le rapport des commissaires envoyés dans l’Eure.

Sur le désir manifesté par lesdits députés d’avoir connaissance dudit rapport, sans attendre la communication qui doit être faite à toutes les Sections par la voie de l’impression, l’Assemblée invite lesdits députés à se rendre auprès du citoyen Mouchet, chargé dudit rapport, afin qu’il leur donne toute satisfaction à cet égard.

L’Assemblée a en outre arrêté que son président répondrait aux députations qui se présenteraient à l’avenir, pour le même objet, que l’Assemblée les invitait à se rendre chez le citoyen Mouchet, pour prendre communication du dit rapport et des pièces qui y sont jointes.

 

Séance du 12 juillet 1793.

COQUEREL, président ; POULLETIER, secrétaire.

Une députation de Molière et La Fontaine a été admise et a donné communication à l’Assemblée du rapport fait par les commissaires de ladite Section de la mission dont ils avaient été chargés pour le département de l’Eure. Le président, au nom de l’Assemblée, a remercié la députation et lui a donné l’accolade fraternelle.

Une députation de la Section de Beaurepaire s’est présentée et a confirmé, au nom de ladite Section, le vœu que ses commissaires avaient formé hier pour l’impression du rapport et des pièces qui avaient été lues à la suite.

Deux autres députations, l’une de la Section du Pont-Neuf, l’autre de celle des Marchés, ont été admises et ont demandé à prendre communication du procès-verbal de la séance d’avant-hier et du rapport des commissaires envoyés dans l’Eure.

Le président répond que le rapport et les pièces à l’appui avaient été livrés à l’impression et qu’ils leur seraient envoyés, dès qu’ils auraient été rendus par l’imprimeur.

Mais sur le désir exprimé particulièrement par le député du Pont-Neuf, l’Assemblée autorise un de ses membres à se transporter avec le député au Comité de surveillance pour lui donner satisfaction.

Un membre est monté à la tribune pour demander que l’Assemblée modifiât son arrêté d’hier, quant à l’impression des pièces qui ont été lues par les commissaires, et que l’impression fût restreinte au seul rapport. Cette demande a donné lieu à une vive discussion au milieu de laquelle le citoyen Mouchet, l’un des commissaires, a dit que la mission dont la Section Pavait honoré pouvait être la seule cause de l’acte arbitraire qui venait d’être exercé contre lui, en le mettant sous le lien d’un mandat d’amener et en apposant les scellés sur ses effets. Qu’au surplus, fort de sa conscience et ferme dans ses principes, il appuyait de toutes ses forces le maintien de l’arrêté pris hier, pour l’impression de toutes les pièces lues dans la séance d’hier. L’Assemblée a arrêté qu’elle persistait dans son arrêté.

Le citoyen Ango, l’un des commissaires pour le département de l’Eure, a protesté contre cet arrêté.

L’Assemblée a en outre arrêté que celui qu’elle venait de prendre pour l’impression serait communiqué sur-le-champ au Conseil général de la Commune par quatre commissaires, lesquels notifieraient aussi au Conseil général que la Section prenait sous sa sauvegarde tous les citoyens demeurant dans son arrondissement, et notamment les commissaires envoyés dans l’Eure.

L’Assemblée a nommé commissaires, pour se transporter à la Commune, les citoyens Guillemette, Crevel, Jacquet et Doublet.

L’Assemblée générale a aussi ordonné que les scellés apposés chez le citoyen Mouchet seront levés à l’instant par des commissaires pris dans son sein, tant en absence qu’en présence d’un des administrateurs de police, lesquels commissaires feront vérification des papiers qui se trouvent chez le citoyen Mouchet.

Et a nommé pour assister à la levée des scellés les citoyens Moreau, Piètre fils et Caron.

 

Séance du 12 juillet 1793.

CREVEL, président ; POULLETIER, secrétaire.

Lecture a été faite d’un extrait des registres des délibérations du Conseil général de la Commune du 10 juillet courant.

D’après la lecture de cette pièce,, un des commissaires chargés de porter hier à la Commune l’arrêté pris par la Section, relativement au citoyen Mouchet, a fait son rapport et a dit que, la séance de la Commune étant tenue quand ils s’y sont transportés, ils avaient été de suite à la mairie ; que le maire n’étant pas encore rentré, ils s’étaient présentés à un administrateur de police, qui les avait fort mal reçus et s’était même laissé aller à des propos injurieux pour différents membres de la Section ; que le maire étant arrivé, ils lui avaient fait part de l’objet de leur mission, mais qu’il n’avait pas voulu les entendre et leur avait fait une réponse par écrit, dont le commissaire rapporteur donne lecture. Elle porte en substance que, sans discuter le fond et les expressions de l’arrêté de la Section, il prévenait le président de l’Assemblée de ladite Section qu’il ne devait point permettre que les scellés apposés chez le citoyen Mouchet par les administrateurs de police fussent levés, et que ledit président serait responsable au Conseil général de la Commune de cette infraction à la loi, si elle avait lieu.

 

CONSEIL GÉNÉRAL DE LA COMMUNE DE PARIS.

Séance du 12 juillet 1793.

Le Conseil général, après avoir entendu le procureur de la Commune, casse et annule l’arrêté pris par l’Assemblée générale de la Section de la Fraternité le 11 du présent mois, et arrête qu’il sera dénoncé au département.

Arrête en outre que ledit arrêté sera envoyé à l’administration de police, à l’effet de poursuivre par-devant le Tribunal révolutionnaire les auteurs et signataires dudit arrêté, comme tendant à propager les principes du fédéralisme : ensemble les complices et fauteurs de la distribution d’une proclamation signée Wimpfen, mis en état d’arrestation et déclaré rebelle par la Convention nationale ; charge en même temps l’administration de police de poursuivre, par-devant le même Tribunal, tous ceux qui cherchent à empêcher ou à éloigner la levée de la force armée destinée pour le département de l’Eure.

Arrête enfin que l’administration de police rendra compte du résultat de ses poursuites dans le plus bref délai.

LEBON fils, vice-président par intérim ; DORAT-CUBIÈRES, secrétaire-greffier.

 

Le lendemain, un journal qui avait des attaches girondines et qui était rédigé par Dulaure, l’un des futurs proscrits du 3 octobre, contenait cet entrefilet assez timide, mais où l’on voit les sentiments secrets de son rédacteur.

La chronique de Paris vient de publier un extrait du rapport qu’ont fait les quatre commissaires envoyés par la Section de Molière et de La Fontaine dans le département de l’Eure ; il résulte de ce rapport, qui est tout à l’avantage des départements coalisés, que le serment qu’ils ont prêté est : guerre à la royauté, à l’anarchie, sûreté des personnes, respect des propriétés, amour de la vertu et des lois. Les coalisés se plaignent de l’erreur dans laquelle on a tenu les habitants de Paris à leur égard, et protestent vouloir la République une et indivisible.

Nous ne dirons pas jusqu’à quel point il faut compter sur l’authenticité de ce rapport, qui a été déjà dénoncé à la Commune comme une pièce très funeste à la Révolution du 31 mai et comme un ouvrage de l’aristocratie[2].

 

COMMUNE DE PARIS.

Séance du 16 juillet 1793, an II.

Par-devant Nous, administrateurs au département de police, à la mairie, est comparu le citoyen François-Pierre Dufresne, l’un des inspecteurs de police, demeurant à Paris, lequel nous a déclaré que, pour l’exécution de nos ordres, il a été chargé d’amener aux Madelonnettes un nommé Mouchet, juge de paix de la Section de la Fraternité, demeurant île Saint-Louis ; qu’à cet effet il a été au Conseil général de la Commune où on lui a dit qu’il était ; que s’étant approché dudit Mouchet et l’ayant suivi, depuis le Conseil jusqu’à la porte d’entrée de lhôtel commun, et se disposant à le séparer de sa femme et de la Section qui le suivait, la Section en masse, qui l’accompagnait et l’entourait, a fait ses efforts pour le soustraire à lui déclarant, qui lui avait intimé son ordre de le suivre ; que le commissaire de police de ladite Section a fait une opposition précise et formelle à ce qu’il s’emparât dudit Mouchet, en disant aux membres de la Section qui accompagnaient ledit Mouchet, qu’on exerçait envers lui un acte arbitraire, qu’il ne fallait pas souffrir qu’on l’emmenât ; qu’il récidiva, à plusieurs fois et la dernière au corps de garde de la réserve, que c’était un acte arbitraire contraire à la loi. Lecture faite, a signé.

DUFRESNE.

 

Cependant force étant restée à la loi, Mouchet dut subir un long interrogatoire devant les administrateurs de police Lechenard, Froidure et Figuet, qui le maintinrent en état d’arrestation et envoyèrent son dossier au Tribunal révolutionnaire. Fouquier-Tinville ne se pressa guère de faire juger l’imprudent, et ce retard le sauva. Quand Mouchet comparut devant le Tribunal, le 14 septembre, l’insurrection normande était vaincue et le jury déclara que l’accusé avait agi sans intentions contre-révolutionnaires. Mouchet fut immédiatement rendu à la liberté.

 

IV. — PROCLAMATION DE l’AVANT-GARDE DE L’ARMÊE RÉPUBLICAINE ET CONTRE-ANARCHISTE DU NORD.

 

Pacy, 13 juillet au matin.

Aux habitants de Vernon et à tous les bons Français, salut et amitié fraternelle.

Au nom de la liberté que nous défendons ; au nom des lois dont nous sommes les vengeurs ; au nom de la République une et indivisible, pour le maintien de laquelle nous avons juré de périr s’il le faut ; au nom des droits sacrés du peuple de tous les départements insurgés pour résister à l’oppression, nous vous demandons l’hospitalité et le libre passage.

Nous marchons pour délivrer Paris et la France du joug de l’anarchie et rétablir dans ses droits la représentation nationale outragée. Notre cause est celle de tous les amis du bonheur public et de la vertu.

Nous ne voulons pas faire couler le sang ; nous voulons devoir à la force de la raison, et non à celle de nos armes, le salut de la France et notre triomphe.

Notre désir le plus cher est de ne rencontrer partout que des citoyens, avec lesquels nous puissions resserrer les liens d’une fraternité sainte, et non des ennemis que nous devions combattre et vaincre.

Citoyens de la ville de Vernon et vous, habitants des campagnes qui l’avoisinent, c’est surtout à vous que ce vœu s’adresse ; répondez promptement ; venez, nous vous tendons les bras, nos embrassements fraternels vous attendent.

Bougon, commissaire civil du Calvados ; L’Adam, commissaire civil de l’Eure ; Jehanne, commissaire civil d’Ille-et-Vilaine ; Gauthier, commissaire civil ; Mesnil, Levesque, Lenormand, commissaires civils du Calvados ; Louis Caille, procureur syndic du district de Caen ; le général Joseph Puisaye ; Alexandre Puisaye, chef de brigade ; Néron, adjudant général ; Asire, administrateur ; Leroy, chef de bataillon ; Latibon, Thibault, administrateurs du Calvados ; Bouquet, capitaine d’artillerie de l’Eure ; Petit, Dumont, sous-lieutenants d’Évreux ; Guéroult, Cheschin, officiers de l’Eure ; Fromental, capitaine de chasseurs ; Leroy, capitaine ; Langraye, lieutenant de grenadiers ; Malherbe, premier chef de bataillon d’Ille-et-Vilaine ; Dauphin, adjudant-major d’Ille-et-Vilaine ; François Lacouture, chef du bataillon du Calvados.

 

 

 

V. — LETTRES DE BRUNE À VINCENT.

 

18 juillet 1793.

Mon cher ami,

Les soldats de Buzot ont fui avec tant de précipitation qu’il est douteux de pouvoir les atteindre en deçà de Caen. Mon avis est cependant qu’il faudrait les poursuivre, sans leur donner le temps de se reconnaître, et les forcer de nous livrer leur roi et ses hommes d’État. Mais il faut, dit-on, attendre des ordres nouveaux qui autorisent à poursuivre dans le Calvados.

L’état-major de l’armée me parait composé de bons Sans-culottes, et je n’ai rien vu jusqu’à présent qui puisse me faire changer d’opinion. Buzot appelait ici l’indignation contre l’armée, qu’il nommait l’armée Lindet par représailles.

L’armée Buzot, d’après tous les indices que j’ai pu recueillir, n’est composée à cette heure que de huit cents fuyards. Nous trouverons ici les effets qu’ils ont abandonnés pour fuir avec plus de vitesse. Les administrateurs du département de l’Eure ont emporté en fuyant 1.100.000 lt des deniers publics ; deux malles, appartenant à son altesse royale la femme Buzot, ont été arrêtées par la municipalité d’Évreux.

Tous les rapports qui nous sont faits, sur la disposition des esprits à Caen, s’accordent en ce point que bientôt elle sera terrible aux traîtres. Cependant, il ne faut pas donner à Wimpfen le temps de se reconnaître. Réfléchis à ceci : une prompte expédition peut épargner bien des maux dans ce pays et porter le coup mortel à la rébellion de la Vendée.

Ton ami,

BRUNE.

 

Évreux, 20 Juillet 1793.

Mon cher Vincent,

Je te requiers de me faire expédier l’ordre de route pour trois chevaux et leur conducteur, dont j’ai besoin à Évreux pour mon service. La lettre ci-incluse pour le ministre de la Guerre en contient la demande. Tu voudras bien faire parvenir à ma femme cet ordre sur le champ, pour qu’elle le fasse exécuter ; lettre R.

Tout va bien ici. Nous attendons l’expédition officielle du décret concernant la maison de Buzot pour la raser. Je crois pourtant que l’inscription fait trop d’honneur à Buzot ; elle aurait dû être conçue ainsi : Ici exista la maison du scélérat Buzot, qui troubla un instant la tranquillité de sa ville natale par ses faits inciviques.

Cent vingt cavaliers armés et montés sont venus se ranger sous les drapeaux de la République ; nous les faisons partir pour Orléans. Tu pressens nos raisons ; mon avis serait que tous les officiers apostats fussent destitués. Comment pourraient-ils avoir notre confiance ?

Si nous avions reçu des ordres pour pénétrer dans le Calvados — car on dit que des ordres pour cet objet nous sont nécessaires —, le roi Buzot n’existerait pas plus que son autorité, et nous pourrions tourner Nantes, etc. Nous manquons d’effets de campement, bidons, marmites, tentes, etc., etc. Ces objets utiles devraient nous arriver en poste.

On vient d’arrêter des voitures d’effets de campement destinés pour Caen : à coup sûr les administrateurs de Saint-Denis qui les ont expédiées doivent être et seront guillotinés.

Tout à toi,

BRUNE.

 

24 juillet 1793.

Mon ami,

l’on activité à me procurer l’ordre de route que je demandais pour mes chevaux ne m’a pas surpris. C’est ainsi que nous devons nous comporter entre amis républicains. Pour ce qui concerne les démarches que tu m’annonces avoir faites pour moi, de concert avec Audouin, je ne vois pas sur quoi elles peuvent porter ; car moi, je ne demande rien, et je sais qu’il est plus aisé de remplir un petit Rollet qu’un poste plus élevé. Ne te mets donc pas en peine de moi, et que ma défense ne te cause aucun désagrément, car je serai, dans vingt et trente ans si je vis, le républicain le plus zélé mais le plus dégagé d’envie et d’ambition.

C’est un grand coup d’avoir destitué Custine. La politique exigerait-elle la conservation de Lamarlière ? Je n’entends pas cette politique qui perpétue le mal et diffère le bien. Moreau et Keating seront-ils conservés ? Serons-nous longtemps gouvernés par les nobles et par les étrangers ?

Les négociations font ici beaucoup plus que l’effort des armes. Lisieux nous promet une belle réception ; nous attendons une députation aujourd’hui de cette commune. L’esprit de Caen change ; les Buzotins commencent à y être conspués et l’armée elle-même se repent de bonne foi. La meilleure preuve qu’on puisse en donner est la déclaration de Wimpfen à la commune de Lisieux : J’ai été trompé ainsi que vous, a-t-il dit, je maudis ceux qui nous ont abusés.

Les bonnes gens veulent l’excuser, mais à d’autres.

L’armée ennemie se retire sur Bayeux bien diminuée.

Les bataillons de Paris ne veulent pas passer le département de l’Eure, mais nous viendrons à bout de changer cette résolution.

Obligé de marcher sur l’ennemi, la discipline et les approvisionnements de l’armée n’étaient pas les objets les plus importants dont le général fût occupé. Maintenant ces objets sont à l’ordre.

Nous marcherons sur Lisieux et Caen au premier ordre des députés et l’armée ennemie n’existera plus ; Caen et Lisieux se disposent à l’acceptation de la Constitution.

Je t’embrasse bien et ton épouse aussi.

BRUNE.

 

 

 



[1] Mouchet était juge de paix de la Section ; Escabasse, horloger et Ango, marchand de vin.

[2] Thermomètre du Jour, n° du 13 juillet 1793.