HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

NOTES, ÉCLAIRCISSEMENTS ET PIÈCES INÉDITES

 

III. — LES OFFICIERS MUNICIPAUX DÉNONCÉS POUR AVOIR MONTRÉ QUELQUE SYMPATHIE AUX PRISONNIERS DU TEMPLE.

 

 

Six membres du Conseil général de la Commune furent accusés du crime de sympathie envers la famille royale. Cinq avaient été dénoncés par Tison et sa femme. Le sixième le fut plus tard par Simon. Les cinq premiers étaient :

Lepitre (Jacques-François), âgé de trente ans, ci-devant professeur de rhétorique au collège de Lisieux, maître de pension, né à Paris, y demeurant, section de l'Observatoire ;

Toulan (François-Adrien), libraire, rue du Monceau, section de la Maison-Commune ;

Bugnau (Nicolas-Marie-Jean), âgé de trente-neuf ans, architecte, né à Paris, y demeurant, rue Mouffetard, section des Sans-Culottes ;

Moelle (Claude-Antoine-François), âgé de trente-sept ans, ci-devant suppléant du procureur de la Commune près les tribunaux de police municipale et correctionnelle, né à Dieuze (Meurthe), demeurant Cloître-Notre-Dame ;

Vincent (Jean-Baptiste), âgé de trente-cinq ans, entrepreneur de maçonnerie, né à Moustier-Saint-Jean (Côte-d'Or), demeurant à Paris, section des Fédérés (Indivisibilité).

Le sixième se nommait Lebœuf (Nicolas), instituteur, né à Vassy (Haute-Marne), demeurant à Paris, rue des Prouvaires (section du Contrat-Social).

Ce fut le 19 avril que la dénonciation de Tison et de sa femme fut faite entre les mains des commissaires de service au Temple. Dès le 20, elle fut lue au Conseil général. Toulan et Vincent étaient présents et demandèrent qu'à l'instant on envoyât apposer les scellés chez eux. Cette mesure fut adoptée sans opposition et étendue aux trois membres absents. On raya les noms des cinq inculpés de la liste des commissaires chargés de la surveillance de la tour du Temple. Cependant ils continuèrent à siéger au Conseil.

Lepitre, à la mauvaise note résultant de la dénonciation de Tison, en joignit bientôt une autre : il refusa de signer la pétition que la Commune avait formulée contre les vingt-deux députés girondins, dont elle demandait l'expulsion (voir page 140. Mais laissons parler le procès-verbal lui-même ; nous saurons quelle pression les meneurs de l'Hôtel de ville prétendaient exercer sur tous les membres du Conseil.

Séance du 15 avril.

Le Conseil général arrête que la pétition qui a été présentée ce matin à la Convention sera lue à l'instant, et que les membres, qui ne l'ont pas encore signée, seront invités à la signer ; qu'en conséquence il sera mis sur le bureau une feuille de papier indicative de l'adhésion à cette adresse, et que chacun des membres y apposera sa signature.

 

22 avril.

Un membre a demandé que l'on fit lecture de la liste des signatures des membres adhérents. Cette proposition a excité de fortes réclamations de la part de ceux qui n'avaient point encore signé, et notamment de la part des membres composant les différentes commissions du Conseil, qui se sont plaints que la pétition ne leur avait pas été envoyée dans leurs bureaux.

La lecture de la liste des signatures est mise aux voix et arrêtée, le secrétaire-greffier l'a effectuée.

Il a observé dans cette nomenclature qu'une signature était effacée de manière à ne la pouvoir déchiffrer. La lecture terminée, il s'est trouvé quatre-vingts signatures. La feuille d'adhésion a été déposée sur le bureau pour recevoir par suite les signatures de ceux qui jugeraient à propos d'adhérer.

Nota. Après avoir cherché à connaître le nom du citoyen qui avait effacé sa signature, on a découvert que c'était Lepitre.

 

25 avril.

Lecture est faite d'une lettre par laquelle le citoyen Lepitre, membre du Conseil général, se plaint de ce qu'on a mal interprété les motifs qui l'ont engagé à effacer sa signature sur la liste d'adhésion à la pétition du 15 avril ; il déclare qu'en apposant sa signature sur cette liste, il avait d'abord cru signer la liste de présence ; que, s'étant aperçu de son erreur, il l'avait rayée sur-le-champ, attendu qu'il n'est pas dans ses principes de signer une pétition avant de l'avoir lue.

Le Conseil général, après ample discussion et mûr examen, reconnaissant que l'explication donnée par Lepitre manque de vérité, qu'elle n'a même pas l'ombre de vraisemblance ; que, dans cette occasion, Lepitre a joint le mensonge à la lâcheté, arrête que, sous ces deux rapports, il sera censuré et qu'expédition de cet arrêté sera envoyée à sa section.

 

Le procès-verbal relatif à Lebœuf n'est pas moins curieux.

Séance du 5 septembre.

Le procureur général de la Commune invite le Conseil à purger de son sein tous les amis des rois et des reines, et même à les faire mettre en arrestation dès ce soir. Il accuse Lebœuf de s'être conduit d'une manière basse et servile dans le service du Temple et de n'y avoir jamais eu le caractère républicain. Il lui reproche surtout d'avoir réprimandé le patriote Simon, chargé de l'éducation du fils Capet, et d'avoir trouvé mauvais qu'il l'élevât comme un sans-culotte.

Lebœuf, présent à la séance, prend la parole pour se disculper. Il dit que, par état, il n'aimait point à entendre des chansons indécentes, et qu'il avait témoigné son déplaisir au citoyen Simon, qui s'était souvent permis d'en répéter de semblables devant le petit Capet, auquel il aurait désiré qu'on donnât une éducation plus conforme aux bonnes mœurs. Des membres s'élèvent contre Lebœuf. Un d'entre eux assure qu'il lui a dit qu'il n'avait accepté la Constitution que par considération.

Un autre membre dénonce qu'on a trouvé le fils de Lebœuf parmi les jeunes muscadins qui se sont assemblés aux Champs-Élysées pour s'opposer au recrutement du contingent pour la Vendée.

D'après toutes ces explications, le Conseil général arrête que Lebœuf se retirera par-devant le département de la police pour y être interrogé, et que les scellés seront mis sur tous ses papiers, arrête en outre que le présent arrêté et copie des dénonciations faites par Folloppe et Godeau seront envoyées à l'administration de police et à la section de Lebœuf.

 

Séance du 6 septembre.

Les commissaires nommés pour prendre des informations sur les faits énoncés contre le citoyen Lebœuf, lors de son service au Temple, font leur rapport ; ils communiquent les différentes déclarations qui ont été faites au Temple et signées par les différents témoins. Elles confirment tous les faits qui lui ont été imputés hier.

Le Conseil renvoie toutes les pièces au département de police.

 

Ces diverses dénonciations n'eurent pas de suites immédiates, mais, quelques autres officiers municipaux, administrateurs de police, Michonis, Dangé et Jobert, ayant été impliqués dans une prétendue conspiration dite de l'Œillet-Rouge, ainsi appelée parce qu'un œillet de cette couleur avait été présenté à Marie-Antoinette dans les prisons de la Conciergerie, on voulut rattacher cette nouvelle affaire à l'ancienne, et Fouquier-Tinville lança des mandats d'amener contre toue les membres du Conseil général qui avaient été signalés comme ayant donné quelques marques de sympathie ou de respect aux prisonniers du Temple.

Lepitre, Lebœuf, Moelle, Bugniau et Vincent furent arrêtés le 8 octobre 1793. Toulan s'esquiva pendant qu'on faisait chez lui des perquisitions.

Ces cinq membres de la Commune furent traduits le 29 brumaire an Il devant le Tribunal révolutionnaire ; mais, comme on ne put apporter aucune preuve contre eux, ils furent acquittés. A cette époque le Tribunal acquittait quelquefois encore, il se corrigea bien vite de ces velléités de clémence.

Lepitre, Lebœuf, Moelle et Bugniau survécurent à la période révolutionnaire. Lepitre et Moelle ont publié dans d'intéressants opuscules les souvenirs de leurs visites au Temple. L'ouvrage de Lepitre est intitulé : Quelques Souvenirs ou notes fidèles sur mon service au Temple ; celui de Moelle : Six Journées passées au Temple.

Vincent fut le seul qui, après son acquittement, reprit sa place au Conseil général. Chose bizarre ! cet homme, qui avait été compromis pour avoir donné quelques témoignages de sympathie aux prisonniers du Temple, périt un an après (9 thermidor) sur l'échafaud comme complice de Robespierre. Nous avons dit plus haut que Toulan s'était échappé au moment où l'on venait l'arrêter, le 8 octobre 1793. Malheureusement il fut plus tard saisi à Bordeaux, ramené à Paris et traduit devant le Tribunal révolutionnaire le 12 messidor an II. Moins heureux que son ami Lepitre, il fut condamné à mort et exécuté le même jour.

 

II

Après les accusés, occupons-nous un instant des accusateurs : de Tison et de sa femme.

La femme Tison devint folle à la fin de juin 1793. On fut obligé de la transférer à l'Hôtel-Dieu, où elle ne tarda pas à mourir. Tison lui-même devint suspect de modérantisme aux yeux d'Hébert et de ses acolytes. Il fut enfermé sans mandat d'arrêt, et sur un simple ordre du Conseil, dans une dépendance de la tour du Temple. Il y était encore lors du 9 thermidor, et y resta même longtemps après cet événement, qui ouvrit la porte des prisons à tant de monde. C'est ce que prouvent les deux pièces suivantes que nous avons retrouvées.

 

Aux citoyens Représentants du peuple.

Paris, le 27 fructidor, 2e année républicaine.

Exposent, les malheureux enfants de Pierre-Joseph Tison, que leur père gémit dans les prisons du Temple, où il est au secret depuis le 1er vendémiaire dernier, sans en pouvoir connaître la cause.

Sous le règne de la tyrannie, les plaintes des malheureuses victimes ne pouvaient pénétrer ; on était sourd à leur voix. Mais aujourd'hui que la Convention a mis la justice et l'humanité à l'ordre du jour, les infortunés viennent avec confiance déposer leurs chagrins dans le sein de dignes représentants et sont persuadés que l'innocence et le malheur auront des droits sur vos cœurs, et que vous ne rejetterez pas la réclamation de deux enfants qui viennent vous prier de leur rendre leur père et un vrai citoyen à la République.

TISON fils ; Victoire TISON, femme MASCAL.

 

CONVENTION NATIONALE.

Comité de sûreté générale et de surveillance de la Convention nationale.

Du 15 pluviôse an III de la République française.

En vertu de l'ordre des représentants du peuple, nous, François Gérard, l'un des chefs du quatrième bureau, avons fait extraire le nommé Tison, détenu dans l'une des tours du Temple, et lui avons demandé ses nom, âge, profession, pays et demeure. A répondu se nommer Pierre-Joseph Tison, âgé de soixante ans, né à Valenciennes, ci-devant employé à la Régie, et depuis valet de chambre de la famille des Capets détenus.

D. Depuis quel temps il n'est plus valet de chambre ?

R. Depuis dix-sept mois qu'il est détenu au secret.

D. Par quel motif et par quel ordre il a été mis au secret ?

R. Par ordre de la municipalité définitive, et qu'il en ignore le motif. Cependant, étant sûr d'avoir bien rempli ses devoirs, il pense qu'il ne peut être là que parce qu'on l'a oublié, ou par une politique qu'il ne conçoit pas.

D. S'il n'a jamais fait de réclamations auprès des ex-municipaux de garde au Temple, et depuis aux officiers civils des sections ?

R. Que, d'après plusieurs réclamations qu'il a faites, la municipalité avait pris un arrêté pour lui rendre la liberté, que cet arrêté avait été envoyé à l'ancien Comité de sûreté générale, qui probablement en a empêché l'exécution.

D. Qui l'a placé au Temple ?

R. C'est en vertu d'un ordre signé Pétion, lequel ordre lui a été remis par Léonard Bourdon.

D. S'il a prêté un serment particulier pour la place de valet de chambre ?

R. Qu'arrivé au Temple, on lui a fait prêter serment comme à tous les fonctionnaires publics.

D. S'il a été fidèle à ce serment ?

R. Oui, et qu'il a rempli sa place d'une manière irréprochable.

Lecture faite du présent interrogatoire, a dit ses réponses contenir vérité, y a persisté et a signé avec nous.

TISON, FR. GÉRARD.

 

Tison fut mis en liberté peu de temps après, et mourut dans la misère et l'obscurité.