HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

TOME SEPTIÈME

 

LIVRE XXXIV. — LE COMITÉ DE SALUT PUBLIC ET LES ARMÉES.

 

 

I

Grâce à l'état de trouble et d'agitation où se trouvait la Convention après la trahison de Dumouriez, deux faits d'une portée considérable passèrent presque inaperçus : la réorganisation de la Commune de Paris, l'extension des pouvoirs du tribunal révolutionnaire.

Depuis le jour (2 décembre 1792) où la nouvelle Commune s'est installée à l'Hôtel de Ville[1], nous avons toujours parlé d'elle comme d'un être collectif, sans nous occuper des éléments qui la composent, des dissensions qui la travaillent. Elle suit, en effet, les mêmes errements que sa devancière, elle marche à la remorque des mêmes chefs, Hébert et Chaumette. D'où vient alors qu'à peine constituée, elle réclame de la Convention le vote d'un décret qui modifie son organisation intérieure ? Il nous faut, pour expliquer cette demande, remonter un peu en arrière. On se le rappelle : aux élections faites en vertu du décret du 24 novembre, un certain nombre de sections avaient nommé des membres relativement modérés ; la plupart des hommes du 10 août avaient été exclus. En vertu de ce même décret, vingt-deux membres de l'ancienne municipalité constitutionnelle avaient été maintenus en fonctions sans avoir été soumis à la réélection. La naissance de ce conseil était donc entachée d'un vice irrémissible : celui d'avoir été imposé par la Convention. Il fallait s'en débarrasser à tout prix. Pour arriver à ce résultat, les meneurs de l'Hôtel de Ville ne furent pas obligés à de grands frais d'imagination, ils n'eurent qu'à invoquer la stricte légalité ; car ces violateurs perpétuels de la loi ne se faisaient pas faute de se mettre sous son égide, lorsque cette tactique pouvait favoriser leurs vues secrètes.

Le décret du 24 novembre, que la Convention avait adopté d'urgence et pour se délivrer au plus vite de la Commune du 1.0 août, avait été qualifié par ses rédacteurs eux-mêmes de provisoire et d'exceptionnel. On pouvait dès lors prétendre avec quelque raison que les élections qui avaient été faites en conformité de ce décret participaient de sa nature, et que la municipalité qui en était sortie ne devait subsister que jusqu'au moment où on aurait eu le temps d'exécuter les prescriptions de la loi de 1790, qui était restée la charte de la Commune parisienne. Il n'y avait donc qu'à indiquer un jour prochain pour le renouvellement intégral du Conseil ; un simple arrêté du corps municipal suffisait ; on n'avait besoin ni de la Convention ni de ses décrets. Bien plus, par le brusque renversement du pouvoir nouvellement établi, on montrait à l'Assemblée le cas que l'on faisait de ses volontés. Double profit : on brisait un Conseil peu sympathique, on bravait la Convention.

Moins d'un mois après les élections de novembre, les sections furent convoquées à l'effet de nommer les cent quarante-quatre membres du Conseil général, qui, cette fois, devait être définitif.

Le scrutin s'ouvrit le 24 décembre. Grâce à la surexcitation qu'avaient produite dans les esprits les préliminaires du jugement du roi, les nouvelles élections furent très-généralement favorables au parti démagogique. La plupart des membres de la Commune du 10 août surgirent de nouveau et prirent leur revanche de leur récente défaite. Les nominations eurent lieu à des majorités à peu près aussi faibles qu'en novembre : cent voix, souvent moins, suffirent pour ouvrir l'entrée du Conseil à plus d'un homme jusque-là obscur et inconnu.

Mais les meneurs de l'Hôtel de Ville n'avaient pas compté sur les complications inextricables que le législateur de 1790 avait accumulées comme à plaisir dans la fameuse charte municipale[2]. Au commencement d'avril, la nouvelle Commune n'était pas encore parvenue à se constituer légalement, parce que les scrutins épuratoires avaient éliminé une quarantaine d'élus, et que certaines sections se refusaient à remplacer ceux de leurs représentants qui avaient été frappés d'ostracisme. D'une autre part, beaucoup de membres non réélus avaient cessé de se rendre à l'Hôtel de Ville. Le vide se faisait de plus en plus autour de Chaumette, d'Hébert, de Pache et des autres coryphées de la démagogie. Ils n'avaient plus assez de comparses pour peupler la grande salle de l'Hôtel de Ville et faire une illusion suffisante aux spectateurs qui se pressaient dans les tribunes. Sur cent quarante-quatre membres dont le Conseil général devait légalement se composer, à peine y en avait-il quinze ou vingt présents aux séances. Aussi les procès-verbaux de cette époque, au lieu de donner les noms de ceux qui prennent part aux délibérations, portent-ils invariablement cette mention banale : Le Conseil municipal assemblé en la forme ordinaire.

Le 3 avril, une députation de la Commune vint demander à l'Assemblée nationale de vouloir bien l'autoriser à s'adjoindre les membres nouvellement nommés, sans attendre la fin des réélections et des épurations.

Dans ce moment, la Convention n'avait pas le temps de discuter avec la Commune ; elle n'avait du reste rien à lui refuser ; la pétition du Conseil général fut aussitôt convertie en décret[3]. La Commune usa immédiatement de cette faculté, et appela dans son sein une centaine de membres récemment élus.

Pendant plus de cinq mois (du 3 avril au 19 août 1793) la Commune se trouva ainsi composée de trois éléments distincts dont aucun historien n'a encore signalé l'étrange juxtaposition. En effet, durant toute cette période, on vit siéger et voter pêle-mêle les débris de l'ancien Conseil antérieur au 10 août, les citoyens élus en novembre, qu'ils eussent ou non été réélus un mois après, enfin les nouveaux membres que le décret du 3 avril venait d'autoriser à prendre rang par anticipation à côté de ceux qu'ils étaient appelés à remplacer[4].

Ce dernier élément devint bien vite prépondérant et inspira une audace nouvelle à la Commune. Nous la verrons chaque jour afficher plus résolument son antagonisme avec la représentation nationale, élever des prétentions de plus en plus exorbitantes sur la question des subsistances, réclamer du trésor public des subventions de plus en plus considérables et exercer avec une rigueur croissante les pouvoirs dictatoriaux que la Convention avait eu l'imprudence de remettre entre ses mains. La surveillance des prisonniers du Temple devint plus sévère qu'elle ne l'avait été même sous les municipaux qui avaient présidé au supplice de Louis XVI[5]. La violation du domicile des citoyens devint un fait normal et quotidien ; la délivrance arbitraire des passeports[6], des certificats de résidence, des cartes de sûreté, l'affichage des noms des locataires aux portes des maisons, rendirent de plus en plus irrésistible l'action de la police, sans cesse surexcitée par la dénonciation érigée en vertu civique.

 

II

Les membres du Tribunal révolutionnaire avaient été élus le 15 mars[7] ; cependant, à la fin du mois, ils n'étaient pas encore entrés en fonctions ; des plaintes très-vives s'élevaient contre ces retards. Les nouveaux magistrats s'en émeuvent et viennent, le 2 avril, à la barre de l'Assemblée dénoncer l'inaction où les laisse la commission des Six, chargée de mettre en mouvement et de surveiller le Tribunal.

Garran-Coulon, président de la commission, répond que si des actes d'accusation n'ont pas encore été soumis à l'approbation de l'Assemblée, c'est que ses collègues et lui attendaient les pièces nécessaires pour servir de base à des procédures aussi importantes.

Le montagnard Osselin n'admet pas cette justification : Toutes les fois, dit-il, qu'un tribunal a derrière lui un autre tribunal, il ne peut marcher. La commission est inutile. J'en demande la suppression. Albitte ajoute : S'il s'agissait de juger des faux monnayeurs, je consentirais à ce que l'on suivit toutes les formes ; mais quand il s'agit de punir des conspirateurs, il n'y a plus de formes à suivre.

Rabaud Saint-Étienne, l'un.des Six, revient sur les explications de Garran-Coulon ; mais il déclare en même temps ne pas s'opposer à la suppression de la commission. Marat s'écrie : Oui, la suppression. Cette commission n'a été instituée que pour paralyser le Tribunal révolutionnaire et pour assurer l'impunité à quelques membres de la Convention. Devant l'insistance de Marat et de ses amis, devant la mollesse des Girondins, l'Assemblée n'ose maintenir plus longtemps la commission des Six ; elle supprime comme un rouage inutile ce contre-poids que l'on avait essayé, trois semaines auparavant, d'opposer aux pouvoirs exorbitants attribués au Tribunal révolutionnaire. -

Les démagogues, voyant la Convention de si facile composition, ne s'en tiennent pas là ; le 6 avril, ils reviennent à la charge et arrachent à l'Assemblée une concession nouvelle. L'Assemblée venait de décréter d'accusation un officier présumé complice de Dumouriez. Charlier s'écrie : Pourquoi ce décret ? il n'est pas nécessaire de le rendre. L'accusateur public doit avoir le droit de poursuivre directement les individus soupçonnés de conspiration. Lanjuinais, toujours sur la brèche lorsqu'il s'agit de s'opposer aux envahissements de la démagogie, répond : Au nom des principes qui consacrent la liberté individuelle, je demande la question préalable sur la proposition de Charlier. Mais Danton s'élance à la tribune. La Convention, dit-il, a voulu un tribunal extraordinaire pour effrayer les conspirateurs. Dans les circonstances actuelles, il faut imprimer à ce tribunal une marche rapide et prompte. Vous l'avez déjà si bien senti vous-mêmes, qu'il y a trois jours vous avez anéanti la commission chargée de la rédaction des décrets d'accusation. Si vous vous réserviez le droit de rendre ces décrets, vous n'auriez bientôt plus d'autre occupation, tant est grande la masse des coupables. Vous voulez sans doute que le peuple ait justice ; vous voulez sans doute prévenir dans leurs effets destructeurs les vengeances populaires ?

Oui, oui, répondent un grand nombre de voix.

Eh bien, dispensez le tribunal de cette formalité, pressez son activité. Certes, si le despotisme triomphait, il ne prendrait pas tant de précautions ! N'imitons pas sa férocité, mais faisons trembler les coupables. Je demande le rapport du décret par lequel vous avez déclaré nécessaire à l'action de ce tribunal le décret d'accusation de la Convention. Bien entendu, néanmoins, que ces décrets seront nécessaires à l'égard des représentants du peuple.

Oui, réplique Barbaroux, il faut que la justice révolutionnaire soit prompte et sévère ; mais il ne faut pas qu'elle soit destructive de la liberté. Si vous laissez entre les mains d'un homme le droit d'accuser seul et de traduire les citoyens devant le tribunal, vous établissez une véritable dictature judiciaire. Soyez inflexibles et non bourreaux ; soyez législateurs et non assassins[8].

La discussion est fermée, et l'Assemblée adopte en principe la proposition de Charlier. Alors Fonfrède demande, par amendement, que l'on étende l'exception proposée par Danton en faveur des représentants du peuple. Voulez-vous, dit-il, rendre un homme plus puissant que vous-mêmes ? Qui garantira que cet homme ne s'avisera pas de faire arrêter, à un jour donné, les ministres, les généraux et les principaux fonctionnaires de la République ? Il pourra, s'il le veut, se rendre maître en un instant de vos flottes, de vos armées, de vos finances. Je demande que vous exceptiez de l'action de l'accusateur public les ministres et les généraux. Vous examinerez ensuite la question générale des fonctionnaires publics.

Le financier Cambon demande que l'exception s'étende également aux commissaires de la Trésorerie nationale.

Alors, s'écrie Marat en éclatant de rire, pourquoi ne l'étendez-vous pas aux ouvriers employés à la fonte des canons, à la fabrication des armes, des habits, des souliers des volontaires ? aux citoyens qui fournissent leurs bras à la défense de la patrie et aux femmes qui lui font des enfants... voilà comme vous êtes irréfléchis, inconsidérés... Je vous rappelle au sens commun !...

L'Assemblée entière bondit sous l'insulte du misérable bouffon. Quelques voix crient : A l'Abbaye, Marat ! L'ami du peuple est rappelé à l'ordre avec censure au procès-verbal.

La Convention n'en adopte pas moins le décret proposé par la Montagne, et amendé par la Gironde. En acceptant le principe de la motion de Charlier et de Danton, et en se contentant d'y faire des modifications illusoires, l'Assemblée donnait à Fouquier-Tinville un droit de vie et de mort sur tous les citoyens de la République. Celui-ci en usa d'abord assez modérément et daigna, pendant quelque temps, observer certaines formes protectrices de l'accusé. Mais vienne le jour où lui et ses patrons seront débarrassés de surveillants incommodes, ils n'auront, pour mettre la population en coupes réglées, qu'à user des pouvoirs qu'ils ont arrachés d'avance à la faiblesse et à l'imprévoyance de leurs adversaires.

 

III

Le Comité de salut public fut nommé par appel nominal dans la nuit du 6 au 7 avril. Barère obtint 360 voix, Delmas 347, Bréard 325, Cambon 278, Danton 233, Jean Debry 227, Guyton-Morveau 202, Treilhard 167, Lacroix 151. Jean Debry déclara qu'il ne pouvait accepter, pour cause de santé, et fut remplacé par Robert-Lindet.

Le Comité se constitua immédiatement : Guyton fut élu président, Bréard vice-président, Barère et Robert-Lindet secrétaires. Moins nombreux et plus homogène que le Comité de défense générale auquel il succédait, il montra immédiatement une vigoureuse activité. Quelques jours après son installation, il traçait ainsi, par 'l'organe de Barère, l'ensemble de ses attributions :

Le Comité s'est pénétré de la grandeur et des difficultés attachées à sa mission. Former un plan de défense de terre et de mer scruter dans les circonstances actuelles les opinions politiques et la conduite militaire des généraux ; revoir la composition des différents états-majors ; veiller à la défense des côtes ; augmenter la cavalerie nationale ; animer les travaux dans les ports et seconder l'empressement des braves marins ; comprimer les trames ; faire rechercher et fabriquer des armes pour les nombreux défenseurs de la liberté ; suivre la marche nouvelle des armées, veiller à leur approvisionnement en tout genre ; presser l'action de l'administration publique ; surveiller et aider l'action du Conseil exécutif provisoire ; éteindre par des mesures fortes et promptes les torches de la guerre civile : voilà les objets principaux dont déjà il s'est occupé.

 

Pour bien établir toute l'étendue de ses pouvoirs, le Comité demanda et obtint de l'Assemblée plusieurs décrets qui mettaient sous sa complète dépendance les commissaires de la Convention près les armées. Aux termes de ces décrets, dont Bréard fut le rapporteur, il devait y avoir près de chacune des armées de la République trois commissaires. Chaque mois, un des trois devait rentrer dans le sein de la Convention et être remplacé par un autre. Ces commissaires devaient exercer la surveillance la plus active sur les agents du pouvoir exécutif, les généraux et officiers de tout grade ; rendre compte de l'état des magasins, des fournitures, des vivres et des munitions ; porter l'examen le plus sévère sur les opérations et la conduite des fournisseurs et des entrepreneurs ; prendre, de concert avec les généraux et les autres agents du pouvoir exécutif, toutes mesures nécessaires pour accélérer la réorganisation des armées, l'incorporation des volontaires et recrues dans les cadres existants. Ils étaient investis de pouvoirs illimités pour l'exercice des fonctions qui leur étaient déléguées ; ils pouvaient employer tel nombre d'agents qu'ils croiraient convenable. Les dépenses extraordinaires, qu'ils auraient autorisées, devaient être acquittées par le trésor public sur des états visés par eux ; leurs arrêtés devaient être exécutés provisoirement, à la charge de les adresser dans les vingt-quatre heures à la Convention nationale, et, pour ce qui devait être secret, au Comité de salut public. Tous les agents civils et militaires étaient tenus d'obéir à leur réquisition, sauf recours à la Convention. Enfin ils devaient prendre sans délai toutes les mesures nécessaires pour découvrir, faire arrêter et conduire devant le Tribunal révolutionnaire tout militaire, tout agent civil et tous autres citoyens qui auraient aidé, conseillé, favorisé d'une manière quelconque la trahison de Dumouriez ou quelque autre complot contre la sûreté de la nation, qui auraient machiné la désorganisation des armées et tenté la ruine de la République[9].

Le Comité de salut public, ayant assuré son action prépondérante sur les armées, s'étudia à maintenir les ministres dans un état absolu de subordination. Il leur renvoya comme insuffisants et incomplets les premiers rapports qu'ils lui avaient adressés, et se mit à gourmander leur paresse et leur indécision dans une correspondance qui ne reproduisait que trop souvent les crudités de langage que Danton avait mises à la mode[10].

Mais, en même temps que le tribun faisait adopter à ses collègues son style d'une brutalité cynique, il leur communiquait son audace, et les déterminait à écrire lettres sur lettres aux généraux, afin qu'ils profitassent du printemps- pour reprendre l'offensive.

 

IV

Cette reprise, la position de plusieurs de nos armées la rendait assez difficile.

L'armée du Nord surtout avait été cruellement éprouvée. Heureusement les Autrichiens, fidèles à leur parole, respectèrent l'armistice qu'ils avaient conclu avec Dumouriez, et n'en dénoncèrent la cessation que le 7 avril, c'est-à-dire quarante-huit heures après la fuite de ce général[11].

Dampierre, tout occupé de rallier son armée, si effroyablement désorganisée par la trahison de son prédécesseur, sentait bien qu'il résisterait difficilement à une attaque énergique. Aussi essaya-t-il d'obtenir de Cobourg, dont il connaissait les dispositions pacifiques, une nouvelle suspension d'armes, en lui laissant l'espoir d'échanger les commissaires arrêtés contre les officiers allemands que l'on avait internés à Paris, et peut-être même contre des otages bien plus précieux, puisqu'il s'agissait des prisonniers du Temple. Malheureusement cette négociation traîna en longueur et n'aboutit pas[12].

Les députés en mission près l'armée du Nord, Lequinio, Bellegarde et Cochon, et, quelques jours plus tard, Dubois-Dubais et Briez, entamèrent avec le prince de Cobourg une correspondance où ils eurent J'imprudence d'entrer en discussion avec lui sur les principes mêmes de la Révolution et sur la manière dont la conduite de Dumouriez devait être envisagée.

Cette correspondance, à laquelle étaient jointes diverses proclamations du prince de Cobourg, fut communiquée à la Convention par le ministre des affaires étrangères, Lebrun. Mais lorsqu'un secrétaire voulut lire les documents autrichiens, Robespierre s'y opposa formellement. Quoique les propositions de transaction, dit-il, soient d'abord repoussées avec horreur, il est des esprits qui, à force de les entendre répéter, pourraient s'y accoutumer... Il est temps d'étouffer ces idées dangereuses, car il y a en France non-seulement des aristocrates, mais des riches égoïstes qui sont prêts à sacrifier la cause du peuple à leurs molles jouissances. Je demande que vous prononciez la peine de mort contre les lâches qui proposeraient de transiger avec l'ennemi ; bien plus, je demande que les auteurs de ces propositions soient mis hors la loi.

Danton succède à Robespierre, mais tient un tout autre langage ; il saisit cette occasion pour faire revenir l'Assemblée sur les décrets de propagande universelle que lui-même avait contribué à faire rendre quelques mois auparavant.

Il est temps, dit-il, que la Convention fasse connaître à l'Europe qu'elle sait allier la politique aux vertus républicaines. Vous avez rendu dans un moment d'enthousiasme un décret dont le motif était beau sans doute, puisque vous vous obligiez à donner protection aux peuples qui voudraient résister à l'oppression de leurs tyrans. Mais ce décret semblerait vous engager à secourir des individus qui voudraient faire une révolution en Chine. Il faut avant tout songer à la conservation de notre corps politique, et fonder la grandeur française. Que la République s'affermisse ; la France, par ses lumières et par son énergie, fera attraction sur les autres peuples. Citoyens, c'est le génie de la liberté qui a lancé le char de la révolution. Le peuple tout entier le tire et il s'arrêtera aux termes de la raison. Montrons que nous sommes dignes d'en être les conducteurs ; décrétons que nous ne nous mêlerons pas de ce qui se passe chez nos voisins ; mais décrétons aussi que la République vivra. Condamnons à mort celui qui proposerait une transaction autre que celle qui aurait pour base les principes de notre liberté.

La Convention applaudit à ce retour au Mil sens, aux vrais principes ; elle adopte à l'unanimité le décret rédigé par Danton. Il est ainsi conçu :

La Convention nationale déclare, au nom du peuple français, qu'elle ne s'immiscera en aucune manière dans le gouvernement des autres puissances ; mais elle déclare en même temps qu'elle s'ensevelira plutôt sous ses propres ruines que de souffrir qu'aucune puissance s'immisce dans le régime intérieur de la République, et influence la création de la Constitution qu'elle veut se donner.

La Convention décrète la peine de mort contre quiconque proposerait de négocier ou de traiter avec des puissances ennemies qui n'auraient préalablement pas reconnu solennellement l'indépendance de la nation française, sa souveraineté, l'indivisibilité et l'unité de la République fondée sur la liberté et l'égalité.

 

Robespierre demande alors qu'il soit bien entendu que le vote qui vient d'avoir lieu ne préjudicie point aux pays réunis. Il ne peut leur préjudicier, répond Lacroix, puisque ces pays font partie de la République.

Quelques voix réclament l'ordre du jour pur et simple, mais Ducos s'élève contre une pareille solution qui serait un véritable déni de justice. Vous avez, dit-il, engagé la foi de la nation française ; vous ne pouvez pas rendre la nation parjure... Ce serait une trahison, une déloyauté dont vous êtes incapables.

La Convention, sur la proposition de. Lacroix et de Ducos, interprète son premier décret par le décret suivant :

La Convention nationale, sur la demande, faite par un de ses membres, que la Convention déclare qu'elle n'entend pas nuire aux droits des pays réunis à la République française, et que jamais elle ne les abandonnera aux tyrans avec lesquels elle est en guerre, passe à l'ordre du jour, motivé sur ce que ces contrées font partie intégrante de la République.

 

Le surlendemain, 15 avril, la correspondance de Briez et de Dubois-Dubais avec Cobourg est lue à la Convention et excite sur tous les bancs une vive réprobation. Ducos et Bréard insistent pour que l'on fasse cesser au plus tôt la scandaleuse controverse que les commissaires de la Convention ont engagée avec les généraux ennemis. Ils veulent que l'on révoque immédiatement les pouvoirs de ces représentants, qui n'ont pas su maintenir la dignité de la nation française.

Toute motion propre à montrer aux puissances étrangères la ferme volonté de pousser vigoureusement la guerre ne pouvait qu'être accueillie avec faveur par la Convention. Celle-ci révoque donc ses deux commissaires, et, sur la proposition de Barère, adopte un manifeste, adressé à tous les peuples et à tous les gouvernements. pour protester contre l'indigne violation du droit des gens qui a livré Camus et ses collègues aux mains de l'Autriche[13].

Il n'y avait plus qu'à en appeler à la force des armes. Les Autrichiens menaçaient simultanément Maubeuge, Lille, Valenciennes, Condé, mais assez mollement ; car ils avaient résolu de n'agir qu'avec une extrême circonspection. Ils attendaient que les Prussiens se fussent emparés de Mayence, se contentant jusque-là de prendre une forte position sur l'Escaut.

Dampierre, de son côté, suivant les instructions du pouvoir exécutif, se tenait sur la défensive et ne hasardait aucun mouvement qui pût amener un engagement général. Il mettait tous ses soins à réorganiser son armée et à lui faire reprendre cette confiance en elle-même qu'elle avait perdue depuis l'évacuation précipitée de la Belgique et la trahison de son général en chef. Il devait porter son attention sur une étendue considérable de territoire, car son commandement embrassait la frontière de terre, depuis Sedan jusqu'à Dunkerque, et les côtes, depuis Dunkerque jusqu'à l'embouchure de la Seine ; il lui fallait donc veiller non-seulement aux entreprises des Autrichiens, mais encore à celles des Anglais, dont la flotte était attendue d'un moment à l'autre. Restait à savoir quel point du littoral elle attaquerait ? Elle parut dans les derniers jours d'avril devant Dunkerque, cherchant ainsi à relier ses opérations avec celles de l'armée autrichienne. L'amiral anglais fit immédiatement sommer la place de se rendre ; mais Dunkerque était confié à un général énergique, Pascal Kerenweyer, qui écrivait d'un côté à la Convention : Je suis entêté comme un Breton, je ne capitulerai pas ; de l'autre, à l'amiral anglais : Faites-moi l'honneur de m'attaquer ; j'aurai celui de vous riposter militairement ; c'est ainsi que se terminent les querelles entre gens de notre robe.

On pouvait être certain que Dunkerque ferait une longue résistance ; mais il y avait lieu de craindre pour Condé, place assez faible, mal pourvue de vivres et de munitions, devant laquelle Cobourg avait d'ailleurs concentré la plus grande partie de ses forces. Dès le 1er mai, Dampierre se met à manœuvrer, afin de dégager cette petite ville ; il réussit, après plusieurs escarmouches, à débusquer l'ennemi de l'abbaye de Vicoigne et d'une partie des bois de Saint-Amand ; mais il est atteint d'un boulet de canon qui lui emporte la cuisse, et, deux jours après, il succombe à sa blessure.

C'est le 10 mai que la Convention apprend la mort glorieuse de Dampierre ; on demande pour lui les honneurs du Panthéon ; mais, sur la proposition de Bréard, on passe à l'ordre du jour motivé sur ce que tout Français qui meurt pour son pays vit à jamais dans la mémoire de ceux qui lui survivent[14].

 

V

La mort de Dampierre laissait vacant le commandement de la plus importante des armées de la République. Les représentants en mission à l'armée du Nord, Cochon, Bellegarde, Dubois-Dubais et Briez invitent le Comité de salut public à leur envoyer un général expérimenté, et lui font connaître que le vœu unanime de l'armée est en faveur de Custine.

Le Comité s'empresse de déférer à cette demande, et, par l'organe de Barère, annonce le 13 mai à la Convention qu'il a ordonné au conseil exécutif de prendre un arrêté appelant Custine au commandement de l'armée du Nord, et Houchard à celui de l'armée du Rhin.

Barère saisit cette occasion pour faire un éloge pompeux du général de l'armée du Rhin, qui seul a résisté à la manie diplomatique dont semblent animés tous les généraux de la République, et a su établir la discipline la plus sévère dans son camp.

La Convention ratifie l'arrêté du pouvoir exécutif, et, pour son malheur, Custine accepte. Peut-être eût-il encore pu, en restant en Alsace et dans le Palatinat, pallier les fautes qu'il avait commises depuis trois mois ; mais, lui parti, elles éclatèrent à tous les yeux. Ce sont ces fautes que nous avons maintenant à raconter.

L'armée prussienne, après avoir repris Francfort[15], n'avait pas inquiété Mayence d'une manière sérieuse. Les rigueurs de l'hiver, jointes aux complications diplomatiques qui avaient surgi entre les puissances copartageantes de la Pologne, l'avaient condamnée à une inaction complète. Les Autrichiens avaient déjà recommencé les hostilités sur la Rœr depuis plus de quinze jours, lorsque leurs alliés se décidèrent à attaquer la ligne de défense des Français sur la Nawe. Quelques jours après, le gros de l'armée prussienne passa le Rhin à Rheinfeld. Malgré plusieurs combats brillants que Custine et ses lieutenants livrèrent aux abords de Mayence, ils furent obligés de rétrograder au delà de cette ville, et 22.000 hommes s'y trouvèrent renfermés sans communication avec le reste de l'armée. Pendant ce temps, Custine, surpris au poste d'Oberflesheim, se défendait vigoureusement ; mais, trop faible pour résister à un ennemi qui disposait de forces au moins triples des siennes, il fut obligé d'opérer sa retraite sur Frankenthal et de détruire d'immenses magasins militaires qui renfermaient tous les approvisionnements de l'armée du Rhin. Il s'arrêta un instant à Landau, puis il dut rentrer dans les lignes de Wissembourg, abandonnant ainsi toutes ses conquêtes et laissant même une partie du territoire français exposée aux incursions des Prussiens.

Le moment était peut-être mal choisi pour incorporer à la République française les pays que nos soldats venaient d'être forcés d'évacuer ; mais la Convention tenait à imiter le Sénat romain, qui mettait en vente le champ où campait l'armée d'Annibal. Déjà, le 44 mars, elle avait déclaré accéder au vœu formulé par trente-deux communes dépendant du Palatinat et du duché de Deux-Ponts pour être réunies à la France. Le 30 mars, le jour même où l'armée française battait en retraite en abandonnant à leur malheureux sort Mayence et ses défenseurs, elle acceptait par décret le vœu librement émis au nom des peuples libres de la Germanie, par les délégués de Mayence, Worms, Durkeim, et quatre-vingts autres villes et communes rassemblées en Convention nationale, et déclarait que dès lors ces villes et ces communes faisaient partie intégrante de la République.

Ce qui acheva d'assurer à Custine l'entière confiance de la Convention, ce fut l'attitude qu'il prit au moment où il fut instruit de la trahison de Dumouriez. Le général autrichien Wurmser avait envoyé au général Gillot, commandant à Landau, une sommation pour qu'il eût à se réunir à la bonne cause. Celui-ci transmit la lettre de Wurmser à son supérieur hiérarchique, qui s'empressa d'y répondre par la note suivante :

La proposition du général Wurmser est au moins de la jactance, puisqu'il s'imagine intimider ou séduire, par l'offre de la protection du roi, son maitre, les Français qui sont chargés de défendre Landau. Le général Custine s'empresse de lui apprendre que les Français ne veulent la protection de qui que ce soit, et que l'armée qu'il commande, fidèle au serment qu'elle a prêté à la République, défendra la liberté et l'égalité, trahies en Flandre par Dumouriez. Le général Wurmser connait trop la nation française pour ignorer que les vingt-quatre millions d'hommes qui la composent ne recevront la loi de personne[16].

 

Peu de jours après avoir écrit cette lettre, Custine partait pour se rendre à son nouveau poste, et laissait à Houchard la tache difficile de sauver Mayence et de reprendre l'offensive.

 

VI

L'armée des Alpes était sous le commandement de Kellermann, dont le quartier général était à Chambéry. Celle des Alpes maritimes avait à sa tète Biron, qui résidait à Nice. Tous deux, surtout le second, étaient soupçonnés d'être partisans de Philippe Égalité ; aussi étaient-ils surveillés de près par les commissaires de la Convention, Grégoire et Jagot, à Nice ; Héraut-Séchelles et Simond, à Chambéry.

Lorsque la nouvelle de la trahison de Dumouriez parvint dans la capitale de la Savoie, ces deux derniers délégués réunirent les troupes ; puis, dans une vive allocution où ils dénonçaient la conduite infâme du général en chef de l'armée du Nord, ils les invitèrent à renouveler leur serment à la République. L'armée montra beaucoup d'enthousiasme ; seul, le général en chef garda une attitude expectante et d'assez mauvais augure. Les représentants du peuple craignirent, dans le premier moment, de faire contre Kellermann, fort aimé de ses troupes, une démonstration intempestive, et ne l'obligèrent pas à s'expliquer d'une manière catégorique. Il fallait surprendre la pensée intime du général, et voici la ruse assez peu noble dont on s'avisa. Trois autres commissaires de la Convention, Legendre, Rovère et Basire, se trouvaient à Lyon : Héraut-Séchelles leur écrivit confidentiellement qu'ils eussent à se saisir d'un courrier expédié à Paris par Kellermann, à prendre communication des lettres dont ce courrier serait porteur et à lui envoyer copie, à lui, Héraut, de celles qui leur paraîtraient compromettantes. En même temps, il confiait au général de l'armée des Alpes une lettre indifférente et ostensible qu'il adressait à Rovère et que le courrier avait reçu ordre de remettre, à son passage à Lyon, en mains propres au destinataire. Le piège ainsi tendu, les commissaires de Chambéry attendirent. Trois jours après, ayant reçu de leurs collègues de Lyon plusieurs lettres que ceux-ci avaient cru devoir saisir, ils se binèrent de faire avec grand appareil une perquisition dans les papiers de Kellermann ; mais, après quatre heures d'une minutieuse investigation, ils furent obligés de reconnaître et de proclamer la parfaite innocence du général[17].

Biron était dans une position bien plus difficile que Kellermann ; ses relations avec le duc d'Orléans étaient tout à fait intimes et elles venaient de recevoir une consécration nouvelle par l'arrivée au quartier général de Nice du second fils de ce prince, en qualité d'adjudant général lieutenant-colonel.

La première dépêche qui putt faire soupçonner à Biron que des événements graves se passaient à Paris fut un arrêté émané du Comité de défense générale et ordonnant l'arrestation du duc de Montpensier. Cet arrêté n'était accompagné d'aucune lettre explicative.

Au moment même où il venait de recevoir la dépêche du Comité, Biron rencontra le prince dans son antichambre ; il lui fit signe d'entrer, et, lorsqu'ils furent seuls, lui montra l'ordre fatal. Ne concerne-t-il que moi ? lui demande le jeune officier. — Que vous seul. On ne me parle pas du reste de votre famille, et, si c'était une mesure générale, j'imagine qu'on me le manderait. Avez-vous quelques papiers qui puissent vous compromettre ? Allons les examiner et les brûler avant qu'on en fasse l'inventaire et qu'on les mette sous les scellés. Ah ! ma position est affreuse ; j'aimerais mille fois mieux recevoir un coup de fusil dans la tète qu'une pareille commission ! mais courons au plus pressé. Ils se hâtent de se rendre au domicile du prince et de détruire quelques papiers, notamment deux lettres du duc de Chartres. Le jeune général n'y dissimulait pas à son frère le dégoût qu'il ressentait de voir compromise par tant d'excès la cause dans laquelle ils étaient l'un et l'autre engagés et le désir qu'il avait de s'en séparer.

Ces lettres étaient à peine anéanties, qu'arrivèrent chez le duc de Montpensier les autorités municipales de Nice, averties par Biron lui-même ; mais elles ne trouvèrent plus rien à mettre sous les scellés ; il fallut se contenter de procéder à l'arrestation du prince.

Le soir même, le prisonnier prenait, sous l'escorte d'un officier de gendarmerie, la route de Paris, ainsi que le prescrivait l'ordre du Comité de défense générale. Mais, arrivé à Aix, il dut rétrograder jusqu'à Marseille, où il fut enfermé d'abord au fort de Notre-Dame de la Garde et ensuite au fort Saint-Jean. Son père et son plus jeune frère vinrent bientôt l'y rejoindre.

Jusqu'au 15 avril rien ne transpira à Nice sur les événements qui s'étaient accomplis à Saint-Amand et à Paris. Cependant Biron en savait quelque chose, car il avait reçu le 12, par un courrier particulier, une lettre de son ami, le général Valence, qui l'informait de l'arrestation des commissaires de la Convention[18] et lui faisait pressentir la levée de boucliers de Dumouriez ; mais il ne laissa rien paraître et attendit les événements. Enfin arrivèrent et le décret qui mettait hors la loi le général en chef de l'armée du Nord, et les dépêches du ministre qui annonçaient la fuite du traitre. Il n'y avait plus à hésiter. Biron se hâta de remettre aux représentants du peuple la lettre de Valence, et d'écrire à la Convention une lettre remplie de protestations de dévouement. Néanmoins, quelque temps après, la conduite de Biron parut suspecte au Comité de salut public. On l'envoya commander l'armée destinée à agir contre les révoltés du Poitou et de la Bretagne ; armée qui n'était encore représentée à ce moment que par quelques corps de troupes peu nombreux, épars sur une immense surface de territoire et presque aussi indisciplinés que les bandes qu'ils avaient à combattre[19].

 

VII

Nous avons raconté dans le volume précédent les débuts de l'insurrection de l'Ouest[20]. Reprenons notre récit là où nous l'avons laissé, c'est-à-dire au moment où les autorités départementales se décident à prendre partout l'offensive pour anéantir dans son germe la révolte de ces paysans mal armés, sans chefs et sans munitions.

Un certain nombre des commissaires de la Convention, envoyés au commencement de mars pour hâter la levée des trois cent mille hommes, se trouvaient sur le théâtre des troubles au moment où ils éclatèrent. C'étaient notamment : Billaud-Varenne et Seveste à Rennes, Fouché et Villers à Nantes, Choudieu et Richard à Angers ; partout ils donnèrent une vive impulsion à la marche des troupes républicaines.

Une colonne sort de Brest le 21 mars sous les ordres du général Canclaux, se dirige sur Saint-Pol-de-Léon, détruit, en huit jours, les bandes insurgées et rétablit la tranquillité dans toute la basse Bretagne[21].

Une autre colonne part de Rennes sous les ordres de Beysser ; les représentants du peuple Billaud-Varenne et Seveste l'accompagnent. Elle se dirige sur Redon et La Roche-Bernard, où elle trouve peu de résistance, et enlève successivement tous les postes occupés par les rebelles sur la Vilaine. Le premier foyer de la révolte, La Roche-Bernard, est repris sans combat dans la soirée du 29 mars. L'un des meurtriers de Sauveur est aussitôt conduit devant une commission militaire, et jugé à la lueur des torches. On lui tranche la tête sur la culasse d'une pièce de douze. Son cadavre reste exposé pendant quarante-huit heures[22].

Dans le département des Côtes-du-Nord il ne s'était formé qu'un attroupement un peu considérable, entre Moncontour et Lamballe. Quelques bataillons de gardes nationales suffirent pour disperser les révoltés. Enfin, le 26 mars, deux colonnes formant un total de 900 hommes sortent de Vannes avec de l'artillerie et chassent les insurgés de la petite ville de Rochefort, après leur avoir mis de 150 à 200 hommes hors de combat.

Le 1er avril, des cinq départements de la Bretagne, un seul, celui de la Loire-Inférieure, pouvait encore donner des inquiétudes sérieuses. Encore n'était-ce pas pour la partie située sur la rive droite de la Loire, mais seulement pour celle qui se trouve sur la rive gauche et forme ce qu'on appelle le pays de Retz. Cette contrée, depuis le commencement de l'insurrection, n'avait pas cessé d'être le théâtre de combats sanglants et d'effroyables représailles. Machecoul était devenu le centre de la révolte. Après quelques essais infructueux de conciliation dont nous avons parlé plus haut[23], les Bleus, qu'on avait admis à faire partie du comité de défense, avaient été obligés de se cacher, et les Blancs, Souchu en tête, étaient restés maîtres de la place. Leur premier acte fut de publier la proclamation suivante :

Le peuple du pays de Retz et pays adjacents, rassemblé de lui-même en corps de nation, dans la ville de Machecoul, pour arrêter le brigandage, secouer le joug de la tyrannie et reconquérir ses droits et propriétés dont il a été dépouillé par la force et la violence des brigands qui ont usurpé l'autorité légitime, porté leurs mains sacrilèges sur la personne du meilleur des rois, et détruit la monarchie, la justice et la religion, déclare à la face du ciel et de la terre qu'il ne reconnaît et ne reconnaîtra jamais que le roi de France pour son seul et légitime souverain, auquel il jure obéissance et fidélité ; qu'il ne reconnaît plus la prétendue Convention nationale, ni les départements, ni les districts, ni les municipalités, ni les clubs, ni les gardes nationales.

 

La première attaque, partie du quartier général de Machecoul, est dirigée contre Pornic. Profitant de l'absence des gardes nationaux qui étaient allés dans les environs protéger l'arrivée d'un convoi de blés, les Blancs, au nombre de trois ou quatre mille, arrivent jusqu'aux portes de la ville sans trouver un poste ni une sentinelle. Après une fusillade de quelques minutes, ils y pénètrent ; mais bientôt, oubliant toutes les règles de la prudence, ils se mettent à piller et à boire ; beaucoup tombent ivres-morts au coin des rues et sont incapables d'opposer la moindre résistance, lorsque, à sept heures du soir, se présentent les gardes nationaux sortis le matin : ceux-ci obtiennent facilement raison de ces envahisseurs dispersés et avinés, et en massacrent deux cents[24].

Les survivants de cette échauffourée s'en prirent à leur commandant, le marquis de La Roche-Saint-André, qui eut beaucoup de peine à échapper à leur fureur.

Charette avait jusque-là partagé avec celui-ci le commandement de tout le pays. Resté seul, il se hâte de venger l'échec subi à Pornic par les siens. Le 27 mars il réoccupe cette petite ville après une assez vive résistance, et le jour même il annonce sa victoire au comité royaliste de Machecoul dans une lettre où, par ironie, il emprunte plusieurs de ses expressions au vocabulaire démagogique :

Frères et amis, nous avons pris Pornic avec le secours de l'Être suprême, dans une demi-heure. Les brigands de cet endroit s'étant réfugiés dans différentes maisons d'où ils pouvaient nous faire beaucoup de mal, je ne trouvais que le feu qui pût faire sortir ces coquins de leurs cavernes. Vous me trouverez peut-être sévère dans mes expéditions ; mais vous savez comme moi que la nécessité est un devoir. La perte de l'ennemi est à peu près de 60 hommes. Nous n'avons eu que deux hommes blessés, encore il y en a un qui l'a été par sa faute. Vous recevrez demain un canon de 18 et un pierrier que nous avons pris à Pornic.

Nous sommes, frères et amis, dévoués pour la bonne cause jusqu'à la mort.

Le chevalier CHARETTE, commandant.

Pornic 27 mars 1793.

 

Pendant ce temps, des bandes de paysans armés battaient la campagne pour s'emparer de tous les Bleus résidant dans le pays et les conduire à Machecoul ; mais souvent les prisonniers n'arrivaient pas jusqu'à leur destination. Il y eut notamment quatre patriotes tués à Bourgneuf ; quatorze prisonniers venant de Port-Saint-Père furent égorgés, le 27 mars, à leur entrée à Machecoul, avant même d'être écroués.

Bientôt les prisons sont insuffisantes pour contenir tous les malheureux qu'on y entasse. Une commission instituée et présidée par Souchu[25] s'établit pour les juger ou plutôt pour désigner ceux qui doivent être massacrés. Le 3 avril, jour d'affreuse mémoire pour les contrées de l'Ouest, cinquante-huit prisonniers[26] sont liés les uns aux autres au moyen d'une longue corde qui, comme le disaient les exécuteurs de cette triste tragédie, formait chapelet, conduits dans un champ, où l'on a d'avance creusé une large fosse, et passés par les armes[27].

Ces meurtres ont été par quelques historiens ultra-révolutionnaires mis en parallèle avec les massacres du 2 septembre à Paris, avec ceux ordonnés à Lyon et à Nantes par Fouché et par Carrier. On doit flétrir les uns et les autres de la même réprobation ; mais il faut bien reconnaître aussi que, dans chacune de ces trois villes, le nombre des victimes fut à peu près décuple de celui des infortunés qui périrent à Machecoul et dans le pays de Retz. Dans ces affreuses guerres de représailles, où l'on ne se répond les uns aux autres qu'à coups d'atrocités de tout genre, l'historien, pour être équitable, en est réduit à supputer le nombre des victimes et à faire peser 'la plus grande part de responsabilité sur le parti qui en a le plus immolé.

Du reste, les massacres de Machecoul ne restèrent pas longtemps impunis ; Beysser, le lieutenant de Canclaux, s'empara de cette ville moins de quinze jours après les événements que nous venons de raconter. Souchu et ses principaux complices furent saisis, jugés et exécutés dans les vingt-quatre heures qui suivirent l'occupation républicaine[28].

Dans l'Anjou et dans le bas Poitou, la guerre se continuait avec des chances diverses. La victoire changeait de camp pour ainsi dire tous les jours, favorisant tantôt les Bleus, tantôt les Blancs, suivant que l'une ou l'autre armée savait résister au premier choc de ses adversaires ; car la panique jouait un grand rôle dans toutes les rencontres. Les gardes nationaux n'étaient pas beaucoup plus aguerris au feu que les paysans poitevins ; souvent ils lâchaient pied malgré les efforts des vieux officiers qu'on leur avait envoyés de Paris ; puis, pour s'excuser, ils accusaient de trahison ces mêmes officiers et les dénonçaient aux représentants du peuple en mission et même, au besoin, à la Convention.

L'armée vendéenne s'était dispersée pendant les fêtes de Pâques (premiers jours d'avril) ; mais elle reparut bientôt comme par enchantement, plus nombreuse que jamais. A cette reprise d'armes, plusieurs détachements se présentèrent ayant à leur tête d'anciens nobles qui avaient déjà servi : d'Elbée, Bonchamps, Lescure ; tandis que d'autres marchaient sous le commandement des premiers chefs de l'insurrection, Stofflet, Cathelineau et autres. Ils se réunirent tous pour attaquer le général Berruyer établi à Chemillé ; mais celui-ci les battit et les poursuivit jusqu'à Beaupreau. Ils prirent bientôt leur revanche en tombant à l'improviste sur la petite armée de Quetineau, composée en grande partie de gardes nationaux de Maine-et-Loire. C'est dans cette dernière journée que La Rochejacquelein entra en scène pour la première fois à la tête de ses paysans. Il leur avait adressé avant le combat cette parole célèbre, qui peut être le mot d'ordre de tous les militaires sans acception de parti : Allons chercher l'ennemi. Si je recule, tuez-moi ; si j'avance, suivez-moi ; si je meurs, vengez-moi.

Il est consolant pour l'historien de pouvoir clore par de telles paroles le récit de tant d'horreurs[29].

 

 

 



[1] Voir t. V, livre XX, §§ II et IX.

[2] Nous avons expliqué en détail les dispositions de cette loi, t. Ier, note III ; nous y renvoyons nos lecteurs.

[3] Le décret du 3 avril était ainsi conçu :

La Convention nationale, après avoir entendu à la barre une députation du Conseil général de la Commune de Paris, autorise le Conseil de cette Commune, dans les circonstances difficiles où se trouve la chose publique, à s'adjoindre, en attendant l'organisation de la nouvelle municipalité, tous les citoyens élus pour composer définitivement le Conseil général de la Commune.

[4] On trouvera à la fin de ce volume une note relative à cette seconde période de l'histoire de la Commune de Paris qui commence le décembre 1792 et finit le 19 aoùt 1793, jour où la municipalité dite définitive fut installée. A partir de cette époque, il n'y eut plus d'élections municipales à Paris. Le Comité de salut public, qui tenait dans sa main tous les pouvoirs, même ceux que la royauté n'avait jamais eus, s'arrogea le droit de révoquer qui bon lui semblait dans le Conseil de la Commune et de pourvoir, de sa propre autorité, aux vacances qui venaient à s'y produire par mort naturelle ou violente, par révocation ou démission. Avant le 9 thermidor, il avait fait guillotiner six membres du Conseil et en avait destitué une vingtaine. Après la défaite de Robespierre et la mise hors la loi de ses adhérents, quatre-vingt-seize membres de la Commune, c'est-à-dire plus des deux tiers, périrent sur l'échafaud.

[5] Nous donnons à la fin de ce volume une note relative aux dénonciations faites le 49 avril par Tison contre plusieurs membres de la municipalité parisienne qui, étant de garde au Temple, avaient témoigné quelque compassion pour les malheurs de la famille royale. M. de Beauchesne, dans les quatre volumes qu'il a consacrés à la mémoire de Louis XVII et de Madame Élisabeth, a jeté un jour nouveau sur cet épisode de l'histoire des prisonniers du Temple. Nous renvoyons nos lecteurs à ces récits si palpitants d'intérêt ; nous nous contentons de publier quelques détails inédits sur les municipaux dénoncés par Tison, et sur Tison lui-même.

[6] On peut juger de la rigueur avec laquelle avait lieu la délivrance des passeports par l'arrêté suivant :

Séance du 4 avril 1793.

Le Conseil général arrête qu'il ne sera point accordé de passeports aux ci-devant nobles ou prêtres, non plus qu'à des femmes qui n'ont aucune nécessité de voyager, et qu'en général il n'en sera accordé qu'à des négociants, sauf cas urgents et imprévus dont il sera fait rapport au Conseil.

[7] Voir t. VI, livre XXIX, § IX et livre XXX, § VIII.

[8] Toute cette première partie de la discussion est singulièrement tronquée dans le Moniteur, n° 99. Nous la rétablissons d'après le récit du Journal des Débats et Décrets, n° 200, pages 103 et 104.

[9] Moniteur, n° 101, p. 93.

[10] Voici la lettre que Servan, dans son Tableau militaire de la campagne de 1793, nous a conservée.

Les représentants du peuple composant le Comité de salut au ministère de la guerre et à ses adjoints.

Liberté, Égalité, Fraternité.

Allez vous faire f..... ! que le diable vous confonde, s'il vous faut des ordres pour donner des selles, quand il vous a été enjoint de fournir des chevaux ! Faut-il aussi des ordres pour que vous donniez des brides ?

DANTON, ROBERT-LINDET, CAMBON fils aîné.

[11] Voici la correspondance qui fut échangée dans cette occasion entre Clerfayt et les généraux français.

A Monsieur le général commandant à Maubeuge.

Monsieur,

Comme nous étions convenus de nous avertir réciproquement vingt-quatre heures d'avance, quand la suspension d'armes pourrait cesser d'un côté ou de l'autre, je dois vous prévenir, mon général, que les circonstances m'empêchent de la prolonger davantage, et. que vous ne pouvez y compter que vingt-quatre heures encore.

Au quartier général de Mons, le 7 avril 1793.

En l'absence de S. A. Sme Monseigneur

le feld-maréchal, prince DE COBOURG,

CLERFAYT.

Général, il serait peut-être utile que la trêve, que Dumouriez avait conclue avec vous, subsistât encore, et il serait alors possible de relâcher les personnes que le pouvoir exécutif a dû faire arrêter.

En continuant la suspension d'armes, j'enverrais à Paris entamer une négociation, et proposer l'échange des quatre députés de la Convention nationale et du ministre Beurnonville ; avec ces mêmes personnes détenues présentement à Paris.

Je serais charmé de reprendre des négociations qui assurassent la gloire des deux armées, le repos et la tranquillité de l'empire et da la République française.

Je compte sur une prompte réponse de votre part.

Le général en chef de l'armée du Nord,

DAMPIERRE.

8 avril 1793.

[12] Nous avons retrouvé, aux archives de Vienne, la lettre suivante adressée par le prince de Cobourg au comte de Mercy-Argenteau ; elle fait connaître l'état de cette négociation, au commencement de mai.

A Son Excellence M. le comte de Mercy-Argenteau.

Au quartier général de Quiévrain, ce 3 mai 1793.

Ce serait avec le plus grand plaisir, monsieur le comte, que je déférerais à la demande que Votre Excellence a bien voulu me faire dans sa note du 13 avril, en faisant entrer dans la négociation, pour l'échange de la famille royale, la levée des scellés apposés sur votre maison de Paris. Ce serait à la fois un acte de justice et de prudence, et un effet de mon véritable empressement à vous obliger. Mais j'aurai l'honneur de prévenir Votre Excellence que cette négociation n'a consisté jusqu'à présent qu'en une proposition vague et insignifiante que le général Dampierre a faite de son chef, sans autorisation des Brigands régicides qui retiennent cette auguste et malheureuse famille dans les fers. On lui a répondu également en termes généraux, pour ne pas compromettre sans fruit la dignité du souverain et l'on s'est contenté d'ajouter qu'il n'y avait qu'un seul cas, qu'on n'avait pas besoin de nommer, dans lequel les commissaires détenus devraient trembler pour leurs jours ; et plus tard, à l'occasion d'une nouvelle réclamation et sans qu'il fût question des prisonniers du Temple, on a écrit aux commissaires de Bouchain, qui avaient succédé aux quatre envoyés à Maëstricht, que le sort de ces derniers est entre leurs mains. Voilà en quoi a consisté toute la négociation. S'il devait s'en entamer une qui eût des bases et quelque apparence dé succès, soyez persuadé, monsieur le comte, que je n'oublierais point la juste réquisition que Votre Excellence a bien voulu m'adresser.

Toute la correspondance avec Dampierre et avec les commissaires a été communiquée à notre Cour ; il n'y a pas encore de réponse.

COBOURG.

[13] Ce manifeste et le discours de Barère se trouvent au Moniteur, n° 409. Comme commentaire des mesures prises par la Convention, il nous parait intéressant de mettre sous les yeux de nos lecteurs la circulaire confidentielle adressée, quelques jours après, par le Comité de salut public, aux représentants en mission. Elle prouve qu'en réalité les dépositaires du pouvoir exécutif n'étaient pas aussi farouches qu'ils voulaient le paraître.

Les représentants du peuple, membres du salut public, aux représentants du peuple, députés près de l'armée de...

Citoyens nos collègues,

Il nous importe à tous de connaître les forces et les dispositions de nos ennemis. Quoiqu'il ne convienne pas de s'engager dans des négociations politiques et que nous ne devions nous occuper que de la guerre et du développement de toutes nos forces et de la puissance nationale, il serait cependant très-avantageux que nous pussions pénétrer les intentions des puissances belligérantes ; il faut combattre aussi la politique de nos ennemis.

La Convention n'a pas approuvé que deux de nos collègues aient ouvert une correspondance trop étendue avec le général Cobourg. Elle a entendu impatiemment les éloges donnés aux sentiments du général autrichien et les efforts trop marqués pour essayer de le convaincre ; elle a cru entrevoir un caractère de faiblesse dans les efforts mêmes que faisaient nos collègues pour justifier les droits de la nation ; elle a cru que vouloir prouver les droits d'une nation, c'était les affaiblir.

Nous ne devons pas penser à négocier, mais ne trouverez-vous pas quelquefois l'occasion d'arracher le secret, de nos ennemis sans compromettre la dignité nationale et le caractère dont vous êtes revêtus, et sans vous engager dans des discussions qui ne conviennent qu'à des agents politiques et sont au-dessous d'un représentant du peuple ?

Les circonstances seules peuvent vous offrir des occasions précieuses que la prudence humaine ne peut prévoir ; nous vous prions de ne pas négliger cet objet de correspondance et de nous communiquer ce qui parviendra à votre connaissance.

[14] Sous le règne du roi Louis-Philippe, un monument a été érigé à la mémoire du général Dampierre, à l'endroit même où il était tombé sous le feu de l'ennemi.

[15] Voir t. VI, livre XXVII, § IV.

[16] Nous avons retrouvé aux archives de Vienne une lettre de l'empereur François, relative aux négociations ouvertes par Wermser avec Gillot et Custine. Cette pièce fait connaître les étranges illusions que l'on se faisait à Vienne sur l'état intérieur de la France :

Cher général de cavalerie comte Wurmser,

Ayant appris, par votre rapport du 14 de ce mois, les négociations suivies par vous, tant avec le commandant de Landau, Gillot, qu'av.ec le général Custine, il faut que je signale à votre attention non-seulement la conduite du général français, mais encore l'état actuel de la France elle-même, afin que, par la ruse du premier, vous ne soyez point induit en erreur, et que vous ne vous exposiez pas à perdre là gloire que vous avez justement acquise par votre courage et la sage direction de vos troupes. La France s'est déclarée État libre ; ses généraux sont placés sous la direction de commissaires qui leur ont été adjoints par la Convention nationale ; mais ni les uns ni les autres ne sont autorisés, sans ordre spécial de la Convention, à entrer en négociation avec les ennemis de la République et surtout à entamer des démarches qui auraient la paix pour résultat final. En France même, règne une confusion telle qu'on peut sagement présumer que les Français ne pourront point, dans cette campagne, agir avec cette vigueur qui serait nécessaire pour résister au progrès des armées unies. Que reste-t-il dès lors à faire aux généraux français, si ce n'est de nous tromper par des négociations simulées et nous arracher, par des ajournements, les avantages que nous offre leur faiblesse actuelle, pour attendre les renforts qu'on devra leur envoyer finalement ? Il faut donc bien plutôt s'appliquer à attaquer les troupes ennemies, le plus souvent possible, et les déloger, au lieu de se laisser tromper par d'inutiles négociations et de se laisser nourrir de vaines espérances. Tant que les armées françaises seront encore en état de tenir la campagne et n'auront pas été complètement dispersées par les nôtres, toutes négociations entamées pour amener la reddition amiable de leurs forteresses ne seront point couronnées d'un résultat favorable. Mais si on effectue la dispersion des armées ennemies, si on prend les mesures nécessaires, et si on dispose des moyens voulus pour pouvoir s'approcher des forteresses ennemies, alors il pourra être possible d'y trouver une résistance faible, et, conséquemment, on pourra s'emparer d'elles facilement. Comme j'ai vu par un rapport du prince de Reuss, du 40 de ce mois, que, pour appuyer vos opérations, vous avez besoin de renforts, j'ai immédiatement transmis au Conseil aulique supérieur de la guerre l'ordre de vous envoyer les troupes qui étaient destinées à former dans le Tyrol une réserve pour l'Italie, et de vous en aviser pour que vous puissiez prendre les dispositions voulues pour leur emploi.

Vienne, le 18 avril 1793,

FRANÇOIS.

[17] Le Comité de salut public en jugea de même. Mandé à Paris, le général Kellermann comparut devant le Comité le 17 mai et se justifia complètement. Par un décret solennel, rendu sur le rapport du Comité, il fut déclaré n'avoir jamais cessé de mériter la confiance de la République. On trouvera à la fin du volume le texte des pièces officielles relatives à cette affaire.

[18] Cette lettre était ainsi conçue :

Saint-Amand, le 2 avril.

Je crois devoir, mon cher Biron, vous prévenir de la situation inouïe où nous sommes : Dumouriez en état d'arrestation et faisant arrêter le ministre et les commissaires : Lille et Valenciennes remplies de députés ; les ennemis au nombre de 60.000 hommes, victorieux à deux lieues de nous, pas de provisions et point de fourrages : voilà où l'on a mis la République ; tous les généraux arrêtés, excepté moi. parce que je suis blessé ; Ligneville, d'Harville, Boucher, etc., etc. Les traîtres qui vendent la France font arrêter les généraux pour la livrer plus aisément.

Quelle différence de notre sort quand, en Champagne, nous préférions la mort aux fers des despotes I Ici des représentants du peuple sont mis en mouvement, peut-être à leur insu, et livrent la République. Adieu, mon cher général ; vous voilà instruit de notre situation. Je vais donner ma démission ; malade et blessé, je ne puis servir utilement ici dans de telles circonstances ; mon cœur est ulcéré.

Le général en chef,

VALENCE.

[19] Pour passer en revue la situation de toutes les armées de la République, il nous faudrait dire un mot des deux armées des Pyrénées orientales et des Pyrénées occidentales. Mais ces deux armées n'existaient encore, pour ainsi dire, que sur le papier. Les premières hostilités de la part des Espagnols ne commencèrent que le 18 mai par l'attaque du camp de Thuir.

[20] Voir t. VI, livre XXX, § II.

[21] Nous donnons à la fin de ce volume trois lettres du général Canclaux qui font connaître les détails de cette expédition.

[22] Nous donnons à la fin du volume une lettre de Billaud-Varenne et de Seveste, en date du 29 mars. Elle complète les renseignements qui se trouvent dans les lettres datées des 22 et 23 mars, émanées des mêmes commissaires et insérées au Moniteur (n° 85 et 86).

[23] Voir t. VI, livre XXX, § V.

[24] Le lendemain de la prise de Pornic, un jeune chef vendéen, nommé Flaming, trahi par l'hôte auquel il s'était confié, fut amené à Coueffé, commandant de la garde nationale de Pornic. Celui-ci, sans autre forme de procès, le tua d'un coup de pistolet à bout portant.

[25] Souchu était né à Saint-André-de-Château-Regnault, près de Tours, et avait été procureur fiscal d'une justice seigneuriale appartenant à un parent de Charette. Depuis l'établissement des nouveaux tribunaux, il s'était établi à Machecoul et y cumulait l'emploi d'avoué et celui de chef de bureau du district.

[26] Parmi les victimes des massacres de Machecoul, les diverses autorités constitutionnelles eurent leurs représentants, à savoir : 1° Le district : Jaubert, vice-président ; Charruau, Bethuis, administrateurs ; Hubin-Girardicre, procureur-syndic ; Garreau, trésorier. 2° Le tribunal : Caviezel, président ; Masson, commissaire national ; Charruau, greffier. 3° La municipalité : Baré, maire ; Guilbaud, procureur-syndic ; Boissy, Gueperoux, Deslandes, Fortineau, Gry, membres du Conseil de la commune ; Bezian, greffier. 4° La garde nationale : Vrignaud et Baron, officiers. 5° Le clergé constitutionnel : Marchesse, curé de Bourgneuf.

La plus grande partie des détails que nous donnons ici sont tirés d'un livre plein de faits curieux et de détails intéressants que vient de publier, à Nantes, M. Alfred Lallié, sous ce titre : Le District de Machecoul, de 1788 à 1793.

[27] L'expression de chapelet a donné lieu à toutes sortes de fables : on a prétendu que les prières connues sous ce nom avaient été, pendant l'exécution, récitées par les séides de Souchu ; on en a inféré que les assassins avaient voulu placer ces meurtres sous l'égide de la religion. Rien de tout cela n'est vrai ; cette expression se retrouve dans le revit de plusieurs massacres de cette époque : nous pourrions citer notamment ceux des Broteaux à Lyon. Il est naturel qu'on se serve des mêmes termes pour exprimer les mêmes choses. Comme les républicains à Machecoul, les royalistes, aux Broteaux, furent conduits au moyen de longues cordes dans le champ où leur fosse était préparée, et ce fut, là aussi, la fusillade qui égrena ces chapelets humains.

[28] Par les lois des 7 et 9 avril, les tribunaux criminels venaient d'être investis des mêmes pouvoirs que le Tribunal révolutionnaire de Paris. A la première réquisition des administrations de département et, à plus forte raison, des représentants du peuple, ils devaient se transporter dans les chefs-lieux de district pour y juger, conformément à la loi du 19 mars, les individus accusés d'avoir pris part aux révoltes ou émeutes contre-révolutionnaires. Leurs jugements devaient être exécutés dans les 24 heures et sans recours au Tribunal de cassation.

[29] Nous avons voulu apporter notre contingent aux nombreuses publications qui ont été faites sur la guerre de la Vendée. On trouvera, à la fin du volume, un certain nombre de pièces que nous croyons complètement inédites.