HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

NOTES, ÉCLAIRCISSEMENTS ET PIÈCES INÉDITES

 

XII. — STATISTIQUE DES TROUPES QUI ÉMIGRÈRENT AVEC DUMOURIEZ.

 

 

Les historiens varient sur l'effectif des troupes qui suivirent la fortune de Dumouriez.

Au premier moment la rumeur publique, même en France, porta cet effectif à des chiffres considérables. Un document d'apparence officielle contribua à entretenir ces exagérations. Le Moniteur donna (n° 111), sans commentaire et ainsi qu'il suit, la nomenclature des bataillons et régiments passés avec Dumouriez aux Autrichiens :

Berchiny (hussards) Colonel général (hussards), Bourbon (dragons), les chasseurs des Cévennes, un bataillon de volontaires, le 25e régiment d'infanterie, les chasseurs braconniers, la compagnie des tireurs d'Égra, de Givet et un escadron des chasseurs volontaires de Santerre.

Cette liste avait été, paraît-il, envoyée aux journaux par un officier belge au service de France, nommé Ransonnet ; mais, dès qu'il en eut connaissance, le général en chef, Dampierre, déclara que le citoyen Ransonnet, d'un civisme et d'un courage connus, avait été trompé, et que les troupes émigrées ne s'élevaient pas à plus de six ou sept cents hommes[1].

Dumouriez, dans ses mémoires, porte à huit cents cavaliers et à huit cents hommes d'infanterie l'effectif des troupes qui suivirent sa fortune. Il n'exagère que de moitié.

Ce sont les pièces de la comptabilité autrichienne qui vont nous apprendre la vérité et nous donner des détails intéressants sur l'organisation provisoire qu'avaient reçue les corps français.

 

À Monsieur le commissaire supérieur des guerres de Ebeven.

 

Je me serais certainement appliqué à devancer l'ordre que m'a transmis votre lettre du 6, si la chose avait été heureusement possible.

En ce qui touche le corps de troupes disséminées dans leurs cantonnements et peu habituées à l'ordre, tout ce que j'ai pu obtenir en fait de renseignements à partir du 4 de ce mois, se résume comme suit

Le 8, j'ai appris la formation de l'infanterie :

Le 10, celle du régiment de Bourbon, composé de dragons et de chasseurs à cheval :

Hier, c'est-à-dire le 11, j'ai pu vérifier l'effectif du régiment de cavalerie, composé de cuirassiers et hussards.

Je vous transmets le tableau de revue de ces trois formations sur lesquelles

L'infanterie compte

458

hommes

Les dragons de Bourbon

215

L'autre régiment de cavalerie

209

A cette occasion, j'ai pu constater enfin que, sur le premier régiment de hussards passés parmi nous, cent cinquante hommes ont déserté ou ont été débauchés vers la fin du mois dernier, avec tes selles et l'équipement.

Le tiers de l'infanterie n'a ni fusils, ni gibernes, ni cartouches par conséquent. Les hommes prétendent qu'ils ont été désarmés par nos avant-postes.

L'infanterie et la cavalerie (celle-ci, les dragons et-les cuirassiers, est fort bien montée, à l'exception de l'escadron de chasseurs) ne pourront pas, d'ici à quelque temps, faire un service utile, attendu qu'ils manquent généralement d'objets d'habillement et d'équipement.

Le maréchal de camp Thouvenot, qui se trouve en ce moment au quartier général, s'appliquera vraisemblablement à faire un rapport oral sur les conditions de son corps de troupes.

PFEFFER.

Leuze, le 12 mai 1793.

 

Au comte de Wallis, président du Conseil aulique supérieur de la guerre, à Vienne.

 

A la suite des conférences tenues avec le général français Dumouriez, passé chez nous, on lui a donné aussi l'assurance que les officiers d'état-major et régiments qui le suivraient seraient, autant que le permettront les circonstances, entretenus par nous jusqu'à ce que l'occasion se présente, en avançant dans l'intérieur de la France, de les entretenir sur leur propre territoire. En effet, tout l'état-major général français et une partie d'infanterie, de chasseurs, de cuirassiers, dragons et hussards ont passé chez nous et ont requis leur entretien.

Afin de commencer cette affaire avec tout l'ordre voulu, j'ai, dès le 6 avril, délégué le commissaire des guerres Pfeffer auprès du général Dumouriez, et lui ai remis les 10.000 fl. nécessaires pour l'entretien des officiers et des troupes.

Dumouriez, quant à sa personne, n'a point reçu d'argent comptant, mais il a vendu son équipage et s'entretient sur sou argent à lui appartenant. Le commissaire des guerres Pfeffer a reçu l'ordre de se rendre à Leuze où il se trouve encore, d'y régler la question des troupes, de les payer sur leur pied usuel, puis de m'envoyer ici les états d'effectif et de solde à payer afin qu'ils soient soumis à la sanction supérieure. Malgré tout l'empressement et toute l'activité déployée par ce commissaire pour débrouiller l'effectif et les soldes attribuées à chacun des hommes de cette nation, arrivés à un extrême degré de désordre, et professant des principes très-versatiles, il n'a pu réussir qu'hier seulement à finir son travail et à me l'envoyer.

... Comme tous ces hommes-là, et surtout les officiers de l'état-major général, ne peuvent être simplement abandonnés à leur sort sans préjudice pour nous, qu'il faut évidemment les entretenir, et que les circonstances peuvent changer un jour, je prélèverai les sommes nécessaires sur les fonds de l'Empire et je ferai entretenir les hommes sur le pied établi pour l'armée impériale. Quant aux simples soldats, comme quelques-uns de ces hommes sont en haillons, je leur ferai donner des uniformes français pris dans ceux que nous avons conquis, et qu'on ne peut d'ailleurs pas employer pro ærario.

En ce qui touche leur habillement définitif, j'enverrai ultérieurement un projet dans ce sens.

Je suis, etc.,

COBOURG.

Au quartier général de Quiévrain, 19 mai 1793.

 

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Les pièces présentées par le colonel Pfeffer à l'appui de sa comptabilité nous fournissent, avec toute l'exactitude possible, le nombre et la composition des débris de régiments émigrés avec Dumouriez et réunis au camp de Leuze sous les ordres du général de Ruault.

Les dragons de Bourbon — 215 hommes — avaient un colonel (le baron de Martha), deux lieutenants-colonels, un lieutenant-colonel surnuméraire et 31 officiers ;

Les hussards de Berchiny — 209 hommes — avaient un colonel (Nordmann), deux lieutenants-colonels et 30 officiers ;

L'infanterie — 459 hommes — avait pour colonel un maréchal de camp (Second), deux lieutenants-colonels et 55 officiers.

En dehors de cet effectif, il y avait au camp, à titre de supplémentaires, cinq maréchaux de camp, Vouillers, Thouvenot, de Neuilly, de Bannes, Dumas ; quatorze officiers supérieurs ; deux commissaires supérieurs des guerres, Soliva et Beauvalon, et un médecin en chef, Menuret.

Le taux des traitements alloués aux divers officiers de l'armée de Dumouriez fut ainsi réglé :

l.

s.

d.

1 maréchal de camp

15.000

1 adjudant général

6.000

2 adjudants

2.400

2 adjudants supplémentaires

1.800

1 commissaire supérieur des guerres

11.594

16

3

1 secrétaire d'état-major

1.200

1 payeur

2.916

1 médecin

6.000

1 lieutenant-colonel à la suite

2.700

La somme que l'état-major et les troupes contèrent du 6 au 30 avril est résumée ainsi par le commissaire-ordonnateur Pfeffer

l.

s.

d.

Les généraux, y compris leur état-major

7.148

17

5

L'infanterie

13.371

5

11

Dragons-chasseurs

6.943

12

10

Cuirassiers et hussards

9.057

3

Ensemble

36.320

19

2

Équivalant en monnaie de l'Empire à 14.202 fl. 36 kr.

La question de savoir à qui, de l'Empire ou de l'Empereur, incomberait la dépense des troupes émigrées souleva de nombreuses diulcultés. Elle donna lieu notamment aux deux lettres suivantes du prince de Cobourg, qui renferment des détails intéressants 1° sur la destination ultérieure qu'on voulait donner à ces troupes ; 2° sur les promesses formelles que le prince avait faites au général français et qu'il tenait à remplir avec une scrupuleuse Cdélité.

 

À S. Ex. le comte de Mercy-Argenteau, ministre de S. A. I. et R. A.

 

Au quartier général de Hérin, ce 15 juin 1793.

Le maréchal prince de Cobourg reçoit du Conseil aulique de guerre une intimation qu'il s'empresse de communiquer à S. Exc. M. le comte de Mercy-Argenteau.

Sa Majesté l'Empereur, d'après la dépêche ci-dessus énoncée du conseil de guerre, lui a fait savoir que S. Exc. M. le comte de Mercy-Argenteau était chargé, de la part du monarque, d'essayer s'il ne serait pas possible d'engager l'Angleterre à transporter toutes les troupes et tous les officiers qui sont passés avec M. Dumouriez dans les provinces de la France qui sont actuellement en insurrection.

En cas que la chose ne fut pas possible, l'intention de Sa Majesté est, l'état de la caisse de l'Empire n'étant pas suffisant pour pourvoir aux dépenses qui y sont proprement attachées, que les 883 hommes de divers régiments français qui sont passés avec M. Dumouriez fussent pris à la propre solde de S. M. l'Empereur, et qu'on n'en conservât qu'exactement autant d'officiers qu'il en faut pour cette quantité de troupes, renvoyant le général Thouvenot, ainsi que les autres officiers qui, d'après le principe ci-dessus, ne seraient pas indispensablement nécessaires.

M. le maréchal de Wallis, président du Conseil de guerre, ajoute que comme cet objet repose en partie sur une négociation ministérielle, il va se concerter là-dessus avec la chancellerie d'État, se réservant de me faire connaître le résultat ultérieur de cette concertation.

Le maréchal prince de Cobourg, en communiquant littéralement à S. Ex. M. le comte de Mercy-Argenteau cette dépêche du Conseil aulique de guerre, a l'honneur de le prévenir qu'il désirerait sur cet objet délicat être instruit de la manière dont il envisage qu'il fut possible de concilier l'exécution des ordres suprêmes de S. M. avec les égards qu'on doit à la parole qu'on a donnée à des généraux et à des officiers qui ont pris un parti d'après cet engagement solennel, à la situation malheureuse où ils seraient réduits par cette violation d'une promesse précise et non équivoque, et enfin aux suites fâcheuses qui, si ces gens-là étaient absolument sans ressources, pourraient, sous différents rapports, en résulter pour les intérêts véritables de S. M. et de la cause commune.

Il reste d'ailleurs à observer.que la caisse de l'Empire ayant été chargée jusqu'ici du payement et de la solde de ce rassemblement, et y ayant suffi, il ne paraît pas nécessaire de le mettre à la charge de la caisse de S. M.

COBOURG.

 

Au comte de Hérin, à Vienne.

 

Quartier général de Hérin, 20 juin 1793.

Je me suis entendu avec le commissaire général des guerres, baron de Riedheim, au sujet de l'entretien sur les fonds de l'Empire des troupes et officiers passés parmi nous avec Dumouriez, et je me suis arrangé avec le ministre d'État, comte de Mercy-Argenteau, en ce qui touche le renvoi du général français Thouvenot et des autres officiers superflus de l'état-major français. Le baron de Riedheim m'a dit que l'on pouvait d'autant plus entretenir ces officiers pendant quelque temps sur les fonds du trésor de l'Empire, que, par la suite, on pourra imputer ces dépenses sur la part à payer par la cour de Prusse. Le trésor serait ainsi dispensé de faire une dépense que les officiers français regardent eux-mêmes comme une avance jusqu'au moment où ils auront l'occasion de rentrer dans leur patrie d'une manière convenable et y recevoir leur arriéré de solde. C'est pour cela que je les fais payer sur le pied français.

Le comte de Mercy-Argenteau déconseille d'autant plus le renvoi du général Thouvenot et des officiers français, que ce renvoi ferait une sensation pénible parmi ceux des officiers ennemis qui seraient peut-être disposés encore à passer chez nous, et serait de plus une transgression évidente de la promesse qui leur a été faite. Ce qui précède vous permettra de conclure que je suis forcé de m'en tenir à la décision déjà prise, et de conserver, tant que les circonstances le permettront, les officiers en question sous ma protection et à la solde du contingent impérial.

COBOURG.

 

Il ne paraît pas que les troupes du camp de Leuze aient fait campagne sous une dénomination particulière. Leur petit nombre les fit probablement incorporer dans d'autres corps ; car, à partir de la fin du mois de juin, il n'en est plus question dans la correspondance du prince de Cobourg avec le cabinet de Vienne.

 

 

 



[1] Voir la lettre de Dampierre au Moniteur, n° 114 ; le citoyen Ransonnet devint l'un des meilleurs généraux de division de l'Empire ; il fut tué à Essling, le 21 mai 1809.