HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

TOME SIXIÈME

 

LIVRE XXIX. — LA CONJURATION DU 9 MARS.

 

 

I

C'est dans la séance du cinq mars que parviennent à la Convention les premières nouvelles de l'évacuation d'Aix-la-Chapelle et de la levée du siège de Maëstricht. Les Montagnards tentent de profiter de l'inquiétude générale pour arracher à l'Assemblée des mesures qu'ils ne sauraient obtenir dans des moments de calme et de paisible discussion. Ils réclament à grands cris la lecture immédiate des lettres, que des députés plus prudents veulent renvoyer au Comité de défense générale. Il ne faut rien cacher au peuple, s'écrie Billaud-Varennes ; c'est à la nouvelle de la prise de Verdun qu'Il s'est levé et qu'il a sauvé la patrie !

Aussitôt les dépêches lues, Choudieu dénonce la présence dans la capitale d'un grand nombre de volontaires qui, étant à la solde de leurs départements, ne sont pas par conséquent à la disposition du ministre de la guerre il fait la motion formelle que, puisque Paris est tranquille, ces fédérés soient immédiatement envoyés aux frontières.

Comment Choudieu, répond Lanjuinais, peut-il prétendre que Paris est tranquille ? N'était-il pas avant-hier dimanche au Comité de la guerre, lorsque le ministre est venu. nous déclarer qu'il se fomentait des troubles ? Le fait n'a-t-il pas été attesté par Santerre lui-même ? Oui, je le déclare, il existe à Paris un comité d'insurrection ce comité se tient dans le local occupé d'ordinaire par l'assemblée électorale de Paris. Du sein de ce comité partent journellement des invitations aux fédérés de venir s'y réunir. Est-ce en présence de pareils dangers, est-ce dans de pareils moments qu'il faut faire partir les volontaires que nous ont envoyés les départements ?

Choudieu insiste : Santerre, dit-il, vous a annoncé que le calme était complètement rétabli dans Paris. Vous devez le croire. Faut-il donc s'arrêter à ce que nous a dit le ministre de la guerre, quand il est venu nous parler dimanche, au Comité, de craintes de troubles ? C'était un coup monté. Il y avait là tous ceux qui, comme Buzot, prétendent qu'il faut une force armée pour nous protéger et pour nous permettre de faire de bonnes lois. Quant à mes amis et à moi, nous croyons qu'il n'y a de bonnes lois que celles qui sont soutenues par le peuple ; nous ne voulons pas d'une garde nationale comme la voulait Lafayette. C'est pourquoi je viens vous demander de faire disparaître une monstruosité dans la composition de la force armée. Est-il tolérable qu'une partie de cette force soit à la solde des départements et que le ministre lui-même en ignore la destination ?

Buzot n'avait pas besoin d'être interpelé directement, comme venait de le faire Choudieu, pour intervenir dans une discussion qui lui était devenue presque personnelle par ta part considérable qu'il avait prise aux débats précédents.

Est-il vrai, s'écrie-t-il, que les derniers troubles dont Paris a été le théâtre, il y'a dix jours à peine, n'ont été apaisés que par les soins et le courage des citoyens dont on sollicite aujourd'hui l'éloignement ? Est-il vrai que le ministre de la guerre et Santerre lui-même ont donné notamment des éloges aux volontaires brestois ? Est-il vrai enfin que le ministre vous ait fait part de ses inquiétudes sur les dangers de nouveaux pillages ? Paris peut-il en ce moment opposer une résistance convenable aux malveillants, si les citoyens des départements ne le secondent ? II faut avant tout que la garde nationale parisienne ait à sa tête un commandant choisi par le peuple et qui ait sa confiance ; il faut que le foyer de l'anarchie ne soit plus dans une prétendue municipalité qui n'est que provisoire et qui ne conserve les rênes de .l'administration que pour piller et profiter des pillages qu'elle protège. Lorsque tout sera remis a sa place, je voterai pour que les volontaires qui sont à Paris aillent aux frontières mais jusque-là, il faut avoir la force à opposer aux brigands. Les citoyens de Paris sont las de cet état de choses s'il dure encore quoique temps, l'herbe croîtra dans les murs de la capitale.

Vous répétez là, répond Thuriot, ce que des hommes que nous avons fait arrêteront osé dire dans des écrits incendiaires vous nous apportez des calomnies concertées avec ceux qui regrettent la mort du ci-devant roi. Nous vous prouverons, par la procédure criminelle que vous avez ordonnée contre les fauteurs des derniers troubles, que cette agitation a été excitée par des Anglais, par des émigrés, par des aristocrates[1].

Et par Marat ! crie-t-on à droite.

Isnard veut répondre Thuriot, mais son apparition a la tribune est saluée par les vociférations des Montagnards et de leurs affidés qui peuplent les tribunes. Pendant plusieurs minutes, il lui est impossible de se faire entendre. Enfin sa voix parvient à dominer le tumulte.

Je déclare, dit-il, que la liberté des opinions n'existe pas dans cette enceinte. Comme représentant du peuple, j'ai te droit d'être écouté en silence. Eh bien, j'userai de ce droit en faisant constater et inscrire au procès-verbal toute interruption...

Billaud-Varennes, Camille Desmoulins, Robespierre jeune et leurs amis apostrophent vivement l'orateur. Pour toute réponse, le député du Var se découvre la poitrine et lance ce défi à ses adversaires : S'il faut périr ici, nous périrons ! Moniteur, écrivez... Oui, la Convention, je le répète, a été au-dessous d'elle-même, elle a manqué à sa propre dignité lorsqu'elle a souffert que les citoyens présents à ses discussions insultassent un de ses membres ; elle a fait une action plus indigne d'elle quand elle n'a pas accablé de toute son indignation ceux de ses membres qui ont donné l'exemple d'une pareille conduite. Chaque jour, je me demande si cette assemblée est réellement la Convention nationale ou seulement une machine à décrets dans les mains d'une faction. Je me suis tu longtemps sur un état de choses aussi déplorable, mais ma patience est à bout. — Eh bien, allez-vous-en ! s'écrie une voix de l'extrême gauche. — Oui, il n'est que trop vrai que la Convention, soit pusillanimité, soit faiblesse, se laisse dominer ; cette vérité, je dois la proclamer, dussé-je la payer de mon sang !

Barbaroux et Louvet défient leurs adversaires d'affirmer qu'il n'existe dans Paris ni voleur, ni anarchiste. Puisqu'il en est ainsi, ajoutent-ils, est-il prudent de dégarnir cette ville de toute force armée ?

Mais un de leurs amis, Fonfrède, vient lui-même offrir une transaction que la majorité se hâte d'accepter. La motion du jeune Girondin semble en apparence ne concerner que les bataillons envoyés à Paris par les départements maritimes et être motivée par la nécessité de pourvoir à la défense des côtes ; mais elle admet le principe du renvoi des fédérés et par conséquent la dispersion de cette troupe, sur laquelle comptait la Gironde pour résoudre, en fait si ce n'est en droit, cette grande question de la force départementale, qu'elle avait, depuis cinq mois. tant de fois et si inutilement soulevée.

 

II

Le 8 mars arrivent de Belgique deux des commissaires de la Convention, Danton et Lacroix. Ce dernier monte à la tribune à l'ouverture de la séance et annonce qu'il est prêt à faire son rapport soit au Comité de défense générale, soit à l'Assemblée.

Barère demande que Lacroix s'explique tout haut et immédiatement.

On vous a parlé de secrets, mais y en a-t-il au Comité de défense générale, où des nuées de commis et de secrétaires sont admis, où chacun des membres de la Convention a le droit d'entrer a toute heure ? Qu'avons-nous besoin de secrets quand nous nous battons avec toutes les forces nationales contre l'Europe coalisée ? Le secret ne sert qu'à augmenter les alarmes. Il faut donc tout publier, si nous voulons empêcher les terreurs paniques des hommes faibles et les terreurs scélérates de ces amas d'hommes de boue et de sang qui ne cherchent que des prétextes de trouble. Oui, il est à Paris de- ces hommes qui ne demandent pas mieux que d'alarmer les citoyens pour se livrer ensuite au pillage, à l'assassinat ; il faut leur ôter tout prétexte. Une assemblée, qui est publique, doit délibérer sur la guerre au milieu de la place publique. Plût à Dieu que la nation entière pût être dans ce moment réunie dans cette enceinte ! nous la verrions se précipiter tout entière vers les points menacés pour repousser les satellites des despotes.

La parole est donc accordée à Lacroix, qui commence par signaler l'incurie des généraux chargés de protéger le siège de Maëstricht.

Les cantonnements sur la Roër, ajoute l'ami de Danton, étaient disséminés sur plus de 14 lieues d'étendue. Il y avait très-peu de cavalerie et les avant-postes étaient très-mal renseignés sur les mouvements de l'ennemi. Les Autrichiens n'ont pas eu la moindre peine à percer nos lignes ; l'évacuation d'Aix-la-Chapelle et celle de Liège ont été la conséquence inévitable 'de cette surprise. Aujourd'hui les armées de Valence et de Miranda sont réunies mais ce n'est qu'en abandonnant Liège et les généreux Liégeois que l'on a pu réaliser cette jonction. Une partie des magasins qui existaient dans cette ville n'ont pu être évacués à temps cependant la caisse militaire, la majeure partie des effets de campement, tout ce que l'armée avait de plus précieux est maintenant en routé pour Valenciennes. Gossuin et Merlin sont allés dans les départements du nord pour faire marcher toutes les gardes nationales au secours de notre armée. Danton et moi nous sommes prêts à communiquer au Comité de défense générale les mesures que nous croyons propres à combler les vides de l'armée et à faire rejoindre les militaires de tout grade qui se sont absentés avec ou sans congé.

A peine Lacroix a-t-il quitté la tribune que Robespierre s'en empare et débite un discours plein d'emphase et d'acrimonie :

Je ne me dissimule pas combien paraissent critiques les circonstances mais, pour un peuple libre, le moment d'un échec est le précurseur d'un triomphe éclatant les avantages passagers des satellites d'un despote sont les avant-coureurs de la destruction des tyrans... Nos ressources sont immenses... La cause même de l'échec que nous venons d'éprouver est pour nous le gage qu'il n'aura aucune suite funeste. Il nous reste à purger nos armées d'un esprit aristocratique qui s'est réfugié dans les états-majors, à nous débarrasser des traîtres, qui seront écrasés comme des insectes par la grande nation destinée à punir tous les tyrans du monde. Que la Convention dégage le peuple français des entraves dont il est environné, qu'elle s'élève elle-même à la hauteur du caractère divin dont elle est revêtue ; car c'est bien une mission divine que celle de créer la liberté, de diriger son impulsion toute-puissante vers la chute de la tyrannie et la prospérité des peuples. Il lui suffira de tenir sans cesse le glaive de la loi levé sur la tête des conspirateurs puissants, des généraux perfides, de fouler aux pieds tout esprit de parti et d'intrigue, de ne prendre pour guides que les grands principes de liberté et de bien public, de balayer tous les traîtres, de tendre des mains protectrices aux amis de la liberté, au peuple qui a fait la Révolution et dont la prospérité ne peut être assise que sur les bases de l'Egalité.

Danton avait laissé à Lacroix la mission de raconter les désastres de notre armée, mais il s'était réservé de proposer les mesures du salut public qui devaient parer à ces désastres.

C'est au milieu des plus grands dangers, s'écrie-t-il, que la France a appris à déployer toute son énergie. Le moment est arrivé où il faut dire à la nation entière : Si vous ne volez pas au secours de la Belgique, si Dumouriez est enveloppé dans la Hollande, si son armée est obligée de mettre bas les armes, la patrie est perdue.

Le recrutement que vous avez ordonne il y a quelques jours ne peut donner que des résultats tardifs. Ce ne sont pas ceux qui conviennent à l'imminence du péril. Il faut que Paris, cette cité déjà si célèbre, dans les fastes de la Révolution, que cette cité tant calomniée, que cette cité qu'on aurait voulu renverser pour servir nos ennemis, donne encore à la France l'impulsion qui, l'année dernière, a enfanté nos triomphes. S'il est bon de faire des lois avec maturité, on ne fait bien la guerre qu'avec enthousiasme. Commençons par en appeler au patriotisme des Parisiens. Que la Convention nomme, dès ce soir, des commissaires qui se rendront dans toutes les sections ; que ces commissaires rappellent à tous les citoyens en état de porter les armes le serment qu'ils ont prêté de maintenir jusqu'à la mort la Liberté et l'Egalité ; qu'ils les requièrent, au nom de la patrie, de voler au secours de leurs frères en Belgique. La France entière sentira le contre-coup de cette impulsion salutaire. Nos armées recevront de prompts renforts. Il faut le dire ici, les généraux ne sont pas aussi répréhensibles que quelques personnes ont paru le croire. Nous leur avions promis qu'au 1er février l'armée .de Belgique recevrait un renfort de 30.000 hommes. Rien ne lui est arrivé. Hâtons-nous de réparer nos fautes. Que le premier avantage de nos ennemis soit, comme celui de l'année dernière, le signal du réveil de ta nation. Qu'une armée, conservant l'Escaut, donne la main à Dumouriez, et les ennemis seront dispersés. Si nous avons perdu Aix-la-Chapelle, Bréda est en notre possession. Dumouriez réunit au génie du général fart d'échauffer, d'encourager le soldat. L'histoire jugera ses talents, ses passions, ses vices ; mais ce qui est certain. c'est qu'il est intéressé à la splendeur de la République. Qu'il soit secouru, et il saura faire repentir l'ennemi de ses premiers succès.

Oui, s'écrie Barère, faisons aujourd'hui appel à Paris, demain aux départements engageons tous les Français à partager la gloire qui accompagnera Dumouriez car, je le déclare, Dumouriez seul est une armée.

La proposition de Danton est adoptée. La Convention décide également l'envoi de commissaires dans tous les départements de la République et rappelle à leur poste tous les membres de l'Assemblée absents par congé.

Mais, après les propositions dictées par le patriotisme et l'enthousiasme, arrivent les motions inspirées par la haine et la délation. Le moment est arrivé, dit le montagnard Duhem, où Paris, par de nouveaux efforts, va imposer silence à ses vils calomniateurs. Robespierre vous a dit qu'il restait encore dans l'état-major de l'armée des restes impurs d'aristocratie ; mais il existe aussi ailleurs des hommes vils et méprisables qui n'aspirent qu'à livrer les patriotes au glaive des vengeances aristocratiques. Il faut prendre contre eux une grande mesure révolutionnaire ; il faut faire justice de tous ces folliculaires dont l'unique occupation est de corrompre l'esprit public, de calomnier la Convention, de la représenter aux yeux de ses commettants comme indigne de sa mission. Je demande que l'Assemblée chasse de son sein tous ces êtres immondes ; que le Comité de sûreté générale soit investi du droit de poursuivre les auteurs des feuilles périodiques qui tendraient à égarer l'opinion publique. Il faut que tous ces reptiles impurs soient obligés, comme après le 10 août, de se cacher dans leur honte.

Cette motion inattendue soulève de part et d'autre les plus vives interpellations.

Oui, s'écrie Bourdon de l'Oise, il faut que Brissot ne puisse plus calomnier la Convention.

Fonfrède : Qu'on interdise donc aussi le journal de Marat.

Bourdon : Eh bien ! oui.

Turreau : Je demande que le Bulletin de la Convention soit le seul qui puisse circuler dans les départements.

Fonfrède : Eh quoi ! au moment où nous appelons le peuple aux armes pour conserver la liberté, vous voulez rétablir la censure et l'inquisition ?

Jean-Bon Saint-André, qui se présente comme le défenseur convaincu de la liberté de la presse, entame un long discours pour prouver que tout le monde a droit de parler, que tout le monde a droit d'écrire ; mais, chemin faisant, il attaque nominativement, avec la dernière violence, les deux journalistes girondins Gorsas et Brissot, les accuse de tronquer dans leurs journaux la pensée des orateurs qui leur déplaisent, de traiter d'anarchistes des hommes qui valent mieux qu'eux, et de ne s'occuper que d'injures et de personnalités. Puis, après être tombé dans le péché qu'il reproche si amèrement à ses adversaires, il déclare, par une nouvelle contradiction avec les principes qu'il vient d'émettre, que la Convention peut et doit chasser des places qu'ils occupent dans l'enceinte de l'Assemblée les journalistes qui en abusent pour corrompre l'esprit public.

Mais la proposition de Duhem, qui devait être adoptée peu de temps après, ne trouve pas cette fois un appui suffisant parmi les amis du fougueux montagnard. L'Assemblée n'y donne aucune suite et se sépare de bonne heure afin que les quatre-vingt-seize commissaires qui viennent d'être désignés puissent, le soir même, fraterniser avec les sections parisiennes et électriser leur patriotisme révolutionnaire.

 

III

Il faut balayer les traîtres, il faut tenir le glaive de la loi levé sur la tête des conspirateurs puissants et des généraux perfides, avait dit Robespierre. Cette parole du maître avait été entendue par les disciples. Ils la commentent sur tous tes tons dans les assemblées de section. Ils cherchent à échauffer les esprits en débitant les nouvelles les plus exagérées sur la situation des affaires extérieures et sur les fautes commises par les généraux. Ils ont bien soin de ne pas parler du dénuement complet dans lequel l'armée a été laissée, du peu de sollicitude qu'a montré Pache pour la préserver du froid et de la faim, pour lui faire parvenir les renforts qui lui étaient indispensables. Le mot de trahison fait le fond de tous leurs discours : Il faut voter au secours de l'armée de Dumouriez, mais il faut, avant tout, être sûr qu'on ne laissera pas derrière soi des conspirateurs prêts à égorger les femmes, les sœurs et les enfants des défenseurs de la patrie. C'était la répétition des propos qui se tenaient autour des prisons le 2 septembre. Mais l'horreur que les massacres de cette époque avaient inspirée à la France entière ne permettait pas de recourir aux mêmes moyens. Les chefs des Jacobins avaient résolu de remplacer les égorgements en masse par des meurtres juridiques, et le poignard des sicaires de la Commune par la guillotine en permanence. Dans les diverses assemblées de quartier, les démagogues proposent de déclarer aux députés, qui vont se présenter au nom de la Convention, que le peuple exige, avant tout, l'établissement d'un tribunal extraordinaire chargé de juger les contre-révolutionnaires et les ennemis du repos public.

Mais cette motion ne trouve d'écho que dans quelques sections[2]. Généralement les Conventionnels sont reçus avec enthousiasme ; on leur promet un concours sans restriction et sans limite.

Au fur et à mesure que les assemblées de section lèvent leurs séances, les affidés des jacobins s'empressent d'aller rendre compte au Comité central, séant au club Saint-Honoré, de l'état des esprits dans leurs quartiers respectifs.

Ce comité avait espéré que les sections prendraient l'initiative des mesures révolutionnaires dont il avait arrêté le programme. Mais, puisque la plupart d'entre elles ont manqué de courage et d'initiative, il n'hésite pas à lancer le manifeste suivant :

Les membres composant le Comité de surveillance des défenseurs de la République une et indivisible des départements, vivement affectés des dangers qui .menacent la chose publique et notamment la ville de Paris, étant en état de permanence, ont pris un arrêté qu'ils ont cru devoir vous communiquer. Cet arrêté porte que toutes les sections de Paris, qu'ils ont crues composées de sans-culottes, sont invitées à se joindre aux défenseurs de la patrie pour opérer une insurrection, de laquelle doit résulter un bien général pour la République. Le point de ralliement est fixé aux Jacobins Saint-Honoré. Ils vous préviennent que le tocsin sonnera à cinq heures très-précises du matin ils vous invitent à suivre leur exemple afin de rassembler un assez grand nombre de sans-culottes, .pour qu'ils puissent en imposer aux factieux qui siègent dans la Convention, et pour se transporter dans toutes les maisons où s'impriment les journaux de Brissot, Gorsas, et autres de même nature. Le salut de la République nous impose cette tâche, secondez-les en bons frères ; tous les intrigants et malveillants capitalistes frémiront en voyant notre réunion, et la patrie sera sauvée.

Aux ci-devant Jacobins de la rue Saint-Honoré, à deux heures du matin, le 9 mars 1793, an IIe de la République, Champagnat, président, André Gadet fils, secrétaire[3].

 

Malgré un ordre aussi formel, le tocsin ne sonne pas. Les affiés, qui ont été chargés de répandre à travers les faubourgs les ordres du Comité central, ne trouvent parmi les quelques individus réunis à cette heure avancée de la nuit dans les sections ni assez d'entrain ni assez de bonne volonté pour espérer que le mouvement ait la moindre apparence d'une insurrection générale. Les meneurs se décident alors à concentrer autour de la Convention toutes les forces dont ils peuvent disposer. Dès l'aube du jour, les abords de l'Assemblée sont envahis. Les émeutiers remplissent les cafés du voisinage, ils occupent toutes les issues et osent même intimer leurs ordres aux sentinelles qui veillent aux portes. Ils leur prescrivent de refuser l'entrée aux femmes qui se présenteront, et disent tout haut que cette mesure est prise parce qu'il s'agit de faire un coup. On colporte, on commente, on amplifie les objurgations du journal de Marat qui vient de paraître et qui porte en tête ces mots : grande trahison de nos généraux ! Les propos les plus atroces circulent, les excitations les plus violentes sont lancées dans chaque groupe : Il faut sonner le tocsin, il faut couper le cou aux votants de l'appel au peuple, il faut qu'on amène Dumouriez pieds et poings liés a Paris, et là, on lui fera son affaire.

Mais déjà les députés arrivent isolément et sont obligés de traverser la foule frémissante. Pétion est reconnu et poursuivi par des huées sauvages, par des menaces terribles. Le ministre de la guerre, Beurnonville, était désigné spécialement à la colère des Jacobins ; n'occupait-il pas la place de leur ami Pache ? En se rendant à l'Assemblée, il court plusieurs fois risque de la vie, et échappe à grande peine aux coupe-jarrets qui veulent l'écharper.

Cependant la séance s'ouvre devant un petit nombre de députés[4]. Gamon, l'un des inspecteurs de la salle, demande la parole pour constater la pression que semblent vouloir exercer sur l'Assemblée les émeutiers du dehors et les émeutiers du dedans. Ceux-ci garnissent toutes les tribunes ; ceux-là, fidèles au mot d'ordre qu'on leur a donné, n'ont laissé pénétrer dans la salle aucune femme. Par deux fois, la Montagne réussit à réduire Gamon au silence. Pétion se plaint des insultes dont il a été l'objet, et demande que la Convention se fasse informer de l'état de Paris.

L'Assemblée, ajoute-t-il, doit être instruite de la situation où elle est elle-même ; elle doit savoir si elle est libre ou non. Il y va de son autorité et de sa dignité.

Les vociférations de la Montagne empêchent Pétion de continuer. Elles forcent également Barbaroux, qui s'est précipité à la tribune, d'en descendre sans avoir pu prononcer une parole. Le président Gensonné se couvre, mais ce moyen suprême ne rétablit le silence que pour un instant. Les énergumènes de l'extrême gauche, qui ont leur plan, demandent à grands cris qu'avant tout on entende le rapport des commissaires chargés d'aller, la veille, fraterniser avec les sections. Prieur (de la Marne), Rühl, Lamarque, Bentabole, Jean-Bon Saint-André, se présentent successivement à la tribune. Ces deux derniers hasardent quelques mots sur la création du tribunal, réclamé par les deux sections qu'ils ont été chargés de visiter. Aussitôt, comme obéissant à un mot d'ordre, un député, encore fort peu connu, se lève du haut des bancs de la gauche, déclare qu'il convertit en motion la demande de ces sections et propose à la Convention de décréter, sans plus délibérer, le principe de la création du tribunal révolutionnaire. Ce député, c'était Carrier[5].

Cette proposition est saluée par les applaudissements de la Montasse. Lanjuinais se lève pour la combattre. Il n'est pas possible, dit-il, que l'on décrète un pareil principe sans discussion et dans un pareil moment. Tout à l'heure on a voulu vous dénoncer un projet prémédité de massacre, vous n'avez rien voulu entendre, vous avez passé à l'ordre du jour. Si vous faites de même pour cette proposition, vous montrerez que vous êtes libres ; sinon...

Les cris redoublent, mais Lanjuinais les brave et déclare protester de toute l'énergie de son âme contre l'affreux décret : Il viole, s'écrie-t-ii, tous les principes ; il viole les droits de l'homme, il rappelle la mémoire de funestes événements il inspirera l'horreur et l'effroi à tous les bons citoyens. Il comblera de joie tous ceux qui n'ont d'autres désirs que de voir régner le désordre et l'anarchie dans la République.

A cette magnifique imprécation, la Montagne ne répond que par des cris prolongés : Aux voix ! aux voix !

L'ami de Danton, Lacroix, domine le tumulte avec ses poumons de stentor et s'écrie : Nos armées manquent de tout. Votons immédiatement ! En vain Biroteau, Valazé, Guadet, demandent-ils que l'on permette de discuter le principe ; les démagogues ne laissent a l'Assemblée ni trêve ni merci. Gensonné essaye de profiter de son autorité de président pour obtenir le silence en faveur de ses amis. Bourdon (de l'Oise) lui lance cette apostrophe : Celui qui nous préside transigeait le 10 août avec la cour, il veut aujourd'hui transiger avec les principes.

Enfin la Montagne l'emporte ; l'Assemblée vote la rédaction suivante, proposée par Levasseur (de la Sarthe) :

La Convention nationale décrète l'établissement d'un tribunal criminel extraordinaire, pour juger sans appel et sans recours au tribunal de cassation les conspirateurs et les contre-révolutionnaires.

Le principe adopté, le Comité de législation est chargé des détails de l'organisation du tribunal.

 

IV

Peu de temps après que le fatal décret a été rendu, la municipalité parisienne, ayant a sa tête le maire Pache et le procureur-syndic Chaumette, se présente à la barre.

Après avoir annoncé que toutes les mesures sont prises pour achever le recrutement, Chaumette entretient l'Assemblée d'une mesure qui, suivant lui, doit faire faire un progrès immense à la réforme des mœurs. C'était là, on le sait, la principale préoccupation et le thème favori des harangues du nouvel Anaxagoras.

Le Conseil général a invité tous les jeunes gens de ses bureaux à partir, dit-il, ils sont tous enrôlés et vont être remplacés par des citoyens pères de famille. Nous avons arrêté que nul célibataire ne serait reçu désormais dans les bureaux de la Commune, le Conseil général ne veut s'entourer que de citoyens or celui-là n'est pas citoyen qui n'obéit pas au vœu de la nature et de la société.

Nous venons vous demander que les bourses vacantes dans les collèges de la République soient données de préférence aux enfants des citoyens qui auront pris les armes pour le service de la patrie, et qu'il soit établi une contribution de guerre qui ne pèsera que sur les riches. Nous étions chargés également de vous demander l'établissement d'un tribunal révolutionnaire jugeant sans appel, mais nous apprenons que le principe vient d'en être décrété nous en restons là.

 

Thuriot, toujours fidèle interprète des volontés municipales, convertit en motion les deux objets sur lesquels Chaumette vient d'appeler l'attention de l'Assemblée, en fait adopter le principe et propose de renvoyer aux comités compétents la rédaction des dispositions accessoires.

Danton profite de cette circonstance pour demander que les détenus pour dettes soient élargis et puissent, eux aussi, consacrer leur vie et leur liberté a la défense de la patrie : Il faut, dit-il, détruire la tyrannie de la richesse sur la pauvreté. Que l'on ne s'alarme pas cependant de cette proposition ; la nation, toujours juste, respectera la propriété. Mais respectez la misère, et la misère respectera l'opulence ; ne soyons jamais coupables envers les malheureux, et le malheureux, qui a' plus d'âme que le riche, ne sera jamais coupable.

La Convention applaudit aux phrases sonores que Danton vient de lancer à l'adresse des hommes à piques et à bonnets rouges qui, depuis le commencement de la séance, ne cessent d'assiéger les tribunes. Par un décret solennel, la contrainte par corps est abolie. Puis, après avoir entendu la lecture de lettres assez rassurantes qui lui parviennent de l'armée, l'Assemblée déclare, sur la proposition de Lacroix, qu'elle se réunira le soir même pour recevoir les députations des sections et des volontaires qui demandent à défiler devant elle. A 5 heures, la séance est levée.

Les émeutiers, qui depuis le matin entouraient le siège de la représentation nationale, se répandent alors dans les divers quartiers de Paris ils hurlent des chants patriotiques et jettent l'effroi partout où ils passent[6]. Les uns proposent de se porter sur le Temple et d'égorger le reste de la famille royale ; les autres, d'aller aux prisons délivrer les individus impliqués dans la procédure des troubles de février[7]. Mais, en majorité, ils restent fidèles au programme que leur ont tracé les auteurs du manifeste. Ils se dirigent vers les imprimeries des journaux girondins, y pénètrent de force, dispersent les caractères, saccagent meubles et marchandises, manifestent hautement l'intention de faire un mauvais parti à tous ceux qui voudraient tenter de mettre obstacle à leurs déprédations. Gorsas, spécialement désigné aux vengeances populaires, traverse, non sans peine, un pistolet à la main, les flots pressés de ceux qui ont violé son domicile il saute par-dessus les murs de son jardin et se réfugie a sa section, ou il réclame protection et assistance[8].

Les mêmes violences, les mêmes pillages se commettent de l'autre côté de la Seine dans les ateliers où s'imprime la Chronique[9]. Des feuilles girondines, les émeutiers veulent passer aux journaux qui cherchent à louvoyer entre les deux partis et n'ont point encore franchement arboré l'étendard démagogique. Ils se dirigent vers les ateliers où s'impriment le Moniteur, les Révolutions de Paris et quelques autres. Mais les nombreux ouvriers attachés à ces entreprises ont eu le temps de se mettre sur leurs gardes, et leur attitude énergique fait reculer les dévastateurs.

Pendant ce temps, il y avait foule aux Jacobins. La puissante société recevait les bataillons de volontaires qui avaient demandé la permission de défiler devant elle et de lui présenter leurs hommages. Au milieu du tumulte effroyable qu'entretiennent le continuel va-et-vient des députations, le cliquetis des armes, les harangues désordonnées des sectionnaires, les clameurs de la multitude qui se presse au dedans et au dehors, on discute les moyens de sauver la patrie.

Voici ceux que propose un des orateurs : Que tous les bons patriotes qui se trouvent réunis dans la salle de la rue' Saint-Honoré se divisent en deux troupes, dont l'une se portera sur la Convention pour se débarrasser de ceux qui ont refusé de voter la mort du roi ; l'autre, au ministère des affaires étrangères, où sont assemblés les membres du Pouvoir exécutif, pour y faire maison nette. Un autre, plus modéré, veut qu'on se borne à mettre en état d'arrestation les ministres et les membres du côté droit. Sur ces entrefaites arrive Dubois-Crancé qui, quoique montagnard déterminé, adjure ses collègues du club de repousser les motions incendiaires. Les affidés du comité d'insurrection, voyant que la masse des jacobins hésite à donner le signai, quittent le club et courent aux Cordeliers qui siégeaient sur la rive gauche de la Seine, près de la rue Saint-André-des-Arts.

Ils y trouvent des dispositions plus énergiques. A leur demande, cette société prend un arrêté qui invite les autorités parisiennes à s'emparer de l'exercice de la souveraineté et à mettre en arrestation les membres de la Convention traîtres à la cause du pays[10]. Fournier l'Américain et Varlet, deux des principaux conjurés, s'emparent de cet arrêté aussitôt qu'il est libellé et vont le porter à la Commune. Le Conseil général ne pouvait être que très-flatté de la confiance que lui témoignaient-les conjurés mais, dans l'exposé que lui font ceux-ci de leurs moyens d'action, il ne voit pas des éléments de succès suffisants et refuse de prendre au mouvement populaire la part que le comité de la rue Saint-Honoré lui avait réservée. Quatre sections seulement[11] adhèrent à l'arrêté de fa société des Cordeliers et adoptent une adresse préparée d'avance où il est dit : Que l'évacuation de la Belgique est l'œuvre de la faction impie qui paralyse la Convention nationale et déchire le sein de la République que les succès des ennemis de ta France sont dus au traître Dumouriez et aux menées odieuses des Roland, des Brissot, et de leurs amis ; qu'il faut donc s'en débarrasser à tout prix.

 

V

Pendant ce temps, la Convention avait ouvert sa séance du soir et recevait les députations de diverses sections qui venaient protester de leur zèle pour le recrutement. Mais le concours de ces députations, presque toutes fort nombreuses, accumulait une multitude d'hommes armés autour de l'Assemblée. Il était dès lors fort aisé aux conjurés de profiter du désordre et de la nuit pour exécuter leurs desseins contre les membres du côté droit.

Il n'y avait, du reste, dans la salle que fort peu de députés, les convocations ayant été faites très-tard[12].

Les Montagnards, qui étaient initiés aux projets des conjurés, les Girondins, qui les soupçonnaient, s'étaient, bien qu'ils ne se fussent fait aucune confidence, arrêtés au même parti s'abstenir de paraître ce soir là à l'Assemblée.

Réunis chez Pétion, les amis de Mme Roland sont informés d'heure en heure des violentes motions discutées aux Jacobins. Apprenant qu'une foule nombreuse assiège les portes de la Convention, ils veulent épargner un crime au peuple de Paris en ne donnant pas tête baissée dans le piège qui leur est tendu.

Quant aux Montagnards, ils accordent bien leur consentement tacite à l'expédition projetée contre leurs adversaires, mais ils ne veulent pas avoir l'air d'y participer. Ils laissent agir les enfants perdus de la démagogie, sauf à les désavouer s'ils échouent, sauf a profiter de leur audace s'ils réussissent.

A peine le président est-il monté au fauteuil qu'il reçoit d'un des collaborateurs de Gorsas la nouvelle du pillage de l'imprimerie du Courrier des Départements. Mais, à cette lecture, la gauche répond par des cris répétés : L'ordre du jour, l'ordre du jour !

Comment, s'écrie le courageux Mazuyer, l'un des rares députés de la droite présents a la séance, vous demandez l'ordre du jour, lorsque l'on vous annonce que la vie d'un de vos collègues a été menacée !

La protestation du courageux Girondin se perd au milieu du tumulte.

Pourquoi, s'écrie Lacroix, Gorsas s'attache-t-il a gangrener l'esprit des départements ?

Gorsas est d'autant plus coupable, ajoute Billaud-Varennes, que les presses dont il se sert et que le peuple vient de briser, sont celles de l'abbé Royou. On les avait données à Gorsas le 10 août, il les a prostituées comme ce royaliste.

Dans Gorsas, reprend Lacroix, il y a deux hommes : le représentant de la nation, le peuple l'honore le journaliste, le peuple le méprise. Renvoyons cette lettre au maire de Paris pour vérifier les faits, car tout ceci pourrait n'être qu'un jeu. Dans la nuit du 9 août, lorsqu'on tramait le complot d'emmener la Cour et le Corps législatif à Rouen, on venait nous dire aussi que les jours des députés n'étaient pas en sûreté.

La vérité, que vient de poser Lacroix, est incontestable, dit Thuriot ; un représentant de la nation doit tous ses moments à la République. En faisant un journal, il vole l'indemnité qu'il reçoit de la patrie. Je demande que tous les membres de la Convention qui font des journaux soient tenus de rendre l'indemnité qu'ils ont reçue.

Il suffit de décréter, réplique Lacroix, qu'ils sont tenus d'opter entre la qualité de folliculaires et celle de représentants du peuple.

Cette proposition, qui n'était autre que celle que Duhem avait faite la veille, était directement lancée contre Brissot, Condorcet, Louvet, Corsas, Carra, Rabaut-Saint-Étienne, qui étaient chacun à la tête d'un journal fort accrédité. Dans la Montagne elle n'atteignait à peu près que Marat, fort embarrassant pour son parti aussi est-elle accueillie avec applaudissements et adoptée à l'instant même.

La facilité de l'Assemblée à se montrer exclusive encourage Collot-d'Herbois. Il demande que l'en écarte de la liste des commissaires a envoyer dans les départements tous ceux qui ont voté l'appel au peuple. D'autres propositions s'entrecroisent, mais toutes sont conçues dans le même esprit ; toutes elles témoignent t de la pression que ne cessent d'exercer les séides du jacobinisme, qui peuplent les galeries et encouragent du geste et de la voix les propositions de l'extrême gauche.

Cependant le bruit se répand tout coup que la foule du dehors a peu à peu disparu que les émeutiers des tribunes n'ont plus les soutiens sur lesquels ils croyaient pouvoir compter ; que les postes de la Convention ont été doublés que le bataillon des volontaires brestois, qui n'a pas encore quitté Paris, bien que son départ ait été décrété, arrive au secours de la représentation nationale.

Ces nouvelles, connues aussi vite dans les galeries que parmi les députés, opèrent un revirement soudain. Les affidés des conspirateurs voient que le coup est manqué, que peut-être ils vont être arrêtés ils disparaissent, sans bruit, un à un. Les tribunes se dégarnissent à vue d'œil bientôt il n'y reste plus que quelques spectateurs attardés qui ne sont pas dans le secret de la comédie.

Que s'était-il donc passé ? Varlet, Lazowsky, Fournier, n'avaient pu, malgré leurs efforts, réunir qu'un nombre assez limité d'individus prêts à exécuter aveuglément leurs ordres. La foule qui stationnait aux portes de la Convention s'était dissipée pour échapper à une pluie torrentielle survenue tout à coup. Beurnonville, ministre de la guerre, laissant ses collègues délibérer gravement sur le parti qu'il serait opportun de prendre[13], avait escaladé les murs de l'hôtel pour éviter de tomber dans une embuscade et avait couru à ta caserne des Brestois. Il y avait été rejoint par Kervélégan, député du Finistère. Ces deux courageux citoyens n'avaient pas eu de peine a se faire suivre par les volontaires qui avaient déjà dissipé les troubles de février et qui étaient fort redoutés des émeutiers parisiens.

A une heure du matin, Beurnonville se présente a la barre et annonce à l'Assemblée qu'elle n'a plus rien à craindre. La Convention vote des remercîments à ses libérateurs et se sépare, heureuse d'en être quitte à si bon compte.

 

VI

A peine la séance du dimanche 10 mars est-elle ouverte que Gamon, qui deux fois, la veille, a voulu protester contre la pression violente des tribunes, demande de nouveau à être entendu. Il annonce que des témoins sont prêts à déposer de faits graves et pertinents, tous relatifs aux scènes déplorables qui se sont passées aux abords de l'Assemblée. Mais les vociférations de la Montagne l'interrompent à chaque phrase. On lui reproche de n'apporter à la tribune qu'un tissu d'impostures ; Danton lui lance une plaisanterie grossière et Barère prend la parole tout exprès pour l'empêcher de continuer ses révélations. Fidèle au rôle d'endormeur avec lequel il s'identifie chaque jour davantage, le député des Hautes-Pyrénées cherche à démontrer à la Convention qu'elle a été, qu'elle est encore parfaitement libre ; que ceux qui lui soutiennent et lui prouvent le contraire l'insultent et la décrient. Son discours est un modèle du genre. Il est impossible d'offrir plus d'encens à la victime que l'on s'apprête à sacrifier, de mieux exalter la puissance du souverain imbécile auquel on va demander bientôt d'abdiquer.

Gamon, dit-il, vous a annoncé qu'il était prêt à braver la mort pour sauver la patrie. Il ne s'agit pas de mourir, mais de vivre pour démasquer les traîtres et déjouer les complots liberticides pourquoi s'émouvoir des passions qui s'agitent dans cette enceinte ? C'est ici le foyer naturel des passions les plus généreuses et les plus viles. Pourquoi s'émouvoir des orages fréquents qui s'élèvent dans la Convention ? N'est-ce pas du sein des orages que sort la liberté ?

Le moment n'est pas encore venu où il faudra rassembler sous les yeux de la Convention les divers traits qui peuvent appartenir à une trame profonde. Mais cette trame aura le sort de toutes les autres. La liberté met tout à profit, tout, jusqu'aux crimes projetés ou commis contre elle. Je viens aux faits particuliers qui nous occupent. On s'est plaint que les consignes de l'Assemblée avaient été. données arbitrairement, que les femmes avaient été écartées de cette salle dans la séance d'hier. Ce fait ne doit occuper l'Assemblée qu'autant que sa sûreté aurait été ou pourrait être compromise ; cela regarde le Président ; c'est lui qui a la police de la salle, c'est à lui qu'il appartient de faire respecter les règlements.

Où est le grand inconvénient que, dans les alarmes publiques, les citoyens occupent toutes les places ? Pendant que les femmes travaillent aux objets d'équipement pour les volontaires, ils apprennent ici leurs devoirs, et de là ils voleront aux frontières. On s'est plaint qu'il n'y avait que des hommes dans les tribunes ; eh bien, je voudrais qu'il n'y eût que des hommes a la Convention. Oui, des hommes, car c'est le courage et le mépris de la mort, qui gagnent les batailles et font les révolutions.

Où veut-on nous mener ? Est-ce à la royauté ? Mais il y a ici sept cents députés armés chacun d'un poignard pour frapper l'ambitieux qui aurait oublié le 21 janvier. À l'anarchie ? Mais les départements sont forts et libres ; ils ne la souffriront pas. Son règne ne peut, d'ailleurs, être de longue durée, car il est borné par les fléaux mêmes qu'il traîne à sa suite. A un gouvernement municipe ? Mais qui peut espérer cet imbécile et singulier échafaudage dont l'orgueil de Rome abusa si longtemps ? Paris, cette tête difforme, qui a fait périr le despotisme, peut-elle espérer absorber tout le gouvernement, tous les pouvoirs ? Les Français ne doivent plus désirer qu'un gouvernement entièrement démocratique. Loin de nous toutes les aristocraties, aussi bien celle des gens audacieux que celle des hommes populaires. On a voulu jeter de la défaveur sur la séance d'hier. Celle du matin m'a paru belle, parce qu'on ne s'y est occupé que d'objets d'intérêt national et de sûreté générale. Je n'en dirai pas autant de celle qui l'a suivie. A côté de nous, des hommes de sang prêchaient le meurtre comme ils ont prêché le pillage. Je les ai entendus mais que m'importe Je serais chargé de fers que je leur dirais encore : Scélérats, je suis libre car vous ne pouvez rien sur ma pensée. Vous pouvez m'arracher la vie, mais l'honneur d'un citoyen n'est pas en votre puissance.

On a parlé à cette tribune de projets qu'on a hautement énoncés hier aux environs de cette salle, de couper la tête a quelques députés. Citoyens, les têtes des députés sont bien assurées ; les têtes des députés reposent sur l'existence de tous les citoyens ; les têtes des députés sont posées sur chaque département de la République. Qui oserait y toucher ? Le jour de ce drame impossible, la République serait dissoute et Paris anéanti[14]. On a souvent dit à l'Assemblée qu'elle n'était pas libre. Il est possible que ceux qui le répètent ne le soient pas. La liberté tient à la force du caractère et a la chaleur brûlante du cœur. L'homme est toujours libre quand il veut l'être ; un mandataire du peuple sait toujours se faire respecter. Le peuple sait qu'il s'honore lui-même en portant des égards aux citoyens qu'il a chargés de le représenter. On dit que le ministre de la guerre a été menacé hier aux abords de cette salle ; pour faire punir ce délit, il faut que nous en ayons une connaissance exacte. Le Conseil exécutif, dont il est membre, n'a-t-il pas des moyens de défense publique ; ne peut-il pas se plaindre la Convention des menaces et des outrages qui lui sont faits ?

Ne consumons pas un temps précieux à des motions particulières de police intérieure ; méprisons les propos infâmes d'hommes salariés qu'il, faut livrer à la justice, passons à l'ordre du jour et occupons-nous des mesures de sûreté générale.

 

VII

Pour les assemblées, encore plus que pour les individus, mal passé n'est que songe. La Convention, ne voyant plus autour d'elle les individus à piques et à bonnets rouges qui la tenaient assiégée la veille, se prend à espérer qu'elle sera désormais à l'abri de coups de main semblables à celui qu'on a voulu tenter contre elle. Cherchant à oublier la pression qu'on lui a fait subir avec tant d'insolence, elle se laisse bercer par la phraséologie banale de son orateur favori et passe a l'ordre du jour.

L'ordre du jour était l'organisation du tribunal révolutionnaire décrété la veille. Lesage (d'Eure-et-Loir) annonce, au nom du Comité de législation, que ses collègues et lui se sont réunis aussitôt après le vote de l'Assemblée, qu'ils ont travaillé jusqu'à dix heures du soir, mais qu'à ce moment ils ont été appelés à la séance publique par la gravité des circonstances, et qu'ifs y sont restés jusqu'à une heure.

Le Comité, ajoute-t-il, a nommé des commissaires, un rapporteur ; mais le travail ne pourra être prêt que demain à midi.

Il est impossible d'admettre ce délai, s'écrie le farouche Carrier ; l'organisation du tribunal ne peut exiger un temps aussi long. Les principes sont clairs. Je demande que le Comité de législation qui n'a pas répondu au vœu de l'Assemblée soit renouvelé sur-le-champ.

Non, répond Bentabole, autre Montagnard non moins fongueux que Carrier ; que l'en nomme immédiatement neuf commissaires et que ces commissaires soient chargés de présenter séance tenante leur travail.

Mais la Convention, pressée d'entendre !a lecture des lettres du maire sur la situation intérieure de Paris, et celle des dépêches de Dumouriez et de ses commissaires sur les mouvements de l'armée, ne s'arrête pas aux propositions de Carrier et de Bentabole.

Il n'est question dans la lettre de Pache que du pillage des imprimeries de Gorsas et autres journalistes. C'était le seul objet sur lequel la Convention l'eût interrogé, et le maire de Paris était trop habile pour faire une allusion même indirecte aux autres incidents qui avaient marqué la soirée de la veille. II se contente donc de faire savoir que les commissaires envoyés pour arrêter les désordres ne sont arrivés que quand les émeutiers avaient disparu que ses agents ont pu seulement constater les dégâts et dresser des procès-verbaux, mais qu'il a donné les ordres nécessaires pour la découverte, la poursuite et la punition des auteurs et promoteurs des troubles.

Les lettres de Dumouriez étaient du 3 et du 4 mars. Elles respiraient la confiance et l'audace. Le général insistait sur la nécessité de continuer malgré tout la campagne de Hollande, seul moyen de sauver les Pays-Bas. Les lettres de Miranda et des commissaires près l'armée du Nord annonçaient que l'armée s'était ralliée près de Saint-Trond, et qu'elle allait occuper devant Louvain une forte position qui lui permettrait de couvrir la Belgique et de reprendre l'offensive.

Ces nouvelles étaient assez rassurantes, mais Robespierre avait prépare une longue harangue sur les trahisons des généraux et de leurs complices. Pendant que ses amis élaborent le décret qui doit établir le tribunal extraordinaire, il prie l'Assemblée de lui permettre d'exposer ses idées et ses vues sur la situation de la République.

La marche rétrograde de nos armées, dit-il, ne me frappe pas de découragement ; bientôt nous terrasserons encore une fois les tyrans qui veulent attenter a notre liberté. Mais il faut que l'ardeur guerrière des défenseurs de la patrie soit secondée par la sagesse et le courage des représentants de la nation. Pour moi, j'avoue que mes notions en politique ne ressemblent en rien a celles de beaucoup d'autres hommes. On croit avoir tout fait en ordonnant un recrutement clans toutes les parties de la République. Je ne doute pas du courage de nos soldats ; mais comment voulez-vous que leur ardeur se soutienne, s'ils voient à leur tête des chefs coupables et impunis ? Des officiers n'étaient pas à leur poste au moment de l'affaire d'Aix-la-Chapelle, et ils ne sont pas encore arrêtés. Stengel est convaincu de trahison, et le décret d'accusation n'est pas encore porté contre lui. Quant à Dumouriez, j'ai confiance en lui, parce qu'il y a trois mois il voulait entrer en Hollande et que, si on eut exécuté ce plan, ta révolution était faite en Angleterre. J'ai confiance en lui, parce que son intérêt personnel, l'intérêt de sa gloire même est attaché au succès de nos armes.

Mais il ne faut pas fixer ses regards sur un fait isolé, sur un individu ; en examinant la marche de la Révolution, on s'aperçoit aisément que tous nos malheurs sont nés de la même cause, de l'indulgence criminelle que l'on a toujours eue pour les ennemis du bien public, pour des ci-devant privilégiés, pour des riches. Ils échappent au glaive de la loi, et la nation ne sait pas encore si cette classe orgueilleuse doit ou non courber le front sous le niveau de l'égalité. Il faut faire la guerre avec vigueur, avec audace même, mais il faut la finir bientôt. La guerre ne peut pas être longue. Il est un terme aux sacrifices d'une nation généreuse ; mais, si on veut obtenir des succès rapides, si l'on veut que les tyrans soient promptement renversés, il faut changer le système actuel de gouvernement ; il faut que l'exécution des lois soit confiée a une commission fidèle, d'un patriotisme épuré, une commission si sûre que l'on ne puisse plus cacher à la Convention ni le nom des traîtres, ni la trame des trahisons.

Tant que le gouvernement ne sera pas ainsi mis sous l'œil vigilant de la nation, au dedans les mouvements de l'aristocratie se perpétueront, sans que le peuple ni ses représentants s'en doutent au dehors, les succès de nos armées nous seront fastueusement annoncés, nos défaites dissimulées d'après les procédés de l'ancien régime. Rappelez-vous les rapports qui nous étaient faits sur les généraux avant le retour de Danton et de Lacroix. La veille de leur arrivée, nous étions enivrés de la conquête de la Hollande, nous ne rêvions que succès ; déjà nous étions à Amsterdam, déjà la révolution extérieure était terminée. Un mot de vos commissaires dissipa ce prestige et fit connaître l'austère vérité.

Il nous faut un gouvernement dont toutes les parties soient rapprochées. Il existe entre la Convention et le pouvoir exécutif une barrière qu'il faut rompre parce qu'elle empêche cette liberté d'action qui fait la force du gouvernement. Le Conseil exécutif, presque isolé, communique avec vous non pas seulement au moyen des comités, mais par tel ou tel individu plus intimement lié avec tel ou tel ministre. Les comités se saisissent d'une affaire ; sur leurs rapports vous prenez des décisions précipitées. Vous avez déclaré la guerre tantôt a un peuple, tantôt à un autre, sans avoir examiné vos moyens de soutenir vos résolutions. Placés au centre de l'Europe, au centre de tous les peuples qui veulent être libres, vous deviez vous assurer les moyens de communiquer avec eux et d'exciter leur élan. Vous deviez employer quelque chose de cet art dont on se sert pour diviser ses ennemis. Le cabinet n'a rien fait, n'a écarté aucun ennemi, ne nous a procuré aucun allié. Tous les gouvernements nous ont tour a tour déclaré la guerre. Dans aucun pays il ne s'est fait un mouvement en .notre faveur.

Et pourquoi cette indifférence des peuples, si ce n'est de la faute de ce ministre dont on n'examine pas la conduite ? En organisant la calomnie perpétuelle contre la Révolution, l'envoi dans tous les pays de libelles où les principaux événements sont dénaturés, où les hommes qui ont le plus combattu pour la liberté sont dénigrés, il vous a aliéné l'opinion des peuples. Le ministère, tel qu'il est organisé, comprime tout, empêche tout. Un fait qui ne peut être nié, c'est qu'il y a trois mois Dumouriez proposait l'invasion de la Hollande et qu'en dépit des réclamations des patriotes bataves Pouvoir exécutif et Comité diplomatique se sont trouvés d'accord pour repousser l'idée du victorieux général.

Il faut faire de profondes modifications dans l'organisation du pouvoir exécutif. Si vous ne les faites promptement, vous errerez toujours de révolution en révolution et vous conduirez la République à sa perte.

 

Robespierre venait de tracer le programme du nouveau tribunal révolutionnaire et celui du futur Comité de salut public. Il avait su mêler habilement, dans son réquisitoire, les généraux et Roland, le ministre des affaires étrangères et Brissot. JI avait fait servir les désastres de nos armées a satisfaire ses haines, et cependant il avait à peine passionné son auditoire. Aussi Danton sent-il le besoin d'élever le débat et d'électriser l'Assemblée pour lui arracher les décrets qui doivent consacrer le triomphe de la Montagne.

Citoyens, dit-il, les considérations générales que l'on vient de vous présenter sont vraies mais il s'agit moins d'énumérer les maux qu'éprouve la patrie, que d'appliquer le remède. Quand un édifice est en feu, je ne m'attache point aux fripons qui enlèvent les meubles ; j'éteins l'incendie. Vous devez être convaincus, par la lecture des dépêches de Dumouriez, qu'il n'y a pas un seul instant à perdre pour sauver la République. Dumouriez avait conçu un plan qui honore son génie. Je dois ici lui rendre une justice bien plus éclatante que je ne l'ai fait jusqu'à présent à cette tribune. Il y a trois mois, Dumouriez avait annoncé au pouvoir exécutif et au comité de défense générale que, si on n'envahissait pas la Hollande au milieu de l'hiver, il fallait renoncer à tous les avantages que nous avions obtenus dans la Belgique. Puisqu'on a méconnu ce trait de génie, il faut réparer nos fautes[15]. Dumouriez n'est pas découragé, il est au milieu de la Hollande, il a pris Bréda et Gertruydenberg ; il ne lui faut que des soldats, et la France regorge de citoyens. Voulons-nous être libres ? Si nous ne le voulons pas, périssons, car nous l'avons tous juré. Si nous le voulons volons tous à la frontière pour défendre notre indépendance. C'est en Hollande que se trouvent les ressources de nos ennemis c'est de la que Pitt tire l'or qu'il prodigue à pleines mains. Prenons la Hollande, et Carthage est détruite..... Il faut agir et non délibérer. Vous avez rendu un décret qui nomme des commissaires pour les départements ; soutenez-les par votre énergie, qu'ils partent ce soir, cette nuit ; qu'ils disent aux riches : Il n'y a qu'un moyen de vous conserver votre luxe ; il faut que l'aristocratie de l'Europe, succombant sous nos efforts, paye notre dette, ou que vous la payiez ; le peuple n'a que du sang, il le prodigue. Allons, misérables, prodiguez vos richesses. Voyez les destinées qui vous attendent. Quoi vous avez une nation pour levier, la raison pour point d'appui, et vous n'avez pas encore soulevé le monde !

Je mets de côté toutes les passions. Elles me sont étrangères, excepté celle du bien public. Eh bien dans des circonstances plus difficiles que celle où nous nous trouvons, lorsque l'ennemi était aux portes de Paris, j'ai dit à ceux qui gouvernaient alors : Vos discussions sont misérables ; je ne connais que l'ennemi, battons l'ennemi ! Vous, qui me fatiguez de vos contestations particulières, au lieu de vous occuper du salut de la République, je vous mets tous sur la même ligne, je vous répudie tous comme traîtres à la patrie. Je leur ai dit : Que m'importe ma réputation Que la France soit libre et que mon nom soit flétri à jamais ! J'ai consenti à être appelé buveur de sang ; eh bien ! buvons le sang des ennemis de la patrie. Combattons et conquérons la Liberté. Je le répète, et que le riche écoute ce mot : Il faut que nos conquêtes payent la dette ou que le riche la paye avant peu. La situation est cruelle. Le signe représentatif n'est plus en équilibre dans la circulation. La journée de l'ouvrier est au-dessous du numéraire. Il faut sortir de là par un grand effort. Conquérons la Hollande : Ranimons, en Angleterre le parti de la République qui n'est point étouffé. Faisons marcher la France, et nous irons glorieux à la postérité. Remplissez ces grandes destinées. Point de débats, point de querelles, et la patrie est sauvée ![16]

 

VIII

L'Assemblée accueille avec des transports d'enthousiasme les dernières paroles de Danton et demande de toutes parts qu'on s'occupe immédiatement du tribunal et du pouvoir exécutif.

Cambacérès appuie ce double vœu du poids de sa parole il formule ainsi son opinion : Il est indispensable qu'avant que nous levions la séance nous ayons changé le ministère incohérent que nous avons. Il est organisé comme s'il y avait deux pouvoirs. C'est une erreur. Tous les pouvoirs sont entre les mains de la Convention, elle doit les exercer tous. Il ne doit y avoir aucune séparation entre le corps qui délibère et celui qui fait exécuter. Dans ce moment vous ne devez pas suivre les principes ordinaires vous reviendrez, si vous le voulez, q ta séparation des pouvoirs lorsque vous ferez la Constitution.

Des cris : Aux voix ! aux voix ! s'élèvent de la plus grande partie de la salle. Buzot s'étance à la tribune, les Montagnards veulent parla violence l'en faire descendre. Le député de l'Eure parvient cependant à dominer le tumulte. Je m'aperçois, dit-il, aux murmures .qui s'élèvent, et je le savais déjà, qu'il y a quelque courage à s'opposer aux idées qui doivent nous conduire au, despotisme le plus affreux. Je rends grâce, au reste, de chaque moment de mon existence à ceux qui veulent bien me la laisser, et je regarde ma vie comme une concession volontaire de leur part ; mais, au moins, qu'ils me laissent le temps de sauver ma mémoire du déshonneur. J'ai entendu professer à cette tribune cette doctrine, qu'il fallait confondre tous les pouvoirs, les mettre entre les mains de l'Assemblée.

Une voix : Il faut agir et non bavarder !

Oui, vous avez raison vous qui m'interrompez. Eh bien ! je le dis hautement, une autorité, qu'elle soit exercée par un seul ou par plusieurs collectivement, peu importe, si elle concentre dans sa main tous les pouvoirs, si elle ne peut être arrêtée par rien, dégénérera bientôt en une épouvantable tyrannie. Lorsque vous avez reçu des pouvoirs inimités, ce n'était pas pour confisquer toutes les libertés. Si tout est ici, dites-moi quel sera le terme de ce despotisme dont je suis enfin las moi-même.

La gauche répond à Buzot en lui lançant les invectives les plus amères. C'est pour empêcher, s'écrie Julien (de Toulouse), l'organisation du tribunal qui doit punir les contre-révolutionnaires, que Buzot vient de bavarder si longtemps.

Il ne s'est pas plaint, ajoute Marat, quand tous les pouvoirs étaient dans les mains de Roland.

Enfin, sur la proposition de Lacroix, la Convention décide qu'elle s'occupera d'abord de l'organisation du tribunal et ensuite de cène du ministère. Lesage (d'Eure-et-Loir) dépose, au nom du Comité de législation, Je projet de décret qu'il avait annoncé pour le lendemain. Robert Lindet en présente un autre qui aggrave d'une manière considérable les dispositions de celui du Comité.

Voici quelles sont les dispositions principales de ce second projet Le tribunal révolutionnaire sera composé de neuf juges. Ils ne seront assistés d'aucun jury ; ils formeront leur conviction par tous les moyens possibles. JI y aura toujours dans la salle destinée au tribunal un membre chargé de recevoir les dénonciations. Le tribunal pourra poursuivre directement ceux qui, par incivisme, auront abandonné ou négligé l'exercice de leurs fonctions ceux qui, par leur conduite ou la manifestation de leurs opinions, auront tenté d'égarer le peuple ; ceux enfin qui, par les places qu'ils occupaient sous l'ancien régime, rappellent des prérogatives usurpées par les despotes.

La gauche applaudit avec ardeur à l'énonciation des principes formulés par Lindet. La droite proteste énergiquement contre de pareilles doctrines.

On vous propose, s'écrie Vergniaud, de décréter l'établissement d'une inquisition mille fois plus redoutable que celle de Venise. Nous mourrons tous plutôt que d'y consentir.

Le projet de Lindet effraye un certain nombre de députés habitués à voter avec la Montagne. Cambon et Barère s'y déclarent eux-mêmes contraires.

Le peuple peut se tromper, dit Cambon, et les neuf juges proposés par Lindet peuvent devenir neuf tyrans insupportables. Quoi ! l'on veut que les mêmes magistrats soient chargés de mettre en accusation, d'instruire la procédure et d'appliquer la peine ? Avec un pareil tribunal, les bons citoyens peuvent être égorgés, les amis de la liberté peuvent être écrasés. Je demande la question préalable sur le projet.

Les amis de la liberté et de la justice, ajoute Barère, ne peuvent vouloir imiter les despotes dans leurs accès de rage ils ne peuvent vouloir rétablir les chambres ardentes et les commissions du conseil. Rappelez-vous les trente tyrans d'Athènes et les proscriptions de Sylla. Ils commencèrent par punir des individus chargés de crimes et arrivèrent bientôt à frapper les meilleurs citoyens. On proscrivit les gens pour leur richesse. Dès qu'un homme enviait un morceau de terre, on faisait mettre le propriétaire au nombre des proscrits[17].

La Montagne ne se laisse toucher ni par les observations de Cambon, ni par les citations de Barère ; elle continue à insister pour que la priorité soit accordée au projet de Lindet, surtout pour que l'on organise sans jurés le terrible tribunal.

On égorge les patriotes dans Liège, s'écrie Duhem, sans leur donner de jurés, et nous en donnerions aux ennemis de la patrie Quelque mauvais que soit ce tribunal, il est encore trop bon pour des scélérats.

Il ne faut pas de jurés au tribunal extraordinaire, ajoute Philippeaux, précisément pour que nous puissions conserver cette belle institution.

Malgré l'atroce propos de Duhem, malgré la raison étrange donnée par Philippeaux, malgré les vociférations de quelques montagnards, l'Assemblée à la presque unanimité décide en principe qu'il y aura un jury auprès du tribunal révolutionnaire, qu'il sera nommé par la Convention et pris dans tous les départements.

Ces deux points décidés, le .président Gensonné déclare la séance levée elle avait déjà duré huit heures. Mais Danton, en entendant prononcer l'ajournement des autres questions, bondit à la tribune : Je somme tous les bons citoyens de ne pas quitter leur poste, dit-il de sa voix foudroyante. Chacun reste cloué sur son banc. Oubliez-vous donc dans quelle position nous sommes ? Si Miranda est battu, et cela n'est pas impossible, Dumouriez enveloppé serait obligé de mettre bas les armes. Vous pourriez vous séparer, avant d'avoir pourvu à tout ce ce qu'exige le salut public Il faut adopter à l'instant même les mesures qui doivent définitivement organiser l'institution que l'audace des contre-révolutionnaires a rendue nécessaire et qui doit suppléer au tribunal suprême de la vengeance du peuple. Rien, je le sais, n'est plus difficile que de définir un crime politique... Mais n'est-il pas nécessaire que des lois extraordinaires, prises hors du corps social, épouvantent les rebelles et atteignent les coupables ? Ici le salut du peuple exige de grands moyens et des mesures terribles. Je ne vois plus de milieu entre les formes ordinaires et un tribunal révolutionnaire.....

L'histoire atteste cette vérité, et puisqu'on a osé dans cette Assemblée rappeler ces journées sanglantes sur lesquelles tout bon citoyen a gémi, je dirai, moi : Si ce tribunal eût existé alors, le peuple, auquel on a si souvent, si cruellement reproché ces journées, ne les aurait pas ensanglantées. Faisons ce que n'a pas fait l'Assemblée législative ; soyons terribles pour dispenser le peuple de l'être. Organisons un tribunal révolutionnaire, non pas bien, cela est impossible, mais le moins mal qu'il se pourra, afin que le glaive de la loi pèse sur la tête de tous ses ennemis[18]. Ce grand œuvre terminé, que la Convention s'occupe de l'organisation du ministère. Soyons prodigues d'hommes et d'argent déployons tous les moyens de la puissance nationale, mais ne mettons la direction de ces moyens qu'entre les mains d'hommes dont le contact nécessaire et habituel avec vous assure l'exécution des mesures que vous aurez combinées pour le salut public. Faites partir vos commissaires qu'on ne reproduise plus l'objection qu'ils siègent dans tel ou tel côté de cette salle ; qu'ils se répandent dans les départements, qu'ils y raniment l'amour de la liberté et que, s'ils ont regret de ne pas participer à des décrets utiles et de ne pouvoir s'opposer à des décrets mauvais, ils se souviennent que leur absence a été le salut de la patrie.

Je me résume. Ce soir, organisation du tribunal, organisation du pouvoir exécutif ; demain, mouvement militaire. Que demain vos commissaires soient partis, que la France entière se lève, coure aux armes, marche à l'ennemi. Que la Hollande soit envahie, que la Belgique soit libre ; que le commerce de l'Angleterre soit ruiné ; que les amis de la liberté triomphent ; que nos armes, partout victorieuses, apportent aux peuples la délivrance et le bonheur, et que le monde soit vengé.

Danton descend de la tribune au bruit des plus vifs applaudissements. Mallarmé demande que la séance soit déclarée permanente, mais, qu'à raison de la fatigue extrême des députés, elle soit suspendue pour quelques instants. Billaud-Varennes propose que l'on accorde la priorité au projet de Lindet.

L'Assemblée adopte ces deux motions. La séance reprend à neuf heures du soir pour continuer sans interruption jusque à sept heures du matin.

Tous les articles du projet de Lindet sont successivement mis aux voix et adoptés. Deux questions seulement soulèvent quelques débats l'une relative a la définition des crimes qui doivent être de la compétence du tribunal, l'autre relative a rétablissement du jury. Parmi les divers amendements proposés, il faut remarquer celui présenté par Robespierre. Comme tout ce qui sort de la plume du bilieux tribun, il est le reflet de ses haines particulières :

Le tribunal révolutionnaire est chargé de poursuivre : 1° les auteurs des écrits qui attaquent le principe de la liberté, qui cherchent à réveiller le fanatisme de la royauté, qui apitoient le peuple sur le sort du tyran ; 2° les administrations de département qui, au mépris des lois, se sont permis de faire marcher des bataillons de gardes nationales contre Paris.

 

Cette rédaction naturellement ne satisfait pas l'Assemblée elle renvoie au comité de législation tous les amendements proposés et lui donne la mission de définir d'une manière claire et précise le crime indéfinissable de contre-révolution.

Duhem demande que l'on revienne sur la décision prise la veille de faire juger par un jury les individus traduits au tribunal.

La droite réclame l'appel nominal sur cette proposition. Il faut, s'écrie Lareveillère-Lépeaux, que l'on sache quels sont ceux qui veulent que le pouvoir national soit exercé par toutes les sections de l'Empire et non par une section particulière, par une fraction qui la tyrannise.

Oui, ajoute Vergniaud, il faut faire connaître ceux qui se servent continuellement du mot de liberté pour l'anéantir.

Thuriot présente alors un amendement destiné, selon lui, à concilier toutes les opinions. It propose de conserver le jury, mais en imposant à ses membres l'obligation de délibérer à haute voix. C'était dénaturer dans son essence même l'institution du jury c'était livrer le sort des accusés, non plus à la conscience des jurés,

quelque faible que fût alors ce recours, mais aux passions désordonnées d'un auditoire irresponsable, possédé des soupçons les plus haineux, animé des passions les plus féroces, recruté dans tout ce que pouvait avoir de plus abject et de plus immonde la populace parisienne.

L'Assemblée ne se révolte pas à cette nouvelle monstruosité ; bien plus elle vote sans discussion l'article fatal qui aggrave au centuple l'horrible loi.

 

IX

Le lendemain, lorsque Robert Lindet lit la rédaction définitive qu'il a été chargé de présenter, les questions agitées la veille se soulèvent de nouveau.

Robespierre revient sur sa définition du mot conspirateur : Il faut, dit-il, que la peine de mort soit édictée contre tout acte, comme aussi contre tout écrit contre-révolutionnaire. L'énoncé d'une telle doctrine excite de violents murmures dans la majeure partie de la Convention ; mais le tribun reprend, avec cette morgue pédagogique que ses succès augmentaient chaque jour davantage, avec cette haine qui l'animait sans cesse contre Roland et ses amis : Il est étrange que l'on murmure lorsque je propose de réprimer un système d'écrits dirigés contre la liberté, lorsque je demande la juste punition de ceux qui ont été soudoyés par le gouvernement lui-même pour apitoyer le peuple sur le sort du tyran, pour diriger les poignards contre les vrais républicains, pour allumer la guerre civile en désignant à Paris, le berceau de la Révolution, aux autres départements, comme une contrée ennemie contre laquelle ils devaient s'armer. Oui, il faut que ce tribunal sévisse contre les administrateurs qui, au mépris des lois et de l'unité delà République, ont levé une force armée de leur pure autorité privée.

La Montagne accorde les plus vifs applaudissements à son héros, mais la. proposition est repoussée par le reste de l'Assemblée.

Il était dit que les Girondins, quoique opposés en principe à la création du tribunal révolutionnaire, apporteraient leur concours, attacheraient leur nom aux lois qui devaient l'instituer. Dans leur naïveté, ils cherchaient à améliorer ce qui, de leur aveu, était détestable. Ils ne soupçonnaient pas que l'arme qu'ils aidaient à forger se retournerait un jour contre eux.

C'est Isnard qui présente la rédaction définitive de l'article 1er, en vertu duquel tant d'innocentes victimes, et ses amis les premiers, furent envoyés à l'échafaud. Cet article est ainsi conçu

Il sera établi à Paris un tribunal criminel extraordinaire qui connaîtra de toute entreprise contre-révolutionnaire, de tout attentat contre la liberté, l'unité, l'indivisibilité de la République, la sûreté intérieure et extérieure de l'État et de tous les complots tendant à rétablir la royauté ou à établir toute autre autorité attentatoire à la liberté, à l'égalité  et à la souveraineté du peuple, que les accusés soient fonctionnaires civils ou militaires, ou simples citoyens.

 

C'est encore un autre Girondin, Rabaut-Saint-Etienne qui propose, puisqu'on veut accélérer la, formation du tribunal, de prendre, à titre provisoire et jusqu'au 1er mai, les jurés non-seulement à Paris, mais encore dans les quatre départements circonvoisins. Cet amendement est adopté et, l'attention de l'Assemblée étant ainsi appelée sur le jury attaché au tribunal, un membre de la droite demande que l'on revienne sur la disposition adoptée dans la séance de la veille, et en vertu de laquelle les jurés doivent opiner à haute voix.

En acceptant, dit-il, la proposition de Thuriot, vous avez enlevé à l'institution du jury son principe salutaire, vous l'avez sapée par la base.

En créant ce tribunal, répond Lamarque, vous avez voulu qu'il ne fût pas assujetti à toutes les formes ordinaires. C'est parce que l'on a décrété que les jurés opineraient à haute voix que les amis de ta liberté ont consenti à ce qu'il y eût des jurés dans ce tribunal. Ceux-là insultent le peuple de Paris qui le représentent comme capable de gêner les mandataires du peuple dans leurs fonctions. Si l'établissement du tribunal que vous venez de créer est un bienfait, maintenez l'article[19].

Guadet veut répliquer à Lamarque, mais la Montagne demande à grands cris l'ordre du jour.

Président, s'écrie Duhem, fermez la discussion, nous ne pouvons entendre ces conspirateurs !

Cette apostrophe grossière arrivait un quart d'heure après que Robespierre avait demandé la peine de mort contre ceux que la Montagne accusait de trahir la patrie. Aussi, personne ne se trompe sur l'application que le fougueux député de Lille vient de faire de la parole du maître. La gauche applaudit avec enthousiasme la droite se soulève et demande contre Duhem un vote de censure. Mais celui-ci ne s'émeut pas ; suivi de Chabot, de David, de Carrier et de plusieurs autres Montagnards, il s'élance vers la tribune. Tous ces énergumènes montrent le poing à Guadet en criant en chœur : Oui, oui, il y a ici des conspirateurs !

Président, dit Guadet, en se tournant vers Gensonné qui siégeait au fauteuil, je vous somme de faire constater au procès-verbal que la représentation nationale a été violée en moi. Puis, comme saisi d'une intuition soudaine qui lui dévoile l'avenir, il s'écrie :

Parmi ceux qui m'entendent il peut se faire qu'il y ait quelqu'un qui soit traduit à ce tribunal. Je le lui demande, au milieu des passions qui nous environnent, croirait-il son innocence suffisamment protégée par le vote à haute voix ? Pourquoi donc voudrait-il faire juger ses concitoyens d'après un mode qu'il réprouverait pour lui-même ? J'entends sans cesse répéter ici les mots de liberté, d'égalité. Eh bien l'égalité serait violée par l'institution d'un jury qui ne reposerait pas sur les mêmes bases que les autres jurys. Pourquoi en effet, si le vote à haute voix est le garant d'une meilleure justice, pourquoi ne déclarez-vous pas que les jurés devant tous les tribunaux prononceront de la même manière ? L'une des conquêtes de la liberté a été l'institution du jury et le vote secret qui en est.la conséquence. Cette institution a été reçue avec enthousiasme par le pays tout entier. Voulez-vous aujourd'hui la détruire ?

On a donc oublié, réplique l'un des jurisconsultes de la Montagne, Prieur (de la Marne), que la loi que nous faisons est une loi révolutionnaire ? On a donc oublié que les fanatiques et les royalistes s'agitent plus que jamais dans nos villes et dans nos campagnes, pour égarer le peuple et renverser la République ? On a donc oublié que la sainte institution des jurés, établie pour les cas ordinaires, est illusoire contre les conspirateurs ? Le témoin ne dépose-t-il pas à haute voix ? croyez-vous donc que les juges et les jurés, que vous allez instituer, soient assez pusillanimes pour se laisser intimider par la multitude ? L'instant viendra où vous sentirez la nécessité de mettre les jurés entre leur devoir et le public qui les considère. Élevez les hommes à leur véritable hauteur, et ils seront toujours justes, toujours dignes de la liberté.

La Convention se paye de ces phrases banales, qui devaient être si tôt démenties par la triste réalité. Elle n'ose revenir sur le vote qui lui a été arraché la veille au soir, et se refuse à réparer une faute que la Gironde, qui ne sait jamais choisir le moment opportun, lui a signalée trop tard.

C'est ainsi qu'au milieu des vociférations de la gauche, des hésitations de la droite, des menaces des démagogues, des paradoxes des juristes montagnards, fut voté le décret en vingt articles qui instituait le tribunal révolutionnaire.

Le tribunal devait être composé de cinq juges, d'un accusateur public et de ses deux adjoints, de douze jurés et quatre suppléants.

Les juges et les membres du parquet devaient être élus dans les vingt-quatre heures par la Convention. Ils n'avaient besoin, pour être élus, que de réunir le quart des suffrages exprimés.

Le quart des voix n'était pas même exigé pour l'élection des jurés, qui devaient également être choisis par la Convention à la simple majorité relative. Les premiers jurés devaient, comme nous l'avons dit, être pris parmi les citoyens de Paris et des quatre départements environnants, et rester en fonction jusqu'au 1er mai. A partir de cette époque, les citoyens .de tous les départements pouvaient être inscrits sur la liste des jurés. Ils devaient voter et former leur déclaration publiquement, à haute voix et à la majorité absolue des suffrages.

Les peines à appliquer étaient celles déterminées par le code pénal et les lois postérieures. Cependant les accusés qui étaient déclarés coupables de crimes ou de délits qui n'auraient pas été prévus par ce code et par ces lois, ceux même qui n'auraient commis aucun délit punissable d'après la législation en vigueur, mais dont l'incivisme et la résidence sur le territoire de la République auraient été un sujet de trouble public et d'agitation, pouvaient être condamnés à la peine de la déportation. Les accusés en fuite, qui ne se représenteraient pas dans les trois mois de leur jugement, devaient être traités comme émigrés et sujets aux mêmes peines, soit par rapport à leurs personnes, soit par rapport à leurs biens.

Les biens des condamnés à mort étaient acquis à la République. Seulement la loi, dans sa clémence, déclarait qu'il serait pourvu à la subsistance des veuves et des enfants s'ils n'avaient par eux-mêmes aucun bien.

Les jugements devaient être exécutés sans recours au tribunal de cassation.

La seule garantie un peu efficace qui avait pu être introduite dans cette loi draconienne, c'était la création d'une commission de six membres pris dans le sein de la Convention, et chargés de recevoir, d'examiner les procès-verbaux de dénonciation, d'en faire le rapport, de rédiger les actes d'accusation, de surveiller l'instruction des affaires renvoyées au tribunal extraordinaire, d'entretenir une correspondance suivie avec les juges et l'accusateur public, et d'en rendre compte a l'Assemblée.

Nous verrons bientôt ce qu'il advint de la commission des Six.

 

X

Dans cette même séance du 11 mars, la Convention reçoit la démission du ministre de la guerre, Beurnonville. Il avait hâte de s'affranchir des ennuis de tout genre, des calomnies de toute espèce dont les Jacobins l'abreuvaient il préférait aller combattre au milieu de ses anciens compagnons d'armes, plutôt que de rester à Paris pour réprimer des émeutes sans cesse renaissantes.

La lettre de Beurnonville rouvre naturellement la discussion si souvent reprise et si souvent interrompue sur l'organisation du pouvoir exécutif ; elle reste assez confuse jusqu'au moment où Danton paraît à la tribune. Dès ses premières paroles, on s'aperçoit qu'il est sous le coup de graves préoccupations ; on pressent qu'il a une motion importante à présenter.

Je déclare, dit-il, que, dans mon opinion, la nature des choses et les circonstances exigent que la Convention se réserve de prendre partout, et même dans son sein, des ministres mais je déclare en même temps et je le jure par la patrie, que, moi, je n'accepterai jamais une place dans le ministère tant que j'aurai l'honneur d'être membre de la Convention nationale.

Un très-grand nombre de voix : Ni aucun de nous !

Je le déclare, dis-je, sans fausse modestie, car je l'avoue, je crois valoir un autre citoyen français. Je le déclare avec le désir ardent que mon opinion ne devienne pas celle de tous mes collègues car je tiens pour incontestable que vous ferez une chose funeste à la chose publique si vous ne vous réservez pas cette faculté.

Après un tel aveu, je vous somme, citoyens, de descendre dans le fond de vos consciences. Quel est celui d'entre vous qui ne sent pas la nécessité d'une plus grande cohésion, dé rapports plus directs, d'un rapprochement plus immédiat, plus quotidien entre les agents du pouvoir exécutif révolutionnaire, chargé de défendre la liberté contre toute l'Europe, et vous, qui êtes chargés de la direction suprême, de la législation civile et de la défense extérieure de la République ? a Vous avez la nation à votre disposition vous êtes une Convention nationale, vous n'êtes pas un corps constitué, mais un corps chargé de constituer tous les pouvoirs, de fonder tous les principes de notre République. Vous n'en violerez donc aucun, rien ne sera renversé si, exerçant toute la latitude de vos pouvoirs, vous prenez le talent partout où il existe pour le placer partout ou il peut être utile. Si je me récuse dans le choix que vous pourrez faire, c'est que dans mon poste je me crois encore utile à pousser, à faire marcher la Révolution. Mettons-nous bien dans la tête que presque tous, que tous, nous voulons le bien public.

Oui, oui, s'écrie-t-on de toutes parts.

Que les défiances particulières ne nous arrêtent pas dans notre marche, puisque nous avons un but commun ! Quant à moi, je ne calomnierai jamais personne ; je suis sans net, non par vertu, mais par tempérament. La haine est étrangère à mon caractère, je n'en ai pas besoin ainsi je ne puis pas être suspect, même à ceux qui ont fait profession de me haïr. Je vous rappelle à l'infinité de vos devoirs. Je n'entends pas désorganiser le ministère. Je ne parle pas de la nécessité de prendre des ministres dans votre sein, mais de la nécessité de vous en réserver la faculté.

Si vous établissez, répond Lareveillère-Lépeaux, le pouvoir exécutif sur les bases que propose Danton, je dis qu'avec le tribunal que vous avez décrété hier vous aurez organisé la plus épouvantable tyrannie. Imaginez, en effet, un instant, qu'après avoir choisi pour ministres des hommes d'une grande audace ou d'une grande ambition un mouvement vienne désorganiser la Convention nationale. Ces hommes revêtus en même temps de fonctions législatives et exécutives, ayant à leurs ordres un tribunat qui jugerait sans appel, anéantiraient la liberté. J'ai voté la mort du tyran sans appel et sans sursis je voterai avec la même énergie contre la tyrannie nouvelle qui s'élève dans votre sein. Jamais je ne souffrirai que mon pays devienne le sujet très-fidèle et le tributaire très-soumis d'une cité orgueilleuse et dominatrice, d'un dictateur insolent ou d'une oligarchie sanguinaire... Je ne cesserai de poursuivre ces individus qui, bien logés, bien nourris, bien vêtus, vivant dans les plaisirs, s'apitoient si affectueusement sur le sort du pauvre, s'élèvent avec tant de fureur contre tout ce qui jouit de quelque aisance et s'intitulent fastueusement salis-culottes. Je m'élèverai, je le répète, tant que je vivrai, contre ces brigands démagogues avec la même énergie que j'ai poursuivi les brigands couronnés. C'est la tyrannie que je hais, et non pas le nom qu'elle porte.

Je demande que la proposition de prendre les ministres dans cette assemblée soit repoussée par la question préalable.

Robespierre, sans se prononcer sur le mérite de la proposition, lance un double sarcasme contre les deux orateurs qui viennent de parler en sens opposé :

Je pourrais, dit-il, faire aussi ma profession de foi, si j'en avais besoin. Je ne trouve aucun mérite à refuser une place de ministre ; car, en cela, on consulte bien plus son goût et ses intérêts que les principes de l'utilité publique ; d'ailleurs, que doit craindre à ce poste un ami de la patrie ? Nous ne sommes plus au temps où l'on nous dénonçait chaque jour la dictature d'une ville, ou d'un citoyen. La nation a écrasé de son mépris ces déclamations insensées. Je demande que la discussion continue.

La Gironde, par l'organe de Bancal et de Fonfrède, insiste .pour qu'un vote solennel écarte la motion de Danton. Celui-ci fait observer qu'il n'a point fait une motion positive, qu'il a seulement énoncé une opinion, sur laquelle il appelle l'attention de l'Assemblée. Mais celle-ci tient à résoudre la question, afin qu'aucun orateur ne soit tenté de la soulever de nouveau elle décrite qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur la proposition de choisir les ministres parmi les représentants du peuple. L'accaparement de tous les pouvoirs par un comité choisi dans le sein de la Convention était déjà, on le voit, dans la pensée des principaux chefs du parti montagnard.

Seulement Danton avouait hautement ses projets, Robespierre les dissimulait sous une fausse indifférence. Des deux institutions, qui, à elles seules, devaient former tout le système de la Terreur, tribunal révolutionnaire et comité de salut public, l'une venait d'être acceptée sous la pression des conspirateurs du 9 mars ; l'autre devait l'être bientôt sous le coup des événements qu'allait amener la défection de Dumouriez[20].

 

XI

La Convention paraissait avoir-oublié les conspirateurs mais leurs amis et leurs complices se chargent eux-mêmes de l'en faire, souvenir. Le 12 mars, une députation de la section Poissonnière se présente, musiqué en tête, suivie des volontaires enrôlés depuis quatre jours. Elle demande l'autorisation de lire à la barre le texte du discours que son président a prononcé lors de la visite des commissaires de l'Assemblée. Dès les premières phrases, ou il demande la mise en accusation de Dumouriez et de son état-major, l'orateur est violemment interrompu chacun sent combien il est impolitique d'attaquer le général sur lequel repose le salut immédiat de la patrie[21]. Lacroix se fait l'interprète du sentiment de presque tous ses collègues.

Je ne viens pas, s'écrie-t-il, défendre Dumouriez. Il n'en a pas besoin. La République saura un jour ce qu'elle lui doit de reconnaissance. Eh quoi ! c'est au moment où il vient de prendre Bréda et Gertruydenberg, c'est au moment où il répond par des victoires à ses calomniateurs qu'on demande qu'il soit frappé d'un décret d'accusation et cela parce que, à cinquante lieues de là, à Aix-la-Chapelle, des généraux qui n'étaient plus sous ses ordres, ont laissé forcer leur avant-garde par impéritie ou par trahison.

Les sentiments que l'on vient de vous exprimer sont peut-être ceux du président de la section, mais non des braves volontaires qui ont obtenu la permission de défiler devant vous. Les volontaires ont été égarés je n'en veux pour preuve que les insignes qui décorent le drapeau qu'ils vous présentent.

Tous les yeux se portent sur l'étendard que Lacroix a désigné du geste. Il n'est pas tricolore, mais seulement rouge et blanc ; la cravate qui y est attachée est blanche, la hampe est surmontée d'une fleur de lis. Aussitôt que les insignes proscrits sont aperçus, un mouvement général d'indignation éclate dans les tribunes et jusque dans les rangs des volontaires qui accompagnent la députation. Plusieurs de ces derniers se précipitent sur le drapeau, l'arrachent des mains de celui qui le porte, le déchirent avec les dents, le foulent aux pieds, brisent la hampe, remplacent la fleur de lis par un bonnet rouge et la cravate blanche par des rubans tricolores qu'on leur jette des tribunes.

On demande à grands cris l'arrestation de l'orateur et son renvoi immédiat devant le tribunal révolutionnaire.

Oui, oui, s'écrie-t-on, c'est un calomniateur, c'est un traître, c'est un scélérat.

— Ce qui vient de se passer, dit Isnard, est un trait de lumière qui doit nous éclairer sur les manœuvres des ennemis de la patrie. L'aristocratie, nouveau Protée, revêt toutes sortes de formes. Elle a bien senti qu'il ne lui suffisait pas de faire attaquer la liberté par les ennemis du dehors. Elle prend à l'intérieur le masque du patriotisme, et, par une exagération ridicule de tous les principes, elle espère amener une désorganisation totale. On fomente depuis quelques jours ces mouvements. Des hommes pervers se sont répandus dans les sections, dans les assemblées populaires, dans les groupes. lis disaient qu'il fallait ici, sonner le tocsin là, fermer les barrières ; ailleurs, tirer le canon d'alarme. Ils demandaient que Dumouriez fût amené ici pieds et poings liés ; oui, Dumouriez, celui qui a sauvé la République dans les plaines de la Champagne, celui qui a fait si souvent trembler les puissances du Nord. Il méritait bien que ces puissances dépensassent quelque argent pour le faire assassiner ! C'est aux Jacobins, c'est aux Cordeliers que ces propositions ont été faites ; c'est la qu'on a demandé, comme remède aux maux de la patrie, que l'on égorgeât et les généraux et les ministres et les députés. Ils n'ont réussi qu'à entraîner avec eux quelques hommes égarés. La Commune leur a opposé une résistance énergique. Gloire à elle, car elle a empêché la perte de la Convention, la perte de la République... Et vous, mes collègues, que ce jour vous éclaire ! Abjurez toutes vos haines, excepté celle du crime. Confondez toutes vos passions en une seule, l'amour de la patrie.

Oui, oui, s'écrie l'immense majorité des députés.

Que vos discussions deviennent moins tumultueuses, car, si vous ne semez que du bruit, vous ne recueillerez que des tempêtes. Je demande le décret d'accusation contre ces deux hommes.

Marat lui-même s'abandonne à l'entraînement général. Au grand étonnement de l'Assemblée, il fait l'éloge du général en chef de l'armée du Nord et appelle toutes les rigueurs de la loi sur la tête des scélérats qui oseraient attentera la vie de ceux qu'il a si souvent désignés aux poignards des assassins. Quelles qu'aient été, dit-il, les liaisons politiques de Dumouriez, quelles qu'aient été ses relations avec la cour, je le crois lié au salut public depuis le 10 août et particulièrement depuis que la tête du tyran est tombée sous le glaive de la loi. Il y est lié par le succès de ses armes. Le décréter aujourd'hui d'accusation, ce serait ouvrir aux ennemis les portes de la République. Mais j'ai à vous dévoiler un complot horrible. II y a déjà plusieurs jours que des suppôts de l'ancienne police, aux ordres, sans doute, des agents ministériels et des députés contrerévolutionnaires, excitent le peuple à l'assassinat. Qu'on lise la pétition de la section Poissonnière, vous y verrez qu'on y demande la tête de Gensonné, de Vergniaud, de Guadet. Ce serait un crime atroce qui ne tendrait à rien moins qu'à la dissolution de l'Assemblée. Moi-même, je me suis élevé dans les groupes contre ces assassins ; je me suis transporté à la société populaire des Cordeliers, j'y ai prêché la paix, et j'ai confondu ces orateurs soudoyés par l'aristocratie. Comme l'âme de tous les complots contre-révolutionnaires qui ont eu lieu depuis quelques jours, je vous dénonce un nommé Fournier. C'est lui qui, à l'affaire du Champ de Mars, a placé un pistolet sur la poitrine de Lafayette, et qui est resté impuni, tandis que des patriotes étaient massacrés ou gémissaient en prison.

C'est lui, s'écrie une voix, qui présidait aux massacres de septembre.

Barère succède à Marat ; lui aussi il célèbre le patriotisme de Dumouriez et accable de ses anathèmes les fauteurs de désordres. Citoyens, dit-il, vous voyez depuis trois jours se dérouler devant vous la trame ourdie contre votre existence. Ce n'est point quelques têtes de la Convention que l'on aspire à faire tomber, ce n'est point à la vie de quelques hommes que l'on en veut, c'est à la vie de la République, c'est à la vie du peuple. Ce sont les cours de l'Europe, ce sont les aristocrates de l'intérieur qui fomentent ces troubles. Ils agissent en 1793, comme ils ont agi en 1792, en inspirant à l'armée de la défiance pour ses chefs. L'année dernière, les terreurs paniques ; aujourd'hui, les dénonciations. Faites-vous apporter les registres de la section Poissonnière, de cette section qui jadis portait le nom des Menus-Plaisirs, comme pour marquer ce qu'il y avait de plus corrompu, je ne dis pas parmi le peuple, qui ne connut jamais que des plaisirs innocents, mais à la cour des rois vous y verrez comment elle a reçu les commissaires que vous lui avez envoyés, vous y trouverez de quoi motiver l'acte d'accusation que l'on vous propose. Et ce sont ces hommes qui sont venus vous demander de faire arrêter le vainqueur de Jemmapes et de l'Argonne. Je sais bien que, dans une république, il faut que le roc Tarpéien soit près du Capitole, mais jusqu'à présent Dumouriez n'est monté qu'au Capitole et ceux qu'attend la roche Tarpéienne, ce sont ses dénonciateurs.

Enfin, il est un acte de patriotisme sur lequel je demande qu'on ne passe pas légèrement. Dans la nuit du 9 au 10, tout était arrangé pour dominer Paris et la Convention par la terreur. On devait sonner le tocsin, tirer le canon d'alarme, faire fermer les barrières. Les aristocrates sont venus ici, couverts des haillons de la misère, pour égorger une partie de la Convention. C'est grâce au conseil général de la Commune, c'est grâce au commandant général de la force armée, Santerre, que tous ces projets ont été déjoués. Je propose qu'on déclare qu'ils ont bien mérité de la patrie.

Et moi, ajoute Isnard, je demande que le tribunal révolutionnaire commence ses fonctions par rechercher et poursuivre les auteurs et instigateurs du complot du 9 mars.

Marat, en entendant la proposition d'Isnard, réclame de nouveau la parole. L'ami du peuple avait depuis longtemps habitué l'Assemblée à ses continuelles palinodies, mais cette fois il se surpasse. Une minute auparavant il avait demandé le décret d'accusation contre Fournier et ses complices pour avoir voulu violer la représentation nationale, et maintenant il apporte à la tribune un acte d'accusation-en bonne forme contre les hommes d'État, tout en promettant de les couvrir de son corps, si on osait attenter à leurs jours.

Le foyer des conspirations, est, dit-il, dans le sein de la Convention. Il est dans le parti Roland, dans les hommes d'État. Au moment où ils ont vu que l'opinion publique se tournait contre eux, ils ont proposé une réconciliation qui n'est qu'une pantalonnade ; vous avez fait décréter un tribunal révolutionnaire, ils ont voulu l'écarter.

Oui, s'écrie Billaud-Varennes, Lesage a dit au Comité de législation qu'il était malheureux d'être l'organe du Comité en cette circonstance ; Buzot a ajouté que, puisque des assassins le forçaient à coopérer a cette loi de sang, il aimerait autant qu'on supprimât tous les jurés.

N'ayant pu empêcher l'adoption du principe, reprend Marat, ils ont voulu organiser le tribunal à leur mode, mais leur complot a été encore déjoué. Ils ont voulu empêcher le recrutement des volontaires, ils ont tout fait pour arrêter le départ des commissaires que vous envoyez dans les départements. Voici leur plan lorsque les commissaires seront partis, ils se mettront en insurrection contre les patriotes, on appellera sur eux le meurtre et la vengeance. Je demande à la Convention de prendre des mesures très-sévères pour arrêter leurs complots, pour leur ôter tout moyen, soit de dissoudre la Convention, soit de la transporter dans une ville aristocrate.

L'immense majorité se contente de répondre aux propos de l'ignoble bouffon par le rire et les sarcasmes ; mais Lasource pense qu'il est bon de montrer au peuple ce qu'est au fond celui qui ose se proclamer son ami par excellence.

Marat, dit-il, n'est pas la tête qui conçoit, mais le bras qui exécute. Il est l'instrument d'hommes perfides qui se jouent de sa sombre crédulité et, mettant à profit son aptitude naturelle à voir tous les objets sous des couleurs funèbres, lui persuadent tout ce qu'ils veulent, lui font dire tout ce qui leur plaît. Si la dénonciation actuelle de Marat restait sans réponse, le peuple pourrait être égaré par ceux qui voûtaient l'entraîner à suivre ces rassemblements nocturnes où retentissaient à chaque instant des cris de rage et des sentences de mort. Ces hommes pervers, ces artisans de troubles, après avoir vu déjouer leur première conspiration, pourraient bientôt en tenter une seconde qui aurait plus de succès.

On demande que la discussion soit fermée les Girondins, désirant plaire à la Commune dont ils espèrent acquérir, sinon les sympathies, du moins ta neutralité, appuient, par l'organe de Fonfrède, la proposition de Barère.

Le jeune député de Bordeaux, qui jouait assez volontiers le rôle de conciliateur, s'exprime ainsi : On a souvent fait des reproches à la municipalité de Paris. Il y a tout lieu de croire que les inculpations n'ont pas été toujours fondées. Rendons-lui justice aujourd'hui. Apprenons a la France entière que, si la Convention existe encore, elle le doit a la commune de Paris et au commandant général.

Les décrets proposés par Barère et Isnard sont adoptés d'un commun accord ; l'Assemblée se sépare au milieu d'un calme qui aurait pu faire croire à l'apaisement des partis.

 

XII

Mais, dès le lendemain, la lutte entre la Gironde et la Montagne recommence plus vive et plus acharnée que jamais. Cette fois, c'est Vergniaud qui l'entame par le discours le plus éloquent, sans contredit, de tous ceux qui sont sortis de sa bouche.

La séance est à peine ouverte que le grand orateur demande la parole. De véhémentes réclamations s'élèvent de l'extrême gauche. La discussion est fermée, lui crie-t-on. — Vous voulez nous faire perdre notre temps, répond Marat. Mais Vergniaud, qui vient de monter lentement les marches de la tribune, regarde fixement l'ami du peuple et l'écrase par ces simples paroles :

Lorsque la conspiration des poudres eut été découverte à Londres, il ne put convenir qu'aux auteurs mêmes de cette conspiration de prétendre que c'était perdre son temps que de l'employer à en développer la trame.

Sans cesse abreuvé d'amertumes et de calomnies, je me suis abstenu de la tribune tant que j'ai pensé que ma présence pourrait y exciter des passions et que je ne pourrais y porter l'espérance d'y être utile à ma patrie. Mais aujourd'hui que nous sommes tous, je le crois du moins, réunis par le sentiment d'un danger commun a tous, aujourd'hui que la Convention tout entière est sur le bord de l'abîme, aujourd'hui que les émissaires de Catilina ne se présentent pas seulement aux portes de Rome, mais qu'ils ont l'insolente audace de venir jusque dans cette enceinte déployer les signes de la contre-révolution, je ne puis garder un silence qui deviendrait une trahison. Je dirai la vérité, je la dirai sans crainte des assassins, car les assassins sont lâches et je sais défendre ma vie. Depuis longtemps, il n'est plus permis de parler du respect pour les lois, pour l'humanité, pour la justice, pour les droits de l'homme, sans être qualifié au moins d'intrigant et plus souvent encore d'aristocrate et de contre-révolutionnaire. Au contraire, provoquer au meurtre, exciter au pillage est un moyen sûr d'obtenir des hommes qui se sont emparés du gouvernement de l'opinion les palmes du civisme et le titre glorieux de patriote. Le peuple est divisé en deux classes l'une, délirante par l'excès d'exaltation auquel on l'a portée, travaille chaque jour à sa propre ruine ; l'autre, frappée de stupeur, traîne une pénible existence dans les angoisses de la terreur.

Les pillages de février ne peuvent être attribués à une erreur instantanée. lis ont été le résultat d'une opinion fortement inculquée dans. les âmes, à savoir que ces attentats à la propriété étaient des actes patriotiques et que ceux qui les blâmaient n'étaient que les vils souteneurs de l'accaparement.

Cette funeste aberration de l'esprit public a été indirectement favorisée par la Convention elle-même. Le jour où les meurtriers de Simonneau ont obtenu l'impunité, la résolution courageuse de mourir pour la loi a dû naturellement s'affaiblir dans le cœur des magistrats du peuple. L'audace qui la viole a du, au contraire, s'accroître dans le cœur des scélérats, le jour où les auteurs des premiers troubles a raison des subsistances ont obtenu l'impunité. Il s'est formé de nouveaux complots ; de là les pétitions insensées et les injures faites à vos propres commissaires :

Ainsi, de crimes en amnisties et d'amnisties en crimes, on en est venu à confondre les insurrections séditieuses avec la grande insurrection de la liberté, à regarder les provocations au brigandage comme les explosions d'âmes énergiques et comme des mesures de sûreté générale. Ainsi, la raison a été pervertie, les idées de morale ont été anéanties. Il restait au peuple des défenseurs qui pouvaient encore l'éclairer, des hommes qui, dès les premiers jours de la Révolution, se sont consacrés à sa cause, non par spéculation, non pour faire oublier une vie criminelle, non pour acquérir des hôtels et des carrosses en déclamant avec hypocrisie contre les richesses, mais pour avoir la gloire de coopérer au bonheur de leur patrie, sacrifiant à cette seule ambition de leurs âmes état, fortune, travail, famille. On a tenté de les perdre par la calomnie, on les a poursuivis par des dénonciations perfides, par des impostures, par des cris forcenés, on les a vilipendés dans d'infâmes libelles, dans des discours de tribune plus infâmes encore, dans les assemblées populaires, dans les places publiques, chaque jour, à toute heure, à tout instant.

Alors on a vu se développer cet étrange système de liberté d'après lequel on vous dit Vous êtes libres, mais pensez comme nous sur telle ou telle question d'économie politique, ou nous vous dénonçons à la vengeance du peuple vous êtes libres, mais courbez la tête devant l'idole que nous encensons, ou nous vous dénonçons aux vengeances du peuple vous êtes libres, mais associez-vous à nous pour persécuter les hommes dont nous redoutons la probité et les lumières, ou nous vous dénonçons aux vengeances du peuple. Alors, citoyens, il a été permis de craindre que la Révolution, comme Saturne dévorant successivement ses enfants, n'engendrât enfin le despotisme avec les calamités qui l'accompagnent.

La Convention est divisée en deux partis les uns ont regarde la Révolution comme finie à l'instant où la France a été constituée en République. Dès lors ils ont pensé qu'il convenait d'arrêter le mouvement révolutionnaire, de rendre la tranquillité au peuple, de taire promptement les lois nécessaires pour consolider la liberté.

Les autres, au contraire, alarmés des dangers dont la Coalition nous menace, ont cru qu'il importait à l'énergie de notre défense d'entretenir encore toute l'effervescence de la Révolution.

La Convention avait un grand procès à juger. Les uns ont vu dans l'appel au peuple ou dans la simple réclusion du coupable un moyen d'éviter une guerre civile qui allait répandre des Mots de sang, un hommage solennel rendu à la souveraineté du peuple. Les autres n'ont vu dans cette mesure qu'un germe de guerres intestines et une condescendance pour le tyran ils ont appelé les premiers royalistes, les premiers ont accusé les seconds de ne se montrer si ardents à faire tomber la tête de Louis que pour placer sa couronne sur le front d'un nouveau tyran. Dès lors le feu des passions s'est allumé avec fureur dans le sein de l'Assemblée.

On a conçu l'infernal projet de détruire la Convention par elle-même ou de la dominer par l'intrigue et ta terreur. On vous a proposé de faire élire les ministres dans votre sein et de cumuler sur quelques têtes les fonctions exécutrices et les fonctions législatives. Des hommes revêtus de l'inviolabilité inhérente au caractère de représentant du peuple auraient ainsi tenu entre leurs mains tous les trésors de la République, auraient eu à leur disposition toutes les places, toutes les faveurs, tous les moyens d'intrigue, de corruption, de popularité, les bienfaits pour séduire, l'autorité pour épouvanter ils auraient asservi la Convention nationale qui n'eût plus été entre leurs mains qu'un instrument pour légaliser leurs crimes et leur tyrannie et si quelque citoyen avait voulu élever une voix gémissante contre ce nouvel et exécrable despotisme, le tribunal révolutionnaire était là pour le juger comme un conspirateur et lui imposer silence en faisant tomber sa tête.

 

Après cette vive peinture de l'avenir qui attend la France, Vergniaud revient sur la conspiration du 9 mars, en montre les ramifications, en dénonce les principaux fauteurs et termine son admirable discours par une péroraison plus admirable encore : Français, serez-vous plus longtemps la dupe des hypocrites qui ont sans cesse a la bouche les mots de liberté et d'égalité ? Un tyran de l'antiquité avait un lit de fer sur lequel il faisait étendre ses victimes, mutilant celles qui étaient plus grandes que !e lit, disloquant douloureusement celles qui l'étaient moins pour leur faire atteindre le niveau ; ce tyran aimait l'égalité. Voilà celle des scélérats qui déchirent notre patrie de leurs fureurs. L'égalité pour l'homme social n'est que celle des droits ; elle n'est pas plus celle des fortunes que celle des tailles, des forces, de l'esprit, de l'activité, de l'industrie et du travail.

Oui, peuple infortuné, on te trompe lorsqu'on te montre la liberté armée de poignards et de torches celle qu'on devait te donner, fille de la nature, unit les hommes par les liens d'une fraternité universelle. La liberté, des monstres l'étouffent et offrent a ton culte la licence. La licence, comme tous les faux dieux, a ses druides qui veulent lui sacrifier des victimes humaines. Pourquoi la liberté se propage-t-elle avec tant de lenteur chez les nations étrangères ? C'est qu'elles ne l'aperçoivent encore qu'a travers un crêpe ensanglanté. Lorsque les peuples se prosternèrent pour la première fois devant le soleil pour l'appeler père de la nature, était-il voilé par ces nuages destructeurs qui portent les tempêtes ? Non, il s'avançait brillant de gloire dans l'immensité de l'espace et répandait sur l'univers la fécondité et la lumière. Eh bien ! foudroyons l'anarchie, fondons la liberté sur une sage constitution. Bientôt vous verrez les trônes s'écrouler, les sceptres se briser, et les peuples vous tendre les bras en signe d'union fraternelle.

 

XIII

Des applaudissements presque unanimes accompagnent l'orateur jusqu'à sa place. On demande de toutes parts l'impression du discours de Vergniaud. Mais Marat s'élance à la tribune ; jamais le monstre n'a été plus abonné de haine et d'orgueil. Je ne me présente pas, dit-il, avec des discours fleuris, avec des phrases parasites pour mendier des applaudissements. Je me présente avec quelques idées lumineuses faites pour dissiper tout le vain batelage que vous venez d'entendre. Personne plus que moi n'est affligé de voir ici deux partis, dont l'un ne veut pas sauver la patrie et dont l'autre ne sait pas la sauver.....

De vifs applaudissements éclatent sur les bancs de l'extrême gauche et dans les tribunes le reste de l'Assemblée y répond par de violents murmures.

Oui, reprend l'audacieux tribun, il est prouvé que les hommes qui ont voté l'appel au peuple voulaient la guerre civile, et que ceux qui ont voté pour la conservation du tyran voulaient la conservation de la tyrannie. Je m'oppose à l'impression d'un discours qui porterait dans les départements le tableau de nos alarmes et de nos divisions.

Malgré l'opposition des Montagnards, l'impression du discours de Vergniaud est décrétée. La gauche alors demande que l'on imprime également la réponse de l'ami du peuple.

Dans son impartialité, la Convention y consent ; mais Vergniaud, méprisant un honneur qui serait partagé par Marat, déclare que son discours a été improvisé et demande lui-même le rapport du décret qui en ordonne l'impression.

La discussion s'ouvre sur la proposition de mettre en arrestation les membres du Comité dit d'insurrection, d'apposer les scellés sur leurs papiers particuliers et sur les registres du Comité.

Quelques voix à gauche demandent, que l'on passe a l'ordre du jour sur toutes ces propositions ; mais Fonfrède, indigné, s'écrie : Eh quoi citoyens collègues, le souvenir des dangers que la liberté, que le peuple, que vous-mêmes vous avez courus, est-il donc si promptement effacé de vos esprits ? Cette Assemblée si énergique hier retombera-t-elle si promptement aujourd'hui dans cette apathie mortelle qui l'a conduite en aveugle au bord du précipice ? Hier, personne ne contestait ici qu'une vaste conjuration n'eût été ourdie par les contre-révolutionnaires, contre vous et contre la République. Hier, personne ne contestait que les autorités constituées de la ville ou vous siégez n'eussent par leur prudence et leur fermeté sauvé la représentation nationale vous l'avez déclaré a la France entière, et j'aime à le répéter après vous : oui, la commune de Paris a bien mérité de la patrie.

Maintenant hésiterez-vous à frapper ceux qui ont conspiré la perte, de la liberté ? les laisserez-vous échapper à la vengeance nationale ?

Non ! non ! s'écrie la grande majorité de l'Assemblée se levant comme un seul homme.

La Montagne reste immobile. Le véhément orateur, se tournant vers le banc où siège Danton, continue ainsi : Je vous adjure, Danton, au nom de la République, de déclarer si vous ne venez pas de me dire qu'en effet vous croyez que dimanche un complot contre-révolutionnaire aurait été tenté. Je vous adjure, Danton, au nom du salut du pays de déclarerai vous ne venez pas de me dire qu'il fallait que la Convention prît une grande mesure et que vous alliez la lui présenter vous même.

Danton : Oui, je l'ai dit, c'est vrai.

Fonfrède : Vous voyez, citoyens, Danton, ce fervent révolutionnaire, pense comme moi... Ah ! mes collègues, rappelez-vous toujours que votre seule force sera dans votre courage et qu'une plus longue faiblesse perdra la République, le peuple et vous...

J'appuie la proposition de faire arrêter sur-le-champ les membres du Comité d'insurrection.

Cette motion est immédiatement adoptée.

Mais, hélas ! à quoi servit ce témoignage d'énergie que l'Assemblée galvanisée par l'éloquence de Vergniaud et de Fonfrède, donna dans sa séance du 13 mars ? A bien peu de chose. La salle du Manège retentit pendant quelques jours encore des échos que toute grande agitation populaire laisse après elle. De nombreuses députations vinrent protester a la barre contre les projets des conspirateurs du 9 mars. Les sections les plus compromises rétractèrent les adhésions qu'elles avaient données à l'arrêté du ctnb des Cordeliers. Plusieurs même des chefs du mouvement, Fournier, Lazowski, payant d'audace, se présentèrent devant la Convention et obtinrent, par leur soumission apparente, une espèce de bill d'indemnité. Enfin, le ministre Garat, dans un long et filandreux rapport annonça qu'il avait vainement cherché dans tout Paris le Comité d'insurrection et qu'il ne l'avait trouvé nulle part. Sur cette assurance dérisoire, l'Assemblée, à bout de force et de patience, laissa tomber l'instruction ordonnée contre les fauteurs du complot. Ceux-ci, fiers de l'impunité qu'à force d'audace ils avaient su conquérir, résolurent, de prendre prochainement une revanche éclatante et définitive. La conspiration avortée se renoua bientôt ; le 9 mars fut le prélude du 31 mai, comme le 20 juin avait été le prologue du 10 août.

 

 

 



[1] Toutes ces allégations de Thuriot n'avaient aucune espèce de fondement ; la procédure qui fut instruite par le tribunal de Versailles en est une preuve irrécusable. Mais ne fallait-il pas reporter sur l'émigration et sur les étrangers tous les méfaits de la démagogie ?

[2] Les quatre sections qui se prononcèrent explicitement pour la création immédiate d'un tribunal révolutionnaire furent le Louvre, l'Oratoire, la Halle-au-blé et le faubourg Poissonnière.

[3] Ce manifeste, complètement inédit, n'est pas l'une des pièces les moins importantes que nos recherches nous aient fait retrouver. L'exemplaire que nous avons eu entre les mains est tiré des archives du Comité de sûreté générale, auquel il avait été transmis par la section du Panthéon français. Au bas de cette pièce on lit, les signatures des trois délégués du comité central des défenseurs de la patrie, qui furent chargés de l'apporter à la section du Panthéon. Ils se qualifient eux-mêmes ainsi Garnier-Launay, membre de la société des Jacobins, affilié à cette des Fédérés, commissaire de la section des Piques ; Leperigerais, de ladite société des Jacobins, affilié à la société des Fédérés ; Bailly, fédéré.

[4] La séance du 9 mars est complètement défigurée dans le Moniteur ; le rédacteur lui-même annonce à ses lecteurs qu'il intervertira l'ordre de la séance pour donner, dit-il, plus promptement des nouvelles de l'armée, et il l'intervertit si bien qu'il est presque impossible de suivre, dans son compte rendu, les divers incidents de la journée. Ainsi le Moniteur met le discours de Chaumette, qui vient féliciter la Convention d'avoir décrété le tribunal révolutionnaire, avant la proposition de Carrier qui donne lieu à ce vote. Il faut rechercher les lambeaux épars de cette séance dans un grand nombre de colonnes des n° 69 et 70 du journal prétendu officiel. Nous avons suivi, pour plus de sûreté, le Journal des Débats et Décrets et le procès-verbal de la Convention.

[5] Il était, si peu connu que le Journal des Débats et Décrets l'appelle Carlier.

[6] Rapport du ministre de la justice du 13 mars.

[7] Voir le récit de Fournier a la barre de la Convention, Journal des Débats et Décrets, n° 76, p. 164, séance du 15 mars. Le Moniteur, n° 76, mentionne à peine la comparution de Fournier et ne rapporte rien de sa déposition.

[8] Rapport du maire de Paris du 10 mars.

[9] L'imprimerie de Gorsas était établie dans la rue Tiquetonne, celle de la Chronique dans la rue Serpente.

[10] Rapport du ministre de la justice du 13 mars. Discours de Dubois-Crancé également à la séance du 13 mars.

[11] Ces sections étaient Mauconseil, les Lombards, le Théâtre-Français et les Quatre-Nations. A ce moment (une heure du matin) ; elles ne comptaient que très-peu de membres présents. Une délibération ultérieure de la section du Théâtre-Français reconnaît que l'assemblée ne se composait que de vingt individus lorsque fut adoptée l'Adresse présentée par Varlet. Il avait dû en être de même dans les trois autres sections.

[12] D'après les mémoires inédits de Fockedey, député du Nord, que nous avons eus à notre disposition, il n'y avait pas dans la salle deux cents conventionnels.

[13] Voir le rapport que Garat vint faire le 13 à l'Assemblée, et où sont longuement exposés les trois partis que le conseil exécutif pouvait prendre.

[14] Nous avons abrégé quelques parties du discours de Barère. parce qu'il est plein de redondances. Mais nous avons respecté ce paragraphe dans son intégrité ; nous laissons à l'orateur la responsabilité tout entière de ses hardies métaphores.

[15] Robespierre et Danton font ici, l'un et l'autre, allusion aux projets d'expédition de Hollande que Dumouriez avait proposés par son chef d'état-major Thouvenot et que le Conseil exécutif avait repoussés dans ses séances du 12 et du 13 décembre, sans vouloir, comme le proposait le général en chef de l'armée du Nord, autoriser la réunion d'un conseil de guerre pour en délibérer.

[16] Le discours de Robespierre se trouve au Moniteur n° 74, au Journal des Débats et Décrets n° 180, p. 306 ; celui de Danton, au Moniteur n° 72.

[17] Barère se doutait-il, dans ce moment, qu'il en viendrait, huit mois plus tard, de faiblesse en faiblesse, de crime en crime, à formuler à la tribune cette effroyable maxime : La nation bat monnaie sur la place de la Révolution ?

[18] Danton, traduit devant Fouquier-Tinville, s'écriait : Il y a un an que j'ai fait décréter l'établissement du tribunal révolutionnaire. J'en demande pardon à Dieu et aux hommes.

[19] Lamarque devint, sous l'Empire, conseiller à la Cour de cassation. Il avait préconisé les doctrines du despotisme démagogique, il n'eut aucune peine à adopter celles du despotisme impérial.

[20] Beurnonville, dont la démission ne fut pas acceptée, fut réélu le 14 mars par 336 voix sur 530 votants.

Garat passa du ministère de la justice à celui de l'intérieur, dont il faisait l'intérim depuis la démission de Roland. Gohier, ancien membre de l'Assemblée législative, et depuis quelque temps secrétaire général du ministère de la justice, fut désigné pour remplacer Garat à la chancellerie. Ces deux dernières nominations furent faites par 300 et 275 voix.

[21] Nous avons retrouvé le texte entier du discours du président de la section Poissonnière. Le Moniteur, n° 73, n'en donne que le commencement, parce qu'il fut interrompu presque aussitôt par les cris et les murmures de l'Assemblée. Nous le donnons à la fin de ce volume. Le président qui le prononça le 8. en présence des commissaires de la Convention, était un peintre nommé Faro. Cet artiste fit partie et de la Commune du 10 août et de la Commune du 9 thermidor ; il fut guillotiné avec Robespierre. Cependant, nous verrons tout à l'heure Marat essayer de le faire passer pour un aristocrate,