HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

NOTES, ÉCLAIRCISSEMENTS ET PIÈCES INÉDITES

 

XXVII. — PROCÈS ET PUNITION DES ASSASSINS DE SEPTEMBRE.

 

 

Comme nous le verrons dans le quatrième volume, la voix éloquente de Vergniaud se fit entendre avant la clôture des séances de l'Assemblée législative, pour réclamer la punition des assassins de septembre et pour faire décréter que les membres de la commune répondaient sur leur tête de la sûreté des prisonniers[1].

Dès les premières séances de la Convention nationale, la lutte entre la Gironde et la Montagne s'engagea de nouveau à l'occasion des crimes de septembre. Guadet, Barbaroux et Kersaint réussirent à faire décréter, le 19 octobre, que le ministre de l'intérieur serait tenu de rendre compte dans trois jours des poursuites dirigées contre les auteurs de l'insurrection de Charleville. La Gironde s'attaquait aux septembriseurs de province, n'osant pas encore se heurter contre ceux de Paris, trop bien représentés dans le sein de l'Assemblée et trop vivement soutenus par la Montagne, les Jacobins et la populace à leur solde.

L'instruction judiciaire fut sans résultat à Charleville, parce que ceux qui avaient pris part au meurtre de Juchereau étaient tous des individus complètement inconnus dans cette ville et qui avaient disparu aussitôt le meurtre commis.

Les assassins de Couches et de Meaux avaient été poursuivis plus vigoureusement, dès le lendemain des scènes lamentables que nous avons racontées. Les autorités de Saône-et-Loire et de Seine-et-Marne avaient commencé des poursuites contre les individus que la clameur publique accusait d'être les auteurs principaux de ces meurtres.

L'instruction commencée dès le 9 septembre contre les prévenus de l'assassinat de Couches aboutit, dès le 17 janvier, à neuf condamnations à mort par contumace.

Celle commencée à la même époque par les autorités judiciaires du district de Meaux amena une déclaration du jury d'accusation, qui déféra au tribunal criminel de Seine-et-Marne cinq individus[2] compromis dans cette affaire.

Le 20 janvier, le jour même où la Convention venait de prononcer sur le sort du malheureux Louis XVI, des voix girondines demandent que le décret qui condamne Je tyran soit immédiatement suivi d'un autre qui ordonne des poursuites contre les provocateurs, auteurs, complices et adhérents des assassinats et des brigandages commis dans les premiers jours de septembre 1792. Barrère lui-même appuie la motion : en vain Chasles et Marat hurlent-ils pour demander la question préalable ; la proposition de Gensonné, faiblement amendée par Tallien, est adoptée à une immense majorité et au milieu des acclamations les plus vives[3].

Le club des Jacobins s'émeut très-vivement de cette levée de boucliers et vient, le 8 février, par l'organe du citoyen Roussillon, électeur de la section de Marseille, lire une pétition[4] qui était censée présentée au nom des défenseurs de la patrie des quatre-vingt-quatre départements. Nous sommes obligé d'en citer quelques passages pour donner une idée des mensonges audacieux que le rédacteur y avait entassés.

... Les tyrans se liguent contre nous, et c'est dans le moment que nous allons les combattre que vous avez rendu un décret qui ordonne de poursuivre les prétendus auteurs des journées des 2 et 3 septembre... Ces journées, sur lesquelles on essaye de vous apitoyer éternellement, ne sont point telles qu'on se plaît à le répandre : le peuple ne savait-il pas que, pendant que le traître Louis allait effectuer une seconde évasion, les scélérats, détenus à dessein dans les prisons par des tribunaux contre-révolutionnaires devaient en sortir tout à coup, se joindre aux chevaliers du poignard et égorger les patriotes ?... Le premier mouvement de ceux qui s'armèrent pour aller à la rencontre des satellites de Brunswick fut de mettre leurs femmes et leurs enfants à l'abri de toute atteinte ; ils se portèrent aux prisons, punirent les conspirateurs et mirent en liberté les innocents...

Ces événements, si la morale les réprouve, la politique les justifie... Comme l'a dit un de vos membres, Isnard, les vengeances populaires sont un supplément au silence des lois ; et nous aussi qu'on accuse de cannibalisme, nous pleurons de bonne foi les innocents, n'y en eût-il qu'un seul ; et s'il a péri, est-ce au peuple qu'il faut s'en prendre ?...

Mais quels sont ceux que l'on voudrait punir ?

Est-ce le peuple de Paris et les fédérés ? Vous aurez alors 800.000 hommes à punir. Est-ce une poignée de brigands soldés, comme le prétendent les aristocrates et les modérés ? Dans cette hypothèse, le peuple serait encore complice, puisque par son silence il aurait adhéré à leurs exécutions. Cette procédure ridicule, qu'on veut intenter contre les auteurs des journées de septembre, n'est qu'un échafaudage contre-révolutionnaire... Votre décret a déjà donné lieu à une procédure dans la ville de Meaux ; plusieurs de nos frères sont dans les fers et prêts à perdre la vie ; cinquante pères de famille ont abandonné leurs femmes et leurs enfants pour se soustraire aux persécutions des traîtres qui, au nom de la loi, veulent assassiner le peuple. Nous demandons que nos frères de Meaux soient mis en liberté, en vous observant qu'il existe une loi qui annule toutes les procédures faites et à faire pour cause de révolution.

 

Les montagnards Albitte, Bourbotte, Poultier, Bentabole, Jean-Bon-Saint-André, demandent le retrait du décret du 20 janvier ; Lanjuinais s'y oppose énergiquement, et s'écrie avec le courage dont il donna tant de preuves dans le cours de sa longue carrière parlementaire : Non, il est impossible de rejeter la responsabilité des affreuses exécutions de septembre sur le bon peuple de Paris ! il est connu que les listes furent dressées par des hommes en place ; on sait par quels ordres les victimes furent amoncelées dans les prisons ; on sait que les bourreaux salariés recevaient cent sous par tête. Des registres de sections, les registres de la commune portent en ligne de compte le prix de ces forfaits... II est donc vrai que ce furent, non pas des émeutes, mais des vengeances particulières ; non pas des vengeances inopinées, mais des complots, mais des proscriptions.

Au milieu du tumulte occasionné par la vigoureuse sortie de Lanjuinais, Grangeneuve, qui était peut-être le seul des Girondins qui ne dût pas intervenir dans ce débat, s'écrie : Je demande que toute la France sache qu'il n'est pas permis de motiver ici un amendement qui contrarie les défenseurs de ceux qui ont provoqué les massacres de septembre. A quoi le montagnard Ruamps lui répond par ce mot terrible : Tais-toi, Grangeneuve ; n'as-tu pas voulu faire égorger, dans les prisons de l'Abbaye, ton collègue Jouneau pour te venger de lui ? Grangeneuve balbutie et se contente de proposer que l'on continue la procédure contre les assassins de septembre, mais que l'on sursoie provisoirement à tout jugement.

Enfin, sur la motion de Lamarque, la Convention décrète : Que les procédures relatives aux événements des premiers jours de septembre seront provisoirement suspendues, et renvoie la pétition des défenseurs de la République une et indivisible des quatre-vingt-quatre départements au comité de législation pour en faire son rapport dans trois jours. (Collection des lois, décret du 8 février 1793.)

Certes les Jacobins devaient être satisfaits. Cependant ils avaient eu tellement peur pour leurs amis du comité de surveillance de la commune du 10 août, qu'à la séance du club, le 8 février au soir[5], Thuriot s'écria : Citoyens, demain, avant cite les députés patriotes soient rendus à l'Assemblée, on cherchera à faire rapporter le décret qui suspend la procédure contre les citoyens arrêtés à Meaux ; j'invite les citoyens qui sont ici à éveiller les patriotes de bonne heure, afin qu'ils soient rendus à dix heures précises à la Convention pour se mettre en mesure de faire expédier le décret rendu. La rigueur des poursuites que l'on exerce, ajoute Thirion, décèle un plan de contre-révolution ; on veut, en poursuivant les auteurs des justes vengeances des 2 et 3 septembre, empêcher les patriotes de se défaire des aristocrates qui sont encore dans le sein de la République.

A cette occasion, l'un des organisateurs des massacres, Billaud-Varenne, prononça un panégyrique complet des journées de septembre, panégyrique que n'ont fait que copier et amplifier tous les écrivains ultra-révolutionnaires qui ont cherché à justifier ces effroyables journées. Comme il est la contre-partie complète de notre récit, nous devons le mettre sous les yeux dé nos lecteurs.

C'est le 1er septembre qu'on enlève à la ville de Paris les magistrats qui l'avaient guidée dans la révolution, et c'est le même jour qu'on apprend que Verdun est pris, que les ennemis s'avancent sur Paris. Soudain la voix de la patrie se fait entendre, les magistrats, quoique frappés d'un injuste anathème, font une proclamation. Au même instant la Convention révoque son décret de cassation, le peuple s'empresse de voler à l'ennemi ; mais il songe que les prisons regorgent de conspirateurs ; il sait que si les Prussiens s'avancent, c'est pour délivrer leurs complices et leurs agents secrets ; il sait qu'il laisse des femmes, des enfants, et pour leur sûreté il immole les premiers ennemis qu'il rencontre sous sa main... Cette vengeance terrible arrêta le roi de Prusse pendant six jours. La crainte de voir la famille royale tomber sous les coups d'un peuple justement irrité arrêta la marche des Prussiens... Si vous voyez un crime dans un transport révolutionnaire, punissez les vainqueurs de Jemmapes, punissez les héros qui ont sauvé la liberté ; punissez enfin tout le peuple de Paris...

 

L'apologie de Billaud-Varenne fut naturellement couverte d'applaudissements. Un membre du club vint le lendemain rassurer ses collègues, et leur annoncer que le décret du 8 février n'avait pas été rapporté, que le ministre de la justice s'était empressé de l'expédier au tribunal criminel de Seine-et-Marne et d'engager en même temps les magistrats à ne faire essuyer aucun mauvais traitement aux patriotes détenus à Meaux[6].

Depuis cette époque jusqu'au 31 mai, la lutte de plus en plus animée entre la Montagne et la Gironde ramena souvent à la tribune le souvenir de septembre, mais aucune mesure législative ne fut prise ni pour ni contre les organisateurs des massacres et encore moins contre leurs complices. Aussitôt après la chute définitive et complète de ses adversaires, la Montagne voulut signaler son triomphe en ordonnant la cessation de toutes poursuites contre les individus qui, de près ou de loin, pouvaient être inquiétés pour leur participation aux massacres des prisonniers, et surtout en reconnaissant aux prétendus tribunaux établis dans le greffe des prisons le droit d'absolution qu'ils avaient arbitrairement exercé[7].

Le 28 octobre 1792, le ministre de la justice Garat, qui avait succédé à Danton, avait adressé à la Convention un rapport qui pèsera à jamais sur sa mémoire, et dans lequel, après avoir atténué autant qu'il était en lui le crime de septembre, il posait cette question :

Les prévenus de crimes et délits non politiques élargis par le peuple doivent-ils être encore soumis au jugement des lois ?[8]

La Convention avait renvoyé ce rapport à son comité de législation ; celui-ci n'osa pas prendre un parti tant que la lutte entre la Montagne et la Gironde subsista ; la discussion sur le rapport de Garat aurait été le signal des débats les plus violents. Mais aussitôt que le comité sut à quoi s'en tenir sur le résultat de l'insurrection morale dont la Montagne avait donné le signal et dont les Girondins furent les victimes, il s'empressa de conclure dans le sens des victorieux. Un député assez obscur, nommé Azéma, déposa un rapport sur la décision que Garat avait sollicitée des lumières de la Convention[9]. Ce rapport, apologie déguisée des massacres de septembre, atténuation assez habile des horreurs commises par les assassins, concluait à faire considérer les juges improvisés de l'Abbaye et de la Force comme de vrais magistrats qui avaient eu plénitude de juridiction et dont les décisions souveraines devaient être respectées[10].

Depuis le 31 mai on discutait à peine à la Convention, et toutes les propositions faites par les divers comités avec l'assentiment des nouveaux dictateurs étaient immédiatement et silencieusement adoptées. Le 16 juin, la Convention nationale rendit donc le décret dont la teneur suit :

La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de législation sur le mémoire du ministre de la justice, concernant les événements arrivés les 2 et 3 septembre dernier et touchant le sort des prisonniers élargis à la suite de ces événements, décrète que ceux qui ont été élargis dans les journées des 2 et 3 septembre dernier ne pourront point être poursuivis pour les mêmes faits qui avaient donné lieu à leur détention, et que ceux qui ont été arrêtés pour ces mêmes faits seront mis en liberté, à l'exception, néanmoins, des prévenus d'assassinat, de vol avec effraction, de faux brevets au nom de la nation, de fabrication de faux assignats et monnaie, et de conspiration contre la sûreté intérieure et extérieure de l'État[11].

 

Ce décret fut complété par un autre du 19 juillet rendu sur le rapport de Dartigoyle et ainsi conçu :

La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de législation, décrète que les procédures instruites à Meaux et à Melun sur les événements des premiers jours de septembre, et qui ont été suspendues par la loi du 8 février dernier, sont annulées ; en conséquence, les détenus mentionnés dans lesdites procédures seront sur-le-champ mis en liberté[12].

 

L'exécution du décret du 16 juin donna lieu à un incident qui mérite d'être rapporté. Nous avons vu plus haut que le tribunal criminel de Saône-et-Loire avait condamné à mort, le 17 janvier 1793, par contumace, neuf individus pour le meurtre des quatre prêtres assassinés à Couches. Trois de ces individus s'étaient réfugiés à Paris. Leur signalement ayant été envoyé aux autorités judiciaires, ils y avaient été arrêtés et allaient être transférés dans les prisons de Châlons pour être mis à la disposition des magistrats de Saône-et-Loire qui les réclamaient depuis longtemps ; mais, au moment où cette translation allait avoir lieu, on s'aperçut que les quatre voyageurs, munis de passeports réguliers, qu'ils avaient assassinés étaient des prêtres, que dès lors ces assassins étaient des patriotes persécutés, qui avaient eu l'énergie de débarrasser la nation d'ennemis acharnés. Leur action, de criminelle qu'elle était, devint naturelle, héroïque même ; on s'empressa de les mettre en liberté et de leur délivrer, pour retourner dans leur pays, un certificat ainsi conçu[13] :

Le 16 août 1793, l'an IIe de la république française une et indivisible, nous, administrateurs de police, attestons à tous nos concitoyens, que les citoyens Antoine Forobert et autres co-accusés relativement aux affaires du commencement de septembre, ont été élargis et mis en liberté en exécution des décrets de la Convention nationale ; le premier, du 8 février dernier, et les deux autres en date du 16 juin dernier.

Nous invitons, en conséquence, nos concitoyens à faire jouir ledit citoyen Forobert tranquillement et paisiblement de la liberté que lui a donnée la loi.

Les administrateurs de police de la ville de Paris,

POUVEL, MICHEL, MICHONIS, PACHE, maire de Paris.

 

Pendant dix-huit mois le nom de septembre n'est plus prononcé dans le sein de la Convention. Les organisateurs des massacres s'étaient coalisés contre tous ceux qui avaient osé leur rappeler ce souvenir importun. Mais après leur victoire, ils font comme tous les scélérats qui se connaissent trop les uns les autres pour jamais se croire en sûreté, tant qu'ils ne restent pas seuls ; ils se proscrivent mutuellement : Manuel, le procureur-syndic de la commune ; Danton, le ministre du peuple ; Hébert, le juge de Mme de Lamballe ; les municipaux Danger, Marino, Michonis, qui avaient sanctionné de leur présence les meurtres de la Force, montent sur l'échafaud ; Robespierre les y envoie et les y suit. Robespierre tombé, la conscience publique continue de se taire ; les vainqueurs du 9 thermidor, les Billaud-Varenne, les Collot d'Herbois règnent encore durant quelques mois au comité de salut public. Mais lorsque les soixante-treize représentants emprisonnés, lorsque les Girondins mis hors la loi sont rentrés dans le sein de la représentation nationale, les ombres des 2 et 3 septembre sont de nouveau évoquées. Tallien, celui qui avait lu à la Législative la fameuse adresse du 30 août, celui qui avait été le secrétaire de la commune insurrectionnelle au 10 août et au 2 septembre, Tallien était devenu le coryphée de la réaction, il essayait de dominer la Convention comme l'avait fait si longtemps Robespierre. Un jour, le 17 brumaire an III (7 novembre 1794), moins de 4 mois après la chute du dictateur, Cambon était à la tribune défendant ses opérations financières pendant la crise révolutionnaire. Tallien l'interrompt violemment ; mais Cambon, sans s'émouvoir, lui jette à la face cette terrible apostrophe : Viens m'accuser, moi je n'ai rien manié ; je n'ai fait que surveiller. Nous verrons si, dans tes opérations particulières, tu as porté le même désintéressement. Nous verrons si au mois de septembre, lorsque tu étais à la commune, tu n'as pas donné ta griffe pour faire payer une somme de 1.500 mille livres dont la destination te fera rougir ; oui, je t'accuse, monstre sanguinaire, je t'accuse... On m'appellera Robespierre si l'on veut ; ma conduite démentira toutes les calomnies ; je ne nie aucune de mes opinions ; je t'accuse d'avoir trempé tes mains, du moins par tes opinions, dans les massacres qui ont été commis dans les cachots de Paris... je t'accuse d'avoir favorisé le brigandage. Les débris du parti de Robespierre applaudissent. Tallien reste muet[14].

Deux mois plus tard, le 1er pluviôse (16 janvier 1795), on discutait l'abolition de la peine de mort. Tallien en demandait le maintien contre les grands criminels ; tout à coup il est salué, par ses anciens amis de la Montagne, du nom de massacreur de septembre ; mais, payant d'audace, il leur répond : Eh bien ! j'accepte l'accusation, venez la porter à la tribune !

Personne ne se lève. Alors Tallien reprend : Puisque celui qui m'a fait ce reproche ne se présente pas, je somme, non-seulement ceux qui l'environnent, ceux qui siègent sur le même banc... je somme tous leurs sicaires, tous les membres des comités révolutionnaires, tous leurs suppôts, de porter contre moi aucune accusation. Il en est beaucoup parmi eux qui ne m'accusent d'être un égorgeur du 2 septembre que pour mieux étouffer ma voix, parce qu'ils savent que j'ai tout vu. Ils savent que je me suis servi de l'autorité dont j'étais alors dépositaire pour sauver du glaive des assassins un grand nombre de personnes ; ils savent que moi seul au milieu de la commune j'osai me jeter au milieu de cette foule sanguinaire pour empêcher qu'on ne violât les dépôts confiés à la commune... J'ai fait mon devoir en cette occasion, je le ferai encore en démasquant les provocateurs de cette journée sanglante qui siègent parmi nous[15]. La convention applaudit. Tous les regards se tournent Vers Panis et Sergent, les derniers représentants du trop fameux comité de surveillance.

Mais la réaction vers les idées de justice et d'humanité s'accentuait de plus en plus. Tous les jours, des députations des sections parisiennes venaient demander la punition de ces individus que l'on appelait alors la queue de Robespierre. Le 13 ventôse (3 mars 1795), un orateur, parlant au nom de la section des Invalides, s'exprimait ainsi :

Indulgence pour la tourbe des faibles, dont les yeux, mais non les âmes, ont été fermés à la lumière... Mais guerre à mort aux chats-tigres ! ces hommes n'avaient d'humain que la figure et leurs cœurs étaient de fer. Accélérez le retour de l'ordre par le jugement des grands coupables, des exécrables assassins du 2 septembre, des scélérats qui conduisirent froidement une foule de prévenus d'Orléans à Versailles pour s'abreuver de sang jusqu'à satiété[16]...

 

Les juges qui avaient déjà les premiers en 1792 donné l'exemple des poursuites contre les assassins de septembre furent encore les premiers à seconder ce réveil de l'opinion publique. Les magistrats de Saône-et-Loire reprirent l'instruction qu'ils avaient commencée, dès 1792, contre les assassins des prêtres de Couches ; ils purent mettre la main sur quatre des contumaces condamnés à mort le 17 janvier 1793, et recommencèrent contradictoirement leur procès. Les assassins espéraient trouver en 1795, dans la Convention, une indulgence égale à celle dont leurs complices avaient profité en 1793 ; mais les temps n'étaient plus les mêmes. Cette assemblée régénérée par le malheur passa à l'ordre du jour sur la pétition que ces misérables lui adressèrent. Le tribunal criminel de Saône-et-Loire, sur le verdict affirmatif du jury, condamna à mort deux des accusés et acquitta les deux autres[17] (6 prairial, an III).

D'autres tribunaux suivirent l'exemple des magistrats de Saône-et-Loire.

Le tribunal criminel de la Marne avait également entamé une procédure contre les auteurs des assassinats de Reims et la poursuivait très-activement.

Celui de Seine-et-Oise avait commencé, dès le 10 germinal, des poursuites contre Fournier l'Américain et deux individus beaucoup plus obscurs, qui étaient prévenus d'avoir participé aux meurtres de Versailles. C'était un ouvrier teinturier nommé Tamisier et un ouvrier sur les ports nommé Bouchot. On avait envoyé des commissions rogatoires à Orléans, et nous avons donné, dans la note précédente, quelques-unes des principales dépositions qui furent recueillies contre le commandant de l'armée parisienne.

Diverses sections de Paris commencèrent officiellement des enquêtes sur les événements de septembre[18].

Après la journée du 13 germinal, dans laquelle le parti jacobin, relevant la tête, avait voulu s'opposer au décret de transportation qui avait frappé les trois membres de l'ancien comité de salut public, Billaud-Varenne, Collot-d'Herbois et Barrère ; après celle du 1er prairial an III, où les bandes démagogiques avaient tenu asservie la Convention pendant quelques heures et égorgé le courageux Féraud, les représentants du peuple comprirent qu'il n'était plus temps d'user de ménagements avec un parti incorrigible ; ils firent fermer le club de la rue Saint-Honoré et rendirent, le 4 messidor, une loi qui renfermait des dispositions ainsi conçues :

Les tribunaux criminels de département connaîtront immédiatement des crimes de meurtre et d'assassinat commis dans l'étendue de la République depuis le 1er septembre 1792.

ART. II. Les auteurs, instigateurs, provocateurs et complices des crimes énoncés dans l'article précédent seront arrêtés sur-le-champ et traduits sans délai au tribunal du département du lieu du délit...

ART. IX. Les accusateurs publics seront tenus d'envoyer copie du jugement soit qu'il acquitte, soit qu'il condamne, au comité de législation, trois jours après sa date.

ART. XI. Les juges, accusateurs publics et greffiers des tribunaux criminels demeureront en permanence jusqu'à ce qu'il en ait été autrement réglé ; les jurés seront aussi en permanence pour le temps qu'ils doivent servir.

 

La première application de cette loi fut le jugement que le tribunal criminel de la Marne rendit, le 26 thermidor suivant, contre les assassins des prêtres de Reims. Il condamna à mort un colporteur de journaux nommé Leclère et un brocanteur nommé Cenis-Sauris, et, à six ans de fers, le cordonnier Leblanc et le vitrier J.-B. Tullien[19].

Pour obéir à la loi du 4 messidor, le tribunal criminel du département de Paris ordonna, le 26 fructidor an ni, aux secrétaires ou autres dépositaires des papiers des comités ou commissions de déposer dans le plus bref délai au greffe du tribunal tous registres, cahiers, notes, feuilles ou renseignements quelconques contenant des déclarations ou dénonciations contre les prévenus des crimes auxquels s'appliquait la loi du 4 messidor précédent. Mais à peine ce jugement était-il rendu que, par un de ces revirements si fréquents en temps de révolution, intervint la loi d'amnistie qui porte la date du 4 brumaire an IV. La Convention achevait ce jour-là sa longue et sanglante carrière ; elle voulut jeter le voile de l'oubli sur tous les faits d'une révolution qu'elle croyait avoir terminée en donnant aux Français la constitution de l'an m.

Les articles III et V de cette loi d'amnistie étaient ainsi conçus :

ART. III. La Convention abolit, à compter de ce jour, tout décret d'accusation et d'arrestation, tout mandat d'arrêt mis ou non à exécution, toutes procédures, poursuites et jugements portant sur des faits purement relatifs à la révolution. Tous détenus à l'occasion de ces mêmes événements seront immédiatement élargis, s'il n'existe point contre eux des charges relatives à la conspiration du 13 vendémiaire dernier.

ART. IV. Les délits commis pendant la révolution et prévus par le Code pénal, seront punis de la peine qui s'y trouve prononcée contre chacun d'eux.

ART. V. Dans toute accusation mixte où il s'agirait à la fois de faits relatifs à la révolution et de délits prévus par le Code pénal, l'instruction et le jugement ne porteront que sur ces délits seuls.

 

Le premier qui profita du bénéfice de cette loi fut Fournier l'Américain. Il avait été appréhendé au corps par suite du mandat d'arrêt lancé contre lui par le tribunal criminel de Seine-et-Oise et conduit à la Force. Aussitôt que le décret du 4 brumaire fut rendu, il en réclama l'application en sa faveur et obtint d'être mis en liberté le 7 du même mois. Il avait bien fait de se presser ; car, dès le 15, un huissier, porteur d'ordres des magistrats de Versailles, venait réclamer sa translation dans les prisons de cette ville. La procédure n'en continua pas moins contre lui et ses deux coprévenus ; et, le 10 nivôse an IV (31 décembre 1795), le jury d'accusation du district de Versailles déclarait qu'il y avait lieu de les traduire devant le tribunal de Seine-et-Oise ; mais, par une étrange aberration d'esprit, le magistrat qui tenait alors le siège du ministère public à Versailles, ne vit dans les faits que le jury d'accusation venait de déférer au tribunal criminel, que des actes purement révolutionnaires et ne tombant sous l'application d'aucun article du Code pénal ordinaire. La poursuite fut abandonnée contre 'Fournier et ses acolytes au moment même où elle allait aboutir.

La mansuétude du parquet de Seine-et-Oise ne fut pas partagée par le tribunal criminel du département de Paris. Le 10 mars 1796 (20 ventôse an IV) il vint en corps à la barre de conseil des Cinq-Cents demander les moyens de poursuivre d'une manière légale les individus prévenus d'avoir trempé dans les massacres de septembre[20].

Sur cette pétition intervint un rapport de Colombel, qui ordonnait de reprendre toutes les poursuites contre les complices des massacres de septembre, les faits de cette nature ne pouvant être considérés comme couverts par la loi d'amnistie de brumaire précédent[21].

Dès lors, les procès entamés furent poussés vigoureusement ; le tribunal de Seine-et-Marne qui, depuis longtemps, instruisait celui relatif aux septembriseurs de Meaux, en condamna quatre à mort, à savoir :

François Lombard, tisserand ; Denis Petit, fripier ; Pierre Robert, cordonnier ; Pierre Lemoine, dit Moreau, portefaix[22].

Le pourvoi des quatre condamnés à mort fut rejeté par la cour de cassation le 3 prairial an IV, et le jugement du tribunal criminel de Seine-et-Marne reçut son exécution quelques jours après.

Depuis près d'un an, le tribunal criminel du département de Paris s'occupait de l'instruction dirigée contre les individus qui lui avaient été signalés par les enquêtes, faites dans diverses sections, comme étant connus par leur participation aux massacres de septembre. Mais on conçoit facilement les lacunes, que présentait forcément une instruction commencée trois ans après les faits qu'il s'agissait de constater. Ces trois années avaient été si agitées et si remplies elles-mêmes d'événements terribles ! la plupart des témoins avaient disparu ; les coupables avaient pu changer de domicile ; la plupart d'entre eux étaient, d'ailleurs, étrangers à Paris et avaient depuis longtemps fui le théâtre de leurs affreux exploits[23].

Il nous et impossible de reproduire ici les dépositions des témoins entende dans le enquêtes et dans l'instruction écrite. Contentons-nous de dire que les individus poursuivis â raison des massacres de l'Abbaye étaient au nombre de neuf, à savoir :

1° Damiens (Pierre-François), âgé de quarante ans, vinaigrier, né à Montmarquel (Somme), demeurant, lors des mas :- sacres de 1792, rue Sainte-Marguerite, section de l'Unité ; — d'après les débats on voit que, depuis les massacres, il avait été ruiné dans son commerce et qu'il s'était réfugié à Crécy, département de Seine-et-Marne. Damiens avait servi, plusieurs années avant la révolution, dans le régiment de Soubise — ;

2° Bourre (Antoine), âgé de trente-neuf ans, natif de Leigneux (Rhône-et-Loire), ancien garde française, sergent de la garde parisienne soldée, puis gendarme, demeurant cour du Tribunal, ci-devant Abbaye Saint-Germain ;

3° Debêche (Jean), âgé de quarante-cinq ans, né à Paris, joaillier, demeurant rue de Bucy ;

4° Godin (Auguste-Victor-Sébastien), âgé de trente-six ans, né au Bourget (Seine), alors boucher, depuis conducteur des transports militaires, demeurant enclos de la ci-devant Abbaye Saint-Germain-des-Prés ;

5° Maillet (François), âgé de quarante-trois ans, natif d'Allones, près de Beauvais (Oise), tambour de la garde nationale, ci-devant garde française, demeurant rue Sainte-Marguerite, section de l'Unité ;

6° Ledoux (Louis-Nicolas-Auguste), âgé de trente-huit ans, né à Paris, savetier, rue de l'Échaudé ;

7° Mayeux (Pierre-Louis), âgé de vingt-huit ans, né à Sommesons (Marne), clerc d'huissier, puis défenseur officieux, demeurant rue des Boucheries-Saint-Germain ;

8° Lyon (André-Nicolas), âgé de cinquante-deux ans, né à Rouen, limonadier, demeurant rue Sainte-Marguerite ;

9° Dubois (Pierre), âgé de quarante-six ans, né à Cheille (Indre-et-Loire), compagnon charron, demeurant rue de Nevers.

Nous empruntons au résumé de Gohier les passages suivants sur plusieurs accusés :

Damiens a été vu par plusieurs témoins la chemise retroussée jusqu'aux coudes, les mains et les bras ensanglantés, venir demander à boire, comme un furieux, chez le marchand de vin Lévêque, demeurant vis-à-vis de la prison de l'Abbaye ; il se lava les mains à la fontaine, demanda une bouteille de vin et dit froidement : Retournons à notre besogne.

Quelle était cette horrible besogne, à laquelle Damiens invitait ses compagnons ? D'autres témoins vont vous l'apprendre si vous en doutez encore.

Le citoyen Roussel déclare avoir vu Damiens au nombre de ceux qui frappaient les prisonniers à la porte de la prison, et le citoyen Rengeaut a déposé qu'étant le 2 septembre en face de la prison chez le citoyen Thévenot, il a vu avec horreur, depuis quatre heures après-midi jusqu'à onze heures trois quarts, égorger soixante-trois personnes, et que, parmi ces égorgeurs, il a distingué particulièrement Damiens par sa cruauté et son acharnement. Il prétend que ce Damiens, après avoir massacré le citoyen Laleu, lui ouvrit le côté, plongea sa main dans la profonde blessure qu'il venait de lui faire, lui arracha le cœur, le porta à sa bouche comme pour le dévorer, et le lança ensuite en l'air en criant : Vive la nation !

Bourre a été, disent le citoyen Lévêque et son épouse, boire chez eux ayant les mains et les vêtements tachés de matières fécales. Ils déposent qu'il s'est vanté d'avoir assassiné le juge de paix de Bonne-Nouvelle, qui était détenu à l'Abbaye ; qu'en racontant toutes les circonstances de cet horrible assassinat, il a dit que ce juge de paix s'étant sauvé dans les latrines et y ayant été poursuivi par lui, tous les deux s'étaient pris au collet, que le juge de paix l'avait renversé dans ce lieu infect et avait pensé l'étrangler, qu'il avait fallu forcer la porte pour le délivrer, et qu'il portait en effet sur ses mains et ses vêtements couverts d'ordures la preuve de ce qu'il racontait...

Plusieurs autres témoins sont venus confirmer les faits à la charge de Bourre, comme les ayant vus de leurs propres yeux.

Godin a été vu par plusieurs témoins, sur les marches de l'escalier qui conduisait au comité civil des Quatre-Nations, armé d'un instrument de charpentier, prêchant le massacre et disant que si on ne les prévenait pas, les prisonniers sortiraient et égorgeraient les femmes et les enfants de ceux qui seraient partis pour les frontières.

François Maillet était un des tambours du bataillon de la section de l'Abbaye ; deux témoins ont déclaré qu'à l'instant où les voitures contenant des prisonniers arrivèrent dans la cour de l'Abbaye, ils virent ouvrir la porte d'une de ces voitures, en tirer un prisonnier et le massacrer. Parmi les assassins ils ont distingué un tambour, mais ils ne peuvent assurer que ce tambour fût Maillet.

 

Sur neuf accusés, sept furent acquittés faute de preuves suffisantes contre eux.

Damiens et Bourre furent déclarés convaincus d'avoir participé aux massacres de l'Abbaye, de l'avoir fait dans l'intention de donner la mort volontairement, sans la nécessité d'une légitime défense, sans provocation violente, mais de ne pas l'avoir fait avec préméditation. Ils furent l'un et l'autre condamnés à vingt ans de fer.

Les individus traduits devant le tribunal criminel comme ayant participé aux massacres de la Force étaient au nombre de seize, savoir :

1° Antoine-Victor Crappier, âgé de vingt-huit ans, natif de Caux, près de Montdidier (Somme), marchand fabricant de bas, demeurant à Paris, rue de Charonne, n° 29, section de Popincourt ;

2° François-Baptiste-Joachim Bertrand, âgé de vingt-trois ans, serrurier, et ci -devant tambour dans le bataillon de Saint-Eustache à Paris, puis dans la compagnie des canonniers de la section des Droits de l'Homme, puis tambour-maître dans l'armée révolutionnaire, au petit café de France, section du Temple ;

3° François Lachève, âgé de trente-six ans, natif de Froberville, département de la Seine-Inférieure, serrurier, demeurant à Paris, rue de Seine, section de l'Unité ;

4° Angélique Voyer, dite femme Nicolas, âgée de trente-deux ans, native de Beauvais, département de l'Oise, regrattiêre, demeurant à Paris, rue des Prêtres-Saint-Paul, section de l'Arsenal ;

5° Claude-Antoine Badol, âgé de trente-cinq ans, natif de Cbaudron, département du Doubs, gendarme licencié, demeurant à Paris, susdite rue des Prêtres-Saint-Paul, section de l'Arsenal ;

6° Jacques Laty, âgé de trente-deux ans, natif de Boulogne, département de la Seine, marchand de journaux et brocanteur, demeurant à Paris, rue et section de Montreuil ;

7° Pierre Laval, âgé de cinquante-neuf ans, natif de La Bigne, département du Calvados, marchand de tabac, demeurant à Paris, rue et section de la Réunion ;

8° Siméon-Charles-François Vallée, âgé de trente-neuf ans, natif de Mesnillens, département de la Manche, marchand de tableaux, et lors de son arrestation secrétaire analyseur du Comité de sûreté de la Convention, section de la police, demeurant rue de la Monnaie, section du Muséum ;

9° Michel Marlet, âgé de quarante-trois ans, natif de Neuville-aux-Bois, département du Loiret, demeurant à Paris, rue des Marmousets, section de la Cité ;

10° Pierre-Martin Monneuse, âgé de quarante-trois ans, natif du Tremblay, département de Seine-et-Oise, marchand mercier, demeurant à Paris, rue des Fontaines, section des Gravilliers ;

11° Jean Gonord, âgé de trente-huit ans, charron, natif de Paris, y demeurant, petite rue Taranne, section de l'Unité ;

12° Jean-Nicolas Bernard, âgé de soixante et un ans, natif de Chaulny, département de l'Aisne, cordonnier, demeurant à Paris, rue Barre-du-Bec, section de la Réunion ;

13° Jean-Gratien-Alexandre Petit-Mamin, âgé de trente-trois ans, natif de Bordeaux, département de la Gironde, rentier, demeurant à Paris, place de l'Égalité, section des Tuileries ;

14° René Joly, âgé de vingt-sept ans et demi, cordonnier, ci-devant gendarme, puis lieutenant de la e compagnie du 50 bataillon de l'armée révolutionnaire, natif de Paris, y demeurant, rue des Jardins-Paul, section dm l'Arsenal ;

15° Pierre Chantrot, âgé de cinquante ans, défenseur officieux, natif de Paris, demeurant rue de la Coutellerie, section des Arcis ;

16° Pierre-Nicolas Renier, dit le grand Nicolas, âgé de quaregte et un ans., natif de Paris, ci-devant fort au port Saint-Paul, puis gendarme licencié, demeurant rue des Prêtres-Paul, section de l'Arsenal.

Nous empruntons également au résumé de Gohier les passages les plus saillants en ce qui concerne les principaux de ces seize accusés.

Pierre Nicolas Régnier, dit le grand Nicolas, est accusé d'être un des plus farouches assommeurs des détenus de la Force. Il était à la porte armé d'une batte à plâtre, frappant les détenus qu'on faisait sortir du guichet ; il avait assommé un prisonnier sur les marches du portail des jésuites ; il traînait les cadavres sur le tas.

Sa concubine, Angélique Voyer, dite femme Nicolas, est accusée d'être montée sur une charrette de cadavres, de les avoir foulés aux pieds, d'avoir achevé à coups de sabot une victime qui respirait encore ; elle mangeait sur la voiture les mains teintes de sang.

Monneuse était membre du conseil général de la commune. Il est accusé d'être allé aux prisons, notamment à la Force, revêtu de l'écharpe municipale, d'y avoir fait les fonctions d'officier municipal et de juge.

Le 21e témoin vous a dit avoir vu Monneuse arriver à la Force avec plusieurs autres et envoyer chercher quatre flambeaux.

Le 35e témoin vous a dit avoir vu Monneuse à côté d'un homme à grande barbe dans une salle en bas, à côté d'une table ; il jugeait les détenus que l'on assommait.

Le 43e témoin et le 46e vous ont dit l'avoir vu aller et venir à la Force, se réjouir des tristes événements qui venaient d'y avoir lieu, y témoigner beaucoup d'immoralité, ajoutant qu'on joua du violon devant lui et que son collègue dansa.

Le 52e témoin a vu aussi Monneuse en costume d'officier Municipal, mais il ne l'a entendu se prononcer contre personne.

Le 64e témoin, le citoyen Huraut, vous a expliqué comment on jugeait à la Force. Il vous a dit que c'était Monneuse qui était assis à un des bouts de la table, que Chantrot faisait les fonctions d'accusateur, qu'il faisait les interrogats, qu'ils étaient près d'une table, sous un hangar, à la Force, laquelle table était encore surchargée de bouteilles vides et de débris de comestibles.

Hullot, 65e témoin, dit qu'il a vu Monneuse et Chantrot à cette table, mais qu'il ne les a pas vus juger.

Le 66e témoin dit qu'il a vu Monneuse arriver le 5 septembre avec trois autres municipaux.

Monneuse a exposé pour sa défense qu'il s'est porté à la prison de la Force par ordre de la commune, mais pour empêcher le désordre, qu'il a failli perdre la vie, qu'il n'a jugé personne, que c'était le peuple qui avait nommé des jurés pour cette opération, que quant à lui il ne s'était occupé qu'rechercher les faux assignats, qu'il en avait trouvé à la Force ainsi que les planches qu'il avait déposées à la commune, qu'il avait fait serrer les effets des détenus, qu'il avait rendu compte de ces objets, ainsi que des pièces d'or qu'un témoin lui a vu compter.

Pierre Chantrot est accusé d'avoir fait les fonctions de juge à la Force.

Vous avez entendu à cet égard les citoyens Huraut, Hullot et Ernel, 64e, 65e, 66e témoin, qui vous ont dit qu'il était à la table où l'on jugeait, le citoyen Huraut vous a ajouté qu'il faisait les fonctions d'accusateur national.

Pour sa défense Chantrot avoue que, lorsque le rappel a été battu, il est allé en armes comme les autres citoyens ; qu'il est entré à la Force, qu'il y a lu des écrous, mais il a nié s'être livré à aucun acte inhumain et a dit que, s'il a lu des écrous, c'est qu'il y a été forcé parce qu'il s'était qualifié d'homme de loi.

Petit-Mamin est accusé de s'être vanté d'avoir assassiné à la Force la ci-devant princesse de Lamballe.

Le témoin Barré nous a déclaré que Petit-Mamin s'était vanté d'avoir commis le crime ; mais il a ajouté qu'il ne savait si cela était vrai, et s'il ne l'avait pas dit par forfanterie.

L'accusé Petit-Mamin a nié tous ces faits et soutenu qu'il n'avait été accusé qu'en haine de son excès de patriotisme ; que non-seulement personne ne l'avait vu commettre un assassinat, mais encore qu'il était incapable d'en commettre, et que jamais il ne s'était flatté de pareilles horreurs ; quant aux autres inculpations, il les a également repoussées par la dénégation et a dit que, le jour même de l'assassinat de la femme Lamballe, il était allé à Saint-Germain pour faire une arrestation. Plusieurs témoins ont été entendus en faveur de cet accusé. La femme Millet a dit qu'elle avait vu celui qui portait, rue Antoine, le cœur de la ci-devant princesse de Lamballe, qu'il le mordait, mais que cet individu forcené était parti avec son mari pour la Vendée, et qu'il y avait péri en voulant commettre encore de nouvelles horreurs[24].

 

Le jury déclara que quatorze des accusés n'étaient pas convaincus des crimes dont on les accusait ;

que Monneuse avait aidé et assisté les coupables dans les faits qui avaient facilité l'exécution du crime, mais qu'il ne l'avait pas fait sciemment et dans l'intention de nuire.

Régnier, dit le grand Nicolas, fut déclaré convaincu d'avoir coopéré à cette action ;

Qu'il l'avait fait dans l'intention de donner la mort volontairement, sans nécessité actuelle d'une légitime défense et non par suite d'une provocation violente, mais qu'il l'avait fait sans préméditation.

 

Par suite de ce verdict, quinze des accusés, y compris Monneuse, furent relaxés ; Régnier seul fut condamné à vingt ans de fers.

Le jugement des assassins de la Force avait été rendu le 22 floréal an IV ; celui des assassins de l'Abbaye, dont nous avons parlé plus haut, dura deux jours, le 23 et le 24 ; enfin, le 25, quatorze accusés de faits semblables à l'occasion des égorgements de Saint-Firmin, de la Salpêtrière, de Bicêtre et des Carmes furent tous acquittés, y compris le fameux juge de paix de la section du Luxembourg, Joachim Ceyrat, dont la participation matérielle aux massacres ne peut-être prouvée puisque dans ce moment il présidait l'assemblée de sa section dans l'église même de Saint-Sulpice.

Pendant cinq années, les hommes de septembre disparaissent ; l'impunité semble leur être assurée. Mais les mesures révolutionnaires amènent d'autres mesures révolutionnaires en seps contraire ; en politique, comme en physique, dans ce double monde qui oscille incessamment d'un pôle. à l'autre, la réaction, est toujours égale à l'action ; malheur à ceux qui Mettent le pendule en mouvement, ils Witt souvent frappés par le retour du balancier.

A la guillotine de la Terreur avait succédé le système des transportations. Le Directoire avait envoyé à Sinnamari de malheureux prêtres insermentés, puis les vaincus du coup d'État du 18 fructidor. Le gouvernement consulaire suivit l'exemple du Directoire. La machine infernale, que les chouans avaient placée sur, le passage du premier Consul dans la rue Saint-Nicaise, fut d'abord attribuée au parti démagogique, et avant que l'affaire ne fût éclaircie, un sénatus-consulte autorisa le gouvernement à prendre, contre tous les individus qu'il lui plairait de désigner, un acte de haute police extraordinaire. Fouché, pour faire admettre plus facilement par l'opinion publique la nécessité de cette mesure exceptionnelle, eut soin d'inscrire sur la liste des transportés un certain nombre d'individus connus pour leur participation aux massacres de septembre et aux crimes de la commune insurrectionnelle.

Sur cette liste se trouvaient notamment inscrits :

Villain d'Aubigny et Pepin Desgrouettes, tous deux hommes d'affaires de bas étage, tous deux ayant appartenu en qualité de juges au tribunal du 17 août, tous deux véhémentement soupçonnés de s'être livrés au moment de leur puissance aux plus odieuses malversations[25] ;

Michel (Étienne), marchand de rouge végétal, et membre de la commune au 2 septembre, depuis administrateur de police, dont on retrouve le nom au bas d'un grand nombre d'ordres d'arrestation ;

Leroy, dit Églator, ex-instituteur, également membre de la commune insurrectionnelle, que l'on accusait de s'être mis à la tête des bandes qui envahirent Bicêtre le 3 septembre 1782[26] ;

Rossignol, aussi l'un des municipaux du 10 août et du 2 septembre, l'un des juges de la Force, le dévastateur de la Vendée, auquel nous avons déjà consacré une notice dans notre deuxième volume ;

Monneuse, René Joly, Petit-Mamin et Joachim Ceyrat, quatre des acquittés de floréal an IV[27] ;

André Corchand, que nous avons vu, en qualité de commissaire du pouvoir exécutif, procéder à Forges-les-Eaux à l'arrestation du vénérable duc de La Rochefoucauld ;

Et enfin le plus célèbre et le plus audacieux de tous, Fournier l'Américain.

Le reste ne vaut pas l'honneur d'être nommé.

 

Le sénatus-consulte avait été rendu le 15 nivôse an IX (5 janvier 1801), et, dès le lendemain, le ministre de la marine ordonnait à l'administration maritime de Nantes d'accélérer l'armement de la frégate la Chiffonne et de la corvette la Flèche.

La Chiffonne fut mise sous le commandement du capitaine Guyesse, et la Flèche sous celle du capitaine Bonamy.

Le 20 nivôse (10 janvier), un convoi de quarante déportés partit de Bicêtre ; le 27, un second convoi de trente-deux individus partit du même lieu.

On découvrit, il est vrai, quatre jours après, que la machine infernale n'était pas l'œuvre du parti démagogique, que le coup partait d'autres mains ; mais les deux convois étaient en route pour les îles de Ré et d'Oléron et on ne jugea pas à propos de leur donner contre-ordre.

Le premier convoi de déportés fut embarqué sur la Flèche et prit la mer le 16 février 1801 (27 pluviôse an IX) ; le deuxième prit passage sur la Chiffonne, et partit le 13 avril 1801.

On était en guerre avec l'Angleterre ; il fallait avant tout éviter les croisières.

Les instructions avaient été données à chacun des capitaines, sous un pli cacheté qui ne devait être par eux ouvert qu'à la hauteur du cap Finistère et qui devait leur indiquer leur destination.

En ouvrant leur pli, ils apprirent que leur destination était Mahé, la principale des Séchelles, située dais la mer des Indes à 250 lieues nord-est de la pointe nord de Madagascar. Les proscrits devaient ignorer le lieu de leur déportation jusqu'au jour même de leur arrivée aux Iles Séchelles.

La Chiffonne, après avoir eu deux combats à essuyer successivement avec une frégate portugaise et une frégate anglaise, abordait le 11 juillet 1801 à Mahé (3.700 lieues de France) et débarquait ses trente-deux proscrits.

La Flèche, partie la première, arriva la dernière à sa destination, parce qu'elle avait été obligée de relâcher successivement dans deux ports d'Espagne par suite d'avaries considérables. Elle n'atteignit Mahé que le 25 août.

Les déportés des deux convois se trouvèrent ainsi réunis et devinrent bientôt l'objet des suspicions les plus vives de la part des habitants. Une corvette de la marine française, le Bélier, capitaine Mulot, étant venue annoncer à l'île de France et aux lies Séchelles les préliminaires de la paix d'Amiens, les habitants de Mahé s'emparèrent de trente-trois déportés et les remirent au capitaine Hulot (13 mars 1802). Celui-ci les transporta à Anjouan, l'une des Comores, située à 340 lieues des Séchelles par 12 degrés de latitude sud.

Là, ils furent recommandés au roi de l'île, auquel on promit de payer pension pour leur nourriture. Mais bientôt tous ces malheureux, à l'exception de quatre qui réussirent à s'échapper, périrent victimes de l'effroyable insalubrité du pays.

Nous avons retrouvé, dans un état officiel dressé sept ans après (janvier 1808), ce qu'étaient devenus les soixante-dix individus embarqués sur la Flèche et la Chiffonne I[28].

Cet état est effrayant de simplicité.

29 morts aux Iles d'Anjouan.

4 évadés d'Anjouan.

8 morts à Mahé.

1 mort sur la Flèche avant son débarquement.

5 évadés de Mahé.

3 Partis par autorisation pour l'Île de France.

20 existant encore à Mahé.

70

Parmi tous ces malheureux qu'un machiavélisme politique avait réunis, ceux dont la participation aux journées de septembre est avérée nous occuperont seuls.

Corchand, Petit-Manin et Rossignol étaient parmi les déportés d'Anjouan et y moururent de fièvres endémiques dans les plus affreuses douleurs. Chrétien et René Joly, qui faisaient également partie des déportés aux Comores, périrent dans un naufrage, en cherchant à s'évader.

Pepin des Grouettes décéda à Mahé, et Monneuse, après avoir résisté six ans au climat brûlant des Séchelles, alla mourir, en 1808, à l'hôpital de l'Île de France.

Villain d'Aubigny et Michel ne faisaient pas partie dès transportés des files Séchelles, ils avaient été envoyés à Cayenne. Villain d'Aubigny y mourut ; Michel s'en évada en s'emparant, avec quelques-uns de ses compagnons, d'une pirogue à l'aide de laquelle il put arriver à Surinam.

Mais, de toutes ces odyssées, la plus extraordinaire est sans contredit celle du fameux Fournier l'Américain. Pendant deux ans il échappe au décret de transportation qui l'a frappé le 15 nivôse an IX ; il est arrêté en pluviôse an XI écroué à Sainte-Pélagie, puis envoyé à l'île d'Oléron. A peine arrivé, on le transfère au fort de Joux, dans le Jura ; de là on le fait revenir dans la Charente-Inférieure, on l'embarque pour Cayenne sur la frégate la Cybèle. Après quelques années de séjour dans cette colonie, il s'en évade, se réfugie à la Guadeloupe et se fait corsaire. En 1814, il rentre en France et y meurt tranquillement quelques années après.

Ceyrat, quoiqu'il eût été inscrit sur le décret de proscription, ne quitta pas la France, grâce à de hantes protections. ll fut seulement interné à Clermont-Ferrand.

Panis et Sergent ne furent point compris dans le décret : ce dernier fut un instant inquiété. Nous avons tenu entre les mains une pétition qu'il adressait au citoyen Piis, secrétaire général de la préfecture de police ; il y fait valoir qu'il venait de remplir, sous le régime consulaire, la place de commissaire de la régie des hôpitaux militaires ; qu'il sollicitait, dans ce moment même, une préfecture ; que sa demande était appuyée par de très-hauts personnages du régime nouveau. Ce révolutionnaire fougueux, cet organisateur des massacres de septembre, se déclarait l'ami du gouvernement et trouvait très-extraordinaire qu'on vint le tourmenter dans sa maison de la rue Cisalpine.

Fournier aussi, sous le Directoire, avait sa maison de campagne.

On peut, sur ces deux exemples, juger ce que sont au fond beaucoup de ces démagogues dont on vante le désintéressement ; ils s'amassent, à force de rapines et d'exactions, un certain pécule ; plus tard ils le dissipent, retombent dans leur pauvreté primitive, et se vantent alors d'avoir toujours eu les mains pures. Ils trouvent encore des niais pour les croire et pour exalter leurs vertus puritaines.

 

 

 



[1] Moniteur du 19 septembre 1792, p. 1118.

[2] Le Moniteur du 4 février 1793, page 181, annonce que huit prévenus ont été arrêtés par suite de cette instruction dans la nuit du 27 au 28 janvier.

[3] Voir le Moniteur de 1793, p. 120.

[4] Elle se trouve tout entière dans le Moniteur du 10 février 1793, p. 190.

[5] Journal des Débats et de la Correspondante des Jacobins, n° 353, p. 1.

[6] Journal des Débats et de la Correspondance des Jacobins, n° 354, p. 1 et 3.

[7] 1° Voir le Journal des Débats et Décrets, page 5, n° 75 de la Convention, 1 et 2 décembre 1792, p. 30.

[8] Voir le Moniteur du 13 novembre, page 1331, et les Révolutions de Paris, n° 175, p. 344-346.

[9] Le rapport d'Azéma n'est point au Moniteur. Nous en avons retrouvé un exemplaire imprimé.

[10] La théorie du comité de législation était la même qu'avait soutenue le défenseur de Cazotte dans le déclinatoire présenté par lui le 24 septembre au tribunal extraordinaire, au moment où celui-ci s'apprêtait à juger ce malheureux vieillard acquitté par le tribunal de Maillard. Azéma aurait dû, s'il avait été logique, demander que l'on réhabilitât la mémoire de Cazotte ; il aurait dû aller au tribunal révolutionnaire servir de défenseur au vieux Sombreuil qui se trouvait dans le même cas, mais il n'y songea seulement pas.

[11] Collection des Lois, année 1793, p. 130.

[12] Collection des Lois, année 1793, p. 138.

[13] Forobert et ses amis, pour être sûrs de ne plus être inquiétés à l'avenir, déposèrent le certificat chez un notaire de la commune de Montcenis, près de Couches.

Nous avons retrouvé sur les registres d'écrou de la Force la mention suivante qui vient corroborer, s'il en était besoin, les preuves que nous avons trouvées dans le dossier de Saône-et-Loire, et qui ne s'expliqueraient pas sans notre commentaire :

9 février 1793, Forobert (Antoine), natif d'Essertennes, canton de Couches, district d'Autun. Incarcéré en vertu d'un mandat d'arrêt, signé des citoyens Chambon, maire ; Brulé, Arbeltier, Louis Roux et Gainot, tous quatre municipaux et administrateurs. Jugé à mort pour crime d'assassinat, mis en liberté le 30 juillet 1793, en vertu du décret du 16 juin.

[14] Le Moniteur du 20 brumaire (10 novembre 1794).

[15] Moniteur du 3 pluviôse (22 janvier 1795), p. 508.

[16] Moniteur du 16 ventôse (6 mars 1795), p. 679.

[17] L'un des deux condamnés à mort, Forgeot, ferblantier, à Couches, se donna la mort dans sa prison. L'autre, nommé Masson, tailleur d'habits, fut exécuté sur la place publique d'Autun. La pétition, qu'ils avaient adressée à la Convention avant leur mise en jugement, contenait les phrases suivantes : Déjà vous avez passé l'éponge de l'oubli sur une foule de traits de cette sorte, arrivés dans plusieurs endroits de la République, et ils sont persuadés que le voile que vous avez déjà employé servira encore à leur égard pour cacher toute la noirceur du crime dont ils sont prévenus... l'on regardait les prêtres comme les vrais auteurs de tous nos maux ; vous les avez vous-mêmes crus si dangereux que vous les aviez proscrits du territoire français... Les quatre prêtres ont été victimes. Le peuple en furie leur a donné la mon et l'on croyait si bien avoir fait une belle action que chacun, le lendemain, se vantait d'en avoir tué sa bonne part... Vous hésiterez d'autant moins, citoyens représentants, à leur accorder ce que vous demandent les pétitionnaires, que ce sont quatre pères de famille, quatre sans-culottes, sur la conduite desquels il n'y a jamais eu le moindre reproche à faire, qui ont toujours marché dans les sentiers de la probité et de la vertu...

[18] Nous avons retrouvé la délibération par laquelle fut constituée la commission d'enquête de la section de l'Unité ou des Quatre-Nations, précisément celle dont nous avons parlé dans la note XVIII.

SECTION DE L'UNITÉ.

Extrait du registre des délibérations de l'assemblée générale. Présidence du citoyen Guinot. Séance du 20e jour de germinal, l'an III de la République française une et indivisible.

Sur différentes propositions faites, qui se trouvent appuyées, et sur l'intime persuasion où sont tous les bons citoyens, que la liberté, l'indivisibilité de la République, et la sûreté de l'État se trouvent en danger tant que le crime se trouvera impuni, que les hommes, qui ont constamment conspiré contre la liberté des citoyens et la sûreté des propriétés, resteront dans la société et en partageront les travaux, ainsi que ceux qui ont trempé leurs mains sacrilèges dans le sang de leurs concitoyens, dans les journées des 2, 3, 4 et 5 septembre, se trouveront saisis des armes qui ne devraient être portées que par de bons citoyens.

L'assemblée générale arrête qu'il sera formé une commission composée de cinq membres à l'effet de recevoir toutes les déclarations et tous les renseignements qui leur seront donnés par leurs concitoyens, soit verbalement, soit par écrit, et qui pourraient tendre à leur faire connaitre les auteurs et les complices des assassinats commis dans les journées des 2, 3, 4 et 5 septembre, ainsi que des divers crimes, vols et pillages qui ont suivi ces horribles journées ; pour, après avoir fait connaître leur travail et consulté l'assemblée générale, en faire leur rapport au comité de sûreté générale et de salut public de la Convention nationale qui prendra, dans sa sagesse, ainsi que dans sa justice, les mesures qu'elle croira les plus convenables.

Les citoyens nommés sont : Goujet-Deslandes, Lambinet acné, Chauveau de La Garde, Marmot et Poulin. L'assemblée croyant que les citoyens Schmit et Lecomte, anciens trésoriers de la section, pouvaient donner à cette commission des renseignements nécessaires, les a adjoints pour la facilité d'un travail aussi important.

Pour extrait conforme :

GUINOT, président ; GOUJET-DESLANDES, secrétaire ; LAMBINET aîné, secrétaire archiviste.

[19] Leblanc et Tullien étaient tous les deux domiciliés à Chemery près Reims, et avaient été spécialement convaincus d'avoir joué un rôle très-actif dans l'arrestation des abbés de Lescure et Levacher à Monchenot.

Les deux condamnés à mort furent exécutés le 1er fructidor sur la place publique de Reims.

[20] Moniteur de 15 mars 1796 (25 ventôse an IV).

[21] Moniteur du 28 mars (8 germinal an IV), séance du conseil des Cinq-Cents.

[22] Un autre portefaix, Adrien Leredde, fut condamné à vingt ans de fers. Un boucher nommé Goulard était mort en prison pendant l'instruction.

[23] L'immense procédure contre les assassins de septembre est conservée aux archives de la Cour impériale de Paris. Nous avons été admis à la consulter plusieurs fois, et nous avons pu prendre connaissance de toute l'instruction écrite qui précéda le jugement du tribunal criminel. Les débats oraux qui durèrent plusieurs jours n'ont pas été conservés ; mais nous avons eu le bonheur de retrouver au British Museum un exemplaire imprimé du résumé que fit de ces débats le président du tribunal criminel, Gohier, qui, quelques années après, devint ministre de la justice, puis l'un des cinq membres du Directoire exécutif.

[24] Petit-Mamin que, malgré son acquittement, on a toujours considéré comme l'un des assassins de la princesse de Lamballe, passait sa vie dans les bouges du Palais-Royal. Il était tous les soirs au théâtre du Vaudeville, alors établi rue de Chartres. Il en terrifiait les habitués et les acteurs par le récit de ses sinistres exploits. Le témoin Barré était l'un des directeurs du Vaudeville avec Radet et Desfontaines. Dans son interrogatoire devant le juge d'instruction, Petit-Mamin répond avec indifférence à la question, s'il a assassiné quelqu'un ? Au 10 août, il peut bien se faire que j'aie tué quelques Suisses !

[25] Villain-D'Aubigny avait été arrêté sous l'accusation de vol, et ne dut sa liberté qu'à l'intervention de Marat ; depuis il avait été l'un des adjoints du ministère de la guerre, ministère qui, sous Bouchotte, était devenu le quartier général des plus ardents jacobins. Ils s'y étaient fait donner des places lucratives, et d'ailleurs il y était facile de s'entendre avec les fournisseurs des armées.

[26] Ce fait ne put être prouvé, mais ce qui est hors de doute, c'est que Leroy se fit nommer, très-peu de temps après, concierge de Bicêtre, place qu'il occupa jusqu'après les événements de prairial an III, et où il se signala en inventant les conspirations de prison, au moyen desquelles il mit en coupe réglée les malheureux hôtes de cette prison et fit périr notamment son ancien collègue, le fameux Osselin, le président du tribunal du 17 août.

[27] Nous avons raconté plus haut les exploits de Monneuse, de Ceyrat et de Petit-Mamin. Quant à René-Joly, c'était l'individu auquel Monneuse avait délivré le certificat que nous avons donné dans ce volume. Il avait été depuis l'un des officiers de la fameuse armée révolutionnaire.

[28] Les convois partis de Bicêtre comprenaient soixante-douze déportés, mais avant le départ des deux bâtiments, deux avaient obtenu la faveur de ne pas être embarqués, Rousselle, qu'un ordre de mise en liberté avait fait relaxer, et Églator Leroy, que l'on s'était contenté d'interner à Nantes comme septuagénaire.