HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

NOTES, ÉCLAIRCISSEMENTS ET PIÈCES INÉDITES

 

IX. — PROCÈS DE LUCE DE MONTMORIN DEVANT LE TRIBUNAL DU 17 AOÛT.

 

 

Nous donnons ici le texte même des cinq questions qui furent soumises au jury dans l'affaire Montmorin ; les trois premières furent résolues affirmativement ; les deux dernières négativement. Le jugement ne fait que reproduire textuellement les cinq questions en les résolvant suivant le verdict même du jury :

1° A-t-il existé une conspiration, un projet de contre-révolution et des complots et machinations tendant à allumer la guerre civile en préparant la désorganisation du corps législatif, en faisant tirer les gardes suisses sur les gardes nationales, en armant les citoyens les uns contre les autres, lesquels complots et machinations ont amené les crimes commis le 10 août 1792 ? — Le fait est-il constant ?

2° Louis-Victoire-Hippolyte-Luce Montmorin est-il convaincu d'avoir composé l'écrit séditieux écrit de sa main, qui s'est trouvé dans ses papiers, et sur lequel frappe particulièrement l'acte d'accusation reçu contre lui par le juré d'accusation ?

3° Louis-Victoire-Hippolyte-Luce Montmorin est-il, en conséquence, convaincu d'avoir été un des agents principaux des complots et machinations tendant à allumer la guerre civile, à désorganiser le corps législatif et à armer les citoyens les uns contre les autres ; lesquels complots et machinations ont amené les crimes commis le 10 août 1792 ?

4° Est-ce méchamment et à dessein que Louis-Victoire-Hippolyte-Luce Montmorin a composé l'écrit séditieux écrit de sa main qui s'est trouvé dans ses papiers ?

5° Est-ce méchamment et à dessein que Louis-Victoire-Hippolyte-Luce Montmorin a été l'un des principaux agents des complots et machinations tendant à allumer la guerre civile et à désorganiser le corps législatif, et à armer les citoyens les uns contre les autres, lesquels complots et machinations ont amené les crimes commis le 10 août 1792 ?

 

M. de Montmorin fut acquitté le 31 août par la deuxième section du tribunal. Le procès-verbal de la séance du 1er septembre de cette même section s'ouvre par la mention suivante :

A l'ouverture de l'audience, M. le président a fait un discours aux citoyens, pour leur représenter les obstacles qui s'opposent à la marche plus rapide des opérations du tribunal.

Sur les réclamations de plusieurs citoyens, le tribunal a ordonné que huit citoyens se transporteront ès prisons de la Conciergerie, à l'effet d'y reconnaître la personne de M. Montmorin. — Suivent huit noms parfaitement inconnus.

Ces citoyens ont obtenu, au nom du public, la permission de s'assurer par leurs yeux de la détention de la personne de M. Montmorin, détenu ès prisons de la Conciergerie, pour par eux en être immédiatement rendu compte au tribunal, en présence de leurs concitoyens ; il leur a été donné un pouvoir à cet égard, et M. Heurtin, huissier, les y a accompagnés.

Une demi-heure après, les citoyens, nommés par le peuple pour aller à la Conciergerie vérifier la détention de M. Montmorin, sont rentrés et ont affirmé sur leur conscience avoir vu ledit sieur Montmorin à la Conciergerie.

 

Aux termes de la loi des 16-29 septembre 1791, il y avait près de chaque tribunal criminel, et par conséquent près du tribunal du 17 août, un commissaire du pouvoir exécutif et un accusateur public. L'accusateur public était chargé de poursuivre les crimes et délits qui étaient déférés au tribunal par les jurés dits d'accusation ou premiers jurés. Le commissaire du pouvoir exécutif avait pour mission de veiller à la stricte exécution de la loi et de toutes les formes de la procédure.

Le jury de jugement devait être consulté séparément sur la question de savoir : 1° si le fait était ou non constant ; 2° si l'accusé était ou non convaincu de l'avoir commis ; 3° si l'accusé, l'ayant commis, l'avait fait méchamment et avec le dessein de nuire.

Après la clôture des débats, et lorsque les jurés, retirés dans leur chambre, déclaraient être en état de rendre leurs délibérations, le président du tribunal et le commissaire du pouvoir exécutif les faisaient comparaître successivement devant eux et, en l'absence les uns des autres, leur demandaient de déclarer à haute voix leur opinion sur chacune des questions posées. Pour constater ces diverses déclarations, des boîtes blanches et des boites noires étaient placées sur le bureau de la chambre du conseil. Après chacune de ses déclarations, chaque juré, en témoignage de l'opinion qu'il venait de prononcer à haute voix, déposait ostensiblement dans la boîte une boule de la couleur même de celle-ci, blanche pour les déclarations favorables à l'accusé, noire pour les déclarations contraires. Il suffisait de trois boules blanches pour faire décider la question en faveur de l'accusé. L'ouverture des boites se faisait en présence de tous les jurés[1].

Botot, juge de paix de la section du Temple, était commissaire du pouvoir exécutif près la deuxième section du tribunal du 17 août. Il avait laissé paraître quelque affliction en voyant le nombre des boules noires déposées en réponse aux trois premières questions, puis quelque joie en s'apercevant qu'il y avait le nombre de boules blanches nécessaire pour une solution favorable à Montmorin sur les deux dernières questions. Cette affliction et cette joie furent incriminées comme un crime de lèse-nation. Le 1er septembre, Botot fut arrêté à l'ouverture de l'audience, et chacun des douze jurés interrogé sur l'attitude que le commissaire du pouvoir exécutif avait eue pendant la délibération de la veille, sur les paroles qui lui étaient échappées, sur la satisfaction qu'il avait montrée lorsque l'acquittement de Montmorin avait été assuré. Une assez longue instruction fut suivie par Fouquier-Tinville, alors l'un des directeurs du jury. Le pouvoir exécutif s'était empressé de destituer Botot ; mais le prévenu fut acquitté le ter octobre, suivant le verdict du jury, par le tribunal même auquel il avait été attaché. Néanmoins cet incident fut une des causes qui, très-peu de temps après, firent abolir les fonctions de commissaire du pouvoir exécutif et réunir les attributions de ce magistrat à celles de l'accusateur public. Le gardien des formes de la loi devint ainsi l'adversaire né et obligé du prévenu ; la libre défense des accusés n'y a pas évidemment gagné, et cependant le système de 1791, aboli en 1792, n'a jamais été rétabli depuis. Aujourd'hui encore, les deux fonctions que l'Assemblée constituante avait sagement séparées sont réunies dans une seule main.

 

 

 



[1] Voir le titre VII de la loi précitée.