HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

NOTES, ÉCLAIRCISSEMENTS ET PIÈCES INÉDITES

 

VII. — LETTRE DE COUTHON A L'ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE DU 19 AOÛT 1792.

 

 

Valenciennes, le 19 août 1792.

Monsieur le Président,

Les divers accidents que j'ai éprouvés dans le cours de mes bains ne m'ont pas permis de voler à mon poste dans un temps où chaque député, prêt et bien intentionné, devait brûler du désir de se rendre pour coopérer de tous ses moyens au salut de la chose publique, et renouveler sur l'autel de la patrie le serment de vivre libre ou de mourir. L'Assemblée nationale, qui m'a quelquefois témoigné des bontés, me plaindra peut-être de n'avoir pu vaincre la nature et placer ma volonté au-dessus de ses lois quand il s'agissait de remplir un devoir si cher à mon cœur.

Malgré le mauvais état de ma santé, je suis résolu de partir sous trois jours. Je passerai ce peu de temps à Valenciennes avec mes trois collègues, commissaires de l'armée du Nord, dont le zèle est infatigable et dont la conduite ne saurait être ni plus sage ni plus ferme. Ils ont mérité et reçu partout les témoignages de la confiance la plus entière et de la vénération la plus profonde. Nous allâmes hier ensemble voir le camp de Maulde qu'on peut appeler, à juste titre, le camp du patriotisme et de la liberté. Les commissaires y reçurent les plus grands honneurs et leur caractère y excita un enthousiasme attendrissant. Des cris de vive la liberté, vive l'égalité, vivent nos représentants, retentirent de toutes parts. Les bonnets, les chapeaux, les casques, les sabres, tout cela était en l'air.

Chacun s'embrassait, se serrait, pleurait, et jamais larmes n'eurent plus de douceur.

Après la revue, MM. les commissaires se rendirent au quartier général ; presque toute l'armée, confondue dans un intéressant désordre, les y accompagna ; la joie brillait sur tous des fronts, le bonheur se plaisait au milieu de ces enfants de la patrie, et le ciel, j'en suis sûr, éclairait avec plaisir cette glorieuse journée. Ah ! si les ennemis de la divinité française eussent paru dans ce' moment, comme ils auraient été bien reçus.

MM. les commissaires parlèrent plusieurs fois. Il n'est pas possible de se montrer plus dignes qu'ils le firent de l'auguste mission dont ils ont été chargés. Aussi furent-ils écoutés comme des dieux tutélaires. Le général Dumouriez, auquel les soldats ne donnent plus que le beau nom de père, eut la douce satisfaction de recevoir sa part des bénédictions de cette brave armée. Il était près de neuf heures du soir, et nous allions partir pour Valenciennes, lorsque le courrier de M. Dumouriez arriva, et nous apprit que le conseil exécutif lui avait conféré le commandement en chef de l'armée du Nord à la place de La Fayette. Cette nouvelle eut parcouru le camp dans une minute et fut un nouveau sujet d'allégresse universelle.

Nous partîmes sur les onze heures pour Valenciennes, d'où je vous écris ces détails, que j'aurais infiniment abrégés si je n'eusse pas cru important de tout dire, pour que l'Assemblée pût connaître à fond l'esprit du camp de Maulde et juger par là de celui qui régnerait dans toute l'armée du Nord et dans toutes nos armées, si dans les commencements l'Assemblée eût pris plus de part au choix des généraux, et si tout à l'heure l'on avait soin, après avoir chassé La Fayette, de purger nos troupes de tous les honnêtes gens qui, comme lui, assassinent la liberté en la caressant.

En attendant que je vienne confirmer ces faits, et prêter, en personne, un serment que j'aurais, je crois, prêté au berceau, je supplie l'Assemblée, en terminant cette lettre, de me permettre de le lui adresser par écrit :

Je jure donc de maintenir de tout mon pouvoir la liberté et l'égalité, ou de mourir en les défendant.

Je suis, avec respect, monsieur le président,

Votre collègue,

G. COUTHON, député du Puy-de-Dôme.