HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

NOTES, ÉCLAIRCISSEMENTS ET PIÈCES INÉDITES

 

VI. — LES OFFICIERS SIGNATAIRES DE LA PROTESTATION DE ROCHEFORT.

 

 

Les signataires de la protestation de Rochefort (19 août 1792), furent, dès le premier moment, traités par les Autrichiens comme prisonniers de guerre. Nous avons retrouvé la lettre même qui annonce leur capture au duc de Saxe-Teschen. Elle donne les noms de presque tous ces officiers. Mais ces noms, passant par des bouches allemandes, sont estropiés à plaisir ; nous avons dû rétablir l'orthographe française pour que l'on pût les reconnaître

J'ai l'honneur d'annoncer à Votre Excellence que MM. de La Fayette ; de La Tour-Maubourg, maréchal de camp ; Alexandre Lameth, maréchal de camp ; de Launois, idem ; Victor Maubourg, colonel de chasseurs ; Lacombe, adjudant général, colonel des chasseurs ; Charles Maubourg, officier des chasseurs ; Masson, commissaire des guerres ; Souberan, capitaine aide de camp ; Gillen, aide de camp ; les deux frères Romœuf, capitaines de dragons ; Cadignan, colonel de dragons ; baron de Puzy, capitaine du génie ; Gouvion, aide de camp (frère de celui tué) ; Curmer, capitaine de dragons, sont arrivés ce soir, avec une quarantaine de chevaux, à dix heures, voulant passer en Hollande : mes avant-postes les ont arrêtés ; un officier est venu me parler ; je les ai tous fait chercher avec cinquante hommes et les ai fait rester ici, prenant leur parole d'honneur comme prisonniers de guerre : rendant compte à Votre Excellence et aussi au général Moitelle, je les garderai jusqu'à réponse. Luckner peut seulement arriver demain matin à l'armée de La Fayette, campée derrière la Chiers, derrière Mouzon.

HARNONCOURT, capitaine.

Rochefort, ce 19 août, à onze heures du soir, 1792.

 

Voici les grades de tous les officiers au moment de leur sortie de France. Nous les avons soigneusement relevés sur leurs états-de service :

La Fayette, lieutenant général.

La Tour-Maubourg (César), Lameth (Alexandre), Duroure, Launoy, maréchaux de camp.

Sicard, colonel du 43e de ligne.

Lacolombe, colonel du 104° régiment de ligne.

Langlois, Siouville, Masson,  Darblay, Dagrain, La Tour-Maubourg (Victor), adjudants-généraux.

Bureaux de Puzy, capitaine du génie.

Gouvion (Louis-Victor), capitaine des artificiers.

Les deux frères Romœuf (Louis et Alexandre), capitaines de dragons.

De Cadignan, capitaine à la suite du régiment du roi (dragons).

Curmer (Jean-Baptiste-François), capitaine de dragons.

Gillet, commissaire des guerres.

Soubeyran-Renaud (Philippe-Louis), sous-lieutenant au 3° régiment de chasseurs à cheval.

La Tour-Maubourg (Charles de), sous-lieutenant de chasseurs.

Bonaparte ne cessa pas de témoigner un intérêt tout particulier aux signataires de la protestation de Rochefort. Général de l'armée d'Italie, il exigea de l'Autriche, lors des préliminaires de Campo-Formio, la délivrance des trois prisonniers d'Olmütz — La Fayette, Bureaux de Puzy et La Tour-Maubourg. — Commandant en chef l'expédition d'Égypte, il attacha à son état-major plusieurs des officiers qui avaient signé la protestation du 19 août 1792. Premier consul, il fit liquider des pensions de retraite à ceux de ces officiers qui ne voulaient ou ne pouvaient plus servir, il en fit rentrer d'autres dans les rangs de l'armée ou dans ceux de l'administration supérieure.

Ainsi, en 1800, La Fayette ayant refusé, malgré toutes les sollicitations de Bonaparte et de son frère Joseph, de reprendre du service ou d'entrer au sénat, une pension de retraite lui fut à l'instant même liquidée. Des pensions de même nature furent accordées au général Duroure[1], au général Launoy, au colonel Sicard[2], au capitaine Soubeiran-Renaud et au capitaine Curmer.

Ainsi, Alexandre Lameth fut appelé successivement aux préfectures de Coblentz et de Turin, Bureaux de Puzy à celle du Rhône ; Victor Gouvion fut employé dans les hauts grades de l'administration des eaux et forets[3].

La plupart des officiers rentrés dans l'armée y fournirent une belle carrière. Plusieurs eurent l'honneur de mourir au champ d'honneur ou de verser largement leur sang pour une patrie qu'ils avaient été momentanément forcés d'abandonner, sans jamais l'avoir trahie, sans avoir jamais porté les armes contre elle.

Ainsi, Victor de La Tour-Maubourg fit l'expédition d'Égypte, toutes les campagnes de l'empire, eut la jambe emportée par un boulet de canon à Leipsick, devint pair de France, ministre de la guerre, gouverneur des Invalides.

Des deux Romœuf, Louis, réintégré dans son grade, en l'an VI, fut successivement aide de camp du général Mathieu Dumas et de Clarke, duc de Feltre, puis chef d'état-major du maréchal Davoust. Il était général de brigade, lorsqu'il fut tué à la prise de la redoute de la Moskowa.

Alexandre Romœuf avait été réintégré dans son grade de capitaine, à la demande du général en chef de l'armée d'Égypte et attaché à l'état-major du général Desaix ; mais, bloqué à Malte, il ne put rejoindre l'armée. Par une circonstance spéciale, que nous n'avons pu découvrir, il avait été condamné à mort par contumace, comme prévenu d'émigration, à raison des événements de 1792. Par suite de cette condamnation qui pesait sur lui, il fut obligé de faire, comme volontaire à l'armée du Rhin, les campagnes de l'an VIII et de l'an IX, et plus tard de prendre du service dans l'armée du roi de Naples ; il fit avec lui les campagnes d'Italie et de Russie. Après la mort glorieuse de son frère, il fut enfin réintégré dans les cadres de l'armée française en qualité de général de brigade ; il survécut à l'empire et même à la restauration.

Darblay, ancien major de la garde nationale parisienne, avait été également réintégré dans les rangs de l'armée ; il mourut avec le grade de colonel, à Saint-Domingue, en 1801, lors de la malheureuse expédition du général Leclerc[4].

 

Le général César de La Tour-Maubourg, l'illustre membre de l'Assemblée constituante, ne prit pas de service pendant l'empire. Il fut fait lieutenant général le 19 août 1814, et mourut le 25 mai 1831, chargé d'ans et d'honneurs.

Comme lui, le général La Fayette, mort trois années plus tard, emporta l'estime de ceux qui, dans quelque parti qu'ils se rangent, estiment avant tout les idées libérales largement comprises et vaillamment défendues, pendant une vie entière, avec l'inflexible constance d'une âme généreuse.

 

 

 



[1] Ce général est mort le 11 janvier 1838, âgé de quatre-vingt-cinq ans ; il avait débuté dans la carrière militaire en 1770, comme sous-lieutenant an régiment de mestre de camp.

[2] Le colonel Sicard, qui avait été chargé de garder au château de Sedan les trois commissaires de la législative, était le frère de l'abbé Sicard, l'instituteur des sourds-muets.

[3] Le capitaine Victor Gouvion était cousin-germain de l'illustre maréchal Gouvion-Saint-Cyr.

[4] Darblay était le mari de miss Burney, l'auteur de Cécilia et de plusieurs autres romans anglais très-célèbres.