HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

TOME TROISIÈME

 

LIVRE X. — LA LÉGISLATIVE ET LA COMMUNE.

 

 

I

Le triomphe de la révolution du 10 août est désormais assuré. L'ouragan démagogique a passé sur la France entière et brisé toutes les résistances individuelles ou locales.

Les adresses d'adhésion commencent à affluer sur le bureau du président de l'Assemblée législative. Chaque société populaire tient à honneur de recevoir, l'une des premières, la mention honorable accordée généreusement, en tête du procès-verbal, à toutes les folies soi-disant patriotiques.

Nous avons pris la peine de secouer la poussière qui couvre, depuis soixante-dix ans, ces volumineux dossiers, de parcourir les dithyrambes en prose et en vers que la révolution du IO août sut inspirer à la verve jacobine[1].

Nous avons pu les comparer à ceux qui furent adressés à la Convention, le lendemain de la victoire successive de chacune des factions qui, pendant les deux années de la Terreur, traversèrent le pouvoir pour aboutir à l'échafaud, et nous avons été édifié ! Toujours la même exécration pour le tyran abattu, la même adoration pour l'homme vertueux qui apparaît et va régénérer le monde ; toujours, pour exprimer les mêmes admirations, la même phraséologie niaise et redondante. Quand, pendant quelques heures, on a respiré cette atmosphère de bassesse et de servilité, on éprouve d'effroyables nausées, on est dégoûté pour jamais de ces fleurs de la rhétorique politique, que chaque soleil levant fait éclore, que l'éclat de chaque établissement nouveau fait épanouir, que récoltent, pour les offrir à n'importe quel vainqueur, les adorateurs du fait accompli, toujours prêts à s'incliner avec un égal enthousiasme et une servilité infatigable, aux genoux de monseigneur le despotisme ou de son excellence la canaille.

De tous les complaisants adulateurs du nouveau souverain, aucun n'avait mieux réussi que Marat à surprendre sa faveur. L'ignoble folliculaire, grâce à ses haineuses diatribes contre Lafayette et la Cour, était proclamé prophète, en attendant qu'il passât dieu.

Aucune des sections de Paris n'avait eu l'impudeur de le nommer son représentant à l'Hôtel de Ville ; mais, le conseil général de la commune, par une décision solennelle, lui avait accordé une tribune spéciale dans la salle de ses séances et, s'il ne siégeait pas parmi les deux cent quatre-vingt-huit membres de la commune, il leur soufflait les motions les plus furibondes.

Marat était homme à savoir profiter de la victoire du parti qu'il avait servi de sa plume, si ce n'est de son bras ; car, aux heures périlleuses, il disparaissait tout à coup pour se blottir au fond de sa cave. Dès qu'il ne se tira plus de coups de fusil, il vint déclarer à la commune que les feuillants et les royalistes l'avaient privé naguère de ses presses, et que, par conséquent, il était équitable que la nation les lui rendît. Muni d'un ordre du comité municipal de surveillance, il alla avec quelques sans-culottes de ses amis s'emparer, à l'imprimerie nationale, alors établie au Louvre, de quatre presses et d'une grande quantité de caractères. Cette audacieuse invasion d'un établissement public, qui ne dépendait sous aucun rapport de la commune, fut dénoncée à la commission extraordinaire et lui fit jeter les hauts cris. Marat ne fit que rire de cette colère. Il poussa l'impudence jusqu'à faire redemander au directeur de l'imprimerie certains ustensiles qu'il avait oublié d'emporter. Le directeur, Anisson Duperron, se hâta d'avertir l'Assemblée, afin qu'elle se préoccupât de sauver du pillage un établissement national qui devait, aux termes d'un décret spécial, être en activité permanente de jour et de nuit.

La commission extraordinaire interpella le procureur-syndic de la commune, Manuel. Celui-ci jura ses grands dieux qu'il ignorait complètement ce qui s'était passé, et qu'il allait faire justice des déprédations commises sous le couvert de la municipalité[2]. Cependant rien ne fut fait.

Qui aurait osé s'attaquer à Marat au moment même où il conviait ce qu'il appelait le-peuple à se porter en armes à l'Abbaye, à en arracher les traîtres, particulièrement les officiers suisses et leurs complices, et à les passer au fil de l'épée. Quelle folie, osait-il imprimer dans son journal, quelle folie de vouloir leur faire leur procès ! il est tout fait. Vous les avez pris les armes à la main contre la patrie ; vous avez massacré les soldats ; pourquoi épargnez-vous leurs officiers, incomparablement plus coupables ?[3]

 

II

Pendant que Marat prêche ouvertement l'assassinat des prisonniers, la commune s'occupe de remplir les prisons[4]. Elle donne à son comité de surveillance, pourvoyeur ordinaire de ces tristes lieux, une organisation définitive. C'est à lui que viennent aboutir les dénonciations reçues jour et nuit dans les comités de chacune des quarante-huit sections parisiennes.

Grâce à cette centralisation de la police politique, servie non-seulement par une armée d'espions soldés, mais encore par une multitude de soi-disant patriotes aux yeux desquels la délation est une vertu, l'inquisition du Conseil des Dix est dépassée. Tout Paris tremble sous la domination du terrible comité, et ce que disait le vertueux Malesherbes, du temps des lettres de cachet, est redevenu vrai en changeant seulement le nom des personnages auxquels est remis le maniement de l'arbitraire.

Il n'est pas d'homme assez grand pour braver la vengeance d'un commissaire municipal ; il n'est pas d'homme assez petit pour se dérober à l'inimitié du dernier des démagogues.

Les principaux membres du comité de surveillance étaient Panis et Sergent, conservés administrateurs de police, quoiqu'ils ne fissent pas partie de la commune insurrectionnelle ; deux membres de celle-ci, Jourdeuil et Duplain, leur avaient été adjoints dès le 11 août. Ces quatre individus, tantôt seuls, tantôt assistés provisoirement de délégués du Conseil général, restèrent grands inquisiteurs jusqu'après le 2 septembre. Leur action s'exerçait, par un étrange abus de pouvoir, non-seulement sur Paris, mais même sur les départements. Ils siégeaient à l'hôtel de la mairie — aujourd'hui la Préfecture de police —, sous le même toit que Pétion, qui occupait, au premier étage, les appartements du premier président du parlement de Paris. Mais ils ne s'inquiétaient guère du blâme ou de l'approbation de ce docile et complaisant instrument que ses anciens complices avaient jeté de côté, comme font les enfants d'un jouet devenu inutile.

La commune de Paris, grâce à ses usurpations successives, en était venue à former un État dans l'État. Si le conseil général, avec ses deux cent quatre-vingt-huit membres, en était le pouvoir constituant, le comité de surveillance en était le pouvoir exécutif. Aussi, dans leur langage habituel, les dominateurs de l'Hôtel de Ville l'appelaient-ils le comité d'exécution. Était-ce une allusion anticipée à la mission dont il devait se charger le 2 septembre ? Quoi qu'il en fût, ce nom glaçait d'épouvante ceux devant qui il était prononcé[5].

L'attention du comité, dès qu'il fut réorganisé, se porta sur les prêtres insermentés. Le trône de Louis XVI renversé, les décrets sur lesquels il avait apposé son veto constitutionnel avaient été, dans la soirée même du 10 août, déclarés lois de l'État. Celui du 27 mai 1792 put donc immédiatement être mis à exécution. Il prononçait, en principe, la déportation de tous les prêtres qui n'avaient pas prêté le serment prescrit par la loi du 26 décembre 1790, ou qui, l'ayant prêté, se seraient plus tard rétractés[6]. Cette peine devenait applicable, sans qu'il fût nécessaire de donner aucun motif, sur la demande de vingt citoyens actifs, et, pour les ecclésiastiques accusés d'avoir suscité des troubles par des actes extérieurs, sur la dénonciation d'un seul individu.

Dans un moment où la délation était mise à l'ordre du jour par l'Assemblée, encouragée par la commune insurrectionnelle, pratiquée en grand par tous les jacobins de Paris et des départements, il n'était pas à craindre que les dénonciateurs vinssent à manquer contre les ecclésiastiques désignés légalement à la haine de tous les démagogues. Cependant on trouva plus commode de substituer à l'arrestation individuelle sur simple soupçon la déportation collective, en attendant que la commune de Paris et ses imitateurs, dans quelques autres localités, inventassent une simplification nouvelle : l'égorgement en masse.

Chaque jour, à l'Assemblée législative, la Montagne pressait la commission extraordinaire de déposer le rapport qu'elle avait été chargée de faire sur le mode et le lieu de déportation des prêtres insermentés. On est tellement impatient d'en finir avec cette question brûlante que la discussion s'engage, le 23 août, sur un projet présenté par un membre — Benoiston —, en son nom particulier, et aux termes duquel tous les prêtres insermentés doivent sortir du territoire dans le délai de quinze jours. Cambon propose de les déporter à la Guyane française, où l'agriculture manque de bras. Oui, ajoute Lacroix, il faut débarrasser la France de cette peste publique[7], mais il ne faut pas blesser la morale des nations en les envoyant empoisonner nos voisins. Du reste, ajoute-t-il ironiquement, en les transportant à la Guyane, ils ne perdront pas l'espoir de revenir en France, s'ils ne sont pas incurables. C'est une espèce de séminaire où nous les envoyons. Un député, dont le nom mérite d'être conservé par l'histoire, un simple cultivateur d'Eure-et-Loir, Claye, s'indigne à ce langage et s'écrie : Il n'y a que quinze jours que vous avez juré de maintenir la liberté et l'égalité, et aujourd'hui vous voulez prononcer une peine rigoureuse contre des individus qui n'ont fait, en refusant le serment, que ce que la loi leur permettait de faire ! Vous punissez des gens pour la liberté de leur opinion comme des criminels de lèse-nation. Au moment de terminer notre carrière, ne nous avilissons pas par une loi atroce rendue si précipitamment.

Lasource, ministre protestant, combat lui-même la motion de Cambon : Je m'étais imposé la loi de ne jamais prendre la parole quand il s'agirait de religion et de prêtres, étant prêtre moi-même d'une autre religion. Cependant, je parlerai dans ce moment, et sans doute ma parole ne sera pas suspecte. Je dis que si vous avez le droit de chasser de France tous les individus qui en troublent la paix, du moment où vous les avez dépouillés de tous les avantages du pacte social, il ne vous est pas permis de leur dire : Vous irez là ! Une fois sortis de la société, ils sont livrés à eux-mêmes, et puisqu'ils ne sont plus citoyens français, ils iront où ils voudront. Si on ne les souffre pas en Europe, ils s'embarqueront, c'est leur affaire... Mais dans quel pays propose-t-on de les envoyer ? Faut-il vous rappeler que, sous Louis XV, douze mille Français, envoyés pour peupler la Guyane, y périrent ? Dans ce moment, quelques milliers d'habitants blancs et noirs ne peuvent y trouver leur subsistance ; ils sont obligés d'avoir recours aux îles voisines, et c'est dans ce pays qu'on propose de transporter cinquante à soixante mille prêtres ! Ce serait envoyer ces malheureux à la mort ; au nom de l'humanité, au nom de la justice, je demande la question préalable sur la proposition de Cambon.

Vergniaud combat aussi la loi proposée, parce qu'elle enveloppe dans la même proscription l'innocent et le coupable. Tâchons, s'écrie-t-il, en finissant notre carrière, d'emporter les regrets de nos concitoyens et l'estime de la nation. Laissons dans cette enceinte le souvenir que nous avons fait, pour sauver la patrie, tout ce qui était nécessaire, et que, dans l'énergie des moyens que nous avons choisis, nous avons respecté l'humanité.

Vaines protestations ! Les Girondins étaient déjà débordés. Cambon, qui, en dehors des questions de finance, se laissait facilement entraîner par sa fougue méridionale et passait d'un extrême à l'autre, déclare qu'il n'a jamais proposé d'envoyer à la Guyane les prêtres insermentés sans secours, sans moyens de subsistance. Qu'on leur donne, dit-il, des vivres, des femmes même ; mais qu'on nous en débarrasse et qu'ils ne soient plus à craindre.

Un pareil raisonnement met fin aux hésitations de l'Assemblée qui, d'urgence, adopte une lois en douze articles, par laquelle tous les ecclésiastiques insermentés sont contraints à sortir, sous huit jours, du département où ils ont leur résidence, et, sous quinzaine, de ce que l'on appelait encore le royaume. Étrange désignation d'un ordre de choses qui n'était plus la royauté, qui n'était pas encore la république, et qui ne méritait, vrai dire, qu'un seul nom, celui d'anarchie !

Pendant les quinze jours de délai qui leur étaient accordés, les prêtres insermentés pouvaient choisir le lieu de leur exil ; mais, la quinzaine expirée, ceux qui n'auraient pas obéi au décret de bannissement devaient être déportés à la Guyane française. Les directoires des districts avaient la mission de les faire arrêter et conduire de brigade en brigade aux ports de mer les plus voisins. Un secours de trois livres par journée de dix lieues était accordé aux indigents.

Pour l'exécution d'une pareille loi, si conforme à ses passions, si directement inspirée par ses colères, la commune déploya un zèle extraordinaire. En vertu d'un arrêté spécial, tous les, prêtres qui se trouvaient sous le coup de la loi du 26 août, étaient tenus de faire inscrire dans les vingt-quatre heures, sur un registre ouvert dans chaque section, leur nom, leur signalement et le pays qu'ils avaient choisi pour retraite[8]. Le département de police devait sur-le-champ leur délivrer un passeport.

Voilà ce qui avait été promis ; en fait, voici ce qui arriva. Après que les malheureux prêtres insermentés se furent dénoncés eux-mêmes et qu'ils eurent déclaré qu'ils étaient prêts à obéir à la loi, au lieu de leur remettre le passeport qu'il leur avait fait espérer, le comité de surveillance les envoya au séminaire Saint-Firmin et aux Carmes, provisoirement, disait-on, et pour attendre une translation générale qui devait les garantir de tout outrage, de toute vexation, de toute violence. Les massacreurs de septembre les y trouvèrent et changèrent leur arrêt de transportation en un arrêt de mort[9].

 

III

Dès le 15 août, Merlin (de Thionville) avait proposé que les femmes et les enfants des émigrés fussent considérés comme les otages de la nation. Le 18, la commune avait demandé qu'ils fussent réunis dans des maisons de sûreté[10].

Le 23 au soir, Merlin renouvelle sa motion en rappelant le vœu émis par la commune. Il est appuyé par Bazire, qui déclare que le moyen proposé par son ami est conforme à la plus saine politique, que, pour arrêter la rage des ennemis de la nation, tous les moyens sont bons, tous sont justes. Mais Thuriot, ce jour-là heureusement inspiré, s'écrie : Vous voulez faire déclarer que les femmes et les enfants sont pour nous des otages ? Qu'entendez-vous par là ? Voudriez-vous punir les enfants du crime de leurs parents ? La France serait déshonorée si on adoptait le système barbare et sanguinaire de M. Merlin. Il n'y aurait pas de bourreau en France, capable d'assassiner l'enfant dans les bras de sa mère parce que son père aurait porté les armes contre sa patrie. Il faut repousser avec horreur cette mesure...

Ces belles paroles arrachent des applaudissements aux représentants et même aux spectateurs des tribunes, et l'Assemblée, en proie à la plus vive émotion ; passe à l'ordre du jour.

Pour combattre nos ennemis, tous les moyens sont bons. Effroyable maxime qui, proclamée tour à tour par les démagogues et par les suppôts de la tyrannie, tendrait à amnistier les crimes des populaces et les coups d'État des despotes ! On la préconisait, on la mettait chaque jour en pratique dans le sein de l'Assemblée nationale de France. Un député, qui ne comptait pas cependant parmi les plus fougueux montagnards, Jean Debry, propose l'organisation d'un corps de douze cents volontaires se dévouant à attaquer corps à corps les tyrans en guerre avec la France et les généraux qui commandaient leurs armées. Cette motion fait bondir d'enthousiasme Chabot et Merlin ; ils s'écrient qu'aussitôt qu'ils auront cessé leurs fonctions législatives, ils iront s'engager dans le corps des vengeurs de l'humanité. Quelques observations sont cependant hasardées contre le sublime projet. Mailhe se charge de les réfuter. On ne doit pas, dit-il, raisonner sur la guerre actuelle comme sur les guerres anciennes. La guerre actuelle est une lutte à mort. Il n'est rien qui ne paraisse juste pour soustraire un peuple à l'esclavage.

La motion de Jean Debry avait toutes les chances d'être acceptée, lorsque Vergniaud, qui ne peut pas plus longtemps contenir son indignation, laisse enfin échapper de son cœur le cri de l'humanité et de l'honneur :

Je ne traiterai pas cette question, dit-il, sous le rapport de la moralité. La solution en est dans toutes les âmes. Je n'examinerai pas la question de savoir si c'est à nous de délivrer les peuples étrangers de leurs tyrans, ou si c'est à ces peuples eux-mêmes. Nous faisons à nos ennemis une guerre franche et loyale. Ce n'est pas le peuple français, ce n'est pas un peuple libre qui donnera le premier l'exemple de semblables moyens contre ses ennemis.

Son collègue et son ami Sers (de Bordeaux) ajoute : L'Assemblée ne peut rendre la loi qu'on lui propose sans se déshonorer devant toutes les nations civilisées. Néanmoins l'extrême gauche demande le renvoi à la commission extraordinaire. Ce renvoi seul, s'écrie Larivière, serait une offense au peuple français. Il est, malgré tout, décrété ; l'Assemblée décide implicitement que la théorie de l'assassinat sera soumise aux délibérations de son comité[11]. Celui-ci, hâtons-nous de le dire, oublia de présenter un rapport que, du reste, on oublia de réclamer de lui.

Pendant que l'on discutait à l'Assemblée sur le sort des prêtres insermentés, des femmes et des enfants d'émigrés, on cherchait à surexciter les passions de la population parisienne par l'appareil d'une fête funèbre en l'honneur des conquérants de l'égalité et de la liberté, morts le 10 août, au massacre de la Saint-Laurent, comme disaient les journaux jacobins. Les apprêts de cette fête avaient été ordonnés par Sergent, l'un de ceux qui, huit jours plus tard, devaient présider aux massacres de septembre. Ils avaient été combinés de manière à accroître les colères et les haines des masses, déjà enfiévrées par les nouvelles des frontières et les accusations de trahison lancées vaguement du haut de la tribune.

Au milieu du jardin des Tuileries, que l'insurrection avait dévasté, s'élevait un obélisque colossal avec cette inscription :

SILENCE ! ILS REPOSENT.

Sur des bannières portées par des volontaires à cheval, on lisait la liste des principaux massacres que les démagogues' imputaient aux royalistes et aux constitutionnels :

Massacre de Nancy.

Massacre de Nismes.

Massacre de Montauban.

Massacre d'Avignon.

Massacre de la Chapelle.

Massacre de Carpentras.

Massacre du Champ-de-Mars, etc.

Sur d'autres bannières s'étalaient des phrases comme celle-ci :

Pleurez, épouses, mères et sœurs, la perte des victimes immolées par des traîtres ; nous jurons, nous, de les venger !

Le sarcophage s'avançait lentement, traîné par des bœufs. Ensuite apparaissait la statue de la Loi, suivie des juges de tous les tribunaux ; puis, celle de la liberté, portée par des gardes nationaux.

Une tribune aux harangues était placée au milieu de l'amphithéâtre occupé par les députés, et Marie-Joseph Chénier, le poète et l'orateur officiel du moment, prononça l'oraison funèbre des illustres victimes de la tyrannie.

Cette fête était toute païenne. Pour la première fois, depuis le commencement de la révolution, la religion ne fut point appelée à prier sur le cénotaphe des morts dont on honorait la mémoire. C'est que, s'il y avait encore une religion de nom, il n'y en avait plus de fait. Les prêtres catholiques étaient proscrits, les prêtres constitutionnels méprisés. Ceux. qui soutenaient le nouveau culte au moyen des plus violentes persécutions, l'écartaient par pudeur de leurs cérémonies publiques. Les organisateurs de la fête avaient espéré frapper et émouvoir l'esprit des masses, en étalant à leurs yeux un spectacle qu'ils croyaient imposant et qui n'était que ridicule. L'effet ne répondit pas à leur attente. La foule ne se montra ni silencieusement recueillie, ni profondément affligée, comme le lui recommandait le programme officiel. L'indifférence la plus complète régna parmi ces spectateurs, qui étaient censés pleurer des frères et honorer des martyrs[12]. On s'occupa fort peu de la harangue de Marie-Joseph, et beaucoup de la rivalité de plus en plus patente, des querelles de plus en plus envenimées qui surgissaient chaque jour entre la commune et la Législative.

 

IV

Ces querelles avaient un instant paru s'apaiser ; car l'Assemblée avait accédé à toutes les prétentions de sa rivale. Elle avait obéi de mauvaise grâce, mais enfin elle avait obéi à tous les ordres qui lui avaient été intimés au nom de la commune en ce qui concernait la détention de la famille royale et l'institution d'un tribunal exceptionnel pour juger les vaincus du 10 août. Mais il restait une question qui, malgré la condescendance ou plutôt l'humilité des représentants du peuple, entretenait les colères des dictateurs de l'Hôtel de Ville : c'était celle de la réorganisation du conseil de département.

Aux termes du décret du 13 août, chacune des quarante-huit sections parisiennes et chacun des seize cantons ruraux étaient appelés à élire un membre de ce conseil. Les nouveaux administrateurs devaient prendre possession de leurs fonctions aussitôt qu'ils seraient au nombre de vingt.

Presque tous les cantons ruraux se hâtèrent de choisir leurs représentants ; mais, obéissant sans doute à des instructions secrètes envoyées par la commune, les sections parisiennes s'abstinrent de procéder à ces nominations. Les administrateurs élus se déterminèrent à aller exposer à l'Assemblée la situation déplorable qui leur était faite. Ils étaient nommés et ne pouvaient se faire installer dans leurs fonctions faute d'un nombre suffisant de collègues. La mauvaise volonté était trop manifeste ; les injonctions de la commission extraordinaire furent trop péremptoires pour qu'un pareil scandale pût longtemps encore se continuer[13].

Le 21 août, quelques sections s'étant déterminées à obéir à la loi, le conseil de département put enfin se constituer[14]. Dès le lendemain au matin, les membres élus se rendent en corps à l'Assemblée législative pour lui offrir l'hommage de leur respect. et lui déclarer qu'ils sont prêts à remplir les fonctions qui leur sont attribuées par la loi ; l'orateur prend soin de les détailler, justement parce qu'elles leur avaient été contestées[15]. La commune avait, en effet, eu l'audace de faire placarder la veille un arrêté dans lequel elle déclarait que, pour assurer le salut public et la liberté, elle avait besoin de tout le pouvoir que le peuple lui avait délégué, au moment où il avait été forcé de reprendre l'exercice de ses droits. — Une double représentation populaire, y lisait-on, l'une sous le nom de conseil de la commune, l'autre sous le nom de conseil de département, ne peut servir qu'à diviser les citoyens et à rallier les ennemis de la liberté, qui déjà commencent à renouer leurs criminelles intrigues ; l'ouvrage de la nouvelle régénération ne peut être achevé que par les moyens qui l'ont commencé.

On conçoit facilement la colère qui s'empara de la commune lorsqu'elle apprit la levée de boucliers que les administrateurs départementaux venaient de faire à la salle du Manège. Aussitôt elle mande dans son sein les magistrats qui ont osé faire acte d'indépendance. L'habitude était si bien prise, même par les autorités supérieures, d'obéir aux moindres ordres des dictateurs de l'Hôtel de Ville, que les nouveaux élus se rendent aussitôt à cette étrange injonction. Accueillis par les huées des tribunes, ils essayent de présenter de timides justifications, mais ils sont sévèrement admonestés par le président et le procureur syndic. Bien plus, on leur fait jurer, séance tenante, qu'ils abdiqueront les fonctions dont ils viennent de prendre possession, et qu'ils n'accepteront d'autre titre que celui de commissaires des contributions. Le serment prêté, on les expédie à l'Assemblée, sous la conduite et sous la garde d'une députation, à la tête de laquelle se trouve naturellement l'orateur des grandes occasions, Robespierre.

Celui-ci paraît à la barre de la Législative comme un dictateur triomphant. Ne traîne-t-il pas derrière lui, timides et obéissants, ceux-là mêmes que l'Assemblée a prétendu imposer à la commune comme ses supérieurs hiérarchiques ? N'est-il pas habitué à voir convertir en décrets les volontés qu'il intime à. l'Assemblée ?

Législateurs, dit-il, vous voyez une députation composée d'une partie des membres de la commune et d'une partie des membres nommés par les sections pour remplacer ce qu'on appelait le département. Déjà nous avions déposé dans votre sein nos inquiétudes sur la formation d'un nouveau département, déjà nous croyions voir renaître les germes de division et d'aristocratie. Nous avons éclairé nos commettants. Ces nuages se sont dissipés d'eux-mêmes. Les membres nommés par les sections se sont présentés à la commune ; ils ont juré de n'accepter d'autre titre que celui de commission des contributions. Nous vous prions de consacrer, par un décret, ce grand acte de fraternité et d'union[16].

L'Assemblée se révolte en voyant qu'on vient lui demander, pour la quatrième fois, l'interprétation de dispositions qu'elle a déjà, sous la pression de sa rivale, corrigées, amendées, amoindries à contre-cœur. On réclame l'ordre du jour. Lacroix, qui est l'ami de Danton, mais qui doit avoir quelque souci de la dignité d'une assemblée, dont il est dans ce moment le président, Lacroix s'écrie : Passer à l'ordre du jour, ce serait éluder la question ; des administrateurs ne peuvent être suspendus, et encore moins destitués, que par le corps législatif. On ne saurait comprendre que les représentants provisoires de la commune de Paris aient songé à destituer un directoire, à la formation duquel ont concouru d'autres communes que celles de Paris, un directoire qui est au-dessus d'eux.

Robespierre essaye d'interrompre l'orateur à la moitié de son discours. Point de discussion à la barre, lui crie-t-on ! Le tribun est obligé d'entendre la fin de la semonce de Lacroix sans pouvoir y répliquer, et de quitter la barre avant qu'il n'ait été fait aucune réponse à sa demande.

Se croyant sans doute aux Jacobins bu à la commune, Robespierre venait de prendre, en pleine Assemblée, cette attitude insolente et ce ton impérieux qui, ailleurs, excluaient déjà toute contradiction. Quelle ne dut pas être sa secrète irritation en s'entendant condamner au silence par un énergique rappel au règlement ! Quelle haine dut s'amasser dans son cœur contre celui qui, ne pressentant pas la future importance du bilieux tribun, le courbait brutalement, comme le premier venu, sous le niveau de la loi[17] !

 

V

Dans le livre précédent, nous avons raconté la formation, l'installation et le premier arrêt du tribunal du 17 août. Au malheureux Collenot-D'Angremont succédèrent bientôt d'autres victimes.

On avait découvert, chez Laporte, intendant de la liste civile, des pièces fort compromettantes pour le roi. Le fidèle serviteur, qui s'en était trouvé dépositaire, remplissait auprès de Louis XVI une de ces charges dont l'étroite et nécessaire subordination exclut toute volonté propre et, par conséquent, toute responsabilité. Mais son nom avait été souvent, dans les clubs et à l'Assemblée, mêlé à toutes les accusations lancées contre la cour ; c'était lui qui, lors du voyage de Varennes, avait été chargé par Louis XVI de déposer sur le bureau de l'Assemblée nationale la protestation si intempestive et si imprudente, préparée par le monarque fugitif. Il n'en fallait pas tant pour le désigner spécialement aux vengeances de la démagogie. Devant le tribunal, Laporte ne renia pas son maître, et, comme lui, n'eut que des paroles de pardon pour ses bourreaux.

Citoyens, s'écria-t-il aussitôt après que le président du tribunal eut prononcé la fatale sentence, je meurs innocent... Puisse ma mort ramener le calme dans l'empire, mettre un terme aux dissensions intestines !... mais j'en doute !... Puisse l'arrêt qui m'ôte la vie être le dernier jugement injuste de ce tribunal ![18]

Le même jour où Laporte montait sur l'échafaud (23 août) commençait le procès de Du Rozoy, rédacteur de la Gazette de Paris. Dans ses papiers, on avait trouvé une immense quantité de lettres adressées au journaliste et dont il était libre de faire ou de ne pas faire usage. On le rendit responsable de toutes les folies de ses correspondants, quoique la plupart lui fussent personnellement inconnus. On voulut voir dans la multiplicité de ses relations, dans la concentration de tant de lettres en une seule main, la preuve flagrante de la conspiration que l'on cherchait partout et que l'on ne trouvait nulle part. Le courageux écrivain ne craignit pas de défendre devant ses juges les principes qu'il avait soutenus dans son journal ; aussi fut-il condamné à mort, pour la plus grande glorification de la liberté de la presse ! Le 25 août, à neuf heures du soir, en gravissant les marches de l'échafaud, il s'écria : Un royaliste comme moi devait mourir le jour de la Saint-Louis[19].

Les trois condamnations de D'Angremont, de Laporte et de Du Rozoy ne firent que mettre les dictateurs de l'Hôtel de Ville en goût de condamnations nouvelles. Pour mieux faire comprendre au tribunal extraordinaire ce qu'ils attendaient de lui, et afin de ne pas laisser chômer cet effroyable agent de gouvernement, ils ordonnèrent, par un arrêté formel, de laisser l'instrument du supplice en permanence sur la place du Carrousel, et commandèrent de leur autorité privée une nouvelle machine qui devait être dressée sur la place de Grève. Cela ne les regardait nullement, car l'exécution des arrêts criminels était de la compétence exclusive de l'administration départementale. Mais ne rentrait-il pas dans leurs attributions de terrifier les partis vaincus et de familiariser les masses avec les spectacles les plus tragiques[20] ?

Ils furent servis à souhait le 27 août. Ce jour-là eut lieu, sur la place de Grève, à la lueur des flambeaux, une triple exécution : trois fabricateurs de faux assignats avaient été condamnés à la peine capitale par le tribunal criminel ordinaire ; en montrant au peuple la tête de l'un d'eux, l'exécuteur fit un faux pas et tomba roide mort sur le pavé. Était-ce un avertissement de.la Providence qui faisait disparaître le bourreau au moment même où son office devenait inutile, puisque d'autres mains allaient, ailleurs que sur l'échafaud, immoler les victimes désignées aux fureurs populaires ?

Cependant, comme pour déjouer les calculs des dictateurs de l'Hôtel de Ville, plusieurs acquittements succédèrent aux trois condamnations capitales prononcées par le tribunal du 17 août. On n'avait pas encore eu le temps de détruire tout sentiment de pitié dans le cœur des juges qui instruisaient les affaires, des jurés qui prononçaient les verdicts et des habitués qui formaient le public des audiences. Ce ne fut que plus tard, après bien des tâtonnements et des excitations de tout genre, après bien des remaniements de personnel et des modifications de législation, qu'on arriva au beau idéal de la justice démagogique, réalisé par le décret du 22 prairial an II. En août 1792, on daignait encore écouter la défense des accusés ; on consacrait quelques heures à l'instruction d'une affaire ; Fouquier-Tinville lui-même, alors seulement l'un des sept directeurs du jury, montrait quelque humanité, quelque respect des formes.

Le premier de ces acquittements fut prononcé en faveur du vieux D'Affry, colonel des Suisses. Il n'eut pas de peine à prouver qu'il était malade au moment de la catastrophe, et qu'il n'avait en rien participé à la défense des Tuileries. Acquitté solennellement le 23 août, il fut traduit de nouveau devant le tribunal quelques jours après. On n'avait pas craint de violer à son égard tous les principes de la législation criminelle, en le soumettant pour le même fait à un nouveau jugement. Mais il fut renvoyé absous une seconde fois par le jury, à la grande satisfaction du peuple, dit lui-même le rédacteur ultra-patriote du Bulletin du tribunal du 17 août.

Il en fut de même d'un nommé Dossonville, limonadier et officier de paix de la section Bonne-Nouvelle, accusé d'être l'agent et le complice de Collenot-d'Angremont, mais dont le royalisme tenait plus aux opinions des habitués de son estaminet qu'aux siennes propres[21].

Le 28 août commença le procès Montmorin. Il y avait deux personnages de 'ce nom, assez proches parents.

L'un, Luce de Montmorin, ancien colonel du régiment de Flandre, était gouverneur de Fontainebleau et avait été élu, depuis la révolution, maire de cette ville, où il était fort aimé. L'autre, Armand de Montmorin, avait été ministre des affaires étrangères en 1791 ; son nom avait acquis une célébrité toute particulière, parce qu'on l'avait lu au bas du passeport dont la famille royale s'était servi lors du voyage de Varennes. Après le 10 août, on avait trouvé aux Tuileries des lettres où il était question de préparatifs de défense, du projet.de la cour de se retirer hors de Paris, et surtout d'une conversation entre plusieurs députés sur les événements qui avaient précédé l'insurrection. On avait d'abord supposé que ces papiers appartenaient à l'ex-ministre, et on avait lancé contre lui un ordre spécial d'arrestation. Saisi dans l'asile qui lui avait été offert au fond d'un faubourg, il fut amené le 21 août à la barre de l'Assemblée. Sur les explications catégoriques qu'il donna, on fut obligé de reconnaître, d'une part, que l'accusation portée contre lui était basée uniquement sur la découverte compromettante qui avait été faite, et, d'autre part, que l'appartement dans lequel les papiers avaient été trouvés était celui du gouverneur de Fontainebleau, qui, d'après un ancien usage, avait droit à un logement dans toutes les résidences royales. Cela n'empêcha pas le comité de surveillance de l'Assemblée d'envoyer à l'Abbaye l'ex-ministre, parce que, disait-on, rien ne serait plus facile que de trouver dans sa conduite d'autres faits pouvant servir de matière à accusation.

Son homonyme, Luce de Montmorin, fut aussitôt recherché, arrêté et amené à son tour à la barre de l'Assemblée. Après un interrogatoire de deux heures, soutenu avec une admirable présence d'esprit, il fut renvoyé devant le tribunal extraordinaire. Quarante-huit heures suffirent au directeur du jury pour examiner toutes les pièces du procès et dresser l'acte d'accusation. Par la franchise de ses réponses, Luce de Montmorin s'attira les sympathies des jurés et des juges. Il confessa être sincèrement attaché à Louis XVI, dont il n'avait reçu que des bienfaits ; il déclara s'être strictement renfermé dans l'accomplissement des devoirs de sa charge, sans jamais avoir participé à aucun complot. Les débats durèrent deux jours, la décision du jury fut affirmative sur plusieurs points, mais négative sur la question intentionnelle ; l'acquittement dut être prononcé par le tribunal, aux termes exprès de la loi. Depuis le commencement du procès on avait fortement travaillé l'esprit des masses populaires, dans les clubs, dans les sections et dans les groupes qui stationnaient aux abords du Palais-de-Justice. On avait à dessein entretenu la confusion entre les deux Montmorin, entre celui qui était acquitté et n'avait jamais joué de rôle politique, et celui qui avait été ministre et passait pour être l'un des principaux confidents de Louis XVI. L'assistance, qui avait applaudi aux acquittements des jours précédents, accueille celui-ci.par de violents murmures : Vous le déchargez aujourd'hui, crie une voix dans l'auditoire, et dans quinze jours il nous fera égorger. Le président Osselin avait donné bien des gages au parti démagogique ; mais enfin, il était, ce jour-là, l'organe de la loi ; aussi croit-il devoir rappeler l'auditoire au silence et au respect. Mais ses remontrances restent vaines ; les hommes apostés par les meneurs de la commune persistent à exiger la révision du procès par la deuxième section du tribunal. Ils font entendre les plus violentes menaces contre l'accusé si le tribunal le fait mettre en liberté. De guerre lasse, le président est obligé de prendre Montmorin sous le bras et de le reconduire lui-même à la Conciergerie, au milieu des hurlements de la foule ameutée.

Le lendemain, le tribunal, pour ne pas rester exposé aux outrages de l'auditoire, fut non-seulement obligé de mettre en accusation le commissaire national Botot, qui avait siégé dans l'affaire Montmorin et que l'on prétendait s'être montré trop favorable à l'accusé, mais encore il dut laisser constater par huit individus de l'assistance, accompagnés d'un huissier du tribunal, que l'acquitté de la veille était toujours sous les verrous de la Conciergerie. Le malheureux n'y resta pas longtemps ; les assassins de la commune vinrent exécuter la sentence que les dictateurs de l'Hôtel de Ville avaient secrètement prononcée contre lui, et dont les jurés du tribunal extraordinaire avaient refusé de charger leur conscience[22].

 

VI

Avant de raconter les dernières phases de la lutte si vivement engagée entre les dictateurs de l'Hôtel de Ville et la représentation nationale, jetons un coup d'œil sur les dangers qui menaçaient la France et qui auraient dû réunir tous les pouvoirs dans une même pensée, dans une action commune.

Ces dangers étaient immenses, mais ce n'était point en foulant aux pieds toutes les lois divines et humaines que l'on devait les conjurer. Un peuple n'est vraiment digne de la liberté que lorsqu'il sait envisager de sang-froid les périls qui le menacent et lorsqu'il trouve assez de force en lui-même pour maîtriser les tumultueuses inspirations de la peur.

L'ennemi avait envahi le territoire français, il avait investi Longwy et Thionville. Cette dernière place avait bravement résisté aux premières attaques des armées coalisées, mais Longwy s'était rendue. Luckner avait été obligé d'évacuer le camp de Fontoy sur l'extrême frontière, et de se replier aux environs de Metz. La France n'avait que quatre-vingt seize mille hommes de troupes de ligne à opposer aux envahisseurs, dont on évaluait le nombre à deux cent soixante mille. Parmi ces envahisseurs, il est triste de le constater, se trouvaient plusieurs corps d'émigrés qui cherchaient à semer la révolte et la trahison dans les rangs de nos soldats[23].

Les campagnes du Poitou s'agitaient déjà : une collision sanglante entre les paysans et les gardes nationales des Deux-Sèvres avait eu lieu à Châtillon. On pouvait déjà le prévoir, les prédictions de Cazalès allaient se réaliser[24] ; le feu de la guerre civile, que la Législative avait attisé presque à plaisir par une série de mesures plus inconsidérées les unes que les autres, allait éclater et produire dans les provinces de l'Ouest, où il couvait depuis longtemps, un vaste et effroyable incendie.

Le 23 août, le ministre des affaires étrangères, Lebrun, présente à l'Assemblée un exposé général des relations extérieures de la France. Quelques précautions oratoires qu'il prenne, il ne peut dissimuler que l'Europe presque tout entière semble prête à s'allier à la coalition déjà formée entre la Prusse, l'Autriche et l'empire germanique. Le Piémont livre passage aux Autrichiens, l'Espagne prend une attitude menaçante, la Russie manifeste contre nous une évidente mauvaise volonté ; enfin le gouvernement anglais vient d'enjoindre à son ambassadeur de quitter provisoirement la France, attendu que, le roi ayant été suspendu, ses lettres de créance ne sont plus régulières[25].

La situation faite aux membres du corps diplomatique était, il faut le reconnaître, devenue très-difficile. Déjà l'Assemblée avait laissé la commune porter atteinte au caractère sacré des ambassadeurs dans la personne du ministre de la république de Venise. Les voitures de cet agent diplomatique avaient été arrêtées aux barrières et fouillées ; les domestiques qui les conduisaient, mis en prison, et l'ambassadeur lui-même, traîné à la barre du conseil général[26]. Ces faits donnèrent lieu à une protestation très-vive des représentants des puissances qui avaient conservé des relations avec le gouvernement français. Le 23 août, presque aussitôt après l'exposé de Lebrun, le rapporteur du comité diplomatique présenta à l'Assemblée le compte rendu de cette affaire. Il conclut à ce qu'on accordât la libre sortie du royaume, non-seulement aux ambassadeurs, mais encore aux étrangers, et cela au nom des lois de l'hospitalité. Cette proposition provoqua les murmures de la gauche. Thuriot demanda que le décret ne fût applicable qu'aux ambassadeurs et ministres reconnus.

Nous devons, dit-il, rester maintenant dans l'état naturel vis-à-vis des autres nations. La nation française exerce et doit exercer la grande police sur son territoire... On n'est point étranger dans un pays où l'on est criminel. On y est sujet de la loi comme tous les régnicoles... Enfin, serait-il un moyen plus sûr de former et d'exécuter un plan de conjuration contre la France, que de permettre la sortie de tous ceux qui se diraient étrangers ? Non ; les vexes, après avoir employé le poignard et le poison à l'intérieur, iraient machiner au dehors contre la liberté.

L'Assemblée adopte cette théorie et retranche tout ce qui, dans le projet de décret, concerne les simples étrangers. Elle décide que les passeports des ambassadeurs continueront à être expédiés par le ministre, mais visés par la municipalité de Paris ; et que ceux des gens de leur famille et de leur suite seront expédiés dans la même forme, mais après que les sections, sur le territoire desquelles habitent les ambassadeurs, auront scrupuleusement constaté l'identité des personnes comprises dans ces passeports[27].

Les représentants du peuple n'avaient pas besoin des avertissements de Lebrun pour activer les préparatifs de la défense nationale. Ils consacraient chaque jour plusieurs heures à expédier des décrets relatifs à la formation de nouveaux régiments ; à entendre la lecture de lettres où des pétitionnaires offraient à la patrie leur personne ou celle de leurs enfants, leurs chevaux, leur argent, leurs bijoux ; à recevoir des députations annonçant le départ de nombreux volontaires vers les points les plus menacés de la frontière.

Mais il ne suffisait pas de trouver des hommes et de l'argent, les armes commençaient à manquer. L'Assemblée donne une activité en quelque sorte fébrile aux travaux de l'arsenal de Paris, met toutes les fonderies en réquisition, s'empare de toutes les manufactures d'armes établies à Maubeuge, Charleville, Saint-Étienne, Tulle, Moulins, Klingenthal. Elle fait livrer à l'administration de la guerre tous les cuivres et métaux disponibles, et ordonne que tous les fusils seront distribués aux gardes nationaux qui partent pour la frontière. Elle presse la formation du camp sous Paris, dont elle confie les travaux à la commune en lui allouant pour 'cet objet un premier crédit de huit cent mille livres ; enfin elle décrète une levée de trente mille hommes à Paris et dans les seize départements voisins.

La commune cherche à rivaliser de zèle patriotique avec la Législative ; niais, comme toujours, elle amplifie et exagère les mesures qu'elle est chargée d'exécuter. Elle relève les estrades destinées à recevoir les enrôlements volontaires[28], saisit les armes et les munitions qui sont entre les mains des gardes nationaux signataires des pétitions constitutionnelles[29], prescrit la recherche et la réquisition de tout ce qui peut exister. en munitions, en vivres, en fourrages, dans les départements circonvoisins jusqu'à Rouen[30] ; elle arrête que toutes les grilles qui entourent les monuments publics, que tous les fers, autrefois signes de l'esclavage, seront transformés en piques, pour la défense de la patrie ; que les crucifix, lutrins, et tous les objets en métal fusible qui se trouvent dans les églises seront employés à faire des engins de guerre ; qu'on ne laissera que deux cloches à chaque paroisse[31], et que toute l'argenterie qui existe dans les sacristies, et même sur les autels, sera portée à la Monnaie.

Sur une seule question, la commune est décidée à ne pas obtempérer aux ordres de l'Assemblée ; celle-ci demande le départ des Marseillais, celle-là ne veut l'accorder à aucun prix. C'est vainement qu'à cet égard le ministre de la guerre adresse des prières, des exhortations, des ordres tantôt à la commune, tantôt aux Marseillais eux-mêmes. L'une tient à avoir des sicaires sous la main pour accomplir les desseins qu'elle médite, les autres se montrent très-peu disposés à courir chercher, dans les plaines de la Champagne et de la Lorraine, des périls plus réels que ceux qu'ils sont censés avoir affrontés devant la façade des Tuileries[32].

 

VII

Cependant la lutte entre la commune et l'Assemblée continuait, tantôt latente et sourde, tantôt ouverte et bruyante. Parfois, elle éclatait en accusations passion-. nées, en récriminations acrimonieuses. Dans d'autres moments, elle prenait les formes voilées d'une pétition ou d'un ordre du jour, qui semblaient ne respirer que la confiance et la fraternité. Les deux pouvoirs rivaux paraissaient sans cesse vouloir enchérir l'un sur l'autre pour accaparer la faveur populaire et se disputer le monopole du patriotisme et de l'énergie révolutionnaire.

Le 25 août, Tallien, en sa qualité de secrétaire-greffier de la commune, écrit officiellement au président, pour lui annoncer que des députés se munissent de passeports sous des noms supposés. Cette accusation, au premier abord, semble n'incriminer que quelques-uns des membres de la Législative ; mais, par le vague dans lequel elle est formulée, elle peut faire planer sur chacun d'eux le soupçon qu'il pense à déserter son poste au moment du danger. L'Assemblée sent qu'elle est perdue devant l'opinion publique, si elle n'y répond par une éclatante protestation. A la voix de François de Neufchâteau, elle se lève tout entière et jure de demeurer à Paris jusqu'à la réunion de la Convention nationale ; elle ordonne que la prestation solennelle de ce serment sera consignée dans un extrait du procès-verbal, officiellement envoyé aux sections de Paris et à tous les départements par des courriers extraordinaires.

La rédaction de cette pièce, évidemment due à la plume habile de François de Neufchâteau, est très-curieuse à étudier, quand on songe à la situation délicate dans laquelle étaient placés les représentants du peuple. L'Assemblée feint de ne pas prendre en mauvaise part la dénonciation doucereusement perfide que Tallien est venu réitérer à sa barre ; mais, en même temps, elle fait entendre aux membres de la commune qu'elle n'est pas dupe des protestations de respect que le secrétaire-greffier lui a prodiguées en leur nom. Dans ce procès-verbal où abondent les sous-entendus et les réticences, elle prend acte de la confiance que les dictateurs de l'Hôtel de Ville ont déclaré professer pour son patriotisme, rappelle incidemment les appréhensions qui se sont manifestées à plusieurs reprises au sujet des dispositions que l'on accuse la commune, à tort, dit-elle, d'entretenir contre la future Convention, puis, sous le bénéfice de ces réserves, finit par déclarer que les nouveaux représentants du peuple sont assurés de ne trouver à Paris, comme les députés actuels, que des concitoyens et des frères[33] !

L'Assemblée comprend qu'elle ne doit pas s'en tenir à des serments, et qu'elle a besoin d'affirmer plus catégoriquement que jamais sa résolution de s'ensevelir sous les ruines de la patrie. Aussi, quelques instants après, adopte-t-elle, sur le rapport de Héraut-Séchelles, cette proclamation qui appelle aux armes tous les Français :

Longwy vient d'être rendu ou livré. Les ennemis s'avancent ; peut-être se flattent-ils de trouver partout des liches et des traîtres. Ils se trompent : nos armées s'indignent de cet échec et leur courage s'en irrite. Citoyens, vous partagez leur indignation ; la patrie vous appelle, partez !

Un peu plus tard, sur les rapports de Vergniaud et de Guadet., elle vote à l'unanimité deux décrets. Le premier punit de mort tout citoyen qui, dans une place assiégée, parlera de se rendre. Le second ordonne que toutes les maisons de Longwy, aussitôt que cette place sera rentrée au pouvoir de la nation, seront, à l'exception des maisons nationales, détruites et rasées ; déclare in-Mmes et indignes à jamais d'exercer les droits de citoyen français, tous les individus qui habitaient cette ville à l'époque où elle a été livrée à l'ennemi ; renvoie devant les tribunaux criminels les officiers municipaux, et devant la cour martiale le commandant de la place, Lavergne[34].

La réponse indirecte, mais aussi vigoureuse qu'adroite, que l'Assemblée venait de faire aux accusations traîtreusement lancées contre elle, était de nature à inquiéter les meneurs de l'Hôtel de Ville. Installés depuis quinze jours à peine, ils avaient tellement abusé de l'autorité par eux usurpée, qu'ils la sentaient déjà s'affaiblir entre leurs mains. On commençait, dans certaines sections, à vouloir leur demander compte de leurs pouvoirs et de leur gestion. On rappelait la promesse qu'ils avaient faite de se démettre, aussitôt la crise passée, de fonctions dont ils ne s'étaient eux-mêmes investis qu'à titre temporaire. Ils étaient avertis que la commission extraordinaire préparait secrètement un décret qui devait prononcer la dissolution de la commune insurrectionnelle et la remplacer, soit par l'ancienne municipalité, soit par une commission législative[35].

En présence de pareilles rumeurs, la commune se sent menacée et comprend que, pour continuer d'exister, il faut qu'elle se rende nécessaire. Un seul homme peut la sauver, et cet homme, c'est Danton. Depuis qu'il a quitté les humbles fonctions de substitut du procureur de la commune pour aller s'installer au ministère de la justice, il n'a pas cessé d'être en relations de chaque jour, de chaque heure, avec ses anciens complices de l'Hôtel de Ville. Une étroite solidarité existe entre eux ; cette solidarité a fait jusqu'ici sa force, mais elle menace de l'entraîner dans la ruine de la commune, si celle-ci vient à succomber dans la lutte qu'elle a entamée avec la représentation nationale. Dans le conseil exécutif il est isolé ; Roland, Clavière, Servan, Lebrun, sont empiétement sous l'influence girondine ; le ministre de la marine, Monge, ne compte pas. Si, au 10 août, on l'a porté au ministère, lui, le tribun des Cordeliers, c'était uniquement pour donner une satisfaction passagère à l'élément ultra-révolutionnaire. N'a-t-on pas dit de lui : C'est le levain qui fait lever la pâte ? Mais à présent que les circonstances paraissent changer, on parle de le remplacer par un homme moins compromettant, afin d'établir la parfaite homogénéité du cabinet. La commune peut donc compter sur lui. En la sauvant il se sauve lui-même.

Habile autant qu'audacieux, Danton, une fois d'accord sur tous les points avec les meneurs de l'Hôtel de Ville, saisit la première occasion pour entretenir ses collègues des dangers publics à l'intérieur et à l'extérieur. Il leur parle des agitations auxquelles il faut mettre un terme, des entraves apportées au commerce par la fermeture intermittente des barrières, du manque d'armes pour les volontaires qui se rendent aux armées. Il leur insinue que des visites faites à domicile amèneraient certainement la découverte de beaucoup de fusils et de munitions ; qu'elles ne peuvent avoir de grands inconvénients, et qu'elles auront l'immense avantage de faire cesser, une fois pour toutes, les perquisitions partielles qui ne donnent que des résultats très-médiocres, au prix d'inquiétudes sans cesse renaissantes.

Le conseil des ministres se laisse persuader par ces raisonnements, il adopte la résolution que Danton lui propose[36]. La délibération prise, le ministre de la justice se hâte d'entraîner ses collègues à l'Assemblée, afin que les Girondins, en voyant leurs amis sanctionner par leur présence les propositions qu'il va faire, ne puissent en soupçonner ni la véritable origine ni la portée réelle. A peine est-il entré dans la salle, qu'il réclame la parole au nom du salut de la patrie, et s'écrie :

Nos ennemis ont pris Longwy, mais la France ne résidait point dans Longwy... Ce n'est que par une grande convulsion que nous avons anéanti le despotisme dans la capitale ; ce n'est que par une convulsion nationale que nous pourrons chasser les despotes...

Quand un vaisseau fait naufrage, l'équipage jette à la mer tout ce qui l'exposait à périr ; de même tout ce qui peut nuire à la nation doit être rejeté de son sein, et tout ce qui peut lui servir doit être mis à la disposition des municipalités, sauf indemnité aux propriétaires.

On a, jusqu'à ce moment, fermé les portes de la capitale, et l'on a eu raison. Il était important de se saisir des traîtres ; mais, y en eût-il trente mille à arrêter, il faut qu'ils soient arrêtés demain, et que demain Paris communique avec la France entière... La municipalité est investie du droit de saisir taus les hommes suspects, mais que, dès demain, le peuple français puisse venir vous défendre et communiquer avec les habitants de Paris. Nous demandons que vous nous autorisiez à faire faire des visites domiciliaires. Il doit y avoir dans Paris quatre-vingt mille fusils... Tout appartient à la patrie, quand la patrie est en danger[37]...

 

A peine Danton a-t-il fini de parler que Merlin (de Thionville) s'élance à la tribune et demande que l'on passe la nuit, s'il le faut, pour discuter et décréter les mesures que vient de proposer le ministre de la justice. Celui-ci avait eu soin d'apporter, tout préparé. un projet de décret ; Merlin s'en empare et le convertit en motion :

1° Des visites domiciliaires seront faites, par les officiers municipaux et leurs délégués, dans toutes les communes de France, afin de constater la quantité des munitions et le nombre des armes, chevaux, charrettes et chariots qui se trouveraient chez les citoyens ;

2° Chaque section de Paris nommera trente commissaires pour procéder à ces visites, qui devront être faites immédiatement et terminées dans la huitaine ;

3° Les visites aussitôt terminées à Paris, des passeports seront délivrés aux citoyens, conformément aux lois antérieures au 10 août ;

4° Les municipalités sont autorisées à désarmer tous les suspects et à distribuer leurs armes aux défenseurs de la patrie et de l'égalité ;

5° Tout citoyen chez lequel seront trouvées des armes non déclarées sera réputé suspect, et ses armes seront confisquées.

Dans la rédaction de ce décret, on avait eu grand soin de déguiser le but véritable que l'on se proposait. Ainsi, on ne parlait que de l'arrestation des citoyens chez lesquels on trouverait des armes non déclarées, et qui, par ce fait, pourraient être supposés avoir de mauvaises intentions. On ne prononçait le mot de visites domiciliaires que pour dire qu'elles ne devaient pas avoir d'autre but que dé constater ln quantité de munitions et le nombre d'armes et de moyens de transport dont on pouvait disposer. On faisait surtout luire l'espérance qu'aussitôt les visites terminées, les relations entre la capitale et les départements seraient débarrassées de toute entrave ; enfin, pour mieux dissimuler l'origine de ce projet, né dans les conciliabules de l'Hôtel de Ville, on en étendait l'application à toutes les communes de France.

L'Assemblée se figure que toutes ces mesures ont été concertées entre les chefs de la majorité et les divers ministres. Sans renvoi à la commission extraordinaire, sans discussion, de confiance, elle vote le fatal décret. Danton en presse l'expédition et, triomphant, court le porter lui-même au conseil général de la commune.

 

VIII

Danton avait pleinement rempli ses promesses, et même surpassé les espérances de ses amis de l'Hôtel de Ville. Il avait fait accepter à ses collègues une proposition presque inoffensive, puis, sous leur nom, enlevé à l'Assemblée le vote d'un décret qui approuvait en principe les violences que méditait la commune. Celle-ci, aussitôt le décret rendu, aggrave, par un arrêté spécial, toutes les dispositions déjà exorbitantes arrachées à l'inattention de l'Assemblée et laisse à ses agents le soin d'outrepasser les instructions qu'elle leur donne publiquement. Le décret avait été voté dans la nuit du 28 août. Dans la matinée du 29, l'arrêté municipal est affiché, le comité de surveillance transmet ses derniers ordres aux quarante-huit sections, et le jour même, à quatre heures du soir, commence l'exécution des formidables mesures prises par la commune pour ne laisser échapper aucun de ses ennemis.

Dans tous les quartiers en même temps les tambours battent le rappel. Les habitants sont prévenus qu'ils doivent rentrer immédiatement chez eux. Les boutiques sont fermées, les portes sont closes. Des corps de garde improvisés s'établissent à tous les coins de rue ; des bateaux-pataches surveillent le haut et le bas de la rivière ; on met garnison dans tous les établissements qui se trouvent sur la Seine et jusque dans les bateaux de blanchisseuses. Afin que personne n'ait un prétexte, une excuse pour rester hors de chez soi, les séances des clubs, les assemblées des sections, les audiences des tribunaux sont suspendues. Le tribunal extraordinaire dont, au nom de la vengeance populaire, on presse chaque jour les jugements, est invité lui-même à interrompre le cours de ses travaux. On pousse le luxe des précautions jusqu'à établir, au delà des barrières parisiennes, une seconde ligne de postes armés. Des battues sont faites à travers les promenades et les bois des environs.

Aux termes de l'arrêté pris par la commune, toute circulation, même pour les affaires les plus urgentes, est interdite ; toute voiture, quelle qu'elle soit, doit être remisée. Tout particulier ayant un domicile à Paris, qui sera trouvé chez un autre au moment de la visite domiciliaire, sera, par ce fait seul, réputé suspect, et, comme tel, mis en état d'arrestation. On doit apposer les scellés sur les portes des appartements dont on ne trouvera pas les locataires chez eux.

Le mouvement de l'immense cité s'arrête instantanément. Un silence de mort règne dans toutes les rues ; on dirait qu'une main invisible vient d'étendre un vaste linceul sur Paris. Chaque citoyen, rentré chez lui, compte les siens avec anxiété, et ne se rassure que si, à son foyer, il voit réunis tous les membres de la famille, dont on va lui demander dans un instant le nom, l'âge et les occupations. Il songe aux périls des amis, des parents dont il est séparé à peine par quelques centaines de pas, et qu'il ne lui est pas permis d'aller visiter. Chaque maison est un sépulcre, mais un sépulcre dont les tristes habitants pensent, veillent et écoutent.

Soirée affreuse, nuit plus affreuse encore, tourments dont ceux qui les subirent conservèrent toute leur vie le souvenir douloureux ! Qui pouvait, en effet, se croire à l'abri d'un soupçon stupide, d'une vengeance particulière, d'une audacieuse déprédation ? Comment empêcher quelques-uns des visiteurs, commissaires ou hommes à pique, de faire main basse sur quelque objet précieux, sur quelques chères reliques, sous prétexte de les porter à la section, où il serait plus prudent de les laisser que de les aller réclamer.

Dix heures du soir viennent de sonner. C'est l'heure prescrite par la commune pour commencer les visites domiciliaires. Les trente commissaires désignés dans chacune des quarante-huit sections sont à leur poste ; ils se sont partagé les circonscriptions, et se mettent deux par deux à la tête d'une forte escouade de sans-culottes. Sept cents maisons pourront être ainsi visitées à la fois dans Paris par sept cents groupes d'inquisiteurs armés jusqu'aux dents.

Bientôt on entend le pas cadencé des patrouilles qui s'avancent, posent leurs sentinelles, font illuminer les fenêtres. Le bourgeois comme l'artisan, retiré dans son intérieur, écoute anxieusement les colloques qui s'établissent entre les visiteurs et les visités, suit avec angoisse les péripéties de ces scènes qui se répètent à chaque porte, dans chaque maison, dans chaque appartement.

Au milieu de l'effroyable silence dans lequel Paris est plongé, on distingue les voix des commissaires interrogeant des malheureux qui répondent en tremblant ; le chœur que forment les hommes à pique, à bonnet rouge et à figure rébarbative qui, eux aussi, délibèrent, opinent et souvent décident ; les supplications des femmes et des enfants qui croient encore à la pitié et qui s'attachent aux genoux des inquisiteurs pour obtenir une grâce presque toujours impitoyablement refusée. On entend la porte qui se referme sur le père de famille que l'on entraîne, le roulement sourd de la voiture qui le conduit à la section ou à l'Hôtel de Ville, les ricanements et les éclats de voix des misérables qui se félicitent de leur capture. Partout où l'on peut espérer mettre la main sur quelque suspect, on procède aux plus minutieuses investigations. Des ouvriers spéciaux sont appelés pour chercher, découvrir, révéler les cachettes ; des serruriers sondent les murs, des maçons fouillent les caves, lèvent les pierres des fosses d'aisances ; d'autres, armés de pioches, remuent le sol des jardins jusqu'à la terre vierge.

D'après l'arrêté de la commune, les visites domiciliaires, commencées le 29 août, devaient être terminées le 30, à six heures du matin. Mais les commissaires y mirent tant de zèle, procédèrent avec un soin si minutieux, qu'en vertu d'un nouvel arrêté[38] elles se prolongèrent jusqu'au 31 août au soir.

Danton avait annoncé que l'on trouverait quatre-vingt mille fusils. On en recueillit à peine deux mille, mais si ces visites furent peu fructueuses pour l'armement des volontaires, elles furent fécondes en violences et en déprédations. Tous les citoyens désignés comme ayant signé une des pétitions constitutionnelles, comme professant des opinions antirévolutionnaires, comme affiliés à des sociétés anticiviques, — l'on comprend l'élasticité de chacune de ces qualifications, — avaient été signalés d'avance à l'attention des commissaires, qui ne se firent pas faute de les traiter avec la plus grande brutalité. N'étaient-ils pas hors de la loi commune, puisque déjà, de son autorité privée, la municipalité les avait exclus des assemblées primaires et les avait ainsi privés du titre de citoyen ? On ne respecta ni la vieillesse ni la maladie ; on arracha de leurs lits pour les emporter à l'Abbaye de pauvres gens qui tremblaient la fièvre et qui n'avaient commis d'autre crime que d'avoir apposé leur signature au bas d'une pétition, ou d'avoir eu autrefois quelques relations d'affaires avec tel ou tel personnage de la Cour. Les ordres contre ceux qui cherchaient à s'échapper étaient si sévères, ils furent exécutés avec tant de rigueur, qu'un des membres du conseil général de la commune, Lemeunier — de la section de la place Royale —, qui présidait à cheval aux visites domiciliaires et que sa monture emporta tout d'un coup, fut tué par une sentinelle qui le prit pour un fugitif.

Un nombre considérable d'arrestations furent opérées dans une seule nuit. Quelques historiens disent trois mille ; d'autres portent ce chiffre à huit mille. Il est impossible d'avoir aucune certitude à cet égard. Des individus arrêtés, et même des plus compromis, parvinrent à s'évader moyennant finance. Les salles d'attente des sections, de l'Hôtel de Ville, du conseil de surveillance, étaient tellement encombrées, il y régnait une telle confusion que la connivence intéressée de certains commissaires put facilement être mise sur le compte de l'erreur ou de l'oubli[39]. Mais tous les malheureux qui arrivèrent jusqu'aux prisons y furent bien et dûment écroués ; copie de ces écrous fut transmise au conseil de surveillance et au procureur de la commune, Manuel ; elle leur servit à former leurs listes de proscription.

 

IX

Pendant et après les visites domiciliaires, la commune, bien loin de chercher à apaiser les justes ressentiments de la Législative, redouble d'audace. Le 26, elle avait attaqué la représentation nationale, non pas seulement dans son autorité légitime, mais encore dans son honneur par la lettre que Tallien avait signée. Deux jours après, elle va plus loin ; une adresse, qu'elle Fait placarder sur les murs de Paris, signale à la vengeance publique, sans nommer personne, les traîtres que renferme l'Assemblée et les trames qui s'ourdissent dans ses comités.

Mais, tandis qu'elle dénonce les autres, elle est elle-même dénoncée par ses propres membres. Au moment où, dans tout Paris, l'on procède aux visites domiciliaires, deux municipaux, appartenant à la section des Lombards, paraissent à la barre de l'Assemblée[40]. Ils ont représenté leur section à l'Hôtel de Ville dans la nuit du 9 au 10 août. Ces commissaires de la première heure ne sauraient donc être suspects de modérantisme ; cependant, ils sont tellement las de leur part de souveraineté, qu'ils viennent la déposer dans les mains des représentants du peuple.

Nommés, dit l'un d'eux, Lelièvre, par la section des Lombards pour ses représentants à la commune, nous n'avons pu voir sans douleur les nombreux abus qui paraissent s'introduire dans la nouvelle organisation du conseil général. Le rôle que nous remplissons est pénible, nous ne nous le dissimulons pas ; mais nous ne pouvons hésiter entre notre devoir et les inconvénients qui peuvent résulter pour nous de l'avoir rempli. Chacune des sections, en nommant des commissaires, n'a pas entendu leur donner la souveraineté en partage. Toutes savaient qu'elle vous appartient, qu'elle appartient au peuple en masse, et qu'aucune section partielle ne peut s'en attribuer l'exercice.

A ce début, l'Assemblée éclate en applaudissements ; son exemple est suivi par les tribunes elles-mêmes. Encouragé par cet accueil, l'orateur n'hésite pas à flétrir, comme illégaux, les arrêtés auxquels il a lui-même participé, et notamment ceux qui ont supprimé le directoire du département, réduit arbitrairement les pouvoirs des nouveaux administrateurs élus, et mis le maire de Paris, le probe et vertueux Pétion, en état de nullité absolue. — La section des Lombards, ajoute-t-il, abandonnant le charlatanisme des grands mots, ne se laisse point égarer par le faux zèle des intrigants et des ambitieux. Elle ne veut voir la souveraineté du peuple que dans ses représentants et non plus dans cette commune qui a jeté la pomme de discorde en dénonçant les Guadet, les Vergniaud, les Condorcet, les Brissot, tous ceux qui se sont constamment et courageusement dévoués à la défense des droits du peuple et au maintien de la liberté et de l'égalité.

L'orateur connaissait les collègues à côté desquels il avait siégé depuis vingt jours. Il savait combien pouvait être terrible la vengeance qu'il attirait sur sa tête ; néanmoins, il achève ainsi son courageux discours :

Je me suis dévoué à vous faire entendre la vérité, et, dût la malveillance m'atteindre en sortant de cette enceinte, j'emporterai du moins le sentiment de la satisfaction pure qu'un homme éprouve quand il a rempli son devoir.

Le président adresse aux pétitionnaires de chaleureux remerciements sur leur patriotisme :

L'Assemblée, dit-il, a une confiance entière dans le bon esprit des sections de Paris. Elle se fera un devoir de défendre constamment les droits et les intérêts du peuple, et de lui désigner ceux qui tenteraient de l'égarer... Les premiers moments d'une révolution sont toujours orageux ; mais, dès que les secousses en sont terminées, la loi doit reprendre son empire[41].

Sur la demande de Lecointre-Puyraveau, l'adresse de la section des Lombards est renvoyée à la commission extraordinaire, et, une heure après, Vergniaud vient, au nom de cette même commission, non répondre à cette pétition, — elle était d'une date trop récente pour cela, — mais à celle que Robespierre avait si insolemment présentée trois jours auparavant au nom de la commune elle-même.

Le rapport de Vergniaud est aussi sévère que laconique ; on pressent, en l'entendant, que la commission extraordinaire retient à peine la foudre dont elle se propose de frapper bientôt l'audacieuse rivale de l'Assemblée.

Vous nous avez renvoyé une pétition présentée par la municipalité provisoire de Paris. La commission a pensé qu'il fallait s'en tenir aux principes, et, en conséquence, elle vous propose le projet de décret suivant :

L'Assemblée, considérant qu'il n'appartient qu'à la Convention nationale de changer l'ordre des pouvoirs établis par la constitution, décrète qu'il n'y a lieu à délibérer sur la demande des représentants provisoires de la commune de Paris.

L'Assemblée adopte sans discussion le rapport et le décret.

Que faisaient cependant les dictateurs de l'Hôtel de Ville tandis qu'on recevait avec dédain leurs pétitions et que l'on affectait de leur rappeler ce titre précaire de représentants provisoires, qu'ils avaient effacé de leurs actes, comme ils eussent voulu l'effacer du souvenir de tous leurs adversaires ? Ils se déclaraient inviolables au nom du salut de la patrie ! Voici, en effet, la réponse que la commune fit le jour même (29 août) à Lelièvre et à Vergniaud, réponse dont elle ordonna l'impression et l'envoi aux quarante-huit sections.

Le Conseil général, considérant que les ennemis de la patrie s'agitent dans tous les sens pour diviser entre eux les citoyens dont l'union intime fait la plus grande force ;

Considérant qu'il faut déjouer les projets coupables de ces hommes, qui veulent renverser la liberté à quelque prix que ce soit ;

Considérant qu'il est du devoir de ceux qui, le 10 août, ont sauvé la chose publique par leur fermeté et leur courage, de détromper encore ceux de leurs concitoyens qui pourraient être égarés ;

Considérant que la très-grande majorité des sections ayant confirmé les pouvoirs de leurs commissaires, ce serait une lâcheté de leur part d'abandonner le poste où ils ont été placés par la confiance de leurs concitoyens, au moment où les dangers de la patrie sont plus imminents que jamais ;

Considérant enfin combien il est important que le Conseil général de la commune, centre commun de l'administration, ne se trouve pas, par des combinaisons perfides, privé de ses membres, qui tous ont des missions particulières à remplir ;

Arrête que les commissaires nommés par les différentes sections, à l'époque du 10 août, ne pourront être destitués, à moins qu'il n'y ait contre eux des preuves d'incivisme ou de négligence, lesquelles seront discutées dans les assemblées générales des sections, et portées jusqu'à l'évidence.

 

X

Le 29, dans la séance du soir, une députation de la Halle au blé confirme ce qu'avait dit le matin Lelièvre, au nom de la section des Lombards. Elle dénonce les représentants de la commune comme ayant usurpé une partie du pouvoir souverain, déclare qu'elle a rappelé ses six commissaires et demandé le rétablissement des anciens administrateurs[42].

Le lendemain, les plaintes contre les usurpations de la commune continuent d'affluer. A l'ouverture de la séance, un citoyen se plaint d'avoir été maltraité dans une assemblée primaire parce qu'il a exprimé son opinion contre les arrêtés du conseil général[43]. Cette dénonciation est fort bien accueillie et renvoyée à la commission extraordinaire. Un instant après, le ministre de l'intérieur annonce que la commission des subsistances, en qui le conseil exécutif a mis toute sa confiance, vient d'être cassée.par le conseil de la commune, et que tout se trouve arrêté dans cette partie importante de son administration. Il prie l'Assemblée de prendre de promptes mesures, car il ne répond plus des subsistances de Paris[44].

La communication ministérielle provoque de nouvelles plaintes ; les accusations trop longtemps contenues éclatent de toutes parts ; ce sont les Montagnards qui en donnent eux-mêmes le signal. Choudieu déclare que les représentants provisoires de la ville de Paris ont désorganisé l'administration publique, usurpé des droits qu'ils ne possédaient pas, et démérité de la confiance de leurs concitoyens.

Il faut, ajoute Cambon, il faut que l'on fasse représenter à la commune les pouvoirs qui ont dû lui être donnés par le peuple ; et si le peuple n'en a pas donné, on doit le faire rentrer dans ses droits... Car, s'ils n'ont pas de pouvoirs, ce sont des usurpateurs, et ils doivent être punis comme tels[45].

L'Assemblée décide que la commission extraordinaire examinera la conduite de la municipalité provisoire. Les dénonciations n'en continuent pas moins, non plus sur les faits généraux, mais sur les actes personnels de certains des deux cent quatre-vingt-huit.

Le ministre Roland se plaint de ce qu'un municipal ait enlevé du garde-meuble un petit canon, dit de Siam, garni en argent. Choudieu lit une lettre de Restout, inspecteur de ce dépôt national, qui confirme le fait et qui raconte que le même municipal, après lui avoir remis un reçu en forme de sa capture, est revenu le lendemain, qu'il a fait enlever une armoire pleine d'effets, qu'il a ordonné d'ouvrir les secrétaires de personnes habitant l'hôtel, et enfin emporté des armes et des papiers. Cambon propose, aux applaudissements de toute l'Assemblée, que ceux qui ont commis un acte aussi étrange, comparaissent à la barre pour y rendre compte de leur conduite.

Lorsque avec deux de mes collègues, raconte à son tour Larivière, je fus chargé de dresser l'inventaire des objets appartenant au roi, j'aperçus un particulier revêtu d'une écharpe et se disant membre du corps municipal ; il avait rempli ses poches d'effets pris au château. Nous chargeâmes un officier municipal dont nous connaissions la probité de lui faire restituer ces effets et de faire examiner sa conduite...

Que le peuple sache qu'il a été trompé dans son choix, et qu'il porte l'examen le plus sévère sur ces sortes d'êtres ambitieux, qui ont profité de cette crise pour usurper les pouvoirs... Il faut que l'on purge la société de ceux qui la déshonorent[46].

L'heure du jugement semble être arrivée pour les dominateurs de l'Hôtel de Ville. C'est encore Choudieu qui, s'élançant une troisième fois à la tribune, dénonce le plus récent des attentats commis par la commune de Paris contre la liberté individuelle et la liberté de la presse.

Dans.la personne de quel écrivain, ces principes sacrés viennent-ils d'être violés ? S'agit-il de quelque citoyen obscur ou suspect de royalisme ? Non, celui que menacent les foudres municipales a préparé par ses écrits l'insurrection du 10 août ; il a été des plus ardents à en saluer le triomphe ; il a toujours compté, il compte encore parmi les membres du club des Jacobins. Seulement, quoique républicain sincère, ou plutôt à cause de la sincérité même de son républicanisme, il a essayé de résister au flot montant de la marée démagogique ; mais il a un autre tort, il est rédacteur du Patriote français, le journal de Brissot.

La commune, dont Robespierre était l'oracle, épousait toutes les haines du rancuneux tribun, et, n'osant pas encore s'attaquer directement à l'homme d'État de la Gironde, elle voulait frapper à ses côtés son ami le plus intime.

Girey-Dupré avait publié le 28 août, en tête des faits Paris, trois lignes ainsi conçues[47] :

Les élections commencent aujourd'hui[48], la Commune a arrêté de faire des visites domiciliaires pour forcer les citoyens à donner leurs fusils ou à marcher.

Cette nouvelle n'était pas d'une parfaite exactitude ; mais au moment où écrivait le journaliste, au moment où paraissait son journal (le 28 août au matin), pouvait-il prévoir que la Législative, sur la demande de Danton, s'approprierait quelques heures après le projet municipal ? Sans doute, il était permis à la commune de contraindre un journaliste à la rectification d'une erreur ; elle pouvait même en requérir !la punition judiciaire ; mais, habituée à mépriser toutes les formes, à passer par-dessus toutes les lois, elle avait trouvé beaucoup plus simple d'ordonner que l'éditeur du Patriote français comparût dans les vingt-quatre heures à sa barre pour s'expliquer sur l'imposture qu'il avait imprimée dans sa feuille.

Fort de son droit, Girey-Dupré avait répliqué à cette citation extra-légale par une lettre que Choudieu lit au milieu d'un silence imposant.

Vous m'avez mandé à votre barre, écrivait le jeune publiciste au conseil général ; je ne m'y rends pas, parce que vous n'avez pas le droit de m'y mander, parce que je connais et que je maintiendrai mes droits. Si vous vous croyez calomniés ou insultés, il est des tribunaux où je vous attends ; mais vous n'êtes pas un tribunal et encore bien moins pouvez-vous juger dans votre propre cause. Si vous voulez essayer votre pouvoir contre les écrivains patriotes et détourner, en les effrayant, la vérité qu'ils doivent au peuple, et qu'ils lui diront, vous avez mal choisi l'objet de cette épreuve. Je suis fermement résolu à défendre jusqu'à la mort la liberté individuelle et la liberté de la presse que vous attaquez, les droits de l'homme auxquels vous attentez, les droits du peuple que vous usurpez.

Choudieu donne également lecture d'une autre lettre adressée au président de l'Assemblée nationale, et dans laquelle Girey-Dupré ne craint pas de signaler avec une noble véhémence la conduite tyrannique des commissaires provisoires de la commune de Paris, leur avidité à se partager les places et à recueillir les fruits de leur dictature, le système d'avilissement qu'ils osent pratiquer contre le corps législatif. Il est temps, ajoute-t-il, que l'Assemblée fasse cesser tous ces désordres, qu'elle rende au peuple ses droits, qu'elle maintienne la liberté individuelle et la liberté de la presse contre les entreprises des usurpateurs. Le moment presse. Le corps électoral va s'assembler[49].

Les deux lettres du rédacteur du Patriote sont couvertes d'applaudissements, sa plainte est renvoyée à la commission extraordinaire pour qu'elle en fasse incessamment le rapport. Bernard (de Saintes), autre montagnard aussi peu suspect que Choudieu de pactiser avec le parti vaincu, demande que les signataires du mandat d'amener décerné contre Girey-Dupré soient tenus de comparaître à la barre des représentants de la nation pour y rendre compte de leur conduite[50]. La motion est décrétée sans discussion.

L'Assemblée essaye de reprendre son ordre du jour et de discuter les mesures de salut public qu'exige la marche des ennemis sur Verdun. Tout à coup Gensonné annonce, au nom de la commission extraordinaire, que, sur l'ordre du conseil général de la commune, l'hôtel du ministère de la guerre vient d'être investi par des hommes armés, et que, pendant plus de deux heures, les bureaux de cette administration ont été privés de toute communication avec le dehors et empêchés de pourvoir aux urgentes nécessités du salut public. Pourquoi ce déploiement de forces ? pourquoi ce trouble apporté dans un moment aussi critique aux opérations si multiples dont le ministère de la guerre était chargé ? On supposait que Girey-Dupré s'y était réfugié !

Gensonné dépose sur le bureau la lettre même que Servan a écrite à la commission extraordinaire, en réponse aux explications qu'elle lui avait fait demander sur un fait aussi étrange[51].

L'Assemblée entière manifeste la plus vive indignation. Les Girondins comprennent que c'est le moment de frapper le coup décisif qui doit irrévocablement les débarrasser de la dictature de la commune insurrectionnelle. Grangeneuve s'élance à la tribune et s'écrie que, puisque les circonstances qui ont nécessité provisoirement l'organisation actuelle de la commune de Paris sont changées, il faut rétablir l'ancienne municipalité.

Guadet répond que la commission extraordinaire s'est occupée de cet objet, qu'elle partage en très-grande partie l'opinion de Grangeneuve ; qu'un rapport devait être fait, mais que les paroles du préopinant l'en dispensent, et qu'il se contentera dès lors de lire le projet de décret qui a été préparé :

L'Assemblée nationale, considérant qu'il s'est élevé des réclamations sur les pouvoirs des commissaires provisoires de la commune de Paris, que quelques sections ont déjà révoqué leurs commissaires et demandé un nouveau mode d'organisation ;

Considérant qu'il importe, pour assurer la tranquillité des citoyens, le service de toutes les branches d'administration, et notamment de celle des subsistances, de fixer l'organisation du conseil général de la commune, en attendant le terme prescrit par la loi pour les réélections, décrète qu'il y a urgence.

ART. Ier. Les sections de Paris nommeront, dans le délai de vingt-quatre heures, chacune deux citoyens, lesquels, réunis, formeront provisoirement, et jusqu'à la prochaine élection de la municipalité de Paris, le conseil général de la commune de Paris.

ART. II. D'abord après l'élection ordonnée par le précédent article, les commissaires nommés par les quarante-huit sections et qui ont provisoirement remplacé, depuis le 10 août, le conseil général de la commune, cesseront d'en exercer les fonctions.

ART. III. Le maire de Paris, le procureur. de la commune, les membres du bureau municipal et ceux du corps municipal, qui étaient en exercice le 10 août présent mois, continueront d'exercer leurs fonctions jusqu'à leur remplacement.

ART. IV. Le pouvoir exécutif national est chargé de faire exécuter sans délai le présent décret, et d'assurer également l'exécution de la loi qui met la force publique de Paris à la seule réquisition du maire de cette ville.

 

Aux voix ! aux voix ! crient un très-grand nombre de députés, et le projet de la commission extraordinaire est à l'instant même adopté sans discussion.

Cependant Chabot et Fauchet demandent que l'on n'expédie pas la loi nouvelle sans décréter en même temps que les citoyens de Paris et les fédérés ont bien mérité de la patrie[52]. Quelques autres Montagnards veulent que le bénéfice de cette mention honorable soit étendu aux commissaires provisoires des sections pour ce qu'ils ont fait dans la journée du 10 août. L'Assemblée, qui croit n'avoir plus rien à craindre du pouvoir qu'elle vient de briser, et qui ne veut pas avoir l'air de marchander à son ancienne rivale une banale satisfaction, enveloppe tous les auteurs de la révolution du 10 août dans un même décret de reconnaissance. C'est, on le sait, une pratique assez usitée dans plus d'une assemblée politique que d'enterrer ainsi pêle-mêle tous ceux dont on espère ne plus entendre parler[53].

 

XI

La commune insurrectionnelle du 10 août est légalement dissoute. Mais se laissera-t-elle arracher les pouvoirs dont, depuis vingt jours, elle a su faire un usage si fructueux pour elle, si terrible pour les autres ? Après avoir tant de fois imposé sa volonté aux représentants de la nation, subira-t-elle leur décret sans résistance ? Si elle résiste, l'Assemblée trouvera-t-elle en elle-même assez de force et d'énergie pour la contraindre à obéir à la loi ?

Les fameux commissaires de la majorité des sections avaient eu à manier des sommes considérables, ils avaient reçu en dépôt les objets précieux enlevés des maisons nationales et des églises, les effets et bijoux trouvés aux Tuileries, dépouilles opimes de l'insurrection. Ils devaient donc, s'ils sortaient de l'Hôtel de Ville, rendre leurs comptes de gestion, — ce qui était déjà fort difficile, faire disparaître la trace des dilapidations et abus de confiance que beaucoup d'entre eux avaient pu commettre, — ce qui était à peu près impossible dans le court intervalle de vingt-quatre heures, qui leur étaient accordées pour vider les lieux. D'autre part, les élections primaires, desquelles allaient sortir au second degré les députés de la Convention, étaient commencées, et les meneurs de la commune se sentaient perdus s'ils ne trouvaient asile dans cette assemblée et s'ils ne lui composaient une députation parisienne capable de la dominer par la terreur. Dans un double intérêt politique et financier, les représentants provisoires de la commune étaient donc fort peu disposés à se laisser déposséder de fonctions qui les rendaient tout-puissants et invulnérables.

Aussi, dès que la première nouvelle du décret arrive à l'Hôtel de Ville, Tallien adresse à chacun des membres du conseil de la commune une circulaire ainsi conçue :

Vite à votre poste, chers collègues ; un décret de l'Assemblée nationale vient d'être rendu à l'instant : le Conseil général est cassé ; encore aujourd'hui vous êtes les représentants du peuple ; venez vous réunir à nous, nous vous attendons à la maison commune[54].

 

Nous verrons bientôt quels furent les résultats de ce pressant appel.

Le 30 au soir, l'officier municipal Daunay, accusé d'avoir enlevé le fameux canon damasquiné en argent, comparait à la barre de la Législative, et s'efforce de justifier son étrange conduite ; il apporte des certificats qui prouvent que le canon est déposé à la section du Roule[55]. Quant aux perquisitions qu'il a faites chez l'un des habitants de l'hôtel du Garde-Meuble, il prétend ne s'y être livré que parce qu'on lui a dénoncé le particulier comme suspect ; s'il a fouillé le secrétaire, s'il a emporté des papiers, c'est par simple mesure de police. Du reste, dit-il en terminant, j'ai eu soin de dresser procès-verbal de tous ces faits !

Bazire demande que l'Assemblée se déclare satisfaite des explications de l'officier municipal, mais Lacroix s'oppose vivement à cette proposition : L'Assemblée, dit-il, ne doit prononcer que sur le vu des procès-verbaux qu'on lui promet.

Grangeneuve fait observer que rien n'est plus contraire à une apposition de scellés que l'enlèvement préalable des effets. Daunay, après quelques tergiversations, est obligé d'avouer qu'il a fait forcer par un serrurier les portes et les armoires de l'appartement qu'il a visité au Garde-Meuble. L'explication parait suspecte, et l'Assemblée, loin d'accorder à l'inculpé le satisfecit réclamé par Bazire, renvoie la conduite de cet agent de la loi à l'examen de ses comités.

Le lendemain matin, Vergniaud vient, au nom des Vingt et un, lire deux décrets qui répondent chacun à l'un des deux incidents qui se sont produits la veille et l'avant-veille. En vertu du premier, tous les effets déposés au Garde-Meuble, ceux trouvés aux Tuileries, dans les églises, dans les maisons dépendant de la liste civile, sont déclarés appartenir à la nation ; le ministre de l'intérieur doit, dans le jour, donner des ordres pour faire rétablir au Garde-Meuble les objets qui pourraient en avoir été retirés et transportés dans d'autres dépôts ; il doit, dans deux jours, faire rendre compte par.les commissaires des sections qui, depuis le 10 août, ont formé le conseil de la commune, de tous les effets dont la garde a été confiée à leur surveillance ou qui ont été transportés à la maison commune ; enfin toutes les matières d'or et d'argent et tous les bijoux, retirés par les commissaires des maisons royales, des églises et autres lieux publics et particuliers, doivent être portés sans délai, et sous leur responsabilité, à la trésorerie nationale, et de là à l'hôtel des Monnaies[56].

Suivant le deuxième décret, il est urgent de réprimer les atteintes portées à la liberté individuelle par quelque autorité constituée que ce soit ; que dès lors il y a lieu d'annuler, comme attentatoires à la liberté individuelle et à la liberté de la presse, les mandats d'amener et d'arrêt décernés par le conseil général de la commune de Paris, le 30 août, contre le sieur Girey-Dupré, et d'enjoindre à la municipalité de Paris de se renfermer, à l'égard des mandats d'amener et d'arrêt, dans les bornes prescrites par la loi sur la police générale et la sûreté de l'État[57].

Les deux décisions étaient claires et précises : par la première, la commune était véhémentement soupçonnée d'avoir prêté les mains à des vols, à des déprédations ; par la seconde, elle était atteinte et convaincue de s'être livrée à des actes arbitraires.

Quelques députés semblent effrayés de la forme agressive donnée aux conclusions proposées par la commission extraordinaire. Charlier demande que le décret relatif à Girey-Dupré soit renvoyé aux Vingt et un, ah qu'ils présentent une simple explication sur les mandats d'amener. Thuriot invite ses collègues à ne pas condamner le conseil général sans l'entendre. Mais Vergniaud fait observer qu'il n'a déjà que trop tardé à obéir aux ordres de l'Assemblée. Thuriot cherche encore à excuser la commune et insinue que la publication du décret proposé pourrait avoir des dangers. — Je demande, s'écrie Marbot, qu'un membre de l'Assemblée qui a peur d'un représentant de la commune laisse faire ceux qui ont du cœur et du courage. — Reboul profite de cette interpellation énergique pour signaler à l'Assemblée l'affichage, sur toutes les murailles de Paris, de placards incendiaires signés Marat. On dit, ajoute le courageux député, qu'il ne faut pas traiter cette question dans ce moment-ci, et moi je dirai à ceux qui craignent un mouvement dans la capitale, qu'il s'élèvera un grand mouvement dans les départements qui étouffera celui de Paris... Quant à Girey-Dupré, il importe que la liberté de la presse soit vengée en sa personne, et que le citoyen qui n'a été poursuivi que par un ressentiment particulier et n'a point conspiré contre la sûreté de l'État, trouve au moins un refuge dans l'Assemblée nationale, dans l'asile de la loi.

Vergniaud relit le projet de décret relatif à Girey-Dupré ; il est adopté comme l'autre l'avait été quelques instants auparavant[58].

Cambon, aussitôt après le vote, s'écrie : Vous venez de venger un particulier d'un attentat contre la liberté, je viens vous demander de venger le peuple d'un attentat contre la sûreté générale ! Cela dit, il annonce l'évasion du ci-devant prince de Poix, et accuse les municipaux chargés de l'arrêter de s'être laissé séduire par lui. L'Assemblée prend en considération l'accusation de Cambon, et charge la commission extraordinaire de s'occuper de l'affaire. Larivière, qui, depuis le commencement de cette discussion, avait demandé la parole, l'obtient enfin[59] et s'écrie : Cette mesure ne suffit pas, je viens demander aux députés des quatre-vingt-trois départements s'ils ont assez d'énergie pour exiger, au nom de la nation, le respect et l'obéissance ?... Le président du conseil général de la commune provisoire de Paris a été mandé à votre barre, il n'a point paru et refuse d'obéir à la loi... J'ai entendu dire que le peuple... Ah ! peut-on avilir ainsi les Parisiens à leurs propres eux ? Peut-on ainsi dégrader la dignité nationale en nous supposant assez lâches pour ne pas réprimer les excès partout où ils se trouvent ? Messieurs, écoutez votre conscience, souvenez-vous de vos commettants et du compte que vous leur rendrez un jour. Conservez votre courage et faites respecter les lois... Je demande pour l'honneur des citoyens de Paris, pour le vôtre, que le citoyen mandé à la barre y soit amené séance tenante.

Des applaudissements frénétiques éclatent de toutes parts. Cependant, Lagrevol parvient à empêcher l'Assemblée de céder à son enthousiasme ; elle se contente de rappeler au ministre de l'intérieur l'exécution du décret rendu la veille[60].

 

XII

On venait à peine de reprendre l'ordre du jour, lorsque le président annonce que Pétion et Manuel, à la tête d'une nombreuse députation de la commune provisoire, demandent à être admis à la barre. Mais pour comprendre la nouvelle scène qui va se dérouler, il faut nous transporter à l'Hôtel de Ville et savoir ce que le conseil de la commune, réuni sur la pressante invitation de Tallien, a résolu dans le péril extrême où il se trouve.

Les usurpateurs, une fois le premier mouvement de colère passé, avaient senti la nécessité de donner à l'Assemblée quelque satisfaction illusoire qui perte de retarder l'exécution du décret de dissolution, et leur donnât le temps de mettre la dernière main à leurs préparatifs de défense. On avait accusé la commune d'avoir désorganisé les divers services municipaux, et notamment celui des subsistances, d'avoir systématiquement annihilé l'action du maire. Ils se binent de passer condamnation sur le premier point, en prenant un arrêté par lequel ils reconnaissent l'utilité dont peuvent être à l'administration les talents et l'expérience des anciens administrateurs, les réintègrent dans leurs fonctions, et déclarent que ceux qui ont été nommés à leur place devront être considérés comme leurs suppléants et auront seulement voix consultative dans les assemblées du corps et du bureau municipal. En même temps ils chargent Robespierre de rédiger une adresse à l'Assemblée nationale, dans laquelle il devra exposer toutes les mesures prises depuis le 10 août par les commissaires des sections, tous les exploits civiques dont ces sauveurs de la patrie ont marqué l'accomplissement de leur mission.

Le lendemain, 31, avant que Robespierre ait présenté l'adresse qu'il a rédigée dans la nuit, on veut s'assurer de la coopération sinon active, au moins matérielle de Pétion, et se servir une fois de plus de sa bonhomie d'emprunt pour endormir les ressentiments de ses amis de la Gironde. On lui envoie donc, avec la plus grande solennité, une députation chargée de l'inviter à venir honorer le conseil général de sa présence. Heureux et fier de l'importance qu'on daigne enfin lui reconnaître, le maire accourt aussitôt à l'Hôtel de Ville reprendre possession du fauteuil dont depuis vingt jours il a été écarté. A peine le tumulte occasionné par son arrivée est-il apaisé, que le substitut du procureur syndic se lève et se félicite, au nom de tout le conseil, de voir un magistrat chéri revenir à son poste. Le premier représentant de la cité pourra ainsi, ajoute l'orateur, se pénétrer des vérités qu'il va être chargé d'aller porter à l'Assemblée législative pour justifier le conseil général des inculpations aussi fausses qu'atroces dont on a osé le noircir.

Pétion commence à comprendre qu'il est pris au piège. Répondant à la harangue officielle qui vient de lui être adressée, il fait entendre quelques plaintes sur la position difficile qui lui a été faite depuis le 10 août. S'il a cru devoir s'abstenir de présider les séances du conseil, c'est, dit-il, qu'il n'a pas aperçu distinctement les fonctions qui lui étaient réservées, qu'il se trouvait placé entre les membres de la municipalité, qui ne se croyaient pas légalement destitués, et les patriotes, qui les remplaçaient, peut-être sans titre bien régulier. Il est plein de regrets pour ses anciens collègues, plein d'affection pour les nouveaux, tout en déplorant les erreurs dans lesquelles ils ont pu tomber. Il s'étend longuement sur les moyens de concilier les diverses prétentions, de réparer les erreurs du passé, d'empêcher un choc dangereux et impolitique entre la commune et l'Assemblée nationale. Il termine son discours, selon sa constante habitude, en vantant son courage, sa prudence et sa connaissance approfondie des hommes et des choses.

Le substitut du procureur général réplique, c'est-à-dire réfute les récriminations que vient de faire entendre Pétion, et entonne un nouvel éloge de tout ce qu'a fait le conseil général depuis le moment où il a été investi de la confiance du peuple[61].

Mais ce n'était pas pour entendre les remontrances aigres-douces de Pétion que le conseil était rassemblé, ii s'agissait d'approuver l'adresse que Robespierre avait été chargé de rédiger. Lecture en est faite au milieu d'applaudissements unanimes ; adoptée par acclamation, elle devra être portée à l'instant même à la barre de l'Assemblée. On annonce à Pétion que l'on a compté sur lui pour remplir cette mission, car, lui insinue-t-on, aux termes de la loi municipale spéciale à Paris, le premier magistrat de la commune doit se mettre à la tête de toutes les députations, qu'il approuve ou non l'avis qu'elles sont chargées de transmettre aux autorités constituées.

Depuis l'intronisation de la nouvelle commune, cet article de la loi avait été parfaitement oublié, et les dictateurs de l'Hôtel de Ville, qui envoyaient, presque tous les jours et même plusieurs fois par jour, des députations à l'Assemblée législative, n'avaient pas paru beaucoup s'en soucier. Mais aujourd'hui ils se le rappellent ; ils sont charmés de pouvoir faire réclamer la révocation du décret du 30 août par celui-là même qui est accusé d'en avoir été le secret promoteur.

Cette demande, formulée officiellement par le substitut du procureur de la commune, est accueillie avec la plus grande faveur par les tribunes ; leurs applaudissements redoublés trouvent un écho jusque sur la place de Grève au sein de cette tourbe que les meneurs tiennent à leur solde, et qu'ils font apparaître ou cachent dans l'ombre, suivant qu'ils ont besoin de terrifier leurs adversaires ou de les endormir dans une fausse sécurité.

En présence de cette immense acclamation, le maire de Paris n'élève plus aucune objection et sort accompagné des applaudissements de ceux qui viennent de se jouer si adroitement de son humeur crédule et de son aveugle passion des faveurs populaires.

 

XIII

Au moment où Pétion et les membres de la députation, chargés plutôt de le surveiller que de lui faire cortège, se présentent aux portes de la salle des Feuillants, l'Assemblée nationale venait de prendre les résolutions dont nous avons parlé, et qui étaient le complément logique du décret du 30 août.

Admis à la barre, le maire, qui ne veut pas se compromettre, prononce seulement ces paroles ambiguës : Messieurs, le conseil général de la commune vient vous exposer les motifs de sa conduite et vous présenter une mesure propre à concilier vos suffrages et l'intérêt public, une mesure qui mettra sur-le-champ l'administration en activité. La présentation ainsi faite, un reste de pudeur l'empêche de lire lui-même l'adresse, où se produisent à chaque ligne contre ses amis des accusations de défaillance qui l'atteignent lui-même ; il en laisse le soin à l'organe officiel de la commune, au secrétaire-greffier Tallien. L'insolent manifeste était ainsi conçu[62] :

Législateurs,

Les représentants de la commune se présentent aujourd'hui devant vous avec confiance. Ils ont été calomniés, ils ont été jugés sans être entendus ; ils viennent réclamer justice et vous dire la vérité tout entière.

Envoyés par le peuple, dans la nuit du 9 au 10 août, pour sauver la chose publique, pour renverser la tête altière du despotisme qui, fort de quelque succès, croyait pouvoir de nouveau réasservir le peuple français, ils ont dû faire ce qu'ils ont fait. LE MAL ÉTAIT GRAND, LE REMÈDE DEVAIT ÊTRE EXTRÊME, le peuple n'avait pas limité leurs pouvoirs ; il ne les avait pas circonscrits dans des limites étroites, il leur avait dit : Allez, sauvez-nous ; tout ce que vous ferez, nous l'approuverons.

Dans cette nuit mémorable, où le maire de Paris était retenu en otage au château des Tuileries, où le corps législatif était menacé, où des hordes mercenaires étaient réunies dans cette nouvelle Bastille pour égorger les amis de la liberté, nous, réunis dans la maison commune, nous préparions en silence la mine qui devait détruire taus les projets contre-révolutionnaires ; à minuit, vingt-sept sections[63], c'est-à-dire la majorité de la commune, avaient déjà envoyé des commissaires arec pleins pouvoirs de sauver la chose publique ; c'est de là que nous dirigions les légions citoyennes pour environner et protéger le lieu de vos séances. Nous vous le demandons, le corps législatif n'a-t-il pas toujours été respecté ? et, nous devons le dire, cette enceinte ne fut, dans ces moments orageux, souillée que par la présence du digne descendant de Louis XI et de la rivale des Médicis.

Si Louis XVI et sa famille respirent encore, ils ne doivent ce bienfait qu'à la générosité du peuple et au respect qu'il porte à l'asile que ces scélérats fugitifs avaient choisi.

Législateurs, vous avez applaudi vous-mêmes aux mesures que nous avons prises...

 

Ici Tallien est interrompu par le président, qui vient de recevoir un avis important du commandant du poste des Feuillants : Un rassemblement s'est formé aux portes de la salle ! La garde va être forcée ! Quel étrange commentaire aux premières paroles de l'orateur de la commune ! L'Assemblée réplique bravement à la menace par un ordre du jour, motivé sur ce que le peuple est incapable de violer l'enceinte où les législateurs discutent en son nom[64].

Ce grave incident vidé, Tallien reprend le réquisitoire, dans lequel le rédacteur, Robespierre, avait mêlé, avec l'art qui lui était propre, les récriminations les plus acrimonieuses, les menaces les plus violentes, les perfidies les mieux calculées, et avait su rendre l'Assemblée soli-daine de toutes les mesures tyranniques auxquelles la commune s'était livrée depuis trois semaines.

Vous avez partagé nos trop justes ressentiments ; notre énergie, nous osons le dire, a électrisé ceux d'entre vous que le modérantisme ou l'influence de la liste civile avaient plongés dans un état de torpeur qui depuis longtemps excitait la sollicitude des vrais amis de la liberté. Vous êtes remontés par nous et avec nous à la hauteur qui convient aux représentants d'un peuple qui veut demeurer libre.

Vous avez reçu nos communications fraternelles ; vingt fois vous nous avez entendus à cette barre, vous nous avez vous-mêmes qualifiés du titre auguste de représentants de la commune. Vous avez décrété que nous correspondrions directement avec vous. Vous ne doutiez donc pas alors de l'authenticité de ces pouvoirs dont vous nous demandez aujourd'hui de justifier.

Le pouvoir exécutif provisoire a aussi reconnu l'autorité dont nous avaient investis nos commettants. Il nous a consultés dans diverses circonstances.

Il a, ainsi que vous, approuvé la destitution de ce département contre-révolutionnaire, de ces juges de paix indignes de ce beau nom, qu'ils profanèrent pendant trop longtemps, de cette municipalité feuillantine qui, la première, avait déployé le fatal drapeau rouge contre des citoyens réunis paisiblement et exerçant un des droits les plus sacrés garantis par la Constitution.

Enfin, tout ce que nous avons fait, le peuple l'a sanctionné. Ce ne sont pas ici quelques individus pris isolément, c'est un million de citoyens qui émettent leur vœu. Interrogez-les, et partout vous entendrez ces mots : ILS ONT SAUVÉ LA PATRIE.

Nous sommes loin sans doute d'approuver les écarts qu'ont pu se permettre quelques-uns de nos collègues dans les missions particulières qui leur ont été confiées ; nous demandons, au nom de la commune, qu'ils soient punis s'il y a contre eux quelque accusation fondée ; mais nous protestons ici qu'il n'est émané de nous aucun ordre attentatoire à la liberté ou à la propriété d'un bon citoyen.

Oui, et nous nous en faisons gloire, nous avons séquestré les biens des émigrés, et nous avons fait en cela ce que depuis plus de six mois vous aviez ordonné au directoire du département de Paris de faire. Nous avons fait évacuer les maisons religieuses, et en cela nous croyons avoir rendu un grand service à la patrie, car, par ce moyen, la nation va à l'instant devenir propriétaire de 100 millions de domaines nationaux.

Nous nous sommes assurés des personnes des contre-révolutionnaires, nous les avons enfermés dans les prisons qu'ils nous destinaient, si leurs complots affreux eussent réussi ; mais nous l'avons fait avec ménagement, et ils ont tous été remis entre les mains des tribunaux, qui bientôt sans doute vengeront les insultes réitérées faites à la souveraineté nationale.

Nous avons proscrit les journaux incendiaires, et en cela nous avons encore sauvé la chose publique.

On nous reproche les arrestations, et on veut les faire regarder comme illégales ; mais ne nous avez-vous pas donné par un décret le mandat d'arrêt ? Ne redoutez pas que nous abusions de ce pouvoir. Les juges de paix l'ont avili ; nous, nous l'honorerons en n'en faisant usage que pour frapper les têtes des conspirateurs.

Nous avons fait des visites domiciliaires : qui nous l'avait ordonné ? Vous. Quel en était l'objet ? De se procurer des armes. Eh bien ! demain, nous vous les apporterons, ces armes, et vous les enverrez à ceux de nos frères qui avaient été envoyés sur nos frontières, sans aucun moyen de défense, par le pouvoir exécutif que vous avez anéanti à si juste titre.

Nous avons fait arrêter des prêtres perturbateurs, nous les avons fait enfermer conformément à votre décret, et sous peu de jours le sol de la liberté sera purgé de leur présence[65].

On nous a accusés d'avoir désorganisé l'administration ; à qui en attribuer la faute ? Aux administrateurs eux-mêmes. Où la plupart d'entre eux étaient-ils dans ces jours de péril ? On ne les rencontrait nulle part. Plusieurs même n'ont point encore paru à la maison commune. Jaloux, cependant, de repousser ce reproche injuste, nous allons roua donner lecture de l'arrêté que nous ayons pris hier, et qui répond victorieusement à toutes ces absurdes calomnies répétées avec tant de perfidie[66]....

Une section est venue réclamer dans votre sein contre nos opérations[67]. Nous n'examinerons pas en ce moment si quelques passions particulières, si quelques espérances trompées ne sont pas les causes de ces réclamations dictées à la section des Lombards par quelques intrigants bien connus ; nous dirons seulement que le vœu d'une seule section ne peut priver la commune de ses représentants reconnus et avoués par la majorité. En voici la preuve : Votre décret ne fut pas plutôt connu, qu'un grand nombre de sections vinrent nous apporter des actes d'adhésion à tout ce que nous avons fait et confirmer les pouvoirs donnés à leurs commissaires. Le peuple réuni dans les tribunes de notre salle et Sur la place de la maison commune manifesta par des cris non équivoques que nous étions encore les représentants du peuple et que nous n'avions pas perdu sa confiance.

Législateurs, vous venez d'entendre non pas notre justification, nous n'en avons pas besoin, mais le récit succinct et exact de nos opérations. Ce que nous avons fait, nous le répétons avec plaisir, ses de n'être pas démentis, le peuple l'a sanctionné. Si vous nous frappez, frappez donc aussi le peuple qui a fait la révolution le la juillet, qui l'a consommée le 10 août, et qui la maintiendra au milieu de tous les périls, de toutes les contrariétés, et malgré tous les intrigants couverts du masque du patriotisme.

Il est réuni en ce moment, le peuple, dans ses assemblées primaires, et y exerce sa souveraineté ; consultez-le, qu'il parle, qu'il prononce entre nous et nos triches calomniateurs ; qu'il nous ordonne d'abandonner le poste que nous avons tous juré de défendre jusqu'à la mort, et nous lui obéissons sur-le-champ ; qu'il nous retire le dépôt qu'il nous confia le 10 août, et, d l'instant, nous le lui remettons pur et intact ; nous retournerons dans nos foyers, contents d'avoir fait le bien et avec une conscience irréprochable. Telle est, législateurs, la réponse que nous avions à faire à votre comité des Vingt et Un. Il a travesti les faits, nous venons les rétablir ; il a calomnié nos intentions, il nous tardait de repousser arec une indignation civique les inculpations qui nous étaient faites, sans jamais cependant nous écarter du respect dû aux représentants de la nation.

Vous nous avez entendus, prononcez, nous sommes là. Les hommes du 10 août, dégagés de tout intérêt personnel, ne veulent que la justice, nous l'attendrons de vous ; s'il faut faire des sacrifices d'amour-propre, d'intérêt particulier, nous les ferons sans balancer, mais jamais nous ne composerons avec nos devoirs, jamais nous ne trahirons les intérêts du peuple, une pareille lâcheté est indigne de nous, est indigne de nos concitoyens, et jamais, non jamais, elle ne souillera tes pages de la Révolution française.

 

Pendant la lecture de ce long morceau d'éloquence, où les noms d'intrigants, de calomniateurs, d'imposteurs étaient prodigués aux membres de la commission extraordinaire, l'Assemblée était restée muette et impassible. A peine Tallien a-t-il achevé sa harangue que le procureur syndic Manuel demande l'autorisation d'ajouter une seule réflexion ; s'appuyant sur le vote malencontreux au moyen duquel les représentants de la nation avaient essayé d'adoucir, comme si cela eût été possible, le coup porté à la commune, il fait remarquer que l'Assemblée a rendu deux décrets contradictoires : Par le premier elle casse la commune provisoire, par le second elle déclare que cette commune a bien mérité de la patrie ; les commissaires ont à se plaindre de l'un ou de l'autre de ces décrets. Dès que le procureur de la commune a terminé son observation, le président Lacroix prend la parole en ces termes :

Toutes les autorités constituées dérivent de la même source. La loi dont elles émanent a fixé leurs devoirs, leurs fonctions, leurs limites. La formation de la commune provisoire de Paris est contraire aux lois existantes. Elle est l'effet d'une crise extraordinaire et nécessaire ; mais quand ces périlleuses circonstances sont passées, l'autorité provisoire doit cesser avec elles. Voudriez-vous, Messieurs, déshonorer notre belle Révolution, en donnant à tout l'empire le scandale d'une commune rebelle à la volonté générale, à la loi ? Paris est une grande cité qui, par sa population et les nombreux établissements nationaux qu'elle renferme, réunit le plus d'avantages ; que dirait la France, si cette belle cité investissait un conseil provisoire d'une autorité dictatoriale, voulait l'isoler du reste de l'empire, si elle voulait se soustraire aux lois communes, essayer de lutter d'autorité avec l'Assemblée nationale ? Mais Paris ne donnera point cet exemple. Un décret a été rendu hier, l'Assemblée nationale a rempli ses devoirs, vous remplirez les vôtres.

 

L'Assemblée et une partie des citoyens applaudissent vivement.

Vous demandez le rapport d'un décret, ajoute le président ; l'Assemblée examinera votre pétition ; vous devez tout attendre de sa justice : elle vous invite à la séance.

La mention au procès-verbal de l'adresse de la commune avec la réponse du président est mise aux voix et adoptée. Au moment où Lacroix cède le fauteuil à Vergniaud, trois citoyens paraissent à la barre.

Ils s'annoncent comme les députés du peuple, ils ne sont que les délégués de cette tourbe révolutionnaire, dont le chef du poste des Feuillants avait signalé la présence quelques instants auparavant.

Peuple des tribunes, s'écrie l'un d'eux, Assemblée nationale, et vous, monsieur le président, nous venons, au nom du peuple qui attend à la porte, demander de paraître à la barre et de défiler dans la salle pour voir ceux qui ont le courage de parler pour nous, pour voir les représentants de la commune qui sont ici. Nous avons tous signé le serment de mourir, s'il le faut, avec la commune.

Le président Vergniaud leur répond : l'Assemblée nationale a toujours défendu et défendra toujours, dans les plus grands périls, les intérêts du peuple ; mais ils seraient compromis si la loi était violée, si l'on manquait de respect aux représentants de la nation. L'Assemblée nationale, pleine du sentiment de sa dignité, n'oubliera pas qu'elle représente la nation tout entière ; et vous, elle vous invite à avertir vos concitoyens qu'elle maintiendra également la liberté du peuple et le respect dû aux autorités constituées.

Le président n'avait rien dit de la demande, qu'avaient faite les trois pétitionnaires, de défiler devant l'Assemblée, eux et leurs singuliers commettants. Lacroix fait observer dédaigneusement que l'Assemblée n'a pas de temps à perdre. Ces paroles ne découragent pas les pétitionnaires qui établissent à travers la salle une espèce de dialogue avec le député qui vient de descendre du fauteuil pour pouvoir mieux leur tenir tête.

L'UN DES PÉTITIONNAIRES. — Nous venons au nom du peuple, et nous demandons à voir nos représentants à la commune.

LACROIX. — Nous aussi, nous sommes vos représentants, monsieur.

UN AUTRE PÉTITIONNAIRE. — Le peuple est libre, et on lui ôte sa liberté.

LACROIX. — Je demande si nous sommes libres, nous ?

Une semblable scène ne pouvait se prolonger. Manuel, Tallien et quelques autres municipaux, restés à la barre, entraînent eux-mêmes leurs défenseurs officieux. Le procureur-syndic rentre bientôt et annonce que le rassemblement, beaucoup moins nombreux qu'on ne l'avait dit, vient de se dissiper à sa voix, et qu'il a fait arrêter les trois ou quatre très-coupables pétitionnaires. Manuel et ses collègues reçoivent les félicitations de l'Assemblée, mais ils n'en sont pas moins obligés de sortir sans avoir à rapporter à leurs amis de l'Hôtel de Ville la moindre espérance du retrait ou de l'abandon du décret qui a cassé la commune insurrectionnelle.

Le même jour, à la fin de la séance du soir, Huguenin, président du conseil général, et Mehée, secrétaire-greffier adjoint, viennent enfin, à la barre, obéir au décret qui les y a appelés pour s'expliquer sur le mandat d'arrêt lancé contre Girey-Dupré. — Si je ne me suis point présenté plus tôt, dit Huguenin, c'est que je n'ai connu que par les papiers publics, les ordres de l'Assemblée nationale. — Le secrétaire Mehée explique comment l'importance de l'affaire du Patriote français a été de beaucoup exagérée. Le conseil général voulait seulement éclaircir si le fait avancé par le journaliste provenait d'une erreur ou d'une calomnie, poursuivre celle-ci ou rectifier celle-là. On renvoie les allégations des deux prévenus à la commission extraordinaire, et on leur accorde les honneurs de la séance.

Si l'Assemblée avait eu la force de persévérer dans l'attitude calme et digne qu'elle avait su garder durant toute la journée du 31 août, la commune insurrectionnelle eût été définitivement brisée, et la page la plus sanglante des annales révolutionnaires n'aurait pas été inscrite dans l'histoire de notre pays.

 

 

 



[1] Toutes ces adresses se ressemblent et se valent ; seulement, comme spécimen, nous en donnons une qui ne manque pas d'une certaine originalité ; elle émane de la société populaire de Nîmes, et est datée du 21 août 1792.

Législateurs,

Nous applaudissons aux décrets salutaires que vous venez de rendre ; nous sommes des sans-culottes, nous ; les honnêtes gens changent plus souvent de vêtements et d'opinions. Les sans-culottes ne changent guère d'habits, ils se croient heureux lorsqu'ils en ont un. Quant à leur opinion, ils ne sauraient en avoir qu'une, c'est l'amour de la patrie ; celle-là, ils n'en changent jamais.

[2] Nous avons retrouvé la lettre de M. Anisson-Duperron et les deux billets de Manuel, relatifs à cette affaire.

M. Marat se présente encore à l'imprimerie nationale du Louvre pour demander un supplément de caractères et de divers ustensiles d'imprimerie, en vertu de l'ordre du comité de surveillance de la Commune, sur lequel il lui a déjà été remis quatre presses et un assortiment de caractères, et dont l'original, ainsi que le reçu de M. Marat, sont déposés au bureau de la commission extraordinaire de l'Assemblée nationale.

Le directeur de l'imprimerie nationale du Louvre supplie MM. de la commission extraordinaire de lui donner leurs ordres et leur décision en marge de ce mémoire, sur la nouvelle demande de M. Marat.

Le directeur observe que les quatre presses qui lui ont été enlevées par M. Marat font partie des dix qui ont été inventoriées comme appartenant à la nation, par décret de l'Assemblée nationale du 14 août 1790, et que les livraisons qu'il pourrait faire d'autres ustensiles d'imprimerie et de caractères diminuent d'autant la propriété nationale, dont il s'est reconnu le dépositaire, en même temps qu'elles affaiblissent de plus en plus les moyens pour l'exécution du décret de l'Assemblée nationale qui a mis l'imprimerie nationale en activité permanente de jour et de nuit.

ANISSON-DUPERRON.

 

MUNICIPALITÉ DE PARIS.

Enchaîné au parquet, messieurs, il m'est impossible d'aller, comme je le voudrais, causer avec vous d'un ordre que j'ignorais et qui n'a pu être donné que par erreur. On doit sentir que l'imprimerie nationale est indispensablement nécessaire au pouvoir exécutif. Deux commissaires de la commune vous exprimeront, messieurs, ses sentiments et ses principes.

P. MANUEL.

 

Ce que j'apprends m'étonne, messieurs, je croyais les presses nationales rendues ; on me l'avait promis, et il paraissait même que ce n'était pas un effort. Votre lettre et une nouvelle réquisition sont portées à l'instant au comité de surveillance, à la mairie, où j'espère que justice sera faite.

Signé : MANUEL.

[3] Journal de la République, n° du 19 août.

[4] La Commune invite, par une circulaire en date du 24 août, les quarante-huit sections à faire immédiatement l'inventaire et le dépôt de toutes les pièces qui sont entre leurs mains et peuvent jeter quelque lumière sur las crimes du 10 août, circonstances et dépendances, et sur leurs auteurs. Toutes ces pièces, — déclarations de suspects, dépositions de témoins, dénonciations, procès-verbaux d'arrestation, de perquisition, d'interrogatoire, d'apposition et de levée de scellés, — devront être réunies à la mairie et, par les soins du procureur de la commune, centralisées et cataloguées entre les mains du comité de surveillance.

[5] Voir la relation de Mme de Fausse-Lendry.

[6] Voir la note II du premier volume.

Les colères démagogiques poursuivaient non-seulement les prêtres insermentés, mais jusqu'aux sœurs de charité qui, encore à cette époque et au milieu des troubles populaires, continuaient de se dévouer au service des pauvres et des malades. Dans une lettre écrite à l'Assemblée par la section du Roule, en date du 24 août (Journal des Débats et Décrets, pages 33 et 35, n° 334 ; Moniteur, p. 1010), nous voyons que les sœurs grises de la paroisse de la Madeleine furent enlevées de la maison qu'elles occupaient encore et conduites devant le comité civil de la section. Une populace furieuse les entourait, les accablait d'injures et de menaces. Il fallut l'intervention de deux membres de l'Assemblée nationale, envoyés par elle, pour apaiser le tumulte et faire réintégrer les pauvres sœurs dans leur domicile.

Dans une autre lettre, adressée à la Législative par la section des Quinze-Vingts, et postérieure de quelques jours, nous lisons la dénonciation suivante : Les sœurs grises qui desservent l'hôpital des Enfants-Trouvés du faubourg Saint-Antoine, se sont constamment refusées, en 1790, à prêter le serment que la loi ordonnait à tout fonctionnaire public. — Les sœurs grises transformées en fonctionnaires publics !!! — Ces sœurs insinuent dans l'esprit des enfants les principes les plus dangereux, jusqu'à leur persuader que s'ils communiaient de la main d'un prêtre assermenté, ils recevraient le diable au lieu de Dieu ; elles ont constamment favorisé les prêtres réfractaires et au mépris de toutes les lois, elles en ont toujours retiré chez elles. D'après cet exposé succinct, vous jugerez, législateurs, si de pareilles femmes doivent continuer l'éducation des enfants de la patrie.

[7] Journal des Débats et Décrets, p. 25, n° 334.

[8] MM. Buchez et Roux, dans leur Histoire parlementaire, t. XVII, p. 159, donnent le texte même de cet arrêté.

[9] Les prêtres insermentés, qui avaient huit jours pleins à partir du 19 août, jour de la promulgation de la loi, pour sortir des limites du département, ne pouvaient être légalement arrêtés le 31 août et le 1er septembre. Le comité de surveillance, jouant sur les mots, ne les renferma donc pas dans des prisons proprement dites, mais bien dans des lieux de dépôt, dont l'établissement n'était prévu, ni par la loi, ni même par l'arrêté municipal. Ainsi s'explique naturellement pourquoi il ne fut pas établi de registre d'écrou pour les Carmes ni pour Saint-Firmin ; les noms des malheureux que, grâce à son odieux stratagème, le comité de surveillance avait fait déposer dans ces deux maisons furent à peine inscrits sur des feuilles volantes sans caractère authentique. Aussi, après les massacres, fut-il beaucoup plus difficile de constater le décès des malheureux prêtres, que celui des victimes égorgées dans les autres prisons.

[10] La discussion sur les enfants et veuves d'émigrés est à peine mentionnée dans le Moniteur, p. 1007 et 1008. Elle est reproduite avec plus de détails dans le Journal des Débats et Décrets, n° 334, p. 28 et suivantes.

[11] Moniteur, p. 1021. Journal des Débuts et Décrets, n° 332, p. 77-78.

[12] Voir la description de cette fête dans les Révolutions de Paris, de Prudhomme, n° CLXIV. MM. Buchez et Roux l'ont reproduite dans leur Histoire parlementaire, t. XVII, p. 209 et suivantes.

Cette description ne saurait être taxée de partialité en faveur du parti vaincu ; c'est un crime que l'on ne put jamais imputer au journaliste Prudhomme. Cependant on y trouve des aveux précieux à enregistrer ; à peine ont ils besoin de commentaire.

Les gardes nationales se montrèrent en foule à cette fête, pour se dédommager apparemment de ne s'être pas montrés le jour de l'action... Cette cérémonie lugubre, et dont le sujet devait tour à tour inspirer le recueillement de la tristesse, et une sainte indignation contre les auteurs du massacre dont on célébrait la commémoration, ne produisit pas généralement cet effet sur la foule des spectateurs ; dans le cortège, le crêpe était à tous les bras, mais le deuil n'était point sur les visages. Un air de dissipation, et même une joie bruyante, contrastaient d'une manière beaucoup trop marquée avec les symboles de la douleur et en détruisaient l'illusion.

Quelle réponse péremptoire, faite d'avance par Prudhomme aux historiens modernes, qui ont prétendu que la révolution du 10 août avait été opérée par la garde nationale de Paris et applaudie par la population entière de la capitale !

[13] Pendant tout ce temps, les débris de l'ancien directoire de département avaient continué de siéger, mais ne s'étaient occupés que des affaires urgentes, relatives aux autres communes du département ; quant à la capitale, les dictateurs de l'Hôtel de Ville y avaient mis bon ordre. Dès le 14, de leur autorité privée, ils avaient pris un arrêté par lequel ils déclaraient que les pouvoirs du département étaient suspendus pour tout ce qui concernait la ville de Paris. Le département s'était exactement conformé à cette injonction.

Les délibérations du directoire de Paris, dans la période du II au 21 août, sont signées par MM. Dumon, Leveillard, Gouniou, de Jussieu, de Faucompret. Rœderer, resté nominalement procureur-général-syndic, est, à partir du 14 août, remplacé par Gouniou, son suppléant ; il était obligé de se cacher, étant très-violemment attaqué par les vainqueurs à raison de sa conduite dans la matinée du 10 août.

[14] Le directoire, élu le 24 août, fut composé de MM. Régnier, Cournaud, Lachevardière, Leblanc, Colin, Piquenard, Salmon, Dubois et Momoro, tous individus qui étaient et qui restèrent parfaitement inconnus, à l'exception du dernier, grand ami de Chaumette et d'Hébert, et dont le nom reviendra plus d'une fois dans le cours de notre récit. Le nouveau procureur-général-syndic était un sieur Berthelot, aussi inconnu que ses collègues.

[15] Voici, d'après le discours même de l'orateur, les attributions dont le conseil général se reconnaissait investi :

Répartition dos contributions, exécution des travaux publics, surveillance de toutes les propriétés mobilières et immobilières appartenant à l'État, séquestre et vente des biens d'émigrés, encouragements à l'agriculture et à l'industrie, promulgation des lois.

[16] Cette lâche palinodie des administrateurs départementaux, cette audacieuse subversion de toute hiérarchie, est constatée d'une manière irréfragable par le Journal des Débats et Décrets, qui contient le récit des deux apparitions des administrateurs départementaux à la barre de l'Assemblée, l'une dans la séance du 22 août au matin (page 406 du n° 329 ), lorsqu'ils se présentèrent seuls ; l'autre à la séance du soir (page 7 du n° 330), lorsqu'ils revinrent accompagnes par Robespierre et la députation de la commune. Le Moniteur ne parle que de cette seconde démarche et ne dit pas un mot de la première.

Naturellement, le procès-verbal officiel de la commune dissimule une partie de la vérité ; il ne fait pas mention de la prétention primitive que les administrateurs départementaux avaient eue d'exercer véritablement et dans leur intégrité les fonctions auxquelles ils avaient été appelés.

Voici, du reste, comment ce procès-verbal raconte ce qu'il appelle lui-même l'abjuration du nouveau département de Paris :

Séance du 23 août.

Les membres désignés par les sections pour composer le nouveau directoire du département de Paris sont admis à la barre. L'orateur, dans un discours énergique, annonce, au nom de tous ses collègues, qu'empressés de concourir avec tous leurs concitoyens à l'établissement de l'égalité, ils seront toujours unis par les sentiments de la plus intime fraternité avec les représentants de la commune, et pour donner une preuve solennelle de la sincérité de leurs sentiments, ils abjurent, en présence du peuple, le titre de directoire du département pour ne conserver que celui de commission des impositions. L'assemblée, partageant ces sentiments, arrête que cette abjuration civique sera notifiée au peuple par une proclamation, et à l'Assemblée nationale par une députation de vingt membres qui sur-le-champ se rendront dans le sein du corps législatif.

[17] Deux mois plus tard l'imprudent Lacroix osait, devant la Convention nationale, rappeler à Robespierre cette humiliation et raviver ainsi la blessure d'un amour-propre si irritable. J'eus le courage, s'écriait-il le 29 octobre 1792, de combattre la demande de Robespierre, et l'Assemblée législative celui de passer à l'ordre du jour. Mors Robespierre me dit que si l'Assemblée ne l'adoptait pas de bonne volonté, on saurait la lui faire adopter par le tocsin. Le 5 avril 1794, la guillotine aux ordres de Robespierre devait venger d'un seul coup ces deux crimes de lèse-majesté dictatoriale.

[18] Voyez le Moniteur du 30 août et le Bulletin du tribunal criminel, n° 2.

[19] Bulletin du tribunal, n° 2.

[20] On lit sur le registre des délibérations du conseil général de la commune de Paris, à la date des 23 et 24 août 1792, les deux arrêtés suivants :

Séance du 23 août 1792.

Le procureur de la commune entendu, le conseil général arrête que la guillotine restera dressée jusqu'à ce qu'il en soit autrement ordonné, à l'exception, néanmoins, du coutelas que l'exécuteur des hautes œuvres sera autorisé d'enlever après chaque exécution.

Les commissaires nommés pour faire enlever le coutelas, étant au haut de la guillotine, sont MM. Merlin et Henriot.

 

Séance du 24 août.

Le conseil général autorise le fabricateur de machines à décapiter à en fournir une pour le département de Paris, sauf à lui à se faire payer par devant qui il appartiendra.

 

A cette époque (derniers mois de 1792), on guillotinait sur la place du Carrousel, en face des Tuileries, les condamnés pour crime politique jugés par le tribunal du 17 août, et sur la place de Grèse, en face de l'Hôtel de Ville, les criminels jugés par les tribunaux ordinaires.

Dès 1792, la commune avait ainsi mis, par le fait, la terreur à l'ordre du jour, comme plus tard la Convention le fit par un décret formel ; n'avons-nous donc pas eu raison de faire remonter l'inauguration de cet effroyable régime beaucoup plus haut que ne l'avaient fait la plupart des historiens nos devanciers ?

Au 24 août 1792 comme au 22 prairial an II, c'était Robespierre qui inspirait les deux seuls pouvoirs véritablement souverains : à la première époque la commune, à la seconde le comité de salut public. Qu'on ose encore réhabiliter ln mémoire de cet effroyable pourvoyeur de la mort !

[21] Bulletin du tribunal du 17 août, n° 5 et 8.

[22] Cette affaire Montmorin joue un grand rôle dans les récits des historiens qui se sont efforcés de faire triompher le système des circonstances atténuantes en faveur des auteurs des massacres de septembre. M. Louis Blanc, p. 137 et 138 de son t. VII, déclare que le tribunal du 17 août jetait l'insulte à la face de la nation en prononçant des jugements qui, comme ceux de Dossonville et de Montmorin, reconnaissaient que les prévenus avaient réellement coopéré aux délits qui leur étaient imputés, mais les déclaraient non convaincus d'avoir agi méchamment et à dessein de nuire. Suivant lui, ce furent ces décisions si extraordinaires, si contradictoir.es, si évidemment contre-révolutionnaires, qui exaspérèrent la population parisienne et la portèrent à se précipiter dans les prisons pour se faire justice elle-même. M. Louis Blanc n'a pas l'air de se douter que les considérants de ces jugements n'étaient : 1° que la reproduction textuelle du verdict du jury qui, d'après la manière dont il avait été choisi dans les sections parisiennes, ne devait pas cependant être suspect de modérantisme ; 2° que la stricte application de la législation d'alors, qui voulait que le jury fût consulté séparément sur la question du fait matériel et sur la question intentionnelle, questions que le code de 1810 a sagement réunies en une seule.

Nous donnons, à la fin de ce volume, un certain nombre de démentit inédits sur cette affaire, où l'on avait cherché à confondre les deux cousins dans une même accusation pour faire rejaillir sur fun l'animadversion qui, à tort ou à raison, pesait sur l'autre. Plus tard, on les confondit dans la même mort, car pendant que Luce était égorgé à la Conciergerie, Armand subissait le même sort à l'Abbaye.

[23] Plusieurs lettres, envoyées à des commandants de place, par d'anciens frères d'armes, furent imprimées, soit par les soins des officiers auxquels elles étaient adressées, soit par ceux de l‘Assemblée législative et de quelques municipalités.

[24] Voir 1er volume, p. 321 1re édition, p. 326, 2e édition.

[25] Voir le discours de Lebrun (Moniteur, p. 1000), Journal des Débats et Décrets, p. 18, n° 331.

Le ministre des affaires étrangères, en terminant son discours, avait assuré, il est vrai, que l'ambassadeur britannique, en s'éloignant momentanément, lui avait laissé un témoignage satisfaisant des sentiments de sa cour ; mais il avait, ainsi que ses collègues, parfaitement compris ce que signifiait cette retraite dont les motifs étaient assez mal déguisés. Dans leur séance secrète de l'avant-veille (21 août), les membres du conseil exécutif avaient décidé : que M. Chauvelin, alors ambassadeur de France en Angleterre, serait sur-le-champ rappelé, et qu'il ne serait plus envoyé auprès du gouvernement britannique que des agents secrets.

[26] Procès-verbal de la commune, 20 août.

[27] Cette discussion et ce décret se trouvent rapportés aux pages 20 et 21 du n° 331 du Journal des Débats et Décrets, séance du jeudi 23 août, 4 heures du soir. Le Moniteur n'en fait aucune mention.

[28] Arrêté du 16 août.

[29] Arrêté du 20 août.

[30] Arrêté du 17 août.

[31] Les cloches d'argent du Palais et celles de Saint-Germain-l'Auxerrois furent mises en pièces en vertu d'un arrêté spécial, parce que, disait Manuel, elles avaient donné le signal de la Saint-Barthélemy (arrêté du 25 août).

L'exécution de ces divers arrêtés donna lieu, dans le sein même de l'Assemblée, à des scènes que l'on pourrait croire contemporaines des temps où le culte de la déesse Raison fut inauguré par Hebert et Chaumette. Ainsi, le 28 août, on vit arriver à la barre des citoyens chargés de déposer sur le bureau du président une statue de saint Roch en argent.

Les diverses confréries, dirent-ils, forment dans l'empire un des anneaux de cette chaîne sacerdotale, par laquelle le peuple était esclave ; nous les avons brisés et nous nous sommes associés à la grande confrérie des hommes libres. Nous avons invoqué notre saint Roch, contre la peste politique qui a fait tant de ravages en France ; il ne nous a pas exaucés. Nous avons pensé que son silence tenait à sa forme ; nous vous l'apportons pour qu'il soit converti en numéraire. Il concourra sans doute plus efficacement sous cette forme nouvelle à détruire la race pestiférée de nos ennemis. L'Assemblée nationale applaudit à tant de civisme et décrète l'impression de ce beau discours. (Voir le Journal des Débats et Décrets, n° 335, p. 113.)

Les mesures prises par la Commune rencontrèrent une très-vive opposition de la part d'une partie de la population parisienne ; des rassemblements se formèrent autour des églises pour en empêcher la spoliation. Manuel dut lancer une proclamation écrite avec son emphase ordinaire : Le premier des cultes, c'est la loi... C'est le besoin même du peuple qui a provoqué la suppression des cloches superflues... de ces cloches qui, pour flatter l'orgueil des riches, ennemis de l'égalité jusque dans les tombes, troublent le sommeil des pauvres. Les phrases de Manuel ne produisirent pas l'effet qu'il en attendait. La commune fut obligée d'ordonner à Santerre de recourir à la force, si besoin était, et de prescrire aux sections de faire sortir des tours des églises les personnes qui voulaient s'opposer à l'enlèvement des cloches. (Procès-verbal du 19 août.)

[32] Nous ne voudrions calomnier personne, pas même ces fameux Marseillais qui, du reste, pour la plupart, n'avaient de Marseillais que le nom. Mais on se demande comment ce bataillon, qui s'était formé dès les premiers jours de juin, put rester à Paris plus de deux mois, du 29 juillet à la fin de septembre, lorsque huit jours de marche le séparaient à peine des avant-postes de l'armée prussienne. Nous ne pourrions expliquer ce mystère si nos recherches ne nous avaient fait découvrir plusieurs documents complètement inédits, qui noue apprennent à quoi s'occupaient ces prétendus défenseurs de la patrie. Ils se faisaient allouer des indemnités sous toute sorte de titres et sur toute sorte de caisses. Non contents de la somme que Choudieu leur fit accorder dans la séance du 10 août (voir la p. 363 du tome II), pour solde et frais de voyage et du prêt de trente sols par jour qu'ils touchaient, ils se firent compter, le 12 août, 3.000 l. par la commune sur la caisse dite de la fédération. Ils obtinrent, le 24 août, du ministre de la guerre et du conseil exécutif le prix des armes qu'ils avaient, disaient-ils, perdues dans la journée du 40. On comprend difficilement que des vainqueurs perdent leurs armes dans un combat qui n'a duré que trois quarts d'heure. Mais les Marseillais du 10 août étaient des héros d'un genre tout spécial ; car lorsque, après être restés deux mois à Paris, s'y être gorgés de vols et de sang, avoir joué un rôle très-actif dans les visites domiciliaires du 29 août et dans les massacres de septembre, ils songèrent à quitter la capitale, ils n'eurent pas la moindre idée d'aller retrouver à Valmy les braves qui défendaient le sol sacré de la France. Ils tournèrent le dos au danger et demandèrent à retourner à Marseille. Le pouvoir exécutif les supplia de se rendre au moins à l'armée du Midi ; les Marseillais consentirent très-probablement à recevoir l'étape, mais nous n'avons pu savoir s'ils rejoignirent jamais cette armée ; dès qu'ils ont quitté Paris, on perd complètement leurs traces. Comme nous n'avançons rien que les preuves en main, on trouvera à la fin de ce volume les pièces authentiques qui justifient toutes nos assertions.

[33] Collection des lois, année 1792, t. X, p. 624 ; Journal des Débats et Décrets, n° 333, p. 74, n° 334, p. 87 ; Moniteur, p. 1020 et 1022.

[34] Dans le premier moment, l'indignation publique qu'avait excitée la reddition de Longwy se porta spécialement sur le commandant Lavergne ; mais il fournit la preuve que c'était la municipalité de Longwy qui l'avait forcé de capituler. Pendant dix-huit mois cet officier demanda en vain des juges. Une cour martiale devait être con voguée d'après les ordres formels envoyés par le ministre de la guerre (Moniteur, p. 1032) ; elle ne fut jamais rassemblée. Mais lorsque le règne de la Terreur eut été complètement établi, lorsque le tribunal révolutionnaire condamnait, sans preuves et en quelques minutes, les malheureux traduits devant lui, on tira le commandant Lavergne des prisons de Langres où, malgré ses réclamations et celles de sa courageuse femme, on l'avait laissé sans le juger ni même l'interroger, et on l'envoya à Paris. Dès le lendemain, il comparaissait devant Fouquier-Tinville et ses séides et était condamné à mort. Au moment où la sentence fatale est prononcée, on entend dans l'auditoire des cris énergiques et répétés de vive le roi ! Le tribunal ordonne que l'on se saisisse de la personne assez audacieuse pour le braver ainsi. On lui amène Mme Lavergne, qui déclare qu'elle n'a trouvé que ce moyen de partager le sort de son mari. Les juges font droit à sa demande. La même mort réunit les deux époux et comble les vœux de cette femme héroïque. Trouverait-on dans toute l'antiquité un plus beau trait d'amour conjugal ? Le dévouement d'Arria, s'associant volontairement au sort de son époux et lui tendant le poignard dont elle vient de se frapper, est depuis dix-huit siècles en possession de l'admiration publique. Le dévouement de Mme Lavergne est-il moins beau ? Pourquoi est-il moins connu ? C'est un de ces traits qui relèvent et consolent le cœur au milieu des plus lamentables récits. Oublieux de nos gloires, ne saurions-nous admirer l'héroïsme qu'à distance et sous des noms grecs ou romains ?

[35] Nous trouvons l'aveu formel de cette circonstance dans un écrit que Chabot adressa plus tard à Brissot, et dans lequel, invoquant le témoignage de Gohier, il se vante d'en avoir été faire lui-même la proposition à la commission extraordinaire. Ce pamphlet est reproduit in extenso, au tome XX, p. 443, de l'Histoire parlementaire de MM. Buchez et Roux.

[36] Nous avons retrouvé la délibération même que Danton fit prendre par le conseil exécutif, et dont il était armé lorsqu'il vint, le 28 août au soir, proposer à l'Assemblée le fameux décret sur les visites domiciliaires. Elle est ainsi conçue :

Le conseil, considérant qu'aucun moyen ne doit être négligé pour se procurer des armes, arrête que les sections seront invitées à nommer des commissaires pour faire au plus tôt les visites nécessaires chez les citoyens pour rassembler les fusils et autres armes qui peuvent s'y trouver.

Le conseil exécutif se rendra à l'Assemblée nationale pour obtenir qu'elle décrète à l'instant l'ouverture des barrières de Paris.

Les barrières de Paris, closes le 10, le 11, le 12 et le 13, entr'ouvertes le 14, après une visite générale des hôtels garnis, refermées le 45 et le 46, furent, du 17 au 29, à moitié libres. Ceux qui voulaient les franchir devaient être pourvus de passeports, dont les assemblées générales des sections autorisaient la délivrance (arrêté du 12 août), et qui n'étaient signés à la mairie que sur la déclaration de témoins corporellement responsables de l'identité des personnes par eux présentées (arrêtés des 13 et 18 août).

[37] Moniteur, p. 1033 ; Journal des Débats et Décrets, p. 127, n° 336.

[38] Voici le texte même de cet arrêté :

MUNICIPALITÉ DE PARIS.

Extrait du registre des délibérations du conseil général des commissaires des quarante-huit sections.

Du 30 août 1793.

Le conseil général a arrêté que les visites domiciliaires seront continuées sans désemparer jusqu'aux quarante-huit heures expirées.

TRUCHON, président ; TALLIEN, secrétaire-greffier.

 

Nos recherches nous ont fait retrouver l'un des mandats dont étaient porteurs les commissaires des sections, qui procédaient aux visites domiciliaires. Tous ces mandats devaient être conçus à peu près dans les mêmes termes. Celui que nous avons eu entre les mains dénote, il faut en convenir, une bien grande ignorance de la langue française ou une bien grande précipitation.

Section armée du Luxembourg.

Nous, président et commissaires de la section du Luxembourg, donnons pouvoir à MM. Astel et Soules, commissaires nommés par ladite section, d'exécuter l'arrêté du conseil général de la Commune de ce jour et notoirement d'arrêter et désarmer toutes les personnes suspectes, et qu'a cet effet toutes visites domiciliaires seront faites.

Fait au comité de la section, l'an IV de la liberté, etc., le 29 août 1792.

DESAGES, DAUBANEL.

[39] De ces connivences, plus ou moins désintéressées, nous pouvons donner un exemple qui concerne l'un des premiers personnages de la cour. Le prince de Poix, capitaine des gardes du corps, avait suivi Louis XVI jusque dans la logo du Logographe et avait été arrêté quelques jours après. Il parvint à s'esquiver dans le trajet de la mairie à l'Abbaye ; ce ne fut pas probablement sans employer certains moyens irrésistibles pour bien des gens. Cette supposition est autorisée par le témoignage d'un individu qui ne saurait être suspect de vouloir calomnier les sbires du comité de surveillance, car c'est un membre de ce comité même.

Je soussigné déclare que le sieur Noailles de Poix a été arrêté ; qu'il est sorti du comité de surveillance pour être conduit à l'Abbaye ; que l'ordre qui l'y envoyait est enregistré au comité de surveillance de la commune, et que ce comité a même nommé un ou deux commissaires pour se transporter à l'Abbaye et y voir sur les registres s'il y avait été reçu ou s'il avait été laissé chemin faisant, afin de faire punir ou le concierge s'il est coupable, ou ceux qui devaient l'y conduire.

Fait au comité de sûreté générale, ce 27 août 1792, l'an IV de la liberté et le 1er de l'égalité.

Signé : PARIS, membre du comité de surveillance de la commune.

Aucun écrou ne se trouve au nom de Noailles, prince de Poix, sur les registres de l'Abbaye ou de toute autre prison. Il s'échappa donc dans le trajet du comité de surveillance à l'Abbaye. Nous verrons un peu plus loin ce fait signalé par Cambon à la tribune de la Législative.

[40] La section des Lombards professait des idées fort avancées ; mais un de ses principaux agitateurs était Louvet, l'ami et le commensal habituel de M. et de Mme Roland ; aussi la voit-on souvent faire des adresses et prendre des délibérations dans un sens tout à fait girondin.

[41] Cet incident si important de la lutte entre la commune et l'Assemblée est complètement omis par le Moniteur. Nous l'avons retrouvé dans le Journal des Débats et Décrets, p. 431-432, n° 336, séance du 29 août, onze heures du matin.

[42] Moniteur, p. 1034 ; Journal des Débats et Décrets, p. 447.

[43] Journal des Débats et Décrets, p. 152-153, n° 337.

[44] Le bureau municipal, composé, aux termes de la loi des 21 mai-27 juin 1790, spéciale pour Paris, de seize administrateurs, avait continué de subsister après le 10 août. Les délégués de la Commune insurrectionnelle avaient annoncé à l'Assemblée législative, au moment même où ils lui avaient signifié leur propre intronisation à l'Hôtel de Ville, que, pour ne pas entraver les services administratifs, ils consentaient à conserver ce bureau. Des seize administrateurs, plusieurs, il est vrai, n'y siégeaient plus ; Panis et Sergent étaient trop occupés au comité de surveillance, Clavière avait été nommé ministre des finances, J.-J. Leroux était caché, Perron arrêté ; mais d'autres, tels que Le Camus, Ridermann, Lesguillez, Chambon, Quenot, Levasseur, Millet, Thomas, Jaillier, étaient restés à leur poste, quoique ne faisant plus partie de la nouvelle commune. Le 25 août, les 288, qui entendaient bien se constituer en représentants définitifs de la Commune, de provisoires qu'ils étaient, voulurent faire cesser cette anomalie et nommèrent dans leur sein de nouveaux administrateurs municipaux. Ils élurent, entre autres, à la Commission des subsistances : Huguenin, Léonard Bourdon, Duval-Destain, les trois membres peut-être les plus fougueux de la nouvelle commune ; mais l'exagération ne donne pas le talent, et ces trois forcenés n'avaient pas la même expérience et n'inspiraient pas au commerce d'approvisionnement la même confiance que les trois anciens administrateurs du département des subsistances : Lesguillez, Thomas et Bidermann. Lesguillez était président du tribunal de commerce ; Bidermann, banquier, et Thomas était l'ami intime de Pétion. (Voir à cet égard la Chronique de cinquante jours, de Rœderer.)

[45] Moniteur, p. 1043 ; Journal des Débats et Décrets, p. 460. Depuis quelques jours, Cambon avait des griefs presque personnels contre la commune, car ils touchaient à la régularité des payements du trésor que le célèbre financier de la Législative et de la Convention regardait comme sa chose propre. Le 22 août, les commissaires de la Commune avaient mis les scellés sur la caisse de l'extraordinaire et arrêté court tout le service. Quelques heures après, il est vrai, les scellés furent levés ; le conseil général de la commune déclina la responsabilité de cet acte plus qu'insolite et la rejeta sur des subalternes qui avaient, disait-il, outrepassé ses ordres. (Moniteur, p. 1002.)

[46] Moniteur, p. 1035 ; Journal des Débats et Décrets, p. 460.

[47] Patriote français, p. 1114.

[48] Les élections primaires commencèrent le 27 août ; celles des députés à la Convention, le 2 septembre.

[49] Patriote français, n° 1116. Ces deux lettres se trouvent in extenso dans le Moniteur, n° du 1er septembre, p. 1038.

[50] Journal des Débats et Décrets, n° 337, p. 160. Le Moniteur, fidèle à son système de partialité en faveur de la commune de Paris, ne mentionne, ni la suite donnée à la plainte de Girey-Dupré, ni la motion de Bernard (de Saintes), ni les applaudissements qui accueillirent les discours de Choudieu et de Bernard.

[51] Nous avons retrouvé la lettre même de Servan, qui n'est qu'analysée dans le Journal des Débats et Décrets et dans le Moniteur.

Paris, le 30 août.

Rien n'est plus vrai, monsieur, toutes les personnes à l'hôtel de la guerre ont été mises ce matin en état d'arrestation par la commune sous le prétexte qu'il devait se trouver dans l'hôtel l'imprimeur du Patriote français. En conséquence, pendant plus de deux heures, personne n'a pu sortir de l'hôtel, et cependant il était de la plus grande importance que quelques-unes des personnes, qui y étaient, allassent vaquer sur-le-champ aux affaires les plus essentielles.

Le ministre de la guerre,

SERVAN.

[52] Journal des Débats et décrets, n° 337, p. 468 ; Patriote français, n° 1118 ; Moniteur, p. 1036.

[53] La rédaction même du procès-verbal de l'Assemblée, qui fut imprimé en forme de décret, dénote le peu d'empressement que l'on mit à voter des remerciements à la commune insurrectionnelle.

On demande, dit le procès-verbal (Collection des lois, t. X, p.759), a qu'il soit déclaré que la commune provisoire de Paris a bien mérité de la patrie.

Cette proposition est appuyée et combattue.

L'Assemblée décrète que les représentants provisoires de la commune, les citoyens de Paris et les fédérés qui y étaient à la journée du 10 ont bien mérité de la patrie.

[54] Cette circulaire si importante se trouve inscrite textuellement sur les registres de la section du Faubourg-Saint-Denis. Probablement un des commissaires de cette section la déposa sur le bureau, afin d'excuser son départ précipité pour l'Hôtel de Ville, et le secrétaire la consigna sur son procès-verbal. Nous avons retrouvé la trace de cette même circulaire sur le registre de la section du Marché-des-Innocents. Seulement, le texte même n'y est pas reproduit. Ces deux documents se contrôlent l'un par l'autre et mettent hors de doute l'existence de cette pièce si importante et jusqu'alors complètement inédite.

Section du Marché-des-Innocents.

30 août 1792.

On commençait à discuter, lorsque M. le président a annoncé une lettre importante arrivant de la maison commune ; cette lettre contenait invitation pressante à MM. les commissaires des quarante-huit sections de se réunir sur-le-champ, pour délibérer sur la cassation du conseil général.

Cette nouvelle inattendue ayant excité quelque inquiétude dans l'assemblée, un membre a proposé d'inviter MM. les commissaires de se rendre sur-le-champ à leur poste pour prendre connaissance des motifs, et ensuite renvoyer un d'entre eux à l'assemblée pour l'en informer. L'assemblée a arrêté cette invitation.

[55] Voici les certificats qui furent déposés à cette occasion sur le bureau du président de l'Assemblée. Nous respectons l'orthographe de ces documents.

Nous, président du comité, doyen d'âge, accompagné de M. Houdain, commandant de bataillon, et de d. Labre, capitaine des canonniers, certifions et attestons que la pièce de canon dite de Siam et plaquée en différents endroits en feuille d'argent est réellement déposée depuis le 26 présent mois dans notre magazin de canon. En foi de quoi nous avons signé le présent pour servir à la décharge du citoyen Daunay s'il est nécessaire. A Paris, ce 30 août 1792, etc.

Signé : HOUDAIN, commandant en chef ; VERNHES, président, doyen d'âge ; LABRE, capitaine.

 

Je soussigné avoir recu de M. Daunay une piece de canon dite de Siam laquelle piece vint du garde meble et est damasquinez en argent ; à Paris, ce 26 août 1792.

Signé : RECOLIN, sous-lieuxtenant des canoniers dus patallion phipe du Roulle.

 

L'officier municipal, si peu scrupuleux sur les formes, s'appelait Daunay et non Delaunay, comme le nomme le Moniteur, p. 1038. (Voir la liste des membres de la Commune insurrectionnelle, dans l'Histoire parlementaire de Buchez et Roux, t. XVI, p. 421.) Il était perruquier et appartenait à la section même du Roule qui, du reste, le destitua quelques jours après.

[56] Moniteur, p. 1040 ; Journal des Débats et Décrets, n° 338, p. 473 ; Collection des lois, t. X, p. 760.

[57] Moniteur, p. 1043 ; Journal des Débats et Décrets, p. 479 ; Collection des lois, t. X, p. 763.

[58] Dix-huit mois plus tard, Girey-Dupré comparaissait devant le tribunal révolutionnaire et payait de sa tête l'énergique résistance qu'il avait opposée au pouvoir envahisseur des dictateurs de l'Hôtel de Ville. Arrêté à Bordeaux, il avait été ramené à Paris les fers aux pieds et aux mains. Le jeune publiciste avait une telle confiance dans la justice du tribunal révolutionnaire qu'il comparut devant lui les cheveux coupés sur la nuque, la chemise rabattue sur le col de l'habit, ayant fait lui-même et d'avance la fatale toilette. Pour toute défense il dit à Lescot-Fleuriot, qui remplaçait ce jour-là Fouquier-Tinville au fauteuil de l'accusateur public : Je suis prêt ; faites votre office.

La plupart des historiens mettent d'autres paroles dans la bouche du jeune girondin ; à Dumas lui demandant s'il avait connu Brissot, Girey-Dupré aurait répondu : Oui, je l'ai connu. Il a vécu comme Aristide ; il est mort comme Sidney. Ces paroles, le courageux jeune homme les prononça non devant le tribunal révolutionnaire, mais dans l'interrogatoire subi par lui, quelques jours auparavant, à la Conciergerie. Elles se trouvent également consignées dans l'acte d'accusation dressé le 23 brumaire par Fouquier-Tinville. Évidemment, Dumas se garda bien à l'audience de renouveler sa question, pour ne pas donner à l'accusé l'occasion de glorifier publiquement son ami.

Girey-Dupré périt le 1er frimaire an II (24 décembre 1793), six semaines après les Girondins, ses coreligionnaires politiques.

[59] Journal des Débats et Décrets, n° 338, p. 482.

[60] Moniteur, p. 100 ; Journal des Débats et Décrets, p. 183. Voici le texte même du décret rendu sur la motion de Lagrevol, le 31 août, au matin :

L'Assemblée, sur la motion d'un de ses membres, décrète que le ministre de l'intérieur répondra à l'instant, par écrit, s'il a fait parvenir, et à quelle heure, au président et au secrétaire de la commune provisoire de Paris, le décret qui les mande à la barre de l'Assemblée.

[61] Ces détails se trouvent, les uns dans le procès-verbal de la séance de la commune, les autres dans une lettre que Pétion adressa le même jour (31 août) à la section du marché des Innocents, et qui fut insérée dans le Patriote français, n° du 1er septembre. Nous donnons ces deux documents à la fin de ce volume. La lettre de Pétion a déjà été reproduite dans le t. XVII, p. 398, de l'Histoire parlementaire, mais elle s'encadre si bien avec les pièces nouvelles que nous avons rassemblées, elle en est le commentaire si vivant, elle fait si nettement ressortir le personnage, que nous n'avons pas hésité à la reproduire, quoique nous ayons adopté la règle générale de ne pas donner in extenso les documents déjà imprimés.

[62] Nous avons retrouvé un exemplaire imprimé de cette adresse et nous la donnons telle qu'elle fut placardée sur les murs de Paris par ordre de l'audacieuse commune. Nous indiquons par des italiques les passages principaux qui ont été omis dans la version presque identique du Moniteur, p. 1043, et du Journal des Débats et Décrets, p. 184 du n° 338.

On remarquera que les phrases les plus violentes ont été atténuées ou supprimées par ces journaux. La version du Moniteur commence par ces mots : Les représentants provisoires de la commune de Paris. Dans l'adresse placardée, la commune s'affirme elle-même et efface soigneusement le mot provisoires qui l'offusque.

[63] Ce passage si important, où la commune reconnut elle-même que, dans la nuit du 9 au 10 août, vingt-sept sections seulement étaient représentées dans la réunion des commissaires, confirme d'une manière formelle et incontestable ce que nous avons dit de cette réunion dans notre deuxième volume.

[64] Cette intervention violente de la foule que le bruit de démarche des municipaux avait amassée aux abords de l'Assemblée, n'est point indiquée dans le Moniteur. Nous n'en trouvons la trace que dans le Journal des Débats et Décrets.

[65] Tous les historiens attribuent ce mot affreusement prophétique à Tallien parce que ce fut lui qui le prononça, mais il le prononça au nom et par ordre de la commune.

Cette menace, qui allait se réaliser dans les quarante-huit heures, n'avait point échappé à l'emportement de l'improvisation ; elle avait été froidement préméditée, Robespierre l'avait insérée de sa main dans l'adresse dont Tallien avait été chargé de donner lecture. Ce seul fait, et il en existe d'autres encore, suffirait pour associer le cauteleux tribun au crime inexpiable dont, en France, la liberté porte encore le poids.

[66] Ici, Tallien lit l'arrêté municipal qui rappelle les anciens administrateurs à leurs fonctions ; nous le publions à la fin de ce volume. Ni le Moniteur ni le Journal des Débats et Décrets, dans la version qu'ils donnent de l'adresse-Robespierre, ne font allusion à cet arrêté du 30 août, de façon que l'on ne peut comprendre en suivant leur version, ce que Pétion voulait dire, dans son discours de présentation des délégués municipaux, par cette mesure conciliatrice qui devait mettre sur-le-champ l'administration en activité. Ce qui prouve une fois de plus qu'il est impossible de se rendre un compte exact des événements si compliqués de cette période de l'histoire de la Révolution, en s'en tenant à l'étude exclusive du Moniteur ou de telle autre feuille de l'époque. Ce n'est qu'en réunissant tous les documents et en les contrôlant les uns par les autres que l'on peut arriver à découvrir la vérité.

[67] Il y en avait au moins deux, les sections des Lombards et de la Halle au blé ; d'autres avaient fait entendra des plaintes très-vives contre la commune ; mais naturellement, pour le besoin de sa cause, Robespierre n'en croit pas devoir tenir compte.