HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

TOME DEUXIÈME

 

LIVRE VIII. — LA CHUTE DE LA ROYAUTÉ.

 

 

I

Louis XVI, pour épargner l'effusion du sang, avait quitté son palais et cherché un asile au milieu des représentants de la nation deux heures après, son trône s'écroulait, et ses derniers défenseurs étaient égorgés à quelques pas de lui. Il ne nous reste plus qu'à raconter cette dernière phase de l'épouvantable cataclysme dans lequel s'abîma la royauté. Au moment où le roi sortit des Tuileries, hélas pour n'y plus rentrer, de nombreux bataillons de la garde nationale occupaient les cours intérieures, la terrasse qui s'étend le long de la façade du jardin et celle du bord de l'eau. Mais comment cette force armée eût-elle présenté les éléments d'une résistance véritable ? Divisée d'opinions, tiraillée en tous sens, aigrie par les ridicules et insolentes bravades du récent manifeste de Brunswick, elle était fort hésitante sur le parti à prendre dans la lutte qui semblait se préparer.

Si un certain nombre de soldats-citoyens, comprenant leur devoir et sincèrement attachés à la monarchie constitutionnelle, étaient disposés à recevoir vigoureusement les assaillants, d'autres, au contraire, ne demandaient pas mieux que de faire cause commune avec ceux qu'ils appelaient leurs frères. Entre ces deux partis extrêmes se trouvait, comme toujours, la masse flottante, incertaine, qui ne savait que faire, que résoudre. Tout à coup se répand, de rang en rang, la nouvelle que Louis XVI vient de se rendre à !'Assemblée ; chacun alors de dire : — Le roi est parti, tant mieux nous ne serons pas obligés de faire feu pourquoi rester aux Tuileries où nous n'avons plus que des pierres à garder ? Retournons chez nous ; nos propriétés nos femmes et nos enfants peuvent être en danger.

La défection se glisse peu à peu dans les bataillons qui gardent les cours faisant face au Carrousel. Un grand nombre de soldats-citoyens se retirent ; séduits ou intimidés, quelques-uns se réunissent à ceux qui se préparent à attaquer le Château[1]. Les gardes nationaux postés dans le jardin restent plus compactes, parce qu'ils n'ont pas d'assaillants devant eux.

Pendant ce temps la foule grossissait sur la place du Carrousel et dans les rues adjacentes. Elle était surtout composée de femmes et d'enfants, criant par intervalles, hurlant à l'occasion, applaudissant quand on arrêtait un aristocrate, trépignant de joie quand on regorgeait.

Ce n'était pas encore l'armée de l'insurrection, ce n'en était que l'avant-garde.

Les colonnes, formées dans le faubourg Saint-Antoine, s'étaient mises en marche fort lentement. Santerre était à leur tête, mais se souciait fort peu d'être le premier à l'assaut. Il conduit sa troupe vers l'Hôtel de Ville, où les commissaires des sections l'ont proclamé commandant en chef de la garde nationale ; il entre à la maison commune pour leur adresser ses remerciements et leur rendre hommage ; puis, sous prétexte qu'un général ne doit pas se prodiguer, il déclare que, de là, il dirigera tout le combat[2]. Les Marseillais, transférés depuis deux jours de la caserne de la Nouvelle-France à celle des Cordeliers se trouvaient à portée de la section du Théâtre-Français[3], l'un des foyers les plus ardents de l'insurrection ; mais, fidèles aux ordres qu'ils avaient reçus de Barbaroux, ils refusaient également de faire tête de cotonne[4]. Cependant, réunis aux Brestois, ils finissent par s'ébranler et vont, avec les bandes de Saint-Marceau, rejoindre les insurgés du faubourg Saint-Antoine, qu'ils trouvent a la hauteur du Pont-Neuf. Le passage des ponts a lieu sans obstacle, comme celui de l'arcade Saint-Jean, grâce à la complète désorganisation du plan de défense préparé par Mandat[5].

La première colonne d'insurgés qui paraît, vers huit heures, au Carrousel est commandée par le greffier Westermann et l'architecte Lefranc[6]. Elle se dirige tout droit vers la porte de la cour royale.

Les cours intérieures étaient déjà fort dégarnies, n'y restait plus que quelques détachements de Suisses et de gendarmes, un petit nombre de gardes nationaux, des plus attachés à la cause royale, et les canonniers qui n'avaient pu abandonner leurs pièces, mais qui étaient, comme nous l'avons déjà dit, fort mal disposés.

Les généraux qui commandaient au Château, MM. de Boissieu et de Menou, ainsi que le colonel des Suisses, Maillardoz, reconnaissant qu'il était difficile de se maintenir dans les cours, venaient de donner aux Suisses, aux gardes nationaux et aux gendarmes l'ordre d'abandonner la première ligne de défense et de se retirer dans les appartements.

Cet ordre est exécuté si précipitamment que les Suisses n'enclouent même pas les pièces qu'ils avaient amenées.

Le mouvement intérieur qui vient de s'opérer est à l'instant même signalé à l'avant-garde de l'insurrection par les individus qui, depuis une heure, se tenaient à cheval sur la crête du mur entre les cours et la place du Carrousel. Les émeutiers, aussitôt qu'ils sont assurés de ne pas trouver de résistance, frappent à coups redoublés contre les portes et menacent de les enfoncer. Les concierges royaux, cédant aux injonctions des canonniers restés seuls dans les cours, et craignant d'être égorgés par les soi-disant défenseurs qui se trouvent avec eux, ou par les envahisseurs du dehors, se décident à ouvrir, tirent les verrous, lèvent les battants et se sauvent.

Les insurgés entrent, se jettent dans les bras des canonniers de la garde nationale, qui fraternisent avec eux. Aidés par ces auxiliaires improvisés, les canonniers se hâtent de faire sortir leurs pièces et les rangent en batterie contre le Château, qu'un instant auparavant ils étaient chargés de protéger. La défection de l'artillerie en détermine une autre les gendarmes qui avaient suivi les Suisses, ressortent du vestibule, mettent leurs chapeaux au bout de leurs baïonnettes et se mêlent à la foule qui les reçoit avec les plus vives acclamations. Bientôt, gendarmes, canonniers, Marseillais, fédérés, hommes à piques, fraternellement réunis, se groupent au-dessous des fenêtres des grands appartements, font signe aux Suisses de venir les rejoindre et leur prodiguent des démonstrations de paix et d'amitié.

Les Suisses, qui ne demandent pas mieux que de ne pas engager un combat aussi inégal qu'inutile, jettent quelques paquets de cartouches par les fenêtres, pour bien indiquer qu'ils n'ont aucune envie de tirer sur le peuple. Pendant qu'une partie des émeutiers se bousculent en riant pour ramasser les cartouches, quelques insurgés plus déterminés pénètrent dans le vestibule, afin d'apprécier les dispositions de défense à l'intérieur du Château, ou d'activer la séduction des Suisses, qui paraît si heureusement commencée.

 

II

Dans ce moment suprême, arrêtons-nous un instant et jetons un coup d'œil sur les forces en présence.

Sept cent cinquante Suisses sont restés au Château ; cent cinquante seulement ont accompagné Louis XVI à la salle du Manège. Un grand nombre d'amis du roi l'ont immédiatement suivi ou sont allés le rejoindre. A peine est-il resté cent gardes nationaux, dont vingt-huit du bataillon des Filles-Saint-Thomas[7].

Les dispositions des Suisses sont des plus pacifiques ils n'ont aucune injure personnelle à venger ; ils n'ont plus à défendre la famille royale, qui vient d'abandonner le palais ils demandent seulement qu'on les laisse tranquilles à leur poste. Les chefs éprouvent le désir qui, dans de pareilles circonstances, anime tous les hommes de cœur, celui d'épargner le sang de leurs soldats. A quoi leur servirait de risquer la vie de ces braves éprouves ? Avec un millier d'hommes peuvent-ils raisonnablement espérer de réduire la rébellion ? Ils n'ont évidemment aucune instruction secrète, car Louis XVI est allé se remettre entre les mains de l'Assemblée, et sa conduite serait par trop absurde s'il avait ménagé une trahison dont il eût pu être la première victime. D'ailleurs, il a quitté précipitamment son palais, sans laisser aucun ordre, persuadé qu'il allait y rentrer dans quelques heures. Une seule consigne a pu être raisonnablement donnée, et l'a été, en effet, par le maréchal de Mailly au capitaine Durler : Ne vous laissez pas forcer.

Si maintenant nos regards se portent du côté du Carrousel et des cours qui viennent d'être envahis, que voyons-nous ? Une tourbe sans nom, sans chef, grossissant à chaque minute ; car, depuis qu'on sait que les premiers arrivés ont pu pénétrer sans coup férir dans le Carrousel, et même dans les cours intérieures, les plus lents sont les plus pressés et les plus lâches deviennent les plus braves. Cette foule s'agite, se démène, pousse des acclamations confuses ; mais qui peut stipuler pour elle et se porter garant de ses volontés mobiles et multiples ? D'ailleurs, n'a-t-elle pas dans ses rangs ces vétérans des émeutes parisiennes, qui, à diverses reprises, ont ensanglanté les pavés de la capitale et les appartements de Versailles, et ces bandits cosmopolites qui, sous le nom de Marseillais, viennent d'arriver à Paris pour y renouveler les meurtres de la glacière d'Avignon ?

Nous le demandons à tout homme impartial, s'il se produit un conflit, de quel côté viendra le plus naturellement la provocation jusqu'où devra pousser la patience et l'abnégation une troupe brave, disciplinée, mais acculée dans ses derniers retranchements, qui ne demande qu'une seule chose, c'est qu'on ne la déshonore pas en lui faisant rendre les armes, en lui faisant abandonner un poste dont elle ne peut être relevée, d'après toutes les lois militaires, que par les ordres mêmes de celui qui lui a donné la consigne[8] ?

A la tête des insurgés qui s'engagent sous le vestibule sont Westermann, Granier, commandant en second du bataillon Marseillais, Langlade, capitaine des canonniers, qui ont passé la nuit a côté des Suisses dans les cours des Tuileries. Ils montent le grand escalier, et, suivis de quelques fédérés et gardes nationaux, ils pénètrent jusqu'à la porte de la chapelle[9] sans être arrêtés par les sentinelles rangées sur chacune des marches. Au nom de l'union, ils somment les Suisses de se rendre, en leur promettant la vie sauve.

Westermann, pour se faire mieux comprendre, harangue les soldats en allemand, et cherche à les animer contre leurs officiers, qu'il accuse de vouloir les faire battre quand même.

Le sergent Blazer lui répond : Nous sommes Suisses, et les Suisses n'abandonnent leurs armes qu'avec la vie. Nous ne croyons pas avoir mérité un tel affront. Si on ne veut plus du régiment, qu'on le renvoie légalement mais nous ne quitterons pas notre poste et nous ne nous laisserons pas désarmer.

Westermann et ses compagnons, désespérant de rien obtenir, se retirent, et plusieurs officiers suisses, Ourler, Reding, Zimmermann, courent faire placer des barres de bois en travers de l'escalier, pour empêcher que de nouvelles députations ne viennent débaucher leurs hommes ; car les Marseillais, en se retirant, ont réussi à entraîner quelques soldats, qu'ils emmènent bras dessus bras dessous, et qu'ils désarment entre deux embrassements.

Le général de Boissieu[10] veut parler à la foule qui se presse sous le vestibule mais d'affreux hurlements l'empêchent d'être entendu. Les assaillants se rapprochent insensiblement de la barrière qui vient de leur être opposée, et paraissent décidés à la forcer. Ils prodiguent des insultes aux sentinelles qui se trouvent au bas de l'escalier. Bientôt ces insultes se traduisent en gestes très-significatifs[11]. Les sentinelles s'aperçoivent qu'on veut les surprendre, et qu'elles n'ont pas un moment à perdre pour se dégager. Soudain retentit un coup de pistolet.

Fut-il ou non tiré du milieu de la foule ? Les officiers suisses commandèrent-ils aux sentinelles, comme ils en avaient incontestablement le droit, de faire usage de leurs armes ? Nul ne le sait, nul ne le pourrait dire.

Toujours est-il que les soldats placés sur les premières marches de l'escalier abaissent leurs fusils et font feu sur les assaillants. Ceux-ci ne songent pas à riposter, et s'enfuient en désordre.

Au bruit des coups de feu qui retentissent sous le péristyle, et dont ils ne peuvent connaitre la cause ou les résultats, les auteurs ou les victimes, les Suisses postés dans les appartements se précipitent vers les fenêtres et font une décharge. Les émeutiers se dispersent dans toutes les directions. Quelques-uns sont tellement épouvantés qu'ils courent jusque dans les quartiers les plus éloignés répandre le bruit qu'on égorge les patriotes aux Tuileries, et qu'un nombre immense de citoyens viennent de tomber victimes de la plus infâme trahison.

Les Suisses, pour dégager les abords du palais, descendent dans les cours, s'emparent de deux des canons qu'ils avaient eux-mêmes abandonnés, et que les insurgés n'avaient pas eu le temps de retirer. Le Carrousel se trouve en un instant balayé. Les canonniers de l'insurrection se mettent à l'abri derrière le rentrant des maisons du Carrousel[12], et essayent de riposter. Les Suisses, incommodés par le feu qu'ils reçoivent à découvert, sont obligés de se retirer dans le Château, d'où ils font, de temps en temps, quelques sorties, pour empêcher les assaillants d'approcher de nouveau. La fusillade se prolonge sans que l'on se fasse grand mal de part et d'autre. Les Suisses ne cherchent qu'à se maintenir dans les postes qu'ils occupent les assaillants tirent de très-loin, et se tiennent presque hors de portée de la mousqueterie.

 

III

Revenons à l'Assemblée, car c'est de là que va être expédié l'ordre qui précipitera le dénouement de la lutte engagée.

Rœderer était resté à la barre pendant tous les pourparlers auxquels avaient donné lieu l'entrée du roi, le refus de l'Assemblée de délibérer en sa présence, et l'installation de la famille royale dans la loge du Logographe. Lorsqu'il fut permis au procureur général de prendre la parole, il exposa les causes de l'événement du jour. Dans une circonstance où toutes les minutes étaient si précieuses, il fit un exposé officiel et détaillé de ce que chacun savait aussi bien que lui. La seule nouvelle qui était encore ignorée dans la salle du Manège fut donnée par l'officier municipal Borie On nous annonce à l'instant, dit-il, que le Château est forcé, que les canons sont braqués dessus et que le rassemblement se propose de le faire tomber à coups de canon[13] ; un officier de la garde nationale[14] ajoute : Je suis chargé en ce moment de la garde du Château, les portes en sont forcées, je demande que l'Assemblée m'indique la marche que je dois tenir ; il y a des citoyens qui sont la près d'être égorgés.

Puisque la municipalité est sans force, puisque le département est sans force et que toutes les autorités constituées sont réunies dans l'Assemblée nationale, je demande, dit Lamarque, que l'Assemblée nationale nomme dix membres qui s'exposeront aux premiers coups, si o/t en porte. Je sollicite l'honneur d'être le premier de ces membres. — Je propose cette rédaction, interrompt Lejosne : L'Assemblée met sous la sauvegarde du peuple de Paris la sûreté des personnes et des propriétés. Elle charge vingt de ses membres de se transporter dans les lieux du rassemblement pour y arrêter le désordre[15].

Le décret est immédiatement adopté, et le président nomme la députation, qui sort de la salle sous la conduite de Lamarque et de Carnot[16]. Sur la motion de Guadet, une députation spéciale est envoyée à l'Hôtel de Ville avec les pouvoirs nécessaires pour faire mettre le commandant général Mandat en liberté[17], et, si elle ne le peut, pour déléguer le commandement à un de ses membres. Thuriot propose que les commissaires soient, de plus, autorisés à se mettre en rapport avec tous ceux entre les mains desquels pourra résider, soit légalement, soit illégalement, une autorité quelconque et la confiance publique au moins apparente.

Ces deux députations étaient sorties depuis quelques minutes, lorsque tout à coup le bruit de la fusillade se fait entendre, celui du canon lui succède ; l'agitation, te trouble, la consternation s'emparent de l'Assemblée[18]. Vergniaud, qui préside depuis plus de trois heures, et dont on réclame le concours dans le sein de la commission extraordinaire, cède le fauteuil à Guadet. Je demande le silence, dit celui-ci, en prenant possession du fauteuil, je le demande au nom de la patrie ; du calme ! vous êtes à votre poste[19].

A ce moment, Lamarque revient avec la députation qu'il s'était chargé de conduire, et rapporte qu'au bout de la cour du Manège, les commissaires ont été dispersés par la foule et qu'ils ont cru devoir revenir au sein de l'Assemblée. Ainsi avorte misérablement cette tentative de conciliation annoncée si pompeusement un instant auparavant.

Le tocsin, dont le son lugubre ne s'est pas fait entendre depuis plusieurs heures, est sonné à toute volée aux églises qui avoisinent le Château et l'Assemblée ; des feux de peloton éclatent jusque sous les fenêtres de la salle du Manège ; quelques députés se lèvent comme pour sortir, leurs collègues leur crient : C'est ici que nous devons mourir[20].

Le président annonce que la décharge si rapprochée que l'on vient d'entendre, a été faite par les Suisses qui ont accompagné le roi et qui ont tiré en l'air. Ils se retirent les armes sous le bras, ajoute Lacroix. Le ministre de la marine, Dubouchage, paraît a la barre : Je viens, dit-il, de donner, au nom du roi, l'ordre aux Suisses de retourner dans leurs casernes, il leur est expressément défendu de se servir de leurs armes ; je prie l'Assemblée de les faire accompagner par des officiers publics pour les protéger dans leur retraite. Sur-le-champ il est décidé que les municipaux, présents à la séance, reconduiront les Suisses[21]. En effet, ainsi que Dubouchage venait de l'annoncer, dès que Je bruit de la fusillade s'était fait entendre, Louis XVI avait expédié aux Tuileries, par un fidèle serviteur qui se trouvait à ses côtés, M. d'Hervilly, un ordre écrit à la hâte au crayon ; cet ordre portait que les Suisses eussent à cesser le feu, à évacuer le Château et à rentrer dans leurs casernes. D'Hervilly, en passant devant les hommes de l'escorte, le leur avait communiqué, et ceux-ci s'étaient empressés de décharger leurs armes[22], comme venaient de le dire Guadet et Lacroix.

De pareilles communications auraient dû ramener le calme parmi les représentants du peuple. Au contraire, vingt propositions s'entrecroisent, aucune n'aboutit ; on croit agir et l'on n'agit pas. Sur la lettre de Pétion, annonçant qu'il est consigné[23], on ordonne par décret, aux citoyens, au nom de la loi, de laisser paraître aux yeux du peuple le magistrat que le peuple chérit. On propose de nommer un commandant général de la garde nationale ; mais, s'arrêtant toujours à des obstacles puérils, à des chicanes soi-disant constitutionnelles, on évite de le faire parce que, disent Thuriot et Carnot le jeune, il a dû être déjà procédé à cette élection[24] par la commune légale ou insurrectionnelle.

L'Assemblée avait sanctionné l'usurpation des commissaires des sections en n'osant pas les briser une heure auparavant ; maintenant elle confirme, par un assentiment tacite, la nomination de Santerre, le chef des insurgés, et en conséquence l'insurrection elle-même. Par le fait, elle a dans ses mains l'autorité entière, puisque le pouvoir exécutif est là, devant elle, son otage et même son prisonnier ; au lieu de commander, elle prie, s'efface et croit avoir rempli tous ses devoirs lorsqu'elle a invité, par un décret, les citoyens à respecter les droits de l'homme !

 

IV

Pendant que les représentants du peuple prêtaient des serments et votaient des adresses, d'Hervilly arrivait, avec l'ordre du roi, sous le vestibule des Tuileries.

Le combat durait depuis près de trois quarts d'heure[25] et n'avait encore abouti qu'à un incendie.

En 1792, de petits bâtiments mal construits, presque tous en bois, formaient l'enceinte du Château du côté du Carrousel. Éloignes des cours par la fusillade des Suisses, les insurgés lancèrent quelques gargousses d'artillerie sur ces bâtiments. Bientôt après, des tourbillons de flammes vinrent se mêler à la fumée qu'avaient déjà produite les décharges de la mousqueterie et qui ne pouvait ni s'élever ni se dissiper. En cette chaude journée d'août, il ne soufflait aucune brise ; l'atmosphère, pure et sereine dans le reste de la ville et même dans le jardin des Tuileries, était, du côté du Carrousel, chargée d'un nuage épais qui empêchait les combattants de se voir et de diriger leurs coups.

Au pied du grand escalier du Château, d'Hervilly rencontre un détachement de Suisses qui revenaient d'effectuer une sortie. Il leur communique les volontés royales, leur ordonne de le suivre du côté du Manège. — Oui, s'écrie le baron de Viomesnil[26], commentant l'ordre que vient d'apporter d'Hervilly, oui, braves Suisses, allez sauver le roi ! vos ancêtres l'ont fait plus d'une fois.

Les tambours battent l'assemblée. Quelques soldats hésitent à se rallier. Peuvent-ils abandonner leurs blessés ? Un sergent couché à terre, la cuisse fracassée par un boulet, leur crie : N'entendez-vous pas qu'on vous appelle ? Allez à votre devoir et laissez-moi mourir ![27] En effet, l'héroïque sous-officier fut massacré quelques instants après.

Enfin, mais très-lentement, les Suisses se sont rassemblés. Comme ils ne veulent point avoir l'air de fuir, ils se rangent dans le meilleur ordre à l'entrée du jardin, et se mettent en marche avec autant de précision que s'ils avaient été à la parade. Quand les chefs croient avoir tout leur monde, avant de songer à la retraite, ils font mettre en batterie, sous le vestibule, deux canons enlevés aux insurgés et encore chargés deux sentinelles perdues sont placées à côté avec ordre de lâcher leurs coups de fusil sur la lumière si les assaillants se présentent trop vite.

La précaution était inutile, car les insurgés restent quelque temps sans s'apercevoir qu'on ne leur riposte plus et que les feux de la mousqueterie s'éteignent de moment en moment. Alors les plus déterminés se hasardent à travers la place du Carrousel,' mais avancent lentement, craignant à chaque instant de tomber dans une embuscade ; ils pénètrent jusqu'au delà des bâtiments incendiés, et arrivent sous le vestibule du grand escalier, cinq minutes après que les derniers pelotons des Suisses l'ont abandonné.

Telle est la vérité sur la prise des Tuileries au 10 août 1792. En dépit de la tradition depuis trois quarts de siècle adoptée et aveuglément suivie, l'Histoire, s'appuyant sur les documents les plus authentiques, sur des preuves irréfragables, devra désormais affirmer que, ce jour-là, le palais de la royauté NE FUT PAS ENLEVÉ DE VIVE FORGE, MAIS ABANDONNÉ PAR ORDRE DE LOUIS XVI[28].

 

V

Un péril tout à fait imprévu attendait les défenseurs du Château dans la traversée du jardin.

Tant qu'a duré le combat, il n'à pas été tiré un coup de fusil de ce côté. Les bataillons de garde nationale qui occupent la porte du pont Royal, celle du Manège et le commencement de la terrasse des Feuillants sont restés immobiles, l'arme au pied. Mais à peine les Suisses s'engagent-ils dans la grande allée, que de ces bataillons se détachent un certain nombre d'individus qui s'embusquent derrière les arbres et tirent presque à bout portant sur la troupe en retraite.

Les Suisses daignent à peine répondre à ce feu meurtrier. Arrivés au milieu de la grande allée, ils se divisent en deux colonnes. La première s'engage sous les arbres, dans la direction de l'escalier qui conduit à l'Assemblée nationale ; la seconde, qui suit à quelque distance, continue sa route vers le pont tournant.

Occupons-nous d'abord de la première.

A l'aspect de la troupe arrivant vers elles, les masses populaires amassées sur la terrasse des Feuillants poussent des cris d'épouvanté et s'enfuient les gardes nationaux préposés à la défense des abords du corps législatif se dispersent. Les Suisses atteignent la salle du Manège sans rencontrer le moindre obstacle. Un de leurs officiers, suivant son élan, pénètre jusqu'au milieu des représentants, l'épée nue à la main. Les Suisses ! voilà les Suisses ! crie-t-on dans les tribunes, d'où l'on commence à fuir. Quelques députés semblent vouloir aussi quitter la salle. D'autres se précipitent au-devant des envahisseurs, invoquent la Constitution qui défend que l'on s'introduise en armes dans le sein de la représentation nationale. L'officier, M. de Salis, qui n'est suivi que de deux ou trois soldats, se retire aussitôt, spectateurs et députés reprennent leurs places, et l'Assemblée, rassurée, se remet à crier Vive la nation ! et à jurer qu'elle sauvera la patrie.

Pendant cette scène, quelques députés étaient venus à la porte du Manège sommer le commandant des Suisses de désarmer sa troupe. Le commandant refuse et envoie auprès du roi le capitaine Durler. a Sire, on veut que je mette bas les armes, dit le brave officier d'une voix tremblante d'émotion. — Déposez-les, lui répond le malheureux Louis XVI ; déposez-les entre les mains de la garde nationale ; je ne veux pas que des braves gens comme vous périssent.

Louis XVI écrit de sa main l'ordre formel aux Suisses de poser les armes et de se retirer dans leurs casernes. Devant cet ordre, les Suisses se soumettent, aussi bien ceux qui avaient accompagné le roi à l'Assemblée, une heure avant le combat, que ceux qui venaient d'y prendre part. Le désarmement s'effectue de lui-même. Les officiers sont enfermés dans deux ou trois pièces dépendant des bureaux de l'Assemblée ; les soldats sont déposés dans l'église des Feuillants[29].

Cependant, la colonne des Suisses qui formait l'arrière-garde avait continué de marcher directement vers le pont tournant.

L'effort des tirailleurs se porte bientôt exclusivement sur elle. Elle est obligée de s'arrêter plusieurs fois pour resserrer ses rangs, qu'entr'ouvrent à chaque instant les nouvelles décharges de ses ennemis invisibles. Ceux-ci sont renforcés par les plus braves des insurgés du Carrousel qui, ayant rapidement traversé le vestibule, se sont précipités à la poursuite des soldats, tandis que les pillards font le sac des appartements et que les assassins de profession achèvent les blessés.

Les Suisses atteignent le grand bassin octogone. Ils sont sauvés s'ils arrivent sur la place Louis XV et peuvent gagner les Champs-Élysées. Mais la place est occupée par des bataillons de gardes nationaux qui les reçoivent à coups de fusil, leur coupent la retraite. Attaques de tous les côtés à la fois, enfermés dans un cercle de fer et de feu, ils n'ont plus qu'à chercher individuellement un salut .presque impossible. Beaucoup périssent sous les quinconces du jardin. D'autres se ruent par le pont tournant sur les ennemis qui leur barrent le passage et arrivent au pied de la statue de Louis XV, au centre de la place.

Là, formant une espèce de bataillon carré, certains qu'ils ne pourront être attaqués par derrière, ils s'apprêtent à résister ; mais tout d'un coup ils sont chargés par une troupe que, certes, ils ne devaient pas s'attendre à trouver hostile la gendarmerie à cheval les sabre impitoyablement[30]. Dès lors ils ne cherchent plus leur salut que dans la fuite ; presque tous y trouvent la mort.

Une demi-heure après l'évacuation des Tuileries, il ne restait plus de ce magnifique régiment des gardes suisses que les deux cent à deux cent cinquante hommes enfermes dans l'église des Feuillants et dont nous aurons bientôt à reparler.

Les malheureux soldats massacrés durant la retraite, à travers le jardin, furent, dit-on, enterrés au pied de ce fameux marronnier auquel sa précocité a valu le surnom d'arbre du 20 mars. Ainsi, l'arbre bonapartiste, selon la tradition populaire, ne devrait la miraculeuse force de sa végétation qu'a l'engrais humain fourni par les derniers défenseurs de l'ancienne monarchie[31].

 

VI

Ceux des insurgés qui n'ont pas poursuivi la troupe à travers le jardin, franchissent précipitamment les divers escaliers qui conduisent au premier étage. Là ils trouvent quelques faibles détachements qui n'ont pu rejoindre le régiment ou n'ont pas entendu battre l'assemblée. Ces soldats isolés vendent chèrement leur vie et ne succombent qu'après avoir immolé chacun plus d'un assaillant. On ne fit grâce à aucun. Tous les officiers et soldats suisses, qu'à raison de leurs blessures la troupe avait été obligée de laisser au Château, furent mis en pièces. M. Bekin, chirurgien-major du régiment, et son aide, M. Richter, furent massacrés au moment où ils prodiguaient des soins aux blessés qu'ils avaient refusé d'abandonner. On porta la fureur jusqu'à égorger les suisses des portes dans leurs loges. Ils devaient partager le sort de leurs camarades, puisqu'ils étaient d'intelligence avec eux. Dans les cuisines on tua tout, depuis les chefs d'office jusqu'au dernier marmiton, complices de leur maître et devenus étrangers à la nation.

Pendant ce temps, des fous furieux se livraient à un effroyable carnaval démagogique. On jetait par les fenêtres le mobilier royal, les pendules, les plus précieux objets d'art, on brisait toutes les glaces. Médicis-Antoinette y avait étudié trop longtemps l'air hypocrite qu'elle montrait en public[32]. Des portefaix revêtaient les costumes du sacre, s'asseyaient sur le trône ; d'ignobles prostituées se paraient des robes de la reine, se vautraient dans son lit[33].

Dans les caves, on défonçait toutes les futailles. On faisait couler des torrents de vin auxquels venaient se mêler des torrents de sang ; car les tueurs se montraient d'autant plus impitoyables qu'on les avait vus plus lâches durant le combat[34].

Néanmoins, et nous sommes heureux de le reconnaître, dans la foule qui avait envahi les Tuileries, il se trouva quelques hommes généreux qui réussirent, en risquant leur propre vie, à arracher plusieurs victimes à la mort. Le vieux médecin du roi, Lemonnier, était resté impassible dans son cabinet, écoutant les bruits sinistres qui retentissaient au-dessus, au-dessous, tout autour de lui. Enfin, les envahisseurs s'aperçoivent qu'ils ont passé devant une porte. Ils frappent brutalement et à plusieurs reprises. Lemonnier leur ouvre.

Que fais-tu là ? tu es bien tranquille, lui dit le premier qui entre.

Sans s'émouvoir, il répond :

Je suis à mon poste.

Qui es-tu donc dans ce Château ?

Je suis le médecin du roi.

Et tu n'as pas peur ?

De quoi ? Je suis sans armes : fait-on du mal à qui n'en peut pas faire ?

Allons ! tu es un bon b..... ; mais tu n'es pas bien ici d'autres, moins raisonnables, pourraient te confondre avec le reste. Ou veux-tu aller ?

Au Luxembourg.

Viens, suis-moi et ne crains rien.

L'insurgé force la foule à s'écarter devant lui et Lemonnier, en criant sans cesse :

Camarades, laissez passer cet homme ; c'est le médecin du roi, mais il n'a pas peur ; c'est un bon b..... ![35]

La princesse de Tarente, la jeune Pauline de Tourzel, Mme de Soucy, de Genestou, de Saint-Brice, Thibaut, Terrasse, Lemoine, Basire et autres dames du service de la reine, des enfants de France, de Mme Élisabeth et de Mme de Lamballe, n'avaient pas pu accompagner la famille royale à l'Assemblée et, après son départ, étaient descendues dans l'appartement de la reine, au rez-de-chaussée. Au bruit de la fusillade, elles avaient fermé les volets ; mais l'obscurité dans laquelle elles se trouvent pourrait augmenter leur danger ; elles imaginent d'allumer les bougies du lustre et des candélabres ; à peine ont-elles terminé ces préparatifs d'une défense bien innocente, que les envahisseurs arrivent et enfoncent la porte. La transition subite de la clarté du jour à cette clarté factice les surprend, ces mille lumières, que reflètent encore les glaces du salon, les éblouissent ; ils reculent étonnés. Les plus courageuses de ces dames en profitent pour parler aux premiers envahisseurs. Ils sont pris de pitié et promettent de les conduire saines et sauves hors du palais. Ils tinrent parole[36].

Mme Campan avait été séparée de ses compagnes et se trouvait dans un entresol avec deux femmes de chambre et l'un des heiduques de la reine. Un groupe d'hommes armés se précipitent sur celui-ci, l'assassinent ; ils veulent tuer aussi les femmes-, mais celles-ci se jettent à leurs pieds ; Mme de Campan est saisie par le dos. Soudain, du bas de l'escalier, retentit la voix d'un Marseillais :

Que faites-vous là-haut ?

Hein, répond l'assassin, qui a déjà levé son sabre...

On ne tue pas les femmes !

Eh bien, lève-toi, coquine, la nation te fait grâce ![37]

Ce cri d'humanité : on ne tue pas les femmes ! fut encore quelque peu écouté, dans les journées de septembre, par les assassins, qui épargnèrent presque toutes les femmes ; il ne fut plus entendu, en 1793, par le tribunal révolutionnaire qui les envoya par charretées à la guillotine. Cet appel à ce qu'il devrait y avoir de plus sacré dans le monde marque, par l'affaiblissement des échos qu'il rencontra, les trois phases du règne de la Terreur.

Certes, si les envahisseurs eussent rencontré ceux que les Jacobins désignaient depuis longtemps aux vengeances populaires sous le nom de chevaliers du poignard, ils les eussent égorgés jusqu'au dernier, comme ils le firent pour tous les hommes armés ou non, blessés ou non, qu'ils trouvèrent dans l'intérieur du Château.

Mais, sur les deux cents gentilshommes qui avaient passé la nuit aux Tuileries, la plupart, comme nous l'avons vu plus haut, avaient réussi soit à rejoindre le roi aux Feuillants, soit à s'esquiver par le jardin, selon le conseil que Rœderer leur avait donné.

Cependant quelques-uns d'entre eux et une cinquantaine de gardes nationaux avaient pris part au combat. Lorsque les Suisses avaient entendu le tambour les rappeler et qu'ils étaient descendus à l'entrée du jardin pour se former en colonnes, ces combattants ne les avaient pas suivis, et cela par une raison bien simple c'est qu'une troupe disciplinée, qui doit retourner paisiblement dans sa caserne, ne peut recevoir personne dans ses rangs. Ils avaient donc dû songer à faire retraite d'un autre côté et s'étaient dirigés, de plain-pied, par les grands appartements, vers la galerie du Louvre ; ils y rallièrent quelques soldats, chargés de garder une coupure pratiquée dans le plancher de la galerie, pour empêcher les assaillants de pénétrer par cette voie ; ils traversèrent la coupure sur des planches et atteignirent sans encombre l'extrémité de la gâterie ; par l'escalier de Catherine de Médicis, ils parvinrent à gagner les rues avoisinant le Louvre, d'où ils purent se disperser sans être reconnus[38].

 

VII

Mais pendant que les derniers défenseurs des Tuileries succombent sur la place Louis XV ou s'enfuient par l'escalier de Médicis, pendant que des misérables s'enivrent de vin, de vols et de meurtres dans l'antique palais des rois, il est temps de retourner à l'Assemblée nationale, où se décide le sort de la royauté elle-même.

La Législative a senti, dès les premiers moments, que le coup lancé de l'Hôtel de Ville, et qui vient d'abattre à ses pieds le malheureux Louis XVI, a été dirigé contre elle aussi bien que contre la royauté. A l'heure même où le canon cesse de tonner, elle s'aperçoit que si, en apparence, elle triomphe, en réalité elle est asservie. De la Constitution, il ne reste plus qu'elle, elle paraît concentrer dans ses mains tous les pouvoirs ; et cependant, loin de parler en souveraine, elle se croit obligée de ménager l'émeute, de s'incliner humblement devant l'insurrection.

Voici venir une députation que lui envoient enfin les commissaires qui se sont installés de vive force à la place des véritables représentants de la commune, de ceux mêmes dont, quelques heures auparavant, un député courageux, proposait de casser les arrêtés illégaux. La députation est sur-le-champ admise à la barre sur la demande de Bazire. Huguenin a abandonné un instant la présidence de la commune insurrectionnelle pour venir dicter insolemment ses volontés aux représentants de la nation :

Ce sont, dit-il, les nouveaux magistrats du peuple qui se présentent à votre barre. Les circonstances commandaient notre élection ; notre patriotisme nous en rendra dignes. Législateurs, nous venons ici, au nom du peuple, concerter avec vous des mesures pour le salut public ; Pétion, Manuel, Danton sont toujours nos collègues, Santerre est à la tête de la force armée...

Le peuple, qui nous envoie vers vous, nous a chargé de vous déclarer qu'il vous investissait de nouveau de sa confiance ; mais il nous a chargés en même temps de vous déclarer qu'il ne pouvait reconnaître pour juge des mesures extraordinaires, auxquelles la nécessité et la résistance à l'oppression l'ont porté, que le peuple français, VOTRE SOUVERAIN et le nôtre, réuni dans ses assemblées primaires[39].

Le président Guadet répond :

Messieurs, fidèles à leur devoir, les représentants du peuple maintiendront jusqu'à la mort la liberté et l'égalité. Vous avez voulu vous porter vous-mêmes aux lieux où le péril était le plus grand, ces sentiments vous honorent ; l'Assemblée applaudit à votre zèle ; elle ne peut voir en vous que de bons citoyens jaloux de ramener la paix, le calme et l'ordre... L'Assemblée vous invite à retourner À VOTRE POSTE, car vous tiendriez peut-être, dans ce moment, à insulte qu'on vous invitât-à la séance.

Ici, le président s'interrompt pour faire lire aux pétitionnaires les décrets rendus depuis le matin puis il les conjure lui-même de les présenter au peuple.

Un membre de la députation, Léonard Bourdon, prend a son tour la parole, non pour remercier les représentants du peuple de l'accueil en quelque sorte fraternel dont. ils viennent d'honorer, en se déshonorant eux-mêmes, les usurpateurs de la commune, mais pour rendre, à la face de la France et du monde entier, la législature complice de leur usurpation.

Le peuple de Paris, dit-il, craint la calomnie. Nous vous demandons de vouloir bien nous permettre d'apporter demain sur le bureau le procès-verbal de cette journée mémorable pour le faire passer aux quarante-quatre mille municipalités.

On applaudit ; le président renouvelle ses instances pour obtenir la liberté de Pétion, car l'Assemblée, toute souveraine qu'elle est, n'ose pas lever la consigne qui retient enfermé à l'hôtel de la mairie le magistrat que les chefs de l'insurrection déclarent eux-mêmes vouloir conserver à leur tête.

Vous nous avez parlé de Pétion, s'écrie Guadet, mais Pétion est consigné dans son hôtel. Il ne peut porter au peuple des paroles de paix. Vous savez que Pétion est nécessaire au peuple.

 

La Législative, par ses supplications encore plus que par ses votes, reconnaissait ainsi l'usurpation des soi-disant commissaires des sections ; elle n'avait plus qu'à la sanctionner par un décret formel ; c'est ce qu'elle fait sur la motion de Bazire[40] qui, depuis près de douze heures, servait de compère à la commune insurrectionnelle et donnait la réplique aux délégués qu'elle envoyait jouer une des scènes de la comédie arrangée d'avance. Chose étrange ! La Législative semble croire à l'utilité, à la sainteté de la foi jurée, au moment ou elle laisse violer tous les serments, au moment où elle va elle-même fouler aux pieds ceux qu'elle a si souvent prêtés à la Constitution de 1791 elle décrète que le serment, qui a été, quelques heures auparavant, l'objet d'une acclamation spontanée, sera prononcé par chacun de ses membres, dans la forme rédigée par Thuriot et ainsi conçue :

Au nom de la nation, je jure de maintenir la liberté et l'égalité ou de mourir à mon poste.

 

VIII

L'appel nominal pour la prestation de ce serment est sans cesse interrompu par des pétitionnaires qui viennent déposer sur le bureau des bijoux et effets précieux arrachés au pillage des Tuileries, raconter quelques épisodes des scènes sanglantes qui se passent aux abords de l'Assemblée et dicter des décrets aux représentants de la nation en les menaçant de la colère du peuple s'ils tardent un instant à les voter.

Un de ces pétitionnaires s'écrie : Le peuple vous demande depuis longtemps la déchéance du pouvoir exécutif, et vous n'avez pas encore prononcé sa suspension. Apprenez que le feu est aux Tuileries et que nous l'arrêterons qu'après que la vengeance du peuple sera satisfaite...

Le président répond par des banalités à cette insolente menace. L'Assemblée accumule adresses sur adresses, proclamations sur proclamations pour tâcher de reconquérir quelque peu d'autorité sur les masses égarées elle prie, elle supplie tous les pétitionnaires qui se présentent à la barre de retourner auprès de leurs concitoyens pour les assurer qu'elle est prête à adopter toutes les mesures que réclament les circonstances, c'est-à-dire à obéir a toutes les injonctions qui lui seront faites[41].

Vergniaud monte à la tribune et, d'une voix altérée, annonce qu'il va avec douleur et sans réflexion présenter, au nom de la commission extraordinaire, une mesure rigoureuse, que les événements ont rendue indispensable.

On écoute, dans le plus profond silence, le projet de décret hâtivement rédigé par la commission, on l'adopte immédiatement article par article, sans discussion, avec de simples corrections de détail :

L'Assemblée nationale,

Considérant que les dangers de la patrie sont parvenus à leur comble, que c'est pour le corps législatif le plus saint des devoirs de déployer tous les moyens de la sauver ; qu'il est impossible d'en trouver d'efficaces tant qu'on ne tarira pas la source de ses maux ;

Considérant que ces maux dérivent principalement des méfiances qu'a occasionnées la conduite du chef du pouvoir exécutif dans une guerre entreprise en son nom contre la Constitution et l'indépendance nationale ; que ces méfiances ont provoqué, dans diverses parties de l'empire, un vœu tendant à la révocation de l'autorité déléguée à Louis XVI ;

Considérant, néanmoins, que l'Assemblée nationale ne peut ni ne doit agrandir la sienne par aucune usurpation ; que dans les circonstances extraordinaires ou l'ont placée des événements imprévus par toutes les lois, elle ne peut concilier ce qu'elle doit à sa fidélité inébranlable à la Constitution, à sa ferme résolution de s'ensevelir sous les ruines du temple de la liberté plutôt que de la laisser périr, qu'en recourant à la souveraineté du peuple et prenant les précautions indispensables pour que ce recours ne soit pas rendu illusoire par de nouvelles trahisons,

Décrète ce qui suit :

ART. Ier. — Le peuple français est invité à former une Convention nationale. La commission extraordinaire présentera demain un projet de décret pour indiquer le mode et l'époque de cette Convention.

ART. II. — Le chef du pouvoir exécutif est provisoirement suspendu de ses fonctions, jusqu'à ce que la Convention nationale ait prononcé sur les mesures qu'elle croira devoir adopter pour assurer la sûreté individuelle, le règne de la liberté.et de l'égalité.

ART. III. — La commission extraordinaire présentera dans le jour un mode d'organiser un nouveau ministère. Les ministres actuellement en activité continueront provisoirement l'exercice de leurs fonctions.

ART. IV. — La commission extraordinaire présentera, également dans le jour, un projet de décret sur la nomination du gouverneur du prince royal.

ART. V. — Le paiement de la liste civile demeurera suspendu jusqu'à la décision de la Convention nationale. La commission extraordinaire présentera dans vingt-quatre heures un projet de décret sur le traitement à accorder au roi pendant sa suspension.

ART. VI. — Les registres de la liste civile seront déposés sur le bureau de l'Assemblée nationale, après avoir été cotés et paraphés par deux commissaires de l'Assemblée, qui se transporteront à cet effet chez l'intendant de la liste civile.

ART. VII. — Le roi et sa famille demeureront dans l'enceinte du Corps législatif, jusqu'à ce que le calme soit rétabli dans Paris.

ART. VIII. — Le département donnera des ordres pour leur faire préparer, dans le jour, un logement au Luxembourg, et ils seront mis sous la sauvegarde des citoyens et de la loi.

ART. IX. — Tout fonctionnaire public, tout soldat, sous-officier, officier, de tels grades qu'ils soient, ou général d'armée, qui, dans ces jours d'alarme, abandonnera son poste, est déclaré infâme et traître à la patrie.

ART. X. — Le département et la municipalité de Paris feront à l'instant proclamer le présent décret.

ART. XI. — Il sera envoyé, par des courriers extraordinaires, aux quatre-vingt-trois départements, qui u seront tenus de le faire parvenir, dans les vingt-quatre heures, aux municipalités de leur ressort pour y être proclamé avec la même solennité.

 

Les motifs de ce décret étaient inutiles à exposer, selon Vergniaud inutiles aussi seraient les commentaires. Remarquons seulement que l'Assemblée semblait vouloir encore sauvegarder le principe monarchique. Elle déclarait 1° que le pouvoir exécutif était provisoirement suspendu ; 2° qu'à défaut de liste civile, un traitement serait accordé au roi pendant sa suspension ; 3° qu'enfin il serait nommé un gouverneur au prince royal.

Chose étrange et qui n'a pas été remarquée, c'est qu'en vertu de l'article III, le décret suspendant Louis XVI fut contre-signe par son ministre de la justice, Dejoly, chargé d'y apposer le sceau de l'État[42] !

 

IX

Le flot de la démagogie monte avec une effrayante rapidité, l'Assemblée a de la peine à le suivre. Mais, quoi qu'elle fasse, quoi qu'elle décrète, elle est toujours dépassée par ceux qui, ostensiblement ou non, viennent lui imposer leurs volontés désormais indiscutables.

A chaque instant des dénonciations sont faites, à chaque instant on apporte des lettres saisies ou trouvées aux Tuileries. L'Assemblée nationale autorise le comité de surveillance à prendre des précautions, à donner les ordres que les circonstances lui paraîtront exiger, et même à faire arrêter les personnes dont il croira qu'il importe à la patrie d'examiner la conduite[43].

Il y a une heure à peine que l'Assemblée a décidé que le ministère continuerait provisoirement ses fonctions. Brival demande qu'il soit cassé sans le moindre retard, et Guadet, auquel Gensonné a succédé au fauteuil de la présidence, vient un instant après apporter le décret préparé par la commission extraordinaire sur la nouvelle organisation du pouvoir exécutif. Dans ce projet, la commission des Vingt-et-Un montre une certaine modération elle ne dit pas un mot des derniers ministres de Louis XVI, et déclare (art. 8) que le gouverneur du prince royal sera nommé de la même manière que les nouveaux ministres, c'est-à-dire par appel nominal et à haute voix.

Brissot ne s'occupe nullement de ce dernier article qui, quoique décrété en principe, ne reçut jamais la moindre exécution mais il fait observer qu'avant tout il est indispensable de déclarer que le ministère actuel a perdu la confiance de la nation. Bazire demande que l'on appose tout de suite les scellés sur les papiers personnels des ministres remplacés. Bientôt on va plus loin on craint que, dans la nuit qui vient de s'écouler, les agents du roi n'aient expédié quelque proclamation aux armées de terre et de mer. Pour engager leur responsabilité, on leur fait signer une déclaration formelle que le fait n'a pas eu lieu[44]. Après quoi on les met en arrestation.

Le ministre de la guerre, d'Abancourt, est accusé par les montagnards d'être la cause du conflit sanglant qui vient d'avoir lieu aux Tuileries ; c'est lui, dit-on, qui a retenu les Suisses à Paris, lorsqu'un décret de l'Assemblée les renvoyait loin de la capitale ; on le décrète d'accusation et on l'envoie à l'instant même dans les prisons de la haute-cour d'Orléans.

Pendant que l'on arrête les derniers ministres de la monarchie[45], on procède à l'élection des premiers ministres de la république. On déclare qu'il n'y a pas lieu, pour les ministères de l'intérieur, des finances et de la guerre, de suivre le mode déterminé par le décret adopté une heure auparavant, mais que Roland, Clavière et Servan, qui, conformément à la déclaration solennelle du 13 juin, ont emporté les regrets de la nation, y seront rappelés par acclamation. Mais on nomme les trois autres au scrutin. Sur 284 votants, Danton réunit 222 suffrages pour le ministère de la justice ; Monge 154 pour celui de la marine, et Lebrun 109 pour celui des affaires étrangères[46].

284 votants, sur 749 membres dont se composait l'Assemblée, sur 680 qui avaient pris part, deux jours auparavant, au scrutin acquittant La Fayette, voilà où en est réduite la représentation du peuple français. Une assemblée décimée par la peur ou le dégoût, une commune usurpatrice qui s'est nommée elle-même, tels sont les arbitres suprêmes des destinées de notre patrie. Quant aux quatre-vingt-deux autres départements qui ont souvent manifesté des vœux favorables au maintien de la Constitution de 1791 et envoyé a la Législative une majorité considérable pour la soutenir, il n'en est pas même question.

Vergniaud seul, disons-le à sa louange, ose dans ce moment se révolter contre la tyrannie du peuple de Paris, dont chaque orateur qui parait à la barre invoque le nom en réclamant la déchéance immédiate de Louis XVI.

Les représentants du peuple, s'écrie-t-il, ont fait tout ce que la Constitution leur permettait en indiquant une Convention nationale et en prononçant la suspension provisoire, jusqu'à ce que la Convention, revêtue de la plénitude des pouvoirs que le peuple souverain peut seul dispenser, ait prononcé. Les citoyens qui sont à la barre savent parfaitement que Paris n'est qu'une section de l'empire ; ils savent parfaitement que les représentants du peuple seraient indignes de la confiance même qu'ils viennent leur témoigner dans le temple de la liberté, s'ils étaient capables de voter par faiblesse une mesure que la loi ne les autorise pas à prononcer. Le peuple peut être égaré, mais il est bon, il reconnaît toujours la vérité lorsqu'on la lui montre. J'espère que les pétitionnaires useront de tout l'ascendant que la confiance de leurs concitoyens leur a donnée sur eux, pour les engager à rester tranquilles, à respecter l'asile des représentants du peuple... Je demande qu'en leur offrant les honneurs de la séance, on les invite à aller rendre compte au peuple de ce qu'ils ont entendu dire à des représentants qui ne sont animés que de l'amour du peuple et de la liberté.

Citoyens, dit à son tour le président (Gensonné), soyez confiants dans vos représentants..... allez et portez à vos concitoyens les paroles que vous venez d'entendre[47].

La préoccupation constante de l'Assemblée était en effet de faire parvenir aux masses les décrets qu'elle ne cessait de rendre ; c'est un des faits les plus significatifs et cependant les moins remarqués de la journée du 10 août. On croirait, à lire son procès-verbal, que la Législative était enfermée dans une étroite prison, d'où elle ne pouvait communiquer que difficilement avec l'immense multitude qui encombrait les abords de la salle de ses séances.

La commune insurrectionnelle l'avait-elle entourée d'une garde invisible ? La rupture instantanée de tous les rouages de la machine administrative avait-elle forcément paralysé la transmission ordinaire des décrets ? chacun voulait-il se soustraire, en cas de revirement subit, à la responsabilité des actes de cette journée ? Il est impossible d'assigner à chacune de ces causes sa part d'influence ; mais, quant au fait en lui-même, il ne peut être contesté ; car on voit à chaque instant des sections envoyer à l'Assemblée demander des renseignements sur ce qui se passe, et supplier la seule autorité subsistante de mettre leurs comités en état de tranquilliser le peuple et de dissiper ses inquiétudes[48].

 

X

Pendant ce temps, de F Hôtel de Ville aux Tuileries et des Tuileries au Manège, l'anarchie triomphait en pleine liberté. On pillait toujours.au Château ; l'incendie, après avoir dévoré les baraques des cours, atteignait déjà les ailes du monument. A chaque instant des coups de fusil se faisaient entendre ; c'étaient quelques malheureux blessés que l'on achevait, c'était une vengeance particulière qui s'assouvissait impunément.

Pour essayer d'apaiser ces désordres et d'arrêter ces crimes individuels qui se renouvellent sans cesse, l'Assemblée envoie des commissaires pris dans son sein, mais ils sont à peine écoutés. Elle fait distribuer des proclamations imprimées et même manuscrites — car on ne peut trouver d'ouvriers imprimeurs, et les députés en sont réduits à copier les décrets qu'ils viennent de rendre —, les spectateurs et les pétitionnaires en sortent chargés ; mais bientôt les plus zélés reviennent annoncer que la populace ne veut pas plus suivre leurs conseils que ceux des députés, qu'en vain ils ont cherché des officiers municipaux pour parler avec l'autorité qui leur manque ; qu'à peine ont-ils rencontré quelques commissaires de police disposés à proclamer la loi au son du tambour[49].

L'Assemblée fait une seconde tentative et expédie de nouveaux commissaires, ceux-ci lui rapportent de meilleures nouvelles -Henri Larivière annonce qu'aussitôt qu'ils ont été reconnus pour des représentants, ils ont été environnés par une foule de citoyens qui ont entendu avec respect, la tête découverte, la lecture de la loi : Tous ceux qui m'entouraient, ont juré de périr plutôt que de déshonorer la liberté par un crime. Et, se tournant vers la tribune du Logographe : A coup sûr, il n'est pas une tête ici présente — et l'on doit m'entendre — qui ne puisse compter sur la loyauté française[50].

L'Assemblée, qui ne demande pas mieux que d'être rassurée, applaudit très-vivement et se hâte de voter successivement toutes les mesures dont les Jacobins et les sections ultra-révolutionnaires demandaient en vain l'adoption depuis un mois et auxquelles elle avait jusqu'alors opposé un refus formel.

Ainsi, elle légalise et étend à toutes les assemblées primaires de France la mesure prise par la section du Théâtre-Français. Elle déclare que, pour la formation de la Convention nationale qu'elle vient de convoquer, sera admis à voter tout Français âgé de 25 ans, domicilié depuis un an et vivant du produit de son travail. Ainsi, convertissant en loi la proposition faite quelque temps auparavant par la section des Lombards, elle décrète, sur. la proposition de Choudieu :

1° Qu'il sera sans délai formé un camp sous les murs de Paris ;

2° Qu'il sera établi des canons sur les hauteurs des environs de Paris ;

3° Que la commission extraordinaire lui présentera lendemain ses vues sur les moyens d'exécuter le présent décret.

 

Mais il faut songer à payer les frais de la révolution qui vient de s'accomplir et à satisfaire ceux qui en ont été les auteurs ou au moins les complices. C'est encore Choudieu qui se charge de la proposition : Je demande, dit-il, que les fédérés, qui sont accourus de leurs départements pour nous défendre et qui nous ont si bien défendus aujourd'hui, soient payés des frais de leur voyage et reçoivent leur solde à compter du jour de leur arrivée à Paris.

L'octroi de cette demande ne pouvait souffrir de difficulté l'Assemblée se hâte de récompenser les Marseillais de la peine qu'ils se sont donnée à renverser la constitution, et de leur fournir les moyens de rester à Paris, aussi longtemps qu'il plaira à la démagogie de les y retenir pour achever son œuvre de destruction politique et sociale.

Il faut aussi se venger des magistrats qui ont osé remplir leurs devoirs en poursuivant l'enquête sur les événements du 20 juin, et dont certains représentants ont pu craindre un instant d'avoir à subir les mandats d'amener. L'Assemblée n'hésite pas à casser les juges de paix[51] légalement élus par les citoyens de chaque section et à ordonner qu'il soit immédiatement procédé à leur réélection ou à leur remplacement.

Il faut enfin songer aux frères et amis qui gémissent dans les prisons de l'aristocratie. Le fameux Saint-Huruge, le compagnon de Santerre au 20 juin, était détenu depuis un mois à Péronne pour des calomnies contre Luckner et les autres généraux ; un rapport fait d'urgence par le comité de législation ordonne qu'il sera mis sur-le-champ en liberté et que le comité sera chargé d'examiner la conduite du juge de paix qui a osé attenter à la liberté d'un aussi honorable citoyen.

 

XI

Certains incidents de la séance du 10 août ont été habilement exploités par les écrivains ultra-révolutionnaires, qui en ont pris texte pour vanner outre mesure la générosité et le désintéressement de la populace victorieuse. Nous ne voulons pas les passer sous silence, nous nous garderons bien cependant de leur attribuer une importance qu'ils n'eurent point en réalité, mais que l'Assemblée, en sa faiblesse s'efforça elle-même de leur prêter, quand elle ordonna à ses secrétaires de recueillir les actes de vertu qui avaient signalé la mémorable journée du 10 août et d'en rédiger un précis à envoyer aux départements.

Ah ! s'il eût fallu recueillir tous les crimes, tous les actes hideux commis dans cette journée, les secrétaires de l'Assemblée n'y auraient pas suffi. Pendant qu'un marchand de vin, nommé Clémence, amène à la barre un Suisse qu'il a sauvé, l'embrasse avec effusion et s'évanouit d'attendrissement pendant que des objets précieux sont déposés sur le bureau du président par des citoyens qui en tirent des reçus et font inscrire leurs noms au procès-verbal, que de scènes de meurtre, que de déprédations nous aurions à raconter si nous voulions entrer dans tous les détails révélés par les pièces officielles !

Peu de temps après que Clémence a fini son pathétique discours, on entend de nouveau retentir des cris de vengeance contre les Suisses, ces assassins du peuple. Le député Boirot annonce qu'un détachement populaire vient de partir avec des canons pour Courbevoie, où les quelques gardes restés dans leurs casernes courent les plus grands périls. On annonce, il est vrai, que le roi a envoyé défendre aux Suisses de se servir de leurs armes ; mais le porteur de l'ordre royal vient d'être arrêté aux Champs-Élysées au moment où il se dirigeait sur Courbevoie, et il est amené à l'Assemblée parce que l'écrit, signé de Louis XVI, n'est ni contresigné d'un ministre, ni daté. L'Assemblée autorise son président à donner des ordres pour que le porteur de la lettre soit mis à même de continuer sa route.

Tandis que l'on cherche un ministre pour contresigner l'ordre du roi, un garde national s'écrie à la barre : Je suis de poste ici ; j'entends tirer des coups de fusil ; je réclame votre humanité. — Il s'agit de sauver des hommes, ajoute Chéron, nommons des commissaires pour aller parler au peuple.

Les commissaires des sections avaient ordonné d'amener à la maison commune les prisonniers déposés aux Feuillants. Un premier détachement de soixante à quatre-vingts soldats désarmés est dirigé vers la place de Grève ; en route, les malheureux sont massacrés sans pitié. Pendant ce temps, d'autres Suisses prisonniers sont conduits au comité de la section du Roule. Le local se trouve bientôt trop petit pour les contenir. Le commandant de bataillon, Houdan, essaye de les faire transférer dans la caserne de la rue Verte et de là à l'Hôtel de Ville, mais la populace s'attroupe, les arrache à leur escorte et les égorge[52].

Après les meurtres en masse, raconterons-nous les meurtres individuels ? Qu'il nous suffise de dire un mot des deux plus importants.

Le commandant Carle, longtemps chef de bataillon de la garde nationale (section Henri IV) et passé avec le même grade dans la gendarmerie de Paris, était un des officiers qui avaient montré le plus de détermination au 20 juin. Pendant presque toute la journée du 10 août, il était resté à la porte de la loge du Logographe, veillant sur les jours de la famille royale ; tout à coup il est appelé au dehors de la salle, entraîné vers la place Vendôme et massacré[53].

M. de Clermont-Tonnerre, l'un des membres les plus distingués de l'Assemblée constituante, pendant qu'il passe tranquillement dans la rue, est désigné à la fureur de la populace, les uns disent par un de ses serviteurs, les autres par un boucher du marché de la rue de Sèvres. Il n'y avait aucun grief à arguer contre lui ; depuis deux ans il était en dehors des affaires publiques ; mais on crie à l'aristocrate, à l'ami du roi. Il est saisi, traîné dans la boue. En vain demande-t-il à être conduit à la section de la Croix-Rouge ; on ne l'écoute pas, on l'accable d'outrages, on l'égorgé, on le met en pièces[54].

 

XII

Les procès-verbaux et les comptes rendus nous montrent, pendant toute la journée du 10 août, des citoyens venant à la barre de l'Assemblée apporter des bijoux, de l'argent et des effets précieux trouvés aux Tuileries. A chaque instant, les délibérations sont interrompues par les remerciements que le président leur adresse au nom de la nation. Mais si on lit avec attention les discours mêmes de ces braves gens, on voit clairement que pendant qu'ils font acte de probité, d'autres font acte de déprédation[55]. L'un des déposants dit : Il se commet de grands pillages au Château[56]. Un second ajoute : Il serait très-instant d'envoyer des commissaires et des gardes pour empêcher le pillage. On écoute à peine et l'on ne prend aucune mesure. L'argentier du roi, qui tient à mettre à couvert sa responsabilité, présente un double de l'état des pièces qu'il avait le matin[57] ; il est fort mal accueilli. L'Assemblée répugne évidemment à se charger des objets précieux ; elle invite ceux qui les lui apportent à s'adresser plutôt à la commune qu'à elle, enfin elle rend le décret suivant :

L'Assemblée nationale, après avoir décrété l'urgence, décrète que l'argent, les meubles effets et bijoux, qui pourront être recueillis aux Tuileries, seront remis à la municipalité, qui en disposera conformément aux lois.

 

Dès lors, le courant change de direction ; ce qui peut être sauvé du pillage, va se noyer entre les mains de ceux qui se sont emparés de l'Hôtel de Ville ; ces mains n'étaient pas toutes pures, comme nous le verrons par la suite, et une partie des effets d'abord sauvés fut l'objet de dilapidations qui, plus habilement opérées, né laissèrent aucune trace dans les procès-verbaux.

Ce fut aussi à la commune insurrectionnelle que l'Assemblée nationale confia le soin d'éteindre l'incendie allumé aux Tuileries. Le feu avait déjà dévoré les deux superbes écuries de la garde à cheval, tous les bâtiments des cours, l'hôtel du gouverneur du Château, neuf cents toises de baraques, de masures et de maisons ; déjà les flammes gagnaient le pavillon Marsan et celui de Flore, menaçaient d'envahir le quartier Saint-Honoré. La nouvelle commune n'avait pas répondu à l'appel qui lui avait été adressé ; elle avait bien autre chose à faire qu'à empêcher la destruction du palais du tyran.

On revient donc avertir l'Assemblée des développements que prend l'incendie, et son président donne des ordres aux pompiers, tout en expédiant un nouvel avis à la municipalité et aux commissaires des sections[58]. Mais les pompiers ne tardent pas à annoncer qu'il leur est impossible d'agir : On tire sur eux, on menace de les jeter dans le feu. Des députés, qui avaient toute la faveur populaire, Merlin, Lecointre, Calon, se mêlent à la foule, lui représentent que les Tuileries sont une propriété nationale ; mais ils parlent en vain. Chabot, qui a visité le théâtre de l'incendie, rapporte qu'il est urgent d'en arrêter les progrès et propose de charger de ce soin le patriote Palloy, qui est, dit-il, très-propre par son talent et son civisme à rendre des services[59].

Peu de temps après, trois délégués viennent au nom des commissaires de la majorité des sections réunies, avec pleins pouvoirs de sauver la chose publique — c'est ainsi que se nommait elle-même la commune insurrectionnelle —, annoncer à l'Assemblée que le calme le plus profond règne dans la capitale, que des patrouilles nombreuses sauvegardent la sûreté des citoyens et des représentants du peuple ; enfin que le commandant générât Santerre veille sur la représentation nationale[60].

Le calme régnait ; mais c'était l'effet de la fatigue chez les uns, de la stupeur chez les autres. Les nouveaux chefs de la garde nationale avaient donné des ordres pour faire entourer l'Assemblée de forces considérables et distribuer à profusion des armes, des cartouches, des boulets et des gargousses à mitraille.

Rassurée par les précautions qui paraissaient garantir sa sûreté matérielle, l'Assemblée nomme, sur la présentation de sa commission extraordinaire et de son comité militaire, douze commissaires[61] chargés de se rendre aux armées, de leur expliquer la révolution qui vient de s'opérer et de les rallier autour de l'Assemblée nationale. Aussitôt après, à trois heures et demie du matin, elle suspend sa séance. Quelques membres restent dans la salle pour maintenir la permanence, proclamée dès le commencement de la crise.

La famille royale a donc enfin, pour la première fois depuis quarante-huit heures, la possibilité de goûter quelques moments de repos. Le roi, la reine et les fidèles serviteurs, qui étaient venus les rejoindre dans la loge du Logographe, ou s'étaient tenus aux abords de ce misérable réduit, sont emmenés dans quatre cellules de l'ancien couvent des Feuillants[62]. On y apporte à la hâte quelques meubles et un modeste repas.

Quatre cellules inhabitées depuis plus de deux ans, dont le carrelage est presque détruit, dont les murs sont dénudés, dont les fenêtres donnent sur des cours remplies d'hommes ivres de sang et de vin, et qui profèrent à chaque instant les plus horribles menaces tel est le premier asile que trouve la malheureuse famille après le naufrage de la royauté. Il ne lui était plus possible de se faire d'illusions. Les restrictions dont on avait entouré le décret sur la déchéance, la promesse de pourvoir immédiatement à la nomination d'un gouverneur du prince royal ne pouvaient abuser personne. La reine l'avait dit : Tout finit avec nous.

Les descendants, de tant de rois étaient captifs à deux pas de leur palais. Quand et comment devait finir cette captivité ?

 

FIN DU DEUXIÈME VOLUME

 

 

 



[1] Mémoires de Weber, p. 221.

[2] Mémoires de Barbaroux, p. 69.

[3] Cette section tenait ses séances dans l'église Saint-André-des-Arcs.

[4] Barbaroux avait recommandé aux Marseillais de ne pas se mettre à la tête des colonnes parisiennes dans les défilés des rues et surtout aux abords du Château, dont ils ne connaissaient pas les avenues. Quant à lui et à ses amis, Rebecqui et Pierre Baille, par des motifs de convenance singulièrement allégués dans un pareil moment, ils déclarèrent qu'ils étaient obligés de renoncer à l'honneur de conduire au feu leurs compatriotes, parce qu'ils étaient les représentants officiels de la ville de Marseille et du département des Bouches-du-Rhône. (P. 66 et 67 des Mémoires de Barbaroux.)

[5] Les abords des Tuileries furent rendus libres aux insurgés par la gendarmerie à cheval, qui abandonna précipitamment, son poste de la salle du Louvre pour se retirer d'abord au Palais-Royal, et ensuite se dirigea vers la place Louis XV, où nous la retrouverons plus tard.

[6] Il est assez intéressant de savoir que fut le sort de ces deux chefs de l'insurrection. La biographie de l'un d'eux est assez connue celle de l'autre l'est beaucoup moins.

Westermann, né à Moisheim (Alsace), en 1764, avait figuré, en 1788, dans des émeutes a Haguenau. Venu à Paris pour y chercher fortune, il se lia d'amitié avec Danton, devint un des admirateurs les plus enthousiastes de Pétion, fut, après le 10 août, nommé commissaire du nouveau pouvoir exécutif, puis adjudant général à l'armée des Ardennes (14 septembre 1792), et général de brigade, le 15 mai 1793. Suspendu de ses fonctions le 10 juillet suivant, réintégré et envoyé dans la Vendée, mis de nouveau en suspicion comme ami do Danton, arrête et traduit avec lui au tribunal révolutionnaire, il fut guillotiné Je 16 germinal, an II (5 avril 1794), sous le n° 567 de la liste générale.

Lefranc ne joua qu'un rôle très-obscur pendant la tourmente révolutionnaire mais, en 1796, il fut compromis dans la conspiration de Babœuf, puis, en 1800, dans le complot de Ceracchi contre la vie du premier consul, et transporté, a la suite de l'affaire de la machine infernale, avec un certain nombre d'anciens septembriseurs, aux îles Séchelles, puis à l'île d'Aujouan. Le climat pestilentiel de ces îles fit périr au milieu des plus atroces douleurs la plus grande partie de ses compagnons ; mais Lefranc échappa à travers mille dangers, tomba entre les mains des Anglais, resta un an ou deux captif sur les fameux pontons de la Tamise, et revint en France grâce a un échange de prisonniers. Pendant tout le reste de l'Empire, il fut interné et placé sous la surveillance de la haute police. En 1846, peu de temps après le retour des Bourbons, il fut impliqué dans une conspiration dite de l'épingle noire, condamné à la déportation par arrêt de la cour d'assises de la Seine et transféré, le 19 novembre suivant, au mont Saint-Michel ; il fut gracié en septembre 1819. Ici nous perdons les traces de ce conspirateur émérite, qui était alors âgé de soixante ans. Il est mort dans la plus complète obscurité. Toute cette biographie de l'architecte Lefranc pourrait être taxée de fable romanesque si nous n'avions pas entre les mains :

1° L'histoire des individus déportés en vertu du sénatus-consulte du 16 nivôse an IX, publié par Fescourt (1819), appuyée sur les témoignages des capitaines des bâtiments de l'État, La Flèche et La Chiffonne, qui transportèrent les déportés aux iles Séchelles ;

2° De nombreux rapports faits, sous l'Empire, sur Lefranc et les autres déportés ;

3° Les écrous de Lefranc dans les diverses prisons de Paris et au mont Saint-Michel.

[7] Rapport de Jardin.

[8] Pour le récit de ce qui se passa aux Tuileries après le départ du roi, nous ne nous sommes basés que sur des témoignages émanant de témoins oculaires. Comme ces témoins appartiennent aux deux partis, nous avons dû naturellement les contrôler les uns par les autres. Nous avons écarté avec soin tous les récits que l'on trouve dans les mémoires, histoires et journaux, où les exploits les plus fabuleux et les plus invraisemblables sont racontés avec une incroyable impudence.

Ces témoins oculaires, les seuls dont les dires nous paraissent devoir être invoqués, sont d'une part le capitaine Pfyffer, qui survécut au massacre des Suisses et rentra dans sa patrie et les lieutenants Diesbach et D'Ernest, massacrés le 2 septembre à l'Abbaye, dont nous avons retrouvé les interrogatoires datés du jour même de leur assassinat de l'autre, le Marseillais Loys et le capitaine de canonniers Langlade, dont les dépositions furent imprimées par ordre de l'Assemblée, quelques jours après le 10 août. Deux autres témoins oculaires, Westermann et Granier, n'ont pas laissé de relations signées d'eux, mais ils ont évidemment inspiré les récits de Pétion et de Barbaroux, dont ils étaient les amis et les confidents. Enfin, nous avons retrouvé le récit d'un autre témoin oculaire, le capitaine Jardin adjudant-major du bataillon des Filles-Saint-Thomas ; nous le donnons à la fin de ce volume ! il est fait évidemment pour être agréable aux vainqueurs.

[9] La chapelle depuis transportée dans une autre partie des Tuileries, était, en 1792, placée à la hauteur du premier repos du grand escalier.

[10] Nous donnons, à la fin de ce volume, des notices biographiques sur les généraux de Boissieu et de Menou, qui commandaient aux Tuileries le 10 août, ainsi que sur M. de Wittinghoff, qui commandait avec eux le 20 juin.

[11] Dans sa Relation dit 10 août imprimée en Angleterre, Pellier raconte que des individus armes de longs crocs de mariniers cherchaient à prendre les soldats suisses par leurs fourniments, à les attirer à eux pour pouvoir les désarmer, et qu'ils réussirent pour plusieurs. Quoique Pellier ne soit pas toujours très-croyable, cela nous parait vraisemblable et tout à fait dans les habitudes des gens de rivière, qui, on ne sait pourquoi, étaient toujours en grand nombre dans les émeutes de cette époque.

[12] La place était alors très-irrégulière.

[13] La place que la nouvelle si importante donnée par Borie occupe dans le procès-verbal de l'Assemblée permet de préciser parfaitement l'intervalle de temps qui s'est écoulé entre le premier envahissement des cours du Château et le commencement de la lutte.

Il est hors de doute que plus de trois quarts d'heure s'écoutèrent entre le moment où les portes donnant sur le Carrousel furent forcées (suivant l'expression de Borie) : et celui où les Suisses, ne pouvant plus résister autrement aux agressions des émeutiers, se virent contraints de faire usage de leurs armes.

Il fallut un quart d'heure au moins aux insurgés et aux canonniers, devenus leurs alliés, pour faire sortir les pièces des cours intérieures, les braquer contre le Château ; il fallut au messager, en le supposant aussi zélé et aussi prompt que possible, un quart d'heure pour aller du Château à la salle du Manège, pénétrer, au milieu de la foule compacte qui encombrait les abords de cette salle, jusqu'à Rœderer et à Borie ; enfin, d'après les incidents relatés au procès-verbal, il s'écouta au moins encore un quart d'heure entre l'annonce de la nouvelle donnée par Borie et les premiers coups de feu qui commencèrent la lutte.

[14] Logographe, 26e vol. supplémentaire, p. 31.

Cet officier était très-probablement La Chesnaye, à qui Mandat, en partant, avait laissé le commandement des Tuileries, et qui avait accompagné le roi à la salle du Manège.

[15] Logographe, p. 32.

[16] Moniteur et procès-verbal.

[17] Dans ce moment (dix heures et demie), Mandat avait déjà été tué ; mais l'Assemblée le croyait encore seulement en état d'arrestation.

[18] Nous nous servons des expressions du Moniteur.

[19] Logographe, p. 33.

[20] Logographe, p. 34.

[21] Logographe, p. 34.

[22] Il est évident, par la place qu'occupe dans le procès-verbal de l'Assemblée la communication faite par Dubouchage, qu'eue fut de quelques minutes postérieure à l'ordre donné à d'Hervilly. Celui-ci, en le recevant des mains du roi, avait-il fait la restriction mentale de ne se servir de cet ordre que suivant les chances du combat alors engagé, nul ne peut le dire ; mais que Louis XVI, en le donnant, ait eu lui-même une semblable pensée, cela nous semble impossible. Voilà pourtant ce que les écrivains ultra-révolutionnaires, et notamment M. Louis Blanc, ont voulu induire du récit que Bertrand de Molleville donne dans ses Mémoires, d'une conversation qu'il eut à Londres avec d'Hervilly, quelques mois plus tard.

Nous ne pouvons pas non plus accepter le récit que M. Carnot nous donne (Mémoires sur son père, t. Ier, p. 248) comme le tenant de Prieur (de la Côte-d'Or) on y voit Louis XVI dans la loge du Logographe, debout, appuyé sur un fusil qu'il avait pris des mains d'un soldat, et frémissant de rage. Rien n'est plus contraire à l'attitude de Louis XVI au 10 août et dans toutes les journées qui précédèrent.

[23] Logographe, p. 33, 34 et 35.

[24] Moniteur, Procès-verbal et Logographe.

[25] Le combat avait commencé à dix heures et demie environ ; l'heure est précisée par un billet au crayon que possède un amateur éclairé, M. Boutron-Charlard, ancien membre du Conseil municipal de Paris ; ce billet est daté de l'hôtel de la mairie ; il est écrit de la main de Panis, administrateur de police, et adressé à ses amis et complices de l'Hôte de Ville.

DÉPARTEMENT DE POLICE. — MUNICIPALITÉ DE PARIS.

Le 10 août, à onze heures moins deux minutes.

Eh ! vite, amis de la patrie séants à la commune ne perdons pas de temps ; on demande des munitions pour nos frères qui combattent aux Tuileries ; c'est vous qui avez l'arsenal en main, portez-le là tout entier.

Les administrateurs provisoires du département de police et de la garde nationale,

PANIS, PERRON.

Perron, qui apposa sa signature a côté de celle de Panis au bas de ce billet, ne sauva pas sa vie par cette faiblesse. If périt le 2 septembre à l'Abbaye, où ses anciens collègues l'avaient fait emprisonner quelques jours après le 10 août. Nous avons déjà donné son arrêt de mort, signé par Maillard, dans notre premier volume.

[26] Le baron de Viomesnil, frère aîné de celui qui fut plus tard maréchal de France, eut, quelques moments après, les deux jambes brisées par un boulet de canon. Il mourut de ses blessures.

[27] Récit du capitaine Pfyffer.

[28] Un assaut d'une demi-heure au moins, peut-être de trois-quarts d'heure, soutenu par sept à huit cents soldats aguerris, embusqués dans l'embrasure des fenêtres et tirant, du premier étage des Tuileries, contre des masses s'élançant à découvert sur une longueur de plus de soixante à quatre-vingts mètres, aurait eu naturellement pour résultat de coucher sur Je carreau des milliers de morts et de blessés. Aussi les journaux et écrits du temps n'ont-ils pas manqué d'affirmer que la victoire avait coûté la vie à quatre ou cinq mille patriotes. Or, comme nous le prouvons avec des chiffres qui ne peuvent être contestés (voir la note à la fin de ce volume), le total véritable des morts, du côté du peuple, dans toutes les phases de la lutte, ne s'est pas élevé à plus de CENT, celui des blessés grièvement à plus de SOIXANTE, en chiffres ronds. Nous verrons combien il faut en attribuer à la phase la plus longue, mais la moins meurtrière, celle du combat proprement dit.

[29] Une partie des officiers prisonniers aux Feuillants survécurent à la journée du 10 août. Ce furent à peu près les seuls. Onze se trouvaient réunis dans une même pièce ; un député, dont le nom doit être transmis à la postérité, Bruat (du Haut-Rhin), vint les trouver et leur dit en allemand qu'il allait faire tout ce qui dépendrait de lui pour les sauver ; le soir venu, il leur procura des déguisements, les fit sortir par une porte dérobée. Trois autres officiers furent sauvés par un garçon de bureau du corps législatif, nommé Daigremont. De ces quatorze officiers, huit ou dix purent regagner la Suisse, et c'est avec leurs souvenirs réunis que le capitaine Pfyffer d'Altishoffen composa son très-intéressant récit publié en 1819. Quelques autres, notamment les lieutenants d'Ernest et de Diesbach, furent arrêtés lors des visites domiciliaires de la fin d'août et périrent te 2 septembre. Nous avons été assez heureux dans nos recherches pour retrouver les interrogatoires subis, le matin même du jour du massacre, par ces deux malheureux jeunes gens, devant l'un des directeurs du jury d'accusation du tribunal du 17 août. Nous donnons ces deux pièces à la fin de notre volume. En marge sont écrits ces mots sinistres : Les prévenus ont été massacrés à l'Abbaye.

[30] Récit du capitaine Pfyffer ; récit de Pétion (pièces intéressantes pour l'histoire) dans l'Histoire parlementaire, t. XVI, p. 444.

[31] La Suisse a honoré par un monument public le dévouement malheureux de ceux de ses enfants qui périrent au service de la royauté française. Aux portes de Lucerne, dans le flanc d'un rocher coupé à plan vertical, une grotte a été creusée, où un lion de proportions gigantesques est représenté expirant, percé d'une lance, sur un bouclier fleurdelisé qu'il couvre encore de sa force défaillante. Le rocher est couronné de quelques plantes alpestres ; on y a gravé les noms des soldats et officiers morts au 10 août et au 2 septembre 1792. Tout près s'élève une chapelle, avec cette inscription :

HELVETIORUM FIDEI AC VIRTUTI

INVICTIS PAX.

Le modèle du monument a été composé par le fameux sculpteur danois Thorwatdsen. L'aspect de ces lieux mélancoliques rappelle ce beau vers de Virgile

Sunt lacrymæ rerum et mentem mortalis tangunt.

[32] Les phrases en italique sont empruntées aux Révolutions de Paris, de Prud'homme, t. XIII, p. 236 et 237.

[33] Ces mêmes prostituées se portèrent aux dernières indécences sur les cadavres des Suisses. C'est ce que racontait un témoin oculaire, Napoléon, à M. de Las Cases, à Sainte-Hélène (3 aoùt 1816).

[34] Barbaroux, qui ne peut être suspect, puisqu'il avait été l'un des premiers organisateurs de l'insurrection, signale lui-même, au mépris de la postérité, ces lâches fugitifs pendant l'action, assassins après la victoire, ces tueurs de cadavres qu'ils piquaient de leurs épées pour se donner les honneurs du combat (p. 73 de ses Mémoires) seulement, Barbaroux prétend que les Marseillais n'étaient pas de ce nombre. Nous ne partageons pas son opinion sur ce point.

[35] Mémoires de Weber, t. II, p. 347.

[36] Nous avons suivi le récit même de Mme Pauline de Tourzel (Souvenirs de quarante ans, p. 137).

[37] Mémoires de Mme de Campan, t. II, p. 250, 251.

[38] Cette retraite si facile et si peu troublée est encore une preuve évidente de ce que nous avons dit plus haut. Si les Tuileries avaient été prises de vive force, cette petite troupe aurait été poursuivie l'épée dans les reins ; elle n'aurait pu franchir la coupure sans obstacle ; elle aurait été décimée par les coups de fusil tirés sur elle pendant le trajet si long et si dangereux de la grande galerie du Louvre ; elle aurait enfin été signalée par les insurgés engagés dans la galerie à leurs compagnons du Carrousel pour qu'ils eussent à la retrouver au pied des escaliers du Louvre, et la prendre entre deux feux, au moment où elle déboucherait sur la voie publique. Cette fuite miraculeuse serait inexplicable dans l'hypothèse d'un assaut véritable, mais elle se conçoit tout naturellement, si les Tuileries, abandonnées par leurs défenseurs faisant retraite de deux côtés à la fois, n'ont été envahies que lorsque l'apaisement de tous les feux défensifs eût fait comprendre aux assaillants qu'ils n'avaient plus à craindre de résistance.

[39] Le caractère de ce discours est complètement altéré dans le très-bref et très-incomplet résumé qu'en donne le Moniteur. Nous suivons la version du Logographe, p. 39, 40, et celle du Journal des Débats et Décrets, p. 162.

[40] Voici le texte du décret proposé par Bazire :

L'Assemblée confirme provisoirement l'organisation actuelle de la municipalité de Paris. Logographe, p. 52.

[41] A onze heures du matin, l'Assemblée adopte cette proclamation :

Si la première des autorités constituées est encore respectée, si les représentants du peuple, amis de son bonheur, ont encore sur lui l'ascendant de la confiance et de la raison, ils prient les citoyens et, au nom de la loi, ils leur ordonnent de lever la consigne établie à la mairie et de laisser paraitre aux yeux du peuple le magistrat que le peuple chérit.

GUADET, ex-président ; CRESTIN, GOUJON, TRONCHON, secrétaires.

 

Une heure après, elle lance une nouvelle adresse au peuple. Nous en avons retrouvé la minute, raturée, bâtonnée, chargée de renvois. Son état matériel indique bien le trouble qui agitait le rédacteur, Lamarque :

Depuis longtemps de vives inquiétudes agitaient tous les départements, depuis longtemps le peuple attendait de ses représentants des mesures qui pussent le sauver. Aujourd'hui les citoyens de Paris ont déclaré au Corps législatif qu'il était la seule autorité qui eût conservé leur confiance, et les membres de l'Assemblée nationale ont juré de maintenir la liberté et l'égalité ou de mourir à leur poste. Ils ont juré de sauver la patrie et seront fidèles à leur serment.

L'Assemblée nationale s'occupe de préparer les lois que des circonstances si extraordinaires ont rendues nécessaires. Elle invite les citoyens, au nom de la patrie, de veiller à ce que les droits de l'homme soient respectés et les propriétés assurées. Elle les invite à se rallier à elle, à l'aider à sauver la chose publique, à ne pas aggraver par de funestes divisions les maux et les dangers de l'empire.

[42] Ce décret est le premier qui soit inséré au Bulletin des Lois avec cette formule nouvelle : AU NOM DE LA NATION. Un autre décret, rendu deux heures après sur la motion de Jean Debry, avait enjoint au ministre de la justice d'apposer le sceau de l'État, en la forme ordinaire, à tous les actes du corps législatif non revêtus de la sanction royale, et sur tous les décrets à rendre. Dejoly se crut donc obligé d'apposer sa signature au bas de l'acte qui prononçait la suspension du monarque dont il tenait ses pouvoirs ; il signa également la lettre d'envoi de ce même décret à Pétion, devenu le chef de la municipalité insurrectionnelle :

10 août 1792.

Je m'empresse, Monsieur, de vous transmettre directement une expédition certifiée de la loi numérotée 1978, relative à la suspension du pouvoir exécutif. Je vous prie de veiller à ce qu'elle soit promulguée sur-le-champ dans la ville de Paris.

Le ministre de la justice,

DEJOLY.

[43] Procès-verbal, p. 12. — Plusieurs procès-verbaux prouvent que, dans la journée du 10 août, le comité de surveillance de l'Assemblée nationale réclama de toutes les sections de Paris la recherche et la dénonciation des suspects qui pouvaient se trouver dans la circonscription de chacune d'elles.

[44] Nous avons retrouvé les déclarations de cinq des ministres de Louis XVI :

Nous avons l'honneur d'assurer à l'Assemblée nationale et de lui affirmer qu'il n'y a pas eu de proclamation du roi faite et par nous envoyée à l'armée.

DEJOLY, BIGOT-SAINTE-CROIX, CHAMPION.

 

Ce 10 août 1792.

Je fais serment que je n'ai envoyé aucune proclamation dans les ports ni dans les armées navales.

Le ministre de la marine,

DUBOUCHAGE.

 

J'ai l'honneur d'assurer à l'Assemblée nationale que je n'ai fait aucune proclamation à l'armée, mais qu'il peut avoir été envoyé un exemplaire de la dernière proclamation du roi, dont un exemplaire a été envoyé à l'Assemblée nationale ; encore je ne l'affirmé pas.

D'ABANCOURT.

[45] Dejoly date son récit du 14 août, quatrième jour de sa captivité. Avant d'être arrêté, il avait écrit au président de l'Assemblée la lettre suivante, que nous avons retrouvée :

Monsieur le président,

Je vous prie de vouloir bien annoncer à l'Assemblée nationale, qu'en exécution du décret qu'elle a rendu hier, j'ai fait apposer le sceau de l'État, expédier et envoyer aux corps administratifs et judiciaires tous les décrets qui ont été rendus dans cette journée.

Mon successeur est nommé ; j'aurais désiré pouvoir lui remettre moi-même les sceaux ; mais le département ayant, en conformité des ordres de l'Assemblée nationale, apposé le scellé sur le cabinet où ils sont, je crois, monsieur le président, ne pouvoir mieux faire que de vous adresser directement les clefs de l'armoire et du coffre dans lesquels ils sont renfermés.

Je suis avec un profond respect, etc.

DEJOLY.

Paris, le 11 août 1792, l'an IV de la Liberté, à une heure du matin.

[46] Des six premiers ministres de la république, deux périrent sur l'échafaud, Lebrun et Danton, deux se donnèrent eux-mêmes la mort, Roland et Clavière ; les deux derniers survécurent et servirent l'empire ; Servan mourut en 1808, général de division ; Monge devint sénateur et comte de Peluse.

Des six derniers ministres de Louis XVI, un seul, le malheureux d'Abancourt, périt de mort violente. Nous raconterons bientôt comment il fut ramené, moins d'un mois après le 10 août, d'Orléans à Versailles par la troupe de Fournier l'Américain, comment il tomba avec un autre ministre de Louis XVI, Delessart, et quarante-neuf autres victimes, sous le fer des assassins envoyés par la commune de Paris.

[47] Voir le procès-verbal, p. 16, 17. — le Logographe, p. 62.

[48] Logographe, p. 57.

[49] Logographe, p. 47.

[50] Logographe, p. 66.

[51] Les plus courageux de ces magistrats périrent victimes de leur dévouement.

Étienne Larivière (de la section Henri IV), qui avait lancé des mandats d'amener contre Merlin, Chabot et Bazire, dans l'affaire du comité autrichien, fut massacré à Versait les, le 9 septembre, avec les prisonniers de la haute-cour.

Buob et Bosquillon, le premier du faubourg Poissonnière, le deuxième de l'Observatoire, qui étaient soupçonnés d'avoir des relations avec la cour, furent massacrés à l'Abbaye, le 2 septembre.

Fayel, de la section du Roi-de-Sicile, qui avait reçu des dépositions importantes relatives au 20 juin. et qui avait fait prendre à cette section le courageux arrêté du 8 août, mourut sur l'échafaud le 19 décembre 1793.

Bertrand de Molleville fait périr, le 40 août, le juge de paix des Tuileries, Menjaud, qui avait également tenu une conduite très-honorable au 20 juin ; mais c'est une erreur, car nous avons retrouvé plusieurs écrous au nom de cet honorable magistrat à des dates postérieures. Ces écrous constatent que si Menjaud ne périt pas, il fut longtemps trainé de prison en prison.

[52] Ce dernier fait est constaté par le procès-verbal suivant :

MUNICIPALITÉ DE PARIS.

Rapport fait par le sous-commandant de la section du Roule.

Du 10 août 1792.

Il vous expose, Messieurs, que les prisonniers suisses, faits par différentes sections, ont été en partie amenés aux comités de ladite section, poste central du bataillon. Comme le local était trop petit pour y recevoir tous les Suisses, ledit commandant monta aux comités ; fit ses représentations, et donna idée aux commissaires de ladite section de transférer les Suisses à la caserne de la rue Verte ce qui fut accepté. La confusion de citoyens qui accompagnaient les Suisses, ne voulut pas qu'ils y restassent ; ils me forcèrent de les leur livrer, pour être amenés à la maison commune, ce qui fut exécuté ; il fut aussi amené un soi-disant commandant suisse qui fut arraché de nos mains et qui fut massacré à l'instant, malgré toutes les représentations et opposition et résistance que ledit commandant leur a fait, ainsi que M. Carré, officier des chasseurs volontaires de Popincourt ; et avons signé et requérons copie dudit rapport pour leur servir et valoir.

HOUDAN, commandant en second ; CARRÉ, sous-lieutenant.

[53] La malheureuse reine apprit la nouvelle de cette mort affreuse une demi-heure après que ce fidèle serviteur l'eut quittée.

[54] Voici tout ce que le procès-verbal de la commune contient sur ce meurtre abominable :

On annonce que M. de Clermont-Tonnerre vient de périr malgré les efforts de la section de la Croix-Rouge pour le sauver.

[55] Ce qui le prouve mieux encore que les paroles des déposants, c'est le rapport que fit à la Convention, dans les derniers mois de 1792, Maignet, depuis si célèbre par son proconsulat dans le Midi. Il y est proposé d'accorder une indemnité de 118.968 livres aux serviteurs du Château, victimes des vols et des pillages commis dans tes appartements et chambres qu'ils occupaient aux Tuileries. Ce rapport renferme des passages trop caractéristiques pour que nous n'en donnions pas quelques extraits à la fin de ce volume.

[56] Procès-verbal officiel de l'Assemblée, p. 20, 21.

[57] Logographe, p. 44.

Il avait déposé l'état même au comité de la section du Louvre.

[58] Procès-verbal officiel, p. 15. L'Assemblée ne savait à qui s'adresser et invoquait en même temps le secours de l'ancienne et de la nouvelle autorité municipale.

[59] Palloy était un architecte que l'on voyait apparaître toutes les fois qu'il y avait des démolitions patriotiques à opérer ; voici le rapport qu'il envoya le 11 août à l'Assemblée :

Monsieur le président,

J'ai l'honneur de vous prévenir que les progrès du feu sont entièrement, apaisés, grâce à l'activité des pompiers qui ont été on ne peut pas mieux conduits cette nuit par leur chef, malgré beaucoup de malveillants qui voûtaient y causer du retard ; il sera entièrement éteint cette matinée et hors de tout danger de communication au Château. Je suis après à y faire les tranchets nécessaires (sic).

Il serait à désirer que l'extérieur des faces du Château fût bien gardé pour empêcher les accidents qui pourraient provenir par la curiosité de nos concitoyens qui se blesseraient et qui interrompraient les travaux.

Je suis avec respect, Monsieur le président, un zélé, fidèle patriote de la patrie,

PALLOY.

Le 10 août, an IV de la liberté.

Ce Palloy est encore un type à étudier ; c'est celui du prétendu artiste qui fait sonner bien haut son patriotisme et se met continuellement en avant pour se faire accorder des travaux, que bientôt on est obligé de lui enlever parce qu'il les dirige au rebours du sens commun, mais en se faisant payer très-grassement.

Six semaines après que les travaux des Tuileries avaient été confiés à Palloy, le ministre de l'intérieur s'aperçut qu'il y avait fait plus de dégâts que de réparations, mais qu'en même temps il présentait des comptes follement exagérés. Ces faits furent aussitôt dénoncés à la Convention. Mais l'architecte patriote, au lieu d'achever sa besogne civique, s'était hâté de lever parmi ses ouvriers un bataillon dit de la république. Il se trouvait alors à Épernay ; apprenant la dénonciation du ministre de l'intérieur, il réunit sa troupe, la passe en revue, et prononce une harangue, dans laquelle il couvre d'injures Roland et sa femme. Le discours de Palloy nous est tombé entre les mains. Imprimé, il ne forme pas moins de soixante-douze pages in-4°, il contient un récit éminemment fantaisiste de l'insurrection parisienne, et des chiffres hyperboliques comme ceux-ci Les ennemis de la liberté, présents à Paris en août 1792, étaient au nombre de 233.800, et les insurgés qui les écrasèrent étaient dix fois moins nombreux ! — Dans un autre passage se trouve cette phrase : — Ce sont les sans-culottes, la crapule et la canaille de Paris, et je me fais honneur d'être de cette classe, qui ont vaincu les soi-disant honnêtes gens.

Un autre témoin oculaire, Napoléon, se servait exactement des mêmes expressions que Palloy ; il disait à M. de Las Cases (Mémorial, 3 août 1816) : Le Château se trouvait attaqué par la plus vile canaille...

[60] On ne lira pas sans intérêt les lettres suivantes, dont nous avons retrouvé les minutes :

MUNICIPALITÉ DE PARIS.

Extrait des délibérations du conseil général de la commune de Paris.

Du 10 août 1792, an IV de la liberté.

M. le commandant du bataillon de Saint-Séverin ou le commandant du poste délivrera une pièce de canon aux porteurs du présent, cette pièce devant servir défendre le peuple contre ses ennemis.

Le commandant général provisoire,

SANTERRE.

 

SECTION DES THERMES DE JULIEN.

Du 10 août 1792, l'an IV de la liberté.

M. Santerre, commandant général provisoire, est instamment prié de faire délivrer, pour le bataillon des Mathurins, vingt-quatre boulets, vingt gargousses à mitraille et douze à boulet, cinquante étoupilles, vingt-quatre lances, six livres de mèches. Cette demande est faite par Behours, commissaire nommé par l'Assemblée permanente pour se réunir à la maison commune.

HUGUIN, commandant du bataillon des Mathurins, BEHOURS, commissaire, CROULLEBOIS, commandant en second, TAILLARD, commissaire.

 

MUNICIPALITÉ DE PARIS.

M. Prévôt délivrera à nos frères de la section des Gravilliers un millier de cartouches à balles.

Les administrateurs provisoires de police de la garde nationale,

PANIS.

À la mairie, le 10 août 1792.

 

SECTION DES GRAVILLIERS.

Le président soussigné demande au nom de l'Assemblée générale deux mille cartouches, au lieu de mille qui sont exprimées ci-dessus.

CASSAIGNES, président ; MESSAGEOT, secrétaire.

 

Le 11 août 1792.

M. Prévôt est prié aussi de donner cinquante gargousses à mitraille pour le service des canonniers qui s'en sont démunis dans la journée du 10 à la place Louis XV, où ils se sont bien distingues.

RECORDON, commandant du bataillon ; MOREAU, capitaine.

 

De la maison commune, le 10 août 1792.

M. le commandant en chef du bataillon de . . . . . . . . . . enverra sur-le-champ à chaque barrière de son arrondissement une force suffisante et donnera la consigne de ne laisser passer qu'avec des passeports en date de ce jour, observant que les personnes apportant des comestibles nécessaires dans la capitale n'en ont pas besoin ; de même, M. le commandant enverra une force suffisante aux prisons, trésor public et autres maisons nécessitant une garde, le surplus des bataillons, inutile dans leurs arrondissements, sera envoyé à l'Assemblée nationale et aux environs des Tuileries, dans lesquels endroits ils recevront des ordres ultérieurs de faire battre la générale de suite.

Le commandant général provisoire,

SANTERRE.

[61] Ces commissaires furent Lacombe, Saint-Michel, Carnot l'aîné, Delmas, Bellegarde, Kersaint, Prieur, Gasparin, Dubois-Dubay, Antonelle, Coustard, Peraldi, Rouyer.

[62] Ce couvent, attenant à la salle du Manège, était alors occupé par les bureaux de l'Assemblée.