HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

NOTES, ÉCLAIRCISSEMENTS ET PIÈCES INÉDITES

 

IV. — PREMIER PROGRAMME DE LA FÊTE DU 15 AVRIL 1792.

 

 

Ordre et marche de l'entrée triomphante des martyrs de la liberté du régiment de Châteauvieux dans la ville de Paris.

 

Le matin du jour destiné pour la fête, un char de forme antique sortira d'un emplacement choisi à cet effet dans le faubourg Saint-Antoine.

La ville de Paris, représentée par une femme et les attributs qui la caractérisent, sera sur ce char.

Les officiers municipaux suivront le char, qui sera d'ailleurs accompagné des divers corps et associations qui doivent composer le cortège ; les faces du char porteront des bas-reliefs analogues à l'affaire de Nancy et aux crimes de Bouillé.

Les événements principaux dont cette ville a été le théâtre seront d'ailleurs. représentés par des tableaux en forme de bannières.

On y verra encore le Champ de Mars où le régiment de Châteauvieux fut placé en 1789 et où il refusa de se déclarer contre les citoyens.

Le cortège se rendra à la porte du Trône, en dehors de laquelle se trouveront les quarante soldats de Château vieux, ayant à leur tête une femme représentant la ville de Brest, les

deux députés de cette ville et Collot d'Herbois au milieu d'eux.

Les soldats du régiment de Châteauvieux seront vêtus de l'uniforme de leur régiment ; quarante hommes les accompagneront, portant les chaînes et la dépouille de galérien de chacun de ces martyrs de la liberté.

D'autres hommes porteront un modèle de galère.

D'autres encore porteront des rames de grandeur naturelle. La ville de Paris, descendant du char, embrassera sa sœur, la ville de Brest ; elle paraîtra la féliciter et l'invitera à monter sur le char ainsi que les soldats de Châteauvieux, les deux députés de Brest et Collot d'Herbois.

Le cortège, chargé de leurs chaînes de leurs rames et de la galère, prendra l'avant du char, lequel sera immédiatement précédé d'un plateau roulant, garni d'un grand nombre de musiciens.

Dans cet ordre, le cortège entrera dans le faubourg Saint-Antoine et se rendra sur la place, vis-à-vis le terrain de la Bastille.

Les gardes françaises, revêtus de leur uniforme, et les vainqueurs de la Bastille se trouveront à l'entrée de cet emplacement. Ils s'avanceront vers le char et marqueront leur joie à leurs frères de Châteauvieux.

La ville de Paris paraîtra inviter sa sœur, la ville de Brest, à venir visiter les ruines de la Bastille. Elles descendront l'une et l'autre, les soldats de Châteauvieux les suivront, et, embrassés par les gardes françaises, ils se rendront sur l'emplacement de la Bastille, où une décoration simple aura été préparée pour les recevoir.

Pendant ce temps, la musique célébrera par des stances la première victoire du peuple.

La ville de Paris, la ville de Brest et les soldats de Châteauvieux reviendront sur le char.

Un cortège particulier, conduit par Palloi, sortira avec eux de la Bastille ; il portera quatre pierres tirées des débris, sur lesquelles seront gravées des inscriptions relatives aux quatre événements principaux de Nancy, Vincennes, La Chapelle et le Champ de Mars, dans lesquels le sang des patriotes a coulé.

Le cortège prendra le boulevard qu'il suivra jusqu'à la rue des Capucines, par laquelle il se rendra sur la place de l'Assemblée nationale où s'arrêtera[1].

La statue du despote sera voilée.

Collot d'Herbois, les deux députés de Brest et les quarante soldats de Châteauvieux descendront du char. Ils se rendront à l'Assemblée nationale et rendront leurs hommages au Corps législatif.

Pendant cet intervalle, la musique exécutera différents morceaux ; au retour des soldats de Châteauvieux, le cortège reprendra sa marche il suivra la rue Saint-Honoré et arrivera à la place dite de Louis XV. — La statue sera également voilée.

Il y aura une pause pendant laquelle la musique exécutera des morceaux où sera rappelé le premier attentat contre la liberté dont la place Louis XV a été le théâtre.

On prendra le quai des Tuileries, le pont Royal, la rue du Bac, la rue Saint-Dominique, l'esplanade des Invalides et on arrivera au Champ de la fédération.

L'autel de la patrie sera entouré de citoyens, déplorant encore le dernier événement qui a souillé le Champ de la liberté. Le drapeau national, entièrement couvert d'un crêpe noir, flottera au-dessus.

Au moment où le cortège arrivera dans l'enceinte du Champ de Mars, la ville de Paris, la ville de Brest et les soldats de Châteauvieux descendront du char et s'arrêteront au pied de l'autel de la patrie.

Les citoyens entourant l'autel de la patrie se retireront à l'écart.

La ville de Paris et les officiers municipaux monteront seuls à l'autel ; Palloi les y accompagnera et leur présentera les quatre pierres provenant des cachots de la Bastille.

Ces pierres étant déposées sur l'autel, des parfums seront brûlés en abondance dans des vases disposés autour de l'autel et répandront une fumée épaisse.

Après cette cérémonie, destinée à purifier le Champ de la fédération, !a ville de Paris reprendra sa sœur, la ville de Brest ; elle la conduira à l'autel, ainsi que les soldats de Châteauvieux, qui, pour lors, arrachant le crêpe, mettront à découvert l'étendard national.

Alors les soldats de Châteauvieux se mêleront avec. leurs frères dans des festins civiques, pour lesquels les citoyens s'empresseront de réunir leur repas de famille aux vivres que le commerce y apportera abondamment des danses signaleront l'allégresse publique, et la fête durera autant que le jour, trop prompt à fuir, le permettra.

Arrêté le 23 mars 1792.

Signé : TALLIEN, président.

 

 

 



[1] C'est la place Vendôme qui est ainsi désignée. La statue qui ornait alors cette place était celle de Louis XIV.