HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

NOTES, ÉCLAIRCISSEMENTS ET PIÈCES INÉDITES

 

I. — PROTESTATIONS DU PARLEMENT DE PARIS - PROCÈS ET MORT DES PARLEMENTAIRES.

 

 

Les protestations de plusieurs parlements, notamment de ceux de Rennes et de Toulouse, furent publiques. Celles du parlement de Paris demeurèrent secrètes.

Les parlements avaient pris leurs vacances comme à l'ordinaire, en septembre 1789. Mais l'Assemblée constituante, ne voulant pas qu'ils se rassemblassent de nouveau à la rentrée de la Saint-Martin, rendit, le 3 octobre, un décret qui les maintenait en état de Chambre des vacations. L'année suivante, un autre décret des 7-11 septembre supprima tous les parlements.

Ce fut contre l'enregistrement de ces deux décrets que la a Chambre des vacations de Paris protesta. Ces protestations étaient écrites sur des feuiDes volantes et devaient ne pas être inscrites sur les registres du parlement, mais se conserver seulement entre les mains du président. de la Chambre des vacations, M. Le Peletier de Rosanbo.

Voici le texte de ces protestations et de la lettre au roi qui les accompagnait :

La Chambre des vacations, profondément consternée de l'urgence et de l'empire des circonstances, ainsi que de l'état auquel elles ont réduit la compagnie, proteste contre la transcription de la déclaration de cejourd'hui, et contre tous actes émanés d'icelle Chambre, qui seraient contraires au bien public, à la justice et aux lois inviolables du royaume, comme extorqués, par la crainte de malheurs publics plus grands encore que ceux qui pourraient résulter desdits actes.

Fait double en vacations, le 5 novembre 1789 :

Signé : LE PELETIER, H. L. FREDY, DUPUIS, NOUET, PASQUIER, D'OUTREMONT, FAGNIER DE MARDEUIL, AMELOT, LAMBERT, LESCALOPIER, CAMUS DE LA GUIBOURGÈRE, LENOIR, DUPORT et AGARD DE MAUPAS.

 

Les soussignés, considérant qu'il importe à la stabilité du trône, à la gloire de la nation et au bonheur des citoyens de tous les ordres et de toutes les classes, qu'au milieu des ruines de la monarchie it subsiste un monument qui conserve les principes par lesquels elle a été gouvernée pendant tant de siècles ; que, dans les circonstances, cette obligation est d'autant plus rigoureusement prescrite aux magistrats de )a Chambre des vacations que, faisant partie de la première cour du royaume, ils peuvent seuls suppléer le silence des princes et pairs et des magistrats, desquels ils se trouvent séparés, ont arrêté, en renouvelant leurs protestations du 5 novembre contre les premières atteintes portées aux lois et à la Constitution de l'État, qu'ils n'ont jamais entendu donner aucune approbation aux différents décrets qu'ils ont transcrits que cette transcription n'a été faite qu'à la charge d'être réitérée à la rentrée de la cour ; que, cette condition ne pouvant se réaliser, toute transcription devient par là nulle et sans effet ; qu'ils ne peuvent reconnaître comme l'effet du vœu général de la nation le résultat des délibérations d'une assemblée, qui devait être celle des trois ordres composant les États-généraux, et qui se trouve dénaturée et constituée, par son autorité seule, Assemblée nationale qu'enfin ils protestent et ne cesseront de protester contre tout ce qui a été fait ou pourrait être fait par les députés aux Etats-généraux qui, dans cette prétendue assemblée, ont, contre la teneur expresse de leurs mandats, non-seulement excédé leur pouvoir, qui consistait principalement à payer la dette de l'État, à subvenir aux dépenses nécessaires par une répartition égale, et enfin à' établir une sage réforme dans les différentes parties de l'administration, mais même en ont abusé par la violation des propriétés de tout genre, par le dépouillement du clergé qui entraîne le mépris de la religion, par l'anéantissement de la noblesse qui a été toujours un des principaux soutiens, par la dégradation de la majesté royale, les atteintes portées à son autorité réduite à un vain fantôme, et enfin par la confusion des pouvoirs destructifs des vrais principes de la monarchie.

Signé : LE PELETIER DE ROSANBO, DUPORT, H. L. FREDY, DUPUIS, NOUET, PASQUIER, AMELOT, LAMBERT, LESCALOPIER, D'OUTREMONT, CAMUS DE LA GUIBOURGÈRE, CONSTANCE, LENOIR, SAHUGUET D'ESPAGNAC, SALOMON, AGARD DE MAUPAS, FAGNIER DE MARDUEIL.

Ce 14 octobre 1790.

 

Sire,

Les magistrats de la Chambre des vacations de votre Parlement viennent de consommer leur dernier sacrifice ; il leur était donc réservé de se voir contraints, après treize mois des fonctions les plus orageuses et les plus pénibles, d'insérer dans leurs registres des lettres patentes portant suppression de toutes les cours et de tous les tribunaux du royaume, des lettres patentes qui achèvent la destruction de la monarchie, en arrachant la dernière pierre sur laquelle était fondé l'édifice antique de nos lois.

A la vue, Sire, de tant d'innovations, de tant de renversements, de tant de destructions qui seraient an moins imprudentes, quand elles ne seraient pas injustes et barbares, que de réflexions vos magistrats ne seraient-ils pas autorisés à présenter à Votre Majesté ! Mais ils respecteront sa douleur, ils lui épargneront un tableau qui ne ferait que déchirer son cœur de plus en plus, bien convaincus que les motifs de leur silence n'échapperont pas aux bons citoyens ni aux fidèles sujets de Votre Majesté, et qu'il est des circonstances où un silence morne et profond est plus expressif que les discours.

Cependant, Sire, puisque vos magistrats ont encore l'avantage de se faire entendre de vous, ils doivent à votre personne sacrée, à la cour de Paris dont ils ont l'honneur d'être membres, à toute la magistrature du royaume, enfin à la France entière, de déposer entre vos mains leur protestation formelle contre tout ce qu'on pourrait induire de cette transcription et de toutes celles qu'ils ont pu faire depuis l'absence de votre Parlement, de déclarer qu'ils regardent comme nuls et non avenus tous les actes, auxquels ils n'ont coopéré que passivement, qu'ils n'avaient aucun pouvoir de transcrire définitivement, qu'ils n'ont même transcrits qu'à la charge d'une réitération à la Saint-Martin, qui, ne pouvant s'effectuer, les annule de plein droit ; enfin à la transcription desquels ils n'ont procédé que dans la vue de ménager la tranquillité publique et d'éloigner de votre personne sacrée les dangers, dont elle et son auguste famille étaient menacées au milieu des troubles qui désolent le royaume et particulièrement la capitale.

Tels sont, Sire, les sentiments qu'il tardait à vos magistrats de faire connaître à Votre Majesté. Ayant constamment rempli tout ce que la patrie pouvait exiger de leur zèle, déchargés maintenant du fardeau que vous leur aviez confié, quittes envers leur compagnie et envers la nation, nul regret personnel ne les suivrait dans leur retraite s'ils pouvaient croire à ce bonheur idéal, à cette prospérité chimérique dont on berce depuis si longtemps un grand peuple. Mais c'est en vain qu'ils chercheraient à se faire illusion. Jamais les fureurs de l'anarchie n'ont préparé le bonheur des empires ; jamais lés meurtres, les incendies, les pillages, les violations de toutes les propriétés n'ont été les avant-coureurs d'une législation sage et paisible. Cependant, quelles que soient les destinées futures de la France, a quelques infortunes qu'elle soit encore réservée, jamais l'espérance, n'abandonnera le cœur de vos fidèles magistrats ils les fondent sur cette raison éternelle, qui ramène malgré eux les empires vers le genre de gouvernement et de constitution qui leur est propre ; ils les fondent sur cette Providence, qui veille constamment sur les rois, qui, pendant tant de siècles, a protégé le trône de vos pères d'une manière si éclatante et si spéciale, et qui, au milieu des orages et des tempêtes les plus furieuses, l'avait conduit à ce haut degré de prospérité, de puissance et de gloire où il était parvenu ; ils les fondent sur les vertus personnelles de Votre Majesté, qui ramèneront infailliblement vers elle une nation impétueuse, mais sensible, extrême dans ses écarts comme dans ses affections, et chez qui l'amour de ses rois a toujours triomphé de tous les efforts de la cabale et de l'intrigue.

Ah ! Sire, si jamais cet espoir venait à se réaliser, qu'il serait doux pour vos magistrats de recommencer pour Votre Majesté une nouvelle carrière de sacrifices, de dévouement et de travaux ; réduits aujourd'hui à ne vous offrir que des vœux, ils ne cesseront d'en adresser au Ciel pour le retour de la tranquillité et de la paix dans le royaume, pour la conservation des jours d'un monarque si justement chéri, pour ceux de son auguste épouse qui, au milieu des plus grands dangers, a déployé un courage supérieur à son sexe, et par une fermeté digne de son illustre origine est devenue l'objet de l'admiration de l'univers enfin pour les jours de ce précieux rejeton, cet héritier de tant de rois, destiné à faire un jour le bonheur de la France et à perpétuer dans son sein les vertus et le sang d'Henri IV.

 

Plusieurs des membres du parlement qui n'avaient point coopéré à l'élaboration de ces protestations, en ayant eu connaissance, y adhérèrent, notamment M. !e président Rolland, son gendre M. Ferrand, et MM. Oursin, de Barrême, Bouchard.

Au plus fort de la terreur, le hasard fit tomber entre les mains du comité de sûreté générale ces pièces oubliées depuis longtemps.

Sur une dénonciation faite au comité révolutionnaire de la section du faubourg Montmartre, des membres de ce comité, réunis à ceux de la section de Bondy, se transportèrent chez M. Le Peletier de Rosanbo et trouvèrent, à un endroit désigné, un buste de Louis XIV, par lui donné à un Le Peletier, ministre d'État sous son règne. Poussant plus loin les recherches, on trouva dans les lieux à l'anglaise un paquet cacheté et recouvert d'une toile cirée, et dessous une enveloppe renfermant huit pièces sur lesquelles était écrit de la main de Rosanbo : En cas de mort, je prie madame de Rosanbo de vouloir bien remettre ce paquet, tel qu'il est, entre les mains de M. de Sarron ou de MM. de Gourgues, Gilbert, d'Ormesson, Champlâtreux, pour que celui de ces messieurs qui se trouvera à cette époque le plus ancien président du parlement en fasse l'ouverture et se charge des pièces.

Tous les faits antérieurs à l'acceptation de la Constitution de 1791 avaient été couverts par une amnistie générale, dont avaient successivement profité les Suisses de Châteauvieux, les assassins de la glacière d'Avignon et bien d'autres encore. Mais les ultra-révolutionnaires, qui avaient invoqué cette amnistie lorsqu'ils pouvaient en faire profiter leurs amis, l'oublièrent complètement lorsqu'ils eurent le pouvoir de frapper leurs-anciens adversaires.

Sur le vu des pièces saisies, le comité de sûreté générale ordonna, le 9 germinal an II, que les signataires des protestations fussent traduits immédiatement devant le tribunal révolutionnaire.

Le comité de sûreté générale arrête que les nommés Le Peletier de Rosanbo, Fredy, Dupuis, Pasquier, d'Outremont, Fagnier de Mardeuil, Amelot, Lambert, Lescalopier, Camus de La Guibourgère, Lenoir, Duport, Agard de Maupas, Sahuguet d'Espagnac, Constance, Salomon, Rolland, Ferrand, Sallier, Barrême, Oursin, Rouhette et Bourrée de Corberon, ex-présidents ou conseillers du ci-devant parlement de Paris, seront traduits au tribunal révolutionnaire, comme prévenus d'avoir signé ou adhéré à des protestations tendant à méconnaître la liberté et la souveraineté du peuple, à calomnier la représentation nationale et à ramener le règne de la tyrannie ; arrête en conséquence que lesdites protestations contre-révolutionnaires et autres pièces de conviction découvertes chez Rosanbo, l'un des conspirateurs, qui en avait resté dépositaire, seront adressées incessamment à l'accusateur public.

Les membres du comité de sûreté générale

Signé : DUBARRAN, M. BAYLE, VADIER, VOULLAND, LOUIS (du Bas-Rhin), AMAR.

 

Plusieurs des parlementaires ainsi mis en accusation étaient déjà arrêtés comme suspects et se trouvaient dans diverses prisons de Paris. Un mandat d'amener fut lancé contre M. Le Peletier de Rosanbo qui, avec toute sa famille, s'était retiré à Malesherbes, auprès de son beau-père, le vénérable défenseur de Louis XVI. On procéda à une arrestation en masse des habitants du château de Malesherbes, qui furent amenés à Paris. M. de Rosanbo fut séparé de sa famille et réuni aux autres membres du parlement qui déjà se trouvaient à la Conciergerie, attendant leur jugement. C'est à ce moment que M. de Malesherbes adressa la lettre et !e mémoire suivants à Fouquier-Tinville, pour implorer sa pitié en faveur de son gendre. Il s'adressait bien !

A Port-Libre, le 30 germinal an II de la République une et indivisible.

Citoyen,

Je ne suis pas connu de vous. Cependant je prends la liberté de vous envoyer un mémoire pour le citoyen Rosanbo, mon gendre et mon ami intime, à présent accusé et traduit au tribunal.

Son affaire m'intéresse autant que ma vie ; je ne doute pas que vous n'ayez grande influence, et c'est en vous que je mets toute mon espérance.

Je voudrais vous écrire de ma main ; mais mon écriture n'est pas lisible ; je ne vous demande. que de lire ce mémoire avec attention. Si vous vous en donnez la peine, je suis certain .que vous trouverez que l'accusation porte sur un malentendu.

Si la visite des papiers du citoyen Rosanbo avait été faite en sa présence et qu'il eût pu donner les éclaircissements sur les pièces qu'on y a trouvées, on aurait reconnu que ce qu'on a pris pour une conspiration contre la république était, au contraire, des mesures prises par un citoyen ami de la paix, pour prévenir ce qui pourrait occasionner des troubles.

Ma seule crainte est que le grand nombre des affaires que vous ferez juger en même temps ne permette pas de donner à celle-là une attention suffisante.

Je sais que ce n'est pas vous-qui jugez ; mais étant aussi éclairé que vous l'êtes, c'est à vous à mettre sous les yeux des jurés les explications qui sont à la décharge des accusés comme celles qui sont à leur charge.

Je suis fraternellement, citoyen, votre concitoyen,

LAMOIGNON MALESHEUBES.

 

Citoyen,

Le citoyen Le Peletier Rosanbo vient d'être transféré à la Conciergerie, ainsi que plusieurs autres membres de la chambre des vacations du ci-devant parlement de Paris. Je crains que la cause de cette mesure ne soit la protestation faite par cette chambre en 1790, et crois devoir vous soumettre quelques observations propres à éclairer cette affaire.

Il n'existait en 1790, époque de ladite protestation, ni république, ni liberté. Je le dirai même avec franchise, tel était le but, déjà trop connu, d'une faction dominante dans l'Assemblée constituante, qu'il ne s'agissait de rien moins alors, comme l'a dernièrement déclaré Saint-Just, dans un rapport fait au nom du comité de salut public, que d'ôter la couronne au ci-devant roi pour la mettre sur la tête de Dorléans. Dans cet état de choses, les membres de la chambre des vacations, placés en quelque sorte entre l'usurpateur et l'ancien monarque, se rangèrent du parti de ce dernier et crurent devoir protester en sa faveur. Les protestations étaient d'un usage constant et passaient même pour être très-populaires sous l'ancien régime, qui n'était pas encore. détruit ; d'ailleurs ce n'étaient point des arrêts qui pussent former obstacle à l'exécution des lois. J'ajouterai que les membres de la chambre des vacations ne pouvaient, en leur qualité de commissaires, de simples mandataires du parlement, enregistrer aucune loi qu'à la charge d'en déférer à ce corps, et que d'une pareille obligation résultait le devoir indispensable pour eux — quelles que fussent leurs opinions politiques — de protester contre son anéantissement qui pouvait être favorable alors à la réussite des projets liberticides dont je viens de parler.

Le dépôt de cette protestation chez le citoyen Rosanbo, président de la chambre, où elle a dû être trouvée, n'a été qu'une suite naturelle du défaut d'un greffe où la mettre dans les circonstances où elle a été faite. De pareils dépôts particuliers eurent lieu, lors de la suppression des ci-devant cours souveraines, par le chancelier Maupeou ; et moi-même, citoyen, je gardais chez moi les protestations de la cour des aides, dont j'étais chef.

Jusque-là le citoyen Rosanbo se trouve donc, ainsi que ses collègues, entièrement à l'abri de tous reproches. La seule faute qu'il aurait pu commettre, eut été de vouloir donner de la suite ou de la publicité à la protestation dont il s'agit, lorsqu'elle était devenue inutile par les progrès de l'esprit public, le déjouement d'une faction coupable et l'établissement du gouvernement républicain mais le fait est qu'elle est restée ensevelie dans le plus profond oubli, grâce aux soins qu'il a pris pour la dérober à tous les yeux ; qu'elle n'a jamais été imprimée ni communiquée par lui à personne, qu'il n'y a été donné à sa connaissance aucune suite ; qu'il n'a jamais tenté de la lier avec Ies*actes illégaux que, s'il en faut croire des papiers publics, des magistrats fugitifs s'étaient permis en pays étrangers ; qu'il n'avait point de relations avec le ci-devant président Gilbert de Voisins, désigné par les mêmes papiers publics pour un des chefs de la magistrature émigrée ; qu'enfin, depuis la suppression du parlement, en 1790, il est rentré dans la vie privée et n'a plus été occupé que de remplir les devoirs d'un bon citoyen et d'un père de famille.

Telles sont, citoyen, les observations importantes que j'ai cru devoir vous faire sur un acte trop simple en lui-même et trop indifférent par le défaut de suite où il est resté, pour fonder une accusation capitale. Je ne craindrai pas de faire valoir en outre devant un magistrat populaire les raisons particulières qui militent en faveur du citoyen Rosanbo. Personne, au dire de tous ceux qui l'ont connu, n'a été plus équitable, plus exact et plus désintéressé que lui dans l'administration de la justice, personne n'était plus doux dans ses mœurs ni plus honnête dans ses procédés. Dès avant la révolution, il pratiquait déjà ces vertus privées, cet amour de l'humanité, ces égards pour ses semblables, cette rare et précieuse fraternité avec ses concitoyens, qui sont un des premiers biens de notre régénération. Il a de plus continué de s'y livrer, comme le prouvent une multitude de secours accordés aux indigents et les dons patriotiques faits en faveur des citoyens partis pour la frontière, sous les yeux de la section, à Paris, et de la municipalité, à Malesherbes, qui, en conséquence, lui a accordé dernièrement un certificat de civisme.

J'ose donc espérer, citoyen, qu'ayant égard aux raisons ci-dessus exposées, vous rendrez un double hommage à la justice et à l'humanité, en concourant par toute l'influence que peut vous donner votre ministère à l'acquittement d'un accusé dont la vie est sans reproche, et qui ne se trouve inculpé aujourd'hui qu'a l'occasion d'une pièce incapable par elle-même, comme je l'ai démontré, de fonder une accusation capitale.

LAMOIGNON MALESHERBES.

 

La copie de ces deux pièces fut envoyée par M. de Malesherbes à son gendre, M. de Rosanbo. Cet envoi était accompagné de quatre billets écrits par la femme, les deux filles et !e fils de celui-ci. Mais les misérables qui, dans ces temps d'anarchie, étaient censés rendre la justice, arrêtaient au passage les épanchements les plus doux et les plus intimes de la famille, et ravissaient aux malheureux qu'ils envoyaient à l'échafaud la triste et dernière consolation de recevoir, avant de mourir, des nouvelles de leurs proches. Les quatre billets furent interceptés, quoique bien innocents, et vinrent grossir le dossier de Fouquier-Tinville.

Vous reconnaîtrez ici, mon cher papa, l'écriture de Guillemette. C'est ma sœur aînée, sachant mieux l'orthographe que moi, qui a écrit l'autre double, envoyé à l'accusateur public. Mon grand-père y a joint une lettre très-touchante, de l'écriture de Louise ; puisse notre temps n'être pas perdu, comme nous l'espérons ! jamais il n'aura été employé d'une manière plus utile et plus précieuse pour mon cœur.

 

Je ne vous parlerai point de moi, mon cher et tendre père ; vous devinez ma position par mon attachement pour vous ; je ne vous dirai rien non plus de mon mari ; qui n'est rien moins qu'étranger à ce que nous faisons ; il est un de ceux de la famille qui prend le plus d'intérêt au succès de votre affaire.

 

Le 30 germinal.

Je t'envoie, mon bon ami, copié d'un mémoire que mon père vient d'envoyer à l'accusateur public ; j'espère que, s'il a le temps de le lire, cela le mettra très au fait de ton affaire et que l'on te rendra la justice que tu mérites et que j'espère. Je me flatte que cette affaire éclaircie te réunira à moi. C'est le doux objet de mon cœur, mon bon ami tu sais que vivre près de toi, soigner ta santé, nous entourer de nos enfants et soigner la vieillesse de mon père, a toujours été notre seule occupation ; puissions-nous y être bientôt rendus ; oui, mon bon ami, je t'espère.

Adieu, bon et tendre ami pense à un être qui ne vit que pour toi, t'aimant de tout son cœur. Mon père, ma tante et mes enfants qui sont autour de moi partagent tous mes sentiments.

 

Toutes mes sœurs se sont occupées, mon tendre père, à écrire le mémoire que ma mère joint à sa lettre ; un mal qui m'est survenu au doigt m'a empêché d'y coopérer. Ce travail eût été bien doux pour moi et mon regret a été bien grand mais dussiez-vous ne pas me lire, je veux vous tracer quelques lignes et vous répéter ce que vous savez déjà si bien, l'assurance de tout mon amour pour vous. Adieu, mon bien tendre père ; aimez votre fils, cette idée fait son bonheur.

Signé : LOUIS LE PELETIER ROSANBO.

 

Pendant que sa famille s'occupait de lui d'une manière si touchante, M. de Rosanbo était interrogé, le 29 germinal, par un des juges du tribunal révolutionnaire, et son interrogatoire peut donner une idée de la procédure sommaire et expéditive en usage à cette époque.

Ce jourd'hui, 29 germinal de l'an second de la République, neuf heures de relevée, nous, Étienne Masson, juge du tribunal révolutionnaire, etc., assisté de Charles-Adrien Legris, commis-greffier du tribunal, en l'une des salles de l'auditoire, au palais, en présence de l'accusateur public, avons fait amener de la maison de la Conciergerie . . . . . . . . . . . auquel avons demandé ses noms, âge, profession, pays et demeure.

A répondu se nommer Louis Le Peletier Rosanbo, âgé de quarante-six ans, né à Paris, demeurant à Malesherbes, département du Loiret, ci-devant président au parlement de Paris.

D. S'il n'a pas signé et engagé à signer des protestations contre-révolutionnaires.

R. Qu'il a signé des protestations des mois de novembre 1789 et octobre 1790, telles que le ci-devant parlement était en usage d'en faire mais que ces protestations n'ont pas été souscrites par lui dans des intentions contre-révolutionnaires ; que, loin d'avoir engagé personne à les signer, il ne les a signées lui-même que quand elles ont été arrêtées par la chambre.

D. S'il a un défenseur ?

R. Qu'il choisit le citoyen Duchâteau, et a signé avec nous.

Signé : LE PELETIER ROSANBO, FOUQUIER, MASSON, LEGRIS, commis-greffier.

 

Dès le surlendemain, 1er floréal, MM. de Rosanbo, Lenoir, Duport[1], Fredy, Camus de La Guibourgère, Dupuis de Marcé, Fagnier de Mardeuil, Pasquier, Bourrée de Couberon, Rolland, Oursin de Bure, Rouhette, de Gourgues, Bochard de Sarron, Molé de Champlâtreux, Sallier, Lefebvre d'Ormesson, tous présidents et conseillers au parlement de Paris, dont les uns avaient signé les protestations précitées, et dont les autres n'avaient même pas commis ce crime imaginaire, dont les uns étaient inscrits sur l'arrêté du comité de sûreté générale et les autres ne l'étaient pas, comparurent, avec sept conseillers au parlement de Toulouse, M. Hoquart, ancien président de la cour des aides, et un colonel d'infanterie, ami de ce dernier, devant le tribunal révolutionnaire, siégeant salle de l'Égalité. Après des débats qui durèrent à peine une ou deux heures, les vingt-six accusés furent tous condamnés à mort.

Voici les questions qui furent posées au jury.

1° Est-il constant que depuis 1789 jusqu'à ce jour il a existé une conspiration contre la souveraineté et la sûreté du peuple français, par l'effet de laquelle on n'a cessé de provoquer, par des protestations et des arrêtés contraires à la liberté, l'avilissement et la dissolution de la représentation nationale, la rébellion envers les autorités constituées et les lois créées et faites par les représentants du peuple ; qu'enfin, pour faire réussir ladite conspiration et faire rétablir contre la volonté du peuple et par la force les ci-devant parlements et tribunaux, il a été entretenu des intelligences et correspondances avec les ennemis extérieurs de l'État, tendant à faciliter de tous les moyens possibles le succès de leurs armes, et que, pour parvenir au même but et faire réussir plus facilement la conspiration, il a été employé toute espèce de manœuvre pour exciter la guerre civile en armant les citoyens les uns contre les autres et contre l'autorité légitime ?

2° Le Peletier de Rosanbo est-il complice de cette conspiration ?

 

Suivent vingt-cinq questions parfaitement identiques pour les vingt-cinq autres accusés. — Dans la liste, ci-dessus donnée, des membres du parlement de Paris, nous avons suivi l'ordre de l'acte d'accusation et de l'arrêt.

A ces vingt-six questions il fut répondu par la même formule invariable :

La déclaration du jury du jugement est affirmative sur les vingt-six questions.

Signé : COFFINAL.

Ce 1er floréal, l'an IIe de la République française une et indivisible.

 

Ainsi, la déclaration n'était pas même signée par le président du jury. Le président du tribunal de sang se contentait d'apposer sa signature à la suite de la formule stéréotypée, aussitôt que la déclaration verbale et toujours certaine du jury avait été faite.

Les membres du parlement saluèrent en silence, leurs prétendus juges et marchèrent d'un pas ferme à la mort. Ils furent exécutés le jour même sur la place de la Révolution.

Deux jours après, Lamoignon de Malesherbes, que la liste des condamnés qualifie de ministre de l'État et depuis défenseur officieux du tyran Louis XVI (n° 689 de la Liste générale) ; sa fille, madame de Rosanbo ; sa petite-fille, madame de Chateaubriand, âgée de vingt-trois ans ; son gendre, M. de Chateaubriand, âgé de vingt-quatre ans, suivaient à l'échafaud M. de Rosanbo.

 

 

 



[1] Père du célèbre député à la Constituante.