HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

TOME PREMIER

 

LIVRE DEUXIÈME. — LE VINGT JUIN 1792.

 

 

I

Depuis trois mois, le ministère girondin était au pouvoir, et grâce à sa connivence au moins tacite l'Assemblée législative continuait à saper les derniers fondements du trône. Le 29 mai, après une discussion animée, elle vota la dissolution de la garde constitutionnelle du roi, et envoya son commandant, le duc de Brissac, rejoindre à Orléans le ministre Delessart[1].

Ce décret produisit une immense joie parmi les Jacobins et leurs adhérents ; le soir, ils se portèrent en foule autour de la salle du manège pour présenter, disaient-ils, leurs hommages aux législateurs, mais aussi pour faire retentir les environs des Tuileries de l'air du Çà ira, cet air fameux, disait à cette occasion le maire de Paris, qui réjouit les patriotes et fait trembler leurs ennemis[2].

L'Assemblée avait craint que la cour ne songeât à résister, et, sur la proposition de son comité de surveillance, elle avait décrété, dès le 28, qu'elle resterait en permanence ; mais elle fut bientôt rassurée ; elle apprit presque en même temps que le roi avait sanctionné le décret, que M. de Brissac était arrêté, et que le licenciement s'était effectué paisiblement. Aussi, Pétion ayant annoncé qu'il n'y avait plus rien à craindre, la permanence fut levée le 31 au soir[3].

En sanctionnant le décret du 29, Louis XVI s'était complètement désarmé ; mais ce n'était pas assez pour ceux qui avaient entrepris de le dominer par la crainte des mouvements populaires et de l'asservir aux volontés des Jacobins. Servan, qui avait succédé à Degrave au ministère de la guerre, et qui s'était rangé du parti de Roland contre Dumouriez vint le 4 juin à l'Assemblée, sans en avoir prévenu ni le roi ni ses collègues, proposer la formation, sous les murs de Paris, d'un camp de vingt mille fédérés.

L'Assemblée accueillit avec faveur cette idée et renvoya la proposition de Servan, transformée en motion par Merlin, au Comité militaire pour lui en faire un rapport immédiat.

Dès le 6, malgré l'opposition de la droite, qui demandait que l'on répondit par la question préalable à une proposition ministérielle faite d'une manière si insolite, elle vota un décret en sept articles, qui consacrait la formation d'un camp de vingt mille fédérés, recrutés dans toute la France, à raison de cinq hommes par canton, l'envoi immédiat aux frontières de toutes les troupes de ligne qui se trouvaient à ce moment dans la capitale, et la réunion de ces vingt mille volontaires, pour le H juillet prochain, à l'effet de former une fédération nouvelle et de resserrer ainsi, disait le décret, les liens de fraternité entre les départements et Paris.

La proposition de Servan et le vote approbatif de t'Assemblée furent, dans le conseil des ministres, le signal des récriminations les plus vives. La querelle s'échauffa tellement entre Dumouriez et Servan, qu'ils mirent tous les deux la main sur la garde de leur épée et que, sans la présence du roi, le sang eût coulé.

L'agitation était aussi très-grande dans le sein de la garde nationale parisienne. Quelques phrases du discours de Servan avaient paru très-malsonnantes aux constitutionnels le ministre avait semblé incriminer le zèle de la garde nationale et même se défier d'elle[4].

Aussi, dès les 8 et 9 juin, des députations de divers bataillons viennent, à la barre de l'Assemblée, se plaindre de cette injuste attaque, protester de leur dévouement à la liberté et à la patrie, et demander le retrait du décret. Mais les montagnards[5] changent de batterie et transportent le terrain de la discussion non plus sur le décret lui-même, mais sur une pétition qu'ils prétendent colportée dans tous les bataillons par les soins de l'état-major de la garde nationale, et revêtue de signatures dont la plupart sont extorquées par la ruse et la violence, souvent même à des femmes et à des enfants.

Pendant plusieurs séances, l'Assemblée n'est occupée qu'à entendre les récriminations que se lancent à la barre les partisans de la pétition et ceux qui viennent la dénoncer. Chaque jour la montagne gagne du terrain ; elle parvient, au commencement de la séance du 10 juin, à faire expulser comme calomniateurs des pétitionnaires qui avaient exprimé trop vivement toute l'indignation que leur inspiraient la manière dont lé décret relatif au camp avait été enlevé à l'enthousiasme des représentants, et les insinuations peu bienveillantes dont la garde nationale de Paris avait été l'objet de la part du ministre de la guerre. En vain Dumolard s'écrie : Depuis quand les ministres sont-ils devenus des arches d'alliance auxquelles on ne puisse toucher sans être frappé de mort ? Cette pétition est dans les formes constitutionnelles vous avez accordé les honneurs de la séance aux soldats de Châteauvieux ; ne me forcez pas à pousser trop loin le rapprochement. Il n'est pas écouté, et l'Assemblée déclare, par un décret solennel, que la pétition qu'elle vient d'entendre ne peut être que le résultat de manœuvres coupables et d'intrigues criminelles, a l'aide desquelles on est parvenu à égarer l'opinion de quelques citoyens. La gauche avait adroitement saisi l'occasion que lui offrait la pétition la plus virulente pour envelopper toutes les autres dans une même réprobation, et l'Assemblée avait condamné ainsi d'avance, en termes généraux, toutes les protestations qui se préparaient dans Paris contre le camp des vingt mille hommes.

La droite, tenant à témoigner tout son mécontentement, se retire et laisse le champ libre aux députations des sections ultra-révolutionnaires, qui viennent successivement remercier l'Assemblée d'avoir adopté la création de ce camp, objet d'effroi pour les uns, d'espérance pour les autres[6]. Mais voici qu'enfin l'on apporte la pétition même qui avait fait l'objet de tant de débats anticipés, et qui, en deux ou trois jours, avait été couverte de huit mille signatures[7]. Elle et modérée dans la forme, elle est individuelle, elle ne saurait donc être repoussée par une fin de non-recevoir. La gauche, restée seule, l'écoute avec impatience, et, au moment où le président accorde, comme d'usage, aux pétitionnaires les honneurs de la séance, elle se lève en masse et se retire laissant la salle déserte et les gardes nationaux ébahis.

 

II

L'anarchie était partout. Dans chaque section, les adversaires et les partisans du camp des vingt mille étaient à tout instant sur le point d'en venir aux mains. Des orateurs de carrefour venaient, jusque dans les Tuileries, lire des libelles ultra-révolutionnaires, prêcher l'assassinat du roi, et prédire son prochain renversement[8].

Marat avait récemment été décrète d'accusation, mais plus il se cachait pour écrire, plus il remplissait son journal d'invectives et d'appels a la vengeance contre les députés, les ministres et les généraux, qu'il accusait de s'entendre avec la cour pour égorger les bataillons patriotes. Aux Jacobins, on parlait de l'insolence de l'Autrichienne, du renouvellement des corps électoraux, du licenciement de l'état-major de la garde nationale, de l'établissement de l'impôt progressif, de la destitution des généraux suspects[9], etc. Au fond des faubourgs, d'obscurs meneurs tramaient déjà quelque grand coup, et par de persévérantes intrigues préparaient la levée de la populace pour la première occasion favorable. Elle ne tarda pas à se présenter.

Le roi ne voulait sanctionner ni le décret, récemment rendu, qui prononçait la peine de la déportation contre tout prêtre insermenté suspect au directoire de son département, ni celui qui venait d'être voté sur la proposition insolite du ministre de la guerre, pour la formation du camp des vingt mille hommes. A toutes les séances du conseil, des scènes violentes éclataient entre Dumouriez et les trois ministres soutenus par le parti jacobin. Les deux autres, Lacoste et Duranthon, étaient des personnages muets, qui se contentaient d'approuver par des signes de tête les virulentes sorties de Dumouriez contre ses collègues.

Les choses ne pouvaient durer ainsi Roland prit l'initiative et écrivit à Louis XVI une lettre restée fameuse dans l'histoire comme l'ultimatum adressé par les Girondins à la royauté[10].

Louis XVI ne put lire sans colère les conseils de son ministre de l'intérieur. II fit appeler Dumouriez ; la reine était présente, et ce fut elle qui entama la conversation :

Croyez-vous, Monsieur, que le roi doive supporter plus longtemps les menaces et les insolences de Roland, les fourberies de Servan et de Clavières ?

Non, Madame, répondit le général, j'en suis indigné j'admire la patience du roi, et j'ose le supplier de changer entièrement son ministère.

Je veux que vous restiez, reprit le roi, vous, ainsi que Lacoste et le bonhomme Duranthon ; rendez-moi le service de me débarrasser de ces trois factieux insolents, car ma patience est à bout.

Dumouriez accepta, mais a la condition que le roi sanctionnerait les deux décrets. Le roi consentit, non sans peine, à promettre de lever le veto qui pesait sur la formation du camp des vingt mille ; il céda même, à ce que prétend Dumouriez, relativement à la déportation des prêtres[11]. Mais il est difficile de le croire, Quoi qu'il en soit, le message royal qui retirait le ministère de la guerre à Servan lui fut porté, le 12 juin, par le ministre des affaires étrangères, et, le lendemain matin, Roland et Clavières reçurent leurs démissions. Les trois ministres renvoyés n'imitèrent pas la con-,duite que Necker avait tenue dans une circonstance à peu près semblable. Ils résolurent d'en appeler à l'Assemblée de la mesure, parfaitement constitutionnelle, que venait de prendre le roi.

Servan avait été le premier renvoyé. Ce fut aussi sa lettre qui parvint la première à la Législative. Au moment, y était-il dit, où, encouragé par mes concitoyens, je commençais à jouir de la flatteuse espérance de pouvoir être utile à ma patrie, j'ai reçu l'ordre du roi de remettre le portefeuille au ministre des affaires étrangères... Ma conscience me dit que je n'en dois pas moins compter sur les bontés de l'Assemblée pour moi, et j'espère qu'elle voudra bien permettre que j'aille m'acquitter de mes devoirs de soldat, dès que j'aurai déposé mes comptes entre ses mains. La lecture de cette lettre est couverte des applaudissements réitérés des tribunes et d'une grande partie des députés. Oui, oui, crie-t-on à gauche ; M. Servan emporte nos justes regrets !

Dussaulx propose de rendre un décret qui consacre le vœu de la majorité. En vain de Haussi et Vaublanc rappellent-ils qu'à l'occasion de la retraite de M. de Narbonne, l'Assemblée a ajourné l'expression de ses sympathies jusqu'à la reddition des comptes Guadet et Vergniaud insistent, et, à la presque unanimité, il est décrété que Servan, ministre de la guerre, emporte l'estime et les regrets de la nation.

Le bruit des applaudissements, par lesquels les tribunes saluent ce décret, retentit encore, lorsque le président annonce qu'il vient de recevoir une lettre du roi qui notifie la nomination des trois nouveaux ministres. A peine y fait-on attention, on se hâte de lire les lettres que le président vient de recevoir de Clavières et de Roland. La lettre de ce dernier renfermait la copie de celle qu'il avait écrite au roi trois jours auparavant[12]. Dans ce programme des volontés de la Gironde, on mettait le marché à la main à Louis XVI on lui déclarait qu'en refusant de sanctionner les décrets rendus récemment par l'Assemblée il suscitait contre lui les implacables défiances d'un peuple contristé, qui ne verrait plus dans son roi que l'ami et le complice des conspirateurs. — Il n'est plus temps de reculer, disait Roland, il n'y a même plus moyen de temporiser la révolution est faite dans les esprits ; elle s'achèvera au prix du sang et sera cimentée par le sang, si la sagesse ne prévient pas les malheurs qu'il est encore possible d'éviter.

La lecture de la lettre de Roland reçoit, à plusieurs reprises, les marques de la plus vive approbation. Sur ces entrefaites paraît Dumouriez, qui avait échangé son portefeuille des affaires étrangères contre celui de la guerre, plus important dans les circonstances actuelles.

Des murmures et même des huées l'accueillent, le ministre n'y fait pas attention il annonce qu'il a une communication à faire à l'Assemblée.

Mais celle-ci tient à le rendre témoin des témoignages de sympathie qu'elle prodigue à ceux qu'il vient de contribuer à faire renvoyer ; avant de lui accorder la parole, on vote successivement les décrets qui associent Roland et Clavières aux regrets déjà exprimés à l'occasion de la retraite de Servan, et ordonnent l'impression et l'envoi aux quatre-vingt-trois départements de la lettre de Roland au roi.

Enfin, Dumouriez obtient la parole. Il rend compte d'un engagement d'avant-garde, dans lequel vient de succomber le général Gouvion qui, deux mois auparavant, comme nous l'avons vu, avait quitté l'Assemblée dans l'intention de se faire tuer glorieusement à la première occasion. Il y avait réussi, et plus d'un de ses amis enviait son sort en voyant à quels affreux déchirements la France était en proie. Dumouriez expose ensuite, dans un long mémoire, la situation de l'armée, se plaint de l'état déplorable dans lequel il la trouve en entrant au ministère, et accuse hautement l'impéritie de ses prédécesseurs, Degrave et Servan.

La gauche interrompt souvent cette lecture, accuse le ministre de trahison et menace d'envoyer l'auteur du mémoire par-devant la haute cour d'Orléans. Lacuée, rapporteur du comité militaire, s'inscrit en faux contre les assertions du rapport et demande qu'il soit l'objet de l'examen le plus attentif.

Dumouriez signe froidement le manuscrit, le dépose sur le bureau et sort de la salle.

Son départ est le signal de récriminations nouvelles ; le nom de traître et de calomniateur lui est prodigué, et un décret ordonne à Dumouriez de déposer dans les vingt-quatre heures les pièces justificatives des faits contenus dans son rapport.

La colère de l'Assemblée ne fut rien encore auprès de la violence que déployèrent les Jacobins et la presse. Pendant trois jours, le général fut en butte à toutes les injures, à toutes les menaces, à toutes les fureurs du parti ultra-révolutionnaire.

Quelque hauteur qu'il eût mise, s'il faut l'en croire, à affronter les colères de ces mêmes Jacobins, dont il avait naguère recherché si avidement les faveurs, il était loin d'être rassuré. Le roi tiendrait-il la promesse moyennant laquelle il avait accepté la succession de ses anciens amis et l'impopularité qui avait été la suite inévitable de sa conduite ? Toute la question était là pour lui.

Aussi s'empressa-t-il de demander au roi de sanctionner les décrets. Le 15, dans la soirée, il envoya son confident Bonnecarrère aux Tuileries, avec une lettre dans laquelle il mandait à Sa Majesté que si elle ne sanctionnait pas les décrets sur les prêtres et le camp des vingt mille hommes, elle courrait risque d'être assassinée.

Le roi ne voulut pas recevoir Bonnecarrère, et répondit à Dumouriez qu'il l'attendrait le lendemain à dix heures ; que toutes ses craintes étaient pour l'État ; que, quant à lui, il était résigné à tout, et qu'il était inutile de chercher à l'effrayer.

Le ministre vint au rendez-vous et, ne réussissant pas à persuader le roi, il offrit sa démission ; peut-être un peu contre son attente le roi l'accepta sur-le-champ. Dumouriez se vit ainsi renvoyé trois jours après ses collègues, au moment où il croyait avoir consolidé pour longtemps sa position par la preuve éclatante de dévouement qu'il venait de donner à Louis XVI[13].

 

III

Cependant l'Assemblée continuait à être dans une agitation perpétuelle, et chaque jour de nouveaux incidents venaient démontrer la gravité de la situation. Le 17, elle vote, sur la proposition de Goupilleau, la création d'une commission extraordinaire de douze membres, chargée de veiller aux dangers de la patrie[14]. Cette commission, modifiée à plusieurs reprises dans le cours des deux mois suivants, jouera le rôle plus tard dévolu au fameux comité de salut public de la Convention car celle-ci ne fit qu'imiter sa devancière dans cette création redoutable. Le 18, deux lettres sont lues la première, du ministre de la justice, qui annonce la nomination d'un nouveau cabinet, composé de noms a peu près inconnus ; l'Assemblée, accoutumée à ces changements à vue, ne prête au nouveau qu'une attention très-médiocre. Il n'en est pas de même de l'autre lettre elle est signée La Fayette et datée du camp retranché devant Maubeuge, le 16 juin 1792, l'an IV de la Liberté. C'était le manifeste du parti constitutionnel, comme le message de Roland avait été celui du parti jacobin. Des conseils excellents y étaient donnés au pouvoir législatif ; mais était-ce à un général, placé à la tête d'une des armées qui protégeaient la capitale à les émettre dans cette forme ? et s'il croyait devoir les donner, quels moyens avait-il préparés pour les faire adopter ? Il faut le dire, toute la conduite du général La Fayette, dans cette circonstance, fut imprudemment chevaleresque ; elle n'eut d'autre résultat que de précipiter les événements, sans qu'on pût espérer un instant qu'elle les conjurerait. Dans les temps de crise on ne fait ni semonces ni menaces, on agit. Le manifeste du i6juin eut des résultats aussi désastreux pour les constitutionnels que la déclaration de Pillnitz et le manifeste de Brunswick en eurent pour les royalistes.

Dans sa lettre, La Fayette accusait, devant l'Assemblée nationale, devant la France entière, les Jacobins d'être les auteurs de tous les désordres. Il représentait leur société comme un empire qui avait sa métropole et ses affiliations, comme une corporation distincte au milieu du peuple français dont elle usurpait les pouvoirs et subjuguait les représentants. D'autre part, il dénonçait le ministère qui venait de tomber, et spécialement Dumouriez et Servan : Dumouriez, le moins excusable d'entre eux, qui semblait vouloir, en sacrifiant trois de ses collègues, cimenter dans le conseil du. roi son équivoque et scandaleuse existence Servan, dont la correspondance, digne produit du club qui l'inspirait, ne présentait que faux calculs, promesses vaines, renseignements trompeurs ou frivoles, conseils perfides et contradictoires[15].

Les applaudissements avaient interrompu plusieurs fois la lecture de cette lettre. L'impression est aussitôt ordonnée à une grande majorité[16] ; bien plus on demande l'envoi aux quatre-vingt-trois départements. C'était approuver d'une manière éclatante, absolue, et les opinions et ta conduite du général. Vergniaud s'élance à la tribune : Lorsqu'un simple citoyen, dit-il, vous adresse une pétition et vous offre un conseil, vous devez l'entendre mais lorsqu'un général d'armée veut vous donner des avis, il ne peut le faire que par l'organe des ministres ; s'il en était autrement, ce serait fait de la liberté. Que sont les conseils d'un chef d'armée, sinon des ordres ? Les intentions du général La Fayette peuvent être pures, mais il faut obéir aux principes, et ce serait les violer que de sembler approuver la conduite du général en envoyant officiellement sa lettre aux quatre-vingt-trois départements. Je demande l'ordre du jour. La proposition de Vergniaud est mise aux voix et n'est pas adoptée. La gauche redouble alors ses cris, ses interpellations, prétend que la lettre du général La Fayette ne doit pas émaner de lui, puisqu'il y parle, à la date du 16 juin, d'événements qu'il ne pouvait pas connaître encore ; que si elle est revêtue de sa signature, c'est que cette signature a été donnée en blanc sur une lettre fabriquée à Paris. Mais toutes ces objections dilatoires n'empêchent pas la droite d'insister pour l'envoi aux départements. Les interpellations les plus violentes s'entrecroisent, le tumulte arrive à son comble, lorsque Guadet, qui a réussi à s'emparer de la tribune, s'écrie : Si un général peut nous dicter des lois, nous n'avons plus de Constitution lorsque Cromwell tenait un pareil langage, la liberté était perdue en Angleterre. Je demande que la lettre du général soit renvoyée à la commission des Douze. — M. de La Fayette ne demande que cela, lui répond-on à droite.

Le renvoi est ordonné à l'unanimité, et la commission est chargée d'en rendre compte dans quatre jours au plus tard, c'est-à-dire le vendredi 22 juin. Puis l'Assemblée, qui un instant auparavant avait repoussé la proposition de Vergniaud, se donne à elle-même un démenti en votant la question préalable sur la proposition d'envoyer la lettre du général aux départements.

L'émotion des représentants se communiqua à l'instant dans Panis. Elle eut naturellement son retentissement le soir même au club des Jacobins, qui, directement attaqué dans la lettre du général, sentit que c'était entre eux un duel à mort qui commençait. Tous les coryphées du parti Robespierre, Camille Desmoulins, Collot d'Herbois, Danton, Fabre d'Églantine, Chabot, Bazire, s'étaient donné rendez-vous dans la salle de la rue Saint-Honoré pour dénoncer le nouveau Monk. Il a levé le masque, s'écriait-on de toutes parts ; il faut l'appeler à la barre de l'Assemblée et renvoyer à la haute cour d'Orléans. Ce n'était pas assez d'adresser à la Législature cette lettre insolente, où il lui intime l'ordre de nous disperser, il a mis le comble à ses forfaits en adressant au roi[17] une autre lettre, dans laquelle il lui demande de persister dans le refus de sanction des décrets que vient d'adopter l'Assemblée. L'effet de ces encouragements, si on les laisse impunis, ne tardera pas à se faire sentir.

L'événement vint réaliser les craintes des Jacobins dès le lendemain 19, le ministre de la justice, Duranton, annonça officiellement à l'Assemblée nationale que le roi apposait son veto : 1° au décret du 27 mai, qui déterminait les cas et les formes de la déportation des prêtres perturbateurs ; 2° à celui du 8 juin, portant que la force armée sera augmentée de vingt mille hommes, qui se réuniraient près de Paris, le 14 juillet.

 

IV

Les historiens, nos devanciers, ont cru, pour la plupart, que la journée du 20 juin avait été la réponse instantanée des masses populaires au refus du roi de sanctionner les deux décrets et au renvoi des trois ministres girondins c'est une erreur complète. La journée du 20 juin était préparée de longue main par les agitateurs des faubourgs ; la date était prise — c'était celle du Serment du Jeu de Paume —, les rôles distribués, les complicités convenues et acceptées. Le résultat seul restait incertain il dépendait du degré d'entraînement et d'exaspération auquel on pourrait amener les masses. Les derniers incidents que nous venons de raconter ne firent que confirmer les résolutions déjà prises entre les conjurés, tout en apportant quelques modifications au programme.

Depuis plus d'un mois le faubourg Saint-Antoine était par Santerre et ses amis, qui, dès le 2 juin, avaient établi dans l'église des Enfants-Trouvés une chaire permanente de doctrines démagogiques ; cette création avait été favorisée par le maire Pétion[18].

Les conspirateurs tenaient leur conciliabule tantôt dans la maison du brasseur Santerre, tantôt dans la salle du comité de la section des Quinze-Vingts. On allait prendre le mot d'ordre chez Danton et chez les principaux meneurs qui, comme toujours, restaient dans l'ombre et laissaient agir les enfants perdus du parti. A la tête de ceux-ci se plaçaient Santerre et Alexandre, commandants des bataillons des Enfants-Trouvés et de. Saint-Marcel, qui répondaient, disaient-ils, de leurs deux faubourgs[19].

Après eux venaient l'homme des coups de main et des massacres, Fournier dit l'Américain, quoiqu'il fût Auvergnat, parce qu'il avait longtemps habité Saint-Domingue, où ses instincts féroces avaient pu se développer le marquis de Saint-Huruge, perdu de dettes et de débauches, qui, de noble renié par sa caste, s'était fait plébéien furibond ; le futur général Rossignol, alors simple ouvrier bijoutier ; le boucher Legendre, type de beaucoup de révolutionnaires de cette époque, homme à l'éloquence abrupte, qui, s'enivrant de ses propres paroles, se laissait aller aux plus effroyables exagérations de langage, passait du dernier paroxysme de la fureur à une véritable et sincère sensibilité, et qui donna l'exemple, tantôt du courage le plus énergique, tantôt de la plus insigne lâcheté enfin le Polonais Lazowsky, ancien protégé de la cour, qui, après avoir échoué dans ses vues ambitieuses en singeant le gentilhomme, avait cherché fortune en exagérant le costume et les mœurs delà plus vile canaille, et s'était ainsi acquis la faveur du faubourg Saint-Marcel, où il était capitaine de canonniers.

Ce dernier fut choisi, avec neuf autres citoyens parfaitement obscurs, pour aller à l'hôtel de ville faire connaître la prétendue intention des faubourgs de se lever en masse, d'aller, armes sur l'épaule, planter l'arbre de la liberté dans le jardin des Tuileries, et déposer une adresse entre les mains du président de l'Assemblée nationale. La requête de ces pétitionnaires sans mandat fut soumise, le 16 juin, au conseil général, qui, maigre tout le désir qu'il avait de leur être agréable, ne pouvait évidemment pas, sous prétexte de fête ou de pétitionnement, autoriser une pareille démonstration. C'est ce que fit remarquer l'officier municipal Borie[20] ; et, sur sa motion, Lazowsky et ses neuf compagnons furent éconduits par un ordre du jour ainsi motivé :

MUNICIPALITÉ DE PARIS.

Du 16 juin 1792.

MM. Lazowsky, capitaine des canonniers du bataillon de Saint-Marcel, Duclos, Pavie, Lebon, Lachapelle, Lejeune, Vasson, citoyens de la section des Quinze-Vingts, Geney, Deliens et Bertrand, citoyens de la section des Gobelins[21], ont annoncé au conseil général que les citoyens des faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marcel avaient résolu de présenter, mercredi 20 du courant, à l'Assemblée nationale et au roi, des pétitions relatives aux circonstances et de planter ensuite l'arbre de la liberté sur la terrasse des Feuillants, en mémoire de la séance du Jeu de Paume.

Ils ont demandé que le conseil général les autorisât à se revêtir des habits qu'ils portaient en 1789, en même temps que de leurs armes.

Le conseil général, après avoir délibéré sur cette pétition verbale et le procureur de la commune entendu :

Considérant que la loi proscrit tout rassemblement armé, s'il ne fait partie de la force publique légalement requise, a arrêté de passer a l'ordre du jour.

Le conseil général a ordonné que le présent arrêté serait envoyé au directoire du département et au département de police, et qu'il en serait donné communication au corps municipal.

Signé : LEBRETON, doyen d'âge, président ; ROYER[22], secrétaire.

 

En entendant lire cet arrêté, les prétendus délégués des faubourgs entrèrent dans une violente colère et s'écrièrent[23], dans la salle même du conseil général, que rien ne les empêcherait d'exécuter leur projet, qu'ils. iraient chez le roi et à t'Assemblée en dépit de tous les arrêtes. Retournés dans leurs faubourgs, Us y propagèrent l'agitation. Durant les journées des 17, 18 et 19 juin, chacun put voir grossir un mouvement populaire[24] qu'il eut été facile de prévenir en déployant un peu d'énergie dès le début.

 

V

Pétion, dit M. Louis Blanc[25], était très-incertain comme homme de parti, il inclinait à favoriser le mouvement comme maire, il avait à faire respecter la loi. Nous dirons plus : ami des ministres renversés, partisan des lois auxquelles le roi venait d'apposer son veto, Pétion désirait fort que le peuple exerçât une pression violente et sur l'Assemblée nationale et sur le monarque. Premier magistrat de la ville de Paris, il était obligé de sauver les apparences, tenant à rester populaire si l'affaire réussissait, et, si elle échouait, à ne point perdre la mairie. Il fut incertain, sans doute, mais incertain seulement sur les moyens de mettre sa responsabilité à couvert et de laisser l'événement se produire, sans y prendre aucune part apparente.

Ainsi, le 16, lorsque les pétitionnaires des faubourgs se présentèrent a l'hôtel de ville, le maire avait eu soin de se trouver absent et il put avoir l'air d'ignorer t'arrête du conseil général, qui ne lui fut effectivement adressé en double expédition que le 18, par le secrétaire-grenier de la commune[26].

Outre l'excuse tirée de son ignorance, Pétion en trouvait une autre que ses défenseurs ne manquèrent pas de mettre en avant, lorsque, plus tard, il fut accusé d'avoir failli à ses devoirs la voici dans toute sa naïveté : Les pétitionnaires du 16 juin ne paraissaient être que des individus désirant marcher sans être ralliés sous le drapeau de la force armée et sans être dirigés par les chefs reconnus par là loi à cause de cela le conseil général avait dû leur opposer un ordre du jour, mais ce n'avait été qu'un simple rappel à la loi, qui, dans les circonstances ordinaires, ne méritait pas d'être notifié à l'autorité supérieure et ne nécessitait en lui-même aucune action supérieure et ne nécessitait en lui-même aucune action répressive par conséquent, avant de requérir la force contre les citoyens des deux faubourgs, qui donnaient des témoignages de patriotisme pur et vif, il était indispensable d'attendre qu'ils eussent laissé voir qu'ils enfreignaient effectivement la loi qui leur avait été rappelée ![27]

 

VI

Le maire de Paris n'était pas, on le voit, très-dispose à prendre des mesures pour prévenir l'émeute qui se préparait. Mais le directoire du département était loin de partager, la quiétude de Pétion. Ne possédant aucun moyen légal d'agir directement, il n'avait qu'une chose à taire, et il la fit c'était de rappeler au maire et à la municipalité les devoirs que la loi leur imposait. Lettres, arrêtés, conférences, il n'épargna rien pour assurer le maintien de ta tranquillité publique[28]. Le maire et les administrateurs de police furent invités à venir rendre compte de la situation de la capitale et des mesures qu'ils avaient prises ou étaient disposés a prendre. La conférence eut lieu, le 19 juin, entre deux et trois heures de l'après-midi elle fut longue, animée, pleine de reproches et de récriminations. Enfin, le directoire insistant, le maire écrivit, sur le bureau même du président, au commandant général de la garde nationale afin qu'il eût ai tenir les postes au complet, doubler ceux des Tuileries et de l'Assemblée nationale, avoir des réserves d'infanterie et de cavalerie, prendre toutes les dispositions analogues aux circonstances et propres au maintien de la tranquillité publique. La lettre finissait ainsi ; Si vous avez besoin de troupes de ligne, vous pouvez, en vertu de mon autorisation générale, en faire la réquisition[29].

Le directoire, en présence de Pétion, prit un arrêté dont il fut tout de suite remis une ampliation à celui-ci, et dont une autre copie fut adressée sans retard au ministre de l'intérieur, pour être transmise à l'Assemblée nationale.

Dans cet arrêté, le directoire déclarait : qu'il était instruit par des rapports multipliés que des malveillants, nonobstant l'arrêté du conseil général de la commune, avaient l'intention de former des rassemblements armés, sous prétexte de présenter des pétitions qu'il croyait devoir rappeler la loi générale qui interdit aux citoyens de se réunir en armes sans réquisition préalable, la loi municipale qui, tout en leur permettant de se réunir paisiblement et sans armes pour rédiger des pétitions, ne les autorise néanmoins qu'à députer vingt citoyens seulement t pour présenter ces pétitions qu'afin d'éviter un outrage au conseil général, qui avait rejeté la demande des faubourgs, et aussi afin .que la tranquillité de Paris ne fut pas troublée par des rassemblements illégaux, ni la majesté des représentants du peuple outragée, il ordonnait au maire, à la municipalité et au commandant général de prendre sans délai les mesures indispensables pour empêcher tout rassemblement qui pourrait blesser la loi, pour contenir et réprimer les perturbateurs du repos public, etc.

L'Assemblée nationale tenait sa séance du soir, lorsqu'elle reçut l'arrêté du directoire du département de Paris. Une députation de citoyens de Marseille était à la barre et y lisait une pétition des plus violentes :

Législateurs, la liberté française est en péril, les hommes du Midi se sont tous levés pour la défendre. Le jour de la colère du peuple est arrivé. Le peuple, qu'on .a toujours voulu égorger et enchaîner, las de parer les coups, a son tour est près d'en porter las de déjouer les conspirations, il a jeté un regard terrible sur les conspirateurs... Le lion généreux, mais aujourd'hui trop courroucé, va sortir de son repos pour s'élancer contre la meute de ses ennemis... Représentants du peuple, la force populaire fait toute votre force. Vous l'avez en main, employez-la... Une lutte entre le despotisme et la liberté ne peut être qu'un combat à mort... Représentants, le peuple veut absolument finir une révolution, qui est son salut et sa gloire, qui est l'honneur de l'esprit humain il veut se sauver et vous sauver. Devez-vous empêcher ce mouvement sublime ? Le pouvez-vous, législateurs ?[30]...

C'était le 10 août annoncé la veille du 20 juin. Un pareil appel fait à la force brutale soulève naturellement à gauche des transports d'enthousiasme et a droite des transports de colère. L'impression et l'envoi aux départements ! crie-t-on d'un côté... Cette adresse est incendiaire et inconstitutionnelle, réplique-t-on des bancs opposés. Lecointe-Puiraveaux rejette la violence du style des Marseillais sur leur ciel brûlant et n'en demande pas moins l'impression de leur adresse patriotique après une épreuve contestée, et sur la vive insistance de la gauche, l'Assemblée décrète !'impression et l'envoi des menaces marseillaises aux quatre-vingt-trois départements[31].

L'émotion soulevée par cette lecture et par ce vote n'était pas encore apaisée quand le président annonce qu'il vient de recevoir l'arrêté départemental. Qu'on ne le lise pas, s'écrie Saladin, nous n'avons pas de temps à perdre[32]. Mais la majorité décide que lecture de l'arrêté du directoire sera faite ; elle l'écoute en silence.et passe à l'ordre du jour. Était-ce une approbation tacite, une indifférence calculée, un blâme déguisé ? Chacun put interpréter à sa guise cette décision. Les chefs du mouvement projeté y virent la preuve évidente que l'Assemblée n'était pas déterminée à suivre le département dans sa ligne de conduite énergique et courageuse ils agirent en conséquence.

 

VII

Cependant l'agitation augmentait dans les faubourgs. Les meneurs y représentaient la journée du lendemain comme une fête : il n'y a rien a craindre, disaient-ils, en se mêlant aux rassemblements, Pétion sera avec nous ! Ils excitaient la curiosité populaire, dépeignant d'avance à la foule le plaisir qu'elle éprouverait à visiter les Tuileries, qui lui étaient inconnues, à voir chez eux monsieur et madame Veto. Si quelques individus timorés manifestaient certaines appréhensions, on leur montrait les canons des bataillons révolutionnaires, et Santerre disait tout haut qu'en dépit de l'arrêté départemental la garde nationale n'aurait pas d'ordres.

Les sections des Quinze-Vingts, de Popincourt, des Gobelins et d'autres encore siégèrent toute la nuit, et)a fièvre démagogique y fut entretenue par l'envoi et la réception des députations fraternelles, qu'elles échangeaient entre elles à chaque instant[33].

Pétion avait cru devoir convoquer a la mairie, à neuf heures du soir, les chefs de la garde nationale des faubourgs agités, pour, disait la lettre de convocation, traiter avec lui d'un objet important[34]. Les quatre administrateurs de police, Panis, Sergent, Vigner, Perron, étaient présents à cette conférence[35].

Interrogé sur l'état des esprits dans son quartier, le chef du bataillon des Enfants-Trouvés, Santerre, assure que rien ne pourrait empêcher les citoyens et les gardes nationaux d'exécuter la promenade en armes, décidée pour le lendemain.

Alexandre, chef du bataillon de Saint-Marcel, déclare que les dispositions de son quartier sont les mêmes que celles du faubourg Saint-Antoine qu'il y aurait peut-être un grand danger à vouloir opposer la force à l'exécution de ce qui est fermement résolu. Quant à lui, ne voulant pas aigrir ses concitoyens, il marchera avec eux, afin de les empêcher de se porter à aucun excès, et aussi afin de modérer leur courage et leur impatience, si on vient à les provoquer[36].

Le chef du bataillon de Sainte-Marguerite, Bonneau, honnête chirurgien de la rue de Montreuil, mais faible et timide, se hasarde bien à présenter quelques observations, mais il finit par reconnaître que les gardes nationaux sont fort divisés et que la fermentation est grande dans son quartier[37].

La conférence allait se dissoudre sans que l'on eût rien résolu, lorsque, un peu après onze heures, arrive le commandant du bataillon du Val-de-Grâce, l'acteur Saint-Prix, qui avait reçu sa lettre de convocation fort tard. Dites-nous à votre tour, lui demande le maire, quelles sont les dispositions de votre bataillon ?Les esprits, répond Saint-Prix, étaient paisibles jusqu'à l'ouverture d'un club à la porte Saint-Marcel. Maintenant ils sont tous excités et divisés. Ce club, qui est entré en correspondance avec Santerre, engage les citoyens à se porter demain en armes à l'Assemblée nationale, chez le roi, malgré les arrêtés des autorités constituées[38].

Pétion était évidemment embarrassé. Il n'osait se constituer en révolte ouverte contre la loi, il cherchait un biais, un faux-fuyant, et il n'en trouvait pas. La pétition préparée dans la brasserie du faubourg Saint-Antoine et dont on lui avait fait par avance la lecture[39], quelque violente, quelque illégale qu'elle fût, était loin d'exciter sa colère. Au lieu de chercher à ramener les chefs évidents du mouvement, Alexandre et Santerre, il demandait leurs conseils. Il demandait aussi ceux de leurs collègues, qui, eux, n'étant pas dans le secret, parlaient et agissaient avec la plus complète bonne foi.

Ce fut alors que le chef de bataillon du Val-de-Grâce émit une opinion qui devint un trait de lumière pour Pétion. Saint-Prix était un homme d'ordre, il respectait sincèrement le roi et la constitution[40] ; c'était aussi un artiste éminent, qui jouait admirablement les rois sur la scène du Théâtre-Français, mais ce n'était ni un profond politique, ni un savant jurisconsulte : Permettez-moi, monsieur le maire, dit-il, un conseil qui me paraît dicté par la prudence puisque vous connaissez la pétition et le point de réunion, rendez-vous avec la municipalité au lieu du rassemblement, lisez l'arrêté du département, représentez, par une proclamation, au peuple qu'une pétition ne peut ni ne doit se faire en armes, que la démarche est illégale que, sans le respect dû aux autorités constituées, la constitution, pour laquelle il a juré de mourir, n'existe plus. Obtenez des citoyens qu'ils déposent leurs armes, ayant d'entrer à l'Assemblée nationale et chez le roi. Offrez au peuple pour garantie de sa sûreté de le précéder avec la municipalité. Ordonnez au commandant général de convoquer un certain nombre de volontaires par bataillon, qui, placés sur le flanc, à gauche et à droite de la municipalité protégeraient la marche des pétitionnaires et donneraient ainsi un caractère d'autant plus imposant à cette démarche qu'elle serait totalement dans les formes légales[41].

Légaliser un mouvement essentiellement révolutionnaire, lui ôter tout péril et doubler sa force quelle naïve idée pour un ami de l'ordre et des lois tel que Saint-Prix ! Elle paraît triomphante à Pétion qui aussitôt, se retire dans une pièce voisine, pour conférer avec les administrateurs de police sur les moyens d'en concilier l'application avec l'arrêté départemental[42]. Quelques minutes après, l'administrateur Vigner sort de la mairie, chargé d'aller s'entendre avec le procureur-général-syndic Rœderer, afin que toutes les autorités constituées de Paris se trouvent d'accord pour l'adoption d'un même moyen légal appliqué aux circonstances[43]. Quant au maire, il revient vers les chefs de légion, et, en les invitant à se retirer, leur dit : Je vous instruirai de la réponse qui me sera faite par le département. Écrivez au commandant général pour le prévenir de ce qui se prépare et le prier de vous donner les instructions qu'il croira convenables. Il était alors un peu plus d'une heure du matin[44].

Arrivé au département, Vigner y rencontre Rœderer et lui soumet la nouvelle proposition du maire[45]. Rœderer semble l'approuver, mais ne veut pas y répondre sans l'avis du directoire, qu'il convoque Immédiatement. Vigner ne veut pas attendre et retourne à la mairie auprès de Pétion. Celui-ci, persuadé que le directoire ne peut faire autrement que de se rendre aux très-bonnes raisons, suivant lui, exposées dans sa lettre, va se coucher et se contente d'expédier aux membres du corps municipal, ou au moins à ceux sur l'assentiment desquels il croit pouvoir compter, une lettre de convocation pour le lendemain matin.

 

VIII

Pendant que le maire de Paris sommeillait, les membres du directoire du département avaient répondu à l'appel de Rœderer, et la discussion la plus vive s'était engagée sur la proposition municipale.

Il fut unanimement reconnu que l'on ne devait pas recevoir dans les rangs de la garde nationale des hommes pour la plupart inconnus, sans aveu, déjà en état de rébellion ouverte, munis de toutes sortes d'armes, qui ne pouvaient que semer le désordre au milieu de la force armée, et, en cas de sédition, la mettre dans l'impossibilité d'agir[46].

En conséquence il fut décidé qu'il serait sur-le-champ fait à la municipalité la réponse suivante :

Paris, ce 20 juin 1791, cinq heures du matin.

Nous avons reçu, messieurs, votre lettre de cette nuit ; nous. ne croyons pas pouvoir en aucune circonstance composer avec la loi que nous avons fait le serment de faire exécuter ; elle nous trace nos devoirs d'une manière impérieuse. Nous croyons devoir persister dans notre arrêté d'hier.

 

Précisément au moment où cette lettre était écrite, le maire s'éveillait. Inquiet de n'avoir pas encore reçu de réponse du département, il chargeait l'un des administrateurs de police, Sergent, de porter un billet ainsi conçu :

La mesure indiquée est la seule praticable, surtout dans des circonstances où les citoyens n'ont pas eu le temps d'être prévenus et sont peut-être déjà sur pied à se préparer.

Cinq heures du matin.

 

Sergent eut beau répéter au directoire assemblé les raisonnements que Vigner avait déjà faits à Rœderer, les magistrats départementaux s'élevèrent avec vivacité contre toute légalisation d'une illégalité[47]. La réponse fut expédiée, mais avec ce post-scriptum nécessité par l'arrivée de la nouvelle lettre de Pétion

P.-S. Nous recevons à l'instant votre lettre de cinq heures. Nous ne jugeons pas qu'elle doive nous faire changer de disposition[48].

 

Le département écrivait en même temps au commandant général de la garde nationale qu'il eût à remplir son devoir conformément à l'arrêté de la veille, même à faire battre la générale si le danger devenait pressant ; et au ministre de l'intérieur, pour lui faire part des propositions de la municipalité et du refus péremptoire qui venait d'y être opposé[49].

La résistance du directoire bouleversait toutes les espérances, anéantissait tous les plans de Pétion. Les ordres qu'il venait de recevoir étaient trop formels et trop précis pour qu'il pût affecter de ne pas les comprendre. Il sentit qu'il fallait s'exécuter et écrivit aux quatre chefs de bataillon la lettre suivante

Nous vous prévenons de nouveau, messieurs, que vous ne pouvez vous réunir en armes... Voici, à cet égard, la lettre que nous envoient les membres du directoire. D'après cette lettre, nous augurons trop bien de votre civisme pour ne pas espérer que vous vous y conformerez et que vous éclairerez vos concitoyens[50].

Les chefs de bataillon des faubourgs se trouvaient donc ballottés entre les instructions les plus contradictoires. Ils étaient en même temps exposés à recevoir les réquisitions extralégales des sections.

La section des Gobelins, avec laquelle Alexandre n'avait pas cessé d'être en rapport direct la veille et durant toute la nuit[51], invita Saint-Prix à venir, à la tête de ses troupes, assister à la cérémonie qui se préparait à l'effet de planter l'arbre de la liberté sur la terrasse des Feuillants[52]. Saint-Prix répondit qu'il ne pouvait faire marcher son bataillon que sur réquisition légale qu'ayant reçu au contraire la réquisition de ne pas bouger, il resterait à son poste. Cependant il ajouta que, comme citoyen, il se rendrait à la section sans armes, et même que, comme chef de bataillon, il s'empresserait de se joindre à elle, si des ordres ultérieurs l'y autorisaient.

Le commandant général de la garde nationale — c'était, pour le mois de juin, Ramainvilliers — était tout aussi embarrassé que ses subordonnés. Dès la pointe du jour, il s'était rendu à la mairie, mais il ne put obtenir aucune réponse précise ; on lui dit qu'il fallait attendre la réunion du corps municipal. Tout ce que Pétion osa prendre sur lui, ce fut d'envoyer les administrateurs de police dans les faubourgs agités pour se conformer aux instructions que la veille il avait reçues du département.

 

IX

Lorsque Sergent et Panis arrivèrent au faubourg Saint-Antoine, à huit heures du matin, ils trouvèrent un grand nombre de citoyens, les uns armés, les autres encore sans armes. Des groupes se formaient çà et là devant les affiches apposées durant la nuit, lisaient l'arrêté du directoire et ne manquaient pas de le commenter avec colère[53]. Les deux administrateurs de police engagèrent, mais sans doute très-faiblement, les sans-culottes de leur connaissance à déposer leurs fusils. Ceux-ci leur répondirent que l'on ne voulait attaquer ni l'Assemblée nationale, ni le roi, qu'on désirait seulement faire cortège aux vingt pétitionnaires légaux du peuple, et ensuite célébrer militairement l'anniversaire du Serment du Jeu de Paume. Du reste, ajoutèrent-ils, nous avons peur qu'on ne nous fusille du côté des Tuileries et nous tenons à avoir nos armes.

A de pareils raisonnements, Panis et Sergent se gardèrent bien de trouver des objections. Ils se rendirent au comité de la section des Quinze-Vingts. Une partie du bataillon des Enfants-Trouvés était déjà rassemblée autour du peuplier qui devait être planté aux Tuileries Santerre haranguait une nombreuse réunion de citoyens avec ou sans uniforme, et soumettait à leur discussion la lettre qu'il avait reçue du maire. Les administrateurs de police firent — disent-ils dans leur rapport, mais c'est peu probable — tous leurs efforts pour déterminer le chef de bataillon et les citoyens à respecter la loi. Santerre leur répliqua qu'il agirait, quant à lui, conformément au désir du peuple. Le peuple, par l'organe des sans-culottes qui remplissaient l'église des Enfants-Trouvés, couvrit la responsabilité du brasseur en répondant tumultueusement : Déjà plusieurs députations en armes ont été reçues par le corps législatif ; certains bataillons s'y sont présentés en armes sans que le directoire du département s'y soit opposé ; la loi étant égale pour tous, nous irons, et nous serons reçus, nous aussi. Les magistrats municipaux essayèrent encore, s'il faut les en croire, de ramener les égarés à la raison ; mais, naturellement, ils n'y réussirent pas. En sortant du comité, ils redescendirent vers la Bastille ; voyant, au milieu d'une foule énorme, errer des commissaires de section et même le commissaire de police revêtu de son chaperon, ils pensèrent qu'ils n'avaient plus qu'à s'en aller tranquillement déjeuner au coin du faubourg, dans un café, d'où ils pourraient admirer le spectacle de la formation des rassemblements[54].

Si, au lieu de revenir sur leurs pas, les administrateurs de police avaient poussé leurs investigations plus avant dans le faubourg, ils se seraient aperçus que l'élan populaire n'était pas aussi unanime, aussi irrésistible qu'ils le prétendaient ; si leur désir d'empêcher le rassemblement illégal avait été réel, ils seraient allés chercher à la section de Montreuil l'appui qu'ils avaient été heureux de ne point trouver à celle des Quinze-Vingts.

En effet, le 20 juin, à dix heures du matin, les membres du comité de la section de Montreuil et le commissaire de police étaient réunis pour veiller au maintien de l'ordre. Les commandants Bonneau et Savin, à la tête du bataillon de Sainte-Marguerite, résistaient aux invitations itératives que leur envoyait le bataillon des Enfants-Trouvés pour venir le rejoindre ; à toutes les suggestions, ils répondaient par le dernier ordre signé Pétion. Mais surviennent de nouveaux émissaires des Quinze-Vingts, soutenant que la consigne est levée. Ce mensonge se propage vite, grâce à l'absence des officiers municipaux, qui déjeunaient. Bonneau ne veut pas y ajouter foi il reste fidèle à son mandat et invite ses soldats à demeurer immobiles. Cependant un grand nombre de gardes nationaux manifestent la volonté de suivre leurs amis des Quinze-Vingts, et, pour éviter l'effusion du sang, le malheureux commandant se décide à marcher, non sans protester contre la violence qui lui est faite[55].

Des scènes à peu près semblables, mais plus violentes, se passaient vers la même heure au faubourg Saint-Marcel. Le commandant en premier, Saint-Prix, et le commandant en second, Leclerc, dès leur arrivée au quartier général du bataillon du Val-de-Grâce, se trouvent environnés d'une foule d'hommes armés de piques, qui veulent forcer les gardes nationaux à les suivre. Les commandants rappellent la loi, se retranchent derrière les ordres qu'ils ont reçus ; à leurs représentations, à leurs prières, la foule réplique par des injures et essaye d'enlever les canons affectés au bataillon. Déjà Saint-Prix commande aux gardes nationaux de se ranger en bataille, mais les canonniers ont abandonné lâchement leurs pièces, que les hommes à piques entraînent en courant. Saint-Prix et Leclerc se, précipitent, tenant d'une main leur ordre, de l'autre leurs épées. A cette vue, les émeutiers s'arrêtent. Les deux commandants se placent devant les canons. Mais bientôt ils y sont seuls, car tous leurs hommes s'éloignent, à l'exception d'un adjudant. Menacés de mort, incapables de résister plus longtemps, ils rappellent les canonniers qui ont fui, leur remettent les bouches à feu, et croient devoir les accompagner, a6n d'empêcher que le peuple n'abuse des armes dont il s'est emparé. En marchant avec la foule, ils prennent à témoin tous les citoyens qui restent sur leurs portes et à leurs fenêtres, qu'eux, les commandants de la force armée, ils ont été contraints de marcher par la violence et l'insubordination[56].

Vers la même heure, Perron arrivait avec le chef de bataillon Alexandre et le président de la section des Gobelins sur le boulevard de la Salpêtrière, où déjà étaient réunis beaucoup de gardes nationaux avec leur artillerie, et une foule d'hommes et de femmes, armés de fusils, de piques, de sabres, d'épées, de bâtons. Perron parle de la loi de l'arrêté du directoire, des lettres de Pétion personne ne veut l'entendre et on l'invite à se mettre fraternellement à la tête du rassemblement il refuse et se retire[57]. Le juge de paix de la section des Gobelins, Thorillon, qui était en même temps député, tente une nouvelle démarche, court au chef-lieu de la section pour encourager la résistance aux inégalités flagrantes qui se préparent mais déjà le bataillon est en marche, et dans son impuissance, le comité civil de la section ne peut que prier le juge-député de faire immédiatement part à l'Assemblée nationale des violences dont il a été témoin[58].

Le maire, presque aussitôt après le départ des administrateurs de police, avait dépêché vers le faubourg Saint-Marcel trois autres officiers municipaux. Ceux-ci, près de la rue Saint-Bernard, rencontrent le rassemblement, précédé de deux canons. Ils déploient leurs écharpes, la foule s'arrête et les entoure ; on les écoute un instant, mais on leur répond par le même mot d'ordre : Nos motifs sont purs, nos desseins pacifiques ; nous voulons saluer l'Assemblée nationale, célébrer l'anniversaire du Serment du Jeu de Paume et planter un mai pour fêter ce grand événement. Les officiers municipaux font timidement observer que, pour tout cela, n'est pas besoin d'armes. Nous ne nous désarmerons pas, leur répond-on, et si l'on envoie des canons contre nous, eh bien ! nous aurons les nôtres. Les municipaux veulent encore parler, mais l'attroupement les interrompt en criant : En voilà bien assez ; M. le commandant, en avant ! Et Alexandre de répéter : En avant ! en avant ![59]

Au même moment (midi environ), le faubourg Saint-Antoine s'ébranlait aussi. Santerre sortait de sa brasserie et prenait la tête du cortège. It était suivi par les canons, le drapeau du bataillon et te char qui portait le peuplier. Le brasseur-commandant était le héros et le triomphateur du jour.

 

X

Pendant que les amis de Pétion, administrateurs de police ou simples officiers municipaux, dépensaient de vaines paroles pour ne rien empêcher, que faisait le maire de Paris lui-même ? Il refusait tout ordre écrit au commandant de la garde nationale[60] qui n'osait pas agir sans cela, et, comme nous l'avons déjà dit plus haut, le retenait à l'hôtel de ville depuis huit heures du matin jusqu'à onze heures et demie[61], pour le faire assister à la séance du corps municipal.

Celui-ci se réunissait très-lentement et était loin d'être au complet longtemps après l'heure indiquée dans les billets de convocation. Il est vrai que ces billets n'avaient été portés que très-tard, ou ne l'avaient pas été du tout, aux membres de la part desquels Pétion pouvait craindre quelque opposition[62].

Enfin la séance est ouverte et le maire donne au corps municipal, ou plutôt à ses amis, seuls encore présents, lecture des rapports qu'il vient de recevoir des administrateurs de police. Après cette communication se produisent, d'abord avec timidité, puis avec un peu plus d'audace, les raisonnements usités en pareille circonstance pour entraîner les gens faibles et indécis : Il est impossible d'arrêter deux faubourgs tout entiers ; il faut dès lors rendre régulière la marche du rassemblement, rallier au milieu de la garde nationale et sous le commandement de ses chefs les citoyens de toutes armes[63]. Au moyen de pareils arguments, la réunion semi-légale qui siège à l'hôtel de ville prend l'arrêté suivant :

Le corps municipal étant informé qu'un grand nombre de citoyens de tous uniformes et de toutes armes se proposent de se présenter aujourd'hui à l'Assemblée nationale et chez le roi, pour remettre une adresse et célébrer en même temps l'anniversaire du Serment du Jeu de Paume ;

Le procureur de la commune entendu ;

Arrête :

Que le chef de légion, commandant général de la garde nationale donnera à l'instant les ordres nécessaires pour rassembler sous tes drapeaux les citoyens de tous uniformes et de toutes armes, lesquels marcheront, ainsi réunis sous le commandement des officiers des bataillons.

Signé : PÉTION, maire.

DEJOLY, secrétaire-greffier.

 

Au moment où cet arrêté vient d'être adopté, plusieurs des officiers municipaux avertis tardivement entrent dans la salle mais on se contente de leur faire part de la mesure qui vient d'être prise, et on lève la séance. A l'un d'eux, Borie[64], qui témoignait son mécontentement de voir la loi ainsi violée, on répond : Il fallait bien agir de la sorte, puisque les circonstances ne permettaient pas d'agir autrement. La décision prise, le maire paraît croire la patrie sauvée, ne maintient pas son corps municipal en permanence[65], et se retire dans une salle particulière avec quelques intimes[66], se contentant d'envoyer du côté des Tuileries ses affidés les plus sûrs.

Le commandant général reçoit l'ampliation de l'arrêté qui vient d'être pris et rentre à l'état-major de la garde nationale ; il y trouve plusieurs ordres émanés du ministre de l'intérieur et du directoire du département qui sont en contradiction formelle avec ceux qu'il tient de la main de Pétion[67]. Naturellement ses hésitations redoublent, son inertie augmente.

Pendant ce temps le directoire du département siégeait en permanence rue du Dauphin et restait en communication incessante avec le ministère de l'intérieur, l'Assemblée et le château.

L'Assemblée nationale venait d'ouvrir sa séance ; Rœderer, procureur-général-syndic, s'y rend et lui expose les faits qui sont a sa connaissance.

Un rassemblement extraordinaire de citoyens armés, dit-il, a lieu en ce moment malgré la loi, malgré deux arrêtés, l'un du conseil général de la commune, l'autre du département, qui rappellent la loi...

Nous avons lieu de craindre que ce rassemblement ne serve à appuyer par l'appareil de la force une adresse au roi, à qui il ne doit en parvenir que sous la forme paisible d'une pétition.

Les rapports qui nous ont été faits cette nuit et qui l'ont occupée tout entière ont autorisé nos craintes à cet égard.

Une lettre du ministère de {'intérieur qui nous a été adressée ce matin, à neuf heures, les a confirmées.

Vous connaissez, messieurs, l'arrêté que le directoire a cru devoir prendre hier pour fortifier celui que le conseil général de la commune a pris le 16 du courant aujourd'hui nous n'avons eu qu'à en recommander de nouveau l'exécution à la municipalité et à lui faire connaître l'ordre qui nous a été transmis par le ministre de l'intérieur. Nous avons rempli ce devoir.

Aujourd'hui, messieurs, un grand nombre de citoyens armés, accompagnant des pétitionnaires, se portent vers l'Assemblée nationale par un mouvement civique, mais demain il peut se rassembler une foule de malintentionnés, d'ennemis secrets de la révolution et de l'Assemblée nationale elle-même.

Qu'aurions-nous à leur dire, quel obstacle pourrions-nous mettre à leur rassemblement, en un mot, messieurs, comment pourrions-nous répondre de votre sûreté si la loi ne nous en donnait le moyen, et si ce moyen était affaibli dans vos mains par la condescendance de l'Assemblée nationale à recevoir des multitudes armées dans son sein ?

Nous demandons, messieurs, de rester chargés de tous nos devoirs, de toute notre responsabilité, et que rien ne diminue l'obligation où nous sommes de mourir pour maintenir l'ordre public et le respect dû aux pouvoirs qui forment les bases de la constitution.

 

Les dernières paroles du procureur-général-syndic, si nettes, si fermes, auraient dû provoquer des applaudissements unanimes. Une partie seulement de l'Assemblée les salue d'acclamations le reste, soutenu des tribunes, fait entendre des murmures désapprobateurs.

Le président — Français de Nantes — se contente de répondre au directoire : L'Assemblée nationale prendra en considération les observations que vous venez de lui soumettre.

L'Assemblée nationale étant avertie officiellement de l'arrivée des pétitionnaires armés, il lui était impossible de ne point discuter d'avance la question de savoir si, en admettant dans son sein les violateurs de la loi, elle consentirait, comme dit très-bien M. Louis Blanc[68], à mettre à la merci de toutes les séditions possibles la liberté de ses débats, l'indépendance de ses votes, la dignité de ses membres. Pour combattre les motions que devait naturellement présenter et soutenir la droite royaliste et constitutionnelle, la gauche envoie à la tribune le plus éloquent de ses orateurs, Vergniaud : Je le crois, dit-il, et nous avons entendu avec plaisir M. Rœderer nous le confirmer, le civisme seul anime les citoyens qui ont formé le rassemblement dont on vient de vous parler. Mais je crois aussi que vous devez prendre les précautions que les circonstances commandent pour prévenir les événements que la malveillance pourrait occasionner. Parmi ces précautions, faut-il comprendre le refus de recevoir les pétitionnaires armés ? Sans doute le sanctuaire de la loi ne doit être ouvert qu'aux législateurs et aux citoyens paisibles, et l'on peut craindre que, si aujourd'hui le civisme y conduit de bons citoyens, demain l'aristocratie n'y conduise des janissaires. Cependant, comme l'Assemblée constituante et la Législative, hier même, ont eu le tort de ne point refuser le passage à travers leur enceinte à des pétitionnaires armés, l'erreur des citoyens qui veulent, eux aussi, défiler, se trouve en quelque sorte autorisée par les abus antérieurs... Si donc, ajoute Vergniaud proposant une transaction entre ce que les faubourgs en marche paraissent vouloir et ce que les magistrats départementaux réclament au nom de la loi, si donc des citoyens sans armes viennent à votre barre vous demander de défiler en armes, comme vous n'avez pas refusé cette faveur aux autres, vous ne pouvez pas la refuser à ceux-ci s'ils veulent présenter une pétition au roi, je pense qu'ils se conformeront aux lois, qu'ils iront à lui sans armes et comme de simples pétitionnaires. Ainsi il y a lieu de croire qu'il n'y a pas de danger pour la personne du roi supposé qu'il y en eût, vous devez le partager. Je demande qu'une députation de soixante membres soit envoyée chez le roi pour y rester jusqu'à ce que le rassemblement soit dissipé[69].

Mais d'autres députés ne paraissent pas avoir dans les intentions des pétitionnaires la même confiance que Vergniaud. Thorillon rend compte des scènes dont il a été témoin quelques heures auparavant, et demande, au nom du comité de la section des Gobelins, que l'Assemblée maintienne, comme elle le doit, l'exécution de la loi[70]. Dumolard insiste afin que la motion de Vergniaud pour l'envoi d'une députation chez le roi soit adoptée et que les rassemblements illégaux soient dissipés. Mais en ce moment le président annonce qu'il vient de recevoir une lettre de Santerre, commandant de l'un des bataillons du faubourg Saint-Antoine. On entend les premiers grondements de l'orage qui s'approche, d'immenses bruits de voix montent du dehors ; à ces signes précurseurs, chacun comprend que le flot populaire bat déjà les portes de l'Assemblée nationale.

 

XI

Les deux bandes d'émeutiers que nous avons laissées se mettant en marche, l'une de la Salpêtrière, l'autre de la Bastille, n'avaient pas tardé à se réunir. Les dernières hésitations, que les meneurs auraient encore .pu rencontrer dans les masses, avaient été dissipées par l'arrêté du corps municipal permettant aux citoyens de tous uniformes et de toutes armes de marcher sous le commandement des officiers de la garde nationale[71].

Le long de la route, le rassemblement s'était grossi de .cette foule de badauds et d'oisifs que l'on trouve toujours errants dans les rues de Paris, prêts à se joindre à n'importe quel cortège et même à suivre, par simple curiosité ou amour du tapage, les aventures de n'importe quelle émeute.

Le manège, approprié pour l'Assemblée constituante, lors de sa translation de Versailles à Paris, était un bâtiment d'environ 150 pieds de longueur, qui, adossé à la terrasse des Feuillants, occupait à peu près l'emplacement où se croisent aujourd'hui les rues de Rivoli et de Castiglione. La terrasse existait telle qu'elle est, encore maintenant ; mais à la place de la grille qui la sépare de la rue de Rivoli, il y avait une haute muraille qui empêchait toute communication entre la terrasse et une longue cour s'étendant entre le bâtiment du manège et les Tuileries. Cette cour était très-étroite et rien n'eût été plus facile que d'y enfermer la tête de la colonne des soi-disant pétitionnaires et de les y désarmer. Aussi les émeutiers du 20 juin se gardèrent-ils de s'engager dans cette espèce de denté. Comme on pouvait également entrer à l'Assemblée par l'extrémité opposée du bâtiment qu'elle occupait, les meneurs décidèrent que les pétitionnaires se présenteraient par la porte des Feuillants, et leur firent suivre la rue Saint-Honoré jusqu'à la hauteur de la place Vendôme.

Au moment où ils arrivèrent, précédés de sapeurs, de canons et de la voiture sur laquelle était porté l'arbre de la liberté, deux des officiers municipaux, envoyés par Pétion aux environs des Tuileries, apparurent devant eux, ceints de leur écharpe. C'était Boucher-René et Mouchet. Avec une étonnante gravité, ces magistrats essayèrent de réitérer la comédie déjà jouée dans les faubourgs ils firent observer aux citoyens armés et désarmés qu'ils ne pouvaient pas légalement se présenter en aussi grand nombre pour exercer leur imprescriptible droit de pétition. Mais nous allons précisément en demander la permission à l'Assemblée nationale, leur répondit-on et convaincus par ce magnifique raisonnement, les hommes à écharpe se laissèrent entraîner jusqu'à la porte du manège.

Là, la foule s'arrêta sur l'ordre de son chef, Santerre, qui exigea de ses fidèles sans-culottes un peu de patience, pendant qu'il notifierait leur arrivée aux représentants du peuple et que ceux-ci délibéreraient sur l'admission des pétitionnaires.

La lettre adressée par le tout-puissant brasseur au président de la représentation nationale était conçue en ces termes

Monsieur le Président,

Les habitants du faubourg Saint-Antoine célèbrent aujourd'hui l'anniversaire du Serment du Jeu de Paume ; ils devaient présenter leurs hommages à l'Assemblée nationale. On a calomnié leurs intentions ils demandent l'honneur d'être admis aujourd'hui à la barre ; ils confondront une seconde fois leurs lâches détracteurs, ils prouveront toujours qu'ils sont les amis des lois et de la liberté, les hommes du 14 juillet.

Je suis avec respect, monsieur le Président, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

Signé : SANTERRE, commandant de bataillon[72].

Paris, le 20 juin 1792.

 

La lecture de cette lettre provoque les bruyants applaudissements des tribunes[73]. Une partie de l'Assemblée se lève en criant : Qu'on introduise les pétitionnaires !Non ! non ! crie-t-on à droite. Ramond, l'un des plus courageux orateurs de ce côté, demande la parole ; mais Lasource est déjà à la tribune. Un des pétitionnaires, dit-il, m'a fait appeler pour m'annoncer que ceux qui attendent aux portes veulent seulement présenter une pétition à l'Assemblée et défiler devant elle ; ils sont porteurs d'une adresse au roi, mais leur intention n'est pas de la présenter au roi en personne. Ils la déposeront sur le bureau, afin que l'Assemblée la fasse parvenir au roi ou décide dans sa sagesse ce qu'elle jugera convenable[74]. Puis, comme nous l'avons vu plus d'une fois dans la longue histoire de nos révolutions, l'orateur, se fiant aux promesses d'une foule irresponsable, ajoute : Les pétitionnaires prennent l'engagement formel de ne pas même approcher du domicile du roi.

Ces allégations, proférées du ton le plus affirmatif, ne font sans doute pas assez d'effet sur les esprits indécis. Car Vergniaud présente aussitôt des arguments d'une tout autre nature : Si, dit-il, le peuple s'est un peu écarté de la loi[75], c'est que le corps constituant et le corps législatif lui-même ont favorisé de pareils rassemblements. Si vous ordonniez que le département et la municipalité fissent exécuter la loi à la rigueur, si vous adoptiez la proposition de M. Dumolard, vous renouvelleriez infailliblement la scène sanglante du Champ-de-Mars...

Des tonnerres d'applaudissements retentissent dans les tribunes et à gauche ; la droite lance à l'orateur de vives interruptions. Si l'on pouvait penser qu'il y eût quelque danger à l'admission des pétitionnaires armés, ce que je ne crois pas, reprend Vergniaud, je serais le premier à proposer pour demain un décret contre le renouvellement de ce danger. Et néanmoins il conclut en demandant que l'Assemblée daigne recevoir à l'instant les citoyens de Paris qui sollicitent l'honneur de défiler devant elle.

Ramond veut répondre à Vergniaud, mais il est constamment interrompu par les vociférations de la gauche, qui réclame la clôture de la discussion. Enfin, la parole lui est maintenue par un vote, et déjà il commence à réfuter l'argumentation de ses adversaires[76], lorsque le président dit avec émotion Je suis obligé d'interrompre la discussion pour annoncer à l'Assemblée que le commandant de garde vient de m'avertir que les pétitionnaires sont aux portes de cette salle au nombre de huit mille.

L'Assemblée est en' proie à une vive agitation, que cette parole lancée par Calvet augmente encore Ils sont huit mille et nous ne sommes que sept cent quarante-cinq c'est le moment de lever la séance et de nous en aller !

Délibérons tranquillement, s'écrie un autre député, que M. Ramond continue son discours !

L'Assemblée entière applaudit à cette dernière motion Hua, Larivière et d'autres membres de la droite demandent eux-mêmes que Calvet, leur ami, soit rappelé à l'ordre ; ce rappel est prononcé à l'unanimité[77]. Tant il est vrai que dans toute assemblée, quelque divisée, quelque tumultueuse qu'elle soit, il y a des moments où le sentiment de la dignité personnelle fait taire les passions et réunit les opinions les plus divergentes par malheur ces moments sont souvent bien courts et les passions reprennent trop vite leur revanche.

Sur la proposition d'un membre de la gauche, Lacroix, la parole est rendue à Ramond. Si huit mille hommes, reprend-il, sont pressés de paraître devant vous, vingt-cinq millions d'hommes attendent aussi votre délibération. Le corps législatif manquerait à la plus sainte de ses obligations s'il ne faisait pas déposer aux portes de cette salle les armes qui sont entre les mains des pétitionnaires.

Guadet soutient que le désarmement est complètement impraticable, et il s'embarque dans une longue série de raisonnements pour démontrer qu'on ne peut mieux faire que d'accueillir avec faveur la proposition de Lasource et de Vergniaud. Mais Santerre et ses amis s'impatientaient probablement d'une trop longue attente, car le président interrompt l'orateur de la gauche en annonçant une seconde fois que les pétitionnaires font des instances pour être admis[78]. L'Assemblée, de nouveau, dédaigne d'avoir égard à la sommation que lui adresse l'émeute hurlant à sa porte. Guadet continue à critiquer l'arrêté du directoire qui, à ce qu'il prétend, n'a été connu dans les faubourgs que lorsque déjà le rassemblement était formé et prêt à se mettre en marche ; il conclut en demandant l'admission immédiate des pétitionnaires.

C'est évident, s'écrie Jaucourt ; ceux qui les ont fait venir ne peuvent pas les renvoyer[79].

Plusieurs membres, appartenant aux divers côtés, réclament encore la parole, mais l'Assemblée déclare la discussion close.

Un nouvel incident vient accroître le trouble et la confusion. Les pétitionnaires se croient tellement sûrs qu'on ne peut rien refuser à leur nombre et à leurs armes, que, pour eux, clôture de la discussion est synonyme d'octroi de leur demande. Ils entrent dans la salle et paraissent à la barre avant qu'aucun décret ne les y autorise. Au milieu des protestations qui s'entrecroisent, le président est impuissant à se faire entendre ; il se couvre et, durant quelques minutes, la séance est interrompue. Des députés constitutionnels se portent vers la tribune, d'autres, debout à leurs bancs, interpellent le bureau afin qu'il maintienne l'inviolabilité du sanctuaire de la loi certains représentants, sans doute les amis des délégués de l'émeute, vont au-devant de ceux-ci, et, après une courte explication 1, obtiennent d'eux qu'ils attendent pour entrer que l'Assemblée nationale le permette.

 

XII

Pendant que les pétitionnaires trop impatients sont reconduits dans la salle d'attente, disons un mot de ce qui s'était passé au dehors, depuis une heure ou deux que le rassemblement avait envahi les abords du manège et que l'Assemblée délibérait avec une fiévreuse anxiété sur la conduite à tenir dans ces graves circonstances. Retenue au bas de l'escalier qui conduisait à la salle des séances, la foule n'avait pas cessé de s'accroître. Il lui était impossible de reculer, ceux qui arrivaient poussant toujours ceux qui étaient arrêtés. Par bonheur, il y avait, non loin de la cour des Feuillants, un assez vaste jardin dépendant d'un ancien couvent de capucins il servit un instant de déversoir ; mais dès qu'il fut rempli, ceux qui y avaient cherché un refuge s'y trouvèrent bloqués c'étaient t principalement les gardes nationaux et les sans-culottes qui avaient amené le peuplier destiné à orner la terrasse des Feuillants. Ne sachant que faire jusqu'au défilé, ils plantèrent l'arbre de la liberté et fêtèrent le Serment du Jeu de Paume dans le potager des capucins[80].

Cependant le danger d'être étouffe devenait de plus en plus imminent pour les premiers pétitionnaires, qui sentaient monter derrière eux la marée populaire. Placés à la tête du rassemblement, au pied de l'escalier qui conduisait à la salle des séances, Santerre, Saint-Huruge, Alexandre et les autres chefs ne pouvaient rien empêcher, rien diriger. Pendant ce temps, des masses d'hommes, de femmes, d'enfants, armés et sans armes, se pressaient dans l'étroite cour du manège, contre le mur par lequel elle était séparée de la terrasse des Feuillants. Une porte avait été pratiquée dans ce mur pour le service de l'Assemblée mais elle avait été fermée dès le matin et se trouvait gardée par un détachement de la garde nationale, qu'avait fait avancer le chef de la quatrième légion, Mandat[81]. La foule réclame à grands cris l'ouverture de cette porte. Trois officiers municipaux — Boucher-René, Boucher Saint-Sauveur et Mouchet —, qui se trouvaient alors sur la terrasse des Feuillants, accourent et annoncent par le guichet aux masses accumulées que, quoiqu'ils n'aient aucune puissance à l'intérieur du château, ils vont rechercher qui a donné la consigne et tâcher de la faire lever. Ils s'adressent d'abord au commandant du détachement placé sur la terrasse celui-ci les renvoie au commandant général, lequel doit être auprès du roi. Ils avaient fait quelques pas vers les Tuileries, lorsque, entendant redoubler les hurlements de la populace, ils se retournent et voient que des canons ont été approchés de la porte, et dirigés contre les citoyens qui la menacent[82]. Sur leurs instances les canons sont reculés de quelques pas, et Mouchet adjure la foule de prendre patience jusqu'à ce que lui et ses collègues aient obtenu l'ouverture de la porte qui la sépare de la terrasse et par conséquent du jardin[83].

Les trois municipaux, arrivés dans le château, se mettent à la recherche du commandant général, qu'ils ne trouvent nulle part, et parviennent jusqu'à la chambre à coucher du roi. Louis XVI les reçoit à l'instant même et leur demande quelle est la situation de Paris. Mouchet dépeint les efforts inutilement faits pour arrêter !û rassemblement des faubourgs, expose combien il serait dangereux d'irriter la foule en braquant des canons sur elle, et conclut à ce qu'il plaise à Sa Majesté de donner les ordres nécessaires pour que le jardin des Tuileries, ouvert le matin et tout à coup fermé, soit, comme à l'ordinaire, livré au publier[84], car, ajoute-t-il, des citoyens qui marchent légalement ne peuvent qu'être offensés de se voir soupçonnés de mauvaises intentions[85].

Votre devoir, dit le roi, est de faire exécuter la loi.

Mais, au lieu de se retirer sur cette réponse, les trois officiers municipaux insistent :

Si l'ordre que nous sollicitons d'ouvrir la porte, dit Mouchet, n'est pas donné, il est à craindre qu'elle ne soit forcée[86].

Si vous le jugez nécessaire, répond le roi, faites ouvrir la porte des Feuillants et qu'ils défilent le long de la terrasse pour ressortir par la cour des Écuries. D'ailleurs, concertez-vous avec le commandant général de la garde nationale, et faites en sorte que la tranquillité publique ne soit pas troublée. Votre devoir est d'y veiller[87].

Sans plus s'inquiéter de trouver l'introuvable commandant général, les trois municipaux courent porter l'ordre royal au détachement qui arrête le peuple à la porte de la terrasse. Mais l'ordre était déjà inutile la porte venait d'être forcée[88]. Avait-elle été enfoncée avec une poutre[89], ou simplement avait-elle cédé à la pression de la foule ? C'est ce qui ne saurait être affirmé avec certitude. Quoi qu'il en soit, le fait qu'une première violence fut commise bien avant la sortie des pétitionnaires de l'Assemblée, fait nié ou passé sous silence par les historiens qui tiennent à faire considérer la journée du 20 juin comme une véritable idylle en action, ce fait est incontestable.

 

XIII

La majeure partie de la foule cette qui avait accompagné l'émeute par pure curiosité, désœuvrement ou même entraînement, se répandit dans le jardin, heureuse de pouvoir à son aise se reposer de ses fatigues. Elle ne paraissait plus songer à entrer de gré ou de force soit chez les représentants du peuple, soit chez le roi, et rien n'eût été plus facile que d'empêcher le rassemblement, déjà presque dispersé, de se former de -nouveau. Mais cela ne faisait pas le compte des meneurs, et il fallait que la journée fût complète. Aussi lorsque, comme nous allons le voir, là tête de la colonne, restée dans la cour des Feuillants, reçut la permission de défiler devant l'Assemblée, on fit battre le rappel par les tambours appartenant au bataillon des Quinze-Vingts ; toute la foule disséminée dans le jardin des Tuileries s'empressa de se rallier, et le deuxième acte de ce drame, qui pouvait se changer à tous moments en une effroyable tragédie, commença.

L'Assemblée nationale ne savait rien de ce qui se passait au dehors. Elle se croyait toujours sous la pression de dix. à quinze mille hommes armés. La brusque apparition des pétitionnaires avait répandu l'effroi parmi un certain nombre de ses membres. Le président s'efforce de l'excuser en disant qu'elle a été la suite d'une erreur bien concevable au milieu d'une si grande agitation[90]. La députation ne s'est point présentée d'elle-même, ajoute Lacroix ; elle a été appelée par quelque huissier étourdi ; cela est si vrai que l'on a pu voir les citoyens se retirer aussitôt l'erreur reconnue l'Assemblée doit donc décider tranquillement si les pétitionnaires seront admis et ensuite si le cortège qui les accompagne sera autorisé à dénier[91].

L'Assemblée décrète que la députation sera reçue ; les citoyens précédemment éconduits sont ramenés ; ils paraissent à la barre, et leur orateur, Huguenin[92], commence à lire la longue et furibonde harangue qui avait. été préparée dans l'officine du faubourg Saint-Antoine. Au milieu d'un océan de phrases ampoulées et de réminiscences classiques, où le nom de Catilina reparaît a chaque instant, surnagent quelques phrases comme celles-ci :

Pourquoi faut-il. que des hommes libres se voient réduits à la cruelle nécessité de tremper leurs mains dans le sang des conspirateurs ? Il n'est plus temps de le dissimuler la trame est découverte, l'heure est arrivée, le. sang coulera et l'arbre de la liberté que nous venons de planter fleurira en paix ; un roi doit-il avoir d'autre volonté que celle de la loi ? Le peuple veut aussi, et sa tête vaut bien autant que celle des despotes couronnés. Cette tête est l'arbre généalogique de la nation, et devant le chêne robuste le faible roseau doit plier...

Nous nous plaignons essentiellement de l'inaction de nos armées, nous demandons que vous en pénétriez la cause ; si elle dérive du pouvoir exécutif, qu'il soit anéanti Le sang des patriotes ne doit point couler pour satisfaire l'orgueil et l'ambition du château perfide des Tuileries.

Un seul homme ne doit point influencer la volonté de vingt-cinq millions d'hommes. Si, par égard, nous le maintenons dans son poste, c'est à condition qu'il le remplira constitutionnellement ; s'il s'en écarte, il n'est plus rien pour le peuple français.....

Nous vous avons ouvert nos cœurs ulcérés depuis longtemps ; nous espérons que le dernier cri que nous vous adressons se fera sentir aux vôtres. Le peuple est là, il attend dans le silence une réponse digne de sa souveraineté.

Cette pétition n'est pas seulement du faubourg Saint-Antoine, mais de toutes les sections de la capitale et des environs de Paris.

Les pétitionnaires de cette adresse demandent à avoir l'honneur de défiler devant vous[93].

 

XIV

Cette pétition, véritable déclaration de guerre à la royauté, avait été fréquemment interrompue par les applaudissements du côté gauche et des tribunes[94] ; mais elle avait naturellement excité l'indignation de tous les hommes d'ordre qui n'avaient pu entendre sans frémir les sinistres prophéties des soi-disant délégués du faubourg Saint-Antoine. Dubayet réclame la parole aussitôt après que l'orateur des pétitionnaires a prononcé sa dernière phrase, lancé sa dernière menace. Mais, s'écrie-t-on ; le président va répondre vous ne pouvez parler qu'après le président. — Je demande la parole avant, réplique le hardi député[95]. L'Assemblée la lui refuse, et Français (de Nantes) répond à la députation ces quelques phrases vagues et banales que l'on applaudit de part et d'autre, parce qu'elles n'ont pas de signification bien marquée :

Citoyens, dit le président, l'Assemblée nationale et le peuple ne font qu'un nous voulons votre intérêt, votre bonheur, votre liberté, mais nous voulons aussi la constitution[96]. S'il existe des conspirations, nous les déjouerons par la force de la loi. Nous vous invitons, au nom de la patrie, a l'obéissance de la loi, qui est le signe le plus respecté par tous les peuples dignes de la liberté nous vous invitons...

Point d'invitation, crient plusieurs députés[97].

L'Assemblée nationale verra toujours avec plaisir autour d'elle les citoyens de Paris, puisqu'elle est assurée de leurs sentiments patriotiques et qu'elle sait qu'il n'y a jamais que les dangers de la patrie qui puissent exciter leurs inquiétudes. Elle prendra en considération la pétition que vous venez de lui faire, et elle vous invite à sa séance[98].

Dubayet réclame de nouveau la parole contre la pétition, mais elle lui est refusée. Mathieu Dumas parvient, malgré le tumulte, a faire entendre cette énergique protestation : Pour l'acquit du serment du législateur et pour l'honneur de l'Assemblée nationale, je demande que la question préalable sur l'admission des citoyens soit mise aux voix.

Pendant que les pétitionnaires traversent la salle, au milieu des applaudissements des tribunes et de la gauche, le président met aux voix la question préalable. Elle est repoussée par la majorité, et l'Assemblée décrète que les citoyens des faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marcel seront admis à douter devant eue : Eh bien ! je demande alors la question préalable, s'écrie Girardin, sur toutes les lois royaume ![99]

Girardin avait bien raison. Jamais la violation des lois, le mépris et la haine de la royauté n'avaient encore été si ouvertement prêches. L'Assemblée, en admettant dans son sein ces insolents pétitionnaires et leur escorte, ne donnait-elle pas à ces violences de langage, qui devaient bientôt se traduire en des violences de fait, une espèce de consécration légale ? Dès lors les meneurs démagogiques surent à quoi s'en tenir sur la force de résistance que la majorité opposerait à l'accomplissement, de leurs projets ils comprirent parfaitement, par ce premier succès, que la majorité était prête à reconnaître l'autorité du fait accompli, quel qu'il fût, pourvu qu'on ne lui demandât de se prononcer qu'après l'événement.

Mais pendant que le rappel est battu dans la cour du Manège et aux abords de l'Assemblée pour réunir l'armée de l'émeute dispersée dans le jardin des Tuileries, d'autres députations, qui attendaient l'honneur d'être admises, se présentent à la barre. Leur langage fait une singulière diversion aux menaces qui viennent d'être écoutées si patiemment. Elles n'injurient pas le pouvoir exécutif, elles n'importunent point l'Assemblée nationale de déclamations furibondes elles se contentent de jurer l'amour de la patrie et des lois. — Ce que nous n'oublierons jamais, disent les délégués des deux premiers bataillons de la Gironde, c'est que les lois doivent toujours être présentes à notre mémoire et chères à nos cœurs ; c'est que la force armée est essentiellement obéissante. Nous n'oublierons jamais que, dans un pays libre, tout citoyen depuis le soldat jusqu'au général, doit marcher droit à l'ennemi sans retourner la tête en arrière.

L'Assemblée a entendu avec plaisir l'expression de vos sentiments, lui répond le président. Elle y a surtout remarqué cette maxime : La force armée est essentiellement obéissante. Elle vous témoigne là satisfaction qu'elle a éprouvée en entendant ces saintes paroles.

Évidemment, cette réponse était à l'adresse des précédents pétitionnaires, mais quelle honte pour la représentation nationale d'en être réduite a envelopper la réprobation de la violence dans un timide éloge donné à la modération !

 

XV

Silence ! le bruit des tambours et de la musique annonce l'arrivée de l'émeute triomphante ! la voua qui envahit le sanctuaire de la loi !

A la tête du cortège marchent triomphalement Santerre et Saint-Huruge. L'ex-marquis et le brasseur, une fois entrés, se placent au pied de la tribune pour diriger le défilé.

Derrière eux se presse une foule immense d'hommes, de femmes, et même d'enfants que leurs mères trainent par la main. Les uns sont sans armes, d'autres brandissent des sabres, des piques, des haches, des faux, des besaiguës, des tranchets, des couteaux, des pointes de fer, jusqu'à des scies emmanchées au bout de longs bâtons. Quelques pelotons de garde nationale apparaissent de loin en loin, au milieu de cette multitude confuse, et ont l'air de sanctionner par leur présence cette étrange saturnale.

La foule accompagne de la voix les musiciens qui jouent l'air du Ça ira ; on entend sans cesse retentir ces cris : Vivent les patriotes ! A bas le veto ! On voit défiler les emblèmes les plus étranges et parfois les plus menaçants. Deux hommes portent au bout de leur pique, l'un une vieille culotte, avec cette inscription : Vivent les sans-culottes ! c'était l'étendard de la misère parisienne l'autre un cœur de veau, tout sanglant, avec cette devise : Cœur d'aristocrate ! c'était la déclaration brutalement claire des vœux d'un certain nombre d'émeutiers. Mais divers membres de l'Assemblée engagent, dit le Moniteur, le particulier qui porte ce dernier trophée à sortir de la salle. On avait, on le voit, de singuliers ménagements pour un misérable qu'on aurait dû chasser avec ignominie.

Le défilé dure plus d'une heure. Des danses patriotiques viennent, par instants, varier le spectacle offert par la populace parisienne aux députés de la France ; des orateurs improvisés veulent donner des échantillons de leur éloquence ; mais Santerre, le chef de la manifestation, qui sait bien que la visite a l'Assemblée ne doit être que le prélude d'une autre visite, se hâte de mettre fin à ces incidents, en prononçant, d'une voix retentissante : En avant, marche !

Le défilé terminé, le général des émeutiers remercie les représentants du peuple des marques d'amitié qu'ils ont données aux citoyens du faubourg Saint-Antoine, et les prie d'accepter un drapeau en témoignage de leur reconnaissance. Puis il court avec son inséparable acolyte, l'ex-marquis de Saint-Huruge, rejoindre ses hommes sur la place du Carrousel.

L'Assemblée, croyant tout fini, lève sa séance. M était alors trois heures et demie.

 

XVI

Entré par la porte des Feuillants, le cortège sortait par la cour du Manège ; de cette cour longue et étroite, il pouvait regagner la rue Saint-Honoré, il pouvait aussi, nul obstacle ne lui étant opposé, franchir la porte qui, au bout de cette cour, communiquait avec le jardin des Tuileries, longer la façade du château, sortir par la grille du Pont-Royal et remonter les quais. Ce fut ce dernier itinéraire qu'il suivit.

Qui le lui avait indiqué ? Probablement l'infatigable Mouchet, que nous retrouvons encore ici, revêtu de son écharpe, haranguant ses amis les faubouriens, donnant des ordres à la garde nationale, dirigeant la marche de la manifestation, et se multipliant pour se donner une risible importance[100].

Des bataillons de gardes nationaux étaient rangés le long de la façade des Tuileries, et formaient un front de bandière ; le cortège déniait devant eux. En passant sous les fenêtres royales, il faisait entendre ses cris ordinaires : Vive la nation ! Vivent les sans-culottes ! A bas M. et Mme Veto ![101] Quant aux gardes nationaux, suivant l'esprit qui régnait dans les divers bataillons, ils donnaient à la manifestation leur adhésion ou leur blâme les uns avaient ôté leurs baïonnettes, d'autres s'y étaient refusés, quelques-uns avaient été jusqu'à rendre les honneurs militaires à cette foule désordonnée.

En ce moment, tout paraissait assez calme au dedans comme au dehors du château ; en voyant le cortège se diriger vers les quais, sans chercher à pénétrer dans les Tuileries, on sentait se dissiper les craintes que l'on avait conçues. Le roi, sa famille et tout leur entourage étaient complètement rassurés. Il en était de même des personnes qui, du jardin et des abords de l'Assemblée, observaient la marche du rassemblement[102].

Mais soudain la foule, au lieu de suivre le quai, se présente devant le guichet du Carrousel, gardé par des détachements des bataillons du faubourg Saint-Antoine et des Petits-Pères. Dès le premier moment du défilé à travers l'Assemblée nationale, le commandant du bataillon du Vat-de-Grâce, Saint-Prix, avait envoyé ses deux canons et ses artilleurs sur la place du Carrousel[103], et comme cette place ne faisait point partie de la demeure royale[104], ils y avaient été admis sans opposition. Ce fut peut-être à cause de leur introduction que le cortège, en sortant du jardin, trouva aux guichets cette étrange consigne : Laisser entrer toutes les personnes armées, de quelque manière qu'elles le soient, et ne pas admettre celles qui n'auraient pas d'armes[105]. Mais les hommes sans armes suivirent le flot des sans-culottes armés et pénétrèrent avec eux dans le Carrousel, malgré la résistance des gardes nationaux.

Rien n'eût été plus facile cependant que d'empêcher la foule d'entrer au Carrousel, et de là dans le château. Le commandant général avait en ce moment des forces considérables dix bataillons dans le jardin, deux autres sur la terrasse du bord de l'eau, quatre ta place Louis XV, cinq sur la place du Carrousel, et enfin, à l'intérieur des Tuileries, un bataillon, les deux gardes montante et descendante, et cent gendarmes à cheval[106]. Avec autant de troupes, et en les disposant convenablement, on pouvait sans peine garder toutes les avenues de la demeure royale et tenir fermées toutes les cours et toutes les portes. Mais Ramainvilliers resta, durant tout l'événement dans l'inaction la plus complète, donnant pour motif que le maire ayant permis, et le roi n'ayant pas refusé t'admission de vingt pétitionnaires, il n'avait pas pu prendre sur lui de proclamer la loi martiale contre leur escorte. De plus prétendit-il plus tard[107], une dizaine d'officiers municipaux, avec ou sans écharpe, se trouvaient dans le château et donnaient des ordres avec ou sans l'agrément du roi ; il ne lui appartenait pas d'élever avec eux un conflit d'attributions.

Quoi qu'il en fût, même après avoir forcé et la grille du jardin et les guichets du Louvre, la masse populaire semblait ne pas avoir conçu le dessein de violer le domicile du roi. Déjà, à travers la place du Carrousel, elle atteignait la rue Saint-Nicaise, comme si elle devait s'y engager et regagner ses quartiers en remontant la rue Saint-Honoré. Le colonel Rulhières, qui était posté avec deux escadrons de la 29e division de gendarmerie devant les Tuileries, faisant face à l'hôtel de Longueville, croyait si bien tout danger passé, qu'il descendit de cheval, permit à une partie de ses hommes d'en faire autant, et s'en alla avec un ami causer dans la cour royale, située à l'intérieur du château[108].

Mais voici que tout à coup le cortège s'arrête. La place du Carrousel, en 1792, était assez petite et fort encombrée de constructions. Elle ne tarde donc pas à se remplir, puisque personne n'en sort, et que toute la foule qui vient de défiler devant l'Assemblée y pénètre par les guichets du Carrousel et s'y entasse. Bientôt, sous la pression des agitateurs, la masse populaire s'anime et pousse des cris confus qui ne tardent pas à se traduire par des ordres impérieux, par des sommations furibondes.

Un groupe d'une quarantaine de sans-culottes se présente à la porte de la cour royale : Nous voulons entrer, disent-ils, et nous entrerons nous ne voulons point de mal au roi, et on ne saurait nous empêcher de pénétrer jusque lui[109]. Fidèles à leur consigne, les deux gendarmes placés en vedette croisent la baïonnette sans répondre. Les émeutiers se retirent, non sans menacer les soldats, qui d'un couperet, qui d'un fusil ou d'une pique[110]. Mais, peu après, les mêmes, ou d'autres à leur place, reviennent, demandant toujours à entrer. En raison même de cette insistance, la porte qui était .restée ouverte est fermée, ainsi que le guichet.

L'anxiété est grande parmi les gardes nationaux et les gendarmes chargés de défendre le château. Nous périrons plutôt que de les laisser entrer, disent les uns. — Mais nous n'avons pas d'ordres, disent les autres, ni d'officiers pour nous commander[111]. Plusieurs crient aux armes ! et se rangent en colonne, à côté de la porte[112]. Et nous, demande un capitaine de gendarmerie au colonel Rulhières, qu'avons-nous à faire ?Je n'ai point d'ordres, réplique celui-ci, mais je crois que la troupe est là pour soutenir la garde nationale[113]. Un lieutenant-colonel de gendarmerie, Carle, apercevant Ramainvilliers, l'interroge sur ce qu'il devra faire des deux cents hommes qu'il commande. Il faut ôter les baïonnettes !Pourquoi, répond Carie, ne m'ordonne-t-on pas tout de suite de rendre mon épée et d'ôter ma culotte ? A cette réponse, le commandant général tourne le dos et disparait rapidement[114].

 

XVII

Cependant la populace s'entassait aux abords de la porte royale, frappait, hurlait : Nous entrerons quand même ! Et Mouchet, l'officier municipal que l'on retrouve toujours juste à ta porte par où la foule va entrer, disait très-gravement aux soldats et gardes nationaux Après tout, le droit de pétition est sacré[115].

Le chef de la deuxième légion, Acloque, invite les officiers municipaux présents à aller demander aux citoyens qui remplissent la place du Carrousel, de déléguer une vingtaine de personnes sans armes s'ils ont à présenter une adresse au roi ces vingt délégués, il promet de les conduire lui-même devant Sa Majesté, et déclare d'avance être sûr qu'ils seront bien reçus par Elle[116]. En conséquence on ouvre le guichet. Les municipaux haranguent la foule : Vous ne devez pas pénétrer en armes chez le roi, la cour du château fait partie de son habitation... Le roi recevra votre pétition, mais dans les formes prescrites par la loi. Où sont vos vingt députés sans armes qu'ils approchent et qu'ils entrent seuls[117]. Une trentaine d'individus se présentent ; sans les compter, les officiers municipaux les introduisent comme s'ils étaient la députation demandée et te guichet est aussitôt refermé par la gendarmerie[118].

Depuis le commencement du défilé, les canonniers des quatre bataillons du faubourg Saint-Antoine et du faubourg Saint-Marcel étaient venus se ranger avec leurs pièces au fond du Carrousel devant l'hôtel de Longueville[119]. Saint-Prix, au sortir de l'Assemblée, où le bataillon du Val-de-Grâce l'avait entraîné de force, veut rallier ses hommes et leur fait faire halte sur le quai. H expédie à ses artilleurs l'ordre de quitter le Carrousel et de lui ramener ses pièces, mais les canonniers refusent d'obéir. Le commandant en second, Leclerc, accourt et réitère la même injonction nouveau refus. Bien plus, le bataillon lui-même, chargeant ses armes malgré les ordres contraires, entraîne son chef sur la place du Carrousel et prend position auprès des canons. Saint-Prix essaye encore d'apaiser sa troupe en pleine rébellion il ordonne au lieutenant des canonniers de porter les pièces en avant et de marcher dans la direction des Gobelins. Non ! s'écrie l'officier, nous ne partirons point ; nous ne sommes pas venus ici pour rien ; le Carrousel est forcé, il faut que le château le soit. Voilà la première fois que les canonniers du Val-de-Grâce marchent ce ne sont point des j... f... ; et nous allons voir !... Allons ! à moi, canonniers... droit à l'ennemi ![120] Et canonniers, gardes nationaux, populace, tout s'ébranle dans la direction des Tuileries.

A l'instant même où les masses vont commencer le siège de la porte Royale, où les canons des faubourgs sont braqués, on entend un cri qui part de l'intérieur de la cour : Ne tirez pas, on ouvre ! Aussitôt, en effet, les deux battants de la porte roulent sur leurs gonds et livrent passage à la foule qui se précipite avec furie dans la cour royale[121]. Mais un dernier obstacle peut arrêter le torrent, une grille se trouve à l'extrémité de la cour, sous la voûte qui conduit au grand escalier ; les chefs de légion Acloque, Mandat, Pinon, le commandant de bataillon Vanotte, s'efforcent de fermer cette grille, ils appellent à leur aide les canonniers et les chasseurs qui font partie de la garde montante, arrivée depuis quelques heures et répandue dans Ja cour ; mais ceux-ci refusent d'écouter la voix de leurs chefs.

Êtes-vous sûrs, s'écrie Pinon, qu'il ne se mêlera point, parmi ceux qui se présentent, des hommes capables d'attenter à la vie du roi ?Il vaut mieux, lui répond-on, qu'un seul homme soit tué que nous. — Vous voulez donc nous faire égorger ? crient les canonniers en empêchant leurs officiers d'opposer ce dernier obstacle à la foule.

L'irruption est si violente qu'un des canons du bataillon du Va)-de-Grâce est transporté à bras jusque dans la troisième pièce du château, dans la salie des Suisses mais là il s'accroche dans la porte et empêche ceux qui suivent de pénétrer plus avant. Cet incident ne fait qu'enflammer la fureur du peuple, parmi lequel le bruit se répand qu'on a trouvé une bouche à feu prête à le mitrailler. Tout s'explique bientôt, grâce aux municipaux Boucher-René et Mouchet, qui adressent des reproches aux canonniers sur leur excès de zèle, font dégager la porte à coups de hache et descendre le canon au pied de l'escalier ; il y resta jusqu'au moment de l'évacuation du palais[122].

Traitant les Tuileries comme une ville emportée d'assaut, renversant tout ce qui s'oppose à son passage, la tourbe envahissante pénètre jusqu'à la sa !)e de l'Œil-de-Bœuf, dont les portes sont fermées et dont elle réclame l'entrée à grands cris.

 

XVIII

Dans cette salle se trouvaient le roi, trois de ses ministres, Beaulieu, Lajard et Terrier, le maréchal de Mouchy, deux officiers de gendarmerie, un ou deux chevaliers de Saint-Louis, le chef de légion Lachesnaye, et enfin plusieurs simples volontaires de la garde nationale, Fontaine, Gossé, Bidault, Lecrosnier, Guibout.

Madame Élisabeth, qui n'a point quitté son frère, écoute en frémissant les bruits terribles par lesquels s'annonce l'invasion populaire, et, tout en larmes, adjure les gardes nationaux de défendre le roi.

En ce moment on frappe à une autre porte que celle derrière laquelle hurle la populace. Est-ce encore l'ennemi ? Non, c'est Acloque et l'adjudant Boivin qui, par les escaliers intérieurs, accourent, avec un renfort de gardes nationaux, protéger le roi ou mourir avec lui. Ils se nomment ; on leur ouvre. Acloque se précipite vers le monarque, le saisit à bras-le-corps et, le suppliant de se montrer au peuple, lui juré de périr plutôt que de lui voir subir la moindre insulte[123].

La porte, qui seule sépare Louis XVI des envahisseurs, est de plus en plus violemment ébranlée par des coups de hache et de crosses de fusil. Un des panneaux tombe. Des piques, des bâtons, des baïonnettes menacent les poitrines des braves grenadiers qui se sont précipités devant le souverain. Sire, s'écrie l'un d'eux, n'ayez pas peur !Non, réplique le monarque, héroïque en ce moment[124], non, je n'ai pas peur mettez la main sur mon cœur, il est pur[125] ; et, saisissant la main du garde national, il l'appuie avec force contre sa poitrine. Puis, décidé à suivre le conseil que lui a donné Acloque, il commande de laisser entrer le peuple. Le chasseur Fontaine tire le verrou d'en bas, un Suisse celui d'en haut[126], et aussitôt la porte ouverte, vingt ou trente individus entrent en courant. Citoyens, leur crie Acloque, reconnaissez votre roi, respectez-le, la loi vous l'ordonne ; je périrai, nous périrons tous, plutôt que de laisser porter la moindre atteinte à son inviolabilité.

A ces mots prononcés d'une voix ferme, l'invasion populaire s'arrête durant quelques secondes[127] ; on profite de cet instant de répit pour conduire le roi dans l'embrasure d'une croisée, sur la banquette de laquelle il monte[128]. La foule avance et bientôt remplit la grande salle de l'Œil-de-Bœuf, qui lui a été presque tout entière abandonnée : Que voulez-vous, dit Louis XVI, avec un calme admirable ? Je suis votre roi. Je ne me suis jamais écarté de la constitution[129].

Mais sa voix se perd au milieu des hurlements. De toutes parts éclatent les cris de : bas monsieur Veto ![130] au diable le Veto ! proférés avec d'injurieuses menaces par des individus armés de fusils et de pistolets[131]. A chaque instant, de l'immense cohue s'élèvent de brutales injonctions : Le rappel des ministres patriotes, il faut qu'il le signe ! nous ne sortirons point qu'il ne l'ait fait ! La grande salle présente le spectacle d'un océan de têtes, de bras, de piques, de sabres, qui semble agité par un flux et un reflux perpétuel et au-dessus duquel surnagent les horribles trophées déjà promenés à travers l'Assemblée nationale[132].

Plusieurs historiens, pour contredire les allégations peut-être exagérées des ultra-royalistes, de Peltier et autres, se sont laissé entraîner eux-mêmes à d'étranges appréciations en sens contraire.-En dépit des faits dont sont remplis les procès-verbaux authentiques, ces écrivains ne craignent pas de déclarer que jamais dispositions plus inoffensives ne se produisirent au sein d'un plus bizarre désordre[133] ; que si quelques individus, par exception, eurent l'air d'en vouloir aux jours du roi, cela seul qu'ils ne le tuèrent pas prouve que personne n'en eut la pensée. La chose eût été bien facile, dit M. Michelet[134] : le roi avait peu de monde autour de lui, et plusieurs des assaillants, ayant des pistolets, pouvaient l'atteindre à distance.

Que les masses, entraînées par quelques meneurs dans l'inviolable domicile de Louis XVI, y fussent entrées sans intentions perverses que nombre de ces femmes de ces enfants, de ces désœuvrés qui n'étaient venus que par curiosité, ne se doutassent pas qu'ils commettaient un attentat national en outrageant le monarque chez lui oui, cela nous semble incontestable. Mais ce qui ne l'est pas moins, c'est que certains misérables qui se trouvaient dans la foule n'auraient pas demandé mieux que de devancer l'œuvre à jamais détestable qui s'accomplit le 21 janvier ; c'est que le régicide fut rendu impossible uniquement par le courage du roi et de ceux qui l'entouraient[135]. Les assassins ont les mêmes instincts que certaines bêtes féroces ils n'osent attaquer qui les regarde en face et ne se ruent que sur ceux qui s'abandonnent eux-mêmes.

 

XIX

La grande salle de l'Œil-de-Bœuf est depuis près d'une heure le théâtre d'un tumulte inexprimable. Personne, ni les officiers supérieurs qui entourent le roi, ni l'officier municipal Mouchet, accouru, dit-il dans son rapport, pour maintenir la décence, personne n'est parvenu à se faire écouter seul, le boucher Legendre obtient un moment de silence lorsqu'il apostrophe ainsi le roi : Monsieur !... Et comme Louis XVI, stupéfait de la manière inusitée dont il est interpellé, fait un geste : Oui, monsieur, reprend Legendre, écoutez-nous, vous êtes fait pour nous écouter. Vous êtes un perfide ; vous nous avez toujours trompés ; vous nous trompez encore, mais prenez garde à vous ; la mesure est à son comble et le peuple est las d'être votre jouet ! Puis le tribun subalterne se met à lire une espèce de pétition bourrée d'accusations, de mensonges, de menaces, écrite et débitée naturellement au nom du peuple. Le monarque, avec un calme admirable, répond : Je ferai ce que la constitution et les décrets m'ordonnent de faire[136]. Cette déclaration ferme et digne excite de nouveaux hurlements : A bas le roi[137] ! le rappel des ministres, la loi contre les prêtres, la loi pour le camp des vingt mille ! au diable le veto ! Mouchet, l'infatigable et inévitable Mouchet veut parler ; il est parvenu jusqu'à l'embrasure de la fenêtre où se trouve Louis XVI ; bissé sur les épaules de deux citoyens, il invoque son titre d'officier municipal, mais son écharpe est aussi peu respectée que son éloquence[138].

Un homme portait un bonnet rouge au bout d'une perche, il l'abaisse dans la direction du roi comme pour le lui présenter ; Louis XVI fait un signe que Mouchet croit comprendre ; celui-ci saisit le bonnet et le passe au malheureux monarque qui s'en coiffe aussitôt[139]. A cet étrange spectacle, la foule éclate en applaudissements ; elle crie : Vive la nation ! vive la liberté ! et même : Vive le roi ! Mais cette dernière acclamation ne sortit pas de toutes les bouches, comme l'affirme Mouchet dans son rapport. Il est vrai que l'officier municipal Patris a prétendu plus tard que dans le cas où le roi n'aurait pas avancé la main pour saisir le bonnet rouge, on n'aurait point exigé de lui qu'il le mît sur sa tête. Mais ceci n'est rien moins que certain car, s'il faut en croire un autre témoin, le brave grenadier Bidault, placé à côté de Sa Majesté durant la scène, on entendait sortir de la foule des paroles qui indiquaient assez jusqu'où la violence aurait pu être poussée : Il a bien fait, f... de le mettre, car nous aurions vu ce qu'il en serait arrivé... et, f... s'il ne sanctionne pas les décrets sur les prêtres réfractaires et sur le camp des vingt mille hommes, nous reviendrons tous les jours, et c'est par là que nous le lasserons et que nous saurons nous faire craindre[140].

Une femme attire les regards du roi en agitant une épée entourée de fleurs et surmontée d'une cocarde. Mouchet fait signe à la femme, et l'épée fleurie passe entre les mains du monarque qui la brandit aux cris enthousiastes, poussés par la foule de : Vive la nation ![141] Louis XVI lui-même répète ce cri il assure qu'il veut sincèrement le bonheur du peuple et proteste de son attachement inviolable à la constitution[142]. En vain de tous côtés réclame-t-on de nouveau le retrait du veto, le rappel des ministres patriotes le monarque reste muet sur ces deux points. Si vraiment on voulait, comme dit M. Michelet[143], l'épouvanter, le convertir par la terreur, on n'y réussit pas ; ferme dans sa dignité d'homme comme dans sa foi de roi, le petit-fils de Henri IV et de Louis XIV, en ne cédant point le 20 juin, s'est acquis à l'admiration de l'histoire un titre qui ne pourra jamais lui être loyalement contesté.

Cependant ; le souverain n'accordant pas à la populace ce que les meneurs lui faisaient demander, la situation devenait insoluble les cris succédaient aux cris, les menaces aux menaces, la foule à la foule. Mouchet propose au roi de sortir sur la terrasse, afin de parler au peuple et d'être mieux entendu[144] ; un autre municipal, Hu, l'engage à passer dans la pièce voisine Louis XVI répond : Je suis bien ici[145], je veux rester. Sans doute il ne se fiait ni à l'un ni à l'autre de ces municipaux trop suspects de jacobinisme. Malgré l'ouverture de la galerie[146], la chaleur était excessive[147]. Un garde national, auquel une bouteille de vin et un verre avaient été passés de main en main par ses amis, s'aperçoit que le visage du roi est ruisselant de sueur.

Sire, lui dit-il, vous devez avoir bien soif, car moi je meurs... Si j'osais vous offrir... Ne craignez rien, je suis un honnête homme et, pour que vous buviez sans crainte, je boirai le premier si vous me le permettez.

Oui, mon ami, je boirai dans votre verre, répond Louis XVI, et, aux applaudissements de la foule, il s'écrie : Peuple de Paris, je bois à ta santé et à celle de la nation française ![148]

Au même moment plusieurs députés, qui avaient, appris la violation du domicile royal, entraient précipitamment aux Tuileries. Ils n'avaient et ne pouvaient avoir aucune mission officielle, puisque l'Assemblée n'avait pas cru utile d'adopter la proposition que Vergniaud lui avait faite quelques heures auparavant d'envoyer auprès du roi une députation permanente de soixante membres. Se jetant à travers la foule dont les escaliers et les appartements débordent, ils ont la peine la plus grande à se faire reconnaître, écouter, respecter. Enfin les voici, après mille efforts, parvenus à la porte de la salle de l'Œil-de-Bœuf. Vergniaud, Isnard, deux des membres les plus populaires du côté gauche, s'y frayent un passage. Daverhoult, Blanc-Gilly, deux membres de la droite, les accompagnent. Daverhoult, ami particulier de Lafayette, écarte les émeutiers les plus rapprochés de Louis XVI en s'écriant : Vous n'approcherez du roi qu'en passant sur mon cadavre ![149] Isnard, soulevé par quelques gardes nationaux de manière à dominer la foule, la conjure de se retirer, mais on l'interrompt on veut auparavant obtenir la levée du veto, le rappel des ministres. Si ce que vous demandez vous était accordé en ce moment, dit-il, ce ne serait plus un acte de liberté... Retirez-vous donc au nom de la loi et de l'Assemblée nationale, sur laquelle vous pouvez vous reposer du soin de faire tout ce qui sera convenable[150]. Mais le tumulte redoublant : Citoyens, répète-t-il, je suis Isnard, député à l'Assemblée nationale ; je vous invite à vous retirer et je vous réponds sur ma tête que vous aurez satisfaction[151].

 

XX

Que faisait l'Assemblée au nom de laquelle Isnard venait ainsi de parler ? On se le rappelle, elle avait levé sa séance aussitôt après le défilé populaire mais en sortant du manège, bon nombre de députés s'étaient aperçus du trouble qui se produisait autour des Tuileries et étaient successivement rentrés dans la salle des séances. A cinq heures environ, un des anciens présidents, Guyton-Morveau, monte au fauteuil et fait ouvrir les portes des tribunes[152].

Déjà le rapporteur du comité des finances avait entamé la lecture d'un décret, lorsqu'il est brusquement interrompu par Regnault-Beaucaron qui s'écrie :

J'apprends que les jours du roi sont en danger je demande que t'Assemblée se transporte en corps auprès de lui pour sauver sa personne.

L'objet est pressant, ajoute Hébert (de Seine-et-Marne), il n'y a pas à délibérer. —Ah bah ! lui réplique-t-on à gauche. — Le roi ne peut être en danger au milieu du peuple, dit Thuriot. — Mais, répond Beugnot, ce n'est pas le peuple qui est chez le roi, ce sont des brigands. — C'est le peuple, c'est le peuple, maintiennent les députés ultra-révolutionnaires. Au milieu des murmures, Thuriot lance cette parole contre ceux qui défendent la majesté royale outragée : Le roi n'a qu'à se bien conduire, et le peuple ne se portera pas chez lui Je demande le rappel à l'ordre de tous ceux qui se permettraient d'accuser le peuple !Motion d'un factieux qui voit le peuple dans des brigands, s'écrie avec indignation un député de la droite, Brunck.

Le tumulte finit pourtant par s'apaiser, et t'Assemblée, presque unanimement, décrète qu'une députation de vingt-quatre membres sera sur-le-champ envoyée aux Tuileries.

Girardin, qui vient de prendre le fauteuil, provisoirement occupé par Guyton- Morveau, en désigne les membres, et ceux-ci courent remplir leur mission.

A peine sont-ils sortis, que Dumas, qui arrive du château, annonce que le roi court un danger imminent. La gauche interrompt avec violence, s'écriant par l'organe de Charlier : Le roi ne court aucun danger, il est au milieu du peuple ! et par la voix du capucin Chabot : A l'ordre, le député qui a calomnié le peuple ! Dumas n'en développe pas moins sa pensée. Il lui paraît indispensable que le commandant général de la garde nationale soit mandé à la barre, et que, par son entremise, les ordres nécessaires soient donnés pour la sûreté du roi. — On murmure. — Dumas s'en irrite à bon droit, et avec une généreuse vivacité il dépeint le triste spectacle dont il a été témoin : Le roi assailli, menacé, avili par le signe d'une faction, le roi couvert du bonnet rouge ! La droite applaudit son courageux représentant, mais la gauche crie : A bas ! à bas ! et les tribunes se joignent à elle pour accabler l'orateur de furibondes invectives. Adam, Baert et plusieurs autres interpellent le président, lui dénoncent à lui, et par lui à la France entière, les ennemis de la constitution. D'autres membres de la droite s'écrient : Que diront les départements quand ils sauront que le chef, le souverain investi de la majesté nationale, a été à ce point avili ?Avili, répliquent les Montagnards aux applaudissements frénétiques des tribunes, le bonnet de la liberté n'est pas avilissant !

Demeuré ferme à la tribune, Dumas achève ainsi son discours : Mon unique objet était de demander que l'on prît les précautions nécessaires. J'en demande pardon mes collègues, mais celui que l'Assemblée constituante chargea de répondre à la nation de la sûreté de la famille royale, au 21 juin 1791, lui paraîtra sans doute-excusable de se montrer si affecté de ses dangers au mois de juin 1792.

Thuriot, Lasource et plusieurs autres députés réclament à la fois la parole. Mais elle est accordée à Turgan qui vient rendre compte de l'état déplorable dans lequel il a laissé les Tuileries. Charlier demande que vingt-quatre membres soient ajoutés à la première députation. Lacroix renchérit sur cette motion il propose que toutes les demi-heures une nouvelle députation soit envoyée au château, afin que, celle-ci relevant celle-là, l'Assemblée soit sans cesse instruite du véritable état des choses. Cette proposition est sur-le-champ décrétée et mise à exécution.

 

XXI

Cependant, la roule grossissait à chaque instant dans le château et autour du château.

Paris ne s'était pas beaucoup ému le matin, durant le dénié du cortège ; il était resté généralement tranquille[153]. Mais l'envahissement des Tuileries avait été bientôt connu de proche en proche[154], tout le monde voulait voir, tout le monde accourait. Le Carrousel, les cours, le jardin, les rues adjacentes regorgeaient d'une population immense, qui en était encore à savoir ce qui se passait dans l'intérieur des appartements[155].

Le désordre durait depuis deux heures, lorsque enfin on vit apparaître le maire de Paris. Depuis qu'il avait, à onze heures du matin, fait adopter le fameux arrêté du corps municipal légalisant le rassemblement, Pétion était devenu invisible. Retiré d'abord avec quelques confidents intimes dans une des salles de l'hôtel de ville et plus tard à l'hôtel de la mairie — aujourd'hui la préfecture de police —, il n'avait plus donné aucun ordre. Vainement le directoire du département lui avait-il écrit pour avoir des nouvelles et réclamer l'envoi dans son sein d'un officier municipal, vainement divers membres du conseil général de la commune s'étaient-ils officieusement réunis à l'hôtel de ville et lui avaient-ils demandé des instructions ; le premier magistrat de Paris n'avait pas pu se décider, avant cinq heures, à sortir de l'immobilité qu'il avait jusqu'alors gardée ; sorte de complicité nonchalante qui admet les dénégations et permet les mensonges[156].

Enfin, sur les avis réitères qu'il reçoit du château, Pétion comprend qu'il ne lui est pas possible de rester plus longtemps sans agir ou avoir l'air d'agir. Il fait donc atteler sa voiture, quitte son dîner inachevé[157], prend avec lui l'administrateur de police, Sergent, et le secrétaire de la mairie, Joseau ; et arrive aux Tuileries à travers des embarras innombrables. Descendus de voiture dans la cour des Princes, Pétion et Sergent ceignent leurs écharpes et s'avancent à travers la foule qui s'écarte sans trop de difficultés, car les populaires magistrats savent payer leur passage par plus d'une flatteuse harangue. Quand Pétion engage les citoyens à conserver la dignité qui convient aux hommes libres[158], on l'applaudit avec frénésie. Conjure-t-il le peuple de prendre garde aux malveillants qui pourraient se glisser dans son sein et l'exciter à quelque désordre, afin de le calomnier, lui et ses magistrats, on l'applaudit encore, mais moins généralement insinue-t-il qu'il serait temps de se retirer avec ordre, on ne l'écoute plus. En marchant, les officiers municipaux ne font qu'accroître l'encombrement contre lequel ils luttent ; car ils ouvrent eux-mêmes une voie nouvelle au torrent, sans cesse grossi par la curiosité. Chacun se dit que le maire est là, se demande ce qu'il va advenir de sa présence, et veut voir[159].

Arrivés enfin dans la salle de l'Œil-de-Bœuf, Pétion et Sergent aperçoivent le roi entouré de plusieurs officiers municipaux en écharpe, Patris, Vigner, Champion ; de représentants du peuple. Vergniaud Isnard d'officiers de la garde nationale et de chefs de légion, Acloque et Lachesnaye. Louis XVI est toujours coiffé du bonnet rouget[160]. A la vue de cet ignoble spectacle, le maire de Paris, loin de s'indigner, admire avec une stupéfiante béatitude le roi des Français couronné du signe de la liberté[161].

Et majestueusement, au milieu des cris enthousiastes de Vive Pétion ! il pénètre enfui jusqu'aux côtés du roi.

Sire, lui dit-il, je viens d'apprendre à l'instant la situation dans laquelle vous étiez...

Cela est bien étonnant, interrompt brusquement le monarque indigné, car il y a deux heures que cela dure[162].

Sire, reprend le maire, j'ignorais vraiment qu'il y eût des troubles au château ; dès que j'en ai été instruit, je me suis rendu auprès de votre personne, mais vous n'avez rien à craindre, car le peuple veut la respecter ; nous en répondons[163].

Je ne crains rien, réplique le souverain outragé, on peut le remarquer ; d'ailleurs je n'ai couru aucun danger, puisque j'étais entouré de la garde nationale.

Pétion essaye d'engager les citoyens à se retirer, mais il le fait si froidement[164] que nul ne bouge. On crie de nouveau : Rappelez les ministres, levez le veto ! Un grand jeune homme blond parvient près du roi, et lui tient cet étrange discours :

Sire, vous n'êtes point accoutumé à entendre la vérité ; je vais vous la dire au nom du peuple. Au nom de cent mille âmes qui m'entourent, je vous le dis si vous ne sanctionnez pas les décrets de l'Assemblée, si vous ne rappelez pas les ministres patriotes que vous avez renvoyés, si vous ne marchez pas la constitution à la main, nous vous ferons descendre du trône ; le règne des tyrans est passé... La sanction des décrets, leur exécution, ou vous périrez ![165]

Pétion n'a pas imposé silence au jeune forcené ; il l'a laissé parler sans l'interrompre. Indigné, le municipal Champion se tourne vers le maire et lui crie : Mais ordonnez donc, au nom de la loi, au peuple de sortir. Un grand danger nous menace, il faut parler ! Le maire hésite encore, et c'est le roi qui répond pour lui au jeune homme : Vous vous écartez de la loi ; adressez-vous aux magistrats du peuple[166].

Champion, de plus en plus effrayé des dispositions hostiles de la foule, s'adresse avec colère à Pétion et lui crie : Monsieur le maire, vous êtes responsable de tout ce qui peut advenir. Mais les autres municipaux, Sergent, Vigner, Patris[167], reprochent à leur collègue sa trop grande vivacité et l'acolyte de Pétion, le secrétaire Joseau, lui fait observer qu'il n'est pas à sa place. En effet, Champion n'était pas du nombre des officiers municipaux triés inégalement pour voter l'arrêté municipal du matin, ni du nombre de ceux qui avaient reçu le mandat de maintenir dans cette journée l'ordre et la décence. I) s'était rendu aux Tuileries, de son propre mouvement, uniquement parce qu'il avait pensé que la place des officiers municipaux est partout où il y a tumulte, danger public et violation de la loi[168].

Pétion se décide enfin à haranguer l'émeute. Sergent fait monter le maire sur un fauteuil que l'on vient d'apporter, et lui-même, prenant la sonnette des mains de l'un des huissiers de l'Assemblée nationale, qui avait accompagné Isnard et Vergniaud, t'agite jusqu'à ce qu'il ait obtenu un peu de silence.

Citoyens, vous tous qui m'entendez, dit le maire, vous venez de présenter légalement votre vœu au représentant héréditaire de la nation vous l'avez fait avec la dignité, avec la majesté d'un peuple libre ; retournez chacun dans vos foyers, vous ne pouvez exiger davantage. Sans doute votre demande sera réitérée par les quatre-vingt-trois départements, et le roi ne pourra se dispenser d'acquiescer au vœu manifeste du peuple. Retirez-vous, je le répète, et, en restant plus longtemps, ne donnez pas occasion d'incriminer vos intentions respectables[169].

Les paroles du maire ayant provoqué quelques applaudissements, le zélé et honnête Champion se jette dans la foute il est suivi par un officier de paix, muni de son bâton d'ivoire. Tous deux, ils adjurent les citoyens de se retirer ; on semble vouloir les écouter, mais les plus animés disent encore : Nous attendons que le roi réponde aux demandes qui lui ont été adressées. D'autres s'écrient : Le maire va parler, nous voulons l'entendre[170].

En effet, Pétion répète : Si vous ne voulez pas que vos magistrats soient injustement accusés, retirez-vous ![171] Le roi ayant lui-même annoncé qu'il a fait ouvrir les appartements du château[172], la curiosité entraîne quelques individus.

Pour généraliser le mouvement, les officiers municipaux présents se dispersent à travers la salle. Sergent, près de la porte de sortie ; détache de sa ceinture son écharpe municipale, et, l'agitant au-dessus de sa tête, crie : Citoyens, voici le signe de la loi ; en son nom, nous vous invitons à vous retirer et à nous suivre ![173]

Le défilé commence, mais très-lentement, car les meneurs s'obstinent a rester et à retenir la foute, sous prétexte que le roi n'a encore rien accordé.

 

XXII

Sous le vestibule et dans les escaliers, des précautions étaient déjà prises pour empêcher d'entrer[174], quand arrive la députation envoyée par l'Assemblée nationale ; ouvrant la voie à de nouveaux flots d'hommes armés et de curieux.

Sire, dit le représentant qui la préside, Brunck, l'Assemblée nationale a envoyé vers vous vingt-quatre de ses membres pour s'informer de l'état de votre personne, maintenir votre liberté constitutionnelle, et partager vos périls, si vous en courez[175]. — Oui, s'écrie un autre député, l'Assemblée vient partager vos dangers ; chacun de ses membres est prêt à couvrir votre corps du sien. — Ce sont des citoyens égarés, ajoute un troisième sire, ne craignez rien[176]. — L'homme de bien ne craint rien, réplique le roi.

Et prenant, comme trois heures auparavant, la main d'un garde national, il la porte contre sa poitrine, en répétant : Voyez si c'est là le mouvement d'un cœur agité de crainte[177].

Répondant à la députation entière, il ajoute : Je suis sensible et reconnaissant de la sollicitude de l'Assemblée nationale[178], ma conscience ne me reproche rien je suis tranquille au milieu de mes amis[179], au milieu du peuple français s[180].

Cet échange de paroles n'a pas arrêté le défilé. Sergent, Patris, Champion sont même parvenus à établir, de la porte d'entrée à celle des grands appartements intérieurs, une haie de gardes nationaux qui font écouter la foule. Toujours monté sur un fauteuil, le maire indique du geste aux émeutiers qu'ils doivent s'éloigner[181].

L'embrasure de la fenêtre, dans laquelle le malheureux roi était retenu captif depuis près de trois heures, est peu à peu rendue plus libre, grâce au zèle déployé par Champion[182] et par deux officiers-de-paix, Dorival et Dossonville[183]. Acloque propose alors à Sa Majesté de se retirer le roi accepte, ce qu'il avait par deux fois refusé, quand c'étaient des officiers municipaux suspects qui le lui offraient[184]. A l'appel du chef de légion, la députation de l'Assemblée nationale se range autour du souverain[185], les grenadiers ouvrent la marche, et le cortège passe à travers la foule dans la salle du lit de parade ; de là, le roi est conduit devant une porte dérobée qui s'ouvre et se referme sur lui. Son supplice était fini.

 

XXIII

Le supplice de la reine durait encore. Séparée de son mari, elle avait été obligée de rester dans la salle du Conseil avec le prince royal, sa fille et plusieurs des dames de la cour, entre autres Mmes de Tourzel et de Lamballe. Madame Élisabeth était venue la retrouver. Le lieutenant général de la 17e division, M. de Wittenghoff, et le ministre des affaires étrangères, Chambonnas, étaient, dès le premier moment, accourus auprès d'elle avec quelques grenadiers[186]. Lorsque commença le défilé à travers les appartements, la reine et les personnes qui l'accompagnaient furent mises à l'abri dans l'embrasure d'une fenêtre, derrière la grande table du Conseil. Devant cette table s'établirent trois rangées de gardes nationaux du bataillon des Filles-Saint-Thomas, sous les ordres de Mandat. A côté de celui-ci vint bientôt se placer le principal promoteur du tumulte, le commandant des Quinze-Vingts, le brasseur Santerre. En entrant, il dit à la reine :

Madame, vous êtes trompée le peuple ne vous veut pas de mal. Si vous vouliez, il n'y aurait pas un d'eux qui ne vous aimât autant que cet enfant. — Et du doigt il désignait le prince royal. Sauvez la France ; vos amis vous trompent, il n'y a pas à craindre pour vous je vais vous le prouver en vous servant de plastron[187]. — Et aussitôt, activant le défilé, il montrait a la foule les membres de la famille royale, absolument comme s'il était déjà leur gardien ou leur geôlier. — Regardez la reine, répétait-il à chaque instant, regardez le prince royal ![188]

Un sans-culotte, en passant, voulut que l'enfant fut coiffé du bonnet de la liberté et la reine mit un bonnet rouge sur la tête de son fils. Sous cette ignoble coiffure, beaucoup trop grande et trop lourde pour lui, le prince royal étouffait. Otez le bonnet à cet enfant, dit Santerre, saisi lui-même de pitié, il a trop chaud[189].

Certes, parmi la horde qui défilait, il ne manquait pas de misérables incapables de s'apitoyer sur le sort de la malheureuse Marie-Antoinette mais, sur les lèvres du plus grand nombre, l'insulte fut arrêtée par l'admirable dignité de la reine plus d'un cœur se sentit ému à la vue de l'enfant royal qui jouait innocemment sur la table du Conseil.

Parmi les femmes les plus violentes, raconte M. Michelet ; une fille s'arrête un moment et vomit mille imprécations. La reine, sans s'étonner, lui demande si elle lui a fait quelque tort personnel. Aucun, réplique-t-elle, mais c'est vous qui perdez la nation. — On vous a trompée, dit la reine, j'ai épousé le roi de France, je suis la mère du Dauphin, je suis Française, je ne reverrai jamais mon pays, je ne puis être heureuse ou malheureuse qu'en France j'étais heureuse quand vous m'aimiez ! Voilà la fille qui pleure : Ah ! madame, pardonnez-moi, je ne vous connaissais pas, je vois que vous êtes bonne.

Mais ce que ne raconte pas M. Michelet, c'est qu'en voyant cette fille sangloter, Santerre s'écria : Cette femme est saoule[190].

Le roi délivré, plusieurs officiers municipaux[191] vinrent dans la salle où se trouvait la reine pour la tranquilliser et en même temps hâter l'évacuation de ses appartements. Le chef de légion Lachesnaye avait établi dans cette salle, dans les galeries qui la suivent et dans celle du lit de parade qui la précède, deux haies de gardes nationaux entre lesquelles la foule consentit à s'écouler. Plus d'un[192] criait encore : A bas le veto ! et Vive la nation ! Certains se demandaient curieusement les uns aux autres : Où est-il donc, le gros Veto ? Est-ce là le lit du gros Veto ? Ah ! M. Veto a un plus beau lit que nous ![193]

Vers huit heures et demie du soir[194], tous les appartements étaient évacués et la reine pouvait rejoindre le roi.

Dès qu'ils se virent, ils se jetèrent dans les bras l'un de l'autre en versant des torrents de larmes[195]. Les députés présents étaient tous vivement émus. Merlin (de Thionville) lui-même pleurait. Mais tout à coup essuyant ses yeux, il s'écria : Je pleure, oui, madame, je pleure, sur les malheurs d'un bon père, d'une mère de famille estimable, mais je n'ai pas de larmes pour les rois[196].

 

XXIV

Pétion déploya, pour faire évacuer les Tuileries, toute l'énergie qu'il avait jusque-là tenue en réserve. On le vit, transporté sur les épaules de deux grenadiers, descendre le grand escalier, ordonner aux citoyens de le suivre au nom de la loi, s'établir à la porte principale sous le vestibule et y rester jusqu'au complet écoulement du dernier flot populaire[197].

La garde nationale ayant repris possession de tous les postes, le maire parcourut les appartements et les abords du château n'y ayant plus trouvé aucun envahisseur, il s'en alla rendre compte à l'Assemblée nationale des événements du jour et de sa conduite.

L'Assemblée avait écouté, non sans quelque impatience, les rapports qui lui avaient été faits, soit par ceux qui s'étaient rendus d'eux-mêmes auprès du roi, soit par ceux qu'elle y avait envoyés. Brunck ayant traduit ainsi les paroles du monarque : Je suis tranquille, je suis au milieu de mon peuple, cette expression mon peuple souleva de si violents murmures qu'il fallut excuser l'orateur, sur ce qu'en sa qualité d'Alsacien il lui était permis de ne pas parler très-bien le français. Mais un autre député ayant encore prononcé les mots son peuple, les interruptions les plus vives s'entrecroisèrent et le calme ne se rétablit que quand enfin Lejosne déclara péremptoirement qu'il avait entendu dire au roi le peuple français[198].

Un autre incident fait surgir une nouvelle tempête. Un député du Bas-Rhin, Arbogast, demande qu'une députation spéciale de douze membres soit envoyée auprès du prince royal un député de la droite, appuyant sa motion, s'écrie : Nous sommes responsables envers la nation et envers l'Europe entière de la conservation du roi et du prince royal. — Il semblerait que nous avons quelques craintes sur la sûreté de la personne du roi ? réplique vivement Lasource. — Oui, oui, crie-t-on d'un coté. — Vous insultez le peuple français, répond-on de l'autre. On ne dira, crie Léopold, que le roi court des danger que quand il aura été assassiné. La nation a été avilie dans la personne de son représentant héréditaire. Les murmures continuent jusqu'au moment où, sur la motion de Lasource, l'ordre du jour est mis aux voix. La minorité de l'Assemblée se lève contre, et, en récompense de son énergique attitude, elle 'recueille les huées des tribunes.

Les débats avaient été repris assez paisiblement sur divers objets inscrits, l'ordre du jour, quand paraissent a la barre le maire de Paris et deux officiers municipaux. Aussitôt le tumulte recommence applaudissements d'un côté, menaces et cris dédaigneux de l'autre. Pétion reste quelques moments interdit, te rouge lui monte au iront, et chacun remarque dans sa placide physionomie une agitation de muscles qui ne lui est point ordinaire[199].

Peu à peu se remet, et, réclamant l'indulgence de ses auditeurs parce qu'il n'a pas eu le temps de mettre ses idées en ordre, il essaye de commencer un discours, difficile à improviser, car il doit être d'autant plus sonore qu'il sera plus mensonger.

On a eu des inquiétudes, dit-il, le roi n'en a point eu. Il connaît les Français, il sait que les magistrats du peuple veillent toujours pour faire observer à son égard le respect qui lui est dû, Les magistrats ont fait aujourd'hui leur devoir et l'ont fait avec le plus grand zèle, et j'avoue que j'ai été douloureusement affecté de voir des membres de cette Assemblée qui aient pu un instant en douter[200]...

Oui, oui, sans doute, nous en doutons encore, s'écrient plusieurs membres au paroxysme de l'indignation.

A l'ordre, à l'ordre ! répond-on à gauche, vous insultez un magistrat du peuple !

Pourquoi, dit Boulanger (de la Seine-Inférieure), n'a-t-on, pas aussi dénoncé ceux qui ont manqué de respect au roi ? Ils étaient du complot !

Que M. Boulanger dénonce les complots qu'il vient de faire soupçonner, s'écrie Duços, ou j'écris sur son front le nom de calomniateur.

Les tribunes éclatent en applaudissements. Dumolard demande la parole, Boulanger court lui disputer la tribune ; mais le président se refuse à les laisser parler, et, après une assez longue agitation, Pétion est invité à continuer. L'émotion du maire est si grande qu'il ne prononce que des phrases entrecoupées : Il paraît que quelques personnes ne savent pas assez ce que la municipalité a fait. Elle a rempli son devoir. Elle est à l'abri de tout reproche. Les citoyens se sont soumis à là loi, mais ils ont voulu marcher en armes avec les bataillons. Ils en avaient le droit. Ils n'ont point contrevenu à la loi. La municipalité a senti qu'il était nécessaire de légaliser ce qui se passait. Les magistrats doivent faire en sorte que jamais les citoyens ne manquent à la loi.

Après ces allégations trop facilement contestables, le maire s'embarrasse dans une démonstration de la complète légalité et de la parfaite innocence des événements qui viennent de se passer[201]. Il glisse fort légèrement sur la violation du domicile royal, sur les insultes qui ont été prodiguées à Louis XVI, et termine en cherchant à changer de rôle, en s'efforçant de se faire accusateur, d'accusé qu'il était auparavant : Je viens d'entendre dire, et cela se répète souvent, qu'il y avait des complots ; il serait bien nécessaire de les connaître ; je ne crois pas qu'il y ait un bon citoyen qui puisse se refuser à les dévoiler. JI serait bon que les magistrats du peuple les connussent afin de pouvoir les déjouer sur-le-champ. Je vous supplie d'engager tous les membres de cette Assemblée qui peuvent avoir des renseignements à cet égard, à nous les communiquer ; car sûrement les magistrats du peuple feront à l'instant leur devoir !

Les tribunes accueillent avec le plus vif enthousiasme la fin du discours de Pétion.

Certains députés demandent qu'il soit fait mention honorable de la conduite de la municipalité.

Fi donc ! leur répondent les députés constitutionnels.

Je m'y oppose formellement, crie Becquey.

Que ceux qui ont du mal à dire de la municipalité s'expliquent ! dit le fougueux Albitte.

Qu'ils se lèvent, s'ils l'osent ! ajoute Brival.

Mais la lecture d'une lettre du maréchal Luckner vient mettre fin à cette discussion, et Pétion sort, applaudi par les tribunes et par ses amis de l'Assemblée.

Après son départ, les constitutionnels demandent que le ministre de l'intérieur soit mandé sur-le-champ ; la gauche s'y oppose ; et, sur son insistance, on passe à l'ordre du jour. Guyton-Morveau, président de la dernière députation envoyée aux Tuileries, rapporte que tout est tranquille autour du Château, que le roi s'est retiré dans ses appartements, que le prince royal est en très-bonne santé.

Sur ce, la séance est levée, et chacun rentre chez soi avec ses craintes ou ses espérances ; mais personne ne. se dissimule que le ciel reste chargé d'orages[202].

A dater de ce jour, les masses populaires savent le chemin de l'Assemblée nationale et des Tuileries ; elles le reprendront bientôt pour aller, à l'instigation de la démagogie, renverser le trône de Louis XVI, et plus tard pour dicter leurs volontés à la Convention et la forcer à se décimer elle-même. Tout se tient, tout s'enchaîne dans les événements d'une révolution, tout s'y meut d'après les règles d'une logique inflexible. Les Girondins qui ont salué de leurs applaudissements la première apparition de ce pouvoir nouveau, celui de la rue et de la foule irresponsable, apprendront bientôt à leurs dépens que, s'il est écrit dans l'évangile du Christ : Celui qui tirera l'épée périra par l'épée, l'histoire a traduit les paroles du livre saint par cette immuable loi de la politique humaine : Celui qui appelle la rue à son aide périra par la rue.

 

 

 



[1] Nous les y retrouverons tous les deux lorsque nous raconterons plus tard l'enlèvement des malheureux prisonniers de la haute cour et leur massacre à Versailles.

[2] Lettre de Pétion à l'Assemblée (30 mai 1792, Moniteur, p. 632).

[3] Journal des Débats et Décrets, n° 246, p. 493.

[4] Le Moniteur ne donne le discours de Servan que très-abrégé et supprime les phrases irritantes qui furent relevées dans les pétitions des gardes nationaux, présentées à l'Assemblée les jours suivants.

[5] On croit généralement que les expressions de montagne et de montagnards datent de la Convention ; c'est une erreur elles étaient déjà employées à la fin de l'Assemblée législative. Nous les trouvons notamment dans une lettre du 25 juin 1792, adressée par le journaliste Fréron à Merlin de Thionville (voir la vie et la correspondance de ce représentant du peuple, publiées par M. Jean Reynaud, p. 6 de la correspondance particulière).

[6] De toutes ces pétitions, la plus fougueuse est celle de la section du Théâtre-Français. Parmi les six commissaires qui la signèrent on remarque Lebois, Momoro et Chaumette, qui préludaient ainsi au rôle qu'ils jouèrent un peu plus tard et qui se termina, pour les deux derniers, par leur envoi à la guillotine.

[7] Cette pétition est célèbre sous le nom de pétition des huit mille ; elle fut plus tard un titre de proscription pour tous ceux qui l'avaient signée ; on la trouve deux fois au Moniteur, avec un texte identique, aux pages 676 et 682 de l'année 1792.

[8] Dans la séance du 12 juin, un membre de la droite, Delfaux, dénonça un libelle qu'un orateur, monté sur une chaise, déclamait tout haut à la foule rassemblée dans le jardin des Tuileries On lisait dans ce libelle le passage suivant, où Louis XVI était nominativement désigné : Ce monstre emploie son pouvoir et ses trésors à s'opposer à la régénération des Français ; nouveau Charles IX, il veut porter dans toute la France la désolation et la mort. Va, cruel, tes forfaits auront un terme ! Damiens fut moins coupable que toi il fut puni des plus horribles tortures pour avoir voulu délivrer la France d'un monstre ; et toi, dont l'attentat est vingt-cinq millions de fois plus grand, on te laisse l'impunité, Mais, tremblez, tyrans, il est parmi nous des Scævola ! (Moniteur, p. 680.)

[9] Journal du Club, n° 207 à 210.

[10] Il est dit dans plusieurs mémoires du temps, et notamment ceux de Dumouriez et d'Étienne Dumont, que la lettre d'envoi commençait ainsi : Sire, cette lettre restera éternellement ensevelie entre vous et moi. Il n'en est rien, car en voici le texte même, copié sur l'original, que nous avons eu le bonheur de retrouver :

Sire,

Pénétré comme je le suis du danger des circonstances, je crois devoir mettre sous les yeux de Votre Majesté l'opinion que j'avais rédigée hier pour lui être présentée je sens tout ce qu'il y a de pénible à exprimer certaines vérités, mais le salut même de Votre Majesté autant que celui de l'État exige d'un ministre honnête homme de chercher à vous être utile, bien plus qu'a se rendre agréable. Puisse ce langage d'un cœur franc obtenir quelque attention de Votre Majesté et la porter à prendre les résolutions que sa sagesse et sa générosité reconnaitront nécessaires à son propre bonheur comme à celui de la France !

Si cette opinion n'eût pas été rédigée, j'aurais pu lut donner une ,autre forme, d'après ce qui s'est passé hier au conseil ; mais j'ai cru, en y réfléchissant, qu'il convenait de laisser voir à Votre Majesté tout ce que m'avait fait juger l'examen des choses et la disposition des esprits.

J'ai ouvert mon âme sans réserve et si les maux que je pressens doivent affliger l'empire, je n'aurai point le remords d'avoir tu ce que je crois utile de dire.

Je suis avec un profond respect,

Sire,

De Votre Majesté

Le très-humble et très-obéissant serviteur,

ROLAND.

[11] Mémoires de Dumouriez, t. II, p. 275-280.

[12] Roland, parait-il, ne se résolut qu'au dernier moment à communiquer à l'Assemblée la lettre qu'il avait écrite au roi, car il en envoya au président la minute même. Nous avons eu cette pièce entre les mains et nous avons constaté qu'elle porte des ratures et des additions, destinées à la rendre en tout semblable au texte même de la lettre qui avait été envoyée à Louis XVI.

La lettre de Roland se trouve in extenso au Moniteur, p. 693, et dans l'Histoire parlementaire de Buchez et Roux, t. XV, page 39.

[13] Nous avons puisé ces détails dans une lettre confidentielle adressée à l'un des principaux personnages politiques de cette époque. Ils sont en grande partie conformes à ceux mêmes que Dumouriez donna dans ses Mémoires.

[14] Dans cette première commission extraordinaire, la droite était représentée par Bigot de Préameneu, Lacépède, Pastoret, Muraire, Vaublanc, Lemontey, Tardiveau ; la gauche, par Guadet, Jean Debry, Guyton-Morveau, Rhül, Lacuée, et s'y trouvait ainsi en minorité comme elle l'était réellement dans l'Assemblée. La composition de la commission est donnée par le Journal des Débats et Décrets, p. 255 du n° 267.

[15] Cette lettre se trouve dans le Moniteur de 1792, p. 742 ; elle a été reproduite dans l'Histoire parlementaire de Buchez et Roux, t. XV, p. 67-74.

[16] Cet accueil favorable est constate par le Moniteur comme par le Journal des Débats et Décrets.

[17] Cette lettre de La Fayette au roi se trouve reproduite dans l'Histoire parlementaire, t. XV, p. 100-101. Le général y disait : Persistez, Sire, fort de l'autorité que l'Assemblée nationale vous a déléguée, dans la généreuse résolution de défendre les principes constitutionnels envers et contre tous. Vous trouverez les amis de la liberté, tous les bons Français rangés autour de votre trône, pour le défendre contre tes complots des rebelles et les entreprises des factieux.

[18] Voici la lettre même de Pétion :

À Monsieur Rœderer.

Paris, le 2 juin 1792.

Plusieurs citoyens paisibles du faubourg Saint-Antoine, monsieur, ont présenté au Conseil général de la commune une pétition par laquelle ils demandent la permission de s'assembler, à l'issue des offices, dans l'église des Enfants-Trouvés, pour s'y instruire de leurs droits et de leurs devoirs. Le Conseil a arrêté que cette pétition serait renvoyée au Directoire du département. J'ai en conséquence l'honneur de vous l'adresser avec une expédition de t'arrêté qui ordonne le renvoi.

Le Directoire ne peut manquer d'accueillir favorablement tout ce qui peut tendre à éclairer le patriotisme des citoyens et leur faire connaître les lois.

Je vous serai infiniment obligé de mettre cette demande sous ses yeux et de le prier, an nom de la municipalité, qui m'en a chargé, de prendre cette démarche dans la plus haute et dans la plus prompte considération.

Le mot paisibles, que nous avons souligné à dessein, se trouve raturé dans la minute ; Pétion n'osait pas garantir les sentiments paisibles des citoyens qui désiraient s'instruire de leurs droits à l'école des meneurs du faubourg.

[19] Lorsque les événements eurent porté leurs amis au pouvoir, Santerre et Alexandre ne s'oublièrent point.

Alexandre se fit allouer (septembre 1792) une indemnité de douze mille livres pour les services essentiels qu'il avait rendus à la chose publique avant et après !e 10 août. Santerre obtint décharge d'une somme de 49.603 livres qu'il devait à la ferme générale, depuis 1789 et 1790, pour les droits qui auraient dû être perçus sur la bière par lui fabriquée. Le rapport du ministre des finances (17 avril 1793) déclare que cette bière ayant Été consommée en très-grande partie dans un but patriotique, il y a lieu de faire au brasseur républicain n remise de sa dette.

Ces deux personnages, quoique ayant toujours joué, dans les événements que nous racontons, un rôle subalterne, méritent néanmoins de fixer un instant l'attention de l'histoire. Nous avons recueilli et nous donnons à la fin de ce volume, note VIII, non-seulement les pièces qui constatent les faits que nous venons d'indiquer, mais d'autres encore qui nous initient aux vicissitudes de ces deux existences. Elles nous montrent Santerre implorant tantôt la protection des ministres Necker et Delessart avant le 20 juin, tantôt celle du premier consul Bonaparte après le 18 brumaire. Elles nous font assister à la subite élévation d'Alexandre, qui fut ministre de la guerre pendant cinq minutes (22 juin 1793), et, après être resté commissaire des guerres pendant huit années, devint membre du tribunat, sous la Constitution consulaire.

[20] Déclaration Borie.

[21] De tous ces noms obscurs, il n'en est qu'un seul que nous ayons pu retrouver dans les fastes révolutionnaires c'est celui du tonnelier Geney, qui devint plus tard membre du Conseil général de la commune, fut traduit au tribunal révolutionnaire, en floréal an II, comme accusé de malversations et d'outrage aux mœurs, acquitté, réintégré dans ses fonctions, puis guillotiné avec Robespierre, le 10 thermidor. (Il porte le n° 2646 sur la liste des guillotinés et s'y trouve à côté de l'ex-prêtre Bernard, dont nous avons donné, plus haut dans le livre précédent, la biographie.)

Lazowsky avait été, avant la Révolution, l'ami, le commensal du duc de La Rochefoucauld-Liancourt. Par le crédit de celui-ci il avait été nommé inspecteur des manufactures et était devenu le collègue de Roland. Dans le récit de ses Voyages en France pendant les années 1787, 1788 et 1789, le célèbre agronome anglais, Arthur Young, parie de sa liaison intime avec un gentleman accompli, M. de Lazowski. C'est ce même individu qui, trois ans plus tard, Était à la tête de la canaille du faubourg Saint-Marcel, se faisait le promoteur de la journée du 20 juin et mourait, au commencement de 1793, de débauches et d'excès de tout genre. Il fut presque canonisé comme un saint par ses frères et amis jacobins. (Voir les Mémoires de Mme Roland.)

[22] Le secrétaire-greffier-adjoint de la commune était un jeune homme courageux et énergique, qui devait plus tard se rendre célèbre sous le nom de Royer-Collard.

[23] Déclaration J.-J. Leroux.

[24] Rapport du commandant général Ramainvilliers.

[25] Tome VI, p. 417.

[26] Voici le texte de l'envoi officiel de cet arrêté :

MUNICIPALITÉ DE PARIS.

Paris, le 18 juin 1792.

Monsieur le maire,

Je vous adresse deux expéditions de l'arrêté pris avant-hier par le conseil générai, et dont il a ordonné l'envoi au directoire du département et la communication au corps municipal. J'en adresse directement une troisième au département de police.

Signé : ROYER.

[27] Exposé de la conduite tenue par le maire Pétion. (Revue rétrospective, t. Ier, 2e série, p. 221. — Histoire parlementaire, t. XV, p. 170-180.)

[28] Voici le texte même d'une des lettres que, le 19, le directoire écrivit, à Pétion :

Paris, le 19 juin 1792.

D'après les rapports inquiétants, monsieur, qui sont faits au directoire par M. le commandant général de la garde nationale sur les dispositions préparées pour demain, nous pensons qu'il serait très-bon que la municipalité fit, dès !e matin, une proclamation dans tous les lieux où l'on peut prévoir des rassemblements ; que cette proclamation représentât les lois relatives à la tranquillité publique, les précédents arrêtes de la municipalité relativement à la force armée, et invitât les citoyens à maintenir l'ordre. Vous nous avez rappelé ce matin monsieur, diverses circonstances où la seule présence des officiers municipaux avait prévenu des désordres ; ce moyen ne saurait être négligé dans les circonstances présentes.

Les administrateurs composant le directoire du département de Paris

Signé : LA ROCHEFOUCAULD, président ; ANSON, vice-président ; GERMAIN GARNIER, J.-L. BROUSSE, DAVOUS, DËMEUNIER.

[29] Cette lettre est en partie citée dans le rapport de Ramainvilliers. Nous en avons retrouvé la minute. Elle contient la dernière phrase relative aux troupes de ligne, qui a été omise par Ramainvilliers.

[30] Journal des Débats et Décrets, n° 267, p. 255.

[31] Séance du 19 juin ; Moniteur et Journal des Débats et Décrets.

[32] Journal des Débats et Décrets, n° 267, p. 259.

[33] Procès-verbal de la séance du 19 juin de la section des Quinze-Vingts, cité dans le Journal des Débats et Décrets, n° 273, p. 359-360. Rapport du commandant Alexandre, parmi nos documents sur la journée du 30 juin, à la fin de ce volume, note IX.

[34] Rapport Rœderer. Texte du billet reproduit dans le rapport de Saint-Prix.

[35] Rapports des administrateurs de police.

[36] Rapport Alexandre.

[37] Exposé de la conduite tenue par le maire dans la Chronique des cinquante jours, par Rœderer.

[38] Rapport Saint-Prix.

[39] Rapport Saint-Prix.

[40] Rapport de Rœderer.

[41] Rapport Saint-Prix et rapport Rœderer.

[42] Rapport Alexandre.

[43] Expressions mêmes de l'Exposé de la conduite tenue par le maire.

[44] Rapports Alexandre et Saint-Prix.

[45] Nous donnons ici le texte même de la lettre écrite au directoire le 20 juin, à une heure, par le maire et les administrateurs de police. Cette pièce a été imprimée en 1792 ; nous en avons retrouvé la minute.

Le département de police, messieurs, ayant été instruit par différents rapports que les citoyens des faubourgs marchent en armes, ayant été instruit que des sections ont pris des délibérations à ce sujet pour autoriser les commandants de bataillon à les conduire, les juges de paix et les commissaires de police à les accompagner, ayant été instruit enfin que les habitants des environs de Paris venaient se réunir en armes à ce cortège, a cru devoir réunir les commandants de bataillon pour avoir d'eux des explications claires et précises.

Ils s'accordent à dire que les citoyens leur paraissent dans les intentions les plus pacifiques, mais qu'ils tiennent avec la plus grande opiniâtreté à aller en armes. Ils s'appuient de ce qu'ils y ont été jusqu'ici et de ce que l'Assemblée nationale les a bien récusés. Ils témoignent des défiances et des craintes de marcher sans armes. Nous avons fortement insisté, particulièrement auprès d'u commandant du bataillon du faubourg Saint-Marcel et d'un des commandants du faubourg Saint-Antoine. Ils nous ont répondu qu'il leur paraissait impossible de vaincre les esprits à cet égard.

Cette position, ainsi que vous le voyez, messieurs, est très-délicate il ne s'agit pas de quelques individus, mais d'un nombre considérable ne pourrait-on prendre un parti tout à la fois prudent et qui se concilie avec la loi ?

Toutes les armes pourraient se ranger autour de la garde nationale et sous l'autorité de ses chefs. Si les magistrats autorisent légalement les commandants de bataillon à marcher en armes, alors tout rentrerait dans la règle, et les armes fraterniseraient ensemble. Nous n'entendons pas parler que les pétitionnaires puissent se présenter en armes à la barre de l'Assemblée ou chez le roi ils paraissent convaincus, dès ce moment même, qu'ils ne te doivent pas.

Nous soumettons ces réflexions à votre prudence. Nous vous prions de nous faire connaitre promptement si vous les approuvez.

Les maire et administrateurs de police,

Signé : PÉTION, SERGENT, PANIS, VIGNER, PERRON.

[46] Ce sont les expressions mêmes de l'arrêté du directoire, en date du 6 juillet, qui suspend Pétion de ses fonctions de maire.

[47] Rapport Sergent.

[48] Ce post-scriptum fut écrit da la main de Rœderer. (Chronique des cinquante jours.)

[49] Ces deux lettres ont été publiées par la Revue rétrospective, tome Ier, 2e série, p. 167.

[50] Cette lettre forme la pièce justificative, n° 3, du rapport Saint-Prix. Nous avons retrouvé une autre lettre exactement pareille, datée du 20 juin 1792, an tv de la liberté, et adressée à M. Bonneau, commandant du 2e bataillon de la 1re légion, rue de Montreuil, Saint-Prix déclare qu'il a reçu cette communication à sept heures et demie du matin.

— Nous avons retrouvé également les réponses que firent deux des chefs de bataillon auxquels cette circulaire avait été adressée, Alexandre et Saint-Prix. Alexandre écrivait : J'ai reçu la lettre de M. le maire. Je tâcherai de faire ce qu'il me prescrit ; mais je ne puis répondre de rien. Et en post-scriptum : Nous allons nous transporter au rassemblement pour tâcher de le dissiper. Saint-Prix de son côté répondait : J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'envoyer. Soyez persuadé de son entière exécution. J'ai juré de maintenir la Constitution les citoyens dont la confiance m'honore ont fait le même serment, ils sentent tous que, sans le respect dû aux autorités constituées, il n'y a plus de Constitution, et ils sont prêts n mourir pour la défendre.

[51] Rapport Alexandre.

[52] Rapport Saint-Prix.

[53] Rapport Sergent.

[54] Rapport Sergent.

[55] Rien ne peint mieux le trouble, l'hésitation et la faiblesse des honnêtes gens, qui résistent quelque temps à l'entraînement de l'émeute et finissent par céder au torrent, que le procès-verbal dressé à cette occasion par la section de Montreuil. (Revue rétrospective, 2e série, tome Ier, p. 1 76.)

[56] Rapport Saint-Prix.

[57] Rapport Perron.

[58] Compte rendu de la séance du 20 juin. (Journal des Débats et Décret, n° 267, p. 264.)

[59] Rapport Alexandre et procès-verbal Mouchet, Guiard et Thomas.

[60] Déclaration Desmousseaux.

[61] Rapport Ramainvilliers.

[62] On voit par les déclarations de Desmousseaux, Jallier, J.-J. Leroux et Borie, que ces quatre officiers municipaux ne reçurent qu'à neuf heures du matin leur lettre de convocation. Un autre officier municipal, Champion, déclare qu'il n'en a reçu aucune.

[63] Nous nous servons des expressions de Pétion dans l'Exposé qu'il fit de sa conduite.

[64] Déclaration Borie.

[65] Déclaration J.-J. Leroux.

[66] Déclarations Desmousseaux, J.-J. Leroux.

[67] Nous donnons le texte même de ces ordres. Le premier était adressé au directoire du département :

20 juin, 9 heures du matin.

Messieurs,

Sans aucun délai donnez ordre aux troupes de marcher pour défendre le château. Je reçois à l'instant des nouvelles qui annoncent des dangers pressants.

Le ministre de l'intérieur :

Signé : TERRIER.

Le directoire envoya copie de cette lettre au commandant général et au maire ; à la lettre adressée au commandant général était jointe cette petite note, de la main du procureur-générai-syndic :

20 juin, 9 heures.

Sans perdre un instant donnez des ordres pour faire marcher des troupes pour défendre le château. Les nouvelles que je reçois à l'instant m'apprennent qu'il y a le danger le plus instant.

Le commandant général ne répondant pas à cette injonction (il ne le pouvait pas puisqu'il était à l'hôtel de ville), un nouvel ordre encore plus explicite fut adressé à l'état-major :

Directoire du département de Paris, 20 juin 1792.

Nous, administrateurs composant le directoire, requérons, en vertu de la loi, M. le commandant général, ou a son défaut le premier officier en grade actuellement de service au château, de prêter le secours de la garde nationale ou de requérir tes troupes de ligne pour assurer par tous les moyens possibles, même par la force des armes, la sûreté du roi et de toute la famille royale.

[68] Histoire de la Révolution, t. VI, p. 433.

[69] Moniteur et Journal des Débats et Décrets.

[70] Journal des Débats et Décrets.

[71] En recevant, dit Alexandre dans son rapport, cet arrêté que je regardai comme un grand bienfait, je me sentis soulagé d'un poids énorme.

[72] Copié sur la minute.

[73] Journal des Débats et Décrets.

[74] Moniteur et Journal des Débats et Décrets.

[75] Journal des Débats et Décrets.

[76] Pour cette partie de la séance, le Journal des Débats et Décrets est beaucoup plus complet que le Moniteur.

[77] Journal des Débats et Décrets.

[78] Journal des Débats et Décrets.

[79] Journal des Débats et Décrets.

[80] Rœderer, Chronique des cinquante jours.

[81] Rapport Mandat.

[82] Procès-verbal Boucher Saint-Sauveur et Mouchet.

[83] Procès-verbal Boucher Saint-Sauveur et Mouchet.

[84] Procès-verbal Boucher Saint-Sauveur et Mouchet.

[85] Déclaration de Genty, premier valet de garde-robe du toi. (Dans les déclarations reçues par le juge de paix des Tuileries, à la fin de ce volume, note IX.)

[86] Procès-verbal Boucher Saint-Sauveur et Mouchet.

[87] La fin de la réponse royale est donnée dans trois des déclarations faites au juge de paix des Tuileries ; elle est également relatée dans la lettre écrite au directoire par le ministre de l'intérieur, à la date du 26 juin. (Revue rétrospective, p. 202.)

[88] Procès-verbal Boucher Saint-Sauveur et Mouchet.

[89] Comme on le dit à J.-J. Leroux qui errait dans les environs. (Voir sa déclaration.)

[90] Moniteur.

[91] Moniteur et Journal des Débats et Décrets.

[92] Les Révolutions de Paris, n° 154, mentionnent seules le nom de l'orateur ; ni le Journal des Débats et Décrets, ni le Moniteur ne le donnent, tant il était alors peu connu.

[93] Nous n'avons pas cru devoir donner in extenso cette pétition : elle se trouve au Moniteur de 1792, p. 723, et dans le Journal des Débats et Décrets, p. 969 du n° 267. Les deux textes sont identiques.

[94] Moniteur.

[95] Journal des Débats et Décrets.

[96] La première phrase du discours est la même dans le Moniteur et le Journal des Débats et Décrets.

[97] Ici le compte rendu du Journal des Débats et Décrets diffère essentiellement de celui du Moniteur. On sent que le discours du président, donné par ce dernier journal, a été arrangé après coup. Nulle mention n'est faite au Moniteur de l'interruption si importante que mentionne le Journal des Débats et Décrets.

[98] Version du Journal des Débats et Décrets. Voici celle du Moniteur :

Les représentants de vingt-quatre millions d'hommes vous annoncent par mon organe qu'ils déjoueront les trames des conspirateur ; qu'ils les livreront au glaive des lois, parce que les fois seules ont le droit de venger le peuple, et que ce n'est que par elles et dans elles que vous trouverez cette constitution et cette liberté que vous cherchez. L'Assemblée nationale vous invite au respect pour les lois et pour les autorités constituées ; elle vous y invite au nom de la patrie et de la liberté, que nous sommes résolus à défendre au péril de notre vie et en mourant, s'il le faut, au poste où le peuple nous a placés, et où nous ne respirons que pour sa félicité et pour le maintien des saintes lois que nous avons jura de faire observer et respecter.

[99] Journal des Débats et Décrets, p. 272.

[100] L'officier municipal Mouchet est un type qui mérite de nous arrêter un instant. Au dire de tous les rapports et de toutes les déclarations, il joua dans toute la journée du 20 juin le rôle le plus actif ; il y fut la véritable mouche du coche. Après le 10 août, où nous le verrons jouer, à l'Hôtel de Ville, un certain rôle, il disparait complètement. C'était un petit homme boiteux (bancroche, disent plusieurs déclarations), jeune encore (34 ans), qui était architecte-entrepreneur et capitaine des grenadiers du bataillon de l'Oratoire. (Voir l'Almanach royal de 1793.)

Mouchet, dit Rœderer, représentait exactement l'esprit et le caractère de la grande masse des bourgeois de Paris, qui redoutaient les fureurs populaires et encore plus les trahisons royales, et auraient voulu mesurer assez juste les soulèvements des prolétaires pour obliger la cour à plus de droiture et de fidélité. (Chronique des cinquante jours.)

[101] Rapport de J.-J. Leroux.

[102] Cette quiétude est constatée par les rapports des officiers municipaux que Pétion avait pris soin d'écarter le matin, et qui, sans mission, s'étaient rendus aux abords des Tuileries. Desmousseaux était près de rentrer a son domicile, Cousin de se rendre à l'Académie des sciences dont il était membre ; Champion emmenait Borie et Leroux dîner chez lui.

[103] Rapport Saint-Prix.

[104] Rapport Rœderer.

[105] Rapport Patris.

[106] Rapport Ramainvilliers.

[107] Rapport Ramainvilliers.

[108] Rapport Rulhières.

[109] Rapport de l'adjudant Marotte.

[110] Rapports des gendarmes Moiteaux et Foret et de l'adjudant Marotte.

[111] Déclaration Guingerlot, lieutenant-colonel de la 30° division de gendarmerie. (Voir à la fin du volume, note IX, parmi les déclarations reçues par le juge de paix de la section des Tuileries.)

[112] Déclaration Guibout.

[113] Rapport du capitaine Lassus.

[114] Rapport Carle.

[115] Rapport Mouchet.

[116] Rapport Acloque.

[117] Rapport Boucher-René.

[118] Rapport du capitaine Lassus.

[119] D'après le rapport de Saint-Prix on pourrait croire qu'il n'y avait à que le bataillon du Val-de-Grâce ; mais le rapport d'Alexandre indique que l'hôtel de Longueville était le rendez-vous général de l'artillerie.

[120] Rapport Saint-Prix.

[121] Qui avait donné l'ordre d'ouvrir ? Personne, après l'événement, ne voulut en assumer sur lui la responsabilité. Qui avait ouvert ? Il est certain que ce furent des gardes nationaux se trouvant dans l'intérieur de la cour qui levèrent les bascules des deux battants de la porte ; mais quels étaient-ils ? le firent-ils de leur chef ou sur un ordre verbal ? C'est ce que personne ne put dire. (Voir la déclaration du suisse de la porte Royale, nommé Brou, les rapports des deux gendarmes de garde, les déclarations de Lassus et Rulhières.) L'intendant de la liste civile, Laporte, qui interrogea tous les concierges du château, fait remarquer qu'il n'y eut de forcée que la porte Royale ; celles de la cour des Suisses et de la cour des Princes restèrent fermées jusqu'au soir et ne servirent qu'à l'écoulement de la foule.

[122] Rapport Saint-Prix. — Rapport Mouchet.

[123] Rapport Acloque.

[124] Ce que reconnaissent MM. Michelet et Louis Blanc, plus justes en ceci que beaucoup des écrivains révolutionnaires qui les ont précédés.

[125] Cette parole, répétée plus tard par Louis XVI, dans des termes presque identiques, a été dite en ce moment. (Déclaration Lachesnaye.)

[126] Déclarations Fontaine et Lachesnaye.

[127] Rapport Acloque.

[128] Acloque, dans son rapport, dit qu'il ne fut pas possible de déterminer Mme Élisabeth à quitter son frère et qu'elle se plaça dans l'embrasure d'une autre croisée. Ce fut sans doute à ce moment que cette angélique princesse dit à un serviteur fidèle, en entendant quelques individus qui la prenaient pour la reine, contre laquelle toutes les haines avaient été ameutées depuis si longtemps : Ah ! ne les détrompez pas ! (Mémoires de Madame Campan.)

[129] Déclarations Lachesnaye, Fontaine, etc.

[130] Déclaration Gossé.

[131] Déclaration Bidault. — Les gardes nationaux écartèrent à plusieurs reprises de la personne du roi un individu qui, des premiers entrés, était armé d'une lame d'épée rouillée et s'était mis en posture de foncer sur Louis XVI ; d'autres misérables tenant en main des pistolets, des sabres, trahissaient, par la violence de leurs propos, des intentions perverses. Parmi eux se trouvait un certain Soudin, bien connu pour avoir, en 4789, promené dans Paris les têtes de Foulon et de Berthier à la pointe d'une pique. (Déclarations Lecrosnier et Guibout.)

[132] On revit même, dans la salle de l'Œil-de-Bœuf, le cœur de veau planté sur une fourche avec l'inscription : Cœur d'aristocrate. (Déclaration Guibout.)

[133] Louis Blanc, t. VI, p. 434.

[134] Histoire de la Révolution, t. III, p. 488.

[135] Les commissaires du département, dans leur rapport sur la suspension de Pétion, constatent que les quatre ou cinq grenadiers qui entouraient le roi furent obligés de faire des efforts continuels pour repousser les scélérats armés qui le menaçaient.

[136] Rœderer, Chronique des cinquante jours.

[137] Rapport des commissaires du département.

[138] Rapport Mouchet.

[139] Rapport Mouchet et rapport Patris, pleinement confirmés par la déclaration de Fontaine et par celle de Guibout.

[140] Déclaration Bidault.

[141] Rapport Mouchet.

[142] Rapport Patris.

[143] Histoire de la Révolution, t. III, p. 485.

[144] Rapport Mouchet.

[145] Rapport Hu.

[146] Rapport Mouchet.

[147] Rapport J.-J. Leroux.

[148] Lettre de Blanc-Gilly au département des Bouches-du-Rhône.

[149] Récit de Daverhoult à l'Assemblée, Journal des Débats et Décrets, n° 269, p. 295.

[150] Journal des Débats et Décrets, n° 268, p. 283.

[151] Déclaration Fontaine.

[152] La plupart des historiens se sont abstenus de raconter la séance du 20 juin au soir ; elle est pourtant loin d'être sans importance. Nous la rétablissons en suivant le compte rendu du Journal des Débats et Décrets, n° 268, et du Moniteur, n° 474.

[153] Déclaration J.-J. Leroux.

[154] Le rassemblement, grossi d'une foule de citoyens paisibles, de femmes, d'enfants, était, selon Rœderer (Chronique des cinquante jours), beaucoup plus nombreux aux Tuileries qu'à t'Assemblée. Isnard, dans son rapport, confirme le fait. (Journal des Débats et Décrets, n° 268, p. 283.)

[155] Là se trouvait perdu dans la foule un homme qui devait, quelques années plus tard, recevoir, avec une pompe jusqu'alors inconnue, tous les rois de l'Europe dans ce palais en ce moment livré à la plus hideuse populace ; un jeune officier d'artillerie, le capitaine Bonaparte, qui se promenait avec indifférence, bras dessus, bras dessous, avec deux amis, s'indignait de la longanimité du monarque et ne demandait que quelques pièces de canon pour balayer toute cette canaille. (Voir les Mémoires de Bourrienne et le Mémorial de Sainte-Hélène.)

[156] Deux billets, que nous avons retrouvés, montrent l'inquiétude dont étaient saisis, à l'exception du maire, tous ceux qui à cette heure étaient investis d'une parcelle d'autorité et sentaient qu'ils pouvaient encourir une certaine responsabilité.

Le premier est adressé aux membres de la municipalité :

Messieurs, nous ne recevons aucune nouvelle de ce qui se passe. Nous avons des inquiétudes bien fondées, envoyez-nous sur-le-champ un officier municipal pour nous en instruire.

Les administrateurs composant le directoire,

Signé : LAROCHEFOUCAULD, président ; ANSON, vice-président J. BROUSSE, DAVOUS.

—————

Le second est signé par trois membres du conseil général :

Le 20 juin, 4 heures ½ de relevée.

Monsieur le maire, nous nous trouvons rassemblés à la maison commune sur une lettre dont copie est ci-jointe :

Le péril presse, vite à la maison commune.

Notre attachement à la chose publique ne nous a pas permis individuellement, à la réception de cette lettre, de considérer si cette forme de convocation était légale mais ayant appris à la maison commune qu'il n'y avait point de conseil général, nous vous prions de nous lever cette incertitude, en nous répondant si ‘oui’ ou ‘non’ cette invitation a été faite par votre ordre, et si oui ou non il y aura ce jour conseil général. Nous attendons votre réponse.

Signé : AUG. DE BOURGES, notable, J. HIRMET, MANÉ.

[157] Dit-il dans sa défense.

[158] Rapport Mouchet.

[159] Rapport Mouchet. Rapport Sergent. Exposé de la conduite tenue par le maire.

[160] Rapport Sergent.

[161] Exposé de la conduite tenue par le maire.

[162] Déclaration Fontaine.

[163] Rapport Sergent.

[164] Rapport Champion.

[165] Nous donnons la diatribe de cet énergumène d'après les déclarations du grenadier Lecrosnier et du capitaine de gendarmerie Winfray. On peut contrôler cette version par celle, évidemment atténuée, que le Journal du club des Jacobins, n° CCXIX, donne de ce même discours, le jeune homme blond ayant été se vanter de son exploit à la séance du club, le soir même.

[166] Déclaration Lecrosnier.

[167] Rapport Patris.

[168] Rapport Champion.

[169] Déclaration de Montmorin, maire de Fontainebleau, confirmée par celles de Gossé, Hemery, Lecrosnier, Dorival, Dossonville, Lesieur, député de l'Orne, Becquey, député de la Haute-Marne. (Déclarations reçues par le juge de paix des Tuileries.)

Voir aussi la déclaration Fontaine, le rapport Sergent, et l'Exposé de la conduite tenue par le maire.

[170] Rapport Champion.

[171] Rapport Champion.

[172] Déclaration Fontaine.

[173] Rapport Sergent.

[174] Rapport J.-J. Leroux.

[175] Rapport de Brunck à l'Assemblée, Journal des Débats et Décrets, p. 283.

[176] Déclaration Fontaine.

[177] Rapport de Dalloz, Journal des Débats et Décrets, p. 284, Moniteur, p. 724.

[178] Rapport de Brunck.

[179] Déclaration Fontaine.

[180] Journal des Débats et Décrets, p. 285.

[181] Exposé de la conduite tenue par le maire.

[182] Rapport Champion.

[183] Rapport Sergent.

[184] Rapport Acloque.

[185] Déclaration Fontaine.

[186] Nous avons trouvé dans un opuscule très-rare, imprimé à l'époque même, et intitulé : Récit exact et circonstancié de ce qui s'est passé au château des Tuileries, le mercredi 20 juin 1792, des détails très-intéressants sur les circonstances qui empêchèrent la reine d'aller retrouver Louis XVI, lorsque déjà il était dans la salle de l'Œil-de-Bœuf en butte aux outrages des premiers groupes d'émeutiers.

La reine accourait en ce moment par la chambre du roi M. Aubier l'aperçoit de la porte qu'il tenait, essayant de la fermer ; il court vers Sa Majesté en refermant la porte ; il ose l'arrêter. Elle criait : Laissez-moi passer, ma place est près du roi, je veux le joindre et périr s'il le faut, en le défendant. Le courage de la reine doublant ses forces, elle eût renversé M. Aubier ; si M. Rougeville, chevalier de Saint-Louis, n'eût joint sa résistance à la sienne et donné le temps de l'atteindre aux personnes de l'intérieur qui couraient à sa suite. M. Aubier court en informer madame Élisabeth, qui l'autorise à résister à la volonté de la reine. Il faut, pour obtenir de la fille des Césars qu'elle semble moins digne d'elle-même, que ce serviteur zélé lui démontre l'impossibilité de traverser un groupe de brigands, lui prouve que si elle n'était pas massacrée, elle serait étouffée avant d'y arriver ; que sa tentative serait funeste au roi qui, entouré de quatre grenadiers, se précipiterait au travers des piques pour arriver jusqu'à elle ; à ce mot, qui fut appuyé par M. de Chambonnas, la reine s'est laissé entraîner dans la chambre de monseigneur le dauphin. Le sieur Augé, valet de chambre, chevalier de Saint-Louis, avait rallié dix grenadiers de la salle de la reine qui, aidés de MM. de Choiseul, d'Haussonville et de Saint-Priest, protègent sa retraite. Tenant dans ses bras monseigneur le dauphin, appuyée sur Madame, Sa Majesté était entourée de mesdames de Tourzel, de Tarente, de La Roche-Aymon, de Maillé, de la petite orpheline Ernestine. Par le couloir qui conduit de la chambre du dauphin à celle du roi, on fait passer la reine, le dauphin, Madame et leurs dames dans la salle du Conseil on tes place derrière le bureau, au milieu des braves grenadiers de la section de Saint-Thomas.

[187] Nous n'avons pour ces paroles que la version de Santerre, nous ne pouvons la contrôler ; nous la donnons donc sous toutes réserves. (Voir l'extrait du rapport de Santerre à la fin de ce volume, note IX.)

[188] Rapport Mandat.

[189] Rapport Mandat.

[190] Rapport Mandat.

[191] Entre autres Champion et J.-J. Leroux.

[192] Rapport Lachesnaye.

[193] Déclaration Guibout,

[194] Rapport Mandat, rapport Ramainvilliers.

[195] Déclaration Gossé.

[196] De ces paroles il existe trois versions 1° celle de Mme de Campan (Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette) 2° cette de Merlin lui-même, adressant à t'éditeur. de ces mémoires (5e édition) une lettre rectificative, le SO août ')Sa3 ; 3" celle de Jean Reynaud, publiant en 4s60 la vie du conventionnel célèbre dont il fut le pupille et l'élève.

Nous nous sommes décidé à adopter cette dernière, qui, du reste, ne contredit pas celle de Mme de Campan.

[197] Tous les rapports s'accordent sur ce point.

[198] Journal des Débats et Décrets, p. 284 et 285.

[199] Journal des Débats et Décrets, p. 385.

[200] Comme nous l'avons déjà fait remarquer plus haut, cette séance du 20 juin au soir, et surtout le rapport que Pétion vint faire sur cette journée à l'Assemblée, ne sont mentionnés ni dans M. Louis Blanc, ni dans M. Michelet, ni même dans l'Histoire parlementaire. Nous suivons toujours plus spécialement le compte rendu du Journal des Débats et Décrets ; le récit du Moniteur est évidemment refait après coup, la plupart des incidents les plus importants y sont atténués ou passés sous silence.

[201] Journal des Débats et Décrets, p. 287.

[202] Nous croyons avoir donné le récit le plus complet et le plus exact qui ait été fait de la fameuse journée du 20 juin 1792. Non-seulement nous avons puisé aux sources les plus authentiques (on en trouvera la nomenclature à la fin de ce volume, note IX), mais nous avons écarté soigneusement tous les faits qui n'étaient établis que par des témoignages uniques, équivoques ou émanant de personnes ne parlant que sur des ouï-dire. Telles sont : 1° la déclaration Lareynie dont les historiens nos devanciers ont fait un très-grand usage : 2° la déposition de Chabot au tribunat révolutionnaire, racontant à sa manière les événements du 20 juin 1792, et la part qu'y auraient prise les Girondins alors accusés et déjà condamnés d'avance. Tels sont encore les épisodes relatifs à la conduite de Santerre sur la place du Carrousel et au bas du grand escalier des Tuileries ; et à celle de Manuel, qu'un seul témoin, le sieur Muserey, déclare avoir vu se promener dans le jardin revêtu de son plus beau costume de ville, frisé, poudré et le visage rayonnant. Manuel et Santerre ont été bien coupables dans la journée du 20 juin : le premier, en ne paraissant nulle part ; le second, en se mettant à la tête du mouvement populaire ; mais ce n'est pas une raison pour accepter aveuglément tous les faits que des individus sans mandat et sans consistance ont pu mettre à leur change.