LES ORIGINES DE LA FRANCE CONTEMPORAINE

 

LIVRE DEUXIÈME. — LA PREMIÈRE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE

CHAPITRE I.

 

 

Arrivée des Jacobins au pouvoir. - Élections de 1791. - Proportion des places qu'ils ont conquises. — I. Leurs instruments de siège. - Moyens employés pour rebuter la majorité des électeurs et les candidats modérés. - Fréquence des élections. - Obligation du serment — II. Dégoûts et dangers des fonctions publiques. - Les Constituants exclus de la Législative. — III. Le droit de réunion retiré aux amis de l'ordre. - Violences contre leurs cercles, à Paris et en province. - Interdiction légale des associations conservatrices. — IV. Violences aux élections de 1790. - Les élections de 1791. - Effet de l'évasion du roi. - Les visites domiciliaires. - Mortagne pendant la période électorale. — V. Intimidation et retraite des modérés. - Explosions populaires en Bourgogne, dans le Lyonnais, en Provence et dans les grandes villes. - Procédés électoraux des Jacobins. Exemples à Aix, Dax et Montpellier. - Impunité des perturbateurs. - Dénonciations nominatives. - Manœuvres sur les paysans. - Tactique générale des Jacobins.

 

Au mois de juin 1791 et pendant les cinq mois qui suivent, les citoyens actifs[1] sont convoqués pour nommer leurs représentants électifs, et l'on sait que, d'après la loi, il y en a de tout degré et de toute espèce : d'abord 400.000 électeurs du second degré, et 745 députés ; ensuite la moitié des administrateurs de 83 départements, la moitié des administrateurs de 544 districts, la moitié des administrateurs de 41.000 communes ; enfin, dans chaque municipalité, le maire et le procureur-syndic ; dans chaque département, le président du tribunal criminel et l'accusateur public ; dans toute la France, les officiers de la garde nationale : bref le personnel presque entier des dépositaires et des agents de l'autorité légale. Il s'agit de renouveler la garnison de la citadelle publique : c'est la deuxième et même la troisième fois depuis 1789. —A chaque fois, par petits pelotons, les Jacobins se sont glissés dans la place ; cette fois, ils y entrent par grosses troupes. A Paris, Pétion devient maire, Manuel procureur-syndic, Danton substitut de Manuel : Robespierre est nommé accusateur criminel. Dès la première semaine[2], 136 nouveaux députés se sont inscrits sur les registres du club. Dans l'Assemblée, le parti compte environ 250 membres. Si l'on passe en revue tous les postes de la forteresse, on peut estimer que les assiégeants en occupent un tiers, peut-être davantage. Pendant deux ans, avec un instinct sûr, ils ont conduit leur siège, et l'on assiste au spectacle extraordinaire d'une nation légalement conquise par une troupe de factieux.

 

I

Au préalable, ils ont déblayé le terrain, et, par les décrets qu'ils ont arrachés à l'Assemblée constituante, ils ont écarté du scrutin la majorité de la majorité. D'une part, sous prétexte de mieux assurer la souveraineté du peuple, les élections ont été si multipliées et si rapprochées qu'elles demandent à chaque citoyen actif un sixième de son temps : exigence énorme pour les gens laborieux qui ont un métier ou des affaires[3] ; or telle est la grosse masse, en tout cas, la portion utile et saine de la population. Ainsi qu'on l'a vu, elle ne vient pas voter et laisse le champ libre aux désœuvrés ou aux fanatiques. — D'autre part, en vertu de la constitution, le serment civique est imposé à tous les électeurs, et il comprend le serment ecclésiastique ; car, si quelqu'un prèle le premier en réservant le second, son vote est déclaré nul : en novembre, dans le Doubs, les élections municipales de trente-trois communes sont cassées sous ce seul prétexte[4]. Ainsi, non seulement 40.000 ecclésiastiques insermentés, mais encore tous les catholiques scrupuleux perdent leur droit de suffrage, et ils sont de beaucoup les plus nombreux dans l'Artois, le Doubs et le Jura, dans le Haut et le Bas-Rhin[5], dans les Deux-Sèvres et la Vendée, dans la Loire-Inférieure, le Morbihan, le Finistère et les Côtes-du-Nord, dans la Lozère et l'Ardèche, sans compter les départements du Midi[6]. Ainsi d'un côté, au moyen de la loi qu'ils ont faite impraticable, les Jacobins se sont débarrassés d'avance des votes sensés, et ces votes sont par millions ; de l'autre côté, au moyen de la loi qu'ils ont faite intolérante, ils se sont débarrassés d'avance des votes catholiques, et ces votes sont par centaines de mille. Grâce à cette exclusion double, ils ne trouvent plus devant eux, quand ils entrent dans la lice électorale, que le moindre nombre des électeurs.

 

II

Il reste à opérer contre ceux-ci, et un premier expédient consiste à les priver de candidats. A cela, l'obligation du serment a déjà pourvu en partie : dans la Lozère, plutôt que de le prêter, tous les fonctionnaires en place ont donné leur démission[7] ; voilà des gens qui, aux élections prochaines, ne seront pas candidats ; car on ne brigue pas un poste dans lequel on n'a pu rester, et, en général, pour supprimer les candidatures d'un parti, il n'y a qu'à le dégoûter des magistratures. — Sur ce principe, les Jacobins ont travaillé efficacement par les innombrables émeutes qu'ils ont excitées ou conduites contre le roi, les officiers et les commis, contre les nobles et les ecclésiastiques, contre les marchands de blé et les propriétaires, contre les pouvoirs publics de toute espèce et de toute origine. Partout les autorités ont été contraintes de tolérer ou d'excuser le meurtre, le pillage et l'incendie, à tout le moins l'insurrection et la désobéissance. Depuis deux ans, un maire court risque d'être pendu, lorsqu'il proclame la loi martiale ; un commandant n'est pas sûr de ses hommes, quand il marche pour protéger la perception d'un impôt ; un juge est insulté et menacé sur son siège, s'il condamne les maraudeurs qui dévastent les forêts de l'État. A chaque instant, le magistrat chargé de faire respecter la justice est obligé de donner ou de laisser donner une entorse à la justice ; s'il s'obstine, un coup de main monté par les Jacobins du lieu fait plier son autorité légale sous leur dictature illégale, et il faut qu'il se résigne à être leur complice ou leur jouet. Un tel rôle est intolérable pour les gens qui ont du cœur ou de la conscience. C'est pourquoi, en 1790 et 1791, presque tous les hommes considérés et considérables, qui, en 1789, siégeaient aux hôtels de ville ou commandaient les gardes nationales, gentilshommes de province, chevaliers de Saint-Louis, anciens parlementaires, haute bourgeoisie, gros propriétaires fonciers, rentrent dans la vie privée et renoncent aux fonctions publiques, qui ne sont plus tenables. Au lieu de s'offrir aux suffrages, ils s'y dérobent, et le parti de l'ordre, bien loin de nommer les magistrats, ne trouve plus même de candidats.

Par un surcroît de précautions, on a frappé d'incapacité légale ses chefs naturels, et d'avance on a interdit les plus hautes places, notamment celles de député et de ministre, aux hommes autorisés en qui réside le peu de sens politique que les Français ont pu acquérir depuis deux ans. — Au mois de juin 1791, même après avoir retranché les irréconciliables du côté droit, il restait encore dans l'Assemblée environ 700 membres qui, attachés à la constitution, mais décidés à réprimer le désordre, pouvaient, s'ils eussent été réélus, fournir une législature raisonnable. A tous ceux-là, sauf au groupe imperceptible des révolutionnaires, la pratique a profité, et, dans les derniers temps de leur session, deux événements graves, la fuite du roi et l'émeute du Champ de Mars, leur ont montré les défauts de leur machine. Ayant en main pendant trois mois l'instrument exécutif, ils ont constaté qu'il est brisé, que tout croule, qu'ils sont eux-mêmes débordés par les fanatiques et la populace. Là-dessus, ils font effort pour enrayer ; plusieurs même songent à revenir en arrière[8]. Ils se séparent des Jacobins : des trois ou quatre cents députés inscrits sur le registre du club, il n'en reste que sept rue Saint-Honoré[9] ; les autres, aux Feuillants, font un club distinct, opposé, et à leur tête sont les premiers fondateurs, Duport, les deux Lament, Barnave, les auteurs de la constitution, tous les pères du nouveau régime. Par le dernier décret de l'Assemblée constituante, ils condamnent hautement les usurpations des sociétés populaires et leur interdisent non seulement toute ingérence administrative ou politique, mais encore toute pétition ou députation en nom collectif[10]. — Voilà, pour les amis de l'ordre, des candidats tout trouvés, et des candidats qui ont des chances ; car, depuis deux ans et davantage, chacun d'eux, dans son district, est l'homme le plus en vue, le plus accrédité, le plus important ; il est soutenu, auprès de ses électeurs, par la popularité de la constitution qu'il a faite, et, très probablement, il pourrait rallier autour de son nom la majorité des voix. — Mais les Jacobins ont prévu le danger : quatre mois auparavant[11], avec l'aide de la cour, qui n'a jamais manqué une occasion de tout perdre et de se perdre elle-même[12], ils ont exploité les rancunes du côté droit et la lassitude de l'Assemblée ; par fatigue et dégoût, par entraînement et surprise, dans un accès de désintéressement malentendu, elle a décrété qu'aucun de ses membres ne serait éligible à l'assemblée prochaine et destitué d'avance l'état-major des honnêtes gens.

 

III

Si, malgré tant de désavantages, ceux-ci tentent de lutter, ils sont arrêtés dès le premier pas. Car, pour engager une campagne électorale, il faut au préalable s'assembler, conférer, s'entendre, et la faculté d'association que la loi leur accorde en droit leur est retirée en fait par leurs adversaires. — Pour commencer[13], les Jacobins ont hué et lapidé les membres du côté droit qui se réunissaient au Salon français de la rue Royale, et, selon la règle ordinaire, le tribunal de police, considérant que cette assemblée est une occasion de troubles, qu'elle donne lieu à des attroupements, qu'elle ne peut être protégée que par des moyens violents, lui a commandé de se dissoudre. — Vers le mois d'août 1790, une seconde société s'est formée, celle-ci composée des hommes les plus libéraux et les plus sages. Malouet, le comte de Clermont-Tonnerre, sont à sa tête ; ils prennent le nom d'Amis de la Constitution monarchique, et veulent rétablir l'ordre public en maintenant les réformes acquises. De leur côté, toutes les formalités ont été remplies ; ils sont déjà 800 à Paris ; les souscriptions affluent dans leur caisse ; de toutes parts, la province leur envoie des adhésions, et, ce qui est pis, par des distributions de pain à prix réduit, ils vont peut-être se concilier le peuple. Voilà un centre d'opinion et d'influence analogue à celui des Jacobins, et c'est ce que les Jacobins ne peuvent souffrir[14]. M. de Clermont-Tonnerre ayant loué par bail le Wauxhall d'été, un capitaine de la garde nationale vient avertir le propriétaire que, s'il livre la salle, les patriotes du Palais-Royal s'y porteront en corps pour la fermer ; celui-ci, qui craint les dégâts, rompt son engagement, et la municipalité, qui craint les échauffourées, suspend les séances. La société réclame, insiste, et le texte de la loi est si précis que l'autorisation officielle est enfin accordée. Aussitôt les orateurs et les journaux jacobins se déchaînent contre les futurs rivaux qui menacent de le.ir disputer l'empire. Le 23 janvier 1791, à l'Assemblée nationale, par une métaphore qui peut devenir un appel au meurtre, Barnave accuse les membres du nouveau club a de donner au peuple un pain empoisonné. Quatre jours après, la maison de M. de Clermont-Tonnerre est assaillie par des rassemblements armés ; Malouet, qui en sort, est presque arraché de sa voiture, et l'on crie autour de lui : Voilà le b.... qui a dénoncé le peuple ! — Enfin, les fondateurs, qui, par égard pour la municipalité, ont attendu deux mois, louent une autre salle rue des Petites-Écuries, et, le 28 mars, ils ouvrent leurs séances. En arrivant, écrit l'un d'eux[15], nous trouvons un attroupement, des ivrognes, de petits braillards, des femmes en haillons, des soldats qui les excitaient, et surtout de ces terribles aboyeurs armés de bons gourdins noueux longs de 2 pieds et qui sont d'excellents casse-tête. C'est un coup monté : il n'y en a d'abord que trois ou quatre cents, au bout de dix minutes cinq ou six cents ; un quart d'heure après, ils sont peut-être quatre mille, racolés de toutes parts, bref le personnel ordinaire de l'émeute : Les gens du quartier assuraient que pas une de ces figures ne leur était connue. Quolibets, puis injures, gourmades, coups de bâton et coups de sabre : les membres de la société, qui étaient convenus de venir sans armes, sont dispersés, plusieurs jetés à terre, traînés par les cheveux, douze ou quinze blessés Pour justifier l'attaque, on montre des cocardes blanches qu'on prétend trouvées dans leurs poches ; le maire Bailly n'arrive que lorsque tout est terminé, et, par mesure d'ordre public, l'autorité municipale ferme définitivement le club des monarchistes constitutionnels.

Grâce à ces attentats de la faction et à cette connivence des autorités, les autres clubs analogues sont détruits de même. Il y en avait beaucoup, et dans les principales villes, Amis de la paix, Amis de la patrie, Amis du roi, de la paix et de la religion, Défenseurs de la religion, des personnes et des propriétés. Ordinairement on y trouvait des officiers, des magistrats, les gens les plus cultivés et les plus polis, bref l'élite de la ville. Jadis ils s'étaient réunis pour raisonner et causer ensemble, et leur cercle, institué depuis longtemps, passait naturellement de la littérature à la politique. — Contre toutes ces sociétés provinciales, un mot d'ordre est parti de la rue Saint-Honoré[16] : Ce sont des foyers de conspiration ; il faut les surveiller incessamment, et tout de suite marcher dessus pour les éteindre. — Tantôt, comme à Cahors[17], un peloton de gardes nationaux, qui revient d'une expédition contre des gentilshommes du voisinage, veut achever sa besogne-, envahit le cercle, jette les meubles par la fenêtre et démolit la maison. Tantôt, comme à Perpignan, la populace ameutée entoure le cercle en dansant la farandole et en criant : A la lanterne ! La maison est saccagée, et quatre-vingts membres, meurtris de coups, sont enfermés, pour leur sûreté, à la citadelle[18]. — Tantôt, comme à Aix, le club jacobin vient insulter chez eux ses adversaires et provoque une rixe : sur quoi, la municipalité fait murer incontinent les portes du cercle assailli et lance contre ses membres des mandats d'arrêt. — Toujours on les punit des violences qu'ils subissent ; leur simple existence semble un délit : à Grenoble, on les disperse à peine assemblés. Effectivement, ils sont suspects d'incivisme ; ils peuvent avoir de mauvaises intentions ; en tout cas, ils divisent la ville en deux camps, et cela suffit. — Dans le Gard, par arrêté du département, toutes leurs sociétés sont dissoutes, parce qu'elles sont des centres de malveillance. A Bordeaux, la municipalité, considérant que des bruits alarmants se répandent, que les prêtres et les privilégiés rentrent dans la ville, interdit toute réunion, sauf celle des Jacobins. — Ainsi, sous le régime de la liberté la plus sublimée, en présence de cette fameuse déclaration des Droits de l'homme qui légitime tout ce que la loi n'a pas défendu et pose l'égalité comme le principe de la constitution française, quiconque n'est pas Jacobin est exclu du droit commun. Une société intolérante s'est érigée en église sacro-sainte et proscrit toutes les associations qui n'ont pas reçu d'elle le baptême de l'orthodoxie, l'inspiration civique et le don des langues. A elle seule appartient la faculté de réunion et de propagande. Dans toutes les villes du royaume, il est défendu aux hommes réfléchis et modérés de se former en comité électoral, d'avoir une tribune, une caisse, des souscripteurs et des adhérents, de jeter le poids de leurs noms et de leur solidarité dans la balance de l'opinion publique, de rattacher à leur noyau permanent la multitude éparse des gens sensés qui voudraient sortir de la révolution sans retomber dans l'ancien régime. Qu'ils chuchotent entre eux à huis clos, on veut bien le tolérer encore ; mais malheur à eux s'ils sortent de leur isolement pour se concerter, pour recruter des voix, pour patronner une candidature. Jusqu'au jour du vote, en face de leurs adversaires ligués, actifs et bruyants, il faut qu'ils demeurent épars, inertes et muets.

 

IV

Au moins, ce jour-là pourront-ils librement voter ? La chose n'est pas sûre, et, d'après les exemples de l'année précédente, ils en peuvent douter. — Au mois d'avril 1790, à Bois-d'Aisy, en Bourgogne, M. de Bois-d'Aisy, député, qui revenait de Paris pour donner son suffrage[19], a été menacé publiquement ; on lui a signifié que les nobles et les prêtres ne devaient point prendre part aux élections, et nombre de gens disaient devant lui que, pour l'en empêcher, on ferait bien de le pendre. Tout près de là, à Sainte-Colombe, M. de Viteaux a été chassé de l'assemblée électorale, puis tué après un supplice de trois heures. Même spectacle à Semur : deux gentilshommes ont été assommés à coups de béton et de pierres, un autre s'est sauvé à grand'peine, et un curé a été tué de six coups de couteau. — Avis aux ecclésiastiques et aux gentilshommes ; ils feront sagement de ne pas venir voter, et l'on peut donner le même conseil aux marchands de blé, aux propriétaires, à toute personne suspecte. Car, ce jour-là, le peuple rentre dans sa souveraineté, et les violents se croient en droit de faire tout ce qui leur convient ; or rien de plus naturel que d'exclure au préalable les candidats dont on se défie ou les électeurs qui votent mal. — A Villeneuve-Saint-Georges, près de Paris[20], un avocat, homme d'un caractère énergique et austère, allait être nominé juge par les électeurs du district ; mais la populace se méfie d'un juge qui condamnera les maraudeurs, et quarante ou cinquante vagabonds, attroupés sous les fenêtres, crient : Nous ne voulons pas qu'il soit élu. En vain le curé de Crosne, président de l'assemblée électorale, leur fait remarquer que les électeurs assemblés représentent quatre-vingt-dix communes, près de cent mille habitants, et que quarante personnes ne doivent pas prévaloir sur cent mille. Les cris redoublent, et les électeurs renoncent à leur candidat. — A Pau, les patriotes de la milice[21] délivrent de force un de leurs chefs incarcéré, colportent une liste de proscription, tombent sur le scrutateur à coups de poing, puis à coups de sabre : les proscrits se cachent, et, le lendemain, personne ne veut se rendre à l'assemblée électorale. — C'est bien pis en 1791. Au mois de juin, juste au moment où s'ouvraient les assemblées primaires, le roi s'est enfui à Varennes, la révolution a semblé compromise, la guerre civile et la guerre étrangère se sont levées à l'horizon comme deux spectres, la garde nationale a partout couru aux armes, et les Jacobins ont exploité à leur profit la panique universelle. Il ne s'agit plus de leur disputer les voix ; en ce moment, il n'est pas bon d'être en vue ; parmi tant d'attroupements tumultueux, une exécution populaire est vite faite. Royalistes, constitutionnels, conservateurs ou modérés de toute espèce, les amis de l'ordre et de la loi ne songent plus qu'à rester chez eux, trop heureux si on les y souffre, et la plèbe armée ne les y souffre qu'à condition de les visiter souvent.

Considérez leur situation pendant toute la période électorale dans un district tranquille, et, par ce coin de la France, jugez du reste. A Mortagne[22], petite ville de six mille âmes, jusqu'au voyage de Varennes, le bon esprit de 1789 avait subsisté. Il y avait beaucoup de libéraux dans les quarante ou cinquante familles nobles. Là comme ailleurs, chez les gentilshommes, dans le clergé, dans la bourgeoisie, l'éducation philosophique du dix-huitième siècle avait ravivé l'ancienne initiative provinciale, et toute la haute classe s'était offerte avec zèle aux fonctions publiques et gratuites que seule elle pouvait bien remplir. Le président du district, le maire et les officiers municipaux avaient été choisis parmi les ecclésiastiques et les nobles ; les trois premiers officiers de la garde nationale étaient des chevaliers de Saint-Louis, et les autres grades étaient occupés par les principaux bourgeois. Ainsi l'élection libre avait conféré les pouvoirs aux supériorités sociales, et le nouvel ordre s'appuyait sur la hiérarchie légitime des conditions, des éducations et des capacités. Mais, depuis six mois, le club, formé par une douzaine de têtes exaltées et turbulentes, sous la présidence et dans la main du sieur Rattier, ancien cuisinier, a travaillé la populace et les campagnes. Tout d'un coup, à la nouvelle de l'évasion du roi, les Jacobins publient que les nobles et les prêtres lui ont fourni de l'argent pour son départ et pour opérer la contre-révolution. Telle famille a versé tant, telle autre tant : la chose est indubitable, puisqu'on donne les chiffres précis, et qu'on les donne pour chaque famille d'après ses facultés connues. — Aussitôt les principaux clubistes, associés à la portion véreuse de la garde nationale, se répandent dans les rues par escouades : les maisons des nobles et des bourgeois suspects sont envahies ; toutes les armes, fusils, pistolets, épées, couteaux de chasse, cannes à lame, sont enlevées ; on fouille partout ; on fait ouvrir ou l'on force les secrétaires et les armoires pour y chercher des munitions ; la perquisition s'étend jusqu'aux toilettes des dames ; par précaution, on casse leurs bâtons de pommade, présumant qu'ils peuvent contenir des balles cachées, et l'on emporte leur poudre à poudrer, sous prétexte que c'est de la poudre à canon peinte et masquée. Puis, sans désemparer, la bande se transporte aux environs, dans la campagne, et opère avec la même célérité dans les châteaux, tellement qu'en un seul jour, tous les citoyens honnêtes, tous ceux qui ont le plus de propriétés et de mobilier à défendre, restent sans armes à la discrétion des premiers brigands. Sont désarmés tous ceux que l'on répute aristocrates. Sont réputés aristocrates tous ceux qui désapprouvent le délire du jour, ou qui ne fréquentent pas le club, ou qui reçoivent chez eux quelque ecclésiastique insermenté, en première ligne, les officiers nobles de la garde nationale, à commencer par le commandant, et tout l'état-major. Ceux-ci se sont laissé prendre leurs épées sans résistance ; avec une longanimité et un patriotisme dont leurs pareils donnent partout l'exemple, ils ont la complaisance de rester à leur poste, pour ne pas désorganiser la force armée ; ils espèrent que cet égarement aura un terme, et se contentent de réclamer auprès du département. — Mais c'est en vain que le département ordonne la restitution des armes ; les clubistes refusent de les rendre, tant que le roi n'aura pas accepté la constitution ; en attendant, ils ne dissimulent pas qu'au premier coup de canon tiré sur la frontière, ils feront égorger tous les nobles et tous les prêtres insermentés. — Après que le roi a juré la constitution, le département insiste de nouveau : ils n'en ont cure. Au contraire, la garde nationale, Vaillant des canons, vient stationner exprès, avec des menaces et des insultes, devant les hôtels des gentilshommes désarmés. Leurs femmes sont poursuivies dans la rue par des gamins qui leur chantent sous le nez le Ça ira, et, dans le refrain final, insèrent leur nom en leur promettant la lanterne. Nul d'entre eux ne peut plus donner à souper à une douzaine de ses amis sans courir le risque d'exciter une fermentation. — Là-dessus, les anciens chefs de la garde nationale se démettent, et les Jacobins profitent de l'occasion. Au mépris de la loi, tout le corps des officiers est renouvelé, et, comme les gens paisibles n'osent donner leurs suffrages, le nouvel état-major se compose de gens forcenés, pris pour la plupart dans la dernière classe. Avec cette milice épurée, le club expulse les religieuses, chasse les prêtres insermentés, fait des expéditions dans le voisinage, et va jusqu'à purger les municipalités suspectes[23]. — Tant de violences à la ville et à la campagne ont rendu la ville et la campagne inhabitables, et pour l'élite des propriétaires ou des gens bien élevés il n'y a plus d'asile qu'à Paris. Après le premier désarmement, sept ou huit familles s'y sont réfugiées ; après la menace d'égorgement, douze ou quinze autres les y rejoignent ; après la persécution religieuse, les insermentés, le reste des nobles, quantité de bourgeois, même peu fortunés, s'y transportent en masse. Là du moins on est perdu dans la foule ; on est abrité par l'incognito contre les attentats de la plèbe ; on peut vivre en simple particulier. En province, on n'a pas même les droits civils : comment y exercerait-on les droits politiques ? Aux assemblées primaires, tous les citoyens honnêtes sont écartés par des menaces ou par de mauvais traitements... Le champ de bataille demeure à des gens qui payent 45 sous d'imposition, et dont plus de la moitié sont inscrits sur la liste des pauvres. — Voilà des élections faites d'avance ; c'est l'ancien cuisinier qui autorise ou suscite les candidatures, et de fait quand au chef-lieu on nommera les députés du département, tous les électeurs élus seront, comme lui, des Jacobins[24].

 

V

Telle est la pression sous laquelle on vote en France pendant l'été et l'automne de 1791. Partout les visites domiciliaires, le désarmement, le danger quotidien, forcent les nobles et les ecclésiastiques, les propriétaires et les gens cultivés à quitter leur résidence, à se réfugier dans les grandes villes, à émigrer[25], ou, tout au moins, à s'effacer, à se clore étroitement dans la vie privée, à s'abstenir de toute propagande, de toute candidature et de tout vote. Ce serait folie à eux que de se montrer dans tant de cantons où les perquisitions ont abouti à la jacquerie ; en Bourgogne et dans le Lyonnais, où les châteaux sont saccagés, où de vieux gentilshommes sont meurtris et laissés pour morts, où M. de Guillin vient d'être assassiné et dépecé ; à Marseille, où les chefs du parti modéré sont en prison, où un régiment suisse sous les armes suffit à peine pour exécuter Parte du tribunal qui les élargit, où, si quelque imprudent s'oppose aux motions jacobines, on le fait taire en l'avertissant qu'on va l'enterrer vif ; à Toulon, où les Jacobins fusillent les modérés et la troupe, où un capitaine de vaisseau, M. de Beaucaire, est tué d'un coup de feu dans le dos, où le club, soutenu par les indigents, les matelots, les ouvriers du port et les forains sans aveu exerce la dictature par droit de conquête ; à Brest, à Tulle, à Cahors, où, en ce moment même, des gentilshommes et des officiers sont massacrés dans la rue. Rien d'étonnant si les honnêtes gens s'écartent du scrutin comme d'un coupe-gorge. Au reste, qu'ils s'y présentent, si bon leur semble : on saura bien s'y débarrasser d'eux. A Aix, on déclare à l'assesseur chargé de lire les noms des électeurs que l'appel nominal doit être fait par une bouche pure, qu'étant aristocrate et fanatique, il ne peut ni parler ni voter, et, sans plus de cérémonie, on le met à la porte[26]. Le procédé est excellent pour changer une minorité en majorité ; pourtant en voici un autre plus efficace encore. — A Dax, sous le nom d'Amis de la constitution française, les Feuillants se sont séparés des Jacobins[27], et, de plus, ils insistent pour exclure de la garde nationale les étrangers sans propriété ni qualité, les citoyens passifs qui, malgré la loi, s'y sont introduits, qui usurpent le droit de vote, et qui insultent journellement les habitants tranquilles. En conséquence, le jour de l'élection, dans l'église où se tient l'assemblée primaire, deux Feuillants, Laurède, ci-devant contrôleur des vingtièmes, et Brunache, vitrier, proposent l'exclusion d'un intrus, domestique à gages. Aussitôt les Jacobins s'élancent ; Laurède est jeté contre un bénitier, blessé à la tête ; il veut s'échapper, il est ressaisi aux cheveux, terrassé, frappé au bras d'un coup de baïonnette, mis en prison, et Brunache avec lui. Huit jours après, il n'y a plus que des Jacobins à la seconde assemblée ; naturellement ils sont tous élus et forment la municipalité nouvelle, qui, malgré les arrêtés du département, refuse d'élargir les deux prisonniers et, par surcroît, les met au cachot. — A Montpellier, l'opération, un peu plus tardive, n'en est que plus complète. Les votes étaient déposés, les bottes du scrutin fermées, cachetées, et la majorité acquise aux modérés. Là-dessus, le club jacobin et la société des gourdins ferrés, qui s'appelle elle-même le Pouvoir exécutif, se portent en force dans les assemblées de section, brûlent un scrutin, tirent des coups de fusil et tuent deux hommes. Pour rétablir la paix, la municipalité consigne chaque compagnie de la garde nationale à la porte de son capitaine, et naturellement les modérés obéissent, mais les violents n'obéissent pas. Au nombre d'environ deux mille, ils parcourent la ville, entrent dans les maisons, tuent trois hommes dans la rue ou à domicile, et obligent les corps administratifs à, suspendre les assemblées électorales. De plus, ils exigent le désarmement des aristocrates, et, ne l'obtenant pas assez vite, ils tuent un artisan qui se promenait avec sa mère, lui coupent la tête, la portent en triomphe, et la suspendent devant sa maison. Aussitôt les autorités persuadées décrètent le désarmement, et les vainqueurs paradent en corps dans les rues : par gaieté ou par précaution, ils lichent en passant leur coup de fusil à travers les fenêtres des maisons suspectes, et, un peu au hasard, tuent encore un homme et une femme. Dans les trois jours qui suivent, six cents familles émigrent, et les administrateurs écrivent que tout va bien, que la concorde est rétablie : à présent, disent-ils, les élections se font avec la plus grande tranquillité, parce que tous les malintentionnés s'en sont volontairement écartés, une grande partie d'entre eux ayant quitté la ville[28]. On a fait le vide autour du scrutin, et cela s'appelle l'unanimité des voix. — De telles exécutions sont d'un grand effet, et il n'y a pas besoin d'en faire beaucoup ; quelques-unes suffisent quand elles sont heureuses et restent impunies, ce qui est toujours le cas. Désormais les Jacobins n'ont qu'à menacer : on ne leur résiste plus, on sait qu'il en coûte trop de leur résister en face ; on ne se soucie pas d'aller aux assemblées électorales récolter des injures et des dangers ; on se confesse vaincu et d'avance. Sans compter les coups, n'ont-ils pas des arguments irrésistibles ? A Paris, dans trois numéros successifs, Marat vient de dénoncer par leurs noms les scélérats et les coquins qui briguent pour se faire nommer électeurs[29], non pas des nobles ou des prêtres, mais de simples bourgeois, avocats, architectes, médecins, bijoutiers, papetiers, imprimeurs, tapissiers et autres fabricants, chacun inscrit dans le journal avec son nom, sa profession, son adresse et l'une des qualifications suivantes : tartufe, homme sans mœurs et sans probité, banqueroutier, mouchard, usurier, maître filou, sans compter d'autres que je ne puis transcrire. Remarquez que la liste de diffamation peut devenir une liste de proscription, que dans toutes les villes et bourgades de France des listes semblables sont incessamment dressées et colportées par le club local, et jugez si, entre ses adversaires et lui, la lutte est égale. — Quant aux électeurs de la campagne, il a pour eux des moyens de persuasion appropriés, surtout dans les innombrables cantons ravagés ou menacés par la jacquerie, par exemple dans la Corrèze où les insurrections et les dévastations ont gagné tout le département, et où l'on ne parle que de pendre les huissiers qui feront des actes[30]. Pendant toute la durée des opérations électorales, le club est resté en permanence ; il n'a cessé d'appeler ses électeurs à ses séances ; chaque fois, il n'y était question que de la destruction des étangs et des rentes, et les grands orateurs se sont résumés à dire qu'il ne fallait point en payer. Composée de campagnards, la majorité des électeurs s'est trouvée sensible à cette éloquence ; tous ses candidats ont dû se prononcer contre les rentes et contre les étangs ; c'est sur cette profession de foi qu'elle a nommé les députés et l'accusateur public ; en d'autres termes, pour être élus, les Jacobins ont promis aux tenanciers avides la propriété et le revenu des propriétaires. — Déjà, dans les procédés par lesquels ils obtiennent le tiers des places en 1791, on aperçoit en germe les procédés par lesquels ils prendront toutes les places en 1792, et, dès cette première campagne électorale, leurs actes indiquent, non seulement leurs maximes et leur politique, mais encore la condition, l'éducation, l'esprit et le caractère des hommes qu'ils installent au pouvoir central ou local.

 

 

 



[1] Loi du 28-29 mai 1791. D'après les relevés officiels le total des citoyens actifs est de 4.288.360. — Lois des 23 juillet, 12 septembre, 29 septembre 1791. — Buchez et Roux, XII, 310.

[2] Buchez et Roux, XII, 33. — Mortimer-Ternaux, Histoire de la Terreur, II, 205, 348. — Sauzay, II, chap. XVIII. — Albert Babeau, I, chap. XX.

[3] La lettre suivante de C. Desmoulins (3 avril 1792) montre à la fois le temps que prenait la vie publique, le genre d'attrait qu'elle exerçait, et l'espèce d'hommes qu'elle détournait de leurs affaires. J'ai repris mon ancien métier d'homme de loi, auquel je consacre à peu près tout ce que me laissent de temps mes fonctions municipales ou électorales et les Jacobine, c'est-à-dire assez peu de moments. Il m'en coûte de déroger à plaider des causes bourgeoises, après avoir traité de si grands intérêts et la cause publique à la face de l'Europe.

[4] Sauzay, II, 83-89, et 123. Délibération des habitants de Chalaze qui, les officiers municipaux en tête, se déclarent à l'unanimité non-conformistes, et demandent de pouvoir a se servir, pour l'exercice de leurs opinions religieuses, d'un temple qui leur appartient et a été bâti de leurs deniers Là-dessus les officiers municipaux de Chalaze sont rudement tancés par l'administration du district qui pose ainsi les principes : La liberté, indéfinie pour l'homme privé, doit être restreinte pour l'homme public, qui doit conformer ses opinions à la loi ; sinon... il doit renoncer aux fonctions publiques.

[5] Archives nationales, F7, 3253. Lettre du directoire du département, 7 avril 1792 : Le 25 janvier, nous avons rendu compte à l'Assemblée nationale de l'opposition presque générale que l'exécution des lois relatives au clergé a trouvée dans ce département.... Les dix onzièmes au moins des catholiques refusent de reconnaître les prêtres assermentés. Les instituteurs, séduits par leurs anciens curés ou vicaires, consentent bien à prêter le serment civique ; mais ils refusent de reconnaître leurs légitimes pasteurs et de les assister dans leurs fonctions. Nous sommes donc obligés de les destituer et de pourvoir à leur remplacement. Les citoyens d'un grand nombre de communes persistant à mettre en eux leur confiance ne veulent aucunement concourir à la nomination de ces nouveaux ; il en résulte que nous sommes forcés de nous en rapporter, pour le choix de ces sujets, à des personnes qu'à peine nous connaissons et que souvent les directoires de district connaissent à peine davantage. Comme ils sont nommés contre le gré des citoyens, ils n'obtiennent pas leur confiance, et sont salariés sur la caisse des communes sans aucun fruit pour l'instruction publique.

[6] Mercure de France, n° du 3 septembre I791 : Le droit d'assister aux assemblées primaires est celui de tout citoyen payant 3 livres de contributions, et, par les violences exercées sur les opinions, plus de la moitié des Français sont forcés de déserter ces comices abandonnés aux hommes qui ont le moins d'intérêt à l'ordre public, à la stabilité des lois, le moins de propriétés, le moins de part aux contributions publiques.

[7] La Révolution, I, p. 237 et suivantes.

[8] Correspondance (manuscrite) de M. de Staël, ambassadeur de Suède, avec sa cour, 4 septembre 1791 : Le changement qui s'est fait dans la manière de penser des démocrates est prodigieux ; ils paraissent maintenant convaincus de l'impossibilité de faire aller la constitution. Je sais positivement que le sieur Barnave a dit qu'il fallait que les assemblées futures n'eussent que l'influence d'un conseil de notables, et que toute la force fût dans le gouvernement.

[9] Correspondance (manuscrite) de M. de Staël. Lettre du 17 juillet 1791 : Tous les membres de l'Assemblée, trois ou quatre exceptés, qui sont du club, ont pris un arrêté pour se séparer des Jacobins ; leur nombre est de 300. — Les sept députés qui restent aux Jacobins sont Robespierre, Pétion, Grégoire, Burot, Coroller, Prieur et l'abbé Royer.

[10] Décret des 29-30 septembre 1791, avec rapport et instruction du comité de constitution.

[11] Décret du 17 mai 1791. — Malouet, XII, 161 : Il ne nous restait plus qu'une grande faute à commettre, et nous n'y manquâmes pas.

[12] Quelques mois après, lorsqu'il s'agit de nommer le maire de Paris, la cour fit voter contre Lafayette et pour Pétion.

[13] M. de Montlosier, Mémoires, II, 309 : Pour ce qui me concerne, je dois à la vérité de déclarer que je ne reçus à la tête que trois carottes et deux choux. — Archives de la préfecture de police, Jugement du tribunal de police, du 15 mai 1790. — Moniteur, V, 427 : L'exactitude des membres aux heures de l'assemblée, malgré les huées et les murmures de la multitude, semblait convaincre le peuple que, cette fois encore, on conspirait contre la liberté.

[14] Malouet, II, 50. — Mercure de France, n° du 7 janvier, 5 février, 9 avril 1791. Lettre d'un membre du club monarchique.

[15] Ferrières, II, 222 : Les Jacobins envoyèrent cinq ou six cents affidés, armés de bâtons, outre une centaine de gardes nationaux et quelques coureuses du Palais-Royal.

[16] Journal des Amis de la Constitution. Lettre du club du Café national de Bordeaux, 20 janvier 1791. — Lettres des Amis de la Constitution, de Brives et de Cambrai, 19 janvier 1791.

[17] La Révolution, I, 419, 317.

[18] Mercure de France, n° du 18 décembre 1790, des 17 janvier, 18 juin et 14 juillet 1791. — Moniteur, VI, 697. — Archives nationales, F7, 3193. Lettre du directoire du département de l'Aveyron, 20 août 1792. Récit des avènements à partir de la fin de 1790. — Le 22 mai 1791, le club des Amis de l'ordre et de la paix est incendié par les Jacobins, l'incendie dure toute la nuit et une partie de la matinée. (Procès-verbal du directoire de Milhau, 22 mai 1791.)

[19] La Révolution, I, 397, 333.

[20] Mercure de France, n° du 14 décembre 1790. Lettre de Villeneuve-Saint-Georges, du 29 novembre.

[21] Archives nationales, H, 1453. Correspondance de M. de Bercheny, Lettre de Pau du 7 février 1790 : On n'a pas d'idée de l'état actuel de cette ville jadis si délicieuse : on s'y égorge. Voilà quatre duels en quarante-huit heures, et dix ou douze bons citoyens obligés de se cacher depuis trois jours.

[22] Archives nationales, F7, 3249. Mémoire sur l'état actuel de la ville et district de Mortagne, département de l'Orne (novembre 1791).

[23] Le 15 août 1791, la supérieure de l'Hôtel-Dieu, enlevée de force, est déposée dans un cabaret à une demi-lieue de la ville ; puis les autres religieuses sont chassées et remplacées par huit jeunes tilles de la ville. Entre autres motifs, il faut noter l'hostilité de deux apothicaires membres du club : les religieuses de l'Hôtel-Dieu avaient une pharmacie qu'elles défrayaient en vendant des drogues, et cela faisait concurrence aux deux apothicaires.

[24] Cf. Archives nationales, DXXIX, 13. Lettre des officiers municipaux et des notables de Champceuil aux administrateurs de Seine-et-Oise, à propos des élections, 17 juin 1791. — Lettres analogues de diverses autres paroisses, entre autres de celle de Charcon, 16 juin : Ils ont l'honneur de vous représenter que, lors des précédentes assemblées primaires, ils ont couru les plus grands dangers, que le curé de Charcon, leur pasteur, a reçu plusieurs coups de baïonnette, dont il conservera toujours les marques. M. le maire et plusieurs autres habitants de Charcon ont échappé avec peine au même péril. — Ibid. Lettre des administrateurs des Hautes-Alpes à l'Assemblée nationale (septembre 1791), sur les troubles de l'assemblée électorale de Gap le 29 août 1791.

[25] La Révolution, I, 208, 210, 409, 419, 420. — Lauvergne, Histoire du département du Var, 104 (23 août 1791).

[26] Archives nationales, F7, 3198. Déposition de Vérand Icard, électeur d'Arles, 8 septembre 1791. — Ibid., 3195. Lettre des administrateurs du district de Tarascon, 8 décembre 1791. Deux partis sont en présence aux élections municipales de Barbantane : l'un conduit par l'abbé Chabaud, frère d'un des brigands d'Avignon, composé de trois ou quatre bourgeois et de tous les plus pauvres du pays ; l'autre, trois fois plus nombreux, comprenant tous les gros propriétaires, les bons messayers et artisans, et tout ce qu'il y a de plus intéressé à la bonne administration. Il s'agit de savoir si l'abbé Chabaud sera maire. Les élections ont lieu le 5 décembre 1791. Procès-verbal du maire en fonction : Nous, Pierre Fontaine, maire, nous adressâmes la parole à ces émeutés pour les engager à la paix. Au même instant, le nommé Claude Confier, dit Banque, nous donna un coup de poing sur l'œil gauche qui nous l'a meurtri considérablement et duquel nous ne voyons presque plus, et tout de suite, conjointement avec d'autres, nous sautèrent dessus, nous terrassèrent et nous tramèrent par les cheveux, continuant toujours de nous frapper depuis le devant de la porte de l'église jusques au-devant de celle de la maison commune.

[27] Archives nationales, F7, 3229. Lettres de M. Laurède, 18 juin 1791 ; du directoire du département, 8 juin, 31 juillet et 22 septembre 1791 ; de la municipalité, 15 juillet 1791. La municipalité laisse l'élargissement des prisonniers en suspens pendant six mois, parce que, dit-elle, le peuple est disposé à s'insurrecter contre leur sortie. — Lettres de plusieurs gardes nationaux disant que les factieux ne sont qu'une partie de la garde nationale.

[28] Mercure de France n° du 10 décembre 1791. Lettre de Montpellier du 17 novembre 1791. — Archives nationales, F7, 3223. Extrait des lettres sur les événements du 9 au 12 octobre 1791. Pétition par MM. Thuéri et Devon, 17 novembre 1791. Lettre des mêmes au ministre, 25 octobre. Lettres de M. Dupin procureur-syndic du département au ministre, 14 et 15 novembre, 26 décembre 1791 (avec procès-verbaux). — Parmi les hommes assassinés dans les journées des 14 et 15 novembre, on trouve un orfèvre, un procureur, un menuisier, un teinturier. — Cette scène affligeante, écrit le procureur-syndic, a rendu le calme à la ville.

[29] Buchez et Roux, X, 223. L'Ami du Peuple, n° des 17, 19, et 21 juin 1791.

[30] Archives nationales, F7, 3204. Lettre de M. Melon Pradon, commissaire du roi à Tulle, 8 septembre 1791.