LES ORIGINES DE LA FRANCE CONTEMPORAINE

 

LIVRE PREMIER. — L'ANARCHIE SPONTANÉE

CHAPITRE IV.

 

 

I. — Paris. - Impuissance et discorde des autorités. - Le peuple-roi. — II. Sa détresse. - Disette et manque de travail. - Comment se recrutent les hommes d'exécution. — III. Les nouveaux chefs populaires. - Leur ascendant. - Leur éducation. - Leurs sentiments. - Leur situation. - Leurs conseils. - Leurs dénonciations. — IV. Leur intervention dans le gouvernement. - Leur pression sur l'Assemblée. — V. Journées des 5 et 6 octobre. — VI. Le gouvernement et la nation aux mains du parti révolutionnaire.

 

I

En effet, l'impuissance des chefs et l'indiscipline des subordonnés sont encore plus grandes dans la capitale que dans les provinces. — Il y a un maire à Paris, Bailly ; mais dès le premier jour, et le plus aisément du monde[1], son conseil municipal, c'est-à-dire l'assemblée des représentants de la commune, s'est accoutumé à administrer tout seul et à l'oublier le plus parfaitement. — Il y a un pouvoir central, le conseil municipal présidé par le maire ; mais, en ce temps-là, l'autorité est partout, excepté où l'autorité prépondérante doit être ; les districts l'ont déléguée et en même temps retenue ; chacun d'eux agit comme s'il était seul et souverain. — Il y a des pouvoirs secondaires, les comités de district, chacun avec son président, son greffier, son bureau, ses commissaires ; mais les attroupements de la rue marchent sans attendre leur ordre, et le peuple, qui crie sous leurs fenêtres, leur impose ses volontés. Bref, dit encore Bailly, tout le monde savait commander et personne obéir.

Qu'on imagine, écrit Loustalot lui-même, un homme dont chaque pied, chaque main, chaque membre aurait une intelligence et une volonté, dont une jambe voudrait marcher tandis que l'autre voudrait se reposer, dont le gosier se fermerait quand l'estomac demanderait des aliments, dont la bouche chanterait quand les yeux seraient appesantis par le sommeil, et l'on aura une image frappante de l'état de la capitale. Il y a soixante républiques[2] dans Paris ; car chaque district est un pouvoir indépendant, isolé, qui ne reçoit aucun ordre sans le contrôler, et qui est toujours en désaccord, souvent en conflit, avec les autorités du centre ou avec les autres districts. Il reçoit les dénonciations, commande les visites domiciliaires, députe à l'Assemblée nationale, prend des arrêtés, placarde ses affiches, non-seulement dans son quartier, mais dans toute la ville, et parfois même étend sa juridiction au delà de Paris. Tout est de son ressort, et notamment ce qui ne devrait pas en être. — Le 18 juillet, celui des Petits-Augustins[3] arrête à lui tout seul qu'il sera établi des juges de paix sous le nom de tribuns, procède sur-le-champ à l'élection des siens, et nomme l'acteur Molé. Le 30, celai de l'Oratoire annule t'amnistie accordée dans l'Hôtel de ville par les représentants de la commune, et charge deux de ses membres d'aller à trente lieues de là prendre M. de Bezenval. Le 19 août, celui de Nazareth donne des commissions pour saisir et conduire à Paris les armes déposées dans plusieurs places fortes. Dès le commencement, tous, en leur nom privé, envoient à l'Arsenal, et se font délivrer à volonté des cartouches et de la poudre. D'autres s'arrogent le droit de surveiller l'Hôtel de ville ou de gourmander l'Assemblée nationale. L'Oratoire arrête que les représentants de la commune seront invités à délibérer publiquement. Saint-Nicolas-des-Champs délibère sur le veto et fait prier l'Assemblée de suspendre son vote. — C'est un spectacle étrange que celui de tous ces pouvoirs qui se contredisent et se détruisent l'un par l'autre. Aujourd'hui, l'Hôtel de ville s'approprie cinq voitures de draps expédiées par le gouvernement, et le district Saint-Gervais s'oppose à la décision de l'Hôtel de ville. Demain Versailles intercepte des grains destinés à Paris, et Paris menace, si on ne les lui restitue, de marcher sur Versailles. J'omets les incidents ridicules[4] : par essence, l'anarchie est à la fois grotesque et tragique, et, dans cette dislocation universelle, la capitale, comme le royaume, ressemble à une pétaudière, quand elle ne ressemble pas à une Babel.

Mais, sous ces autorités discordantes, le véritable souverain, qui est la foule, apparait tout de suite. — Le 15 juillet, d'elle-même, elle a commencé la démolition de la Bastille, et l'on sanctionne cet acte populaire ; car il faut bien conserver les apparences, ordonner même après coup, et suivre lorsqu'on ne peut pas conduire[5]. Un peu après on a commandé de rétablir la perception aux barrières ; mais quarante particuliers armés viennent avertir leur district que, si l'on met des gardes à l'octroi, ils repousseront la force par la force et feront même usage de leurs canons. — Sur le faux bruit qu'il y a des armes cachées dans l'abbaye de Montmartre, l'abbesse, Mme de Montmorency, est accusée de trahison, et vingt mille personnes envahissent le monastère. — Tous les jours, le commandant de la garde nationale et le maire s'attendent à une émeute ; c'est à peine s'ils osent s'absenter une journée, aller à Versailles pour la fête du roi. Dès que la multitude peut stationner dans la rue, une explosion est proche ; les jours de pluie, dit Bailly, j'étais bien à mon aise. — C'est sous cette pression continue qu'on administre, et les élus du peuple, les magistrats les plus aimés, les mieux famés, sont à la discrétion de la cohue qui heurte à leurs portes. Au district de Saint-Roch[6], après plusieurs refus inutiles, l'assemblée générale, malgré les réclamations de sa conscience et les résistances de sa raison, est obligée de décacheter les lettres adressées à Monsieur, au duc d'Orléans, aux ministres de la guerre, des affaires étrangères et de la marine. — Au comité des subsistances, M. Sureau, indispensable et justifié par une proclamation publique, est dénoncé, menacé, contraint de quitter Paris. — Pour avoir signé[7] l'ordre d'un transport de poudres, M. de la Salle, l'un des plus patriotes entre les nobles, est sur le point d'être massacré ; la multitude, lancée contre lui, attache une corde au prochain réverbère, fouille l'Hôtel de ville, force toutes les portes, monte dans le beffroi, cherche le traître jusque sous le tapis du bureau, entre les jambes des électeurs, et n'est arrêtée que par l'arrivée de la garde nationale. — Non-seulement le peuple condamne, mais il exécute, et, comme toujours, en aveugle. A Saint-Denis, Châtel, lieutenant du maire, chargé de distribuer les farines, avait, à ses frais et de sa poche, diminué le prix du pain ; le 3 août, à deux heures du matin, sa maison est forcée, il se réfugie dans un clocher, on l'y suit, on l'y égorge, et sa tête est tramée dans les rues. — Non-seulement le peuple exécute, mais il fait grâce, et toujours avec le même discernement. Le 11 août, à Versailles, comme on allait rouer un parricide, la foule crie grâce, se précipite sur le bourreau et délivre l'homme[8]. Véritablement elle agit en souverain, et en souverain d'Orient qui, arbitrairement, sauve ou tue ; une femme, ayant protesté contre ce scandaleux pardon, est saisie, manque d'être pendue ; car le nouveau roi traite en crime toute offense à sa majesté nouvelle. — Aussi bien, on la salue publiquement et humblement. A l'Hôtel de ville, devant tous les électeurs et devant tout le public, le premier ministre, demandant la grâce de M. de Bezenval, a dit en propres termes : C'est devant le plus inconnu, le plus obscur des citoyens de Paris que je me prosterne, que je me mets à genoux. Quelques jours auparavant, à Saint-Germain-en-Laye et à Poissy, les députés de l'Assemblée nationale se sont mis à genoux, non pas seulement en paroles, mais effectivement, longtemps, dans la rue, sur le pavé, tendant les mains, pleurant, pour sauver deux vies dont ils n'ont obtenu qu'une. A ces signes éclatants, reconnaissez le monarque ; déjà les enfants, imitateurs empressés des actions qui ont la vogue, le singent en miniature, et, dans le mois qui suit le meurtre de Berthier et de Foulon, on rapporte à Bailly que des gamins paradent dans la rue avec deux 'têtes de chats au bout d'une pique[9].

 

II

Pauvre monarque, et que sa souveraineté reconnue laisse plus misérable qu'auparavant. Le pain est toujours rare, et, aux portes des boulangers, la queue ne diminue pas. En vain Bailly et son comité d'approvisionnement passent les nuits ; ils sont toujours dans les transes. Pendant deux mois, chaque matin, il n'y a de farines que pour un jour ou deux ; quelquefois, le soir, on n'en a pas pour le lendemain[10]. La vie de la capitale dépend d'un convoi qui est à dix, quinze, vingt lieues, et qui peut-être n'arrivera pas : l'un, de vingt voitures, est pillé, le 18 juillet, sur la route de Rouen ; un autre, le 4 août, aux environs de Louviers. Sans le régiment suisse de Salis qui, depuis le 14 juillet jusqu'à la fin de septembre, marche nuit et jour pour faire escorte, aucun bateau de grains n'arriverait de Rouen à Paris[11]. — Il y a danger de mort pour les commissaires chargés de faire les achats ou de surveiller les expéditions. Ceux qu'on envoie à Provins sont saisis, et il faut, pour les délivrer, mettre en marche une colonne de quatre cents hommes avec du canon. Celui qu'on dépêche à Rouen apprend qu'il sera pendu, s'il ose entrer ; à Mantes, un attroupement entoure son cabriolet ; aux yeux du peuple, quiconque vient enlever des grains est une peste publique ; il se sauve à grand'peine, par une porte de derrière, et revient à pied à Paris. — Dès le commencement, selon une règle universelle, la crainte de manquer accroît la disette ; chacun se pourvoit pour plusieurs jours ; une fois, dans le galetas d'une vieille femme, on trouva seize pains de quatre livres. Par suite, les fournées, calculées sur les besoins d'un seul jour, deviennent insuffisantes, et les derniers de la queue rentrent chez eux les mains vides. — D'autre part, les subventions que la ville et l'État fournissent pour diminuer le prix du pain ne font qu'allonger la queue ; les campagnards y affluent et retournent chargés dans leurs villages ; à Saint-Denis, le pain ayant été mis à deux sous la livre, il n'y en a plus pour les habitants. A cette anxiété permanente, joignez celle du chômage. Non-seulement on n'est pas sûr qu'il y ait du pain chez le boulanger la semaine prochaine, mais nombre de gens sont sûrs que, la semaine prochaine, ils n'auront pas d'argent pour aller chez le boulanger. Depuis que la sécurité a disparu et que la propriété est ébranlée, le travail manque. Privés de leurs droits féodaux et, par surcroît, de leurs fermages, les riches ont restreint leurs dépenses ; menacés par le Comité des recherches, exposés aux visites domiciliaires des districts, livrés aux délations de leurs domestiques, beaucoup d'entre eux ont émigré. Au mois de septembre, M. Necker se plaint de six mille passeports délivrés en quinze jours aux plus riches habitants. Au mois d'octobre, de grandes dames, réfugiées à Rome, écrivent pour qu'on renvoie leurs domestiques et qu'on mette leurs filles au couvent. Avant la fin de 1789, il y a tant de fugitifs qu'en Suisse, dit-on, une maison rapporte en loyers ce qu'elle vaut en capital. Avec cette première émigration qui est celle des grands dépensiers, du comte d'Artois, du prince de Conti, du duc de Bourbon, et de tant d'autres, les étrangers opulents sont partis, en tête la duchesse de l'Infantado qui dépensait par an 800.000 livres ; on ne compte plus que trois Anglais à Paris.

C'était une ville de luxe et comme une serre européenne de tous les plaisirs fins et coûteux : une fois le vitrage brisé, les amateurs s'en vont, les délicates plantes périssent ; il n'y a plus d'emploi pour les innombrables mains qui les cultivaient. Trop heureuses, quand aux ateliers de charité elles peuvent, à vil prix, manier la pioche ! J'ai vu, dit Bailly, des merciers, des marchands, des orfèvres implorer la faveur d'y être employés à vingt sous par jour. Comptez, si vous pouvez, dans un ou deux corps d'état, toutes ces mains qui chôment[12]. Douze cents perruquiers occupent à peu près six mille garçons ; deux mille chambrelans font en chambre le même métier ; six mille laquais n'ont guère que cet emploi. Le corps des tailleurs est composé de deux mille huit cents maîtres qui ont sous eux cinq mille ouvriers. Ajoutez-y les chambrelans, les réfugiés dans les endroits privilégiés comme les abbayes de Saint-Germain et de Saint-Marcel, le vaste enclos du Temple, celui de Saint-Jean de Latran, le faubourg Saint-Antoine : vous trouverez au moins douze mille individus coupant, ajustant et cousant. Combien d'oisifs à présent dans ces deux groupes ! Combien d'autres sur le pavé parmi les tapissiers, passementiers, brodeurs, éventaillistes, doreurs, carrossiers, relieurs, graveurs, et tous les fabricants d'élégances parisiennes ! Pour ceux qui travaillent encore, combien de journées perdues à la porte du boulanger et aux patrouilles de la garde nationale ! — Ils s'attroupent, malgré les défenses de l'Hôtel de ville[13], et délibèrent en public sur leur condition misérable, trois mille garçons tailleurs près de la Colonnade, autant de garçons cordonniers sur la place Louis XV, les garçons perruquiers aux Champs-Elysées, quatre mille domestiques sans place aux abords du Louvre, et leurs motions sont à la hauteur de leur intelligence. Les domestiques demandent qu'on renvoie de Paris les Savoyards qui leur font concurrence. Les garçons tailleurs veulent qu'on leur paye leur journée quarante sous et qu'on défende aux fripiers de faire des habits neufs. Les garçons cordonniers prononcent que ceux qui feront des souliers au-dessous du prix fixé seront chassés du royaume. — Chacune de ces foules irritées et agitées contient une émeute en germe, et, à vrai dire, sur tous les pavés de Paris, il y a de ces germes, aux ateliers de charité qui, à Montmartre, rassemblent dix-sept mille indigents, à la Halle où les boulangers veulent lanterner le commissaire des farines, aux portes des boulangers dont deux, le 14 septembre et le 5 octobre, sont conduits au réverbère et sauvés tout juste. — Dans cette foule souffrante et mendiante, les hommes d'exécution deviennent chaque jour plus nombreux ; ce sont les déserteurs, et, de chaque régiment, ils arrivent à Paris par bandes, parfois deux cent cinquante en un seul jour ; là, caressés, fêtés à l'envi[14], ayant reçu de l'Assemblée nationale cinquante livres par homme, maintenus par le roi dans la jouissance de leur prêt, régalés par les districts dont un seul doit 14.000 livres pour le vin et les cervelas qu'il leur a fournis, ils se sont accoutumés à plus de dépense, à plus de licence, et leurs camarades les suivent. Dans la nuit du 31 juillet, les gardes françaises de service à Versailles abandonnent la garde du roi, et se rendent à Paris, sans officiers, mais avec armes et bagages, afin d'avoir part au traitement que la ville de Paris fait à leur régiment. Au commencement de septembre, on comptait seize mille déserteurs de cette espèce[15]. Or, parmi les gens qui tuent, ceux-ci sont au premier rang, et cela n'étonne point, pour peu qu'on se rappelle leur provenance, leur éducation et leurs mœurs. C'est un soldat de Royal-Cravate qui a arraché le cœur de Berthier. Ce sont trois soldats du régiment de Provence qui, à Saint-Denis, ont forcé la maison de Châtel et traîné sa tête dans les rues. Ce sont des soldats suisses qui, à Passy, viennent d'abattre à coups de fusil le commissaire de la maréchaussée. — Leur quartier général est le Palais-Royal, parmi les filles dont ils sont les suppôts, et parmi les agitateurs qui leur donnent le mot d'ordre. Désormais tout dépend de ce mot, il n'y a qu'à regarder les nouveaux chefs populaires pour savoir ce qu'il sera.

 

III

Administrateurs et membres des assemblées de districts, motionnaires de corps de garde, de cafés, de cercles et de place publique, faiseurs de brochures et de gazettes, ils ont pullulé comme des insectes bourdonnants éclos en une nuit d'orage. Depuis le 14 juillet, des milliers de places se sont offertes aux ambitions lâchées ; procureurs, clercs de notaire, artistes, marchands, courtauds de boutique, comédiens, avocats surtout[16], chacun a voulu être officier, administrateur, conseiller ou ministre du nouveau règne, et les journaux, qui se fondent par dizaines[17], sont une tribune permanente, où les déclamateurs viennent courtiser le peuple à leur profit. — Tombée en de pareilles mains, la philosophie semble une parodie d'elle même, et rien n'en égale le vide, si ce n'est la malfaisance et le succès. Dans les soixante assemblées de district, les avocats font rouler les dogmes ronflants du catéchisme révolutionnaire. Tel, passant du mur mitoyen à la constitution des empires, s'improvise législateur, d'autant plus intarissable et plus applaudi que sa faconde, déversée sur les assistants, leur prouve qu'ils ont naturellement toutes les capacités et légitimement tous les droits. Quand cet homme ouvrait la bouche, dit un témoin de sang-froid, nous étions sûrs d'être inondés d'un déluge de citations et de sentences, souvent à propos de lanternes ou de l'échoppe d'une marchande d'herbes. Sa voix de Stentor ébranlait les voûtes, et, quand il avait parlé pendant deux heures et que le jeu de ses poumons était épuisé, c'étaient des cris, une admiration, une ivresse qui allait jusqu'à la fureur. L'orateur se croyait alors Mirabeau, et les spectateurs se figuraient être l'Assemblée constituante décidant du sort de la France. — Même style dans les journaux et dans les brochures. Une fumée d'orgueil et de grands mots s'est répandue dans les cervelles ; celui qui délire le plus haut est le coryphée de la multitude, et il conduit l'exaltation qu'il accroît.

Considérez les principaux, les plus populaires : ce sont les fruits secs ou les fruits verts de la littérature et du barreau. Tous les matins, la gazette est l'étal qui les expose en vente, et, s'ils conviennent au public surexcité, c'est justement par leur goût acide ou aigri. Nulle idée politique dans leurs têtes novices ou creuses ; nulle compétence, nulle expérience pratique. Desmoulins a vingt-neuf ans, Loustalot vingt-sept ans, et leur lest d'instruction consiste en réminiscences du collège, en souvenirs de l'École de droit, en lieux communs ramassés chez Raynal et consorts. Quant à Brissot et Marat, humanitaires emphatiques, ils n'ont vu la France et l'étranger que par la lucarne de leur mansarde, à travers les lunettes de leur utopie. De tels esprits, dégarnis ou dévoyés, ne peuvent manquer de prendre le Contrat social pour Évangile : car il réduit la science politique à l'application stricte d'un axiome élémentaire, ce qui les dispense de toute étude, et il livre la société à l'arbitraire du peuple, ce qui la remet entre leurs mains. — C'est pourquoi ils démolissent ce qui en reste et poussent au nivellement, jusqu'à ce que tout soit de plain-pied. A mes principes, écrit Desmoulins[18], s'est joint le plaisir de me mettre à ma place, de montrer ma force à ceux qui m'avaient méprisé, de rabaisser à mon niveau ceux que la fortune avait placés au-dessus de moi. Ma devise est celle des honnêtes gens : point de supérieur. Sous le grand nom de liberté, c'est ainsi que chaque vanité cherche sa vengeance et sa pâture. Rien de plus naturel et de plus doux que de justifier ses passions par sa théorie, d'être factieux en se croyant patriote, et d'envelopper les intérêts de son ambition dans les intérêts du genre humain. — Qu'on se représente ces directeurs de l'opinion, tels qu'ils étaient il y a trois mois : Desmoulins avocat sans causes, en chambre garnie, vivant de dettes criardes, et de quelques louis arrachés à sa famille ; Loustalot encore plus inconnu, reçu l'année précédente au Parlement de Bordeaux, et débarqué à Paris pour trouver carrière ; Danton, autre avocat du second ordre, sorti d'une bicoque de Champagne, ayant emprunté pour payer sa charge, et dont le ménage gêné ne se soutient qu'au moyen d'un louis donné chaque semaine par le beau-père limonadier ; Brissot, bohème ambulant, ancien employé des forbans littéraires, qui roule depuis quinte ans, sans avoir rapporté d'Angleterre ou d'Amérique autre chose que des coudes percés et des idées fausses ; Marat enfin, écrivain sifflé, savant manqué, philosophe avorté, falsificateur de ses propres expériences, pris par le physicien Charles en flagrant délit de tricherie scientifique, retombé du haut de ses ambitions démesurées au poste subalterne de médecin dans les écuries du comte d'Artois. A présent, Danton, président des Cordeliers, peut dans son district faire arrêter qui bon lui semble, et la violence de ses motions, le tonnerre de sa voix, lui donnent, en attendant mieux, le gouvernement de son quartier. Un mot de Marat vient de faire massacrer à Caen le major de Belsunce. Desmoulins annonce, avec un sourire de triomphe, qu'une grande partie de la capitale le nomme parmi les principaux auteurs de la Révolution, et que beaucoup même vont jusqu'à dire qu'il en est l'auteur. Portés si haut et par un si brusque coup de bascule, croyez-vous qu'ils veuillent enrayer, redescendre, et n'est-il pas visible qu'ils vont aider de toutes leurs forces au soulèvement qui les guinde vers les premiers sommets ? — D'ailleurs, à cette hauteur la tête tourne ; lancés en l'air à l'improviste et sentant qu'autour d'eux tout se renverse, ils s'exclament d'indignation et de terreur, ils voient partout des machinations, ils imaginent des cordes invisibles qui tirent en arrière, ils crient au peuple de les couper. De tout le poids de leur inexpérience, de leur incapacité, de leur imprévoyance, de leur peur, de leur crédulité, de leur entêtement dogmatique, ils poussent aux attentats populaires, et tous leurs articles ou discours peuvent se résumer en cette phrase : Peuple, c'est-à-dire vous, les gens de la rue qui m'écoutez, vous avez des ennemis, la cour et les aristocrates ; et vous avez des commis, l'Hôtel de ville et l'Assemblée nationale. Mettez la main, une main rude, sur vos ennemis pour les pendre, et sur vos commis pour les faire marcher.

Desmoulins s'intitule procureur général de la lanterne[19], et, s'il regrette le meurtre de Foulon et Berthier, c'est parce que cette justice trop expéditive a laissé dépérir les preuves de la conspiration, ce qui a sauvé nombre de traîtres ; lui-même, il en nomme une vingtaine au hasard, et peu lui importe s'il se trompe. Nous sommes dans les ténèbres ; il est bon que les chiens fidèles aboient même les passants, pour que les voleurs ne soient pas à craindre. — Dès à présent[20], Marat dénonce le roi, les ministres, l'administration, la robe, le barreau, la finance, les académies ; tout cela est suspect ; en tout cas, le peuple ne souffre que par leur faute. C'est le gouvernement qui accapare les grains, pour nous faire acheter au poids de l'or un pain qui nous empoisonne. C'est encore le gouvernement qui, par une conjuration nouvelle, va bloquer Paris pour l'affamer plus aisément. — De pareils propos en pareil temps sont des brandons d'incendie lancés sur la peur et sur la faim pour y allumer la fureur et la cruauté. A cette foule effarée et à jeun, les motionnaires et les journalistes répètent qu'il faut agir, agir à côté des autorités, et, au besoin, contre elles. En d'autres termes, faisons ce qu'il nous plaira ; nous sommes les seuls maîtres légitimes ; dans un gouvernement bien constitué, le peuple en corps est le véritable souverain : nos délégués ne sont là que pour exécuter nos ordres ; de quel droit l'argile oserait-elle se révolter contre le potier ?

Là-dessus, le club tumultueux qui remplit le Palais-Royal se substitue à l'Assemblée de Versailles ; n'a-t-il pas tous les titres pour cet emploi ? C'est le Palais-Royal qui, le 12 et le 13 juillet, a sauvé la nation. C'est lui qui, par ses harangueurs et ses brochures, a rendu tout le monde, et le soldat lui-même, philosophe. Il est le foyer du patriotisme, le rendez-vous de l'élite des patriotes, provinciaux ou parisiens, qui ont tous le droit de suffrage, et ne peuvent ou ne veulent pas l'exercer dans leur district. Il est plus court de venir au Palais-Royal. On n'a pas besoin d'y demander la parole à un président, d'attendre son tour pendant deux heures. On propose sa motion : si elle trouve des partisans, on fait monter l'orateur sur une chaise. S'il est applaudi, il la rédige. S'il est sifflé, il s'en va. Ainsi faisaient les Romains, et voilà la véritable assemblée nationale. Elle vaut mieux que l'autre à demi féodale, encombrée par six cents députés du clergé et de la noblesse qui sont des intrus, et qu'il faudrait renvoyer dans les galeries. — C'est pourquoi l'assemblée pure régente l'assemblée impure, et le café Foy prétend gouverner la France.

 

IV

Le 30 juillet, l'Arlequin qui à Rouen conduisait l'insurrection ayant été arrêté, on parle ouvertement au Palais-Royal[21] d'aller le redemander en nombre. — Le 1er août, Thouret, que le parti modéré de l'Assemblée vient d'élever à la présidence, est obligé de se démettre ; le Palais-Royal a menacé d'envoyer une bande pour le tuer avec ceux qui ont voté pour lui, et des listes de proscription, où sont inscrits plusieurs députés, commencent à courir. A partir de ce moment, dans toutes les grandes délibérations, abolition du régime féodal, suppression des dîmes, déclaration des Droits de l'homme, question des deux Chambres, veto du roi[22], la pression du dehors fait pencher la balance : c'est ainsi que la Déclaration des Droits, repoussée en séance secrète par vingt-huit bureaux sur trente, est imposée par les tribunes en séance publique, et passe à la majorité des voix. — Comme avant le 14 juillet et encore davantage, deux sortes de contraintes infléchissent les votes, et c'est toujours la faction régnante qui, par ses deux mains réunies, serre à la gorge les opposants. D'une part, elle siège dans les galeries par des bandes presque toujours les mêmes, cinq ou six cents acteurs permanents, qui crient d'après des signes convenus et sur un mot d'ordre[23]. Beaucoup sont des gardes françaises en habit bourgeois, qui se relayent : au préalable, ils ont demandé à leur député favori à quelle heure il faut venir, si tout va bien, et si l'on est content des calotins et des aristocrates. D'autres sont des femmes de la rue commandées par Théroigne de Méricourt, une virago courtisane, qui distribue les places et donne le signal des huées ou des battements de mains. Publiquement et en pleine séance, dans la délibération sur le veto, les députés sont applaudis ou insultés par les galeries, selon qu'ils prononcent le mot suspensif ou le mot indéfini. — Les menaces circulaient, dit l'un deux ; j'en ai entendu retentir autour de moi. — Et ces menaces recommencent à la sortie : Des valets chassés de chez leurs maîtres, des déserteurs, des femmes en haillons, promettent aux récalcitrants la lanterne, et leur portent le poing sous le nez. Dans la salle même, encore plus exactement qu'avant le 14 juillet, on écrit leurs noms, et les listes, remises à la populace, vont au Palais-Royal d'où les lettres et les gazettes les expédient en province[24]. Voilà la seconde contrainte : chaque député répond de son vote, à Paris sur sa vie, en province sur celle de sa famille. Des membres de l'ancien Tiers avouent qu'ils renoncent aux deux Chambres, parce qu'ils ne veulent pas faire égorger leurs femmes et leurs enfants. — Le 30 août, pour achever la conversion de l'Assemblée, Saint-Hurugue, le plus bruyant aboyeur du Palais-Royal, marche avec quinze cents hommes sur Versailles. En effet, du haut de son savoir, de son intégrité, de sa réputation immaculée, le club du jardin a décidé qu'on doit renvoyer les députés ignorants, corrompus et suspects. Qu'ils soient tels, on n'en peut douter, puisqu'ils défendent la sanction royale ; il y en a six cents et davantage, dont cent vingt députés des communes, qu'il faut chasser au préalable, puis mettre en jugement[25]. En attendant, on les avertit, ainsi que l'évêque de Langres, président de l'Assemblée nationale : Quinze mille hommes sont prêts à éclairer leurs châteaux, et le vôtre particulièrement, Monsieur. Pour préciser, on informe par écrit les secrétaires de l'Assemblée que deux mille lettres vont partir pour les provinces et dénoncer au peuple la conduite des députés pervers : Vos maisons répondront de vos opinions ; songez-y et sauvez-vous ! — Enfin, le lendemain août, cinq députations du Palais-Royal, l'une conduite par Loustalot, viennent tour à tour à l'Hôtel de Ville, pour demander que l'on batte la caisse et que l'on convoque les citoyens, à l'effet de renouveler les députés ou leur mandat, et d'arrêter que l'Assemblée nationale suspendra ses délibérations sur le veto jusqu'à ce que les districts et les provinces aient prononcé : en effet, seul souverain, seul compétent, le peuple a toujours le droit de chasser ou' d'instruire à nouveau les députés, ses domestiques.— Le surlendemain, 2 août, pour plus de clarté, de nouveaux délégués du même Palais-Royal joignent le geste aux paroles ; introduits devant les représentants de la Commune, ils leur indiquent, en portant les deux doigts au cou, que, s'ils n'obéissent pas, ils seront pendus.

Après cela, l'Assemblée nationale a beau s'indigner, déclarer qu'elle méprise les menaces, protester de son indépendance ; l'impression est faite. Plus de trois cents membres des communes, dit Mounier, étaient décidés à soutenir le veto absolu. Au bout de dix jours, la plupart ont tourné, plusieurs par attachement pour le roi, parce qu'ils craignent un soulèvement général, et ne veulent pas mettre en péril les jours de la famille royale. — Mais de semblables concessions ne font que provoquer des extorsions nouvelles. Les politiques de la rue savent maintenant par expérience ce que peut la violence brutale sur l'autorité légale. Enhardis par le succès et l'impunité, ils mesurent leur force et sa faiblesse. Encore un coup de main, ils seront les maîtres et sans conteste. Aussi bien, pour les hommes clairvoyants, l'issue est déjà certaine. Quand les motionnaires de carrefour et les portefaix du coin, convaincus de leur sagesse supérieure, imposent des décrets par la force de leurs poumons, de leurs poings et de leurs piques, à l'instant l'expérience, le savoir, le bon sens, le sang-froid, le génie, la raison, sont expulsés des affaires humaines, et l'on va aux abîmes. Mirabeau, partisan du veto à vie, a vu la foule en larmes l'implorer pour qu'il change d'avis : Monsieur le comte, si le roi a le veto, il n'y a plus besoin d'Assemblée nationale, nous voilà esclaves[26]. Un pareil emportement ne se laisse pas conduire : tout est perdu. Déjà, vers la fin de septembre, c'est le mot que Mirabeau répète au comte de la Marck : Oui, tout est perdu ; le roi et la reine y périront, et, vous le verrez, la populace battra leurs cadavres. Huit jours après, contre le roi et la reine, contre l'Assemblée nationale et le gouvernement, contre tout gouvernement présent et futur, éclatent les journées des 5 et 6 octobre ; le parti violent qui règne à Paris s'empare des chefs de la France pour les détenir à demeure sous sa surveillance, et pour consacrer ses attentats intermittents par un attentat permanent.

 

V

Cette fois encore, deux courants distincts se réunissent en un seul torrent, et précipitent la foule vers le même but. — D'un côté, ce sont les passions de l'estomac et les femmes ameutées par la disette : puisqu'il n'y a pas de pain à Paris, allons en demander à Versailles ; une fois le roi, la reine et le dauphin parmi nous, ils seront bien obligés de nous nourrir ; nous ramènerons le boulanger, la boulangère et le petit mitron. — De l'autre côté, ce sont les passions de la cervelle et les hommes poussés par le besoin de domination : puisque nos chefs nous désobéissent là-bas, allons-y et faisons-nous obéir, séance tenante ; le roi chicane sur la Constitution et les Droits de l'homme, qu'il les sanctionne ; ses gardes refusent notre cocarde, qu'ils la prennent ; on veut l'emmener à Metz, qu'il vienne à Paris ; là, sous nos yeux et sous nos mains, avec l'Assemblée qui se traîne en boiteuse, il ira droit et vite, elle aussi, de gré ou de force, et toujours dans le bon chemin. — Sous ce confluent d'idées, l'expédition se prépare[27]. Dix jours auparavant, on en parlait publiquement à Versailles. Le 4 octobre, à Paris, une femme la propose au Palais-Royal ; Danton mugit aux Cordeliers ; Marat fait à lui seul autant de bruit que les quatre trompettes du jugement dernier ; il faut, écrit Loustalot, un second accès de Révolution. — La journée se passe, dit Desmoulins, à tenir conseil au Palais-Royal, au faubourg Saint-Antoine, au bout des ponts, sur les quais.... à faire main basse sur les cocardes d'une seule couleur.... Elles sont arrachées, foulées aux pieds, avec menace de la lanterne en cas de récidive : un militaire essayant de rattacher la sienne, cent cannes levées lui en font perdre l'envie[28]. — Ce sont tous les symptômes avant-coureurs d'une crise ; dans ce grand corps fiévreux et douloureux, un abcès énorme s'est formé et va percer.

Mais, comme d'ordinaire, il a pour centre un foyer purulent, composé des passions les plus vénéneuses et des motifs les plus sales. Des femmes et des hommes immondes ont été embauchés. De l'argent a été distribué. — Est-ce par les intrigants subalternes qui exploitent les velléités du duc d'Orléans, et lui soutirent des millions sous prétexte de le faire lieutenant général du royaume ? Est-ce par les fanatiques qui, depuis la fin d'avril, se cotisent pour débaucher les soldats, lancer les brigands, tout niveler et tout détruire ? Toujours est-il que des Machiavels de place publique et de mauvais lieu ont remué les hommes du ruisseau et les femmes du trottoir[29]. — Du premier jour où le régiment de Flandre est venu tenir garnison à Versailles, on l'a travaillé par les filles et par l'argent. Soixante drôlesses ont été expédiées à cet effet, et des gardes françaises viennent payer à boire à leurs nouveaux camarades. Ceux-ci ont été régalés au Palais-Royal, et trois d'entre eux, à Versailles, disent en montrant des écus de six livres : C'est un plaisir d'aller à Paris ; on en revient toujours avec de l'argent. De cette façon et d'avance, la résistance a été dissoute. — Quant à l'attaque, les femmes seront l'avant-garde, parce qu'on se fait scrupule de tirer sur elles ; mais, pour les renforcer, nombre d'hommes déguisés en femmes sont dans leurs rangs ; en les regardant de près, on les reconnaît, sous leur rouge, à leur barbe mal rasée, à leur voix, à leur démarche[30]. — Hommes et femmes, on n'a pas eu de peine à les trouver parmi les filles du Palais-Royal et les soldats transfuges qui leur servent de souteneurs ; probablement celles-ci ont prêté à leurs amants leur défroque de rechange ; et elles se retrouveront avec eux, la nuit, au rendez-vous commun, sur les bancs de l'Assemblée nationale, où elles seront aussi à l'aise que chez elles[31]. — En tout cas, le premier peloton qui se met en marche est de cette espèce, avec le linge et la gaieté de l'emploi, la plupart jeunes, vêtues de blanc, coiffées et poudrées, ayant l'air enjoué, plusieurs riant, chantant et dansant, comme elles font au début d'une partie de campagne. Trois ou quatre sont connues par leur nom, l'une qui brandit une épée, l'autre qui est la fameuse Théroigne ; Madeleine Chabry, dite Louison, qu'elles choisissent pour parler au roi, est une jolie grisette qui vend des bouquets, et sans doute autre chose, au Palais-Royal. Quelques-unes semblent être des premières dans leur métier, avoir du tact et l'habitude du monde : supposez, si vous voulez, que Chamfort et Laclos ont envoyé leurs maîtresses. Ajoutez-y des blanchisseuses, des mendiantes, des femmes sans souliers, des poissardes racolées depuis plusieurs jours à prix d'argent. — Tel est le premier noyau, et il va grossissant ; car, de force ou de gré, la troupe s'incorpore les femmes qu'elle rencontre, portières, couturières, femmes de ménage, et même des bourgeoises chez lesquelles on monte avec menace de leur couper les cheveux, si elles ne suivent pas. — Joignez à cela des gens sans aveu, des rôdeurs de rue, des bandits, des voleurs, toute cette lie qui s'est entassée à Paris et qui surnage à chaque secousse : il 'y en a déjà. à la première heure, derrière la troupe des femmes à l'Hôtel de ville. D'autres partiront après elles, le soir et dans la nuit. D'autres attendent à Versailles. A Paris et à Versailles, beaucoup sont soudoyés : tel, en sale veste blanchâtre, fait sauter des pièces d'or et d'argent dans sa main. — Voilà la fange qui, en arrière, en avant, roule avec le fleuve populaire ; quoi qu'on fasse pour la refouler, elle s'étale, et laissera sa tache à tous les degrés du débordement.

Tout d'abord, à l'Hôtel de ville, la première troupe, quatre ou cinq cents femmes ont forcé la garde qui n'a pas voulu faire usage de ses baïonnettes. Elles se répandent dans les salles et veulent brûler les écritures, disant qu'on n'a rien fait, sinon des paperasses, depuis la Révolution[32]. Un flot d'hommes les suit, enfonce les portes, pille le magasin d'armes. Deux cent mille francs en billets de caisse sont volés ou disparaissent ; plusieurs bandits mettent le feu, d'autres pendent un abbé. L'abbé est décroché, le feu est arrêté, mais juste à temps : ce sont là les intermèdes de tout drame populaire. — Cependant, sur la place de Grève, la foule des femmes augmente, et toujours avec le même cri continu : Du pain et à Versailles ! Un des vainqueurs de la Bastille, l'huissier Maillard, se propose pour chef ; il est accepté, bat le tambour ; au sortir de Paris, il a sept ou huit mille femmes avec lui, de plus quelques centaines d'hommes, et, jusqu'à Versailles, il parvient, à force de remontrances, à maintenir un peu d'ordre dans cette cohue. — Mais c'est une cohue, partant une force brute, à la fois anarchique et despotique. D'une part, chacun, et le pire de tous, y fait ce qui lui plan : on s'en apercevra le soir même. D'autre part, sa pesanteur massive accable toute autorité et fait fléchir toute règle : arrivée à Versailles, à l'instant même on s'en aperçoit. — Admises dans l'Assemblée et d'abord en petit nombre, les femmes poussent à la porte, entrent en foule, remplissent les galeries, puis la salle, les hommes avec elles, armés de bâtons, de hallebardes et de piques, tout cela pêle-mêle, côte à côte avec les députés, sur leurs bancs, votant avec eux, autour du président investi, menacé, insulté, qui, à la fin, quitte la place et dont une femme prend le fauteuil[33]. Une poissarde commande dans une galerie, et, autour d'elle, une centaine de femmes crient ou se taisent à son signal, tandis qu'elle interpelle les députés et les gourmande : Qui est-ce qui parle là-bas ? Faites taire ce bavard. Il ne s'agit pas de cela, il s'agit d'avoir du pain. Qu'on fasse parler notre petite mère Mirabeau ; nous voulons l'entendre. — Un décret sur les subsistances ayant été rendu, les meneurs demandent davantage ; il faut encore qu'on leur accorde d'entrer partout où ils soupçonneront des accaparements ; il faut aussi qu'on taxe le pain à six sous les quatre livres, et la viande à six sous la livre. — N'imaginez pas que nous sommes des enfants qu'on joue : nous avons le bras levé, faites ce qu'on vous demande. — De cette idée centrale partent toutes leurs injonctions politiques. Qu'on renvoie le régiment de Flandre ; ce sont mille hommes de plus à nourrir et qui nous ôtent le pain de la bouche. Punissez les aristocrates qui empêchent les boulangers de cuire. A bas la calotte ! c'est tout le clergé qui fait notre mal. — Monsieur Mounier, pourquoi avez-vous défendu ce vilain veto ? Prenez bien garde à la lanterne. — Sous cette pression, une députation de l'Assemblée, conduite par le président, se met en marche à pied, dans la boue, par la pluie, surveillée par une escorte hurlante de femmes et d'hommes à piques ; après cinq heures d'instances ou d'attente, elle arrache au roi, outre le décret sur les subsistances pour lequel il n'y avait pas de difficulté, l'acceptation pure et simple de la Déclaration des Droits et la sanction des articles constitutionnels. — Telle est l'indépendance de l'Assemblée et du roi[34]. C'est ainsi que s'établissent les principes du droit nouveau, les grandes lignes de la Constitution, les axiomes abstraits de la vérité politique ; sous la dictature d'une foule qui les extorque, non-seulement en aveugle, mais encore avec une demi-conscience de son aveuglement : Monsieur le président, disaient des femmes à Mounier qui leur rapportait la sanction royale, cela sera-t-il bien avantageux ? Cela fera-t-il avoir du pain aux pauvres gens de Paris ?

Pendant ce temps, autour du château, l'écume a bouillonné, et les filles embauchées à Paris font leur métier[35] ; elles se faufilent, malgré la consigne, dans les rangs du régiment qui est en bataille sur la place. Théroigne, en veste rouge d'amazone, distribue de l'argent. Quelques-unes disent aux soldats : Mettez-vous avec nous ; tout à l'heure nous battrons les gardes du roi ; nous aurons leurs beaux habits, et nous les vendrons. Les autres s'étalent, agaçant les soldats, s'offrant à eux, tellement que ceux-ci disent : Nous allons avoir un plaisir de matin. Avant la fin de la journée, le régiment est séduit ; elles ont opéré en conscience, pour le bon motif. Quand une idée politique pénètre en de tels cerveaux, au lieu de les ennoblir, elle s'y dégrade ; tout ce qu'elle y apporte, c'est le déchaînement des vices qu'un reste de pudeur y comprimait encore, et l'instinct de luxure ou de férocité se donne carrière sous le couvert de l'intérêt public. — D'ailleurs les passions s'exaltent par leur contagion mutuelle, et l'attroupement, les clameurs, le désordre, l'attente, le jeûne, finissent par composer une ivresse de laquelle rien ne peut sortir que le vertige et la fureur. — L'ivresse a commencé sur la route ; déjà, au départ, une femme disait : Nous apporterons la tête de la reine au bout d'une pique[36]. Au pont de Sèvres, d'autres ajoutent : Il faut qu'elle soit égorgée et qu'on fasse des cocardes avec ses boyaux. Il pleut, on a froid, on est las, on a faim, on n'obtient, pour se soutenir, qu'un morceau de pain distribué tard et à grand'peine sur la Place d'Armes. Une bande dépèce un cheval abattu, le fait rôtir, et le mange à demi cru, à la façon des sauvages. Rien d'étonnant, si, sous le nom de patriotisme et de justice, il leur vient des pensées de sauvages contre les membres de l'Assemblée nationale qui ne sont pas dans les principes du peuple, contre l'évêque de Langres, Mounier et autres. Un homme, vêtu d'une souquenille rouge, dit qu'il lui faut la tête de l'abbé Maury pour jouer aux quilles. Mais c'est surtout la reine, qui est femme et en vue, sur qui s'acharne l'imagination féminine. Elle seule est la cause de tous les maux que nous souffrons... Il faut la massacrer, l'écarteler. — La nuit avance, il y a eu des voies de fait, et la violence engendre la violence. Que j'aurais de plaisir, dit un homme, si je mettais la main sur cette bougresse-là, à lui couper le cou sur la première borne ! Vers le matin, des gens crient : Où est cette sacrée coquine ? Il faut lui manger le cœur... Nous voulons lui couper sa tête, son cœur, et fricasser ses foies. — Avec les premiers meurtres, l'appétit sanguinaire s'est éveillé ; des femmes, venues de Paris, disent qu'elles ont apporté des baquets pour emporter les tronches des gardes du roi, et, sur ce mot, les autres battent des mains. Dans la cour de l'Assemblée nationale, des gens du peuple, examinant la corde de la lanterne et jugeant qu'elle est trop faible, veulent en mettre une autre pour pendre l'archevêque de Paris, Maury, d'Esprémesnil. — La fureur meurtrière et carnassière pénètre jusque parmi les défenseurs attitrés de l'ordre, et l'on entend un garde national dire qu'il faut tuer les gardes du corps jusqu'au dernier, leur arracher le cœur et déjeuner avec.

A la fin, vers minuit, la garde nationale de Paris est ; arrivée ; mais elle apporte une émeute par-dessus l'émeute ; car, elle aussi, elle a violenté ses chefs[37]. Si M. de Lafayette ne veut pas venir avec nous, dit un grenadier, nous prendrons un ancien grenadier pour nous commander. Ceci arrêté, on est allé trouver le général à l'Hôtel de ville, et les délégués de six compagnies lui ont intimé leurs ordres : Mon général, nous ne vous croyons pas traître ; mais nous croyons que le gouvernement nous trahit... Le comité des subsistances nous trompe, il faut le renvoyer. Nous voulons aller à Versailles exterminer les gardes du corps et le régiment de Flandre, qui ont foulé aux pieds la cocarde nationale. Si le roi de France est trop faible pour porter sa couronne, qu'il la dépose ; nous couronnerons son fils, et tout ira mieux. En vain Lafayette refuse, et vient haranguer sur la place de Grève ; en vain, pendant plusieurs heures, il résiste, tantôt parlant, tantôt imposant silence. Des bandes armées, parties des faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marceau, grossissent la foule ; on le couche en joue ; on prépare la lanterne. Alors, descendant de cheval, il veut rentrer à l'Hôtel de ville ; mais ses grenadiers lui barrent le passage : Morbleu ! général, vous resterez avec nous ; vous ne nous abandonnerez pas. Étant leur chef, il faut bien qu'il les suive ; c'est aussi le sentiment des représentants de la Commune à l'Hôtel de ville ; ils envoient l'autorisation et même l'ordre de partir, vu qu'il est impossible de s'y refuser. Quinze mille hommes arrivent ainsi à Versailles, et, devant eux, avec eux, protégés par la nuit, des milliers de bandits. De son côté, la garde nationale de Versailles, qui entoure le château, et le peuple de Versailles, qui barre le passage aux voitures[38], ont fermé toute issue. Le roi est prisonnier dans son palais, lui, les siens, ses ministres, sa cour, et sans défense. Car, avec son optimisme ordinaire, il a confié les postes extérieurs du château aux soldats de Lafayette, et, par une obstination d'humanité dans laquelle il persévérera jusqu'à la fin[39], il a défendu à ses propres gardes de tirer, en sorte qu'ils ne sont là que pour la montre. Ayant pour lui le droit commun, la loi et le serment que Lafayette vient de faire renouveler à ses troupes, que pourrait-il craindre ? Rien de plus efficace auprès du peuple que la confiance et la prudence, et, à force d'agir en mouton, on est sûr d'apprivoiser des bêtes féroces.

Dès cinq heures du matin, avant le jour, elles rôdent autour des grilles. Lafayette, épuisé de fatigue, s'est reposé une heure[40], et cette heure leur suffit[41]. Une populace armée de piques et de bâtons, hommes et femmes, entoure un peloton de quatre-vingts gardes nationaux, les force à tirer sur les gardes du roi, enfonce une porte, saisit deux gardes, leur tranche la tête. Le coupe-tête, qui est un modèle d'atelier, homme à grande barbe, montre ses mains rouges en se glorifiant de ce qu'il vient de faire, et l'effet est si grand sur les gardes nationaux que, par sensibilité, ils s'écartent pour ne pas être témoins de pareils spectacles : voilà la résistance. — Pendant ce temps la foule envahit les escaliers, assomme et foule aux pieds les gardes qu'elle rencontre, fait sauter les portes avec des imprécations contre la reine. La reine se sauve, à temps et tout juste, en jupon. Refugiée auprès du roi avec toute la famille royale, et vainement barricadés dans l'Œil de Bœuf dont une porte éclate, ils n'attendaient que la mort, lorsque Lafayette arrive avec ses grenadiers, et sauve ce qui peut encore être sauvé, les vies, rien de plus. Car, de la foule entassée dans la cour de Marbre part une clameur : Le roi à Paris !, et le roi se soumet à cet ordre. — A présent qu'ils ont dans leurs mains le grand otage, daigneront-ils accepter le second ? Cela est douteux. La reine s'étant approchée du balcon avec son fils et sa fille, un hurlement monte : Point d'enfants ! ; on veut l'avoir seule au bout des fusils, et elle le comprend. A cet instant, M. de Lafayette, la couvrant de sa popularité, parait avec elle sur le balcon, et lui baise respectueusement la main. — Dans la foule surexcitée, le revirement est subit ; en cet état de tension nerveuse, l'homme et surtout la femme sautent brusquement d'un extrême à l'autre, et la fureur confine aux larmes. Une portière, compagne de Maillard[42], entend en imagination Lafayette promettre, au nom de la reine, qu'elle aimera son peuple et lui sera attachée comme Jésus-Christ à son Eglise. On s'attendrit, on s'embrasse ; les grenadiers coiffent de leurs bonnets les gardes du corps. Tout ira bien ; le peuple a reconquis son roi. — Il n'y a plus qu'à se réjouir, et le cortège se met en marche : au centre la famille royale et cent députés dans des voitures, puis l'artillerie avec des femmes à califourchon sur les canons, puis un convoi de farines ; alentour les gardes du roi ayant chacun en croupe un garde national, puis la garde nationale de Paris, puis les hommes à piques, les femmes à pied, à cheval, en fiacre, sur des charrettes ; en tête une bande qui porte au bout de deux perches des têtes coupées et s'arrête à Sèvres chez un perruquier pour les faire poudrer et friser[43] ; on les incline pour saluer, on les barbouille de crème ; il y a des rires et des quolibets ; on mange et on boit en route, on oblige les gardes du corps à trinquer ; on crie et on tire des salves de mousqueterie : hommes et femmes, se tenant par la main, chantent et dansent dans la boue. — Telle est la fraternité nouvelle : un convoi funèbre de toutes les autorités légales et légitimes, un triomphe de la brutalité sur l'intelligence, un Mardi-gras meurtrier et politique, une formidable descente de la Courtille, qui, précédée par ses insignes de mort, traîne avec elle les chefs de la France, roi, ministres et députés, pour les contraindre à gouverner selon ses folies et pour les tenir sous ses piques, jusqu'au moment où il lui plaira de les égorger.

 

VI

Cette fois, on n'en peut plus douter : la Terreur est établie, et à demeure. — Le jour même, la foule arrête une voiture où elle croit trouver M. de Virieu, et déclare, en la fouillant, qu'on cherche ce député pour le massacrer, ainsi que d'autres dont on a la liste[44]. — Deux jours après, l'abbé Grégoire annonce à l'Assemblée nationale qu'il n'y a pas de jour où des ecclésiastiques ne soient insultés à Paris, et poursuivis de menaces effrayantes. — On avertit Malouet que, sitôt qu'on aura distribué des fusils à la milice, le premier usage qu'elle en fera sera pour se débarrasser des députés mauvais citoyens, entre autres de l'abbé Maury. — Quand je sortais, écrit Mounier, j'étais publiquement suivi ; c'était un crime de se montrer avec moi. Partout où j'allais avec deux ou trois personnes, on disait qu'il se formait une assemblée d'aristocrates. J'étais devenu un tel objet de terreur, qu'on avait menacé de mettre le feu dans une maison de campagne où j'avais passé vingt-quatre heures, et que, pour calmer les esprits, il avait fallu promettre qu'on ne recevrait ni mes amis ni moi. — En une semaine[45], cinq ou six cents députés font signer leurs passeports, et se tiennent prêts à partir. Pendant le mois suivant, cent vingt donnent leur démission ou ne reparaissent plus à l'Assemblée. Mounier, Lally-Tollendal, l'évêque de Langres, d'autres encore quittent Paris, puis la France. — C'est le fer à la main, écrit Mallet-Dupan, que l'opinion dicte aujourd'hui ses arrêts. Crois ou meurs, voilà l'anathème que prononcent les esprits ardents, et ils le prononcent au nom de la liberté. La modération est devenue un crime. — Dès le 7 octobre, Mirabeau vient dire au comte de la Marck : Si vous avez quelque moyen de vous faire entendre du roi et de la reine, persuadez-leur que la France et eux sont perdus, si la famille royale ne sort pas de Paris ; je m'occupe d'un plan pour les en faire sortir. A la situation présente il préfère tout, même la guerre civile ; car au moins la guerre retrempe les âmes, et ici, sous la dictature des démagogues, on se noie dans la boue. Dans trois mois, Paris, livré à lui-même, sera un hôpital certainement, et peut-être un théâtre d'horreurs. Contre la populace et ses meneurs, il faut que le roi se coalitionne à l'instant avec ses peuples, qu'il aille à Rouen, qu'il fasse appel aux provinces, qu'il fournisse un centre à l'opinion publique, et, s'il le faut, à la résistance armée. De son côté, Malouet déclare que la Révolution, depuis le 5 octobre, fait horreur à tous les gens sensés de tous les partis, mais qu'elle est consommée, irrésistible. — Ainsi les trois meilleurs esprits de la Révolution, ceux dont les prévisions justifiées attestent le génie ou le bon sens, les seuls qui, pendant deux ans, trois ans, et de semaine en semaine, aient toujours prédit juste et par raison démonstrative, tous les trois, Mallet-Dupan, Mirabeau, Malouet, sont d'accord pour qualifier l'événement et pour en mesurer les conséquences. On roule sur une pente à pic, et personne n'a la force ou les moyens d'enrayer. Ce n'est pas le roi : indécis et faible au delà de tout ce qu'on peut dire, son caractère ressemble à ces boules d'ivoire huilées qu'on s'efforcerait vainement de retenir ensemble[46]. Et, quant à l'Assemblée, aveuglée, violentée, poussée en avant par la théorie qu'elle proclame et par la faction qui la soutient, chacun de ses grands décrets précipite la chute.

 

 

 



[1] Bailly, Mémoires, II, 195, 242.

[2] Montjoie, ch. LXX, p. 65.

[3] Bailly, II, 74, 174, 242, 261, 282, 345, 392.

[4] Par exemple, les visites domiciliaires, et arrestations, qui semblent faites par des fous. (Archives de la préfecture de police de Paris.) — Et Montjoie, ch. LXX, p. 67. Expédition de la garde nationale contre les brigands imaginaires qui fauchent les moissons à Montmorency, et fusillade dans le vide. — Conquête de l'Île-Adam et de Chantilly.

[5] Bailly, II, 46, 95, 232, 287, 296.

[6] Archives de la préfecture de police, procès-verbal de la section de la Butte-des-Moulins, 5 octobre 1789.

[7] Bailly, II, 224. — Dussaulx, 418, 202, 257, 174, 158. La poudre transportée s'appelait poudre de traite. Le peuple entendit poudre de traître. Par cette addition d'un r, M. de la Salle faillit périr ; c'est lui qui, le 13 juillet, avait pris le commandement de la garde nationale.

[8] Floquet, VII, 54. Même scène à Granville, en Normandie, 16 octobre. Une femme avait assassiné son mari, de complicité avec son amant, un soldat, et l'on allait pendre la femme, rouer l'homme, lorsque la populace crie : La nation a le droit de faire grâce, renverse l'échafaud et sauve les deux assassins.

[9] Bailly, II, 274 (17 août).

[10] Bailly, II, 83, 202, 230, 235, 283, 299.

[11] Mercure de France, n° du 26 septembre. — De Goncourt, p. 111.

[12] Mercier, Tableau de Paris, I, 58 ; X, 151.

[13] De Ferrières, I, 178. — Roux et Buchez, II, 311, 316. — Bailly, II, 104, 174, 207, 246, 257, 282.

[14] Mercure de France, 5 septembre 1789. — Horace Walpole's Letters, 5 septembre 1789. — M. de Lafayette, Mémoires, I, 272. Dans la semaine qui suit le 14 juillet, 6000 soldats ont déserté et passé au peuple, outre 400 à 500 gardes suisses et six bataillons des gardes françaises qui restent sans officiers et font ce qu'ils veulent ; les vagabonds des villages voisins affluent ; il y a dans Paris plus de 30.000 étrangers ou gens sans aveu.

[15] Bailly, D, 282. La foule des déserteurs était si grande que Lafayette fut obligé de mettre des postes aux barrières pour les empêcher d'entrer. Sans cette précaution, toute l'armée y eût passé.

[16] De Ferrières, I, 103. — De Lavalette, I, 39. — Bailly, I, 53. (Sur les avocats.) On peut dire que l'on doit à cet ordre le succès de la Révolution. — Marmontel, II, 243. Dès les élections primaires de Paris, en 1789, j'observai, dit-il, cette espèce d'hommes remuants et intrigants, qui se disputaient la parole, impatients de se produire.... On sait quel intérêt avait ce corps (les avocats) à changer la réforme en révolution, la Monarchie en République ; c'était pour lui une aristocratie perpétuelle qu'il s'agissait d'organiser. — Roux et Buchez, II, 358 (article de C. Desmoulins). Dans les districts, tout le monde use ses poumons et son temps pour parvenir à être président, vice-président, secrétaire, vice-secrétaire.

[17] Eugène Matin, Histoire de la presse, t. V, p. 113. Le Patriote français, par Brissot, 28 juillet 1789. — L'Ami du peuple, par Marat, 12 septembre 1789. — Annales patriotiques et littéraires, par Carra et Mercier, 5 octobre 1789. — Les Révolutions de Paris, principal rédacteur Loustalot, 17 juillet 1789. — Le Tribun du peuple, lettres par Fauchet (milieu de 1789). — Révolutions de France et de Brabant, par C. Desmoulins. 28 novembre 1789. (Sa France libre est, je crois, du mois d'août, et son Discours de la Lanterne du mois de septembre.) — Le Moniteur ne commence à paraître que le 24 novembre 1789. Dans les 70 numéros suivants, jusqu'au 3 février 1790, les débats de l'Assemblée ont été rédigés ultérieurement, amplifiés et mis sous forme dramatique. Tous les numéros antérieurs au 3 février 1790 sont le produit d'une compilation exécutée en l'an IV. Pour les six premiers mois de la Révolution, la partie narrative est sans valeur. Le compte rendu des séances de l'Assemblée est plus exact, mais devra être refait, séance par séance et discours par discours, lorsqu'on entreprendra une histoire détaillée de l'Assemblée nationale. Les principales sources véritablement contemporaines sont le Mercure de France, le Journal de Paris, le Point du jour, par Barrées, le Courrier de Versailles, par Gorsas ; le Courrier de Provence, de Mirabeau ; le Journal des débats et décrets, les Procès-verbaux de l'Assemblée nationale, le Bulletin de l'Assemblée nationale, par Maret ; outre les gazettes citées ci-dessus pour la période qui suit le 14 juillet, et les discours imprimés à part.

[18] C. Desmoulins, lettres du 20 septembre et suivantes. (Il cite un vers de Lucain, qui a le sens indiqué.) — Brissot, Mémoires, passim. — Biographie de Danton, par Robinet. (Témoignages de Mme Roland, et de Rousselin de Saint-Albin.)

[19] Discours de la Lanterne, épigraphe de l'estampe.

[20] Roux et Buchez, III, 55, article de Marat, 1er octobre. Balayer de l'Hôtel de ville tous les hommes suspects.... Réduire les députés des communes à cinquante, ne les laisser en place qu'un mois ou six semaines, les forcer à ne rien transiger qu'en public. — Et II, 412, autre article de Marat. Ibid., III, 21. Article de Loustalot. — C. Desmoulins, Discours de la Lanterne, passim. — Bailly, II, 326.

[21] Mounier, Des causes qui ont empêché les Français d'être libres, I, 59. — Lally-Tollendal, 2e lettre, 104. — Bailly, II, 203.

[22] De Bouillé, 207. — Lally-Tollendal, ibid., 141, 146. — Mounier, ibid., 41, 60.

[23] Mercure de France, 2 octobre 1790. (Article de Mallet-Dupan : J'en ai été témoin.) — Procédure criminelle du Châtelet sur les événements des 5 et 6 octobre. Déposition de M. Faydel, député, n° 148. — De Montlosier, I, 259. — Desmoulins (la Lanterne). Petit à petit, quelques membres des communes se laissent gagner par des pensions, des projets de fortune, des caresses. Heureusement, il y a les galeries incorruptibles, toujours du côté des patriotes. Elles représentent les tribuns du peuple qui assistaient sur un banc aux délibérations du sénat et qui avaient le veto. Elles représentent la capitale, et, heureusement, c'est sous les batteries de la capitale que se fait la Constitution. (C. Desmoulins, politique naïf, laisse toujours le chat s'échapper hors du sac.)

[24] Procédure du Châtelet. Id. Déposition de M. Malouet (n° 111). Je recevais chaque jour, ainsi que MM. Lally et Mounier, des lettres anonymes et des listes de proscriptions où nous étions inscrits. Ces lettres annonçaient toutes une mort prompte et violente à tout député qui défendrait l'autorité royale.

[25] Roux et Buchez, I, 368-376. — Bailly, II, 326, 341. — Mounier, Id., 62, 75.

[26] Étienne Dumont, 145. — Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck, I, 112.

[27] Procédure criminelle du Châtelet. Déposition 148. — Roux et Buchez, III, 67, 65. (Récit de Desmoulins, article de Loustalot.) — Mercure de France, n° du 5 septembre 1789. Dimanche soir, 30 août, au Palais-Royal, on demanda l'expulsion de plusieurs députés de tout ordre, spécialement d'une partie de ceux du Dauphiné.... On parlait d'amener le Roi à Paris, ainsi que M. le Dauphin. On exhortait tous les citoyens vertueux, tous les patriotes incorruptibles à se transporter sur-le-champ à Versailles.

[28] Ces voies de fait n'étaient pas des représailles ; rien de semblable n'avait eu lieu au repas des gardes du corps (1er octobre). Au milieu de la joie générale, dit un témoin oculaire, je n'entendis aucune insulte adressée à l'Assemblée nationale, ni au parti populaire, ni à qui que ce fût. On cria seulement : Vive le roi ! vive la reine ! nous les défendrons jusqu'à la mort. (Mme de la Rochejaquelein, p. 40. — Id., Mme Campan, autre témoin oculaire.) — Il parait certain seulement que des jeunes gens de la garde nationale de Versailles retournèrent leurs cocardes pour être comme tout le monde, et peut-être aussi que des dames distribuèrent des cocardes blanches. Le reste est une légende fabriquée avant et après coup, pour provoquer et justifier l'insurrection. — Cf. Leroi, Histoire de Versailles, II, 20 à 107. — Id., p. 41. Quant à la proscription de la cocarde nationale, tous les témoins nient positivement le fait. Gorsas, rédacteur au Courrier de Versailles, est le premier auteur de la calomnie.

[29] Procédure criminelle du Châtelet. Dépositions 88, 110, 120, 126, 127, 140, 146, 148. — Marmontel, Mémoires, conversation avec Chamfort, en mai 1789. — Morellet, Mémoires, 1,398. (Au témoignage de Garat, Chamfort donna toutes ses économies, 3.000 livres, pour défrayer des manœuvres de cette sorte.) — Malouet (II, 2) connaît quatre députés qui ont eu une part immédiate à cet attentat.

[30] Procédure criminelle, etc. 1° Sur les soldats de Flandre. Dépositions 17, 20, 24, 35, 87, 89, 98. — 2° Sur les hommes déguisés en femmes. Dépositions 5, 10, 14, 44, 49, 59, 60, 110, 120, 139, 145, 146, 148. Le réquisitoire en désigne six précisément, pour être appréhendés au corps. — 3° Sur la condition des femmes de l'expédition. Dépositions 35, 83, 91, 98, 146 et 24. — 4° Sur l'argent distribué. Dépositions 49, 56, 71, 82, 110, 126.

[31] Procédure criminelle du Chatelet. Déposition 61. Pendant cette nuit, il se passa entre ces gens des scènes peu décentes, que le témoin croit inutile de raconter.

[32] Procédure criminelle du Châtelet. Dépositions 35, 44, 81. — Roux et Buchez, III, 120. (Procès-verbal de la commune, 5 octobre.) — Journal de Paris, n° du 12 octobre. Quelques jours après, M. Pic, clerc de procureur, rapporta un paquet de 100.000 francs, qu'il avait sauvé des mains ennemies, et l'on retrouva un autre paquet de billets que la bagarre avait jeté dans une case à quittances.

[33] Procédure criminelle du Châtelet. Dépositions 61, 77, 81, 148, 154. Dumont, 181. — Mounier, Exposé justificatif et notamment Faits relatif à la dernière insurrection.

[34] Procédure criminelle du Châtelet. Déposition 168. Le témoin a vu sortir de la chambre du roi plusieurs femmes habillées en poissardes, dont une, d'une jolie figure, qui tenait un papier à la main, et disait, en le montrant : Ha ! f..., nous avons forcé le bougre à sanctionner.

[35] Procédure criminelle du Châtelet. Dépositions 89, 91, 98. Leur promettant tout, jusqu'à lever leurs jupes devant eux.

[36] Procédure criminelle du Châtelet. Dépositions 9, 20, 24, 30, 49, 61, 82, 115, 149, 155.

[37] Procédure criminelle du Châtelet. Dépositions 7, 30, 35, 40. — Cf. Lafayette, Mémoires, et Mme Campan, Mémoires.

[38] Procédure criminelle du Châtelet. Déposition 24. Nombre de garçons bouchers courent après les voitures qui sortaient de la Petite-Écurie, en criant : Il faut empêcher le mâtin de partir.

[39] Procédure criminelle du Châtelet. Dépositions 101, 91, 89 et 11. Aux bandits qui montaient l'escalier du roi, M. de Miomandre, garde du corps, dit doucement : Mes amis, vous aimez votre roi, et vous venez l'inquiéter jusque dans son palais.

[40] Malouet, II, 2. J'étais sans défiance, disait Lafayette en 1798. Le peuple m'avait promis de rester tranquille.

[41] Procédure criminelle du Châtelet. Dépositions 9, 16, 60, 128, 129, 130, 139, 158, 168, 170. — Dès deux heures du matin, M. du Repaire, garde du corps, étant en faction à la grille, un homme passe sa pique à travers les barreaux, en disant : J.... f.... de galonné, ton tour viendra avant qu'il soit longtemps. M. du Repaire se retire dans la guérite sans rien dire à cet homme, attendu les ordres qui leur étaient donnés de ne point agir.

[42] Procédure criminelle du Châtelet. Dépositions 82, 170. — Mme Campan, II, 87. — De Lavalette, I, 33. — Cf. Bertrand de Molleville, Mémoires.

[43] Duval, Souvenirs de la Terreur, I, 78. (Douteux presque partout ailleurs, ici témoin oculaire : il dînait en face du perruquier, près de la grille du parc de Saint-Cloud.) — Seconde lettre de M. de Lally-Tollendal à un ami. Au moment où le roi entrait dans sa capitale avec deux évêques de son conseil dans sa voiture, on entendit le cri : Tous les évêques à la lanterne !

[44] De Montlosier, I, 303. — Moniteur, séances des 8, 9 et 10 octobre. — Malouet, II, 9, 10, 20. — Mounier, Recherches sur les causes, etc., et Adresse aux Dauphinois.

[45] De Ferrières, I, 346. (Le 9 octobre, trois cents membres avaient déjà pris des passeports.) — Mercure de France, n° du 17 octobre. — Correspondance de Mirabeau et de M. de la Marck, I, 116, 126, 364.

[46] Correspondance de Mirabeau et de M. de la Marck, I, 125. (Parole de Monsieur au comte de la Marck.)