HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION DE 1848

PREMIÈRE PARTIE

 

CHAPITRE XIV. — LE PEUPLE À L'HÔTEL-DE-VILLE.

 

 

Au bruit des crosses de fusil frappant à coups redoublés les portes des tribunes, à la vue de ces hommes ivres ou furieux, qui brandissaient, en poussant des cris menaçants, des piques, des baïonnettes, des coutelas, des sabres dont quelques-uns étaient ensanglantés, l’assemblée tout entière s’était levée comme en sursaut[1]. Les députés s’étaient précipités pêle-mêle, en franchissant les gradins supérieurs de l’amphithéâtre, vers les issues. La duchesse d’Orléans fut, comme je l’ai dit, emportée par ce mouvement. Le petit duc de Chartres, saisi de frayeur, se cramponnait à la main de sa mère ; un huissier enleva dans ses bras le comte de Paris. Quelques amis les suivirent. On se glissa en toute hâte le long du couloir circulaire qu’occupaient d’habitude les pairs de France, et l’on sortit par la petite porte située à l’extrémité du côté gauche de la salle. Là, dans un corridor étroit et sombre, la princesse, heurtée, pressée, presque écrasée contre la muraille par un flux et un reflux d’envahisseurs et de fuyards, fut séparée de ses enfants et jetée tout éperdue au bas de l’escalier.

Plusieurs minutes s’écoulèrent sans qu’on parvint à la dégager. À demi évanouie, elle se laissa entraîner, à travers la salle des Pas-Perdus, jusqu’à la seconde salle d’attente, où la foule n’avait pas pénétré encore ; mais on ne lui laissa pas le temps de respirer, et il lui fallut aussitôt, car on craignait pour ses jours, reprendre sa course, sans s’arrêter, par les couloirs qui communiquent avec l’hôtel de la présidence. Arrivée là, quand elle se vit seule hors de péril, la pauvre mère faillit perdre tout son courage ; elle appelait ses enfants à grands cris ; elle voulait retourner sur ses pas, les chercher, les arracher à la foule ou mourir avec eux. Si l’incertitude se fût prolongée, sa raison n’eût pas résisté, peut-être, à ces inexprimables angoisses.

Par bonheur, au bout de quelques instants, le comte de Paris lui fut rendu, et elle apprit avec certitude que le duc de Chartres était en sûreté. Tous deux avaient couru des dangers. Le comte de Paris était tombé sur les dernières marches de l’escalier, et peu s’en fallut que, dans l’obscurité du couloir, il ne fût foulé aux pieds. Un officier de sa maison, reconnaissant sa voix enfantine, l’avait saisi, emporté dans ses bras, et, l’ayant fait passer à travers une fenêtre basse qui ouvre sur le jardin de la présidence, il le ramenait à sa mère[2]. Au même moment, le duc de Chartres, arraché des mains d’un insurgé par le frère d’un huissier de la Chambre, M. Lipmann, était caché dans les combles du palais. Afin de le mieux déguiser, on lui mettait la robe d’une petite fille du concierge[3]. Vers huit heures du soir, MM. d’Elchingen et d’Houdetot allèrent le prendre pour le conduire chez madame de Mornay, qui demeurait dans le voisinage du palais Bourbon.

C’est à peine si madame la duchesse d’Orléans put un moment se livrer à la joie de retrouver l’un de ses enfants et de savoir l’autre sain et sauf[4] ; MM. de Mornay et Jules de Lasteyrie, ne la jugeant pas en sûreté à l’hôtel de la présidence, la décidèrent à chercher un refuge l’hôtel des Invalides. Elle s’y rendit dans une voiture de place, et M. le duc de Nemours, qui avait changé de vêtements dans un bureau de la Chambre[5] ne tarda pas à la rejoindre.

Le maréchal Molitor reçut comme il le devait ses hôtes royaux, sans dissimuler, toutefois, qu’il ne pouvait répondre de rien, dans le cas où la retraite de la princesse viendrait à être découverte par le peuple. Depuis ce moment jusqu’à six heures du soir, l’hôtel des Invalides vit éclore et s’évanouir bien des dévouements, bien des intrigues. Il se forma autour de la princesse une espèce de conseil. Des communications s’établirent avec le ministère de l’intérieur, où M. Odilon Barrot, entretenu dans ses illusions et secondé par MM. Garnier-Pagès, de Malleville, Gustave de Beaumont, Bixio, Pagnerre, rêvait encore le triomphe de l’opposition dynastique. Des personnages d’opinions bien diverses vinrent, pendant cet intervalle, faire acte d’adhésion à la régence et promettre un concours actif à l’Hôtel de Ville. Si le parti de la Réforme ne l’emportait pas sur l’heure, disaient quelques républicains de la rédaction du National, la régence, fortement appuyée par eux, serait infailliblement proclamée ayant la fin du jour par les députés, par la garde nationale, par la population tout entière rendue à elle-même après un premier moment de surprise.

Pendant que madame la duchesse d’Orléans écoutait d’une oreille incrédule ces assurances d’un zèle bien récent, et montrait, par sa résolution à rester dans Paris, que, du moins, on ne pourrait pas accuser sa faiblesse si le succès ne répondait point à l’attente[6], le gouvernement provisoire nommé à la Chambre s’acheminait vers la place de Grève, où le peuple, maître sans coup férir de l’Hôtel de Ville, inaugurait à sa manière le gouvernement républicain.

Sorti le premier du palais Bourbon, M. de Lamartine, après avoir attendu quelques instants ses nouveaux collègues, avait pris la tête du cortège. M. Bastide et un officier de la première légion, le capitaine Saint-Amant, lui donnaient le bras. Le capitaine Dunoyer, entouré de sa petite escorte, et portant le drapeau tricolore, qu’il avait maintenu pendant toute la séance à la tribune des orateurs, le suivait. MM. Laverdant et Cantagret, rédacteurs de la Démocratie pacifique, quelques élèves des écoles et quelques gardes nationaux, se pressaient autour de lui. À peu de distance, venait M. Dupont (de l’Eure), que son grand âge empêchait de marcher, et que l’on avait fait monter dans un cabriolet de place[7]. M. Crémieux ne tarda pas à le rejoindre. On s’avance ainsi, quatre de front, précédés de deux tambours, par le quai d’Orsay, dans la direction de l’Hôtel de Ville.

Le cortège n’était pas considérable ; il se composait de six cents personnes au plus. La foule, qu’attirait la curiosité, et qui questionnait sur les événements accomplis, tout en se découvrant, et en criant, à l’instar des insurgés : Vive Lamartine ! vive Dupont (de l’Eure[8]) ! vive le gouvernement provisoire ! ne donnait pas non plus l’idée d’une force capable de résister à la moindre attaque. Et cette attaque, tout la rendait probable. Les régiments, dont on apercevait encore des escadrons et des bataillons défiler en bon ordre de l’autre côté de la Seine ; les forts au pouvoir de la royauté ; le maréchal Bugeaud et les jeunes princes brûlant, sans doute, de prendre une prompte revanche sur le peuple ; la garde nationale reconnaissant enfin qu’elle avait été jouée par les républicains et se rangeant autour de la régente ; les pairs et les députés réunis à ses côtés et reconstituant en un clin d’œil la représentation constitutionnelle : c’étaient là des perspectives peu rassurantes pour les chefs politiques que l’insurrection venait de se donner. M. de Lamartine, tout en marchant résolument vers l’Hôtel de Ville, songeait à ces éventualités imminentes. Les scènes néfastes de la première Révolution lui revenaient en mémoire ; il était las, brisé par la lutte ; mais il n’en conservait pas moins cette parfaite liberté d’esprit, cet à-propos du geste et de la parole qui étonne et subjugue toujours les multitudes. Un mot heureux dans sa simplicité vint distraire les préoccupations du trajet. Ce mot, accueilli avec enthousiasme et répété de bouche en bouche, fut le signal et comme l’inauguration d’une popularité prodigieuse qui, bientôt consacrée par une élection de quinze cent mille suffrages, fit du court passage d’un poète au pouvoir quelque chose d’inouï, d’inexprimable, une espèce de dictature idéale plus semblable au rêve qu’a la réalité, et qui tient du roman plus que de l’histoire.

Comme on touchait à la caserne du quai d’Orsay, où le régiment de dragons rentrait à peine, quelques soldats, entendant les cris de Vive le gouvernement provisoire ! appellent aux armes. M. de Lamartine redoute une collision ; il frémit en pensant à la catastrophe du boulevard des Capucines et, s’approchant de la grille fermée derrière laquelle la troupe regarde avec défiance, il se plaint à haute voix d’une soif extrême, et demande à boire aux dragons. L’un d’eux court chercher une bouteille ; le vin est versé ; M. de Lamartine prend le verre ; mais, avant de le porter à ses lèvres, il l’élève de sa main droite, et, promenant un regard calme et doux sur la foule agitée : Mes amis, dit-il, voici le banquet. C’était rappeler et célébrer en deux mots l’origine et la fin de la lutte, le droit contesté et reconquis la liberté vengée. Un cri passionné de Vive Lamartine ! répond à ce toast. Soldats et peuple fraternisent ; le danger est conjuré. On se remet en marche.

La colonne traverse la Seine par le pont Neuf et arrive au quai de la Mégisserie, où des barricades élevées de vingt pas en vingt pas obstruent le passage. M. Crémieux, qu’on avait fait monter en voiture, met pied à terre, ainsi que M. Dupont (de l’Eure), qu’on est obligé de soulever à chaque instant pour l’aider à franchir les pavés amoncelés. L’aspect du quai est triste. De longues traînées de sang, des débris d’équipement, des cadavres de chevaux gisant par terre, des brancards sur lesquels on emporte des morts et des blessés, tout atteste de récents combats. La foule aussi devient plus serrée et plus houleuse à mesure qu’on approche de la place de Grève. Une jeune femme, étrangement affublée du casque et des buffleteries d’un garde municipal, sort d’un groupe et vient embrasser le capitaine Dunoyer en criant : Vive la République ! Elle veut aussi donner l’accolade à M. de Lamartine ; mais celui-ci, lui montrant du geste les blessés qui passent, l’engage par quelques paroles sévères à quitter les combattants pour les victimes.

Quand le cortège déboucha à l’angle du quai, la place de Grève présentait un spectacle indéfinissable. Jonchée de cadavres de chevaux, de tronçons d’armes, d’équipements ensanglantés ; hérissée de piques et de baïonnettes, parmi lesquelles flottaient les étendards de l’insurrection victorieuse, elle semblait, sous la brume d’un jour pluvieux qui noyait dans le vague toutes les formes et tous les contours, s’étendre indéfiniment pour embrasser dans son sein les flots toujours croissants du peuple. Quatre pièces de canon abandonnées par la troupe gardaient, chargées à mitraille, l’entrée de la Maison commune, au-dessous de la figure en bronze du roi Henri. L’atmosphère était imprégnée d’une excitante odeur de poudre. Au-dessus du bruissement confus de la multitude, on entendait le glas monotone et solennel du bourdon dans les tours de Notre-Dame. À toutes les croisées, à tous les balcons, sur le rebord des toits, des combattants, agitant des drapeaux, haranguaient le peuple et lui jetaient des noms qui se perdaient dans l’espace. Un seul cri vibrant et passionné sortait distinct de tous ces cœurs émus, de toutes ces bouches frémissantes, pour s’élever vers le ciel : LA RÉPUBLIQUE !

Quand la foule, exaltée, enivrée, toute palpitante encore de son triomphe, aperçut tout à coup, se dirigeant vers l’Hôtel de Ville, un cortège précédé du drapeau tricolore et qui, disait-on, venait de la Chambre des députés pour prendre possession du gouvernement, elle entra en défiance. On nous trompe ! on nous trahit ! c’est comme en 1830 ! murmurait-on dans les groupes armés où dominaient les sectionnaires, les combattants de 1832 et de 1834, les membres des sociétés secrètes. Le moindre signe eût suffi pour que le peuple, ainsi sur ses gardes, s’opposât au passage du cortège suspect. Il fallut que des hommes intrépides et robustes fissent, en quelque sorte, l’office de pionniers pour frayer au gouvernement provisoire un chemin à travers cette masse impénétrable, qui le regardait d’un œil soupçonneux. Mais, au nom de Dupont (de l’Eure), répété par quelques insurgés, les têtes se découvrent. Les plus voisins, apercevant ce vieillard qui se soutenait à peine, sont émus. On se range pour lui faire place. À la faveur de ce mouvement, les autres membres du gouvernement provisoire, séparés les uns des autres par les oscillations de la foule, parviennent jusqu’à la porte du centre. Le flot les pousse ; ils franchissent, sans trop savoir comment, ce passage étroit où fourmillaient des milliers d’hommes, et se trouvent dans l’intérieur de l’Hôtel de Ville.

Un tumulte sans nom faisait trembler les murs du vieil édifice. Au bruit des coups de feu que les combattants déchargeaient en signe de joie dans les corridors, des chevaux abandonnés par la garde municipale bondissaient, effarés, hennissants, sur la poudre qui jonchait le sol, et d’où leurs piétinements tiraient l’étincelle. Tout à côté, sur la paille, gémissaient des blessés, des mourants. Le cliquetis des armes qui s’entrechoquaient dans l’effort de la foule pour monter ou descendre les escaliers, l’éclat des vitres brisées sur les dalles, les imprécations, les rires convulsifs, renvoyés par mille échos sous ces voûtes sonores, assourdissaient l’oreille et jetaient dans tous les sens un trouble qui tenait du vertige[9].

Après avoir longtemps flotté à la merci de tous ces courants, tantôt poussés l’un vers l’autre, tantôt séparés par la vague populaire, MM. de Lamartine et Dupont (de l’Eure) parvinrent au premier étage. MM. Ledru-Rollin, Crémieux, Marie, y arrivaient aussi peu après et de la même façon ; mais, poussés, portés, jetés dans un labyrinthe de salles, de galeries, de vestibules, d’escaliers, de couloirs inconnus où s’engouffrait une multitude fiévreuse, inquiète, qui ne voulait rien entendre, ils errent pendant plus d’une heure, livrés isolément à leurs inspirations, haranguant sans s’être concertés, et parlant, un peu au hasard, de calme, de concorde, de dévouement au peuple, de gouvernement national. Chacun d’eux trouvait sur son chemin quelque orateur populaire qui, le pistolet au côté ou le sabre au poing, debout sur un banc, sur une table, sur une console, proclamait, selon son bon plaisir, un gouvernement quelconque. Il y eut bien certainement plus de cinquante noms acclamés à la fois, pendant ces premières heures, dans les différentes parties de l’Hôtel de Ville. Les hommes les plus étrangers, les plus antipathiques les uns aux autres, se voyaient rapprochés par la passion révolutionnaire ou par les calculs de la politique.

Ici, c’étaient les chefs des sociétés secrètes, les anciens détenus, les conspirateurs, les combattants des barricades, auxquels on décernait la dictature. Là, quelques émissaires du parti bonapartiste prononçaient le nom du prince Louis ; plus loin, on nommait M. de Lamennais[10]. Ailleurs, M. de la Rochejacquelein, dont la forte stature, la chevelure touffue, la voix sonore et le visage épanoui appelaient les regards, ravissait la foule, qui ignorait son nom, par la violence de ses diatribes contre la dynastie d’Orléans[11].

Dans la salle du trône, une assemblée permanente et tumultuaire discutait les motions et rendait les décrets les plus extravagants.

Dans la salle du conseil municipal, les partisans du comte de Paris essayaient, mais sans aucun succès, de ramener les esprits à l’idée de régence. C’est dans cette salle que le peuple avait fait son premier acte de souveraineté. Voici ce qui s’y était passé depuis le matin.

On se rappelle que le général Sébastiani avait été chargé par le maréchal Bugeaud de la défense de l’Hôtel de Ville. Le général Tallandier et le colonel Garraube l’assistaient ; la 9e légion, sous les ordres du colonel Boutarel, était rangée le long des murs du palais, dans l’intérieur des grilles. Les dispositions de la garde nationale étaient, là comme partout, très-indécises. Loin d’animer la troupe, elle lui communiquait son hésitation. Les mesures prises par le général Sébastiani avaient, d’ailleurs, par leur résultat fâcheux, fort ébranlé la confiance du soldat. Au lieu de laisser la troupe massée autour de l’Hôtel de Ville, le général avait envoyé dans toutes les directions des détachements trop faibles pour tenir tête à l’émeute. Le peuple, bien avisé, les laissait s’engager sans combat dans les rues étroites ; mais à peine étaient-ils passés, qu’on élevait sur leurs derrières des barricades qui rendaient la retraite impossible. Pris de la sorte dans d’étroits défilés d’où ils recevaient, sans pouvoir le rendre, le feu de maisons de cinq ou six étages, les soldats, tout à la fois menacés et exhortés par le peuple à fraterniser, se laissaient désarmer. Aucun des détachements envoyés par le général Sébastiani ne revint ; et l’émeute, avançant résolument sur tous les points, triomphait sans presque avoir combattu.

La nouvelle de l’abdication du roi fut un dernier coup porté à la constance du général Sébastiani. Seul, à pied, couvert d’un ample manteau, il quittait l’Hôtel de Ville, quand ses officiers lui demandèrent quels étaient ses ordres : Ce qu’il y a de plus prudent à faire, leur dit-il, c’est de se retirer le plus promptement possible. Les troupes abandonnèrent alors la place après avoir, pour la plupart, livré leurs armes au peuple, qui se précipita par la porte d’Henri IV dans l’intérieur de l’Hôtel de Ville. Soixante-deux hommes de la garde municipale s’étaient réfugiés dans une cour sans issue. Résignés à une mort certaine, ils avaient déposé leurs armes ; silencieux, immobiles, ils attendaient les premiers coups d’un ennemi qu’ils croyaient sans pitié. Mais un homme de cœur était là, qui se dévoue à leur salut. M. Flottard, l’un des administrateurs de la municipalité[12], s’avance à la rencontre des insurgés ; détachant de sa poitrine la croix de Juillet, il la montre à la foule et s’écrie : Au nom du peuple vainqueur, écoutez un vétéran de la liberté ! plus de sang ! plus de vengeance ! grâce aux prisonniers ! — Grâce aux prisonniers ! répond une voix parmi la foule ; la vengeance du peuple, c’est la clémence !Il n’y a que les Autrichiens qui tuent les prisonniers, dit une autre voix. Voyant que ses paroles ont trouvé de l’écho, M. Flottard s’enhardit ; sa grande et forte stature, une ressemblance lointaine avec le poète populaire, Béranger, le servent ; il se tourne vers les gardes municipaux, et, tenant sa croix suspendue sur le front incliné du maréchal des logis : Soldats, dit-il, passez sous cet insigne glorieux, et vous ne verrez plus devant vous que des amis, que des frères.

Les gardes municipaux passent un à un sous la croix ; la colère du peuple s’est évanouie ; elle a fait place à la compassion ; c’est à qui, parmi ces combattants républicains, aidera, protégera, recueillera dans sa demeure les soldats de la monarchie.

M. de Rambuteau avait quitté son poste quelques instants avant l’irruption du peuple. Comme M. Flottard lui proposait de convoquer d’urgence le conseil municipal, un homme en uniforme de garde national entrait, et, demandant M. de Rambuteau, il lui déclarait qu’il venait au nom du peuple le destituer de ses fonctions et prendre sa place. Il ajoutait à cette sommation la demande étrange que M. de Rambuteau le fit reconnaître par les fonctionnaires présents et par le conseil municipal qui allait se rassembler. M. de Rambuteau déclina sa compétence, mais il ne contesta point les pouvoirs de son successeur et lui céda la place. Le nouveau préfet était un lieutenant de la huitième légion, fabricant de vignettes pour les confiseurs ; il se nommait M. Jourdan. MM. Say, Journet, Thierry et Flottard, fonctionnaires de l’Hôtel de Ville, décidèrent entre eux de convoquer le conseil municipal. Ils se rendirent dans la salle des délibérations, qui était déjà envahie par la foule. Une douzaine d’élèves de l’École polytechnique, qui se trouvaient là, rédigèrent à la hâte et portèrent aussitôt les lettres de convocation. Malgré les prétentions de M. Jourdan, qui voulait absolument présider, et qui occupait déjà le fauteuil, le docteur Thierry y fut installé par les gardes nationaux et les élèves de l’École polytechnique, qui se groupèrent autour de lui pour le protéger. M. Jourdan jugea prudent de se retirer. MM. Recurt et Flottard prirent place auprès du docteur Thierry, et après s’être un instant concertés, ces messieurs déclarèrent la séance ouverte. Un certain calme s’établit aussitôt dans l’auditoire et l’on put commencer à délibérer. Plusieurs propositions furent faites coup sur coup. M. Delestre ayant proposé de se constituer en comité de sûreté générale, on perdit un temps précieux à discuter l’opportunité de cette mesure. Une grande partie des membres du conseil, fort mal à l’aise au milieu du peuple en armes qui affluait de plus en plus dans la salle, épouvantés surtout de la rumeur qu’on entendait sur la place et qui s’approchait, élevèrent des scrupules sur la légalité de leur convocation. Au bout de quelques instants on s’aperçut qu’ils avaient disparu. M. Jourdan s’était aussi laissé éconduire par quelques gardes nationaux ; il ne resta bientôt plus à leur poste que MM. Say, Recurt, Flottard, le docteur Thierry et deux ou trois autres.

En ce moment, un petit groupe fait effort pour pénétrer dans la salle : Place ! place ! s’écrie M. Thierry, qui vient de reconnaître MM. Garnier-Pagès, Gustave de Beaumont et de Malleville. Ces messieurs arrivaient du ministère de l’intérieur. S’étant approchés du docteur Thierry, ils lui font connaître à voix basse la situation.

Cependant le peuple, qui s’impatiente de ces lenteurs, commence à s’agiter et à murmurer. Un des combattants, monté sur une console, prend la parole ; c’est un homme de haute taille, d’un très-beau visage, dont la longue barbe rousse tombe jusqu’au milieu de la poitrine ; et qui porte en bandoulière, sur son paletot, un fusil de munition ; il fait avec une certaine éloquence un tableau rapide et accusateur du règne de Louis-Philippe ; il conclut en demandant le jugement immédiat du roi et sa condamnation à mort. À ces mots, un sentiment de répulsion se manifeste dans l’auditoire ; le docteur Thierry se lève et proteste avec une grande énergie de paroles, de ton et de geste : Pas de sang ! s’écrie-t-il ; ne déshonorons pas la victoire du peuple ! plus d’échafauds ! plus de victimes ! J’ai passé vingt années au chevet des mourants ; je sais ce que vaut la vie de l’homme. Au nom de l’humanité, au nom de la philosophie, au nom de la révolution, je demande l’abolition de la peine de mort ! Quelques murmures grondent ça et là, mais un immense applaudissement de ce peuple généreux les couvre aussitôt. L’orateur terroriste est déconcerté ; il essaye en balbutiant d’expliquer et d’atténuer sa motion : des huées et des sifflets le forcent au silence.

M. Flottard propose aux assistants d’élire à la place du conseil déchu un pouvoir municipal populaire et de rétablir la mairie de Paris. Cette proposition est bien accueillie. On procède avec régularité à l’élection. Le peuple accepte, en levant la main, par épreuve et contre-épreuve, la nomination de M. Garnier-Pagès à à la mairie de Paris. M. Garnier-Pagès, après avoir remercié ses concitoyens et demandé le respect pour l’autorité qui vient de lui être remise, propose à son tour d’élire, comme adjoints à la mairie, MM. de Malleville et de Beaumont ; mais ce dernier décline, en son nom et au nom de son collègue, l’honneur qu’on veut leur faire, ne se sentant pas, dit-il, en possession d’une assez grande popularité pour apporter au pouvoir municipal la force nécessaire. Sur la proposition de M. Flottard, MM. Guinard et Recurt sont élus ; les députés dynastiques, comprenant qu’ils n’ont plus rien à faire dans ce mouvement, profitent du tumulte et s’esquivent.

Le maire de Paris et ses adjoints quittent presque aussitôt la salle, et, guidés par M. Flottard, ils vont se réfugier dans une pièce retirée où le peuple n’a point pénétré encore. Pendant qu’ils sortent d’un côté, M. Charles Lagrange entre de l’autre. Il se nomme au peuple ; il lui annonce l’arrivée d’un comité provisoire élu dans les bureaux de la Réforme. Il demande qu’on évacue la salle, afin que le nouveau gouvernement puisse plus librement délibérer. Comme il parlait encore, on aperçoit sur le seuil, dominant la foule de sa haute taille, le visage fortement coloré, le front en sueur, M. Ledru-Rollin. Un retentissant vivat ! salue son entrée. On lui fait place, on le conduit au bureau, on l’invite à prendre la parole. Il commence alors un récit animé des événements qui viennent de s’accomplir au palais Bourbon. De fréquents bravos l’interrompent ; mais, lorsqu’il raconte l’élection d’un gouvernement provisoire, les physionomies se rembrunissent : l’idée d’un pouvoir issu de la Chambre des corrompus excite les soupçons du peuple. On entoure M. Ledru-Rollin, on l’assaille de questions, on exige de lui une profession de foi républicaine et l’assurance qu’il n’entend tenir ses pouvoirs que du suffrage populaire, que la foule réunie à l’hôtel de Ville prétend exclusivement représenter. Personne, à ce moment, ne pouvait songer à discuter ses prétentions.

À peine a-t-on achevé de s’expliquer, que la porte de la salle s’ouvre et que l’on voit s’avancer péniblement, à travers l’auditoire agité, M. Dupont (de l’Eure), s’appuyant d’un côté sur un député de son département, M. Legendre, de l’autre, sur une femme âgée, attachée à son service, qui le protège du geste et de la voix contre la pression de la foule. Il prend place au bureau. Peu d’instants après, M. de Lamartine, qui n’a pas cessé de haranguer de salle en salle, de signer des proclamations[13], des feuilles volantes, sur lesquelles on lui faisait écrire : Vive la République ! vient le rejoindre. On demande à M. Dupont (de l’Eure) de proclamer les noms des élus du peuple ; mais la chaleur est si suffocante, l’air si épais, le bruit si étourdissant dans cette salle, où la foule afflue et s’entasse incessamment depuis quelques heures, que le vieillard se trouve mal. Il faut l’emporter. M. de Lamartine, pour occuper les esprits, recommence une dixième fois peut-être le récit des événements de la journée. Il parle avec beaucoup de circonlocutions et de réserve de la forme de gouvernement qu’il conviendrait au pays de se donner. Il veut insinuer que le gouvernement provisoire ne peut rien statuer à cet égard de définitif ; mais de violents murmures et des gestes peu équivoques l’avertissent qu’il touche l’écueil. Il déclare, alors, qu’il est personnellement décidé pour la République, mais il répète que personne n’a, selon lui, le droit de l’imposer à la France.

La réprobation générale que soulèvent ces paroles fait comprendre à M. de Lamartine qu’il serait insensé de vouloir tenir tête à cette multitude, et, sur un mot que vient lui dire à voix basse M. Flottard, il quitte le bureau et va rejoindre, dans le cabinet du secrétariat, M. Garnier-Pagès et M. Dupont (de l’Eure), qui a trouvé enfin un peu d’air et de repos loin de la foule. Au bout de quelques instants, MM. Ledru-Rollin et Arago arrivent[14]. On va pouvoir délibérer.

On commence par se barricader du mieux que l’on peut. Une dizaine d’élèves de l’École polytechnique, quelques hommes dévoués, se placent en guise de sentinelles dans la galerie vitrée qui précède le cabinet ; ils se mettent en travers des portes, les étayent de leurs épaules, résistent ou parlementent avec ceux du dehors. À chaque instant, ils ont à soutenir un nouvel assaut. Les délégués du peuple veulent entrer ; ils prétendent assister aux délibérations et surveiller les actes du gouvernement. Ils insistent et menacent ; ils ont d’autres dictateurs sous la main en cas de tergiversations. On les exhorte à la patience, on tâche d’obtenir d’eux au moins quelque répit, mais c’est à grand’peine qu’on parvient à les écarter un moment. La présence de M. Ledru-Rollin au conseil n’est pas à leurs yeux une garantie suffisante[15]. Ils veulent un comité de salut public tout à eux. Du fond de la place, ou entend aussi un mugissement sourd, continu, formidable : c’est la grande voix du peuple, qui s’indigne des lenteurs qu’on apporte à proclamer la République. Et la nuit vient, et le péril est pressant : péril du côté des partisans de la royauté, qui conspirent selon toute apparence ; péril surtout du côté de ces multitudes enfiévrées par le combat, par le jeûne, par l’attente, par le soupçon. La ville entière est à leur merci. Des hommes sans aveu, des malfaiteurs de toutes sortes, qui espèrent, à la faveur de l’anarchie politique, commettre impunément leurs forfaits, n’attendent sans doute que le signal du massacre et du pillage. Paris peut être ensanglanté et dévasté avant qu’aucune autorité ait eu le temps et la puissance de se faire reconnaître. MM. Dupont (de l’Eure) et Arago, pensifs, soucieux, obsédés de tristes souvenirs et de plus tristes pressentiments, attendent, assis aux deux côtés de la cheminée, que l’on propose quelque mesure. On ne lit sur leur visage que doute et résignation. M. de Lamartine, au contraire, semble plein de confiance en lui-même et dans l’avenir ; sa pensée s’est déjà familiarisée avec l’élément révolutionnaire. Il sent croître en lui, depuis quelques heures, le courage et l’éloquence, ces deux dons souverains devant lesquels s’incline le peuple. Le génie de la France apparaît à son imagination éblouie. Des espérances exaltées de grandeur et de gloire l’enlèvent au sentiment de la réalité.

Autour de lui se groupent les indécis. M. Crémieux[16] s’agite et parle avec animation en termes vagues. Avocat habile et disert, il se tient prêt depuis le matin pour la régence ou pour la République. M. Marie, et surtout M. Garnier-Pagès, étourdis par la rapidité du courant qui les entraîne, perdent pied et renoncent à toute initiative[17]. Quant à M. Marrast, qui vient d’arriver, il reste à l’écart, observe tout, garde le silence. Comme on va s’asseoir et tâcher enfin de s’entendre sur les mesures les plus urgentes, la porte s’ouvre ; le groupe qui défend l’accès du conseil se range. On voit entrer deux hôtes que l’on n’attendait point : MM. Louis Blanc et Flocon. Cette apparition paraît surprendre désagréablement plusieurs des personnes présentes. Il y a un moment d’embarras. Quelques chuchotements, quelques regards ombrageux, protestent contre l’intrusion des nouveaux venus. Que viennent-ils faire ici ? dit M. Crémieux à M. de Lamartine. — Je l’ignore, répond celui-ci du ton de la plus parfaite indifférence.

M. Louis Blanc, sans se laisser déconcerter, s’avance vers la table où siégeaient déjà MM. Dupont (de l’Eure) et Arago. Eh bien, messieurs, dit-il, délibérons. À ces mots, M. Arago le regarde d’un air profondément étonné et lui dit avec hauteur : Sans doute, monsieur, nous allons délibérer, mais pas avant que vous soyez sorti.

La colère se peint sur les traits de M. Louis Blanc. Des paroles très-vives lui échappent. Une altercation s’engage. M. Louis Blanc se prétend, avec raison, aussi légitimement élu que les autres membres du gouvernement provisoire, puisqu’il vient d’être élu comme eux, dans la salle Saint-Jean, par l’acclamation populaire[18]. M. Garnier-Pagès, qui préside en qualité de maire de Paris, essaye d’étouffer le débat en proposant de partager les attributions du pouvoir et en glissant avec négligence la dénomination de secrétaires, qui s’applique évidemment à MM. Marrast, Flocon et Louis Blanc, dont l’élection n’a pas été faite à la Chambre. Offensé de cette insinuation, ce dernier menaçait déjà de se retirer et d’en appeler au peuple, quand M. Ledru-Rollin intervient et le conjure, ainsi que MM. Flocon et Marrast, au nom de leur patriotisme à tous trois, de ne pas semer la discorde au sein de la République naissante. M. Flocon cède sans peine ; M. Marrast n’avait pas soufflé mot ; M. Louis Blanc, dans l’impossibilité de soutenir une prétention qui devient toute personnelle, se résigne ou du moins paraît se résigner au titre modeste de secrétaire ; mais il annonce en même temps, avec autorité, au gouvernement provisoire, un collègue, sur lequel celui-ci ne comptait certes pas, l’ouvrier Albert, élu, affirme M. Louis Blanc, comme lui et avec lui, par le peuple. Personne n’élève d’objection. C’était l’heure des concessions mutuelles. On se dit tout bas, de part et d’autre, qu’il faut se supporter en attendant qu’on soit assez fort pour s’exclure.

Le nom d’Albert, ouvrier mécanicien[19], avait, en effet, été proclamé dans la cour de l’hôtel Bullion, sous les fenêtres des bureaux de la Réforme, par une bande d’insurgés qui revenaient des Tuileries. M. Albert était un conspirateur obscur, dont la presse démocratique ne s’était jamais occupée mais, le 24 février, il suffisait d’avoir montré du courage aux barricades pour enthousiasmer le peuple. C’est, sans doute, à quelque marque de bravoure, ou tout simplement à quelque mot heureux, que M. Albert dut la subite ovation qui le porta au pouvoir, car personne ne put s’expliquer autrement, dans la suite, le motif qui l’avait fait préférer à tant d’autres plus capables et moins ignorés. Toutefois, malgré la fâcheuse médiocrité de la personne élue, la nomination d’un ouvrier au gouvernement provisoire est un fait historique dont il ne faut pas méconnaître le sens et le caractère. Elle est le signe de l’émancipation, aveugle encore, mais désormais assurée, de la classe laborieuse elle marque l’heure du passage de la révolution politique à la révolution sociale.

M. Louis Blanc, sentant quel appui précieux il allait trouver dans un homme du peuple, qui lui servirait d’intermédiaire auprès des ouvriers et n’aspirerait jamais à jouer un rôle principal, applaudit de grand cœur à la nomination du prolétaire, et, courant aussitôt des bureaux de la Réforme à ceux du National, où l’on imprimait, pour la distribuer dans les rues, la liste du gouvernement provisoire, il y fit ajouter le nom d’Albert. Puis il se rendit à l’Hôtel de Ville avec M. Flocon, fit, dans la salle Saint-Jean, où le peuple tenait des espèces de comices, une profession de foi socialiste, dans laquelle il prononça le mot d’organisation du travail, charma la foule, reçut d’elle la confirmation de ses pouvoirs, et parut, comme nous l’avons vu, dans le conseil du gouvernement. Ce fut une mortification insupportable à son orgueil que l’accueil de M. Arago et surtout l’intervention de M. Ledru-Rollin pour lui faire accepter un titre subalterne[20]. Dès cette heure commença entre lui et la majorité du conseil une lutte sourde d’abord, mais de moins en moins dissimulée, qui fit en grande partie la faiblesse du pouvoir, paralysa son action et n’aboutit, après des crises funestes au pays, qu’à une neutralisation de forces dont profitèrent seuls les partis hostiles à la République.

Cette divergence profonde entre la majorité et la minorité du conseil se trahit au moment même où l’on allait délibérer sur les termes de la proclamation par laquelle on annonçait au peuple son propre triomphe et la chute de la dynastie. M. de Lamartine en avait d’abord rédigé une qui contenait ces mots : Le gouvernement provisoire déclare que la République est adoptée provisoirement par le peuple de Paris et par lui ; et encore : sous le gouvernement populaire et républicain, proclamé par le gouvernement provisoire, etc. Cette rédaction mécontenta également les deux partis. MM. Louis Blanc, Ledru-Rollin, Flocon, voulaient proclamer la République simplement et sans aucune condition de ratification. MM. Garnier-Pagès, Marie, Dupont (de l’Eure), voulaient qu’on se tût sur la forme définitive du gouvernement ; ils admettaient tout au plus l’expression d’une préférence pour le gouvernement républicain. M. Arago refusait d’apposer son nom a un acte qu’il qualifiait d’usurpation. Pour tourner l’écueil, MM. de Lamartine et Crémieux, qui tenaient la plume, s’efforçaient de trouver des expressions neutres, acceptables pour toutes les susceptibilités. La chose n’était pas facile. Bien des rédactions furent successivement proposées et rejetées. Enfin, l’on en adopta une de la main de M. de Lamartine, qui fut sur-le-champ envoyée au Moniteur. Elle était ainsi conçue :

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS.

Proclamation du gouvernement provisoire au peuple français.

Un gouvernement rétrograde et oligarchique vient d’être renversé par l’héroïsme du peuple de Paris. Ce gouvernement s’est enfui en laissant derrière lui une trace de sang qui lui défend de revenir jamais sur ses pas.

Le sang du peuple a coulé comme en juillet, mais, cette fois, ce généreux sang ne sera pas trompé. Il a conquis un gouvernement national et populaire en rapport avec les droits, les progrès et la volonté de ce grand et généreux peuple.

Un gouvernement provisoire, sorti d’acclamation et d’urgence par la voix du peuple et des députés des départements, dans la séance du 24 février, est investi momentanément du soin d’assurer et d’organiser la victoire nationale. Il est composé de :

MM. Dupont (de l’Eure), Lamartine, Crémieux, Arago (de l’Institut), Ledru-Rollin, Garnier-Pagès, Marie.

Ce gouvernement a pour secrétaires

MM. Armand Marrast, Louis Blanc et Ferdinand Flocon.

Ces citoyens n’ont pas hésité un instant à accepter la mission patriotique qui leur était imposée par l’urgence. Quand la capitale de la France est en feu, le mandat du gouvernement provisoire est dans le salut public. La France entière le comprendra et lui prêtera le concours de son patriotisme. Sous le gouvernement populaire que proclame le gouvernement provisoire, tout citoyen est magistrat.

Français ! donnez au monde l’exemple que Paris a donné à la France. Préparez-vous, par l’ordre et la confiance en vous-mêmes, aux institutions fortes que vous allez être appelés à vous donner.

Bien que le gouvernement provisoire agisse uniquement au nom du peuple français et qu’il préfère[21] la forme républicaine, ni le peuple de Paris ni le gouvernement provisoire ne prétendent substituer leur opinion à l’opinion des citoyens, qui seront consultés sur la forme définitive du gouvernement que proclame la souveraineté du peuple.

L’unité de la nation, formée désormais de toutes les classes de citoyens qui la composent ; le gouvernement de la nation par elle-même ;

La liberté, l’égalité et la fraternité pour principes ; le peuple pour devise et mot d’ordre : voilà le gouvernement démocratique que la France se doit à elle-même, et que nos efforts sauront lui assurer[22].

 

On voit par là que M. de Lamartine, soit irrésolution, soit désir sincère de maintenir le bon accord, faisait céder ses convictions personnelles aux vœux de la majorité. M. Ledru-Rollin ne signa point cette proclamation, la trouvant trop ambiguë. M. Flocon, qui l’avait signée sans la lire, biffa son nom en voyant que M. Ledru-Rollin n’y avait pas mis le sien. M. Albert, qui n’était pas présent, ne put signer la pièce originale. Son nom fut ajouté sur l’épreuve du Moniteur, avec celui de M. Flocon, par M. Louis Blanc.

Cependant le peuple, en proie à une inquiétude et à une irritation toujours croissantes, ne cessait d’envoyer au gouvernement provisoire des délégués armés qui menaçaient des plus terribles malheurs si l’on ne se hâtait de proclamer la République. Les faubourgs et la banlieue versaient incessamment sur la place de nouvelles masses populaires qui ranimaient l’ardeur de celles que l’attente avait lassées ; elles assaillaient l’Hôtel de Ville, remplissaient les salles, les couloirs, et venaient assiéger les portes du conseil. À toute minute, quelques-uns des membres du gouvernement, auxquels se joignaient des citoyens accourus pour offrir leur concours, MM. Félix Pyat, Bethmont, de Courtais, Barthélemy Saint-Hilaire, Recurt, Guinard, Bixio, Duclerc, Thomas, Sarrans, Hetzel, etc., sortaient et haranguaient la foule ; ils imploraient d’elle quelques minutes de calme et de silence. À la vue de M. de Lamartine l’agitation redoublait ; il semblait tout à la fois plus suspect et plus cher au peuple que tous ses collègues. C’est un aristocrate ! c’est un royaliste ! c’est un girondin ! criaient les fanatiques. D’autres, au contraire, le voulaient porter en triomphe ; et lui, toujours placide au plus fort de l’orage, écartait du geste ou détournait d’un mot, d’un regard, les armes braquées sur sa poitrine[23]. Mais tous ces mots heureux, toutes ces supplications, toutes ces harangues, n’obtenaient que de courtes trêves, et le tumulte recommençait aussitôt avec une intensité plus grande. Pendant que M. de Lamartine parlait au peuple, dans la salle Saint-Jean, M. Louis Blanc était descendu au bas de l’escalier ; une table se trouvait là : il y monte. Le gouvernement, dit-il, veut la République. Un cri d’enthousiasme lui répond. Des ouvriers écrivent au charbon, en lettres énormes, sur une grande pièce de toile : La République une et indivisible est proclamée en France. Cela fait, ils montent sur le rebord d’une des fenêtres, et déroulent l’inscription à la lumière des torches. Quand le manifeste du gouvernement fut rapporté de l’imprimerie, on sentit que l’atmosphère était changée, et qu’une rédaction aussi équivoque, si on la lisait au peuple, allait le mettre hors de lui et pouvait tout perdre. M. Louis Blanc renouvelle avec force ses instances ; il triomphe enfin des répugnances de ses collègues. Au paragraphe où il était dit : Bien que le gouvernement provisoire soit de cœur et de conviction pour le gouvernement républicain, etc., revenant à la première rédaction de M. de Lamartine, on substitue ces mots : Le gouvernement provisoire veut la République, sauf ratification par le peuple, qui sera immédiatement consulté[24]. Et la proclamation, ainsi modifiée, est jetée sur des centaines de feuilles volantes par les fenêtres de l’Hôtel de Ville. Elle apaise les bouillonnements de la place. Aux soupçons et aux menaces succède une explosion de joie qui tient du délire. Le peuple reprend confiance dans ses élus. Le conseil peut enfin songer à organiser le pouvoir et à se partager le fardeau des affaires.

La présidence du conseil, sans portefeuille, est donnée, par acclamation, à M. Dupont (de l’Eure). Son grand âge, l’intégrité de son caractère et la simplicité républicaine de sa vie commandaient le respect. C’était un nom sans tache. On espérait qu’il imposerait au peuple, et même aux rivalités impatientes qui déjà se trahissaient au sein du gouvernement.

La nomination de M. de Lamartine au ministère des affaires étrangères se fit également par acclamation. Chacun comprenait qu’il fallait une extrême prudence dans les rapports avec l’étranger ; qu’il était habile de ménager la transition et d’accoutumer les représentants de l’Europe monarchique à la France républicaine, par l’entremise d’un homme noble d’origine, de manière et de langage. M. Arago prit la marine sans que personne soulevât d’objection. L’éclat de son nom démocratique et sa science incontestée lui donnaient une autorité précieuse pour un gouvernement à peine debout sur un sol qui tremblait. Il y eut plus d’hésitation pour le ministère de l’intérieur ; on flottait entre MM. Ledru-Rollin et Crémieux mais ce dernier, tranchant lui-même la question, déclara qu’il était indispensable de donner satisfaction au peuple en plaçant à l’intérieur l’homme qui représentait le mieux le mouvement révolutionnaire, et il se contenta du portefeuille de la justice.

M. Garnier-Pagès, élu maire de Paris par le peuple, tenant à garder ce poste important, n’accepta point de ministère. Il s’adjoignit à la mairie MM. Recurt et Guinard, en qualité d’adjoints[25], M. Flottard, en qualité de secrétaire général, et désigna pour les finances un banquier d’une probité reconnue, qui s’était fait au National une réputation d’habileté, M. Goudchaux. M. Carnot fut chargé du ministère de l’instruction publique, auquel on réunit les cultes. M. Marie reçut le portefeuille des travaux publics, et M. Bethmont, député de l’opposition, celui du commerce. Le commandement général de la garde nationale et de la première division fut donné au colonel de Courtais, membre de la Chambre des députés, ancien officier de l’armée royale, qui avait le don et le goût de la popularité. La nomination de M. Charles Lagrange, que le peuple avait salué du titre de gouverneur de l’Hôtel de Ville, ne fut ni contestée ni officiellement ratifiée. M. Lagrange déployait déjà beaucoup d’activité dans ses nouvelles fonctions, et personne ne songea à les lui disputer.

La plus grande difficulté, c’était de pourvoir au ministère de la guerre. On ne savait trop à qui se fier ni comment concilier avec l’ancienneté ou l’éclat des services la loyauté républicaine. Le seul républicain connu et en mesure d’occuper un poste aussi important, le général Eugène Cavaignac, frère de Godefroi, était en Afrique. On le nomma gouverneur de l’Algérie. Pour sortir d’embarras, M. Arago proposa un membre de l’Institut, le colonel Poncelet, professeur de mécanique à la Sorbonne ; mais cette proposition ne fut point agréée. On objecta avec raison que M. Poncelet, à cause de son grade, ne pourrait prendre aucune autorité sur les officiers supérieurs, et l’on songea au général Lamoricière, qu’à tout hasard on se décida à faire appeler. Bien que fort souffrant de sa blessure et le bras en écharpe, le général ne se fait point attendre. Il n’hésite pas à reconnaître le gouvernement provisoire ; mais il refuse le portefeuille, alléguant que, depuis dix-sept ans absent de France, il ne connaît pas suffisamment le personnel de l’armée. Mon poste, à moi, ajoute le général, est à la frontière. Elle aura bientôt, sans doute, besoin d’être défendue. Je ne demande que quelques jours de repos, et je me tiens prêt à me rendre où le gouvernement provisoire jugera convenable de m’envoyer.

M. de Lamoricière conseille de donner le portefeuille de la guerre au général Bedeau. C’est un homme supérieur, dit-il ; il connaît parfaitement l’armée ; on peut compter sur lui ; il rendra dans ce poste éminent de grands services. La nomination du général est immédiatement signée ; mais M. Bedeau, appelé au sein du conseil, refuse à son tour. Je suis trop récemment nommé lieutenant général pour avoir de l’autorité sur des officiers plus anciens que moi, dit-il ; ma nomination ferait un effet fâcheux. Donnez-moi le commandement de la première division. La troupe est humiliée, démoralisée il faut l’empêcher de se débander. Confiez-moi cette tâche, et je réponds de la remplir avec honneur.

Sur ces refus, M. de Lamartine propose le général de division Subervie, volontaire de 1792, distingué par des actions d’éclat dans les grandes campagnes de l’Empire, député de l’opposition, qui sera tout à la fois, on peut l’espérer, respecté de l’armée et bien vu du peuple. Pendant ces délibérations, on apprend que le ministère de la guerre est occupé par un ancien fournisseur des armées, M. Esprit, qui s’y est installé de son autorité privée et s’est déjà mis en fonctions dans les bureaux avec l’aide du colonel Allart. Ou l’envoie chercher de la part du gouvernement provisoire. Il refuse d’abord ; mais on parvient, sous un prétexte spécieux, à l’attirer à l’Hôtel de Ville. Là, on le retient pendant toute la nuit, on le garde à vue dans une salle voisine du conseil. On ne lui rend sa liberté que lorsque le général Subervie a pris possession du ministère. À ce moment critique, la moindre velléité de désobéissance pouvait amener des complications funestes. Par bonheur, aucun des officiers supérieurs de l’armée n’eut la pensée de tenter une résistance, et les adhésions des maréchaux Soult, Bugeaud, des généraux Duvivier, Leydet, etc., qui suivirent de près celles des généraux Bedeau et Lamoricière, rassurèrent bientôt complètement à cet égard le gouvernement provisoire.

Ainsi constitué et organisé, le conseil rendit à la hâte les décrets les plus urgents.

M. de Lamartine rédigea un décret laconique qui déclarait la Chambre des députés dissoute. En envoyant ce décret au Moniteur, M. Crémieux s’aperçut que son collègue avait oublié la Chambre des pairs, et intercala la ligne suivante : Il est interdit à la Chambre des pairs de se réunir. On annonçait dans ce décret la prochaine convocation d’une Assemblée nationale. Un autre décret pourvoyait à la garde des Tuileries et du Louvre. M. Ledru-Rollin pensait aux Beaux-Arts et annonçait le jour de l’ouverture du Salon[26]. Enfin une proclamation à la garde nationale la remerciait de sa fraternelle union avec le peuple et avec les écoles, et l’exhortait, au nom de la patrie reconnaissante, à maintenir l’ordre dans la capitale. Cette proclamation annonçait en même temps que désormais tous les citoyens faisaient partie de la garde nationale.

Cependant les heures avaient marché, il n’était pas loin de minuit. Accablés de lassitude, exténués par dix heures de luttes et d’angoisses cruelles, les nouveaux dictateurs sentirent les tiraillements de la faim. Aucun d’eux n’avait pris quoi que ce soit depuis le matin. Ils suspendirent un moment leur travail pour essayer de réparer leurs forces mais tout manquait, même pour le repas le plus modeste. Il n’y avait là ni vaisselle ni vivres d’aucune sorte. Un pain de munition, quelques restes de fromage de Gruyère laissés par les soldats, une bouteille de vin et un seau d’eau apporté par un homme du peuple, ce fut tout ce que l’on put trouver, après bien des recherches, pour rassasier et désaltérer des hommes a jeun depuis près de douze heures. M. Flottard prêta un petit couteau de poche, qui passa de main en main. On but à la ronde dans une tasse ébréchée. Voici un festin de bon augure pour un gouvernement à bon marché, dit gaiement M. de Lamartine ; et, le repas terminé, on se remit à l’œuvre.

 

 

 



[1] Cette seconde invasion de la Chambre des députés fut faite par une bande de 60 hommes environ qui venaient des Tuileries. Beaucoup d’entre eux avaient séjourné dans les caves assez de temps pour y laisser leur raison. La plupart s’étaient emparés des équipements quittés à la hâte par les gardes municipaux ; d’autres avaient mis à contribution la garde-robe des princes et des princesses. Le sergent Duvillard, qui s’était mis à la tête de ces insensés, pour tâcher de les contenir, parvint au bout de peu d’instants à les entraîner hors de la salle en leur proposant de marcher sur l’École militaire, et, avant tout, d’aller rejoindre une déesse de la liberté qu’ils avaient laissée sur le quai d’Orsay, où, montée sur un cheval de garde municipal, elle haranguait les dragons qui occupaient encore le pont de la Concorde.

[2] En traversant le jardin, le petit prince, déjà remis de sa frayeur, et tout à la curiosité de son âge et de son rang, disait à l’officier qui le portait : Mais n’est-ce pas, monsieur, qu’on ne m’empêchera pas d’être roi ?

[3] On avait voulu lui mettre la blouse d’un enfant d’ouvrier qui se trouvait là ; mais le duc de Chartres s’y refusa obstinément, parce que cette blouse était déchirée.

[4] Toutes les personnes qui firent preuve d’intérêt, pour les petits princes reçurent de généreuses marques de souvenir. Madame la duchesse d’Orléans envoya à M. Lipmann une épingle en diamant. La mère du petit garçon dont le duc de Chartres avait refusé la blouse reçut une chaîne en or. À quelque temps de là, M. Bastide, ministre des affaires étrangères de la République, témoignait aussi à M. Lipmann une sorte de gratitude en le nommant courrier de cabinet.

[5] Dans sa préoccupation, le duc de Nemours ne s’était pas aperçu qu’en changeant de costume il avait gardé sur sa tête le chapeau d’uniforme. Une personne qui se trouvait derrière lui au moment où il sortait du palais Bourbon le lui enleva brusquement et lui mit à la place un chapeau rond. Quand le prince se retourna, la personne avait disparu ; mais il était évident, d’après la qualité du chapeau échangé, qu’elle n’appartenait point à la classe aisée.

[6] Il faut qu’un roi, même un roi de neuf ans, sache mourir debout, disait cette noble mère à ceux qui insistaient trop vivement pour qu’elle mît la vie de son fils en sûreté.

[7] Son fils, en uniforme de garde national, était, avec lui. Au sortir de la Chambre, M. de Larochejacquelein avait offert sa voiture mais elle ne fut point acceptée.

[8] Qui est celui-là ? demandait un homme du peuple à une personne qui marchait a côté de la voiture de H. Dupont (de l’Eure). Et lorsqu’on l’eut nommé : Ah ! c’est vous qui êtes l’honnête Dupont (de l’Eure) ! s’écria naïvement l’ouvrier en montant sur le marchepied pour lui tendre la main. Et le vieillard ému, promenant sur la foule les regards pleins d’appréhensions, répétait d’une voix affaiblie par l’âge : Pas de guerre civile, mes enfants, surtout pas de guerre civile !

[9] Il est à remarquer qu’aucune dévastation d’aucun genre n’eut lieu pendant cette longue invasion populaire dans les salles de l’Hôtel de Ville. Pas un objet de valeur ne disparut. Un buste colossal de Louis-Philippe fut seul en hutte à de mauvais traitements. Au moment même ou la première colonne d’insurgés parut sur la place de Grève, M. Flottard, secrétaire de la municipalité, craignant que l’ivresse ne portât ces hommes déjà si exaltés à de fâcheux excès, eut l’heureuse idée de faire défoncer les tonneaux qui remplissaient les caves de l’Hôtel de Ville.

[10] Le nom de M. de Lamennais avait déjà été prononcé à la Chambre ; mais, comme depuis plusieurs années il était resté à l’écart, étranger aux luttes du journalisme, son nom ne trouva que peu d’écho.

[11] À force de haranguer et de flatter les rancunes populaires, M. de la Rochejacquelein allait peut-être se faire proclamer membre du gouvernement provisoire, lorsqu’un autre orateur, M. Dussart, escaladant une console, prit la parole avec vivacité et tira la foule de son erreur en lui nommait le député légitimiste.

[12] M. Flottard était, depuis 1830, attaché à l’administration du département de la Seine.

[13] Voici deux de ces proclamations écrites, à défaut de table, sur un chapeau :

Le gouvernement provisoire se constitue avec le ferme dessein de donner la France des institutions républicaines en harmonie avec l’esprit du siècle.

La royauté est déchue le gouvernement, provisoire de la France est le gouvernement républicain. Au peuple appartient le soin de le rendre définitif.

[14] M. François Arago, malade depuis quelque temps, n’avait point assisté aux dernières séances de la Chambre et ne prit aucune part à la lutte des trois journées. Lorsqu’il eut été proclamé, à la tribune du palais Bourbon, membre du gouvernement provisoire, son fils alla le chercher à l’Observatoire. Accompagné de deux de ses parents et d’un jeune Italien de ses amis, M. Frapolli, il se rendit à l’Hôtel de Ville. Partout sur son passage la foule lui fit place avec respect.

[15] Il ne faut pas que la faction de Ledru-Rollin l’emporte, murmuraient déjà, dans les groupes, des fanatiques dont on retrouvera plus tard l’action hostile.

[16] La nomination de M. Crémieux et celle de M. Garnier-Pagès au gouvernement provisoire, contestées à la Chambre des députés, avaient été aussi le sujet d’une discussion très-vive au moment où l’on entrait dans le cabinet du secrétariat pour délibérer. M. de Lamartine mit fin à cette altercation fâcheuse. De grâce, messieurs, s’était-il écrié, ne discutons pas à cette heure la validité de nos pouvoirs. Soyons sept au lieu de cinq, les choses n’en iront pas plus mal. Il commençait ainsi ce rôle conciliateur auquel nous le verrons invariablement fidèle pendant toute la durée du gouvernement provisoire.

[17] M. Garnier-Pagès a protesté contre le rôle qui lui est attribué dans cette circonstance. Je crois ne pouvoir mieux faire que de citer textuellement, comme l’a fait M. Carnot, dans son Mémorial de 1848, les paroles de M. Garnier-Pagès : La délibération s’ouvrit incontinent sur la proclamation de la République, et je déclarai à mes nouveaux collègues que, la République me paraissant possible, si on ne la proclamait pas, je me retirerais. Quelques-uns alléguèrent un scrupule honorable. Voulant comme moi la République, ils ne se croyaient point le droit de la proclamer sans le consentement du peuple, régulièrement exprimé par une assemblée régulièrement élue.

[18] En répondant, aux interrogations de l’assemblée populaire qui se tenait à la salle Saint-Jean, tous les membres du gouvernement, nommés à la Chambre, avaient reconnu la nécessité de cette nouvelle sanction, et M. Crémieux disait encore, quelques mois plus tard, devant la commission d’enquête : Nous avons été nommés à la Chambre, mais non point par la Chambre.

[19] Son nom véritable était Martin.

[20] Bien que je ne veuille m’engager dans aucune polémique, je crois de mon devoir de reproduire, aux documents historiques, l’explication que donne M. Louis Blanc, dans une lettre datée de Londres, 23 janvier 1862, de son insistance pour se faire admettre, avec Albert, dans le gouvernement provisoire, au même titre que MM. de Lamartine, Arago, etc. (Voir aux Documents historiques, n° 7)

[21] Un pâté d’encre recouvre sur l’original manuscrit le mot préfère. Une correction de M. Louis Blanc en marge substitue ces mots : soit de cœur et de conviction pour le gouvernement républicain.

[22] M. Carnot, dans des fragments de son Mémorial de 1848, publiés dans la Politique nouvelle, donne une version un peu différente de cette proclamation. Il explique les variantes de ce document en disant que M. de Lamartine corrigeait son manuscrit en dictant successivement à plusieurs personnes.

[23] Un de ces mots d’un à-propos merveilleux mérite d’être cité. Comme il entendait crier à ses oreilles : Mort à Lamartine ! La tête de Lamartine ! il se retourne, regarde la foule en souriant : Ma tête, dit-il avec un singulier accent de dédain mêlé de compassion, plût à Dieu, citoyens, que vous l’eussiez tous sur les épaules !

[24] À peine cette proclamation était-elle imprimée que l’on vit arriver au Moniteur M. Bixio, porteur d’un ordre de la retirer ainsi conçu : M. Bixio est prié de retirer de l’Imprimerie royale, la déclaration du gouvernement provisoire. Signé : Ad. Crémieux, Lamartine, Dupont (de l’Eure) et Garnier-Pagès.

L’autographe de cet ordre est entre les mains de M. Bixio.

[25] M. Guinard refusa, et fut nommé chef d’état-major de la garde nationale. Il fut remplacé à la mairie par M. Buchez.

[26] Voir aux Documents historiques, n° 8.