VIE DE  NAPOLÉON

— FRAGMENTS —

 

V.

 

 

Considérations sur la situation et les opérations des armées françaises en Allemagne en 1796. — Pichegru. — Moreau. — Jourdan.

 

Il convient de jeter un coup d'œil rapide sur ce que les armées françaises faisaient en Allemagne, pendant que Napoléon conquérait l'Italie.

Après que Pichegru eut fait battre exprès une division de son armée, il y eut un armistice. Pichegru se rendit à Paris et se plaignit hautement au Directoire de l'état de dénuement dans lequel on laissait l'armée du Rhin. Le Directoire qui ne voulait pas accoutumer les généraux d'armée à prendre ce ton avec lui, déclara à Pichegru que s'il trouvait le fardeau trop lourd, il pouvait le déposer.

Pichegru se retira, et l'armée qui n'avait aucune connaissance de la trahison de son général, crut qu'il n'avait été sacrifié que pour avoir pris trop chaudement ses intérêts.

Moreau vint remplacer Pichegru à l'armée du Rhin ; l'armistice fut dénoncé ; il passa le Rhin et obtint des succès les 9 et 10 juin 1796.

De son côté, l'armée de Sambre-et-Meuse, commandée par Jourdan, après avoir passé le Rhin à Dusseldorf, s'était portée sur la Bohême. Soit timidité naturelle, jalousie pour son collègue, ou défaut d'instructions, Moreau négligea les nombreux passages qui existent sur le Danube, de Donawerth à Ratisbonne. L'archiduc Charles exécuta alors la belle manœuvre qui a fondé sa réputation. Il se déroba à Moreau, franchit le Danube et fit sa conjonction avec les troupes autrichiennes qui se retiraient devant l'armée de Sambre-et-Meuse ; il reprit l'offensive, battit Jourdan à Wetzlar le 15 juin 1796, et le poursuivit jusqu'aux bords du Rhin, sans qu'il vînt jamais à la pensée de Moreau d'imiter le mouvement de sou adversaire et d'aller au secours de Jourdan.

Au lieu de repasser sur la rive gauche du Danube, de chercher à se rallier à l'armée de Sambre-et-Meuse ou, au moins, d'attaquer l'archiduc d'une façon quelconque, il eut le courage de se mettre en retraite avec sa belle armée qui comptait plus de quatre-vingt mille combattants et, chose singulière et qui prouve bien la valeur de l'opinion publique en France, cette retraite fut à la mode et les gens sages la préférèrent de, beaucoup aux batailles de Castiglione et d'Arcole ; il est vrai que, comme l'armée de Moreau était très-forte, elle gagna d'abord une bataille en se retirant. Mais plus tard il laissa à l'archiduc le temps de revenir sur lui. A Paris, on avait cru perdue cette armée de quatre-vingt mille hommes, quand tout à coup on apprit qu'elle avait repassé le Rhin sur le pont d'Huningue ; l'enthousiasme pour Moreau et sa retraite fut général et dure encore.

Cette manœuvre incroyable fut suivie du siège de Kehl, où les généraux de division Desaix et Gouvion-Saint-Cyr s'immortalisèrent et dont il faut lire les détails admirables dans les mémoires de ce dernier. Jamais il ne vint à l'esprit de Moreau de repasser le Rhin et de se porter rapidement sur les derrières de l'archiduc.

Voilà ce que faisaient les armées de la République dans le Nord, pendant que Napoléon remportait tant de victoires en Italie. Voilà aussi pourquoi l'armée autrichienne du Rhin put envoyer Wurmser et vingt mille hommes d'élite à l'armée autrichienne de l'Adige.

Voilà pourquoi, en mars 1797, elle put envoyer trois divisions et l'archiduc Charles à l'armée autrichienne du Tagliamento.

Dans ce commencement de 1797, le Directoire ne fut-il que malhabile, comme à l'ordinaire, ou redoutant les victoires de Napoléon, évita-t-il sciemment de faire une diversion sur le Rhin ?

Quoi qu'il en soit, après des retards inexplicables pour moi, le Directoire résolut enfin de porter ses armées sur la rive droite du Rhin. Elles passèrent ce fleuve avec hardiesse et elles obtenaient des succès, lorsqu'elles virent accourir des avant-postes autrichiens un officier français en parlementaire. C'était le général Leclerc qui arrivait de Léoben, par l'Allemagne, apportant les préliminaires de paix. Si la renommée de Bonaparte n'eût pas inspiré de crainte pour la liberté, il eût fallu le rappeler d'Italie après le passage des Alpes qui suivit celui du Tagliamento et lui donner le commandement de l'armée du Rhin.