VIE DE  NAPOLÉON

— FRAGMENTS —

 

AVANT-PROPOS.

 

 

Cet ouvrage, fruit de vingt ans de travaux, avait d'abord été conçu sur un plan plus vaste et tout autre que celui sous la forme duquel il arrive au public. L'auteur s'étant proposé d'écrire la vie de Napoléon, tout ce qui pouvait se rattacher à l'existence de ce grand homme avait été, pour lui, l'objet de recherches minutieuses et d'études approfondies. Une connaissance personnelle de faits intéressants, sur lesquels on n'avait que peu ou point de notions, donnait encore à Beyle des avantages particuliers. Cependant, tout en poursuivant son travail, il entrevit que la tâche qu'il s'était imposée serait bien lourde, et, modifiant le plan primitif, son objet ne fut plus que de composer des Mémoires sur Napoléon, pouvant faire la matière de six ou sept volumes.

Quant à la forme donnée, voici celle du manuscrit trouvé après sa mort. L'auteur, prenant un fait important ou une époque, dit ce qu'il en sait. Puis, il donne à la suite de sa version et textuellement, celle de Napoléon, copiée soit dans le Mémorial de Sainte-Hélène, soit dans les Mémoires dictés par Napoléon, pendant son exil, à MM. de Montholon et Gourgaud.

L'ouvrage devait embrasser toute la vie de Napoléon, mais l'ouvrier a manqué à l'œuvre et elle s'arrêtait au siège de Saint-Jean d'Acre, pendant l'expédition d'Égypte ; encore quelques parties n'étaient-elles qu'ébauchées. Il ne s'agit donc nullement ici du Consul ni de l'Empereur.

Réduit à offrir au public de simples fragments de cette composition, il eût été hors de propos de reproduire les longues citations empruntées au Mémorial de Sainte-Hélène et aux Mémoires de Napoléon.

R. COLOMB.

4 avril 1845.

 

A MONSIEUR LE LIBRAIRE.

 

Je vous en demande pardon, Monsieur, il n'y a nulle emphase dans les volumes que l'on vous présente à acheter. S'ils étaient écrits en style Salvandy, on vous demanderait quatre mille francs par volume.

Il n'y a jamais de grandes phrases ; jamais le style ne bride le papier, jamais de cadavres ; les mots horrible, sublime, horreur, exécrable, dissolution de la société, etc., ne sont pas employés.

L'auteur a la fatuité de n'imiter personne ; mais son ouvrage fait, s'il fallait, pour en donner une idée, en comparer le style à celui de quelqu'un des grands écrivains de France, l'auteur dirait :

J'ai cherché à raconter non pas comme MM. de Salvandy ou de Marchangy, mais comme Michel de Montaigne ou le président de Brosses.

 

POURQUOI AI-JE CONDUIT AINSI LES IDÉES DU LECTEUR ?

(13 février 1837)

PRÉFACE POUR MOI

 

L'histoire ordinaire (celle de M. Thibaudeau, par exemple), instruit le procès avec ostentation d'impartialité, comme Salluste, et laisse le prononcé du jugement au lecteur.

Par là, ce jugement ne peut être que commun : Jacques est un coquin ou un honnête homme. Moi, j'énonce ces jugements, et ils sont fondés sur une connaissance plus intime, et surtout plus délicate, du juste et de l'injuste : des jugements d'âme généreuse. Je voilerais la moitié du qualsisia merito[1] — sans atteindre au mérite d'arrangement d'un Lemontey —, si je ne prononçais pas les jugements moi-même ; souvent d'une des circonstances de ce premier jugement, j'en tire un second. Donc, intituler ceci : Mémoires sur la vie de Napoléon.

Par l'originalité non cherchée — souvent je la voile exprès — de la pensée, je pourrai peut-être faire avaler six volumes. S'il fallait me gêner, je n'aurais pas la patience de continuer ; et pourquoi me gêner, pour devenir un dimidiato[2] Lemontey ou Thiers ?

 

 

 



[1] Mérite quelconque.

[2] Un demi.