LA PRINCESSE DE LAMBALLE

UNE AMIE DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE

 

CHAPITRE VIII. — LA MALADIE.

 

 

MADAME LAGE DE VOLUDE — FÊTES À LA COUR — VENTE DE RAMBOUILLET — MONTGOLFIER — INCENDIE DE L'HÔTEL DE TOULOUSE — MALADIE DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE — SAIFFERT — EN ANGLETERRE — RENOUVEAU D'AMITIÉ AVEC MARIE-ANTOINETTE

 

DANS son désarroi, alors qu'elle se croyait abandonnée du ciel et de la terre, la princesse de Lamballe rencontra une amie. En 1779, lui avait été présentée une charmante jeune fille, presqu'une enfant encore : elle se nommait Béatrice-Étiennette d'Amblimont ; elle avait à cette époque quinze ans. Elle avait pour parrain Choiseul et Mme de Gramont pour marraine. Sa mère, sous le règne précédent, soutenue par Mme de Pompadour, avait été reçue dans les petits appartements et même recherchée, sans chance de succès, par Louis XV. Par son père elle appartenait à une race de glorieux soldats. Amblimont était marin et les événements secondèrent sa carrière. En 1776, lorsque Louis XVI reconnut la nouvelle république des États-Unis, il commandait la division du Vengeur, de la Belle-Poule et de la Sensible.

Dès le premier regard qu'elle jeta sur Étiennette, la princesse de Lamballe éprouva pour elle une sympathie qui bien vite devint réciproque. La princesse l'aimait d'une tendresse maternelle. Elle allait bientôt le lui prouver. Les lettres qu'elle lui adresse témoignent de son affection débordante : Je n'ai pas pu vous écrire, ma chère enfant, vous savez que je ne le peux pas toutes les fois que je le voudrais.... Je vous écris... pour... vous dire que votre petit billet m'a charmée. Cependant je vous défends d'écrire. Il faut bien ménager vos yeux. Je ne veux pas que ma chère enfant perde ses jolis yeux ; je veux qu'elle soit tranquille. Point d'impatience, ce qui nuirait au rétablissement de sa santé.... J'irai sûrement vous voir dans les premiers jours. Adieu, chère petite, vous m'avez donné bien de l'inquiétude, mais je ne vous en aime pas moins de tout mon cœur.... Je me borne à vous demander de bien vous soigner si vous m'aimez un peu. Assurément son attachement était spontané. Il s'y mêlait encore un autre sentiment. Il devait paraître infiniment doux à cette créature délaissée par l'amie à laquelle elle s'était vouée entièrement de découvrir un jeune cœur, tout pur, qui l'écoutait avec compassion gémir sur ses misères. Elle était consciente de l'influence qu'elle pouvait exercer sur Étiennette ; il lui était permis de rêver pour elle un avenir souriant, de réaliser pour cette enfant un bonheur qui l'avait fuie elle-même. Elle y songe au cours des voyages qu'elles font ensemble chez le duc de Penthièvre, à Eu, à Vernon, à Sceaux, à Crécy, à Anet et à Rambouillet. Mlle d'Amblimont est devenue Sa compagne inséparable. Aussi — car elle n'est nullement égoïste dans ses affections — la princesse la voudrait-elle pleinement heureuse, et elle choisit elle-même un mari pour Étiennette. Il s'agit du comte Lage de Volude, jeune enseigne de vaisseau, d'excellente famille, riche et d'une parfaite distinction. La princesse l'a fait sauter sur ses genoux lorsqu'il était petit et l'a toujours suivi de près. La demande qu'elle fait à M. et Mme d'Amblimont se heurta pourtant à un refus : le père prétendait à d'autres visées, la mère voulait désigner elle-même son futur gendre. Heureusement pour leur fille, les époux ne s'entendaient guère entre eux. Il suffit à M. d'Amblimont d'apprendre le refus opposé par sa femme pour acquiescer immédiatement à la démarche. Aussitôt cet acte accompli, il repart. Le contrat signé par Leurs Majestés et la famille royale, ainsi que par le duc de Penthièvre et la princesse de Lamballe, le 13 janvier 1782, le mariage fut célébré le 16 du même mois. La mariée avait dix-neuf ans. Le 20 janvier, la princesse de Lamballe présente Mme Lage de Volude à la Cour en qualité de sa dame pour accompagner, et seule la Révolution les séparera.

Le jeune mari s'absentait fréquemment pour remplir son devoir de marin. Sa femme était alors livrée à elle-même. Mais la princesse veillait jalousement sur elle. Le duc de Lévis avait remarqué ses attraits et en subissait le charme. Mme de Lamballe connaissait le caractère de sa dame pour accompagner. Elle raillait le duc et le nommait l'abcès de Mme de Volude. En mai 1782 Mme de Volude changea d'appartement à l'hôtel de Toulouse. La princesse, ce jour-là vint chez elle. Elle manifesta le désir de se rendre à la Comédie et obligea Mme de Volude à y aller avec elle. Celle-ci obéit contre son gré. En rentrant, elle s'était proposé de souper et de se coucher à onze heures. Elles reviennent à l'hôtel ; elle conduit la princesse à sa chambre et s'apprête à prendre congé d'elle quand une de ses femmes lui demande une adresse. Cependant qu'elle la cherche la princesse s'éclipse et pénètre chez Mme de Ginestous, puis se hâte de devancer Mme de Volude dans son appartement. Bientôt celle-ci, à son tour, se dirige de ce côté. Tout y est éclairé. Que signifie ce luminaire ? Antoine, le valet de chambre, feint de l'ignorer. Comment le saurait-il ? N'était-il pas à la Comédie d'où il l'a ramenée ? Elle monte chez elle. Toutes les portes sont ouvertes. Personne dans l'antichambre. Personne dans le salon, mais des fleurs partout, des fleurs à profusion. Elle arrive dans sa chambre et demeure étonnée de son isolement. Tout à coup un rire perce le silence. Elle se retourne : la princesse est là qui marche au-devant d'elle. Bientôt apparaissent Mmes de Polastron, de Poulpy, de Bremoy, le chevalier de Durfort, M. de Clermont, le comte de Sorente et son frère, M. de Guiches, le bon Menou, qui avait été amené pour la partie de la princesse, M. de La Vaupalière, l'abbé de Damas.... Deux tables de quinze couverts sont servies : des fleurs et des cadeaux les encombrent. Mme de Volude reste là comme éblouie. Elle est anxieuse aussi : comment offrir à souper aux hôtes qui la visitent ? Elle a tout juste un pauvre poulet.... La princesse gaiement s'écrie : Allons souper !Mais, mon Dieu, madame, il n'y a rien. — Allons toujours. — Et elle passa en disant : J'ai pensé que mon enfant me permettrait d'apporter chez elle mon souper. J'avais d'abord eu l'idée de vous emmener tous chez moi après avoir tout vu, mais j'ai pensé qu'il valait mieux rester dans ce joli appartement. Et la soirée s'acheva en jouant aux quinze.

De quelles exquises fantaisies n'eût-elle pas été capable si elle n'avait été constamment contrainte à imposer silence à ses sentiments ? On l'accusait d'être sévère, d'être asservie au cérémonial, alors que sans doute son instinct l'invitait à suivre spontanément le caprice de sa nature. Avec Mine de Volude elle se révélait très douce. De temps à autre elle formulait des remontrances affectueuses, pour ne pas en perdre l'habitude ; elle l'invitaità réfléchir avant d'agir et à n'être pas si vive et passionnée, en bien ou en mal, pour ou contre tout.

Et puis le tourbillon des fêtes et des réceptions l'enveloppe et l'entraîne de nouveau. Le 21 janvier, la Reine quitte la Muette de bonne heure. Auprès d'elle, dans son carrosse, prennent place Madame Élisabeth, Madame Adélaïde, la princesse de Bourbon-Condé, la princesse de Lamballe et la princesse de Chimay. Elles se rendent à Notre-Dame, puis à l'Hôtel de Ville pour assister au banquet en l'honneur de la naissance du Dauphin. Le Roi y rejoignit Marie-Antoinette et le cortège retourna le soir à la Muette.

La princesse de Lamballe habitait-elle dans son hôtel de Passy à cette époque ? Un parc descendait jusqu'à la Seine avec son pigeonnier, son orangerie, son labyrinthe. L'hôtel comportait un seul étage et il était orné selon le goût le plus choisi. La princesse de Lamballe l'avait acheté cette année-là au duc de Luynes.

Le 23, grand souper au Temple, puis bal à l'Hôtel de Ville. La Reine est entourée par la foule et sur le point d'étouffer. À coups de coudes, le Roi est obligé de lui frayer un passage. Les Grandes Loges, le 30, offrent un bal paré dans la salle de l'Opéra de Versailles. La duchesse de Chartres avait la rougeole, et seule de sa famille y assista la princesse de Lamballe.

Vers cette époque le grand-duc et la grande-duchesse de Russie, qui voyageaient sous le nom de comte et comtesse du Nord, vinrent en France. Le duc de Penthièvre les accueillit à Sceaux, entouré de sa fille et de sa belle-fille. Le 3 juin, ils furent les hôtes du prince de Condé, à Chantilly. La duchesse de Chartres et la princesse de Lamballe y parurent en batelières de l'île d'Amour. Il y eut une succession de spectacles tour à tour pastoraux et chevaleresques. Enfin, le 8 juin, ils se rendirent au bal en leur honneur, à Versailles. Mme d'Oberkirch relate à ce sujet une anecdote.

La Reine dansait avec le grand-duc ; il est impossible de déployer plus de grâce et de noblesse que notre auguste souveraine. Elle a une taille et un port merveilleux. Je me trouvai un instant derrière elle et derrière la grande-duchesse.

— Madame d'Oberkirch, me dit la Reine, parlez-moi donc un peu allemand, que je sache si je m'en souviens ; je ne sais plus que la langue de ma nouvelle patrie.

Je lui dis quelques mots allemands ; elle resta quelques secondes rêveuse et sans répondre.

— Ah ! reprit-elle, je suis pourtant charmée d'entendre ce vieux tudesque. Vous parlez comme une Saxonne, madame, sans accent alsacien, ce qui m'étonne. C'est une belle langue que l'allemand, mais le français ! Il me semble, dans la bouche de mes enfants, l'idiome le plus doux de l'univers.

 

Pourquoi de tels propos, susceptibles d'attirer la sympathie à Marie-Antoinette, n'étaient-ils pas répandus ?

Si éclatantes que fussent ces fêtes, elles n'offraient pas le charme qui se dégageait des réunions intimes de la princesse de Lamballe. La faveur semblait lui revenir ; était-ce une illusion ? Elle recevait un nombre restreint d'invités, pour plaire à la famille royale. Le Roi assiste au souper et tout le temps de sa présence règne une certaine gêne. Aussitôt qu'il disparaît, c'est la détente. On joue au loto, puis la Reine ouvre le bal qui s'achève vers quatre heures du matin. Il arrive à la princesse d'accueillir des écrivains de qualité. L'abbé Delille fréquentait volontiers chez elle. La maîtresse de maison avait une belle voix et chantait. Plus tard, Marie-Joseph Chénier raconta à la comtesse de Chastenay qu'il avait lu, ayant vingt ans, son drame sur Charles IX à la princesse.

Dans cette série de fêtes dont la nomenclature détaillée serait oiseuse, il y avait des intermèdes privés. Messire Louis-Samuel de Tascher, aumônier du duc de Penthièvre, mourut et mit en deuil la maison. À cette tristesse fit diversion le succès de Florian qui remporta le prix de poésie à l'Académie française, où il sera nommé le 25 août. D'Alembert était chargé de lire son poème. Mme de Lamballe, qui probablement était aux eaux, n'assistait pas à la séance. Elle revint en septembre à Passy, où elle se fit inoculer. Le 8 décembre elle présente à la cour Mme de Las-Cases, sa dame d'honneur.

En 1783, le duc de Penthièvre sacrifia une terre, à laquelle l'attachait sa piété, à l'agrément du Roi. Louis XV déjà ambitionnait de posséder le domaine de Rambouillet ; son petit-fils réalisa ce vœu. Le comte d'Eu étant mort, le duc de Penthièvre hérita de lui. Néglige-t-il Rambouillet pour le bien qu'il tenait du comte ? Le Roi voulut le croire et obtint l'acquisition du château et du parc, avec la forêt attenante. Après quelques résistances, le duc de Penthièvre s'écria : Eh bien ! Rambouillet n'est plus à moi, prenez-le, Sire. Il lui demanda seulement l'autorisation d'emporter les dépouilles de ses morts. Ils étaient au nombre de neuf qui reposaient dans les caveaux de l'église. Ils furent transférés à Dreux.

Cependant la princesse de Lamballe, qui villégiaturait à Eu, rentra en mai, après quinze jours d'absence.

Parmi les événements qui marquèrent sur son esprit, il faut citer les expériences de Montgolfier. En septembre il se livra devant la Cour à une démonstration de sa découverte. Il faisait beau. Dans la nacelle avaient été placés un agneau, un coq et un canard, et en moins de vingt minutes le ballon, gonflé et bariolé, s'éleva de la première cour du château de Versailles à plus de 40o toises, avant de disparaître. On apportait des rosiers à l'instant où la cage qui contenait les animaux fut brusquement détachée et tomba dans les bois de Vaucresson. Le Roi ordonna de veiller sur ces trois bêtes qui avaient démontré la possibilité d'exister au-dessus de la zone nébuleuse. Mme de Lamballe descendait de la terrasse du château pour se promener, quand elle rencontra un ouvrier qui avait travaillé à la construction de la montgolfière. En pleurant il lui raconta : J'avais dit à M. de Montgolfier : laissez-moi monter dans cette galerie que vous faites au-dessous de la machine ; il n'a jamais voulu et a prétendu qu'il ne risquerait pas la vie d'un homme. Il y a mis trois animaux, et voilà à présent qu'ils vont vivre à l'aise sans que rien ne leur manque ; si le Roi a tant de bonté pour les bêtes, que n'aurait-il pas fait pour un pauvre artisan comme moi ! ma fortune serait faite.... Je ne m'en consolerai jamais. Il fallut, pour apaiser son chagrin, que Mme de Lamballe lui donnât quelques louis. La fureur du ballon ne fit que s'accentuer. Le bruit courut que le duc de Chartres et la princesse de Lamballe allaient monter en ballon avec les frères Robert pour partir de Saint-Cloud et dîner à Villers-Cotterêts. Le duc de Chartres, en effet, ayant échoué dans la marine, fit construire un aérostat et s'y embarqua avec les frères Robert. S'étant à peine élevé au-dessus du sol, l'appareil se prit à descendre avec une rapidité vertigineuse : le duc en avait lui-même déchiré l'enveloppe. Des couplets, sur l'air du vaudeville des Jumeaux, célébrèrent à cœur joie cet épisode.

En 1784, la Loge La Candeur décerne une couronne à Montgolfier et la Grande Maîtresse, entourée de ses sœurs, récita l'éloge qu'il avait reçu de Son Altesse à Versailles. Le 28 juin de la même année, la princesse de Lamballe assiste encore avec toute la Cour à l'ascension de la montgolfière Marie-Antoinette qui, après quarante minutes, à treize lieues de Versailles, atterrit dans la forêt de Chantilly.

Encore qu'elle vécût, la plupart du temps, loin de la Cour, les pamphlets continuent à circuler et visent l'innocente princesse. En décembre 1783, parait la Bibliothèque des Dames de la Cour, avec de nouvelles observations, et bientôt le marquis de Clermont, corrigé par La Vaupalière, fait circuler La Matière préférable à l'Esprit, La sérénité que goûtait la princesse dans son exil fut interrompue à Pâques, son service l'ayant rappelée à la Cour.

Elle avait été affectée par la nomination de Mme de Polignac comme gouvernante des Enfants de France : en apprenant la nouvelle elle avait écrit à la Reine, qui se trouvait chez Madame Royale. La Reine avait répondu que, ne pouvant aller chez la princesse, elle se proposait de lui écrire et lui faire porter un message par Cléry. J'y courus, note-t-il. Elle était au bain ; on me fit entrer. Ayant lu le message, il lui était tombé des mains et elle s'était trouvée mal. Je n'eus que le temps de la retenir par son peignoir et d'appeler au secours les femmes de chambre qui s'étaient retirées. Et voilà bien un des réflexes de Marie-Antoinette qui témoignent de sa bonté et de la persistance de sa sympathie pour la princesse : La Reine se rend chez elle et y demeure trois quarts d'heure. Quand elle sortit de chez la princesse, observe Cléry, je pus lire sur son visage combien elle était contente de sa démarche. Ainsi, dans la nuit où elle se croit perdue, la triste amie découvre, de-ci de-là quelque étoile pour s'orienter. Mais cette incessante oscillation de sentiments nuit à sa santé. Les calomnies répandues sur elle l'écœurent et elle recouvre seulement un peu de sérénité en participant à certaines cérémonies intimes dont le récit nous permet de sentir la pureté de son cœur. Tel, le 7 janvier 1783, le baptême de la fille de Mme Lage de Volude ; elle est la marraine ; le duc de Penthièvre a accepté le rôle de parrain. Ces douces impressions ne durent guère : dans la retraite même elle est comme hantée par une idée fixe ; prisonnière de sa névrose, en vain elle voudrait s'en évader. L'idée de la disgrâce dont elle est l'objet de la part de Marie-Antoinette l'obsède : elle se juge indispensable ; elle ne tient plus en place. Faible, trébuchant à chaque pas, minée par un mal perfide qui la prive de sa lucidité, elle s'acharne à remplir son service à la Cour. Elle a presque l'air parfois de fuir cet hôtel de Toulouse, trop vaste, trop silencieux lorsque le déserte le duc de Penthièvre. Mais dès qu'il reparaît, elle reporte sur lui, sur le cher Papa, toutes ses tendresses filiales. Près de lui elle est à l'abri des menaces, protégée contre le froid qui s'insinue dans ses veines. Aussi se décide-t-elle parfois à le rejoindre dans son château d'Eu, d'Aumale ou d'Amboise. Elle y entretient une correspondance suivie avec ses relations.... J'ai fait tout mon possible, ma chère petite, écrit-elle à une amie, dans une lettre citée par M. Bertin, pour lire la lettre de votre sœur ; je n'ai pu en venir à bout, attendu qu'elle a une écriture qui ne ressemble pas du tout à ses jolis doigts.... Je m'ennuierais beaucoup ici si je n'étais avec M. de Penthièvre qui me traite avec une sensibilité toujours croissante.... Je dévore lettres et livres, toute la petite bibliothèque y a passé. Les contes de Marmontel m'ont paru bien fades. Il n'y a point dans ces messages de ces envolées qui révèlent une intelligence supérieure. Il y a un désir de calme, une aimable critique, une impatience contre ceux qui restent indifférents à certains sujets de réflexions, une aversion contre ce qui lui paraît être fade. C'est Florian qui choisit pour elle les ouvrages susceptibles de lui plaire. Elle est difficile à contenter : les ouvrages libertins lui rappellent trop la Cour pour qu'elle ne les évite pas ; les ouvrages de piété doivent, à la longue lui peser, car elle n'a pas encore l'âge où l'on se résigne complètement à l'oubli du monde ; les ouvrages d'une naïveté romanesque n'absorbent pas les curiosités de son imagination sentimentale. Et puis, surtout, elle ne sait à quoi se rattacher et elle n'a jamais le temps de s'accorder à elle-même assez de crédit.

Le 5 avril 1784, la Reine communie à Notre-Dame et la surintendante tient la nappe ; le Jeudi saint elle l'accompagne dans ses premières visites ; le 8, au sermon de l'abbé Duvancel. Enfin, c'est la visite du roi de Suède sous le nom de comte de Haga, qui plusieurs fois vient voir la princesse de Lamballe. Et ce sont les questions d'étiquette, les susceptibilités de préséance qui reprennent. Il faut respecter l'incognito du roi et en même temps lui rendre les hommages qui lui sont dus, observer les détails indiqués par le souverain sans manquer aux lois de la tradition en pareille occurrence. Le 14, la princesse assiste à une représentation à l'Opéra, en l'honneur du roi de Suède, dans une loge à côté de celle de la duchesse de Bourbon, chacune étant placée selon son rang. Le 18, bal à la cour, et la série continue jusqu'au départ du duc de Penthièvre pour Châteauvilain, le 31 avril. En août, le prince Henri de Prusse, sous le nom de comte d'Oels, voyage en France et visite le duc de Penthièvre au château d'Anet. Jamais elle ne peut goûter quelques mois de repos consécutifs. Il y a aussi pour inquiéter son esprit les événements de famille, tels que la mort du duc d'Orléans, le 8 novembre, qui laisse à son fils, le duc de Chartres, l'héritage de son titre et de son nom.

Ce serait une erreur de croire que la fragile princesse — sa santé continue à la torturer — ne restât point maîtresse d'elle-même dans des circonstances ou d'autres, moins gravement atteintes qu'elle l'était, auraient pu perdre leur sang-froid. À ces sortes de patientes il faut un événement extérieur pour les obliger à ne pas rester enfermées dans leur moi. Elles voient le monde et leurs semblables comme à travers une boule de verre, qui les grossit et les déforme, en les empêchant de communiquer avec l'extérieur. Quand la princesse est placée en présence d'un danger immédiat, elle brise l'enveloppe et se retrouve dans la vie, courageuse et prête à affronter les menaces du sort : c'est la fille d'une race de soldats qui reparaît.

Dans la nuit du 23 au 24 novembre 1785, vers une heure du matin, un incendie se déclara à l'hôtel de Toulouse. Il enflamma les combles, au-dessus de l'antichambre de la princesse. Grâce au zèle des sauveteurs, le feu fut maîtrisé à 3 heures et demie. Il y eut d'assez sérieux dégâts. La cause du sinistre fut attribuée à la malveillance, à un certain Poulailler, brigand assez tristement renommé qui avait déjà embrasé les forêts du duc de Penthièvre et assassiné deux de ses gardes. Durant l'incendie, pas un instant la princesse de Lamballe ne fit mine de s'évanouir. Elle s'exposa, au contraire, pour sauver des existences et des objets précieux, et le même jour on la vit auprès du duc à Saint-Eustache.

La réputation de manquer de résistance que les malveillants avaient accréditée n'était pas plus fondée que celle de sottise qui s'attachait à son nom. Elle était douée d'infiniment de charme, de ce charme qui supplée à l'esprit aigu et qui, pour la plupart des femmes, est préférable à une intelligence supérieure. Florian, sur ce point, rend pleinement justice à la princesse : il lui dédie ses Nouvelles, que précède une épître qui s'achève sur ces vers

Princesse, pardonnez en lisant cet ouvrage,

Si vous y retrouvez, crayonnés par ma main,

Les traits charmants de votre image :

J'ai voulu de mon livre assurer le destin.

Pour embellir mes héroïnes,

A l'une j'ai donné votre aimable candeur,

Ces grâces à la fois et naïves et fines.

Ainsi, partageant vos attraits

Entre ma Célestine, Elvire et Félicie,

Il a suffit d'un de vos traits

Pour que chacune fût jolie.

Vers la même époque, semble-t-il, se dessine une recrudescence dans l'amitié de la Reine pour la princesse. Faut-il l'attribuer à la mort de Choiseul, qui la prive d'un appui et lui fait rechercher une affection qu'elle sait à l'abri de toute défaillance ? Elle se rapproche d'elle, et la princesse a l'air de reprendre goût à la vie. Elle achète, rue de Richelieu, l'hôtel Louvois pour y installer ses écuries. Son service la ramène auprès de sa souveraine qui, ayant eu trois enfants, met au monde — avec le même cérémonial — le duc de Normandie, en date du 27 mars 1785. Elle fut accouchée par Lassonne, premier médecin de la Cour. La princesse de Lamballe participe aux fêtes en l'honneur du nouveau-né : elle est aux côtés de la Reine à Notre-Dame. Marie-Antoinette soupe avec elle et assiste à la Comédie italienne.

Et voici qu'un nouveau deuil frappe la princesse avec son frère Eugène de Carignan qui succombe, près d'Amiens, au château où il a rejoint sa femme. La Reine, qui n'ignorait pas l'état du prince, s'était ingéniée à le dissimuler à son amie. Avec infiniment de tendresse, elle engage Mme Lage de Volude à la ménager. C'est qu'elle ne pouvait pas ne pas connaître la maladie dont est atteinte la princesse de Lamballe.

Cette maladie se manifestait sous différents aspects et ne contribuait pas médiocrement à influer sur le caractère de la patiente. Elle était bonne. Elle demandait beaucoup de faveurs, mais moins pour elle que pour les autres. Pieuse elle était tolérante. Elle ne voyait pas le mal. Elle se montrait bienfaisante. Mme d'Oberkirch la décrit comme étant gaie, naïve, incapable de méchanceté. Lorsque son mari le prince de Lamballe l'abandonnait, elle ne lui en voulait pas. Mme de Genlis ne lui pardonnait pas d'être jolie et l'accusait d'inintelligence. Au physique même, elle la jugeait avec rigueur, se moquait de sa taille sans aucune élégance, de ses mains disproportionnées avec le reste de sa personne, de son visage sans aucune régularité. Elle avait, ajoutait la méchante langue, une âme enfantine, égale, mais totalement dénuée d'esprit. Elle avait horreur de la discussion ; sans idée personnelle, elle se rangeait à l'avis de l'interlocuteur le plus spirituel et manifestait de l'étonnement quand on lui faisait remarquer qu'elle avait répété les mêmes propos à plusieurs reprises. Et la malignité s'acharnait plus âprement encore contre ses malaises. N'allait-on pas jusqu'à lui reprocher ses spasmes nerveux, jusqu'à insinuer qu'elle affectait de tomber en syncope et de succomber à ses vapeurs : la preuve ? elle fermait les yeux mais elle ne changeait pas de couleur et se contentait de demeurer immobile.

Ces propos lui parvenaient grossis et aigrissaient son humeur. Elle, qui, selon l'expression de la princesse de Ligne, était aussi bonne que jolie, ne cacha point son mécontentement à Mme de Volude lorsqu'elle lui demanda de s'absenter quelque temps pour se rendre auprès de sa mère qui était malade. Il y avait chez elle un mélange de tendresse, de besoin de se sacrifier, d'humilité, joint à une peur instinctive de la mort. Elle souffrait constamment.

Son état ayant enfin été reconnu comme morbide, elle soigna ses misères qui primitivement, au dire de la Faculté, devaient s'atténuer avec l'âge et qui n'avaient fait que croître. Elle alla aux eaux, à Plombières, à Bourbonne. Son mal étant inconnu pour eux, les médecins la condamnèrent. Ils lui imposèrent des traitements. Le duc d'Orléans l'envoya à Tronchin, qui était attaché à sa personne et dont le diagnostic ne fut pas plus exact que celui de ses confrères. De guerre lasse, elle en appela à un charlatan, à Mesmer. C'était, à cette époque de névrose, le guérisseur qu'il fallait à quelques pas de la Révolution, écrit spirituellement M. Albert Flament, le médecin engendré par les circonstances mêmes, attendu par les femmes qui avaient, à heure fixe, leurs crises et leurs vapeurs.... Il prétendait guérir les maux de l'hystérie c'était sa grande idée — par le magnétisme, et l'on se pressait autour de son baquet, lequel, ajoute le même auteur dans sa description pittoresque, était recouvert d'une planche et qui contenait de la limaille de fer et du verre pilé, autour de bouteilles épaisses remplies d'eau magnétisée. Des tiges de métal sortaient du plancher couvrant le baquet. Les malades pouvaient s'emparer de l'une d'elles, l'approcher de la partie malade. En outre, Mesmer leur faisait faire la chaîne pour laisser le fluide librement courir entre eux. Toutes les classes de la société se retrouvaient auprès de ces baquets. Cette médication ne produisit guère d'effet sur la princesse de Lamballe, mais comme elle était très généreuse, elle insista auprès de Maurepas pour que Mesmer obtînt une pension et une subvention pour son loyer.

Alors — enfin ! — elle trouva le praticien qui devait, sinon la débarrasser de ses maux, du moins les atténuer et l'aider à vivre. Il se nommait Saiffert et, depuis la mort de Tronchin, remplissait la charge de médecin-chef auprès du duc d'Orléans. Saxon d'origine, Geoffroy Saiffert s'entendait à soigner les nerfs. Il avait — nous raconte, dans un article des plus documenté, du Temps, M. Raoul Arnaud auquel nous empruntons les détails sur cette période de la vie de la princesse et sur son médecin — quitté le village de Chaumont, en Gâtinais, où après être sorti d'Allemagne et avoir parcouru l'Europe, il traitait en 1775, gratis depuis cinq ans, les malades indigents. Il finit après différentes pérégrinations, sur l'ordre du comte de Lusace, par s'installer rue Croix-des-Petits-Champs, à Paris, dans la maison du dentiste Bourdet. On le prétendait affilié à une société secrète, ce qui ne l'empêcha point — bien qu'ayant chanté tous les jours les principes républicains avec énergie — d'être arrêté le 18 brumaire, an II, et d'être enfermé huit mois au Luxembourg. Il mourut à Paris en 1809.

C'est à son journal, analysé par M. Raoul Arnaud, que nous sommes redevables d'être éclairés sur la maladie de la princesse de Lamballe.

Au début de 1782 s'accusent les défaillances et les convulsions de la princesse. Elle raconte à Saiffert : Deux jours l'un, l'après-midi, exactement après qu'a sonné une heure, je tombe dans un état de torpeur qui s'accroit graduellement. Bientôt je n'ai plus conscience de moi-même, je m'assoupis et je reviens à moi neuf heures après. Je me réveille alors comme courbaturée (sic) de tous mes membres. Elle absorbait des narcotiques et des médicaments que lui prescrivait la Faculté avec un changement tous les six mois. Les praticiens n'entendaient rien à son cas. Lorsque Saiffert s'approcha d'elle, il lui inspira confiance et il joua auprès d'elle le rôle d'un véritable confesseur, obtenant de sa cliente les aveux les plus complets et les plus sincères : Demandez, demandez, lui répétait-elle, et rien ne vous sera caché de ma part. Il ne découvrit aucune maladie héréditaire, aucune maladie d'enfance : quelques invasions de poux, tout au plus, qu'elle combat avec de la poudre rouge. Elle poursuit ses aveux et l'on voit qu'elle ne lui cèle aucun détail : Je sais que l'on a calomnié mon amitié avec la Reine... rien n'est vrai de tout ce qu'on a dit. Vous savez que je suis veuve et que les préjugés nobiliaires empêchent que je me remarie, si ce n'est avec un prince du sang, occasion qui se rencontre rarement ; on ne saurait m'en vouloir si j'ai un amant, mais quelque chère que soit notre intimité, il me sera tout de même facile de m'en passer rigoureusement si vous pensez qu'elle puisse être un obstacle à ma guérison.

Cette dernière proposition éveilla la curiosité, naturellement. Dans l'Intermédiaire des Chercheurs, un lecteur a posé la question de savoir si l'on connaissait le nom de cet heureux mortel, et il n'a pas obtenu de réponse.

Saiffert revient à l'hôtel de Toulouse le lendemain de sa première visite. D'ores et déjà à l'exception de Las-sonne, les médecins ont renoncé à guérir la princesse de Lamballe. Il l'observe : c'est une blonde pâle, de trente-six ans. À une heure cinq — il est arrivé à une heure — elle devient blême ; à une heure quinze ses paupières battent trois fois et elle les clôt. Le corps est secoué, les lèvres se serrent. Dans la région du duodénum il remarque une induration de la grosseur d'un œuf. Il en conclut que la glande biliaire arrête les sucs et que le mal vient de là Elle sommeille après quelques mouvements convulsifs et tombe dans un état léthargique qui dure sept heures vingt. Au réveil l'induration a perdu un quart de sa grosseur. Un sifflement guttural, un clignement des paupières, et la voilà revenue à la réalité, restant encore comme dans une sorte d'ivresse. Les jours suivants il apprend que les paroxysmes se sont prolongés de quinze minutes. Cette fois il donne un diagnostic : maladie non épileptique mais léthargique et à forme chronique. Il affirme, contrairement à ses collègues, qu'elle guérira ; il fixe la date, dans onze mois, pour peu qu'elle suive strictement son régime et les ordonnances qu'il prescrit. Pour l'y décider il use de suggestion. La princesse de Lamballe promet de lui obéir s'il consent à devenir son médecin du corps, mais il refuse.

Etonné par le traitement prescrit, alarmé même, le duc de Penthièvre provoque un entretien avec Saiffert et qui vaut — toujours puisé à la même source — d'être relaté. Saiffert, écrit M. Raoul Arnaud, le juge bienfaisant mais imbu de tous les préjugés de son sang et adonné aux prêtres. Le dialogue nous édifie sur la pensée pleine de sollicitude qui est celle du duc : Monsieur, ce que vous avez entrepris auprès de ma bru me terrifie. Vous ne tenez aucun compte des conseils de nos célèbres médecins. Considérez-vous bien que ma bru est princesse du sang ? Vous êtes étranger et vous professez une autre religion que la nôtre. Alors qui me garantit que vous ne tentez pas une expérience, dont aussi bien vous ne supporterez pas la responsabilité ? Des hommes expérimentés dans leur science assurent que si la maladie de ma fille est inguérissable elle n'est pas mortelle. Vous, Monsieur, avez la témérité d'y voir plus loin que tous ces hommes. Encore une fois, votre médication peut abréger les jours de ma fille ! Le devoir paternel m'oblige à m'opposer à cette entreprise ; je vous le répète, cela est téméraire, cela me terrifie !

Saiffert, qui a du mal à ne pas le considérer comme entaché de ridicule, répond : Monseigneur, je dois avoir l'ambition de soutenir le nom que je me suis fait en France, quoique étranger. Cette ambition peut vous servir de garantie, me semble-t-il. Pour ce qui est de votre objection que je ne suis pas de votre religion, je vous répondrai que le médecin honnête traite chaque malade selon sa conscience. Vous semblez parler avec plus de justice, j'en conviens, lorsque vous me reprochez de ne pas vouloir admettre les conseils de mes collègues médecins, mais, Monseigneur, ces médecins, moi, leur confrère, j'ai la conviction qu'ils se méprennent sur la cause du mal et par conséquent sur les moyens qu'il faut employer pour le combattre. Ils ne sauraient donc que me barrer le chemin dans l'application d'une médication qu'ils ignorent. Le sang de l'auguste malade ne fait pas davantage question. Dans ma patiente le médecin n'envisage qu'une patiente.... Vous-même et non pas moi me paraissez être téméraire.... Croyez-vous donc tenir de votre naissance les connaissances médicales suffisantes pour vous ériger en juge dans la matière ? Non, soyez-en certain, cet amour paternel qui vous pousse à vouloir vous opposer à mon traitement deviendra bientôt pour vous la cause des plus douloureux reproches de votre conscience et vous seriez, vous-même, celui qui aurait contribué à abréger les jours de votre bru par une inintelligente intervention. À présent, Monseigneur, j'ai fait mon devoir avec ma franchise accoutumée. Votre belle-fille a demandé mon conseil et mon aide, sans que je l'y aie contrainte ; le moyen de sauver sa vie, elle le possède entre ses mains grâce à l'ordonnance que je lui ai donnée. Advienne que pourra, je m'en lave les mains, comme Pilate ! Seulement, je tiens à déclarer que c'est à vous seul et à vos célèbres médecins que sera imputable le deuil inévitable et proche qui va vous frapper. C'est ma conviction.

Vous me paraissez, remarqua le duc, un homme consciencieux disant la vérité, mais très décidé et de propos un peu trop libres. Vous n'avez ménagé en moi ni le prince ni le père, et, comme vous le désiriez, vous m'avez remué vivement la conscience. Les menaces que j'ai dû entendre de vous m'obligent, au vrai, à me comporter, en cette affaire, comme le spectateur tremblant et interdit d'une entreprise qui ne laisse pas de me paraître toujours trop téméraire. Je ne le cache point.

Votre crainte, affirma Saiffert, se changera, Monseigneur, dans quelques semaines en espoir, confiance et avant-goût de joie, et vous me remercierez alors d'avoir pris une décision qui vous paraît de la témérité à cette heure.

Dieu le veuille ! s'écria le duc.

Et nous nous quittâmes, conclut Saiffert.

Il a contre lui tous les médecins, à l'exception de Las-sonne. La princesse de Lamballe n'écoute pas ses détracteurs. Elle le supplie d'excuser le duc de Penthièvre, aveuglé par sa tendresse, elle n'ajoute pas par son orgueil princier et d'homme qui se croit infaillible, encore que fort touché par ce que nous nommerions aujourd'hui le snobisme de la Cour. Mais l'effort a été trop rude pour elle : immédiatement s'annonce le paroxysme qui dure quinze minutes de plus que les précédents. Les intrigues de cour ne sont pas les seules à l'encercler, les intrigues gagnent aussi la Faculté. Le médecin du corps qui est chargé d'appliquer le traitement en médit. La princesse, qui s'accroche désespérément à Saiffert, le veut seul auprès d'elle et elle congédie son confrère.

Cependant les crises se succédaient. Elle en eut à Crécy chez le duc de Penthièvre, elle en eut à Paris. Deux fois la semaine, aux mêmes jours et aux mêmes heures, pendant toute une année se renouvelèrent ces symptômes. Il est vrai qu'à cette époque les crises de nerfs étaient fort à la mode et que l'on y attachait une importance relative. Saiffert, toutefois, entrait chez la princesse aux instants prévus et, après lui avoir frotté les tempes et les mains d'une liqueur spiritueuse, l'obligeait à se mettre au lit. L'évanouissement se prolongeait deux heures. Pendant ce temps, note Mme de Genlis, ses amis intimes... faisaient un cercle autour de son lit et causaient tranquillement jusqu'à ce que la princesse sortît de sa léthargie.

Les calomnies pourtant circulaient plus âprement que jamais, sous forme de pamphlets. La Cour répétait à la Reine que la surintendante était une ignorante qui ne pouvait pas tenir sa charge, qu'elle était épileptique et que la souveraine, qui était enceinte, ferait bien de l'éloigner d'elle. On déclarait ouvertement que Mademoiselle de Condé, — elle avait vingt-cinq ans, était douée de grâce, regrettait amèrement de ne pas avoir épousé le comte d'Artois, entretenait une correspondance ardente avec un carabinier, — allait être très prochainement appelée à remplacer la princesse.

La Reine fut impressionnée par ces rumeurs. Elle le prit de haut avec Saiffert, le grand pilulier de France, et lui demanda, l'ayant rencontré chez la princesse, s'il était vrai qu'il fût également le médecin de Beaumarchais. Il ne le dissimula point. Alors elle s'écria : Vous avez beau le purger, vous ne lui ôterez pas toutes ses vilenies. Bientôt, sous l'influence de Lassonne, elle éprouva moins d'humeur à son endroit. Enfin, quand Saiffert préconisa qu'après le quarante-deuxième paroxysme ce serait la fin de la maladie, elle se rallia à sa cause. L'ayant trouvée chez la princesse, il la pria de ne point imiter l'amour-propre de ses adversaires. Elle répliqua avec une spontanéité imprudente : Eh ! nous autres Allemands, ma foi, avons tous le défaut de céder beaucoup trop à ces damnés de Français.... À les entendre, nous autres Allemands sommes faits pour manger du foin et rien de mieux.... Les hâbleurs savent bien qu'il coule du sang allemand dans mes veines. Plus d'une fois ils l'ont fait bouillir et non seulement à l'occasion de choses médicales, mais dans d'autres cas très nombreux. Presque tous sont de sacrés individus. Cet entretien — relate M. Raoul Arnaud — eut lieu en langue allemande. Marie-Antoinette s'en excuse auprès de la princesse. Elle n'en avait pas moins abusé de son parler maternel.

Les attaques se dessinèrent contre Saiffert. Un message de la Cour le somme de témoigner que la princesse est inguérissable et que si elle attendait un enfant elle en mourrait. La Reine est obligée de soumettre à Saiffert un questionnaire auquel il répond sans détour : La maladie de la princesse de Lamballe peut-elle se communiquer à un enfant dont elle deviendrait grosse pendant une crise ?Non. — Les crises peuvent-elles revenir d'une façon soudaine en dehors des époques ordinaires où elles se produisent ?Non, jamais. — Est-ce bien sûr que la malade pourra être guérie ?Très sûr. Et les menaces se font jour. Saiffert se contente de hausser les épaules. Il reçoit des lettres anonymes ; on le somme d'abandonner sa cure. Par un sentiment d'humanité je te donne le conseil d'abandonner ton entreprise, si tu veux avoir la vie sauve... tous les médecins ont juré de se venger de toi. Enfin, le 29 août 1786, les vitres de son carrosse sont brisées à coups de pierres ; le 3o, il est attaqué en sortant de chez la princesse par trois solides gaillards. Il leur échappe. Le 1er septembre et les jours suivants, les attentats contre son carrosse se renouvellent. Décidément, il faut se débarrasser de cet homme gênant. Le 17 septembre, il se rend chez la comtesse de M.... Il y boit de la bière. Rentré chez lui il est tordu par des douleurs. Après vingt-six heures de spasmes son malaise s'atténue. Il n'en souffle mot à personne et reprend ses visites dès le 1er octobre. Alors se produit un nouvel attentat plus significatif encore que les précédents. Comme on vient le chercher pour aller au chevet d'un malade, la vitre de son cabinet de travail vole en éclats. Le lendemain, son domestique arrache des lambris une balle. Elle avait passé à deux pouces au-dessus de la tête de Saiffert. Cependant qu'il visite ses patients, les agents de police dressent procès-verbal : le coup était parti d'un entresol en face de sa maison. Désormais Saiffert se fit protéger par les policiers. Le duc de Penthièvre offrit 150 louis à qui découvrirait le coupable. On ne le trouva jamais.

Toutefois la santé de la princesse de Lamballe s'améliorait ; l'irritation contre elle et contre Saiffert s'en accrut. On s'est acharné à l'éloigner de la Reine qui attend la princesse Hélène-Béatrix-Sophie. Elle naquit le 9 juillet 1786 et mourut peu de jours après. Aucune des intrigues — elles avaient été soulevées en faveur de Mademoiselle de Condé qui s'employait pour obtenir la charge de surintendante — n'ayant pas plus réussi que les attentats contre Saiffert, les coups se tournèrent contre la princesse de Lamballe et l'on s'ingénia à supprimer la malheureuse. Elle avait ignoré les attaques contre son médecin : elle allait subir celles qui prétendaient la vaincre. Un soir après le souper, elle fut prise de spasmes et de vomissements, suivis de syncopes. Saiffert s'enquit de son menu : potage, deux ailes de poulet bouilli, un morceau de perche, une petite tranche de veau rôti, une omelette avec une couple de truffes piémontaises, enfin une grappe de raisins. Puis elle avait absorbé sa potion et du café. Encore qu'elle fût sortie de son régime en mangeant des truffes, cette infraction ne pouvait déterminer une crise aussi grave. Saiffert lui administra de l'alcali et de l'huile d'amandes. Elle s'assoupit. Elle eut une nuit fort agitée et le lendemain les malaises se renouvelèrent. Cette fois le diagnostic du médecin conclut à un empoisonnement. Son attention se porte sur les truffes. D'où les fient-elle ? sa belle-sœur les lui a envoyées de Turin et leur origine n'est nullement suspecte. Saiffert néanmoins en emporte deux qui restaient. D'autre part, ne serait-ce pas les casseroles de cuivre qui auraient déterminé l'intoxication ? Le duc de Penthièvre le croit et les fait remplacer par une batterie de cuisine en fer-blanc. Saiffert, plus méfiant, tente une expérience et mêle les deux truffes à la pâtée d'un chien qui est destiné à être abattu. L'animal les dévore. Une heure après il crève dans d'horribles convulsions. En analysant les derniers débris des truffes, Saiffert en extrait une liqueur verdâtre. Un chat en absorbe et il a le même sort que le chien. À l'autopsie des deux bêtes le praticien constata que des taches d'un vert brunâtre recouvraient leur estomac. Il dissimula devant la princesse le résultat de ses analyses. Une enquête auprès de la princesse de Carignan lui révéla qu'elle n'avait jamais fait à sa belle-sœur cadeau de truffes. Saiffert fut édifié, et prudemment il mit la malade sur ses gardes. La Reine n'eut pas de doutes : la même main avait dirigé ses coups contre la princesse et contre Saiffert. On ne retrouva jamais l'auteur de l'attentat.

Pendant sept semaines — précise M. Raoul Arnaud il fut impossible de traiter la maladie nerveuse de la princesse. Tous les deux jours, comme par le passé, se renouvelaient les crises. Enfin elles diminuèrent d'intensité. Un jour, le dernier, elles se manifestèrent uniquement par un bâillement quatre fois répété. Ce fut le jour le plus joyeux de ma vie, déclara Saiffert. Dès lors la princesse fut sollicitée de reprendre son ancien médecin, mais elle s'y refusa. Elle restait fragile. Saiffert en attribua la cause à une sorte de furfura refoulé indiqué par des taches impétigineuses fréquentes. Il n'y voyait qu'un remède : une saison de bains à Brighton. À cette époque les stations balnéaires n'étaient guère en usage en France. On n'y envoyait que les gens suspects d'être atteints de la rage. La princesse craignait le ridicule : elle attachait, quoi qu'elle en eût, un prix particulier au qu'en dira-t-on et elle opposa à l'idée de son départ une résistance qui, au premier abord, parut devoir être invincible. Enfin, elle se soumit aux ordres de son médecin.

Le journal de Saiffert nous apprend qu'il écrivit à un médecin anglais pour le prévenir que les premiers bains provoqueraient probablement des accès de fièvre et des évaporations cutanées. La princesse eut connaissance de cette lettre et elle s'en alarma ; de plus, elle s'opposa catégoriquement à s'embarquer si son médecin ne l'accompagnait pas. Elle demanda au duc de Chartres — qui depuis la mort de son père avait pris le titre de duc d'Orléans — d'intervenir auprès de lui. Comment Saiffert pourrait-il abandonner sa fonction de médecin du corps auprès de la famille d'Orléans ? Il ne songe point à céder aux instances de la malade. Le duc répond qu'il le remplacerait durant son absence, et la princesse offre à Saiffert 20.000 livres en compensation des préjudices qu'elle lui causerait. Ce n'est pas une question d'argent qui l'arrête, c'est une question de conscience. Le duc plaide la cause de sa belle-sœur : il invoque les faiblesses qui l'attendent, mais son médecin s'obstine à ne pas changer d'avis.

Il se croit désormais à l'abri de nouvelles tentatives quand, le lendemain, la femme de chambre accourt et lui annonce que sa maîtresse a gémi toute la nuit. Il se rend auprès d'elle, la rassure, lui affirme qu'elle trouvera auprès de son confrère anglais les secours dont elle a besoin : elle s'obstine, elle est butée ; elle demeurera donc en France, elle supportera son mal, puisqu'il ne veut pas la soigner. En présence de ce désespoir il se soumet. Il la rejoint à Calais où elle l'avait précédé.

Aussitôt, la nouvelle s'étant répandue, on murmure à la Cour qu'elle a été chargée de mission auprès du souverain de la Grande-Bretagne. En réalité il n'en était rien. Le duc de Queenburg, qui séjournait à Brighton, lui offrit à souper. Le prince de Galles ne put même pas la recevoir, il était parti pour Windsor au-devant du duc d'York.

La vie de plage était déjà de mode à Brighton. La princesse se lève à six heures pour ses douches de vagues, se promène ensuite, puis ce sont les réceptions et les réunions du soir. Elle mande à Mme Lage de Volude qu'elle a entendu la lecture de Nina par certaine Mme Olnet qui, comme Mme de Mazarin, habitait en Angleterre toujours dans les bras du ridicule. Et elle ajoute : Elle se donnait tant de peine pour la déclamation qu'elle était en nage. La sensibilité, au lieu de porter à l'âme, portait à rire. Ici du moins elle vit à l'abri des intrigues et ce silence lui est salutaire. Après six semaines elle se promène une heure durant. Mais Saiffert, par contre, recueille les rumeurs calomnieuses. Le bruit circule que la princesse vit maritalement avec lui et qu'elle attire ainsi le discrédit sur la Cour. La nouvelle en fut rapportée à Louis XVI, le seul homme, dit Saiffert, qui fit encore cas des bonnes mœurs dans cette Cour corrompue. Cependant la princesse, poursuit M. Arnaud, reçoit de Marie-Antoinette une lettre : Je ne doute... aucunement que vous ne permettiez qu'il — Saiffert — reprenne le chemin de Paris... au plus le Roi a résolu de le rappeler par un ordre spécial. J'ai fait en sorte qu'il ajourne sa résolution, en lui promettant que je vous écrirais et j'espère, pour des raisons particulières, que le retour de votre médecin sera votre réponse. Ainsi jamais de trêves dans ces misérables et mensongères attaques. Elle en est brisée : la Reine elle-même la soupçonne. La réaction se produit et détermine sa colère, elle ne sera point lâche devant ses adversaires et sa nature combative reprend le dessus : Je vois bien qu'on voudrait faire de moi une ingrate amie, s'écrie-t-elle en s'adressant à Saiffert. Mais non ! Ces langues de vipères vont être surprises. À qui, dans le monde entier, pourrais-je devoir plus d'estime publique et plus d'amitié qu'à celui qui, avec tant de soin et d'une façon merveilleuse, m'a arrachée à mon horrible maladie et sauvée du tombeau ? Aucune calomnie ne pourra affaiblir en moi ce sentiment du devoir.... J'ai été tant de fois calomniée ! Une calomnie de plus peut m'être indifférente et ne mérite que mon mépris ! Restez comme vous avez toujours été mon médecin et mon ami.... Jusqu'ici vous n'avez connu que mes faiblesses et mes infirmités corporelles : j'espère vous montrer dorénavant, avec la force d'âme la plus ferme, mon cœur reconnaissant.

Ces mots trahissent, en révélant un grand courage pour braver l'opinion dès que ses sentiments sincères sont en jeu, la volonté aussi de lutter contre son mal. Elle s'analyse en toute clairvoyance, une clairvoyance aiguë, comme en manifestent les nerveux ; elle raisonne juste. Elle ne se trompe pas sur elle-même : Aucune calomnie ne pourra affaiblir en moi ce sentiment du devoir, déclare-t-elle, et ces mots la définissent tout

entière. Elle ne faillit à son devoir, ni en soignant le prince de Lamballe, ni en remplissant sa charge auprès de la Reine contre les intrigues : elle n'y faillira pas non plus à l'heure du sacrifice.

Saiffert rend justice à ses belles qualités. À la médisance il oppose le mépris et il ne craint pas de le laisser percer devant elle. Toutefois il est prudent. Sa malade ayant résolu de rentrer en France, il restera en Angleterre et permettra au temps d'accomplir son œuvre. La princesse adressa à la Reine une lettre de révolte contre les infamies dont on l'accablait, et la Reine, de son côté, lui répondit par un affectueux message auquel le Roi ajoute ces lignes : Pardonnez-moi, ma chère cousine, j'ai été trompé. Sur des représentations très plausibles, on m'a fait croire à une calomnie, mais, soyez tranquille, ces calomniateurs insidieux ne m'induiront pas en erreur. Votre médecin a eu raison de s'être senti offensé. Dites à cet homme que je regrette la résolution qu'il a prise de rester en Angleterre.... Avant de quitter l'île, en octobre, elle visita Oxford et Bath et fit un rapide séjour à Londres. Les paroles du Roi, cependant, ont produit leur effet. Saiffert l'accompagne en France.

Elle trouve auprès des souverains un accueil fait de sympathie, mais elle demande à être remplacée à la Cour par Mme d'Ossun, fille de la comtesse de Gramont, dame d'atour de Marie-Antoinette. Elle semble aussi lassée de la lutte ; elle sent qu'il lui faut du calme pour rétablir sa santé et elle songe à acquérir des biens en économisant sur son douaire et sur ses honoraires. Le duc de Penthièvre lui a donné l'exemple de la bonté ; elle ne conçoit point une existence égoïste : Alors, dit-elle à son médecin, je pourrai finir mes jours dans le même bonheur que vous, en soignant les malades et les pauvres. Saiffert lui consent une avance de 24.000 livres, qu'elle lui devait pour ses frais de route ; elle acquiert deux terres qui seront payées peu de temps avant sa mort, Saiffert devant être remboursé en août 1792. En attendant elle le seconde de son mieux, en l'aidant pour la distribution des médicaments gratuits aux indigents. Malheureusement, quoi qu'ait prétendu à ce sujet Saiffert, elle n'est pas guérie. De nouvelles crises se produiront, provoquées par les émeutes.

Depuis 1785, il semblait que se fût ranimée l'amitié de la Reine pour la princesse de Lamballe. Marie-Antoinette avait, avec Choiseul, perdu son conseiller le plus sûr et, se voyant menacée de toutes parts, se détourna des plaisirs futiles pour retrouver le dévouement de sa plus fidèle amie. Elle n'avait pas besoin d'explications pour resserrer les liens que les circonstances avaient relâchés. Peut-être compara-t-elle secrètement tant de nobles vertus au charme qu'elle goûtait aux relations de Mme de Polignac et préféra-t-elle cette gravité aux agréments souriants. Peu après, la princesse voyagea, et ce fut au cours d'une de ses absences qu'éclata l'affaire du collier (1786). De retour, la princesse de Lamballe, mue par un sentiment de pitié, se présenta à la Salpêtrière et tenta d'y approcher Mme de Lamotte. La Supérieure, qui se méprit sur les mobiles de sa pieuse démarche, lui aurait barré la route : Madame, cette malheureuse n'a pas été condamnée à vous voir, et la princesse aurait été obligée de se retirer.

La Reine, dont l'impopularité allait croissant, eut à subir les plus cruels outrages, qui déjà présageaient l'avenir auquel sa destinée était réservée. En août 1787, on redouta des manifestations devant son portrait. Il la représentait entourée de la Dauphine, du Dauphin, dont la pâleur reflétait déjà l'approche de la mort, et du duc de Normandie assis sur ses genoux. On n'osa pas exposer au Salon la toile de Mme Vigée-Lebrun.

De nouveau la princesse va s'éloigner de la Cour pour rejoindre sa belle-sœur, la duchesse d'Orléans. Le duc est en violente opposition avec le Roi. Il a été exilé a Villers-Cotterêts. Mme de Lamballe s'y rendit, après avoir, en vain, imploré le pardon de la Reine. Au cours de son séjour elle fit une chute et sa tête porta contre la racine d'un arbre. Elle fut menacée de l'opération du trépan, à laquelle, heureusement, elle échappa. Cette circonstance lui valut d'être acclamée à la réception de Florian — elle y avait ardemment travaillé — qui fut admis à l'Académie française le 14 mai 1788.

Ce fut — succédant à la visite de l'archiduc Ferdinand, à Sceaux — l'une des dernières belles journées de la princesse et de la Cour. Par dégoût des intrigues, la princesse habitait le plus souvent, avec ses dames pour accompagner, Mmes Lage de Volude et de Ginestous, une maison sise 1, rue de Seine, ou bien sa maison de Passy. Puis elle voyagea beaucoup et visita l'ouest de la France avec Mme Lage de Volude. Elles s'arrêtèrent à Fontevrault, chez l'abbesse, Mme de Pardaillan d'Antin. Sur le chemin du retour, désireuse de passer incognito et pressée de rejoindre les siens, elle ordonna de brûler Tours. Comment la population avait-elle été prévenue de son passage ? La foule se pressa au-devant d'elle. La princesse en fut importunée : La honte de nos petites robes de percale, note Mme Lage de Volude, et de nos chapeaux de paille au milieu de ces belles dames toutes couvertes de diamants et de perles... Pendant le chemin, vite, vite nous nous mettions du rouge et nous tâchions de nous rebouiser un peu, et faisant un miroir de la glace de devant du siège, voyant venir tous ces régiments, ces corps de ville, qui dans ce brouhaha nous conduisaient jusqu'à l'archevêché. Et elles riaient.

La princesse revit Paris avec joie. Elle ne devinait pas l'agitation causée par la disette. Elle songeait au bonheur d'avoir recouvré l'amitié de la Reine, à ses acquisitions de terres, qui lui permettraient de vivre dans la paix. Et elle se moquait, en 1788, des idées sombres de Saiffert sur l'avenir.