HISTOIRE DE LA CHUTE DE L'EMPIRE ROMAIN

ET DU DECLIN DE LA CIVILISATION, DE L'AN 250 A L'AN 1000

TOME PREMIER

 

PAR J. C. L. SIMONDE DE SISMONDI

Associe étranger de l'Institut de France, de l'Académie impériale de Saint-Pétersbourg, de l'Académie royale des Sciences de Prusse ; Membre honoraire de l'Université de Wilna, de l'Académie et de la Société des Arts de Genève, de l'Académie Italienne, de celles des Georgofili, de Gagliari, de Pistoja ; de l'Académie Romaine d'Archéologie, et de la Société Ponlaniana de Naples.

PARIS - TREUTTEL ET WÜRTZ - 1835.

 

 

PRÉFACE.

CHAPITRE PREMIER. — Introduction. - Grandeur et faiblesse de l'empire romain.

CHAPITRE II. — Les trois premiers siècles de l'empire romain.

CHAPITRE III. — Les barbares avant le IVe siècle.

CHAPITRE IV. — Constantin, ses fils et son neveu.

CHAPITRE V. — Valentinien et Théodose. - Invasion de l'Europe orientale par les Goths. - 364-395.

CHAPITRE VI. — Arcadius et Honorius. - Invasion de l'Occident par les peuples germaniques. - 395-423.

CHAPITRE VII. — Les barbares établis dans l'empire. - Invasion d'Attila. - 412-453.

CHAPITRE VIII. — Chute de l'empire d'Occident. - Les Francs dans les Gaules. - 476-511.

CHAPITRE IX. — Les Goths et les Francs jusqu'au milieu du VIe siècle. - 493-561.

CHAPITRE X. — Justinien. - 527-565.

CHAPITRE XI. — Les Lombards et les Francs. - 561-613.

CHAPITRE XII. — L'Occident et l'Orient au VIIe siècle, et jusqu'aux attaques des musulmans.

 

PRÉFACE

LA plus importante, la plus universelle et la plus longue des convulsions auxquelles le genre humain ait été exposé, est celle qui a détruit l'ancienne civilisation pour préparer les éléments de la nouvelle.

Elle a pris les hommes au point le plus élevé de perfectionnement auquel ils fussent encore parvenus, soit dans la carrière de l'organisation sociale et de la législation, soit dans celles de la philosophie, des lettres et des arts, et elle les a précipités, par des accès redoublés et toujours plus effrayants, dans la plus complète barbarie.

Elle a compris dans ses effets toute la partie de la race humaine qui avait alors la conscience de son existence et la capacité de conserver des souvenirs, toute celle, par conséquent, dont des monuments écrits nous ont transmis les pensées.

Elle a continué au moins pendant huit siècles, en assignant son commencement au règne des Antonins, lorsque les peuples paraissaient parvenus à leur plus haut point de prospérité, et en se prolongeant, par des secousses successives, jusqu'à la dissolution presque absolue de toutes les anciennes associations d'hommes, et au renouvellement de la société dès ses fondements.

L'empire romain, qui couvrait alors tout ce qu'on croyait être la terre habitable, fut envahi par tous les peuples barbares qui l'entouraient, ravagé, dépeuplé, mis en pièces. Les nations conquérantes qui s'étaient partagé ses débris essayèrent de fonder sur son antique sol de nombreuses monarchies ; toutes, après deux ou trois générations, disparurent. Leurs institutions sauvages étaient insuffisantes pour conserver la vie des peuples. Deux grands hommes s'élevèrent ensuite, Mahomet dans l'Orient, Charlemagne sur les bords du Rhin ; et ils tentèrent l'un après l'autre de se mettre à la tête d'une civilisation nouvelle. L'un et l'autre fonda un empire qui, pendant un temps, égala en puissance l'ancien empire romain. Toutefois le moment de la réorganisation n'était pas encore venu ; l'empire des khalifes et celui des Carlovingiens croulèrent en peu de temps. Les nations alors parurent dissoutes ; les races s'étaient mêlées ; un pouvoir violent et temporaire était saisi par des rois, par des émirs, qui n'étaient point les chefs des peuples, mais les maîtres accidentels d'une fraction de territoire circonscrite au hasard. Personne ne pouvait plus croire qu'il avait une patrie ou un gouvernement. Toute protection sociale cessa enfin, et les villes et les communes s'armant pour leur propre défense, le moment vint où les propriétaires de terres bâtirent quelques retraites fortifiées, où les bourgades et les cités relevèrent leurs murs, où tous s'armèrent pour leur propre défense. Chacun dut reprendre le gouvernement dans ses propres mains, et recommencer les sociétés par leurs premiers éléments. Telle est l'effrayante révolution qui s'accomplit du IIIe au Xe siècle de notre ère, et qui cependant ; en raison même de son universalité et de sa durée, n'a pas même un nom commun sous lequel on puisse la désigner.

Pour saisir l'ensemble de cette immense catastrophe, il faut en quelque sorte la ramener sous un foyer unique ; il faut élaguer les faits qui disséminent l'attention ; il faut se borner aux grands mouvements de chaque peuple et de chaque siècle ; il faut montrer l'accord des conquérants barbares, qui ne savaient pas eux-mêmes qu'ils agissaient de concert ; il faut suivre l'histoire morale de l'univers, en abandonnant le détail des guerres et des crimes ; il faut enfin chercher dans l'intelligence des causes cette unité de dessin qu'une scène si mouvante nous refuse. La première moitié du moyen âge se présente à nos regards comme le chaos, mais ce chaos recèle sous ses ruines d'importantes leçons.

Après avoir consacré de longues années à l'étude de la renaissance de l'Europe, j'ai cru qu'il y aurait quelque avantage à saisir d'un seul coup d'œil l'ensemble de ce grand bouleversement. Déjà, il y a quinze ans, j'essayai de faire comprendre la marche de cette révolution terrible, dans une suite de discours prononcés à Genève, devant une assemblée peu nombreuse. Encouragé par l'intérêt qu'ils me semblaient avoir excité, je réservais ce vaste tableau pour l'exposer un jour dans une des capitales du monde lettré. L'âge, qui s'avance, m'avertit de ne plus compter sur la possibilité d'un enseignement oral ; j'ai senti d'ailleurs qu'il pouvait être utile de s'adresser à un public bien plus nombreux que celui qui peut suivre un cours, ou celui auquel de longs ouvrages sont destinés, et de lui offrir seulement les résultats de recherches plus étendues.

Un tableau de la première moitié du moyen âge, c'est l'histoire de la chute de l'empire romain, de l'invasion et de l'établissement des barbares au milieu de ses ruines ; c'est plus encore l'histoire de la destruction de la civilisation antique, et des premières tentatives pour la réorganisation des sociétés modernes ; c'est enfin le résumé des souffrances de toute la race humaine du IIIe siècle de l'ère chrétienne jusqu'à la fin du Xe. Dans ces volumes, plus encore que dans l'Histoire de la Renaissance de la Liberté en Italie[1], j'ai été obligé de courir rapidement sur les événements, de ne montrer que des résultats, de m'abstenir de toute discussion critique, de tout appel à mes autorités. J'aime à croire que, parmi ceux qui me liront, quelques uns voudront recourir aux travaux par lesquels je me suis préparé à ce résumé. Ils verront, surtout par les premiers volumes de mon Histoire des Français, que les faits et les résultats qui peuvent ici paraître avancés légèrement, ont été cependant rassemblés et mûris par des études consciencieuses.

 

 

 



[1] L'un et l'autre ouvrage ont paru d'abord en anglais, dans le recueil intitulé : Cabinet Cyclopœdia, du docteur Lardner ; le premier sous le titre de : History of the Italian Republics, et le second sous celui de : History of the Fall of the Roman Empire.