HISTOIRE NARRATIVE ET DESCRIPTIVE DU PEUPLE ROMAIN

 

CHAPITRE IX. — CONQUÊTE DU BASSIN DE LA MÉDITERRANÉE.

 

 

Guerre contre Philippe, roi de Macédoine. — Il y avait en Orient trois grands royaumes gouvernés par des rois grecs descendants des successeurs d'Alexandre, la Macédoine, la Syrie, l'Égypte.

Le roi de Macédoine était le plus proche voisin de Rome. C'est lui qui le premier entra en lutte avec les Romains.

Les Romains avaient commencé à s'établir de l'autre côté de l'Adriatique, dans le pays qu'on appelait alors l'Illyrie. Ils y étaient venus d'abord en 229 pour détruire les pirates qui attaquaient les navires sur L'Adriatique ; ils eurent dès lors pour alliées les colonies grecques de la côte d'Épire, qui vivaient du commerce avec l'intérieur (Corcyre, Apollonie, Épidamne).

En 215, pendant qu'Annibal faisait la guerre en Italie, le roi Philippe s'allia à lui contre Rome. Mais presque tous les Grecs le détestaient et s'allièrent aux Romains. Après neuf ans de guerre sans résultat, Philippe fit la paix avec Rome (205).

Il continua à guerroyer contre les Grecs. Il forma une flotte de guerre et commença à conquérir la côte d'Asie. Les Rhodiens et les Athéniens prirent peur, et demandèrent secours à Rome.

La guerre punique était finie, le Sénat fut d'avis de reprendre la guerre contre le roi de Macédoine. Le consul, suivant l'usage, fit voter l'assemblée du peuple : les citoyens, ruinés et fatigués par une guerre de vingt années, votèrent contre la guerre. Sur la demande du Sénat, le consul réunit de nouveau l'assemblée et la harangua. Cette fois elle se décida à voter comme voulait le Sénat (200).

Dans cette guerre Rome eut plusieurs alliés : Massinissa envoya ses cavaliers numides ; Carthage fournit du blé ; Rhodes et Pergame, villes grecques d'Asie, donnèrent des navires ; les Étoliens, le plus guerrier des peuples de Grèce, envoyèrent leur cavalerie ravager la Thessalie ; les Barbares d'Illyrie et de Thrace envahirent la Macédoine du côté du nord-ouest et du nord.

Philippe, outre son royaume de Macédoine, avait pour lui la Thessalie, l'Eubée, la Béotie et les villes grecques de la côte de Thrace.

La guerre fut d'abord très mal conduite par les Romains. Deux années de suite l'armée romaine, partant de la côte d'Illyrie, essaya en vain de pénétrer en Thessalie ; les soldats mécontents de cette guerre où ils ne faisaient pas de butin, réclamaient leur congé.

Enfin un nouveau consul, Quinctius Flamininus, âgé de trente-deux ans seulement, fut mis à la tête de l'armée campée en Épire en face de Philippe. Des bergers offrirent de le guider ; 4000 hommes d'élite partirent à travers les montagnes avec ces bergers, qu'on tenait enchaînés par précaution ; ils se cachaient le jour dans les bois et marchaient la nuit au clair de lune ; en deux nuits ils arrivèrent derrière le camp de Philippe. Les Macédoniens, attaqués à la fois des deux côtés, s'enfuirent. Les Romains entrèrent en Thessalie, coupant ainsi les communications entre Philippe et ses alliés grecs qui furent forcés de se soumettre à Rome (198).

Philippe resta seul avec son armée ; pour réunir 25.000 hommes, il avait dû armer tous ses sujets à partir de l'âge de 16 ans.

Bataille des Cynocéphales (197). — L'armée romaine opérait en Thessalie, dans une plaine coupée d'arbres, de haies et de jardins qu'elle ravageait sur son passage. Philippe manœuvrait de l'autre côté d'une chaîne de collines qui traverse cette plaine.

Pendant deux jours les deux armées marchèrent côte à côte, séparées seulement par une ligne de hauteurs, sans savoir l'ennemi si près ; ni l'une ni l'autre n'avait d'éclaireurs, négligence fréquente en ce temps.

Le troisième jour, après une nuit humide, au milieu du brouillard, Philippe envoie une troupe occuper le sommet des hauteurs qui le séparaient des Romains, — ces hauteurs en forme de mamelons s'appelaient Cynocéphales, les têtes de chiens.

Flamininus de son côté détache vers les collines des cavaliers et des vélites qui tombent sans s'y attendre au milieu des Macédoniens. Les deux troupes se battent et font demander du secours.

Flamininus envoie les Étoliens, Philippe ses cavaliers thessaliens et macédoniens. Les Romains sont repoussés des hauteurs ; mais les cavaliers étolien résistent et arrêtent la déroute. Un messager vient dire à Philippe que les Barbares sont en fuite, qu'il faut en profiter pour les attaquer. Le terrain était mauvais pour les Macédoniens. La phalange macédonienne, énorme masse de 16.000 fantassins armés de langues lances, avait besoin d'un terrain uni pour manœuvrer sans se rompre. Mais Philippe eut peur de laisser échapper l'occasion, il fit avancer l'aile droite de sa phalange et la rangea sur les collines.

Flamininus alors, laissant son aile droite immobile avec les éléphants en avant, mène l'aile gauche au combat. Les Macédoniens, tenant les piques basses, marchent sur les Romains ; on entend le choc, les cris de guerre ; les Romains plient d'abord sous le poids de la phalange. L'aile gauche de la phalange, restée en arrière, gravit les collines et commence à atteindre le sommet. L'aile droite des Romains s'avance alors ; en tête marchent les éléphants.

Sur ce terrain accidenté, les Macédoniens ne peuvent maintenir leurs rangs ; ils ne reçoivent pas d'ordre, ils reculent devant les éléphants. A ce moment décisif un officier romain a l'idée de profiter du terrain favorable aux mouvements des petites troupes qui forment l'armée romaine : il prend vingt manipules de l'aile droite, les mène au secours de l'aile gauche et attaque par derrière les Macédoniens.

Les phalangites, serrés l'un contre l'autre, encombrés par leurs longues piques, ne peuvent ni se tourner ni se défendre corps à corps : ils jettent leurs piques devenues inutiles et s'enfuient.

Les Romains les poursuivent ; ils rencontrent une troupe de phalangites qui tiennent la pique levée, en signe qu'ils demandaient à se rendre. Les Romains, ignorant cet usage, les massacrent jusqu'au moment où Flamininus vient les arrêter.

Il périt 8.000 Macédoniens, 5.000 furent pris. Les Romains perdirent 700 hommes.

Philippe demanda la paix. Rome la lui accorda, mais à condition de livrer sa flotte de guerre, de renoncer à rien posséder en Grèce et de s'engager à avoir les mêmes amis et les mêmes ennemis que le peuple romain.

Puis Flamininus alla à Corinthe déclarer aux peuples grecs que Rome les avait délivrés du roi de Macédoine[1] (196).

Guerre contre Antiochos. — Le roi de Syrie Antiochus II, surnommé le Grand, essayait en ce temps de se faire un grand empire. Il avait fait une expédition jusque dans l'Inde, d'où il avait ramené, dit-on, 150 éléphants. Il avait peu à peu occupé la côte de l'Asie Mineure. Puis il passa l'Hellespont et commença à prendre les villes de la côte de Thrace.

Le roi du petit royaume grec de Pergame, Eumène, menacé par ce voisin trop puissant, demanda l'aide de Rome. Le Sénat fit sommer Antiochus d'évacuer l'Europe et de repasser en Asie. Antiochus répondit qu'il ne se mêlait pas des affaires des Romains en Italie et ne leur reconnaissait pas le droit de se mêler des siennes en Orient.

Vers ce temps, Annibal arrivait à la cour d'Antiochus. Dans les années qui avaient suivi la fin de la deuxième guerre punique, il avait gouverné Carthage et travaillé à la relever et à réorganiser son armée. Le Sénat romain prit peur et ordonna à Carthage de livrer Annibal. Le vieux guerrier s'attendait à ce coup, il tenait un navire toujours prêt à partir ; il s'embarqua et vint en Asie offrir ses services à Antiochus.

On racontait qu'Annibal proposa au roi de conduire une expédition en Italie pour recommencer la guerre ; mais qu'Antiochus, jaloux de la gloire d'Annibal, refusa.

Les Étoliens, qui venaient de combattre avec Rome contre Philippe, étaient très mécontents ; ils comptaient garder la Thessalie ; les Romains la leur avaient refusée. Un chef étolien, Thoas, vint trouver Antiochus, lui promit l'alliance des Grecs et le décida à venir chasser les Romains de Grèce.

Rome n'attaquait pas, étant trop occupée à combattre les Gaulois de Cisalpine et les Espagnols. Mais Antiochus fut si long à préparer son armée qu'il laisse aux Romains le temps de finir leurs guerres. Ce retard irrita Philippe de Macédoine, qui resta l'allié des Romains.

Antiochus débarqua en Grèce avec une petite armée (10.000 fantassins et 500 cavaliers) et sans argent (192). Il perdit l'été en Thessalie, l'hiver à célébrer ses noces.

Rome envoya une petite armée qui reprit la Thessalie. Antiochus se retira aux Thermopyles et s'y retrancha ; une troupe d'Étoliens gardait les sentiers de la montagne (ceux par lesquels les Perses avaient jadis surpris Léonidas). Ils se laissèrent surprendre et mettre en déroute. L'armée royale s'enfuit presque sans combat (191).

Antiochus abandonna la Grèce, où les Étoliens seuls résistèrent, et alla en Asie attaquer Pergame, capitale d'Eumène, l'allié de Rome. L'armée romaine l'y suivit ; le général Lucius Scipion avait emmené son frère Publius, le vainqueur de Zama. L'armée traversa la Macédoine, puis la Thrace. Antiochus avait fortifié la presqu'île à l'entrée de l'Asie ; il n'essaya même pas de la défendre et demanda la paix. Mais il trouva les conditions trop dures et les refusa.

L'armée romaine s'avança en Asie Mineure jusqu'au pied du mont Sipyle, à Magnésie. Là Antiochus lui livra bataille. Les Romains avaient quatre légions, leurs alliés de Macédoine, de Pergame et d'Achaïe, des mercenaires crétois, illyriens, thraces, en tout 30.000 hommes et 16 éléphants d'Afrique. Antiochus avait, dit-on, 70.000 hommes, dont 12.000 cavaliers et 16.000 hoplites rangés en phalange à la façon macédonienne. Il mit en avant de sa phalange ses Asiatiques, ses mercenaires galates et cappadociens, ses chars armés de faux et ses Arabes armés de l'arc et de l'épée, montés sur des chameaux ; sur les ailes, ses éléphants indiens et sa garde armée de boucliers d'argent.

Antiochus avec sa garde arriva jusqu'au camp romain ; là il fut arrêté par les légionnaires chargés de garder le camp. Pendant ce temps, les alliés des Romains repoussaient les chars armés de faux et les éléphants qui se rejetaient en arrière sur la phalange ; l'armée d'Antiochus, saisie de panique, se débandait. Le roi vit de loin son armée en déroute, s'enfuit et s'enferma dans Sardes. Ses soldats, réfugiés dans leur camp, y furent forcés et massacrés. Antiochus perdit 50.000 hommes, les Romains 300.

Antiochus demanda la paix. Il s'engagea à livrer tous ses éléphants, ses navires de guerre, à payer 15.000 talents en douze ans, à ne plus attaquer les îles grecques et à ne pas dépasser le Taurus. I] donna vingt otages et promit de livrer Annibal, Thoas et trois de ses conseillers ennemis de Rome (189).

Annibal averti s'enfuit chez le roi de Bithynie.

Antiochus, pour se procurer l'argent promis aux Romains, alla faire une expédition où il fut tué. On disait aussi qu'ayant enlevé l'argent des temples il fut lapidé par ses sujets.

Antiochus fut le dernier roi puissant de Syrie.

Guerre contre Persée, roi de Macédoine. — Rome, ayant vaincu les deux plus grands rois de ce temps, devint l'État le plus puissant du monde, et le Sénat commença à intervenir dans les querelles entre les peuples de l'Orient.

Prusias, roi de Bithynie, fit la guerre au roi de Pergame ; aidé par les conseils d'Annibal, réfugié chez lui, il fut vainqueur. Le Sénat ordonna à Prusias de livrer Annibal. Flamininus vint le chercher. Il y avait sept issues secrètes à la maison où demeurait Annibal, Flamininus les fit toutes garder. Annibal, se voyant cerné, prit un poison qu'il portait toujours sur lui en disant : Délivrons les Romains de leur terreur (183).

Les Grecs se plaignirent que Philippe de Macédoine voulait les soumettre ; le Sénat leur donna raison. Philippe irrité travailla à mettre son royaume en état de faire la guerre. Il rouvrit ses mines d'or, fonda une ville nouvelle, Philippopolis, et s'allia à un peuple barbare, les Bastarnes.

Il avait deux fils ; l'aîné, Persée, était l'ennemi des Romains ; le cadet, Démétrius, envoyé comme otage à Rome, était devenu partisan de l'alliance romaine. Ils se brouillèrent, et Démétrius finit par être tué (182).

On dit que Persée accusa son frère d'avoir voulu le tuer dans une joute où ils combattaient pour s'amuser ; puis d'avoir la nuit essayé d'attaquer sa maison. Philippe interrogea Démétrius qui chercha à s'enfuir, et ainsi se rendit suspect. Quelque temps après, Démétrius fut invité à un banquet et étouffé sous des couvertures.

Philippe mort (179), Persée devint roi de Macédoine. C'était un prince élégant, bon cavalier, affable, généreux, aimé de ses sujets.

Il se mit à ramasser un trésor, réunit des armes et des munitions pour trois armées, des vivres pour dix ans et équipa 45.000 hommes. Il se fit de nombreux alliés, les montagnards de l'Épire, un roi d'Illyrie, un roi de Thrace, — en Grèce, les Béotiens, — en Asie, Prusias son beau-frère et le roi de Syrie, Séleucus, dont il épousa la fille. Même la grande ville grecque de Rhodes, l'ancienne alliée de Rome, négocia avec lui. On dit que Persée eut dans l'île de Samothrace des entrevues secrètes avec les envoyés des villes d'Asie et de Carthage. Quand il se sentit assez fort, il entra en Grèce avec son armée et vint au temple de Delphes.

Le roi de Pergame, Eumène, son ennemi, alla à Rome le dénoncer ; le Sénat, en signe d'honneur, lui donna une chaise curule et un bâton d'ivoire. En revenant en Asie, Eumène passa par Delphes ; sur la route, dans la montagne, il fut attaqué par des brigands cachés derrière une vieille maison, et tomba évanoui. On accusa Persée d'avoir aposté les brigands.

Le peuple romain déclara la guerre à Persée (171). On n'eut pas de peine à enrôler une armée ; les volontaires se présentaient d'eux-mêmes pour faire la guerre dans un pays qu'on disait si riche, et où l'on pouvait espérer un butin abondant. Pendant deux ans cependant Persée résista victorieusement.

L'armée romaine débarqua à Apollonie, traversa les montagnes, envahit la Thessalie et y fut battue. Persée ne voulait que la paix, il offrit de rendre ses conquêtes et même de payer une indemnité. Mais le consul exigea qu'il se rendît à discrétion.

Le consul de l'année suivante (170) perdit toute son année à essayer de forcer le passage de Macédoine ; son lieutenant fut battu en Illyrie.

Rome leva une nouvelle armée. Le consul Marcius parvint à la faire passer au milieu des gorges et des forêts du mont Olympe, en tête les cavaliers, les bagages et les éléphants ; il déboucha en Macédoine, où l'armée romaine prit ses quartiers d'hiver (169).

Bataille de Pydna (169). — Le nouveau consul, Paul Émile vint camper en face du camp de Persée, près de Pydna. Là dans une plaine entre la mer et les montagnes, s'engagea la bataille décisive.

C'était le soir. Persée venait de célébrer un sacrifice et personne ne s'attendait à combattre. Les gens des avant-gardes, en menant boire leurs chevaux à la rivière, se rencontrèrent et se battirent. Des deux côtés on accourut au secours. La phalange présentait un front hérissé de piques, les Romains essayaient de couper les piques avec leurs épées ou de les écarter avec les mains, mais ils ne pouvaient entamer cette masse.

Enfin, en s'avançant, la phalange arrive sur un terrain inégal où elle se disloque. Les Romains alors se jettent par pelotons dans les vides et attaquent de tous côtés les Macédoniens, encombrés de leur longue pique et mal défendus par leur petit bouclier ; une fois la phalange rompue, ils n'ont plus qu'à massacrer avec leurs épées les phalangites sans défense. Les Macédoniens perdirent 20.000 hommes tués, 11.000 pris ; les Romains 100 seulement.

Fin du royaume de Macédoine. — Persée s'enfuit avec son trésor, mais ses sujets n'osaient plus le défendre. Les gens d'Amphipolis le prièrent de s'en aller. 11 s'embarqua avec son trésor pour l'île de Samothrace et se réfugia dans un temple. De là il écrivit à Paul Émile pour demander la paix ; dans sa lettre il se donnait le titre de roi ; Paul Émile refusa de la recevoir. Persée écrivit une seconde lettre sans prendre aucun titre ; Paul Émile répondit qu'il devait se rendre à discrétion. La flotte romaine vint cerner l'île de Samothrace ; mais la religion empêchait de prendre Persée de force dans le temple.

Un Crétois, propriétaire d'un petit navire, promit à Persée de l'emmener la nuit avec sa famille ; il chargea à son bord les trésors, puis, sans attendre les fugitifs, il partit. Dans la nuit, comme il était convenu, Persée sortit par une petite fenêtre avec sa femme et ses enfants, et vint au bord de la mer ; le navire n'y était plus. Se voyant abandonné, il revint dans le temple avec sa femme ; mais ses deux enfants furent livrés aux Romains par leur précepteur ; Persée désespéré alla se rendre aussi.

Paul Émile réunit à Amphipolis les délégués de toutes les villes de Macédoine, et leur lut la décision du Sénat. Il n'y avait plus de royaume de Macédoine ; le pays était coupé en quatre provinces, dont les habitants ne devaient plus avoir de rapports les uns avec les autres ; ils devaient payer à Rome la moitié de l'impôt qu'ils payaient à Persée ; il leur était défendu d'avoir des armes. Tous les amis de Persée, les gouverneurs des places fortes, les capitaines seraient transportés en Italie avec leurs enfants. Il ne restait en Macédoine que les paysans (167).

Les soldats romains furent mécontents, ils avaient espéré piller la Macédoine. On leur donna une compensation. L'Épire avait pris parti pour Persée. Paul Émile ordonna à chaque ville d'Épire de réunir tout l'or et l'argent qu'elles possédaient. A un jour fixé, les soldats entrèrent à la fois dans toutes les villes (70, dit-on) sous prétexte de venir chercher l'or et l'argent, les surprirent et les pillèrent. On vendit comme esclaves tous les habitants (150.000, dit-on). Le prix de la vente fut partagé entre les soldats.

Triomphe de Paul Émile. — De retour à Rome Paul Émile célébra le triomphe le plus brillant qu'on eût vu jusque-là Il fallut trois jours pour faire défiler tous les objets qu'il rapportait de son expédition.

Le premier jour passèrent 250 chariots chargés de statues et de tableaux.

Le second jour, ce fut le tour des chariots chargés d'armes, casques, boucliers, cuirasses, carquois, mors et brides, piques et épées. Derrière venaient 750 vases pleins de pièces d'argent, chacun porté par quatre hommes ; des vases à boire, des coupes, des flacons.

Le troisième jour, derrière les trompettes qui sonnaient la charge, on vit défiler 120 taureaux destinés au sacrifice, ornés de guirlandes, les cornes dorées, suivis de jeunes garçons richement vêtus porteurs de vases d'or et d'argent, puis 77 vases chargés de pièces d'or, toute la vaisselle d'or de Persée et un grand vase d'or (de 260 kilogrammes), enrichi de pierreries, puis le char vide de Persée avec ses armes et son diadème. Derrière marchaient les deux fils et la fille de Persée avec leurs précepteurs, Persée vêtu d'une robe noire, suivi de la foule des gens de sa cour, tous en larmes. Puis venaient 400 couronnes d'or envoyées à Paul Émile par les villes grecques en l'honneur de sa victoire.

Enfin sur le char de triomphe paraissait Paul Émile vêtu d'une robe de pourpre brodée d'or, une branche d'olivier dans la main droite. Ses soldats, rangés par compagnies, le suivaient en chantant.

Il monta ainsi au Capitole et offrit le sacrifice d'usage à Jupiter. Il versa dans le trésor de Rome tant d'argent que désormais le gouvernement cessa de demander l'impôt de guerre aux citoyens romains :

Persée fut mis en prison et y mourut de faim, dit-on.

Domination de Rome en Orient. — Après la ruine de Persée, tous les princes d'Orient eurent peur et cherchèrent à se maintenir en paix avec Rome.

Prusias, roi de Bithynie, vint à Rome. Il dit aux envoyés du Sénat : Vous voyez un de vos affranchis, prêt à faire tout ce qu'il vous plaira. Il alla au Sénat, la tête rasée, coiffé du bonnet d'affranchi, se prosterna à la porte et baisa le seuil en s'écriant : Je vous salue, dieux sauveurs !

Eumène, roi de Pergame, partit aussi pour Rome. Mais le Sénat défendit à tous les rois de venir en Italie ; un questeur alla trouver Eumène au moment où il débarquait à Brindes et lui ordonna de repartir.

Le roi de Syrie, Antiochus IV, voulait conquérir l'Égypte. Il marcha sur Péluse. Popilius Lænas fut envoyé par le Sénat pour l'arrêter.

Popilius arrive au camp du roi, Antiochus le salue et lui tend la main. Popilius, sans saluer, lui présente à lire les tablettes qui portaient le message du Sénat ; c'était l'ordre de cesser la guerre. Le roi lit et répond qu'il va délibérer. Popilius, avec la baguette qu'il tenait à la main, trace un cercle sur le sable autour du roi et dit : Tu ne sortiras pas de ce cercle avant d'avoir répondu. Antiochus effrayé répond qu'il obéira au Sénat. Alors seulement Popilius lui prend la main et le salue.

Popilius alla ensuite à Alexandrie et décida qui serait roi d'Égypte.

En Étolie, le chef du parti romain fit réunir les principaux partisans de Persée et les fit massacrer par les soldats romains.

Rhodes avait chassé les partisans de Persée ; mais le Sénat, irrité contre les Rhodiens, reçut mal leurs envoyés et voulut leur faire la guerre. Caton parla pour eux et calma le Sénat. On se contenta d'enlever à Rhodes ses possessions en Asie.

Les Achéens avaient pris parti pour Rome et envoyé leurs soldats contre Persée ; mais le chef du parti romain désigna comme ennemis de Rome mille des principaux citoyens ; le Sénat les fit transporter en Italie ; dans le nombre était Polybe l'historien, qui devint l'ami de Scipion. On les y garda près de vingt ans. A la fin Scipion pria le Sénat de les relâcher ; on discuta vivement. Caton décida l'affaire en disant : N'avons-nous donc rien de mieux à faire que de nous disputer pour savoir si quelques Grecs décrépits seront enterrés par nos fossoyeurs ou par ceux de leur pays ? On les laissa enfin revenir dans leur patrie ; de mille il n'en restait plus que trois cents.

Destruction de Carthage. — Carthage avait cessé d'être une grande puissance, mais elle restait une ville riche et les Romains continuaient à la haïr. Leur allié, le roi numide Massinissa, voisin des Carthaginois, les attaqua plusieurs fois sous différents prétextes ; chaque fois Carthage demanda à Rome la permission de lui faire la guerre ; toujours Rome refusa et força Carthage à céder ce que réclamait Massinissa.

A l'occasion d'une de ces affaires, Caton, envoyé par le Sénat à Carthage, vit la richesse de ce pays et en devint jaloux. En revenant au Sénat, il tenait dans sa toge de grosses figues qu'il avait rapportées d'Afrique ; il les montra aux sénateurs en disant : Voyez ces figues, la terre qui les produit n'est qu'à trois journées de Rome. Depuis ce temps, au Sénat, chaque fois qu'on lui demandait son avis sur quelque question que ce fût, il terminait toujours par ces mots : En outre, je suis d'avis qu'il faut détruire Carthage.

Il se forma enfin dans Carthage un parti qui désirait la guerre contre Rome ; ce parti arriva au pouvoir, chassa les partisans de Massinissa et négocia avec les ennemis de Rome, en Macédoine et en Grèce. Les Carthaginois prirent peur, exilèrent les partisans de la guerre et envoyèrent à Rome faire des excuses. Le Sénat dit aux envoyés : Donnez satisfaction. — Laquelle demandez-vous ?Vous devez le savoir, leur répondit-on.

Une armée romaine (80.000 hommes) débarqua en Afrique ; la ville d'Utique devint l'alliée de Rome. Les Carthaginois, trop faibles pour se défendre, envoyèrent dire aux consuls qu'ils se remettaient à leur discrétion. Les consuls promirent de leur laisser leur liberté et, leurs lois et se firent donner 300 otages qu'ils envoyèrent en Sicile. Puis ils demandèrent de livrer toutes les armes ; Carthage leur remit ses navires, 200.000 armures et 3.000 machines de guerre. Alors, sachant les Carthaginois désarmés, les consuls leur firent connaître la décision dernière : les Carthaginois devaient abandonner leur ville et se retirer à dix milles dans l'intérieur des terres, c'est-à-dire vivre loin de 'a mer comme des paysans et renoncer au commerce qui faisait leur richesse.

En apprenant comment ils avaient été trompés, les Carthaginois furieux massacrèrent les partisans de Rome, fermèrent les portes de leur ville et se mirent en hâte à fabriquer des armes ; les temples devinrent des ateliers de travail.

Il n'y avait, dit-on, pas assez de cordes pour les machines de guerre. Les femmes carthaginoises se dévouèrent et donnèrent leurs cheveux.

L'armée romaine vint attaquer, elle fut repoussée. Ainsi commença la troisième guerre punique (149).

Carthage occupait une langue de terre resserrée entre la mer et le lac de Tunis, et reliée au continent par un isthme étroit. A la pointe du côté de la mer, la citadelle (Byrsa), bâtie sur des collines, était entourée d'un rempart épais qui en faisait une place forte indépendante. Un second rempart entourait la ville bâtie sur la langue de terre et fermait l'entrée de l'isthme ; mais il laissait un espace entre le pied de ce rempart et le lac de Tunis. L'armée romaine s'établit sur cet espace et l'élargit en comblant le bord du lac de Tunis, qui est peu profond ; puis elle construisit deux tours roulantes si énormes qu'il fallait 6.000 hommes pour en pousser une, et abattit un morceau du rempart. Mais les assiégés firent une sortie, détruisirent les machines et repoussèrent un assaut. Les Romains, campés au bord de la mer et du lac, tombaient malades. Les consuls levèrent le siège. Ils essayèrent de conquérir le pays et furent repoussés de deux villes.

Un nouveau consul, Scipion, petit-fils adoptif du vainqueur d'Annibal, vint commander l'armée ; il la trouva désorganisée, chassa les marchands qui encombraient le camp, rétablit la discipline, obligea les soldats à faire l'exercice et recommença le siège (147).

Il attaqua du côté de l'isthme, entra la nuit par une porte qu'un traître lui ouvrit, et s'établit dans le faubourg de Mégara. Puis il l'évacua, brûla son camp et coupa l'isthme par un fossé et deux remparts, de façon à enfermer Carthage du côté de la terre. Le général carthaginois Asdrubal était entré dans Carthage avec son armée ; il y fut bientôt maître malgré le Conseil, et fit massacrer les prisonniers romains.

Carthage continuait à recevoir des vivres par mer. Scipion, qui voulait l'affamer, travailla à la bloquer aussi de ce côté. Carthage avait deux ports, l'un derrière l'autre ; le premier en venant de la mer, le port de commerce, avait son entrée au sud-est ; en le traversant on arrivait à un port plus petit et mieux abrité, le port de guerre (Cothon), avec une petite île ronde au milieu et des places pour 220 navires. Scipion fit bâtir en travers de l'entrée du port une digue de pierre. Mais quand il eut fini de fermer le port, les Carthaginois avaient creusé un canal à travers la langue de terre et par ce canal fait sortir leurs navires du côté du nord.

Scipion continua le siège jusqu'à l'hiver pour arriver à s'établir sur le quai. Au printemps de 146, les Carthaginois souffraient de la famine ; ils mangeaient les cadavres, beaucoup venaient se rendre. Les Romains donnèrent enfin l'assaut, et arrivèrent sur la place du marché. Mais dans les rues hautes et étroites qui menaient à la citadelle, on se battit pendant six jours et six nuits. Scipion fit incendier ce quartier ; le septième jour les assiégés se rendirent. Scipion leur promit la vie sauve et les fit vendre comme esclaves.

Asdrubal s'était réfugié dans un temple avec un millier de déserteurs romains qui n'avaient plus de salut à espérer. Il se rendit. Les déserteurs mirent le feu au temple et périrent massacrés. Scipion épargna Asdrubal et quelques notables pour les mener à son triomphe.

La femme d'Asdrubal, disait-on, fut indignée de la lâcheté de son mari. Elle monta avec ses enfants sur le temple incendié, et lui cria : Va-t-en orner le triomphe du vainqueur. Puis elle égorgea ses deux enfants et se jeta dans le feu.

L'incendie dura dix-sept jours. Puis le Sénat ordonna de détruire Carthage. On rasa les murs et les édifices, on fit passer la charrue sur le sol, et un prêtre maudit quiconque viendrait y demeurer (146).

Rome garda le pays qui avait appartenu à Carthage et en fit la province d'Afrique.

Conquête de la Macédoine et de la Grèce. — En Macédoine, un certain Andriscus arriva avec une petite armée thrace, déclara qu'il était Philippe, fils de Persée, échappé aux Romains et souleva les Macédoniens. La guerre dura deux ans ; une armée romaine fut battue. La seconde battit Andriscus et le fit prisonnier (148). Le Sénat garda la Macédoine, qui devint une province romaine (146).

En Grèce, le général des Achéens souleva le parti des démocrates de Corinthe contre Rome, et réunit une petite armée. (Voir Histoire de la Grèce, page 558.) Le gouverneur romain de la Macédoine la mit en déroute. Les Corinthiens essayèrent de défendre l'isthme. Le consul Mummius les dispersa, entra dans Corinthe sans résistance, vendit tous les habitants comme esclaves, pilla la ville et la détruisit (146).

Corinthe, la ville la plus riche de Grèce, était pleine de statues et de tableaux ; les vases dé métal fabriqués à Corinthe passaient pour les plus beaux du monde. Toutes ces œuvres d'art furent envoyées à Rome.

On raconte que les soldats romains, ignorants et grossiers, jouaient aux dés sur les tableaux du célèbre peintre Apelle, sans se douter de leur valeur.

On disait aussi que Mummius le consul, en remettant ces chefs-d'œuvre aux gens chargés de les transporter à Rome, leur recommanda de bien les soigner, ajoutant que, s'il leur arrivait un accident, il les obligerait à les refaire.

Le gouverneur de Macédoine fut désormais chargé de surveiller les Grecs. Dans toutes les villes grecques Rome donna le gouvernement aux riches, partisans de la domination romaine.

Guerres contre les Ligures. — Dans les montagnes qui bordent le golfe de Gênes habitaient des peuples de bergers pauvres et guerriers, les Ligures. Alliés à leurs voisins, les Gaulois de la Cisalpine, ils combattirent Rome pendant un demi-siècle. Plus d'une armée romaine cernée par les Ligures échappa à grand'peine. Plus d'une fois, Rome envoya contre eux les deux consuls avec quatre légions. Pour en finir, elle transporta 40.000 Ligures dans le Samnium, leur donna des terres et les y établit.

Les Romains n'aimaient pas naviguer en pleine mer. Les navires qu'ils envoyaient avec des troupes en Espagne, au lieu de couper droit à travers la Méditerranée, suivaient la côte tout le long de la Ligurie et de la Gaule, ou bien les troupes allaient par terre jusqu'en Espagne. Souvent les Ligures les attaquaient sur le trajet pour piller leurs bagages. Les Romains avaient donc besoin de posséder la route le long de la côte. Ils commencèrent par repousser les Ligures dans les montagnes. Puis, peu à peu, ils soumirent leur pays jusqu'aux Alpes.

Un de leurs peuples était. resté neutre. Un consul, voulant se procurer des captifs, l'attaqua sans motif, massacra ceux qui se défendirent et vendit les autres comme esclaves (173). Le Sénat, informé de cette violence, blâma le consul et lui ordonna de rendre la liberté aux captifs ; le consul refusa et continua la guerre.

Guerres d'Espagne. — En Espagne, les Romains avaient d'abord déclaré aux peuples du pays qu'ils venaient les délivrer des Carthaginois ; Scipion leur avait rendu les otages que les Carthaginois retenaient prisonniers dans Carthagène et avait conclu avec eux des traités d'alliance (210).

La guerre finie, Rome laissa en Espagne deux gouverneurs, chacun avec une armée, l'un au nord-est, l'autre au sud-est ; ils occupèrent la côte et la plaine du Guadiana (la Bétique), habitée par des peuples pacifiques. Tout l'intérieur restait indépendant, partagé entre de petits peuples de montagnards, les Ibères. Les femmes travaillaient et cultivaient la terre, les hommes faisaient la guerre ; ils étaient braves, sobres, très fiers ; ceux qu'on prenait se tuaient plutôt que de devenir esclaves.

Les gouverneurs romains envoyés pour un an seulement cherchaient à profiter de leur année pour faire quelque expédition qui leur rapportât du butin ou leur donnât l'occasion de demander le triomphe. Souvent, sans autre motif, ils attaquaient un peuple allié, et Rome se trouvait engagée dans une guerre. Pour ces guerres on ne trouvait pas facilement de soldats ; les Italiens n'aimaient pas combattre dans ce pays de montagnes où l'on souffrait de privations et où il fallait rester longtemps, sans grand espoir de butin, car les généraux, d'ordinaire, gardaient pour eux l'argent et les esclaves.

Ces guerres d'Espagne durèrent plus de 70 ans. Dans les premiers temps, les Romains furent sur le point d'être chassés et perdirent plusieurs armées.

Leurs plus redoutables ennemis furent les Celtibères, peuples mélangés d'Ibères et de Celtes (Gaulois), établis sur le plateau, au-dessus des défilés qui descendent vers la Méditerranée. Ils combattaient surtout à pied, avec une lourde épée à deux tranchants, et se rangeaient en forme de coin. On ne savait comment les atteindre, car ils n'avaient pas de villes.

En 179, Sempronius rétablit la paix en inspirant confiance aux peuples celtibères ; ils traitèrent avec lui, s'engagèrent à reconnaître la supériorité du peuple romain, c'est-à-dire à ne pas faire la guerre à Rome, à fournir des guerriers pour servir comme auxiliaires et même à payer une contribution. Rome promettait de les défendre et de les laisser se gouverner eux-mêmes.

Les successeurs de Sempronius violèrent ces traités ; les Celtibères se plaignirent ; le Sénat fit faire une enquête et deux des magistrats accusés s'exilèrent.

Enfin, en 154, plusieurs peuples se soulevèrent à la fois ; la guerre dura vingt ans. Elle commença au nord-est. Un peuple celtibère, les Arévaques, bâtissait un rempart ; le consul lui ordonna de cesser, et, sur son refus, l'attaqua. Un peuple voisin vint au secours ; le consul fut surpris et perdit 6.000 hommes. Trois armées romaines furent vaincues l'une après l'autre. Personne ne voulait plus s'enrôler dans l'armée d'Espagne, même pour être officier.

Viriathe. — En même temps, dans les montagnes du nord-ouest (aujourd'hui le Portugal), les Lusitaniens commençaient la guerre, massacraient deux armées et envoyaient aux Celtibères les enseignes romaines. Un général romain, Galba, après deux ans de guerre, offrit de leur donner des terres ; ils acceptèrent. Galba les divisa en trois troupes et les décida à poser leurs armes ; puis il les fit cerner et massacrer (150).

Un montagnard échappé au massacre, Viriathe, devenu chef de bandes, se rendit bientôt célèbre par ses victoires. C'était, dit-on, un berger habitué à courir la montagne, hardi, agile cavalier et sachant se faire obéir. Pendant dix ans, il battit les Romains.

Un jour, avec ses cavaliers, il sauva une armée lusitanienne, attira les Romains dans un défilé et les massacra avec leur chef ; il détruisit une armée envoyée par les Espagnols, alliés de Rome.

Après deux nouvelles victoires, il planta sur une montagne, en guise de trophée, les manteaux des généraux romains et les faisceaux de leurs licteurs. Rome envoya contre lui un consul avec deux légions (145). Viriathe fut encore vainqueur (143). Il surprit une autre fois une armée avec des éléphants, détruisit 3.000 hommes, assiégea le reste dans le camp romain (142).

Il se jeta dans une forteresse assiégée, fit une sortie, poussa l'armée romaine dans les rochers, la prit et la relâcha en faisant signer un traité au général. Ce traité déclarait les Lusitaniens peuple indépendant et Viriathe ami du peuple romain (141).

Les Romains recommencèrent bientôt la guerre ; cette fois ils s'adressèrent aux amis de Viriathe pour le faire assassiner ; Viriathe se tenait sur ses gardes, dormait peu et toujours armé ; des amis vinrent le trouver sous prétexte de négocier et le poignardèrent dans sa tente.

Les Lusitaniens furent vaincus, poursuivis dans la montagne et désarmés (139).

Guerre de Numance. — Au nord de l'Espagne, la guerre, arrêtée pendant dix ans, avait recommencé. Les Arévaques, petit peuple celtibère, arrêtèrent pendant dix ans toutes les armées romaines. Ils n'avaient qu'une petite ville, Numance, entourée seulement d'un fossé et d'une palissade et une armée de quelques milliers de guerriers. Ils ne demandaient que la paix, offraient même une indemnité et des otages ; le général Metellus exigeait leurs armes. Ils refusèrent (141).

Les soldats romains souffraient du froid et de la faim dans ce pays qu'ils avaient dévasté et où l'ennemi arrêtait leurs convois de vivres. Un nouveau général, Pompée, offrit la paix. Les Numantins rendirent leurs prisonniers, livrèrent les déserteurs romains et des otages ; on leur promit de leur laisser leurs armes (140).

Un troisième général, le consul Popilius, déclara le traité nul, attaqua et fut mis en déroute (139).

Un nouveau général, Mancinus, fut plus malheureux encore. Ses soldats, croyant que deux peuples voisins arrivaient au secours de Numance, prirent peur, se sauvèrent de leur camp et se réfugièrent dans un vieux camp abandonné. Ils y furent cernés et se rendirent. Les Numantins les laissèrent sortir, mais ils firent jurer à Mancinus et à ses officiers un traité qui reconnaissait Numance comme indépendante (137). Le Sénat refusa d'accepter le traité et décida de livrer Mancinus aux Numantins. Mancinus fut amené nu, les mains liées, devant Numance ; les Numantins refusèrent de le recevoir : au bout d'un jour, il revint au camp romain.

Rome finit par envoyer contre Numance son plus célèbre général, le destructeur de Carthage, Scipion[2]. Il commença par mettre l'ordre dans l'armée romaine : il chassa les valets, les marchands, les devins, qui encombraient le camp ; il enleva aux soldats leurs bêtes de somme, leurs chariots, leurs lits, tous leurs ustensiles, ne leur laissant à chacun qu'un pot de cuivre, une broche et une corne à boire ; il les obligea à coucher sur le foin, comme il faisait lui-même. Il les força à travailler, leur fit creuser des fossés et les combler ; bâtir des remparts et les démolir ; leur fit faire de longues marches à pied, en rangs, avec armes et bagages.

Il passa ainsi tout un été à exercer ses hommes. Puis il vint s'établir devant Numance, dans deux camps. Il avait 60.000 hommes. Il ne voulut pas cependant risquer une bataille ; il préféra vaincre l'ennemi par la famine.

Numance s'élevait sur un rocher au-dessus du Douro, qui n'est encore là qu'une rivière. Des plongeurs venaient par eau apporter aux assiégés des vivres ou des nouvelles. Scipion fit barrer la rivière avec des poutres garnies de lames d'épée et de pointes de lance. Du côté de la terre, il fit bâtir un rempart épais défendu par un double fossé. Et il attendit.

Par une nuit sombre, des messagers parvinrent à sortir de Numance et allèrent demander secours aux peuples voisins. Dans une ville, les jeunes gens se préparaient à venir ; Scipion arriva brusquement avec ses soldats, se fit livrer 400 notables et leur fit couper les mains.

Les Numantins, enfermés, affamés, demandaient une bataille ; Scipion refusa. Ils mangèrent les cadavres. Enfin, plutôt que de se rendre, ils se tuèrent les uns les autres. Scipion n'en ramena que 50 pour orner son triomphe. Sans attendre d'ordres, il rasa la ville (133). On ne sait plus même au juste où Numance se trouvait.

Ce fut la dernière grande guerre en Espagne.

Conquête de la Provence. — La ville grecque de Marseille, depuis longtemps l'alliée de Rome, avait à défendre ses colonies de la côte (Antibes, Nice) contre les montagnards des Alpes. Les Romains avaient besoin, pour aller en Espagne, de la route au bord de la côte. Rome et Marseille devinrent alliées.

Les Romains aidèrent Marseille dans ses guerres, battirent les petits peuples voisins de la mer (154-122), leur défendirent d'approcher à plus de 1.500 pas d'un port ou de 1.000 pas de la côte. Ils fondèrent dans leur pays une colonie, Aix, la plus ancienne ville romaine de Gaule (122).

Un chef de ces peuples se réfugia chez un grand peuple gaulois, les Allobroges, habitants des Alpes[3]. Le consul romain voulut les obliger à le livrer. Ils refusèrent. Le consul les attaqua près du Rhône et leur tua 20.000 hommes (121). Les Allobroges appelèrent leurs alliés, les Arvernes, habitants des Cévennes[4].

Le roi des Arvernes, Bituit, descendit avec son armée sur le Rhône. Il passa sur deux ponts de bateaux et livra bataille aux Romains près du confluent de l'Isère. Son armée fut massacrée ou se noya dans le Rhône ; lui-même s'échappa, mais il fut pris par trahison et envoyé enchaîné à Rome (120).

Ce Bituit était, disait-on, un géant ; il combattait sur un char d'argent, entouré d'une meute de chiens féroces, et avait amené 120.000 guerriers. Quand il vit l'armée romaine si petite, il s'écria : Il n'y a pas même là de quoi faire un repas pour mes chiens.

Le Sénat créa alors avec le pays des Allobroges une province qui allait du lac Léman jusqu'à la Méditerranée. Puis on l'étendit, de l'autre côté du Rhône, jusqu'aux Pyrénées, et de ce côté fut fondée une autre colonie romaine, Narbonne (118).

 

 

 



[1] V. Histoire de la Grèce, p. 553.

[2] On l'avait surnommé l'Africain comme son grand-père adoptif.

[3] Leur pays est devenu le Dauphiné.

[4] Aujourd'hui l'Auvergne.