HISTOIRE DE LA GRÈCE

 

TROISIÈME ÂGE DE LA GRÈCE

 

 

NOUVEAUX TROUBLES DANS LA GRÈCE

LES passions qui avaient mis toute la Grèce en armes ne furent point éteintes, par ce honteux traité, ouvrage de la lassitude et non de la raison. Un court repos leur rendit leurs premières forces.

Thèbes et Corinthe étaient mécontentes de la paix d’Antalcide, qui avait affranchi les villes de leur dépendance, tandis que Sparte, après avoir diminué leur autorité, conservait la sienne sur la plus grande partie du Péloponnèse

L’ambition lacédémonienne donna bientôt à la haine de nouveaux aliments : sous un léger prétexte, les Spartiates firent la guerre aux Olinthiens, et s’emparèrent de Potidée, leur alliée. Une entreprise plus audacieuse porta l’exaspération au plus haut point.

La ville de Thèbes était agitée par deux partis que leurs intérêts opposés rendent en tout temps inconciliables, lorsqu’un troisième pouvoir ne les comprime pas ; ces deux partis étaient celui de la démocratie et celui de l’oligarchie.

Le premier veut l’égalité, et mène presque toujours à l’anarchie ; l’autre, sous prétexte de conserver l’ordre public en plaçant le gouvernement dans les mains des hommes les plus riches, les plus instruits et les plus distingués, conduit souvent à la tyrannie.

Ces deux factions étant alors fort animées l’une contre l’autre, le général spartiate Phébidas profita de leurs divisions, promit d’appuyer les oligarques, et s’introduisit dans la citadelle dont il s’empara.

Le parti populaire, abattu, se vit livré aux vengeances de ses ennemis qui en proscrivirent tous les chefs : quatre cents citoyens se bannirent eux-mêmes et cherchèrent un asile dans la ville d’Athènes, toujours favorable à la démocratie.

Au nombre de ces exilés on remarquait Pélopidas, déjà connu par des exploits guerriers, et dont le noble caractère promettait un libérateur et un héros à sa patrie. Épaminondas, digne de partager sa gloire, et qui devait même la surpasser, était lié avec lui d’une amitié qu’aucune rivalité ne put affaiblir ; elle se soutint également dans le malheur, et dans la prospérité : mais, quoique Epaminondas fut du même parti que son ami, il ne l’accompagna point dans sa fuite, et resta tranquille à Thèbes ; son amour pour la littérature et pour la philosophie, le faisant croire exempt d’ambition, le mit à l’abri de la haine d’un gouvernement soupçonneux et jaloux.

Il était évident que Phébidas, en s’emparant de Cadmée en pleine paix, avait fait une infraction au droit des gens, qui devait alarmer toutes les villes libres ; le sénat de Sparte prouva plus dans cette occasion, sa mauvais foi que sa justice ; il condamna Phébidas à l’amende, mais il conserva la citadelle de Cadmée, et fit mettre à mort Isménie, général thébain, et l’un des chefs du parti populaire.

Cet acte de violence rendit la haine de Thèbes irréconciliable : les proscriptions civiles ne sont que des malheurs ; celles qu’exerce l’influence étrangère sont des affronts.

Rien n’aveugle comme l’ambition. Agésilas lui-même défendit Phébidas, disant que, si son entreprise n’était pas juste, elle était du moins très utile. Son orgueil pour sa patrie lui faisait oublier cette maxime bien plus vraie, sortie de sa bouche. La justice est la première de toutes les vertus, puisque si tous les hommes étaient  justes, on n’aurait pas besoin de lois.

Au reste Sparte ne tarda pas à éprouver la vérité d’une autre maxime qu’on perd trop souvent de vue ; c’est que tout ce qui est injuste devient à la longue plus nuisible qu’utile. Tout parut dans les premiers moments justifier les fautes de Lacédémone, et favoriser son ambitieuse politique.

Les Olinthiens, qui s’étaient révoltés, et qui avaient tué le général Téleutius furent vaincus par Agésilas, et obligés de se rendre. Le gouvernement thébain, protégé par les Spartiates, se trouvait forcé de suivre leurs lois. Athènes et Corinthe redoutaient leurs armes. La domination de Sparte sur la Grèce paraissait établie : la décadence suit de près une grandeur excessive ; et la fière Lacédémone, qui devait bientôt l’éprouver, était alors loin de prévoir que deux simples citoyens de Thèbes fussent destinés par le sort à le renverser sa puissance.

Ces deux hommes étaient Pélopidas et Épaminondas : leur vertu fit leur grandeur, l’amour de leur patrie et le désir de la sauver furent leur seule ambition.

Tous deux, également célèbres par leurs succès militaires, brillaient par des qualités différentes : Pélopidas, riche, généreux, iniquement occupé des affaires publiques excellait dans tous les exercices du corps, ses seuls amusements.

Épaminondas, pauvre, désintéressé, refusant les secours mêmes de l’amitié, exempt d’ambition, n’aimait que les lettres et la philosophie, et ne put être arraché à ses études favorites que par les extrêmes dangers de sa patrie. Excellent citoyen, juste dans ses actions et franc dans son langage, tout mensonge, même en riant, lui paraissait un crime. Resté à Thèbes dans le temps de la tyrannie aristocratique et de la domination étrangère, il attendait impatiemment l’occasion de briser cette double chaîne.

L’orgueil de Lacédémone lui en donna les moyens. On doit ménager les ennemis vaincus : l’opprimé qu’on pousse au désespoir devient redoutable. Le sénat de Sparte qui voulait tout faire par ployer sous sa volonté ordonna aux Athéniens de chasser les bannis de Thèbes réfugiés chez eux.

Cette persécution les détermina à tenter l’entreprise la plus audacieuse. Pélopidas les arma, et conçut le projet de rentrer à leur tête dans sa patrie, et d’y renverser le gouvernement aristocratique.

Il confia le plan de cette conspiration aux amis qu’il avait laissés à Thèbes. Épaminondas les excitait à le favoriser. Pélopidas, avec douze de ses compagnons, entra de nuit dans la ville : déguisés en paysans, ils se cachèrent dans la maison de Charron, dont la fidélité leur était connue. Quarante-huit autres bannis vinrent les y joindre. Le greffier des principaux magistrats de la ville, Philidas, un des conjurés, invita tous les chefs du gouvernement à un grand festin, pour les éloigner le leurs fonctions, et pour les livrer, tous réunis, à la vengeance de leurs ennemis.

Comme ils étaient à table, dans la chaleur du festin, un courrier d’Athènes arriva : il apportait des lettres qui révélaient le plan de la conspiration dans tous ses détails. Archias, chef de l’oligarchie, ivre de plaisirs et de vin, prit les dépêches sans les lire, las jeta sur son lit, et dit en riant : A demain les affaires sérieuses. Il se livra de nouveau à la joie, qui animait les convives.

Cependant les conjurés se mirent en marche et se divisèrent en deux troupes : l’une, commandée par Pélopidas força la maison du gouverneur Léontide, qui périt après avoir vendu chèrement sa vie, l’autre, introduite chez Philidas, entra dans la salle du festin et massacra tous les magistrats.

Les conjurés, s’étant ensuite tous réunis, forcèrent les prisons, enfoncèrent les boutiques des fourbisseurs, et se répandirent dans toute la ville en criant : Liberté ! liberté ! Épaminondas les seconda par son éloquence et par son épée.

Le reste des bannis, qui était déjà retourné à Athènes, croyant la conspiration découverte et manquée, accourut promptement en apprenant ce succès inespéré. Une armée athénienne les suivit ; les villes de Béotie envoyèrent des secours. Le peuple, enthousiasmé par le courage et les harangues de Pélopidas, le proclama son libérateur.

Les Lacédémoniens se renfermèrent dans la citadelle, et ils y furent assiégés par Pélopidas et Épaminondas, déjà à la tête de douze mille hommes : la garnison, dépourvue de vivres, ne put attendre le secours de Sparte, et capitula. Le sénat de Lacédémone, toujours inflexible, fit punir de mort les généraux qui avaient signé cette capitulation

Cependant le roi de Sparte, Cléombrote, entré en Béotie, la ravageait ; son invasion effrayait Athènes : à peine relevée de ses ruines, cette république sentait le besoin du repos, et se décidait à rompre son alliance avec Thèbes ; mais Pélopidas, aussi habile que brave, trouva le moyen de compromettre les Athéniens, et de les forcer à déclarer la guerre à Sparte.

Connaissant le caractère présomptueux de Sphodrias, général spartiate, qui commandait des troupes dans l’Attique, il lui fit conseiller sous main de s’emparer du Pirée. Ce général, malhabile, tenta cette entreprise, et échoua. Athènes se plaignit vivement de cette hostilité, et demanda le châtiment de Sphodrias. Agésilas, cédant aux prières de son fils, lié d’amitié avec ce général, le fit, absoudre. Un tel déni de justice irrita au dernier point les Athéniens, qui renouèrent leur alliance avec Thèbes.

Chabrias, commandant l’armée d’Athènes, arrêta par d’habiles manœuvres la marche d’Agésilas. S’étant ensuite embarqué, il combattit les Spartiates sur mer, près de Naxos, les défit complètement, leur prit trente-deux vaisseaux, et rentra triomphant dans le Pirée.

Une autre flotte athénienne, commandée pas Timothée, fils de Conon, ravagea les côtes de Laconie, s’empara de Corcyre, et battit une flotte lacédémonienne. Le général spartiate Mnésippe périt dans cette bataille.

Sparte avait obtenu des secours du roi Denys, alors tyran de Syracuse : ce prince lui envoya dix galères ; mais elle furent prises en route par Iphicrate, qui remplaçait Timothée dans le commandement de la flotte athénienne.

Le roi Agésilas, malgré toute son habileté, ne put jamais forcer Pélopidas à livrer bataille : l’adroit Thébain, manœuvrant avec agilité, évitait toute affaire décisive et réduisait la guerre à des affaires de poste, qui lui donnaient le temps et le moyen d’exercer et d’aguerrir ses troupes.

Agésilas fut blessé dans un de ces petits combats, où Antalcide lui reprochait en riant d’apprendre la guerre aux Thébains.

Ils prouvèrent bientôt qu’ils savaient profiter de ses leçons. Le premier combat important eut lieu près de Tégire. Pélopidas avait formé un corps de jeunes gens, unis par les liens d’une amitié inviolable, et d’une confraternité d’armes qui ne leur permettaient dans aucune circonstance d’abandonner leurs compagnons : ce corps, devenu si fameux sous le nom de bataillon sacré, s’illustra pour la première fois au combat de Tégire.

Pélopidas, à la tête de ces braves guerriers, enfonça une phalange lacédémonienne, la mit en fuite, et décida ainsi la victoire. Cet avantage accrut d’autant plus la gloire de Pélopidas, que jamais, avant ce jour, les Lacédémoniens n’avaient été battus par un ennemi inférieur en nombre.

La guerre qui troublait la Grèce ne convenait point pour le moment à la politique d’Artaxerxés, parce qu’elle occupait nécessairement une partie de l’argent et des fores qu’il voulait alors employer uniquement contre l’Égypte ; il se servit donc de son influence pour ramener la paix dans une contrée où ses intrigues avaient semé la discorde.

Comme chaque parti voulait se ménager son appui, on renouvela, comme il le désirait, le traité d’Antalcide ; et les villes grecques, reprenant leur indépendance, chassèrent toutes les garnisons placées par les Lacédémoniens.

Ce mouvement excita quelques troubles, qu’Iphicrate sut apaiser. Il passa ensuite au service d’Artaxerxés avec vingt mille Grecs, et les envoya en Égypte : cette expédition n’eut point le succès que le roi de Perse en avait espéré.

Lacédémone se trouvant abaissée à son tour comme Athènes l’avait été, la Grèce jouit de quelque repos et de quelque liberté ; mais cette tranquillité fut bientôt troublée par l’ambition de Thèbes.

Cette république, à peine délivrée, voulut dominer à son tour. Les exemples les plus récents de la vengeance qui suit l’oppression, et de l’humiliation qui puni l’orgueil, n’empêchèrent pas les Thébains de vouloir enlever aux républiques voisines la liberté qu’ils venaient de reconquérir eux-mêmes si miraculeusement.

Ils déclarèrent la guerre aux habitants de Platée et de Thespies, et détruisirent ces deux villes. Athènes voulut en vain employer sa médiation en leur faveur ; on lui répondit avec tant de fierté, qu’elle rompit son alliance avec Thèbes.

Sparte reprit les armes ; mais avant de commencer les hostilités, on ouvrit des conférences à Sparte pour terminer ces différends par un accord.

Dans une de ces assemblées Agésilas déclara aux Thébains que la guerre était inévitable, s’ils ne voulaient pas exécuter ponctuellement le traité, et rendre la liberté aux villes de la Béotie. Épaminondas, que le vœu de ses concitoyens avait enlevé aux lettres et placé à la tête du gouvernement, répondit vivement que Sparte devait commencer par affranchir les villes de la Laconie et de la Messénie, avant de plaider pour les autres contrées de la Grèce.

Agésilas, irrité, effaça du traité le nom de Thèbes, rompit la conférence, et déclara la guerre.

Sparte fit marcher promptement en Béotie onze mille Lacédémoniens et treize mille alliés, sous les ordres du roi Cléombrote. Ce prince envoya des hérauts aux Thébains pour les sommer de rebâtir Platée et Thespies ; et, sur leur refus, il marcha vers Leuctres, où se trouvait alors leur armée.

Les forces de Thèbes ne se montaient qu’à six mille hommes ; mais ils avaient à leur tête Épaminondas et Pélopidas.

Épaminondas commandait l’armée. Employant dans cette circonstance une nouvelle tactique, il porta presque toutes ses forces à son aile gauche, et ne laissa au centre et à l’aile droite qu’une ligne très mince qu’il étendit pour déborder Cléombrote.

Lorsque celui-ci aperçut ces dispositions, il voulut changer son ordre de bataille ; mais Pélopidas, à la tête du bataillon sacré, l’attaqua pendant son mouvement, et, mit les Spartiates en désordre.

Épaminondas alors s’ébranla avec l’aile qu’il avait fortifiée, et décida la victoire.

Cléombrote se défendit en bain avec une va-leur digne de Sparte ; il fut tué, ainsi que son fils Cléonyme, ses principaux officiers et l’élite de ses soldats.

Il y eut une mêlée terrible autour de lui ; on se battait de part et d’autre avec acharnement pour s’emparer de son corps et pour le défendre. Épaminondas, voyant que ce stérile point d’honneur prolongeait seul le combat, laissa les Spartiates enlever leur roi : il porta ensuite toutes ses troupes sur l’autre aile et la tailla en pièces.

La cavalerie thébaine, enfonçant tout ce qui se présentait devant elle, rompit tous les rangs, et changea la retraite en déroute complète. On vit dans cette journée combien cette cavalerie était supérieure à celle de Sparte. Les riches Spartiates, en entrant en campagne, donnaient leurs chevaux à des soldats neufs qui ne savaient pas les conduire. La cavalerie thébaine était longtemps exercée.

Avant la bataille, on vint dire à Épaminondas que les augures ne paraissaient pas favorables : il répondit en citant ce vers d’Homère :

Défendre sa patrie est le meilleur présage.

Les Lacédémoniens perdirent dans cette journée quatre mille hommes, et Thèbes quatre cents.

Épaminondas, toujours simple dans ses mœurs, et pur dans ses sentiments, ne s’enivra pas d’un si grand triomphe, et dit seulement qu’il était heureux de la joie que sa victoire donnerait à son père et à sa mère.

Sparte montra, dans cette circonstance, son austère fierté : on célébrait les jeux lorsque la  nouvelle arriva ; les éphores ne permirent pas qu’ils fussent interrompus. On félicita les pareils des morts ; les survivants furent reçus avec mépris : leurs mères et leurs femmes osaient à peine les regarder ; on devait même, suivant la coutume, les bannir des repas publics, les obliger à raser à moitié leur barbe, et les forcer à se couvrir de vêtements grossiers : mais, comme le nombre des fuyards était trop considérable, le roi Agésilas décida que l’indulgence devenait nécessaire, et dit : Laissons dormir aujourd’hui la loi ; demain nous la réveillerons.

Thèbes, victorieuse, trouva partout des alliés : les Éléens, les Phocéens, les Locriens, les Eubéens embrassèrent son parti. La cause qui l’emporte paraît toujours la meilleure ; le succès ne fait que trop souvent l’opinion.

L’aristocratie qui gouvernait dans Argos, craignant de perdre son pouvoir protégé par Lacédémone, voulut comprimer les partisans de la démocratie ; mais ils soulevèrent le peuple, qui massacra les riches et les grands.

L’armée d’Épaminondas et de Pélopidas, grossie par ses nouveaux alliés, se trouva bientôt forte de soixante mille hommes. Elle traversa l’Eurotas malgré la résistance des ennemis qui lui tuèrent beaucoup de monde. L’ancien proverbe, qui disait que jamais femme de Sparte n’avait vu la fumée d’un camp ennemi, fut cette fois démenti.

Épaminondas entra dans ses faubourgs. Agésilas, au milieu d’un si grand danger, ne perdit ni le sang-froid, ni l’espérance : il mit en liberté et arma six mille Ilotes, garnit tous les postes d’hommes intrépides, se retrancha sur une hauteur avec le gros de l’armée, et, malgré les murmures des citoyens et les provocations de l’ennemi, évita prudemment tout combat général, dont le mauvais succès aurait pu entraîner la ruine totale de la république.

Dans ce moment périlleux, où Lacédémone avait besoin de tant de courage et d’union pour se jouée par sauver, il se forma une conspiration dont l’objet était de changer le gouvernement. Deux cents conjurés s’étaient déjà saisis d’un poste important le sénat voulait les faire attaquer et tuer ; Agésilas regarda ce moyen violent comme d’autant plus dangereux, qu’on ignorait le nombre des complices. Il alla seul trouver les rebelles, et leur dit : Camarades, ce n’est pas là où je vous avais envoyés ; et il leur indiqua les lieux où ils devaient se rendre. Étonnés de son audace, et croyant que leur complot n’était point découvert, ils obéirent.

Un Lacédémonien, nommé Ischolas, imita pendant ce siège le dévouement héroïque de Léonidas : chargé de défendre un étroit passage qui couvrait la ville, et voyant qu’il était tourné, il renvoya au camp les plus jeunes soldats, et, ne gardant près de lui que quelques vieux guerriers, il défendit son poste jusqu’à la mort.

Épaminondas aurait pu prendre Sparte ; mais ce grand homme, que la fortune n’aveuglait pas, sentit que la ruine de Lacédémone exciterait la jalousie des Grecs, et les armerait tous contre Thèbes ; il se contenta d’humilier l’orgueil de Sparte, et de la forcer, par un traité de paix, à rendre la Messénie, à ses anciens maîtres.

Les Messéniens, apprenant cette nouvelle inespérée, accoururent en foule de Sicile, et se partagèrent ces terres regrettées, qu’avaient possédées leurs pères, et qu’ils n’avaient jamais cru revoir.

L’amour de la liberté rendait dans la Grèce les lois si sacrées, que la gloire la plus brillante ne trouvait point d’égide contre elles. Épaminondas et Pélopidas pouvaient s’attendre à être reçus dans Thèbes en triomphe : on les mit en prison, et on les appela, en jugement pour avoir gardé le commandement de l’armée au-delà du terme prescrit par les lois.

Pélopidas employait en vain son éloquence pour justifier ; Épaminondas triompha par sa noble audace. : Citoyens, dit-il, je ne cherche point  à me défendre ; je mourrai content si vous déclarez dans votre arrêt que j’ai vaincu les ennemis à Leuctres, assiégé Sparte, affranchi Messène, rendu Thèbes l’arbitre de la Grèce ; et que toutes ces actions glorieuses, je les ai faites sans  l’aveu des Thébains.  Cette fermeté réussit ; il fut absous.

Tout gouvernement malheureux est attaqué : une nouvelle conspiration éclata dans Sparte. Agésilas perdit patience ; et, d’accord avec les éphores, il marcha contre mes conspirateurs, s’en saisit, et les fit tous périr sans les juger.

La fière Lacédémone, abaissée, implora le secours des villes qu’elle avait précédemment opprimées. Athènes et Corinthe, jalouses de Thèbes, consentirent à faire une ligue avec Sparte, à condition qu’une parfaite égalité existerait entre elles.

Le poids de cette ligue ne put maintenir la tranquillité : les Arcadiens s’emparèrent de Pallène ; les Thébains se déclarèrent pour eux ; et quoique Chabrias, à la tête de vingt-deux mille hommes, défendît avec vigueur l’entrée du Péloponnèse, Épaminondas, après un vif combat, força ce passage, s’empara de Sicyone, et mit le siége devant Corinthe.

Mais Chabrias, fortifié par de nouveaux secours, le contraignit de se retirer. Thèbes, trop accoutumée aux succès, ôta le commandement à Épaminondas : ses affaires en souffrirent, et elle fut bientôt obligée de le lui rendre.

La haine qui animait les Grecs les tins contre les autres, les aveuglait toujours au point d’appeler l’intervention du roi de Perse dans leurs querelles, et de solliciter honteusement l’appui de l’ennemi naturel, qui ne désirait que leurs discordes et leur ruine.

Rien n’est plus opposé au bon sens que la passion. Lacédémone avait envoyé demander des troupes à Artaxerxés, elle n’avait obtenu que deux mille mercenaires ; mais elle traitait encore, et espérait de plus grands secours.

Pélopidas se rendit en Asie pour traverser cette négociation. La gloire le précédait ; la fortune le suivit : aussi habile en politique qu’en guerre, il obtint ce qu’il voulut : Artaxerxés fit alliance avec Thèbes, garantit l’indépendance de Messène, et promit de maintenir l’équilibre entre Athènes, Sparte, Thèbes et Corinthe.

Pendant ce temps, Denys, tyran de Syracuse, envoya quelques troupes aux Lacédémoniens ; et Archidamas, fils d’Agésilas, remporta une victoire complète sur les Arcadiens et les Argiens, réunis. Comme aucun Spartiate n’y périt, on appela cette bataille la bataille sans larmes.

Ce fut alors que la Macédoine commença à fixer l’attention de la Grèce. Perdiccas et Ptolémée, fils d’Amyntas, s’y disputaient la couronne. Pélopidas, choisi par eux pour médiateur, termina leur différend, et emmena en otage à Thèbes un troisième fils d’Amyntas, appelé Philippe ; il devint dans la suite doublement célèbre par ses talents et par le génie de son fils Alexandre.

Ce prince, élevé à Thèbes, y apprit l’art de la guerre et du gouvernement. Thèbes nourrit ainsi dans son sein celui qu’elle instruisait à devenir le dominateur de la Grèce.

Vers l’an 3634, la Thessalie fut le théâtre d’une révolution qui lui coûta beaucoup de larmes et de sang. Un homme audacieux et cruel, Alexandre de Phères, après avoir assassiné Polyphron qui commandait vingt mille Thessaliens aguerris, s’attira par sa bravoure l’affection des soldats, et se fille tyran de son pays.

Il abusa de son pouvoir et commit beaucoup d’injustices et de violences, sa barbarie était si excessive qu’il couvrait ses prisonniers de peaux de bête, et les faisaient chasser et dévorer par les chiens. Les Thessaliens, opprimés, implorèrent la protection de Thèbes, Pélopidas, envoyé pour les secourir, s’empara de Larisse, força Alexandre à signer la paix, et employa tous ses efforts à lui persuader de consolider sa puissance, en lui donnant pour base la justice.

Il n’en obtint que de vaines promesses ; Alexandre s’abandonna plus que jamais à son penchant pour la débauche et à l’emportement de son caractère.

Perdiccas, roi de Macédoine, périt dans ce temps. Pélopidas voulait empêcher Ptolémée de lui succéder ; mais celui-ci gagna les Thébains par sa soumission et par ses présents.

Les nouveaux malheurs de la Thessalie y rappelèrent encore Pélopidas. Une révolte dans son armée arrêta ses progrès : il voulut punir les rebelles ; la fuite les déroba à sa sévérité. Cette désertion l’affaiblit. Suivi d’un seul homme, il s’avança pour conférer avec Alexandre ; mais ce prince perfide, le voyant sans gardes et sans défiance, le fit prisonnier et le conduisit à Phères.

Il fut jeté dans un cachot : là, couvert de haillons, privé de vivres, couché presque nu sur la paille, et chargé de chaînes, il bravait dans les fers l’orgueil du tyran, le menaçait d’une prochaine vengeance, parlait au crime le langage de la vertu, et semblait défier avec mépris le poignard suspendu sur sa tête.

Thébé, femme d’Alexandre, avait en horreur ses débauches et ses cruautés : honteuse de la misère d’un héros qu’opprimait son indigne époux, elle visita secrètement Pélopidas dans son cachot, et répandit de généreuses larmes sur ses malheurs.

Cependant l’armée thébaine ne faisait aucun progrès ; les soldats, fatigués de l’ignorance de leurs chefs qui les conduisaient sans art, et les compromettaient sans nécessité, les déposèrent, et donnèrent le commandement à Épaminondas, qui ne servait alors que comme simple volontaire.

Tout changea dès qu’il reparut : la victoire reconnut sa voix ; mais il n’osait compléter ses succès et précipiter sa marche, parce qu’il craignait d’exposer la vie de son ami. Cet intérêt, si puissant sur son cœur, le décida à négocier ; et, profitant de la frayeur d’Alexandre, il lui accorda une trêve de trente jours, à condition qu’il rendrait la liberté à Pélopidas.

Le tyran, toujours incorrigible, redoubla de violences et de cruautés. Les villes de Thessalie, indignées, demandaient toutes qu’on les délivrât de ce joug odieux. Pélopidas, à peine revenu dans ses foyers, reçut l’ordre de marcher contre Alexandre. Sa femme, éplorée, le conjurait d’écouter la prudence et de se conserver : Voilà, répondit le héros, ce qu’il faut recommander  aux jeunes gens ; mais on ne doit demander au  général que de conserver les autres.

Lorsque son armée fut en marche, une éclipse de soleil effraya et arrêta les Thébains : Pélopidas, n’ayant pu les rassurer, leur reprocha cette lâcheté, et continua témérairement sa route avec trois cents cavaliers : peu de temps après, cinq mille Thébains, honteux d’abandonner leur chef, le rejoignirent à Cynocéphale où il campait.

Ce lieu était environné de collines ; Alexandre, à la tête de vingt raille hommes, s’en empara et attaqua les Thébains. Leur cavalerie eut d’abord l’avantage, mais l’infanterie, effrayée, recula. Pélopidas, à force d’exhortations et de reproches, la ramena au combat, et parvint à mettre l’ennemi en fuite : mais, irrité par les affronts qu’il avait reçus, le désir de se venger l’emporta sur sa prudence. Comme il poursuivait impétueusement Alexandre dans le dessein de le tuer, il devança tous les siens ; il fut entouré par des cavaliers ennemis, renversé et percé de coups.

Les Thébains, furieux, taillèrent en pièces les troupes d’Alexandre. L’armée ressemblait à une famille en deuil les soldats, accablés de douleurs, coupèrent leurs cheveux, et la crinière de leurs coursiers. Les généraux ne purent obtenir, qu’après de longs efforts, de prendre quelque nourriture : l’armée entière voulait mourir.

On porta le corps de ce grand homme à Thèbes. Sa marche fut un triomphe funèbre ; dans toutes les villes qui se trouvaient sur son passage, de nobles trophées rappelaient ses victoires et les gémissements de tous les citoyens rendaient hommage à ses vertus, chacun pleurait en lui le libérateur d’une patrie qu’il avait tirée de la servitude pour l’élever au-dessus de toute la Grèce.

Alexandre, vaincu, se vit obligé de restituer toutes ses conquêtes, et de payer un tribut à Thèbes. Peu d’années après, ce tyran, qui devenait de jour en jour plus odieux au peuple, fut massacré par les ordres de sa femme Thébé.

La Grèce jouit alors d’un calme passager, que troubla en 3641 une nouvelle querelle entre les Arcadiens et les Mantinéens. Épaminondas, qui occupait alors la place de Béotarque, accusa les Arcadiens de favoriser Sparte, et d’agir sous son influence. Il voulut se rendre l’arbitre de ce différend. Athènes, Lacédémone et plusieurs autres peuples se liguèrent contre les Thébains, et leurs troupes réunies s’approchèrent de Mantinée.

Épaminondas, les trompant par une marche rapide, marcha droit à Sparte pour la surprendre. Quelques-uns de ses soldats pénétrèrent même la nuit au milieu de la place publique.

Un intrépide Spartiate, Isodas, s’éveille au bruit des armes, sort nu de sa maison, l’épée à la main, immole les premiers guerriers qu’il rencontre, appelle à grands cris ses concitoyens, les anime et chasse l’ennemi hors des murs.

Le sénat lui décerna une couronne, digne prix de sa vaillance, et le condamna à l’amende pour avoir enfreint les lois, en combattant sans son bouclier.

Cependant Agésilas, instruit de la marche de l’ennemi, accourut avec ses troupes, et arriva à temps pour sauver sa patrie : il fit, malgré sa vieillesse, des prodigués de valeur. Archidamas, son fils, digne d’un tel père, à la tête des plus braves Spartiates, traversa l’Eurotas, et mit en pleine déroute les alliés de Thèbes, qui se croyaient déjà vainqueurs.

Épaminondas, par cette défection, obligé de se retirer, dirigea sa marche sur Mantinée, que les Athéniens couvraient avec six mille hommes.

Les Lacédémoniens et leurs alliés les rejoignirent, et portèrent leurs forces à vingt-deux mille hommes. Épaminondas ayant réuni les siennes, leur opposait trente-deux mille guerriers. On se livra bataille, et la plaine de Mantinée fut le théâtre où le sort des armes décida cette grande querelle, dont le dénouement devait fixer le sort de Sparte et de Thèbes.

L’armée alliée s’étendait dans la plaine au pied du mont Parchémus ; les Thébains se déployaient sur le penchant de la montagne. Au moment où l’on s’attendait à combattre, Épaminondas, changeant tout à coup son ordre de bataille, remonta sur les hauteurs, s’y arrêta, et fit mettre bas les armes à son infanterie.

Les ennemis, croyant, d’après ce mouvement, qu’il voulait éviter la bataille et camper dans cette position difficile à attaquer, quittèrent leurs rangs. Épaminondas alors, profitant de ce désordre, fit reprendre les armes, et descendit brusquement dans la plaine.

Les alliés, quoique surpris, se formèrent promptement en phalanges et placèrent à leurs deux ailes les cavaleries de Sparte et d’Athènes.

Épaminondas avait mis l’élite de ses troupes à l’aile qu’il dirigeait ; il attaqua obliquement les Lacédémoniens ; et sa colonne, qui se renouvelait sans cesse, enfonça leur aile droite. Le centre fut plus difficile à renverser ; on s’y battait corps à corps avec acharnement, et la fortune paraissait encore incertaine. Épaminondas, à la tête du bataillon sacré, décida la victoire, et fit un grand carnage des ennemis qui prirent la fuite.

Mais il les poursuivit trop vivement, sans s’apercevoir que la troupe qui l’accompagnait dans sa course diminuait à chaque pas.

Les ennemis, ralliés, se précipitèrent alors sur lui : environné par eux, il repoussa d’abord intrépidement avec son bouclier la foule de traits qu’on lui lançait ; mais enfin un Spartiate, nommé Anticrate, lui enfonça sa lance dans la poitrine. Les Thébains, accourus, dégagèrent leur général, et massacrèrent les ennemis qui l’entouraient.

Épaminondas fut rapporté dans sa tente : les chirurgiens trouvèrent sa blessure mortelle, et déclarèrent que, probablement, on le verrait expirer au moment où on lui arracherait le fer qui était resté dans la plaie.

Épaminondas regrettait la perte de son bouclier : on le lui présente ; le héros embrasse ce compagnon de sa gloire. Il demande ensuite où étaient les ennemis ; on lui répond qu’ils sont en fuite, et que la victoire est complète.  Eh  bien ! dit-il, ma vie est assez longue ; je meurs sans avoir été jamais vaincu : arrachez-moi ce fer.

Un de ses amis le plaignait de mourir sans laisser d’enfants qui donnassent l’espoir de le voir revivre en eux : Vous vous trompez, répliqua ce  grand homme, je laisse après moi deux filles immortelles : les victoires de Leuctres et de Mantinée. Ne regardez pas ce jour comme le dernier de ma vie ; c’est le premier de mon  bonheur et le comble de ma gloire puisqu’il  rend Thèbes triomphante, Sparte humiliée, et la  Grèce libre.

Il demanda ensuite à parler à deux généraux thébains, Déiphante et Iolidas, qu’il croyait capables de lui succéder : on lui apprit qu’ils avaient péri : Conseillez donc aux Thébains de faire la  paix.  Après ces mots il arracha lui-même le fer de sa plaie, et il expira.

Ce grand capitaine, et l’illustre Pélopidas son ami, prouvent évidemment à quel point l’influence du génie peut changer la destinée des nations. La Béotie avait été longtemps l’objet des mépris de toute la Grèce ; la simplicité et la pesanteur de ses habitants étaient passées en proverbe chez les Grecs ; on dédaignait leur amitié, on ne craignait point leur haine ; et leurs forces n’avaient aucun poids dans la balance politique des états. Pélopidas les tira de leur oisiveté : il éclaira leur ignorance, disciplina leurs troupes, et fit des Thébains un peuple de soldats, qui se montra bientôt capable de disputer aux autres la souveraineté de la Grèce.

Épaminondas perfectionna l’ouvrage de son ami. Son habileté dans une tactique qu’il créa, son amour pour les sciences et pour la liberté, sa gloire et sa simplicité le firent regarder universellement comme l’un des premiers philosophes et des plus grands capitaines.

On veut imiter ce qu’on admire ; ses compatriotes se montrèrent, sous sa conduite, vertueux citoyens et habiles guerriers ; et, guidée par un tel chef, Thèbes triompha de la bravoure athénienne et terrassa l’orgueil de Sparte.

Il disait lui-même en riant, qu’il avait appris aux Spartiates à allonger leurs monosyllabes.

Peu d’hommes ont joui d’une renommée sans tache ; on dirait que le ciel unit toujours de grands défauts aux plus grandes qualités ; mais la gloire d’Épaminondas se montra pure et sans ombre ; son incorruptible vertu fut toujours à l’abri du reproche et même du soupçon. Son génie n’eut à rougir d’aucune défaite, et son âme d’aucune faiblesse. Son audace et son habileté forcèrent la haine et la rivalité à lui rendre le plus éclatant hommage.

Au moment où Agésilas voyait le général thébain traverser intrépidement l’Eurotas, grossi par la fonte des neiges ; il s’écria : Quel homme ! et quel prodige !

Un prodige, peut-être plus rare encore, est d’unir la simplicité à la puissance et la modestie à la gloire : il descendit sans murmure des plus hauts emplois aux plus subalternes pour obéir aux lois de son pays. Il mourut pauvre après avoir gouverné l’état. On lui demandait un jour pourquoi il s’était enfermé ; il répondit : C’était pour faire blanchir mon manteau.

Athènes, Sparte, Mantinée regardèrent la mort d’un tel ennemi comme un si grand avantage, qu’elles se disputèrent la funeste gloire d’y avoir contribué. Gryllus d’Athènes, fils de Xénophon, Machérion de Mantinée et Anticrate de Lacédémone se vantèrent à l’envi d’avoir terminé les jours de ce héros.

Les Thébains sentirent toute l’étendue de cette perte ; ils proposèrent la paix aux alliés vaincus. Elle fut honorable ; on convint que chacun garderait ce qu’il possédait. Agésilas sein refusa d’y souscrire : il ne voulut point que Sparte reconnût par ce traité l’indépendance des Messéniens. Son avis était trop conforme à l’orgueil de ses compatriotes, pour ne pas entraîner leur opinion ; mais on le blâma généralement dans toute la Grèce d’avoir sacrifié le repos public à son ambition. Agésilas, à quatre-vingts ans, aimait encore la guerre avec autant d’ardeur que dans sa jeunesse : la guerre de Lacédémone contre Thèbes devenant de plus en plus languissante, il en hercha une autre qui pu lui procurer plus de périls et plus de gloire.

Tachoz, roi d’Égypte, demandait à Lacédémone un secours contre le roi de Perse : on vit avec surprise un monarque octogénaire s’offrir pour commander cette expédition ; Agésilas partit à la tête d’un corps de troupes, et arriva en Égypte. Les Égyptiens, qui ne le connaissaient que par ses exploits, s’attendaient à voir sa personne brillante d’un éclat pareil à celui de sa gloire : ils virent avec étonnement un petit vieillard boiteux, vêtu grossièrement : la simplicité de ses mœurs et son langage laconique changèrent d’abord en mépris l’admiration de ces barbares.

Il commandait les troupes de terre, et l’athénien Chabrias la flotte. Le roi Tachoz n’eut aucun égard pour les conseils d’Agésilas, qui voulait lui persuader de rester sur la défensive : il marcha en Phénicie ; une révolte éclata pendant son absence, et Nectanébus s’empara du trône.

Agésilas embrassa le parti du rebelle. La politique lacédémonienne trouva cette conduite habile : la postérité, toujours juste, la taxa de trahison.

Un nouveau concurrent à la royauté s’éleva en Égypte : Nectanébus, plus docile que Tachoz, suivit les conseils d’Agésilas ; et, avec son secours, il battit son rival et le fit prisonnier. Ce fut le dernier exploit du roi de Sparte : il s’embarqua pour retourner à Lacédémone ; mais une tempête le rejeta sur la côte d’Afrique : il y tomba malade, et y mourut à l’âge de quatre-vingt-quatre ans.

Sa sobriété, son esprit, sa bravoure, son habileté dans l’art de la guerre, son respect pour les lois de son pays immortalisent son nom, et rien n’aurait manqué à sa renommée, si sa partialité pour ses amis, et pour sa patrie, et son amour pour la guerre, ne lui avaient pas, fait enfreindre quelquefois les règles de la justice.

Un an après l’expédition d’Agésilas en Égypte, Artaxerxés Mnémon, roi de Perse, mourut sous le poids des chagrins que lui causaient les crimes de ses enfants. Le plus coupable d’entre eux. Ochus, monta sur le trône ; ce monstre. ne fut célèbre que par son horrible cruauté. L’assassinat de ses deux frères lui avait donné la couronne ; dès qu’il devint roi, il fit mourir tous les princes de son sang, et les grands qui excitaient sa méfiance.

Artabaze, l’un des satrapes, se révolta pour éviter la mort. Charès le secourut avec quelques troupes athéniennes : ils battirent les Perses ; mais les menaces d’Ochus déterminèrent Athènes à rappeler son armée.

Cinq mille Thébains, commandés par Pammène, donnèrent encore au satrape le moyen de vaincre l’armée royale : mais, Ochus ayant obtenu à prix d’argent le rappel des Thébains, Artabaze quitta l’Asie et se réfugia chez Philippe qui venait de monter sur le trône de Macédoine.

Ce fut dans ce même temps, l’an 3646, que les Athéniens eurent à soutenir une guerre que l’on appela la guerre des alliés. Les îles de Chio, de Cos et de Rhodes avaient fait fine ligue, afin de se soustraire à l’autorité d’Athènes, et cette ville employa toutes ses forces pour les soumettre.

Au siège de Chio, Chabrias, après avoir forcé l’entrée du port, fut entouré par les galères ennemies, et périt avec son navire.

Ce général s’était distingué dans les guerres d’Athènes contre Sparte par une heureuse intrépidité. Le corps qu’il commandait se trouvant entouré par l’armée lacédémonienne, il avait fait serrer ses soldats l’un contre l’autre : couverts de leurs boucliers, un genou en terre, et présentant leurs piques, ils repoussèrent la masse d’ennemis qui les attaquait et qui ne put jamais les entamer.

Le siège de Chio fut abandonné. Charès, qui succéda à Chabrias, n’eut pas plus de succès en attaquant Samos et Byzance. Ce chef présomptueux voulait livrer bataille dans une mauvaise position, et en bravant un vent violent qui lui était contraire. Timothée, fils de Conon, et Iphicrate s’y opposèrent : leur sagesse épargna une défaite à leur patrie.

Charès les accusa devant les Athéniens. Ce peuple, qui se montrait toujours avide de gloire et ingrat pour ceux qui la lui donnaient, condamna Timothée à l’amende. Cet habile général punit son pays en s’exilant et en cessant de le servir. Marchant sur les traces de son père, il avait rendu à sors pays la domination des mers. Comme on l’accusait cependant d’un peu de lenteur, les Athéniens, railleurs et légers, le firent représenter dormant, tandis que la Fortune, assise à côté de lui, prenait des villes dans ses filets.

Timothée en voyant ce tableau, se contenta de dire : Si je prends les villes tout endormi, que ne ferai-je pas éveillé ?

Son collègue Iphicrate ne se soumit pas aussi facilement aux caprices de la multitude : appelé comme lui en jugement, il parut dans l’assemblée du peuple, entouré d’une troupe de jeunes gens qui portaient des poignards, dont l’éclat menaçant intimida les juges : il fut absous. Comme ses amis lui reprochaient sa témérité, il répondit : Après avoir, pendant toute ma vie, employé mes armes à la défense de mes concitoyens, je serais bien fou si je ne m’en servais pas pour me défendre moi-même.

Un pays est près de sa décadence, dès qu’on y voit les magistrats violer la justice et les citoyens braver les lois.

Iphicrate et Timothée furent les derniers généraux qui répandirent quelque gloire sur leur patrie. Iphicrate était doué d’une force si prodigieuse, que, dans un combat de mer, étant venu à l’abordage, il saisit un ennemi entre ses bras, l’enleva, et l’emporta tout armé sur son vaisseau.

Son habileté dans les évolutions militaires faisait reconnaître facilement les soldats exercés par lui ; et, pour les distinguer des autres, on leur donnait avec éloge le nom d’Iphicrate.

Un de ses accusateurs, descendant d’Harmodius, et fier de cette illustre origine, lui reprochait la bassesse de sa naissante ; il répondit : La noblesse de ma famille commence à moi ; celle de la vôtre finit en vous.

Charès, qui avait voulu perdre deux héros, ne Repos les remplaça point ; aucun succès ne couronna ses entreprises. L’orateur. Isocrate conseilla la paix aux Athéniens. La crainte des ressentiments du roi de Perse fut plus efficace encore que l’éloquence du philosophe ; Athènes posa les armes, et laissa jouir Rhodes, Byzance, Cos et Chio de leur indépendance.