HISTOIRE DE LA GRÈCE

 

TROISIÈME ÂGE DE LA GRÈCE

 

 

PREMIÈRE GUERRE CONTRE LES PERSES

CYRUS avait fondé dans l’Orient un empire immense, que sa famille ne sut pas longtemps conserver : les folies et les vices de ses successeurs les renversèrent du trône élevé par le génie de ce grand homme.

Un mage imposteur l’occupa sous le nom de Smerdis ; mais il fut bientôt démasqué, et massacré par les grands de la Perse, qui élurent pour roi Darius, fils d’Hystaspe.

Son empire comprenait toute l’étendue de la Perse moderne et de la Turquie d’Asie. Il était maître de la Thrace, dominait en Phénicie et en Palestine, et possédait même quelques parties de la Macédoine.

Pour rendre sa puissance plus respectable aux yeux des peuples il avait épousé Atossa, fille de Cyrus. Cette femme ambitieuse et vaine fut trompée par un médecin grec, nommé Démocède, que le roi retenait malgré lui en Perse, et qui cherchait les moyens d’échapper à sa tyrannie.

Cette légère intrigue devint une des causes de la guerre qui éclata bientôt entre l’Asie et l’Europe. Darius voulait combattre les Scythes : la reine voyait avec peine une entreprise qui n’offrait que des dangers et ne promettait que des déserts : Démocède lui dit qu’elle devait engager son époux à tourner plutôt ses armes contre la Grèce dont la conquête serait facile, lucrative et glorieuse. Il flatta surtout sa vanité par l’espoir d’avoir à son service des femmes de Corinthe et d’Athènes, dont on vantait partout la beauté, l’esprit et les talents.

Darius aimait la gloire, et ne croyait pas qu’une si petite contrée, divisée en tant d’états faibles pût lui opposer une grande résistance. Il chargea Démocède de parcourir la Grèce et l’Italie, et de reconnaître la force des différentes républiques et les dispositions des esprits. Quinze officiers perses l’accompagnèrent dans cette expédition : ils furent arrêtés à Tarente comme espions. Démocède trouva le moyen de s’échapper et de se retirer à Crotone, sa patrie, qui refusa de le livrer à Darius.

Un événement plus important acheva bientôt d’aigrir les esprits, et alluma cette forte haine qui devait ensanglanter tout l’Orient.

L’île de Naxos, l’une des Cyclades, se voyait alors agitée par des troubles qu’excitait dans toutes les républiques grecques la querelle interminable de la pauvreté contre la richesse, de la démocratie contre l’aristocratie ; le peuple l’emporta, et bannit de Naxos les citoyens les plus opulents. Ils se réfugièrent à Milet, où commandait Aristagore, et implorèrent son secours pour rentrer dans leur patrie.

Aristagore courut à Sardes, où résidait le satrape Artapherne, frère du roi de Perse : il lui fit entrevoir que la conquête de Naxos serait facile ; que sa chute ferait tomber l’île d’Eubée (aujourd’hui Négrepont), et ouvrirait un libre passage en Grèce.

Darius, informé par son frère de cette proposition, l’accueillit avidement ; et chargea un de ses parents, nommé Mégabaze, de commander l’expédition sous la direction d’Aristagore. L’entreprise n’eut point de succès : Mégabaze souffrait avec impatience qu’on soumît un prince tel que lui aux ordres d’un Grec, d’un Ionien ; il avertit secrètement le gouvernement de Naxos de l’attaque qui allait être dirigée contre lui. Les Naxiens, qu’on croyait surprendre, se défendirent avec opiniâtreté : après quatre mois de siège les Perses firent obligés de se retirer.

Mégabaze, attribua son échec à une trahison d’Aristagore, et l’accusa devant Artapherne qui jura sa perte.

Aristagore, chercha son salut dans la révolte ; il parcourut l’Ionie pour la soulever : cette province était remplie de colonies fondées par les Grecs que les Héraclides avaient chassés du Péloponnèse. Aristagore sût réveiller leur amour pour leur ancienne patrie, et leur persuada facilement de faire cause commune avec les Grecs. Les Ioniens, convaincus que la servitude deviendrait leur partage s’ils laissaient asservir la Grèce, coururent aux armes, cessèrent de reconnaître l’autorité du roi de Perse, chassèrent ses troupes de leurs villes, et s’emparèrent des vaisseaux qui se trouvaient dans leurs ports.

Aristagore se rendit à Sparte. Cléomène y régnait : il lui représenta qu’il était digne d’un peuple libre d’affranchir les Ioniens d’un joug honteux et pesant, de faire échouer les projets de Darius en les prévenant et de porter la guerre au sein de la Perse, au lieu de l’attendre dans la Grèce.

Quelques auteurs prétendent que Cléomène, persuadé par ses raisons et gagné par le don de cinquante talents, promit de s’allier aux Ioniens ; d’autres disent, et cette version est plus croyable et plus conforme aux mœurs de Sparte, qu’il chassa de la ville Aristagore. On raconte même que Gorgo, fille de Cléomène et âgée de huit ans, témoin de cet entretien, s’écria : Mon père, fuyez cet étranger, il vous corrompra. Ce qui est certain, c’est qu’Aristagore, sans avoir obtenu de secours de Lacédémone, vint dans Athènes, où il fut beaucoup mieux accueilli. Les Athéniens, inquiets de la mission de Démocède, alarmés de l’expédition de Naxos, étaient violemment irrités des menaces d’Artapherne qui voulait les forcer à se remettre sous le joug d’Hippias. Ils donnèrent vingt vaisseaux à Aristagore qui les réunit aux forces de l’Ionie soulevée.

Sans perdre de temps il marcha sur la ville de Sardes : Artapherne surpris l’évacua, n’ayant pu la mettre en état de défense. Un soldat ionien mit le feu à une maison, comme toutes étaient bâties en bois, l’incendie fit des progrès rapides, et toute la ville fut réduite en cendres.

Des troupes perses, réunies, arrivèrent trop tard pour sauver Sardes ; mais elles défirent les Ioniens, et les forcèrent à se retirer.

Lorsque Darius apprit que les Athéniens par leurs secours, avaient contribué à la ruine d’une de ses plus belles villes, il entra en fureur, jura de se venger des Grecs, et voulut que tous les jours, à table, un de ses officiers lui criât : Seigneur, souvenez-vous des Athéniens.

Aristagore, ne pouvant résister aux forcés d’Artapherne, porta ses armes contre Byzance ; mais les Perses le battirent et le tuèrent. Ils se réunirent tous ensuite pour attaquer Milet. Les Ioniens et leurs alliés leur opposèrent des forces considérables et trois cent cinquante vaisseaux.

Les peuples libres invincibles quand ils sont unis, sont perdus dès qu’ils se divisent. Les intrigues de la cour de Perse et de trompeuses insinuations séparèrent les intérêts et rompirent la ligue des alliés. Le roi de Perse, profitant de cette discorde, s’empara de Milet et en passa les habitants au fil de l’épée.

Hystiée, oncle d’Aristagore et prince de Milet, avait, peu de temps avant, rendu un grand service à Darius, et sauvé son armée en empêchant les Thraces de couper un pont dont la rupture aurait privé le roi de tous moyens de retraite lorsqu’il était poursuivi par les Scythes. Aussi malgré, tous les efforts d’Artapherne pour perdre Hystiée, le roi, même en le combattant, lui avait toujours conservé quelque bienveillance. Après la ruine de Milet, Hystiée, à la tête de quelques troupes ioniennes, entra en Mysie. Le satrape Harpagus le défit, le prit et le livra à Artapherne qui, sans attendre aucun ordre, le fit périr, et envoya sa tête au roi.

La révolte d’Ionie, la destruction de Sardes, et la résolution de rétablir la tyrannie d’Hippias, rendaient la guerre inévitable et toute conciliation impossible. Darius crut qu’un seul, effort lui suffirait pour écraser les Grecs : il rassembla trois cents vaisseaux et une forte armée de terre, et en donna le commandement à Mardonius, son gendre, prince rempli d’orgueil, général sans talents et sans expérience.

La flotte, en doublant le mont Athos, fut détruite par une tempête. Mardonius, arrivé en Thrace, négligea de se garder ; les Thraces surprirent de nuit son camp et y firent un grand carnage. Le général s’enfuit précipitamment en Perse avec les débris de son armée, et termina ainsi honteusement cette première campagne.

Un tel échec affaiblit la terreur qu’inspirait la puissance colossale des Perses, et fit entrevoir aux Athéniens la possibilité de leur résister.

Les habitants de la ville d’Égine, située sur la côte du Péloponnèse, non loin d’Athènes, s’étaient hâtés de se soumettre aux Perses. Les Lacédémoniens indignés envoyèrent Cléomène à Égine, pour enlever les magistrats coupables de cette lâcheté. Les Éginètes refusèrent de les livrer sous prétexte que Cléomène parlait seul, et était arrivé sans son collègue Démarate. Celui-ci fut accusé de leur avoir suggéré cette défaite ; comme sa naissance était illégitime, on voulut le faire descendre du trône. Cléomène avait gagné la prêtresse de Delphes : elle rendit un oracle d’après lequel Démarate fut déposé. Il chercha un asile en Perse, et s’y fit aimer et respecter, sans jamais trahir sa patrie.

Son successeur, Leutichydes, d’accord avec Cléomène, enleva dix citoyens d’Égine et les livra aux Athéniens. Ceux-ci, ne voulant pas borner là leur vengeance attaquèrent par mer les Éginètes : il y eut de part et d’autre plusieurs combats, dont le succès demeura incertain. Mais si cette guerre n’amena pas de résultat décisif, elle eut pour les Athéniens l’avantage d’exercer leur marine, et de la préparer à résister aux Perses.

Depuis l’expulsion des Pisistratides la république d’Athènes était heureuse, florissante : l’amour de la gloire et de la liberté y faisait éclore de grands talents. Trois hommes remarquables par leur génie, y jetaient alors le plus vif éclat : Miltiade, Aristide et Thémistocle.

Miltiade joignait à une grande valeur et à un caractère ferme, l’expérience de la guerre et des affaires. Héritant de la fortune d’une partie de sa famille établie en Thrace, il était devenu prince d’un canton de cette contrée. Après une vive résistance Mardonius et les Perses l’avaient chassé de son trône. Sa haine contre eux et son habileté portèrent les Athéniens à lui donner un commandement dans leur armée.

Thémistocle éloquent, brave, adroit, ambitieux, insinuant, populaire, savait tous les noms des citoyens d’Athènes, s’occupait de leurs intérêts pour qu’ils servissent les siens. Aucun homme n’aima plus la gloire et ne fut plus indifférent sur les moyens honnêtes ou illicites d’y arriver. Jaloux de tous ses rivaux, il avouait que les exploits de Miltiade l’empêchaient de dormir.

Aristide, aussi vaillant, aussi habillé que ses deux émules, les surpassait en vertu : aristocrate, parce qu’il aimait l’ordre, partisan des lois de Lycurgue conformes à ses mœurs, sévère et inébranlable dans ses principes, il ne cherchait à plaire à personne, n’aimait que la justice, et ne servait que sa patrie. Formé par les leçons de Clysthène, qui chassa les Pisistratides, Athènes trouvait en lui le plus implacable ennemi de la tyrannie et le plus ferme soutien de la liberté.

Darius, déterminé à subjuguer la Grèce, envoya des hérauts dans toutes les villes pour demander la terre et l’eau (c’était la formule antique pour ordonner de reconnaître son autorité). Égine, Thèbes, la Béotie et presque toutes les cités grecques tremblèrent, se soumirent ou gardèrent le silence. Elles redoutaient la nombreuse population des Perses et des invasions qui se renouvelleraient sans cesse. La guerre ne leur paraissait pas juste, parce qu’Athènes, en détruisant Sardes, avait offensé Darius. L’hommage que ce monarque demandait n’était pas, disait-on, une servitude, puisque, sous sa protection, les colonies grecques d’Ionie, même après leur révolte, conservaient leurs lois, leur culte, leur liberté et leurs propriétés. Enfin, la crainte suggérait à la faiblesse tous les prétextes qui pouvaient colorer la lâcheté ; et, sans les vertus inspirées à deux peuples par Lycurgue et par Solon, la Grèce, vaincue sans combattre, serait tombée sans gloire, et aurait grossi le nombre des petites provinces de l’empire de Perse, dont les noms sont à peine venus jusqu’à nous.

Athènes et Sparte repoussèrent avec mépris les propositions insolentes de Darius. Eréthrie et Platée suivirent leur exemple. Mais l’esprit humain ne sait jamais rester dans de justes bornes : ces peuples libres et fiers, n’écoutant que leur indignation, violèrent le droit des gens, et jetèrent les hérauts de Darius dans des puits, leur disant ironiquement d’y prendre la terre et l’eau que demandait leur maître.

Le ministère des hérauts fut toujours inviolable et sacré dans l’antiquité ; on avait même divinisé Taltybius, héraut d’Agamemnon. Dans la suite plusieurs malheurs arrivés en Grèce firent croire que le dieu Taltybius voulait venger les hérauts immolés ; et plusieurs citoyens distingués de Sparte et d’Athènes se rendirent en Asie, et livrèrent leur tête à Xerxès en réparation de cette injure et de cette impiété. Le roi, plus généreux que ses ennemis, ne leur fit aucun mal, et les renvoya dans leur patrie.

Darius instruit de l’effroi de tous les Grecs, et voyant que trois petites républiques osaient seules lui résister, dut compter sur une conquête facile : il rassembla cinq cents vaisseaux et une forte armée, que quelques auteurs portent à cinq cent mille et d’autres à cent mille hommes : il les envoya en Grèce sous les ordres d’Artapherne et de Datis : l’ambitieux Hippias leur servait de guide. Tout céda aux premiers efforts des Perses : ils conquirent les îles de la mer Égée s’emparèrent de l’Eubée, réduisirent en cendres la ville d’Éréthrie, qui la première, avait bravé la puissance du roi. Ils entrèrent ensuite dans l’Attique, campèrent à Marathon, sur le bord de la mer, et menacèrent Athènes du sort d’Éréthrie.

Lacédémone avait promis un secours de trois mille hommes ; mais une antique superstition défendait aux Spartiates de partir pour la terre au commencement de la pleine lune. Leur départ fut retardé, et ils n’arrivèrent qu’après la bataille. Platée envoya mille soldats. Le reste de la Grèce, immobile, attendait, dans la stupeur l’événement qui devait décider de sa destinée.

Les Athéniens, déterminés à vaincre ou à périr, armèrent tout ce qui pouvait combattre, et, jusqu’aux esclaves. Leurs forces ne montaient pas à plus de dix mille hommes, soumis aux ordres de dix chefs qui commandaient chacun à leur tour.

Ce changement continuel de chefs pouvait compromettre le salut de l’armée ; mais le défaut des peuples libres est d’écouter plus souvent la méfiance et la jalousie que la raison. Dans cette circonstance critique Aristide, sacrifiant son amour-propre à sa patrie, céda à Miltiade, comme au plus habile, l’honneur du commandement : les autres généraux imitèrent son exemple.

Il fallait décider si l’on attendrait l’ennemi derrière les remparts ou si on l’attaquerait. Miltiade, voyant que les Perses s’étaient placés dans une position resserrée par une montagne, entre la mer et le marais de Marathon, et qu’ils ne pouvaient, dans un lieu si étroit, déployer leur immense cavalerie, voulait qu’on profitât de cette faute pour les déconcerter par une attaque audacieuse et prompte. Aristide appuyait son avis ; d’autres généraux pensaient qu’il était téméraire, et presque insensé d’abandonner les murs de la ville, et de courir à une perte certaine en se jetant avec dix mille hommes au milieu d’une armée innombrable qui devait les écraser.

Les opinions étaient partagées : Miltiade, s’adressant avec chaleur au polémarque Callimaque, lui dit : Vous voyez notre incertitude ; Athènes attend de vous seul l’arrêt qui fera sa destinée : elle va devenir la plus glorieuse ville du monde, ou l’esclave de Darius et la proie d’Hippias. Si nous laissons refroidir l’ardeur de nos concitoyens ils compteront les ennemis et se courberont sous leur joug ; si nous les entraînons rapidement au combat, notre audace, protégée par les dieux, nous donnera la victoire. Un seul mot de vous, Callimaque, va nous condamner à la servitude ou consolider notre liberté. Callimaque opina pour le combat, et il fut résolu.

Miltiade craignait de rendre ses collègues responsables de l’événement ; il ne voulut pas profiter d’une générosité que le peuple, en cas de malheur, leur aurait reprochée ; et il attendit le jour où le commandement lui appartenait de droit.

Dès l’aurore de ce jour propice il rangea son armée en bataille à huit cents toises de l’ennemi (environ huit stades). Callimaque commandait l’aile droite ; les Platéens formaient l’aile gauche ; Aristide et Thémistocle conduisaient le centre. Miltiade devait se porter partout où sa présence serait nécessaire. Pour éviter d’être entouré il avait adossé ses troupes à une montagne ; et une grande quantité d’arbres parsemés dans la plaine garantissaient ses ailes des efforts de la cavalerie ennemie.

Miltiade avait laissé peu de monde à son corps de bataille, et avait porté la plus grande partie de ses forces aux deux ailes. Lorsque le signal fut donné, les Grecs, au lieu de marcher contre les Perses, se précipitèrent sur eux, à toute course. Les ennemis, surpris de ce nouveau genre d’attaque cédèrent d’abord à cette impétuosité ; mais leurs forces sans cesse renouvelées, rétablirent bientôt le combat ; et, malgré le courage de Thémistocle et d’Aristide, le centre des Grecs, après quelques heures d’une résistance opiniâtre, fût obligé de reculer devant la masse des Perses qui s’accumulait contre eux.

Miltiade profita de cet instant critique pour décider la victoire. Voyant que tous les efforts des Perses se dirigeaient sur son centre, il fit avancer rapidement ses deux ailes qui prirent les ennemis en flanc, les culbutèrent et les poussèrent sur un marais dans lequel la plupart périrent.

Aristide et Thémistocle, dégagés par cette attaque, enfoncèrent à leur tour le corps d’élite que Datis dirigeait contre eux ; la déroute devint générale. Les Perses, battus et dispersés, coururent au rivage pour chercher un asile sur leur flotte. Les Athéniens les poursuivirent, les prévinrent, prirent, brûlèrent et coulèrent à fond plusieurs vaisseaux : le reste trouva son salut dans la fuite.

L’Athénien Cynégire, frère du poète Eschyle, voyant qu’une galère persane voulait quitter le rivage, retint son câble de la main droite, on la lui coupa. Il le prit de la gauche qui fut tranchée ; enfin, l’ayant saisi avec ses dents, il fut percé de coups, et périt sans le lâcher.

L’armée des Perses perdit dans cette journée sept mille hommes, et celle d’Athènes deux cents guerriers. Miltiade reçut une blessure ; Stésilée et Callimaque, généraux athéniens périrent glorieusement. Hippias y termina sa honte et sa vie.

Un soldat athénien, malgré la fatigue d’un si long combat, voulait porter le premier à ses citoyens la nouvelle de leur salut : il vole, arrivé devant les archontes, annonce la victoire et meurt à leurs pieds.

Datis, éloigné de la côte espéra réparer sa prompte défaite, et surprendre Athènes qui était sans défense. Sa flotte, favorisée par les vents, doublait le cap de Stinnium. Mais Miltiade, qui n’était ni enivré, ni endormi par la victoire ne laissa que mille hommes à Marathon, sous les ordres d’Aristide, et, franchissant avec son infatigable armée lés quinze lieues qui le séparaient d’Athènes, il arriva le même jour dans la ville, et força l’ennemi déconcerté à se retirer en Asie.

Cette bataille célèbre eut lieu la troisième année de la soixante-douzième, olympiade, quatre cent quatre-vingt-dix ans avant Jésus-Christ.

Les Spartiates arrivèrent le lendemain du combat : ils avaient parcouru quarante-six lieues en trois jours : ils trouvèrent Aristide sur le théâtre de sa gloire, entouré de prisonniers chargés de fers, et d’un immense butin que sa sévérité avait garanti du pillage.

Les Lacédémoniens rendirent aux vainqueurs un hommage public et conçurent une jalousie secrète, qui fit naître par la suite de longues querelles et de grands malheurs.

On éleva dans la plaine des demi-colonnes sur lesquelles furent gravés les noms des guerriers d’Athènes morts au champ d’honneur.

Dans les intervalles de ces colonnes brillaient des trophées formés avec les armes des vaincus. On devait une récompense à Miltiade ; il en obtint une digne de lui par sa noble simplicité ; les Athéniens placèrent sous un de leurs portiques un tableau qui représentait la bataille de Marathon : on y voyait Miltiade à la tête des généraux, haranguant les troupes qu’il allait conduire à la victoire.

Cette bataille, qui décida du sort de la Grèce, apprit au monde que la victoire ne dépend pas du grand nombre ; que la faiblesse courageuse peut résister à la puissance, et qu’un peule qui sait vouloir être libre est invincible.

Les Athéniens s’étaient vus abandonnés dans un si grand péril par plusieurs peuples qui auraient du concourir à la défense commune, ils chargèrent Miltiade de partir avec soixante-dix vaisseaux et de punir les îles grecques soumises aux Perses.

Il en conquit plusieurs ; mais Paros lui opposa une vive résistance. Blessé devant les murs de cette ville, et trompé par un faux bruit qui annonçait l’arrivée des Perses, il leva le siège et revint à Athènes avec sa flotte.

Les peuples sont souvent aussi injustes que les rois. La blessure de Miltiade l’empêchait de paraître en public ; l’envie, toujours irritée contre sa gloire, l’accusa de s’être laissé gagner par Darius, La multitude, qui croit ce qu’elle craint, repoussa, toutes les objections de la raison, et le peuple condamna à mort le héros qui l’avait sauvé.

Tous les citoyens vertueux gémissaient en vain de cette atrocité ; en vain ils s’écriaient : Athéniens, souvenez-vous de Marathon ! ils n’obtinrent qu’une commutation de la peine de mort ; elle fut remplacée par une amende de cinquante talents : Miltiade, hors d’état de la payer, resta en prison : le chagrin irrita sa blessure et termina ses jours. Cimon, son fils, héritier de ses vertus et de ses talents, obtint de ses amis l’argent nécessaire pour faire ensevelir son père et pour payer l’amende à laquelle il avait été condamné.

Les Athéniens honorèrent la mémoire de ce grand homme par des regrets tardifs, par d’inutiles larmes. Mais bientôt ils donnèrent à la Grèce une nouvelle preuve de leur ingratitude et de leur légèreté. Thémistocle aimait plus la gloire que sa patrie ; jaloux de la vertu d’Aristide, il craignait de voir cet homme sévère porté par l’estime publique au gouvernement de l’état : son adresse trouva le moyen d’exciter la méfiance du peuple ; mais, ne pouvant accuser d’aucun crime avec vraisemblance un homme si juste, il décida les Athéniens à exécuter contre lui la loi qui permettait d’exiler tout citoyen dont le mérite pouvait porter ombragé aux amis inquiets et jaloux de la liberté.

Le vertueux Aristide fut banni : un citoyen de la basse classe qui ne le connaissait pas, vint s’adresser à lui-même, et le pria de mettre le nom d’Aristide sur sa coquille. Quel mal vous a fait cet homme, dit le noble accusé, pour le condamner ainsi ?Aucun, répondit le citoyen, mais je suis ennuyé de l’entendre toujours appeler le Juste. Aristide sans répliquer écrivit son nom.

En partant pour son exil il pria les dieux de préserver sa patrie de tout malheur qui pourrait la forcer à le rappeler.

Cet homme rare, comme nous l’avons dit plus haut, s’était formé à la vertu par les leçons de Clysthène. Une sage coutume voulait dans ces temps anciens, que les jeunes gens s’attachassent aux vieillards les plus considérés : c’est ainsi qu’Aristide fut élevé par Clysthène, Cimon par Aristide, Polybe par Philopœmen. Le peuple athénien avait souvent, reçu de ce magistrat de justes reproches sur son inconséquence. Ayant été nommé trésorier de la république, il administra avec intégrité, et découvrit sans ménagements les infidélités de ses prédécesseurs, et même de Thémistocle. Il s’attira par la beaucoup d’ennemis qui sous un faux prétexte l’accusèrent : on le condamna à une amende. L’intrigue fut découverte ; on le dispensa du paiement, et ses amis le firent même renommer trésorier.

Se montrant alors plus facile, il ne parut point exercer une surveillance si rigide : tous ceux qui voulaient malverser le comblèrent d’éloges, et firent tant par leurs brigues qu’à la fin de l’année tous les suffrages se déclarèrent unanimement, pour lui, Aristide se leva et dit : Athéniens, j’ai administré comme un homme de bien, vous m’avez abreuvé d’affronts : aujourd’hui quand je parais fermer les yeux sur les vols publics, vous me regardez comme le plus admirable des administrateurs. L’année dernière je m’honorais de votre condamnation j’ai honte aujourd’hui de vos éloges. Je vois qu’il est plus glorieux chez vous de ménager les méchants que d’épargner les trésors de l’état.

Cette réprimande augmenta l’estime publique pour Aristide. La réputation, de sa justice était telle qu’on désertait les tribunaux pour recourir à son arbitrage.

Un jour, lorsqu’on jouait à Athènes une tragédie d’Eschyle, dans laquelle le poète en parlant d’Amphianaüs, dit : Il veut être juste, et non le paraître ; tous les spectateurs, entendant ce vers, se tournèrent du côté d’Aristide avec de grands applaudissements.

Cet enthousiasme populaire fut un des principaux griefs de la faction de Thémistocle ; elle trouvait son pouvoir d’autant plus redoutable qu’il avait pour base l’amour du peuple.

Si Thémistocle était trop ambitieux, il faut convenir que cette ambition tournait presque toujours à l’avantage die la république.

Tandis que les Athéniens ne songeaient qu’à jouir de leurs triomphes, Thémistocle, prévoyant le nouvel orage qui se formait contre la Grèce persuada au peuple d’employer à construire des vaisseaux le revenu des mines qui jusque là avait été partagé annuellement entre tous les citoyens.

L’événement prouva bientôt la sagesse de ce conseil, puisque Athènes, attaquée de nouveau, ne dut son salut qu’à sa flotte.

Darius, furieux de la défaite de ses armées méditait une vengeance éclatante : il employa, trois années à faire les préparatifs d’une invasion plus formidable que les précédentes, et qu’il voulait diriger lui-même ; la mort l’arrêta dans ses projets. Son fils Xerxès hérita de son trône, de ses passions ; mais non des vertus qui le distinguaient. Sa violence menaça la Grèce d’une ruine totale et le monde, qu’il voulait remplir de sa gloire ne retentit que du bruit de sa honte et de ses folies.

 

SECONDE GUERRE CONTRE LES PERSES

(An du monde 3520. — Avant Jésus-Christ 484)

L’EFFRAYANT, orages qui devait fondre sur la Grèce ne tarda pas à éclater et à vérifier la prévoyance de Thémistocle. Les préparatifs commencés par Darius étaient achevés ; Xerxès venait de subjuguer l’Égypte dont il avait confié le gouvernement à son frère Achéménès : cet orgueilleux roi, défendant qu’on lui achetât dorénavant des figues de l’Attique, disait qu’il les cueillerait bientôt lui-même dans Athènes.

Mardonius, dont les fautes n’avaient pas éclairé la vanité, flattait les passions de Xerxès qui, malgré les sages avis d’Artabane, son oncle, se décida à exécuter les projets de son ambition.

On prétend qu’il y fut déterminé principalement par l’apparition répétée d’un fantôme qui le poussait à la guerre ; c’était probablement le rêve de l’orgueil ou le produit de la supercherie des mages qui détestaient la religion des Grecs et voulaient la détruire.

Ce fut cette même année que naquit à Halicarnasse Hérodote ; ainsi la vie de ce célèbre historien commença avec les événements qu’il devait raconter.

Le roi de Perse fit alliance avec les Carthaginois qui lui promirent d’attaquer les Grecs en Sicile et en Italie. La folie de son caractère se montra dès ses premiers pas : il fit percer le mont Athos, et lui écrivit une lettre injurieuse. Arrivé sur l’Hellespont, il fit fouetter la mer qui avait renversé un de ses ponts. La bassesse de ses courtisans qui le traitaient comme un dieu, lui faisait croire qu’il devait commander aux éléments : la flatterie est de tous les poisons celui qui donne le plus de vertiges.

Un empire immense, cédant à tous ses caprices, semblait assurer par ses efforts l’entier succès de cette invasion : un seul prince de Lydie, Pithius de Célène, lui offrit quarante millions.

Mille de ses vaisseaux couvraient la mer. Quelle que soit la diversité du calcul des historiens, son armée de terre se montait à trois ou quatre millions d’hommes.

Il envoya par toute la Grèce des hérauts, excepté à Athènes et à Sparte, pour demander la terre et l’eau. L’effroi fit des traîtres ; plusieurs villes se soumirent, et plus de cinquante mille Grecs combattirent honteusement dans les rangs des Perses.

Cependant le souvenir, de Marathon rendit cette fois la terreur moins générale, et la gloire d’Athènes et de Sparte leur valut des alliés.

Tout, néanmoins, promettait la victoire à Xerxès. Fier de ses forces, il demandait ironiquement à son oncle Artabane, ce qui pouvait encore l’effrayer : C’est précisément, lui répondit ce prince sage, la terre et l’eau que vous demandez. Je ne connais point de terre capable de nourrir une si nombreuse armée ; ni de port assez large pour mettre tant de vaisseaux à l’abri des vents.

Xerxès voulait que le roi lacédémonien, Démarate, lui dît s’il croyait que les Grecs oseraient l’attendre. Celui-ci lui répondit : La Grèce est pauvre en métaux, mais riche en vertus ; elle aime ses lois, elle déteste toute influence étrangère. Les Lacédémoniens seront plutôt morts qu’esclaves ; quand ils seraient réduits à mille, ils viendraient au-devant de vous : la loi le veut ; ils la craignent plus que vos sujets ne vous redoutent.

Ce roi, déposé et banni, mais toujours digne de Sparte, loin d’assister ses ennemis, informa secrètement les éphores de toutes les dispositions des Perses.

Gélon, roi de Syracuse, avait promis vingt-quatre mille hommes aux Athéniens, et deux cents vaisseaux ; mais il voulait être généralissime. Athènes le refusa, aimant mieux être privée de secours que d’avoir un tyran.

Les Crétois supposèrent un oracle pour rester neutres : Argos disputa le commandement pour ne point combattre : Corcyre promit des troupes, mais attendit l’événement.

Thespies, Tégée, Platée, firent dé francs et vigoureux efforts pour la liberté publique.

Dans une circonstance si critique les Athéniens, éblouis par la richesse, par les libéralités et par la jactance d’un de leurs concitoyens nommé Epicyde, homme vain et malhabile, se montraient disposés à lui donner le commandement de leurs troupes mais Thémistocle l’écarta en achetant les suffrages, rappela les bannis pour augmenter les forces de la république et consentit même au retour de son rival Aristide.

La prévoyance de Thémistocle fut le salut des Grecs : ils avaient tous, et Miltiade lui-même, considéré la bataille de Marathon comme la fin des périls ; lui seul l’avait regardée comme le commencement de la guerre, et par ses soins Athènes possédait deux cents vaisseaux, lorsque la Grèce, endormie dans une fausse sécurité, se trouvait sans flottes. Thémistocle fit encore plus pour sa patrie, il lui sacrifia son amour-propre ; et pour satisfaire la fierté lacédémonienne, il eut la modestie de céder le commandement au Spartiate Eurybiade, qui fut nommé généralissime.

Comme les alliés délibéraient pour savoir si l’on attendrait les Perses, ou si l’on irait au-devant d’eux, les Thessaliens déclarèrent qu’ils se soumettraient à Xerxès si on les abandonnait. On envoya donc dix mille hommes pour garder le passage qui sépare la Macédoine de la Thessalie, près du fleuve Pénée, entre le mont Olympe et le mont Ossa. Mais le roi de Macédoine, Alexandre, fils d’Amyntas, avertit Eurybiade que ce poste serait tourné, et qu’il n’était pas susceptible de défense. D’après cet avis on se retira aux Thermopyles, et les Thessaliens prirent le parti des Perses.

Les Thermopyles, immortalisés par la valeur lacédémonienne, sont un défilé du mont Æta, entre la Thessalie e la Phocide ; il n’a pas plus de vingt-cinq pieds de largeur. Le roi de Sparte, Léonidas s’y arrêta avec quatre mille hommes ; les sept autres mille hommes de l’armée des Grecs se retirèrent en Attique.

Cependant Xerxès s’avançait rapidement, répandant partout la dévastation, le carnage et l’effroi. Sa flotte suivait la côte, et portait toutes les denrées d’Europe et d’Asie à son armée qui dévorait tous les fruits, tous les troupeaux et toutes les moissons de la Grèce.

Un seul prince de Thrace refusa d’obéir. Six de ses fils se rendirent malgré lui au camp des Perses : à leur retour ce père inhumain leur fît crever les yeux.

Le roi, arrivé aux Thermopyles, vit avec surprise que quatre mille Grecs osaient disputer le passage à trois millions d’hommes. Il tenta d’abord de corrompre Léonidas, et lui promit l’empire de la Grèce s’il voulait reconnaître son autorité ; celui-ci lui répondit qu’il aimait mieux mériter l’estime de sa patrie que de l’asservir. Xerxès alors lui ordonna de rendre les armes : Viens les prendre, répliqua le fier Spartiate.

 Les Mèdes s’avancèrent les premiers pour forcer le défilé. Les Grecs, serrés en masse les enfoncèrent, les mirent en déroute et en firent un grand carnage. Les dix mille Immortels qui les suivirent n’eurent pas un meilleur succès ; leur impétueuse valeur échoua contre le courage ferme et discipliné des Lacédémoniens.

Le roi de Perse était découragé par tant d’efforts inutiles, lorsqu’un habitant du pays lui découvrit un sentier par lequel il franchit la montagne et tourna la position des Grecs. Léonidas alors, voyant le mal sans remède, renvoya les alliés, et resta seul sur la montagne avec trois cents Spartiates décidés comme lui à périr dans le poste dont la défense leur avait été confiée. Avant de combattre il dîna gaîment avec eux en leur annonçant qu’ils souperaient tous ensemble le soir même chez Pluton.

Ces intrépides guerriers virent bientôt fondre sur eux la foule innombrable des Perses. Léonidas succomba le premier après avoir immolé un grand nombre d’ennemis. Ils tombèrent tous percés de coups. Un seul, Aristomène, se sauva et arriva à Sparte : il y fut traité comme un lâche, et répara depuis sa honte par une mort glorieuse à la bataille de Platées.

Les Amphictyons firent placer des inscriptions aux Thermopyles : l’une disait que quatre mille Grecs avaient résisté à trois millions de Perses. On lisait sur l’autre deux vers de Simonide, qu’on peut traduire ainsi :

Passant, va dire à Sparte, aux éphores, aux rois,

Que nous sommes tous morts pour défendre nos lois.

Plusieurs années après Pausanias fit transporter à Sparte les os de Léonidas. On lui éleva un superbe tombeau, et sa mémoire fut honorée par des jeux funèbres. Xerxès avait perdu dans ces deux combats vingt mille hommes, et les avait tous enterrés, ne laissant que mille morts sur le champ de bataille : il espérait que la terre couvrirait ainsi la gloire des Grecs et la honte des Perses.

Démarate augmenta son inquiétude en lui disant que Sparte seule contenait encore plus de huit mille guerriers prêts à égaler le courage et le dévouement des trois cents qui avaient péri aux Thermopyles.

La détermination héroïque de Léonidas ne venait pas d’une folle témérité ; elle avait un grand but politique : il voulait prouver à l’Europe et à l’Asie jusqu’à quel point le courage pouvait braver le nombre, et la liberté la puissance. Aussi, lorsque les éphores lui représentèrent qu’il choisissait trop peu de braves, il répondit : Sparte ne doit pas faire un plus grand sacrifice. Si dans cette guerre il était question du nombre d’hommes, la Grèce ne pourrait me fournir assez de soldats ; mais, pour prouver en mourant ce que peut l’amour de la liberté, mes trois cents hommes sont plus que suffisants.

Il prévoyait si bien leur destinée qu’avant de partir de Sparte il fit célébrer pour eux des jeux funèbres. Son généreux dessein eut tout le succès qu’entrevoyait son âme héroïque ; et ce fut aux Thermopyles que la Grèce apprit qu’elle pourrait un jour faire trembler le grand roi sur les remparts de Suze et dans les murs de Babylone.

La flotte des Perses, maltraitée par une tempête venait de perdre quatre cents vaisseaux celle des Grecs l’attaqua près d’Artémise et du promontoire de l’Eubée ; la victoire resta indécise après trois jours de combats. Cependant les vents, toujours funestes à Xerxès, détruisirent sur la côte deux cents de ses navires ; ce qui fit dire depuis à Hérodote que les dieux avaient voulu égaliser les forces des deux partis.

Thémistocle, qui commandait la flotte athénienne, ayant appris sur ces entrefaites la mort de Léonidas et la marche de Xerxès au-delà des Thermopyles, fit sa retraite sur Salamine ; mais pendant sa route, il écrivit sur des rochers qui bordaient la côte : Ioniens, souvenez-vous de vos pères ; prenez le parti de la Grèce et de la liberté, ou, si vous ne le pouvez pas ouvertement, jetez la confusion parmi les Perses, et faites-leur dans la mêlée le plus de mal que vous pourrez.

Xerxès, ne trouvant plus d’obstacle devant lui, traversa et saccagea la Doride et la Phocide.

Les peuples du Péloponnèse, effrayés et ne songeant qu’à défendre leur presqu’île, abandonnèrent les Athéniens.

L’oracle de Delphes avait dit qu’Athènes ne trouverait son salut que dans des murailles de bois : les uns pensaient qu’il voulait parler de la citadelle, entourée de palissades ; Thémistocle soutenait que l’oracle désignait les vaisseaux comme seul refuge pour la liberté : il voulait qu’on évacuât la ville, et qu’on la livrât déserte à l’ennemi. Le peuple s’y opposait vivement.

La lutte fut violente ; mais l’éloquence de Thémistocle triompha. Un décret plaça la ville sous la sauvegarde de Minerve, et ordonna que tous les hommes en état de porter les armes se retireraient sur les vaisseaux. Les autres devaient se sauver, eux et leur famille, comme ils le pourraient.

Au milieu de la consternation générale, Cimon, fils de Miltiade, jeune encore, ranima les esprits en montant gaîment à la citadelle avec quelques jeunes Athéniens qui parcouraient la rue du Céramique, pour consacrer dans le temple de Minerve un mors de bride qu’il portait à la main, montrant par là qu’il ne s’agissait plus de combattre sur la terre, et que la mer était désormais leur seule ressource.

Rien ne peut peindre le désespoir des femmes, des vieillards, des enfants, lorsqu’ils virent cette jeunesse guerrière s’embarquer et s’éloigner d’eux. L’air retentit de leurs gémissements, et les cris des animaux domestiques mêmes se confondaient avec leurs sanglots. Le chien de Xantippe, père de Périclès, ne pouvant se séparer de son maître, suivit à la nage son vaisseau, et mourut en arrivant sur le rivage de Salamine.

Toute la population d’Athènes, qui ne faisait point partie de l’armée, courut chercher un asile à Trézène, où elle fut accueillie et nourrie généreusement.

Tandis que le grand roi jouissait de la terreur, qu’il répandait, et croyait la Grèce aux abois et prête à recevoir son joug, il apprit avec étonnement que les jeux d’Olympie se célébraient avec la tranquillité, l’affluence, les solennités ordinaires, et que les Grecs semblaient s’occuper moins de ses menaces que des couronnes d’olivier qu’ils se disputaient : Quels ennemis m’a-t-on conseillé d’attaquer ? dit le monarque consterné ; ils méprisent l’argent, et n’aiment que l’honneur.

Dans ce même temps sa cupidité lui fit entreprendre de piller le temple de Delphes : mais une tempête, horrible s’éleva tout à coup ; des nochers énormes écrasèrent en tombant un grand nombre de Perses.

Ce désastre augmenta la superstition, ranima la confiance des Grecs, et força les Perses à se désister de cette entreprise.

Le roi, voulant assouvir sa vengeance, entra dans Athènes ; il y mit le feu. Quelques vieillards, qui avaient voulu y mourir, défendirent bravement les restes de leur vie, et périrent dans les flammes. La ville et la citadelle furent réduites en cendres.

Xerxès, n’ayant pu enchaîner des hommes libres, envoya à Suze les statues d’Harmodius et d’Aristogiton, qui, avaient péri pour la liberté.

Après la ruine d’Athènes il s’éleva parmi les alliés une vive discussion sur le parti qu’on devait prendre. Eurybiade voulait que la flotte s’approchât de Corinthe et de l’armée de terre commandée par Cléombrote, frère de Léonidas, afin de défendre le Péloponnèse, puisque l’Attique était perdue sans ressource.

Thémistocle insistait pour qu’on n’abandonnât pas le poste avantageux de Salamine. La dispute fut vive à tel point qu’Eurybiade dans un mouvement de colère, leva son bâton sur Thémistocle. L’Athénien, sans s’émouvoir dit : Frappe, mais écoute. Il prouva ensuite que, si l’on se séparait des Athéniens qui ne voulaient pas quitter leur patrie, la Grèce serait sans flotte ; que chacun se disperserait dans ses foyers, et que le Péloponnèse, qu’on prétendait défendre, serait bientôt la proie de l’ennemi.

Eurybiade, vaincu par tant de sang-froid et d’éloquence, se rendit à son avis.

Dans le camp des Perses on délibérait avec autant de chaleur sur une autre question.

Xerxès avait rassemblé son conseil, pour décider s’il fallait temporiser ou combattre. Mardonius, les rois de Sidon, de Tyr, de Cilicie et de Chypre voulaient qu’on finît promptement la guerre par un combat. Artémise, reine d’Halicarnasse, s’opposait à cette précipitation. Seigneur, dit-elle à Xerxès, la marine grecque est plus exercée que la vôtre ; une bataille peut  compromettre le succès de la guerre. Vous êtes maître d’Athènes, et vous le serez bientôt de la Grèce si vous savez attendre ; car la flotte ennemie ne petit renouveler ses vivres à Salamine. Envoyez quelques vaisseaux sur la côte du Péloponnèse ; chacun, tremblant pour sa cité, y retournera, et la confédération dispersée ne vous opposera plus de résistance.

Le présomptueux Mardonius répliquait que l’inaction serait honteuse, découragerait les Perses et inspirerait une funeste confiance aux Grecs. Xerxès se décida à combattre ; mais en même temps il suivit le conseil d’Artémise, et envoya quelques vaisseaux vers le Péloponnèse.

Cette opération fut au moment d’amener la dispersion des confédérés qui revenaient déjà à l’avis d’Eurybiade, et voulaient courir au secours de leurs foyers.

Thémistocle, instruit de cette disposition, fit passer secrètement à Xerxès un faux avis qui l’engagea à hâter le combat. La flotte des Perses entoura la racle et n’en permit plus la sortie à aucun navire.

Dans le même moment Aristide arrivait d’Égine. Ce vertueux citoyen, sacrifiant de justes ressentiments, vint trouver Thémistocle, et lui dit : Oublions nos dissensions, nous ne devons avoir qu’un seul intérêt ; sauvons la Grèce, vous en donnant des ordres, et moi en vous obéissant. Avertissez le conseil que toute délibération pour la fuite est inutile ; que les Perses sont maîtres de tous les passages, et qu’il n’y a plus de salut que dans la victoire.

Thémistocle, touché de sa générosité, lui avoua le stratagème dont il s’était servi, le fit entrer au conseil ; et tous deux d’accord firent les dispositions du combat.       

On attendit pourtant, d’après l’avis de Thémistocle, l’heure à laquelle devait s’élever un vent favorable aux Grecs ; alors on donna le signal : le choc fut violent ; mais la brise, contraire aux Perses, porta le désordre dans leurs vaisseaux.      

La trahison des Ioniens augmenta la confusion ; la valeur athénienne et spartiate fit le reste.

Xerxès, témoin du combat, qu’il regardait du haut d’une montagne, vit bientôt sa flotte battue, ses bâtiments pris ou coulés à fond, et ses alliés en fuite.- Artémise seule opposa une résistance opiniâtre. Le roi dit lui-même que dans cette bataille une femme s’était conduite en homme.

Cependant, restée sans secours au milieu des ennemis, elle courait le plus grand danger, car sa vie était mise à prix ; un stratagème la sauva ; elle fit arborer le pavillon grec sur son vaisseau, attaqua un bâtiment perse, le coula à fond, et, à la faveur de cette ruse, s’éloigna sans être poursuivie par les Grecs qui prirent son navire pour un des leurs.        

Xerxès, malgré ses défaites, pouvait encore en peu de temps réunir des forces navales ; et son       armée de terre, intacte, devait lui laisser l’espoir d’écraser et de subjuguer la Grèce ; mais les hommes les plus présomptueux avant le péril sont les plus lâches après un échec ; la terreur qu’avait voulu inspirer Xerxès était entrée dans son âme.

Thémistocle, jugeant bien son caractère, le fit avertir secrètement que la flotte grecque voulait partir pour rompre les ponts et lui couper tout moyen de retraite.

Le roi résolut alors de se retirer avec la plus grande partie de ses troupes. Ses flatteurs lui dirent qu’il suffisait de laisser Mardonius en Grèce avec trois cent mille hommes : Si ce général, disaient-ils, soumet les Grecs, vous aurez l’honneur du succès ; s’il échoue, lui seul en aura la honte.

Le grand roi, déterminé par ce conseil, se retira ou plutôt s’enfuit, emmenant avec lui cette foule d’esclaves qu’une poignée d’hommes libres avait vaincue, et laissant sur les côtes de Salamine les débris de deux cents de ses vaisseaux détruits ou brûlés.

En arrivant sur l’Hellespont, il apprit qu’une tempête venait de renverser ses ponts ; et, n’osant point attendre les bâtiments nécessaires pour l’embarquement de ses troupes, ce fier monarque, qui avait récemment menacé la Grèce du poids de l’Asie entière, se vit obligé de passer seul la mer sur une petite barque comme un obscur banni.

Cette célèbre bataille de Salamine commença la gloire de Cimon qui s’y distingua par une valeur brillante.

Une antique coutume voulait qu’après la victoire chaque capitaine écrivît sur un billet le nom du guerrier qui lui semblait mériter le prix du courage : chacun ne manqua pas de s’assigner à lui-même le premier rang, mais tous donnèrent sur leur billet le second rang à Thémistocle. Ainsi, chacun d’eux eut pour lui la voix de la vanité, et Thémistocle celle de la justice.

La république de Lacédémone décerna le prix de la valeur à Eurybiade, et celui de la sagesse à Thémistocle.

Lorsque le héros athénien parut aux jeux Olympiques, tout le monde se leva pour lui faire honneur, et il avoua que ce triomphe avait été le plus beau de sa vie.

Athènes le chargea, pour réparer ses pertes, de parcourir les îles de la Grèce avec quelques vaisseaux, et de leur demander des contributions au nom de deux divinités, la Persuasion et la Force.

Les habitants d’Andros refusèrent d’obéir au nom de la Pauvreté et de l’Impuissance.

Malgré la ruine presque générale des Grecs, ils déposèrent au temple de Delphes tout le butin fait sur les Perses. Ce grand désastre apprit au monde que l’Asie, produisait des hommes, et la Grèce des Soldats.

Les Thermopyles assurèrent à Sparte une gloire éternelle chacun citait en Europe et en Asie les moindres mots de Léonidas et de ses braves compagnons ; on rapportait qu’un Thessalien était venu l’avertir que les Perses étaient, près de lui, il répliqua : Dites plutôt que nous sommes près d’eux. Un prisonnier disait aux Spartiates que le nombre des flèches des Perses suffisait pour obscurcir le soleil. Tant mieux, répondit Dénécès : nous combattrons à l’ombre.

Cependant, malgré le mauvais succès de cette invasion, la présence de Mardonius avec trois cent mille hommes d’élite effrayait et trompait encore quelques esprits timides ; et la crainte de ses vengeances retenait dans son parti les Béotiens et les Thessaliens qui redoutaient aussi le juste ressentiment de leurs compatriotes qu’ils avaient trahis.

Mardonius passa l’hiver en Thessalie. Avant d’ouvrir la campagne il essaya la voie des négociations. Alexandre, roi de Macédoine, vint, par ses ordres, proposer aux Athéniens d’éviter leur destruction totale, et de se soumettre à l’autorité d’un monarque dont les forces inépuisables se renouvelaient sans cesse ; et il leur promit, s’ils voulaient se séparer de la confédération, de rebâtir leurs temples, leurs villes, d’accroître leur territoire, et d’étendre leur domination sur tous les autres peuples de la Grèce.

Les ambassadeurs de Lacédémone prirent la parole après Alexandre, et s’efforcèrent de démontrer aux Athéniens qu’ils se déshonoreraient en trahissant la cause commune ; que leur ruine serait la suite de cette faiblesse, et que, ne pouvant pas les vaincre réunis, on cherchait à les diviser pour les détruire tous plus facilement.

Aristide, qui gouvernait alors la république, reprocha aux Lacédémoniens leur harangue inutile et leurs soupçons injurieux à la foi d’Athènes. Il déclara à Mardonius que le peuple athénien poursuivrait sa vengeance contre les Perses tant que le soleil continuerait sa marche ordinaire : il avertit le roi Alexandre que s’il se chargeait encore de message si peu convenable à son caractère et à son rang, on ne respecterait plus en lui les droits du trône, et ceux de d’hospitalité.

Enfin, on rendit un décret solennel pour dévouer aux dieux infernaux tous ceux qui entretiendraient quelque intelligence avec les Perses ou qui proposeraient de traiter avec eux.

Mardonius, irrité de cette réponse altière, entra dans l’Attique et renouvela ses propositions qu’il accompagna de violentes menaces. Un membre de l’aréopage, Licidas, proposa de négocier ; le peuple furieux le lapida, et enveloppa dans son aveugle vengeance ses enfants et sa femme.

Les Athéniens se retirèrent à nouveau à Salamine : Mardonius entra dans la ville qu’il trouva déserte, détruisit ce que les flammes avaient épargné, l’année précédente, et envoya un courrier à Suse pour annoncer, comme un triomphe, cette stérile victoire sur des débris. Il se retira ensuite prudemment en Béotie, où les plaines étaient plus favorables au développement de ses forces et de sa cavalerie.

Les alliés d’Athènes, au lieu de presser les secours promis, s’occupaient à fortifier l’isthme de Corinthe. Les ambassadeurs de l’Attique reprochèrent vivement à Sparte sa lenteur : on différa huit jours de leur répondre afin d’achever les fortifications commencées.

Le soir du dernier jour Pausanias partit pour la Béotie avec sept mille Spartiates  accompagnés chacun de cinq Ilotes armés ; et le lendemain on déclara aux ambassadeurs athéniens que leurs plaintes étaient sans fondements et que le secours promis était déjà sorti de la presqu’île.

Mardonius campait dans la plaine de Thèbes, le long du fleuve Asopus. Les Grecs occupèrent une position peu éloignée de son camp, au pied du mont Cythéron.      

Aristide commandait les Athéniens, et Pausanias toute l’armée. Ces deux généraux firent prêter à tous les Grecs un serment qui exprimait les sentiments unanimes : Je préférerai, disait chacun de ces guerriers, je préférerai, la mort à l’esclavage ; je n’abandonnerai pas mes chefs, même après leur mort ; j’honorerai la mémoire des alliés qui périront au champ d’honneur ; je n’attaquerai aucune ville qui aura combattu pour nous ; je décimerai toutes celles qui se seront soumises à l’ennemi. Je ne veux pas qu’on rebâtisse nos temples ; il faut que leurs ruines rappellent sans cesse à nos neveux la fureur des barbares ; et rallument leur juste haine contre eux.

L’armée des Perses était de trois cent mille hommes ; cinquante mille Béotiens et Thessaliens combattaient avec eux.

La force des alliés montait à cent dix mille hommes ; car les victoires de Marathon et de Salamine avaient enfin décidé les timides à se joindre aux vaillants.

Mardonios, instruit de l’approche des Grecs, envoya contre eux sa nombreuse cavalerie, espérant les accabler par cette seule attaque. Les piques serrées des Athéniens et des Spartiates arrêtèrent l’impétuosité des barbares. Masysthius qui les commandait fut tué ; sa troupe se débanda, et ce premier échec présagea le triomphe de la liberté.

Cependant les Grecs craignant de s’exposer à être enveloppés, se retranchèrent dans leurs positions, et y attendirent tranquillement l’ennemi.

On resta huit jours en présence. L’orgueil de Mardonius lui faisait regarder la prudence des alliés comme une lâcheté, et il les provoquait tous les jours par des insultes. Sa cavalerie s’empara d’un grand convoi. Artabaze lui conseillait d’attendre sans combattre, près de Thèbes, l’immanquable dispersion des alliés, que le défaut de subsistances devait bientôt forcer à se désunir.

Mardonius, toujours présomptueux, ne sentit pas la sagesse de cet avis, et résolut d’attaquer le lendemain. Au milieu de la nuit un cavalier arrive dans le camp des Grecs, appelle Aristide, et lui dit : Malgré le silence des oracles, et le conseil des généraux les plus sages, Mardonius veut combattre ; il vous attaquer demain à la pointe du jour. Souvenez-vous après, la victoire que j’ai risqué ma vie pour vous avertir : je suis Alexandre, roi de Macédoine.

La plupart des historiens citent ce trait sans le blâmer, comme si la trahison, dans quelque circonstance que ce soit, pouvait jamais cesser d’être infâme.

Au moment où cet avis parvint aux généraux, les Grecs, étant privés d’eau, parce que les Perses avaient comblé les fontaines, changeaient de position ; les Lacédémoniens, qui commandaient l’aile droite, s’approchaient déjà de Platée ; les Athéniens et la gauche de l’année marchaient pour les suivre.

Mardonius, informé de ce mouvement, opposa les Béotiens et les Thessaliens aux troupes d’Athènes pour les arrêter et les couper. Il se finit ensuite lui-même à la tête de sa cavalerie, poursuivit les Lacédémoniens, les atteignit, et leur reprocha de manquer aux lois de Lycurgue en se retirant devant l’ennemi.

Les Spartiates, mécontents des auspices, se laissèrent quelque temps insulter et tuer sans combattre, tant était grand chez eux l’empire de la superstition. Mais enfin les Tégéates les entraînèrent ; ils se précipitèrent sur les barbares. La mêlée devint furieuse. Mardonius y fut tué, et sa mort jeta le désordre parmi les Perses qui prirent la fuite pour regagner leur camp.

Les Athéniens de leur côté battirent les Thessaliens et les Béotiens qui leur étaient opposés. Ils rejoignirent ensuite les Lacédémoniens.

Ceux-ci très braves dans les combats de plaine, étaient malhabiles pour forcer des retranchements, et attaquaient avec mollesse ceux des Perses. Aristide, à la tête des Athéniens, franchit les fossés et les remparts, et pénétra dans le camp des ennemis qui se laissèrent égorgés comme des victimes.

Tout périt, excepté quatre mille hommes. Artabaze, apprenant la mort de Mardonius, s’était déjà retiré sur Byzance avec un corps de quarante mille Perses.

Cette victoire complète assura la liberté de la Grèce, et depuis la bataille de Platée aucune armée persane ne se montra en deçà de l’Hellespont.

Les Éginètes voulaient que Pausanias fit attacher le corps de Mardonius à une potence : il répondit qu’il préférait l’estime de sa patrie à la vengeance, et que les mânes de Léonidas étaient suffisamment apaisés par la mort de deux cent mille Perses.

Peu de jours après ce général fit préparer deux repas, l’un brillant de toute la magnificence asiatique, l’autre apprêté avec toute la simplicité spartiate. Voyez, dit-il, combien Mardonius accoutumé à de telles voluptés, était insensé en espérant vaincre des hommes qui savent se passer de tout.

Les Lacédémoniens et les Athéniens se disputèrent l’honneur de cette grande journée. Un tel débat aurait pu avoir les résultats les plus funestes pour la paix publique ; la sagesse d’Aristide en prévint les suites. D’après son avis on s’en rapporta aux alliés, et on prit pour arbitres Cléocrite de Corinthe, et Théogiton de Mégare, qui donnèrent le prix aux Platéens.

Le camp des Perses laissait à la merci du vainqueur un immense butin et toutes les richesses de l’Orient : on en consacra la dixième partie au temple de Delphes ; le reste, partagé entre les villes grecques, y répandit l’amour, de l’or et les germes de la, corruption.

La bataille de Platée se donna la seconde année de la soixante-quinzième olympiade, quatre cent soixante-dix-neuf ans avant Jésus-Christ.

Après la victoire, les alliés, voulant se venger des Grecs déserteurs de leur cause, assiégèrent Thèbes, la prirent, et firent périr les Béotarques qui avaient conseillé cette défection.

Le même jour qui éclaira la défaite de Mardonius fut témoin d’un autre triomphe de la Grèce. La flotte des alliés, commandée par Leutichydes, roi de Sparte, et par l’Athénien Xantippe, pour suivait celle de Xerxès. Les Perses, s’étant retiré à Cumes, près du promontoire de Mycale, avaient suivant une ancienne coutume, traîné leurs navires sur la terre. Ils y étaient à l’abri d’un bon rempart, et défendus, par cent mille hommes revenus en Asie avec le roi.

Leutichydes, secondé par les Ioniens, enflamma l’esprit de ses troupes en faisant courir le bruit de la défaite de Mardonius, quoiqu’il l’ignorât encore : profitant de leur enthousiasme, il força les retranchements, extermina un grand nombre de Perses, mit le reste en fuite, et brûla leur flotte.

Xerxès, apprenant, à Sardes tous ses désastres, déchargea son inutile fureur sur les temples des villes grecques ; il les détruisit d’après le conseil des mages qui attribuaient ses malheurs à sa tolérance pour le culte ennemi. Il se retira ensuite à Suze, dévoré de honte et de regrets.