HISTOIRE DE LA GRÈCE

 

PREMIER ÂGE DE LA GRÈCE

 

 

HISTOIRE ET GUERRE DE TROIE

LE royaume des Troyens, placé sur la côte d’Asie, à l’opposite de la Grèce, était déjà célèbre par son opulence, par le courage’ de ses guerriers et par ses liaisons avec le puissant empire d’Assyrie.

Troie brillait alors dans l’Asie, comme Argos et Mycène dans la Grèce. Priam régnait en Troade ; Agamemnon, petit-fils d’Atrée, en Argolide. Celui-ci avait réuni récemment à ses états Corinthe, Sicyone et plusieurs autres villes. Ménélas son frère, époux d’Hélène, héritait du royaume de Sparte ; et tous deux, maîtres de la presqu’île, qui tenait son nom de Pélops leur aïeul, exerçaient une grande influence sur toute la Grèce.

On croyait généralement que les Troyens tiraient leur origine des Grecs, et que leur premier roi Dardanus était né en Arcadie. Ce qui est constant, c’est que les deux peuples adoraient les mêmes dieux, suivaient les mêmes lois, parlaient la même langue, et qu’il n’existait aucune différence entre leurs mœurs et leurs armes.

Les principaux successeurs de Dardanus furent Éricthonius, Tros, Ilus, Laomédon et Priam. Le nom d’Ilium venait d’Ilus ;  celui de Troie de Tros. Priam avait épousé Hécube, fille d’un roi de Thrace et sœur de Théano, prêtresse d’Apollon ; cinquante fils furent le fruit de cette union. Priam, entouré d’une famille si nombreuse, vainqueur de ses ennemis, chéri par ses alliés, respecté dans toute l’Asie, avait donné à sa capitale un nouveau nom, celui de Pergame. Ses murs, renversés précédemment par Hercule, venaient d’être relevés ; et Priam, à la fin d’un règne long et glorieux, était loin de prévoir la perte de ses états, l’embrasement de sa capitale et la destruction de sa famille. Mais tel est le sort des prospérités mortelles ; le moment qui précède leur ruine est souvent celui de leur plus grand éclat. Plusieurs causes amenèrent cette grande catastrophe.

Depuis longtemps la maison de Priam et celle d’Agamemnon étaient aigries l’une contre l’autre, par le souvenir d’outrages réciproques restés impunis, et qui excitaient entre elles une haine implacable.

Tantale, bisaïeul d’Agamemnon, régnant autrefois en Lydie, avait retenu dans les fers un prince troyen nommé Ganymède. Tros  vengeant cette injure, avait chassé d’Asie Tantale et Pélops, qui furent obligés de chercher une autre fortune dans la Grèce.

Laomédon voulant embellir et fortifier sa capitale, s’était servi d’un trésor déposé dans les temples d’Apollon et de Neptune. Bientôt une peste terrible ravagea la Troade : les prêtres attribuèrent ce fléau à l’impiété du roi. L’oracle déclara que Laomédon ne pouvait apaiser les dieux, qu’en exposant sa fille Hésione à la fureur d’un monstre marin.

Hercule, de la race des Pélopides, arrivait alors à Troie. Il promit de délivrer la princesse, et en effet il extermina le monstre. Hésione devait être le prix de ce service ; Laomédon la lui refusa. Hercule furieux saccagea le pays, renversa les murs de la ville, enleva Hésione, et la conduisit dans le Péloponnèse.

Enfin un dernier attentat fit éclater la haine des deux peuples, et excita tous les Grecs à prendre les armes contre les Troyens.

La reine Hécube, au moment de donner le jour à Pâris, avait rêvé qu’elle accouchait d’un tison qui embraserait la ville de Troie. Priam, effrayé de ce songe, donna l’ordre d’exposer et d’abandonner son enfant sur le mont Ida. Il fut sauvé par des bergers qui l’élevèrent. Doué d’une grâce et d’une beauté singulière, il osa, dès qu’il fut devenu grand, reparaître dans les murs de Troie. Priam le reconnut : la tendresse l’emporta sur la crainte ; il le reçut dans ses bras.

Peu de temps après Pâris se rendit en Grèce dans le dessein de voir sa tante Hésione, qu’Hercule avait enlevée, et qu’il avait fait épouser à un prince nommé Télamon.

Le mariage de Ménélas avec Hélène attirait alors beaucoup d’étrangers à Sparte. Pâris y vint : les charmes d’Hélène l’enflammèrent ; la beauté du prince troyen séduisit la jeune reine de Sparte : Pâris, entraîné par son amour et par le désir de venger l’insulte faite à Hésione, enleva Hélène et la conduisit à Troie.

Ménélas furieux, implora le secours d’Agamemnon, son frère, qui trouva le moyen de faire partager son ressentiment à tous les princes grecs, qui regardèrent l’enlèvement d’une femme comme une insulte faite à la Grèce par l’Asie : la ruine d’Ilion fut résolue. Si quelques rois hésitèrent à s’engager dans une entreprise si périlleuse, et qui devait coûter tant de sang, ils furent entraînés par l’éloquence du vieux Nestor, roi de Pylos ; par les discours artificieux d’Ulysse, roi d’Ithaque, le plus rusé des Grecs ; et surtout par l’ardeur et par l’exemple de Diomède, fils de Tydée, roi de Calydon ; d’Ajax, prince de Salamine ; d’Achille, fils de Pélée, prince de Thessalie, et d’une foule de jeunes guerriers, brûlant du désir d’effacer la gloire des héros de Thèbes et de Colchide.

Tous ces princes confédérés rassemblèrent dans le port d’Aulide une armée de cent mille hommes ; ils élurent Agamemnon pour leur chef, et douze cents vaisseaux les transportèrent sur les rivages de la Troade.

Le célèbre poète Homère, qui chanta cette longue guerre trois cents ans après  la prise de Troie, représente à cette époque le ciel divisé comme la terre. Les dieux, selon la fable, prirent parti, les uns pour le roi d’Ilion, et les autres pour les princes grecs : Apollon, Minerve et Vénus protégeaient Troie ; Mars et Junon avaient juré sa ruine ; et Jupiter dans ses balances pesait leurs destinées.

Les combats de la terre se répétaient dans le ciel ; et les divinités de l’Olympe, descendant au milieu des camps, s’exposaient au glaive des mortels, tant était vive et brillante l’imagination de ces peuples, dont l’esprit semblait n’avoir plus à faire de progrès, lorsque leur raison et leur civilisation étaient encore dans l’enfance.

Troie était défendue par des remparts et des tours ; une armée nombreuse la couvrait. Le fameux Hector, fils de Priam, le pieux Énée, Déiphobe, Pâris, et un grand nombre de princes d’Asie, alliés du roi de Pergame, résistèrent aux premiers efforts des Grecs qui furent obligés de se retrancher dans leur camp et d’y renfermer la plus grande partie de leurs galères. Ces bâtiments n’étaient point pontés, les plus forts ne pouvaient porter que, cent cinquante hommes, et, pour ne point les exposer aux tempêtes, on les retirait sur le rivage.

Tout annonçait une longue guerre ; les forces étaient à peu près égales des deux côtés ; les hautes murailles bravaient facilement les efforts d’une armée qui ne connaissait point les machines de guerre.

La plaine qui séparait  la ville de Troie du camp des Grecs devint le théâtre d’une multitude de combats qui ne décidaient rien : les troupes s’approchaient sans ordre ; on se lançait d’abord des flèches et des javelots ; on se mêlait ensuite pour se battre corps à corps. Tantôt les princes montaient sur des chars, tantôt ils combattaient à pieds ; ils s’accablaient réciproquement d’invectives.

Lorsqu’un chef tombait, la mêlée devenait furieuse autour de lui, les vainqueurs cherchaient à le dépouiller de ses armes ; les vaincus voulaient défendre son corps : la nuit, séparait les combattants et la prochaine aurore éclairait de nouveaux combats. On ne savait ni préparer la victoire, ni en profiter par des manœuvres : les batailles ne produisaient aucun fruit ; les défaites ne coûtaient que du sang, et le triomphe ne donnait que de la gloire.

Après de longs et infructueux combats, interrompus par des trêves qu’on s’accordait pour brûler les morts, et pour honorer leur mémoire par des jeux funèbres, les subsistances commencèrent à manquer dans le camp des Grecs. Une partie de la flotte fût chargée de ravager les îles et les côtes voisines.

Divers détachements se répandirent en Asie pour enlever les récoltes et les troupeaux, et pour obliger les alliés de Priam à revenir défendre leurs foyers.

Achille, fameux par cette guerre, portait de tous côtés le fer et la flamme, et revenait au camp avec un butin immense et une foule d’esclaves, objet de l’avidité et des querelles des princes confédérés.

Bientôt la guerre recommença avec plus de vigueur. Ulysse et Ménélas avaient demandé à Priam de rendre Hélène et de conclure la paix. Le conseil des Troyens voulait qu’on acquiesçât à leur demande ; mais le roi, touché des pleurs d’Hélène et de Pâris, et n’écoutant que son antique haine contre les Pélopides, rompit toutes négociations, et causa par cette opiniâtreté sa ruine et celle de sa patrie.

L’artificieux Ulysse, jaloux de Palamède, prince de l’île d Eubée, qui avait conseillé la paix, et dont on admirait à la fois la science et la valeur, fit cacher dans sa tente une forte somme d’argent, et parvint à faire croire que Priam l’avait envoyée pour acheter une trahison des Grecs, irrités, ordonnèrent la mort de Palamède.

Achille, qui l’aimait, et qui n’avait pu le sauver, rompit avec ses cruels alliés, ne voulut plus combattre pour eux, et cette inaction d’un héros diminua la force des Grecs et augmenta celle des Troyens.

Hector et ses frères, plusieurs princes alliés, tels que Sarpédon, Rhésus, Memnon, faisaient un grand carnage des Grecs. Enfin Hector, forçant leurs retranchements, mit le feu à la flotte. La victoire semblait se déclarer pour Troie : mais alors Patrocle, ami d’Achille, ne pouvant supporter le triomphe de ses ennemis, fit avancer les Thessaliens, rétablit le combat et mit en fuite les Troyens. Plusieurs guerriers vaillants périrent dans cette bataille. Patrocle, revêtu des armes mort d’Achille, tua Sarpédon, et périt, lui-même sous les coups d’Hector.

Cet événement changea le destin des deux armées. Achille, alors furieux de la mort de son ami, oublia son ressentiment, contre les Grecs. Après avoir immolé douze prisonniers aux mânes de Patrocle, il se précipita au milieu des Troyens pour chercher Hector, le combattit, le tua et traîna son corps, attaché à un char, autour de la ville de Troie.

Peu de temps après une flèche partie de la main de Pâris termina les jours d’Achille. Pâris de lui-même, le flambeau de cette guerre, fût tué par Philoctète qui avait hérité des flèches d’Hercule.

Les deux armées avaient ainsi perdu leurs plus illustres guerriers. Les Troyens maudissaient Hélène ; les Grecs soupiraient après leur patrie ; et cependant le désir de la vengeance s’opposait à tous les vœux former pour la paix.

Après dix ans de batailles infructueuses Troie succomba : sa chute, qui remplit la Grèce d’orgueil et l’Asie d’effroi, retentit encore dans l’Europe, et sert aujourd’hui même de principale époque à l’histoire.

Les poètes disent que les Grecs, usant d’artifice, se cachèrent dans les flancs d’un immense cheval de bois qui devait être consacré à Minerve ; et qu’entrés de nuit dans la ville, ils exterminèrent les Troyens, surpris par cette attaque imprévue.

Il est probable qu’on a voulu nous apprendre par cette allégorie la première invention d’une machine de guerre dont l’extrémité représentant la forme d’un cheval, renversa les murs de Troie.

Quoi qu’il en soit, les murs les maisons, les palais, les temples de cette ville célèbre furent réduits en cendres. Priam périt au pied des autels après avoir vu égorger ses fils sous ses yeux : Hécube sa femme, Cassandre sa fille, Andromaque, veuve d’Hector, toutes les princesses et toutes les Troyennes, chargées de fers, suivirent leurs vainqueurs, et terminèrent leur vie dans l’esclavage.

Tel fut le dénouement de cette guerre cruelle. Les rois grecs satisfirent leur vengeance ; mais cette jouissance fatale fut le terme de leur prospérité et le commencement des malheurs qui les attendaient dans leur patrie.

Peu même d’entre eux revirent leurs foyers : Ménesthée, roi d’Athènes, mourut dans l’île de Mélos ; Ulysse erra dix ans avant de revoir Ithaque ; Ajax, roi des Locriens, périt avec sa flotte ; Idoménée, Philoctète, Teucer, Diomède, trouvèrent leur trône usurpé, leur lit souillé, leurs sujets soulevés, et cherchèrent un asile dans d’autres contrées. Le roi d’Argos fut assassiné par sa femme et vengé par son fils. Ménélas seul jouit du triste fruit de cette expédition ; il ramena la coupable Hélène à Sparte ; et l’on peut douter si ce ne fut pas plutôt une preuve du courroux des dieux qu’une marque de leur faveur.

Énée, suivi de quelques Troyens, parcourût les côtes de Grèce, de Sicile, d’Afrique ; et, abordant enfin en Italie il y fonda une colonie qui, dans la suite des temps, donna naissance au peuple romain. Ainsi Rome, qui devait gouverner le monde, sortit des cendres de Troie. Nous devons aussi à la ruine de cette ville fameuse les trois plus beaux poèmes que l’esprit humain ait produits ; l’Iliade, l’Odyssée d’Homère et l’Enéide de Virgile.

Ainsi  se termina, le premier âge de la Grèce l’an 1184, suivant la chronologie ordinaire, et l’an 1209 selon les marbres d’Arundel, trouvés à Paros.

Nous avons suivi la version la plus généralement répandue relativement au sort de Troie ; cependant, si l’on en croit quelques passages d’Homère et de Strabon, confirmés par le témoignage de Xénophon, cette ville ne fut pas entièrement détruite. Énée y régna, ainsi que sa postérité. Scamandre, fils d’Hector, et Ascagne, fils d’Énée occupèrent le trône. Les Troyens réparèrent les ruines de leur capitale, reprirent leur ancienne splendeur, et ne perdirent leur nom que dans le temps où les Éoliens, chassés de la Grèce par les Héraclides, vinrent en Asie.