HISTOIRE DES GAULES

 

par le comte de Ségur

 

 

INTRODUCTION

CHAPITRE PREMIER

Origine des Gaulois – Étendue des Gaules – Les Celtes – Température, richesse du pays – Courage des Gaulois – Hospitalité – Armes des Gaulois – Druides – Druidesses – Fées – Le gui de chêne.

CHAPITRE SECOND

Fondation de Marseille – Ambigat – Sigovèze – Brennus – Les Gaulois à Rome – Second siège de Rome par les Gaulois – Viridomare – Les gaulois s’unissent à Annibal – Les Gaulois en Macédoine – Brennus II – Les Galates – Alliance avec Mithridate – Les Romains dans les Gaules – Combats des Cimbres et des Teutons contre les Romains – Ils sont vaincus par Marius – Révolte des esclaves.

CHAPITRE TROISIÈME

Conquête de la Gaule par César – Description de la Gaule – Bataille d’Autun – César chasse les Germains des Gaules – Prise de Noyon et de Beauvais – Sergius Galba – Combat naval – Irruption des Germains – César arme contre les Bretons – Ambiorix – Défaite de Sabinus – Les Germains chassés une seconde fois – Massacre d’Orléans – Vercingétorix – Siège de Bourges – Soumission des Éduens – Siège de Paris – La Gaule entière est conquise.

CHAPITRE QUATRIÈME

Prospérité de Marseille – Elle se rend à César – Fondation de Lyon – Les Gaulois admis dans le sénat romain – Velléda – Éponine – Confédération des Germains – Première invasion des Francs – Le christianisme dans les Gaules.

CHAPITRE CINQUIÈME

Histoire des Gaulois, depuis la mort de Constantin jusqu’à celle de Théodose – Magnence usurpateur des Gaules – Julien dans les Gaules – Julien réside à Paris – Proclamé empereur – Les allemands repassent le Rhin – La Gaule en dix-sept provinces – Les serfs – Les Bourguignons – Théodose empereur d’Orient – Arbogaste fait nommer un empereur franc.

CHAPITRE SIXIÈME

État de la Gaule avant la puissance des barbares – Arcadius et Honorius – Les Goths – Les Huns – Invasion des barbares – Les Francs et les Vandales – Passage du Rhin – Constantin, empereur gaulois, repousse les barbares – Édit d’Honorius et de Théodose le jeune – Aëtius – Pharamond et Clodion – Établissement des Francs dans la Belgique – Triste état des Gaules – Attila – Mérovée – Geneviève – Tableau de la cour de Théodoric II, roi des Visigoths – Égidius Afranius – Childéric – Établissement des Bretons dans le Berri – Chute de l’empire d’Occident – Clovis – Fin de l’histoire des Gaules.

 

 

INTRODUCTION

En sortant du monde romain, le premier peuple qui, sur ses débris, se lève puissant et victorieux, c’est le peuple français ; nous devons donc commencer l’histoire de l’Europe moderne par celle de la France ; puisque c’est en France que nous suivrons les premiers pas de la civilisation et de la grandeur Européenne.

La gloire de notre nation ne craint aucune comparaison avec celle de Rome : nous pouvons fièrement opposer notre Clovis à son Romulus ; Charles-Martel à Camille, Charlemagne à César.

Nos Godefroy, nos Raimond, nos Duguesclin, nos Dunois, nos Coligny, nos Montmorency, nos Bayard, nos Catinat, nos Turenne, nos Villars, nos Condé, peuvent marcher à côté de ses consuls, et de nos jours une foule de héros égale tous ceux de la Grèce et de l’Italie.

Saint Louis, Charles V, Louis XII, Henri IV, semblent avoir été vivifiés par l’âme des Antonins ; Louis XIV, comme Auguste, a donné justement son nom à son siècle ; depuis, un nouvel Alexandre a brillé et a disparu ainsi que le Macédonien ; conquérant rapide, guerrier longtemps indomptable, aussi belliqueux que Trajan, il a porté notre gloire, nos armes et son nom en Afrique, en Germanie, en Italie, en Espagne, en Scythie, au centre de l’Asie, et, comme lui, a perdu ses conquêtes pour avoir refusé de leur fixer des bornes.

Sully, Lhôpital et d’Aguesseau, célèbres par leurs vertus autant que par leur habileté ; l’immortel Bossuet, le touchant Fénelon, l’illustre Montesquieu, le sublime Corneille, l’inimitable Racine, ce Montaigne, si original, ce Molière et ce naïf Lafontaine qui n’ont point eu de rivaux dans leur genre ; Voltaire si étonnant par l’universalité de son génie ; enfin un nombre prodigieux d’écrivains brillants, d’ingénieux moralistes, de poètes harmonieux, de savants profonds et d’éloquents orateurs, ne nous laissent rien à envier pour les palmes de la chaire, du barreau, de la tribune, du théâtre, et pour toutes les couronnes que décernent les muses.

Nos découvertes dans les sciences, nos progrès dans les arts, le perfectionnement de l’agriculture et de toutes les industries, le pinceau des David et des Gérard, le ciseau de Houdon, de Pigalle et de leurs émules, la création de nos machines, la diversité de nos métiers, les prodiges de nos manufactures, la destruction de tout esclavage, la variété et la multiplicité des jouissances qui embellissent la vie des citoyens de tous les rangs, des laboureurs comme des citadins, nous feraient trouver aujourd’hui, si elles reparaissaient, Athènes  sauvage, et Rome barbare.

Soyons donc fiers de notre siècle et de notre France, de cette France que d’Europe liguée a tant redoutée dans ses triomphes, qu’elle respecte encore après ses défaites, et que ses efforts réunis ont ébranlée sans pouvoir l’anéantir.

Mais que notre juste fierté ne jette point un œil de dédain sur notre antique origine ; n’imitons pas la plupart des historiens qui ne font remonter nos souvenirs que jusqu’à Clovis ; montrons-nous moins injustes pour les auteurs de toutes nos races ; nous descendons tous des Gaulois, des Romains, des Germains et des Francs ; notre nom, notre langage, nos mœurs sont nés de leur mélange ; nos caractères, nos lois, nos coutumes, nos vices, nos vertus conservent encore des traces indélébiles.

Une partie du droit romain nous régit jusqu’à présent ; nos poésies doivent leur charme à l’ancienne mythologie grecque et latine ; nos jurés nous rappellent l’antique égalité des Francs ; nos duels, leur belliqueuse indépendance.

Nos croisés en Palestine, nos rois conquérants de l’Italie, notre invasion aventureuse en Égypte, la prise de Rome même, réveillent le souvenir des Sigovèze, des Bellovèze et des Brennus.

Les fées gauloises, amusent encore notre enfance ; nos pontifes, succédant autrefois en Gaule à la prééminence et à la puissance des druides, inspirent toujours aux peuples une juste vénération, même après la chute des abus d’une domination ambitieuse.

Les nobles, ducs, comtes et barons français ont hérité longtemps dans notre patrie de l’influence et du pouvoir qu’exerçaient en Gaule les sénateurs, les grands, les chefs, entourés d’Ambactes ou de dévoués et nombreux Soldurii, ainsi que de l’autorité des Antrustions et des Leudes parmi les Francs : aujourd’hui même encore, réduits à la seule puissance des souvenirs, plusieurs se rappellent avec fierté et regrettent trop vivement ces temps chevaleresques où ils dominaient les peuples et combattaient les rois : enfin, en France, ainsi que dans la Gaule, les femmes, loin d’être asservies, exercent un grand empire sur nos mœurs et reçoivent une espèce de culte d’autant plus durable qu’il est plus moral et plus épuré.

Remontons donc orgueilleusement à la source de notre existence et de notre gloire ; saluons avec respect nos vieux et rustiques monuments ; pénétrons dans les vastes et ombres forêts qui ombrageaient notre berceau ; et avant d’écrire les fastes de la France parcourons rapidement ceux des Gaulois et des Francs nos aïeux.

Leurs fables n’ont pas le charme séduisant de celles d’Hésiode et d’Homère ; mais elles sont peut-être moins absurdes que celles des adorateurs d’Isis, des farouches Pélasges, et des grossiers fondateurs de Rome.

L’Hercule gaulois est plus moral que l’Hercule grec : au lieu d’une massue, il porte attachée à sa bouche une chaîne, emblème heureux du pouvoir, de la raison et de l’éloquence.

Notre Theutatès, remplit dans les cieux la même mission que Mercure.

Ésus est sanguinaire comme Mars, mais moins débauché que Jupiter.

Les Gaulois rendaient à Minerve le même culte que les Grecs.

Nos fées sont plus attrayantes que les sibylles.

Le gui de chêne par ses merveilles, choque moins le bon sens que ce clou sacré, enfoncé solennellement par les dictateurs à la porte des temples pour éloigner la peste, et l’image de Bérécynthie promenée dans les champs gaulois, ainsi que les chrétiens portèrent depuis celle de la vierge de Nanterre pour appeler sur eux la rosée du ciel, plaît davantage à l’imagination que le culte sévère de Cybèle et de Vesta. Revenons donc à présent sur nos pas, et reportons nos regards sur cette époque désastreuse où la ruine de Rome parut replonger dans le chaos le monde civilisé.

Les antiques monuments, les mystérieuses et gigantesques grandeurs de l’Égypte sont loin de nous ; nous avons vu naître et mourir l’empire de Cyrus ; les héroïques et riantes fables de la Grèce ont disparu ; la nation des miracles, le peuple de Dieu languît dispersé ; l’orgueilleuse Carthage est détruite.

Nous avons suivi tous les pas du colosse romain depuis son berceau jusqu’à sa tombe ; nous avons décrit son accroissement rapide, son habileté profonde, sa force, sa gloire, sa grandeur, sa liberté, son luxe, sa corruption, sa décadence, sa servitude ; nous entendons encore le bruit de sa chute, et nous venons de voir ses derniers débris écrasés dans Byzance : par les farouches enfant de Mahomet.

Au signal de la destruction de l’empire romain en Italie, l’Occident est devenu la proie des sauvages guerriers du nord. Une moitié du monde s’est vue esclave et musulmane, l’autre chrétienne, mais barbare ;  les arts, les lumières, les richesses, la civilisation de tant de siècles ont fui devant le fer des Celtes et des Scandinaves ; l’Olympe est sans Dieux,  le Parnasse sans Muses.

Le voile sombre de l’ignorance s’est étendu sur ces belles contrées, où les sciences jetaient naguère un si vif éclat : ce Capitole où montaient tant de triomphateurs, ce Forum où Cicéron enchaînait par son éloquence une foule attentive, cette superbe Rome que Virgile enorgueillissait en ressuscitant les héros troyens, cette cité célèbre où les vers harmonieux d’Horace disposaient le cruel Octave à faire chérir le pouvoir d’Auguste, où le sévère Tacite faisait pâlir les  tyrans, ne retentissent plus que des cris de guerre des Hérules, des Goths et des Lombards..

L’indomptable Espagne a succombé sous les coups des Suèves, des Visigoths ; les Vandales l’ont traversée pour ravager l’Afrique ; enfin la Gaule, depuis longtemps plus tranquille, plus riche, plus florissante que l’Italie, la Gaule inondée par un torrent dévastateur de Goths, de Bourguignons, de Huns, d’Allemands, d’Alains et de Francs, a vu ses champs dépouillés, ses écoles désertes, des temples renversés, ses cirques détruits, ses villes incendiées.

La Gaule, jadis la terreur de Rome et l’effroi de l’Asie ; la Gaule, qui coûta dix années de travaux à César ; la Gaule, rempart inexpugnable de l’empire contre les Germains ;  la Gaule, si heureuse sous les Antonins, si paisible sous Constance, si chère à Julien, la Gaule est devenue l’esclave de mille tyrans.

Nous la voyons couverte d’épaisses ténèbres, mais, elle n’est qu’abattue et non détruite ; à la lueur sanglante des glaives meurtriers qui se choquent dans son sein, admirons ses efforts pour se relever ! Bientôt elle va civiliser ses farouches vainqueurs ; bientôt, cette Gaule fameuse, se frayant une nouvelle route à la gloire, va, sous le nom brillant de France, disputer encore à Rome son antique renommée, fonder un nouvel empire d’Occident, servir d’exemple au monde par ses lois, l’étonner par ses triomphes, l’éclairer par ses chefs-d’œuvre, l’enrichir par son commerce et répandre la splendeur de son nom et de ses armes jusqu’aux extrémités de la terre.

C’est de cette France prospère que doit s’élever un nouveau monde plus durable, plus riche, plus puissant, plus éclairé que l’ancien ; c’est de cette France  glorieuse que sortiront tant de royaumes célèbres ; tant de génies immortels ; c’est de cette France, capitole des héros modernes, asile des sciences, musée des arts, panthéon de tous les talents, que nous allons retracer l’histoire.

Qu’à ce beau nom de France la vieillesse se glorifie par ses souvenirs ! que l’âge mûr suive avec fierté les progrès de la grandeur, toujours croissante pendant quinze siècles, d’un empire qui ne laisse point encore prévoir sa décadence ! que la jeunesse surtout étudie avec ardeur ces fastes d’un pays dont elle est l’espoir.

Puisse ce vaste tableau que nous allons offrir, puisse cette histoire rapide de la France antique et moderne inspirer à nos lecteurs la vénération pour la vraie piété, l’horreur du fanatisme, le respect pour nos lois, et pour nos rois, l’attachement inviolable à la liberté, et surtout l’amour sacré de la patrie ! C’est lui seul qui me dicte cet ouvrage ; c’est lui seul qui me donne quelque espoir de succès ; et en cédant à son inspiration, je n’invoquerai d’autre muse que la vérité.