ANTIQUITÉS GRECQUES

DEUXIÈME PARTIE DE LA DEUXIÈME DIVISION  - ANTIQUITÉS RELIGIEUSES.

CHAPITRE PREMIER. — CARACTÈRES GÉNÉRAUX DE LA RELIGION GRECQUE.

 

 

Les précédents chapitres ont permis de saisir les liens étroits et multiples qui rattachaient la vie publique des Grecs à leur religion. On a vu que ces peuples regardaient l’État comme une institution d’ordre divin, sur laquelle ses fondateurs ne cessaient de veiller paternellement, et que dans les temps plus reculés les princes et les chefs, revêtus d’un caractère sacerdotal, joignaient des fonctions religieuses à leurs fonctions politiques. Aussi l’usage se conserva-t-il de ne procéder à aucune manifestation importante de la vie civique, qu’il s’agît des délibérations des assemblées, de l’administration des affaires ou de l’exercice de la justice, sans s’engager vis-à-vis des dieux par des prières et des serments. Les cérémonies du culte et les solennités religieuses n’unissaient pas seulement les diverses communautés dont l’État se composait ; elles servaient aussi de lien entre les États. Les traités étaient placés sous la protection et sous lei sanction des dieux. Enfin, il ressort de ce qui précède que les règles générales et non écrites du droit international étaient réputées des instructions divines, dont l’observance était un devoir religieux. Nous verrons plus loin que la religion n’intervenait pas moins fréquemment dans les actes de la vie privée. Des cérémonies pieuses appelaient sur le nouveau-né la protection des dieux. C’est sous leurs yeux que le jeune homme était déclaré majeur et en état de porter les armes, et qu’il s’engageait par serment à remplir ses obligations de citoyen. Les dieux étaient pris aussi à témoin du lien conjugal. Chaque maison avait son culte héréditaire, sur lequel le temps n’avait pas de prise, ses dieux familiers et un cycle de fêtes périodiques. Enfin les derniers devoirs rendus aux morts par leurs parents et leurs amis étaient accomplis au nom de la religion et sanctionnés par elle.

La vie des Grecs abondait donc en actes religieux. Ils méritent sous ce rapport une place à part, et si religion et moralité étaient synonymes, ils auraient dû être un peuple essentiellement moral ; mais tout en reconnaissant les grandes et nombreuses qualités qui les distinguaient, même à ce point de vue, leurs plus fervents admirateurs n’oseraient leur décerner sans restriction un pareil éloge. Certes il ne manqua pas parmi eux d’esprits éminents, dont la haute moralité a droit aussi à nos respects, mais la nation considérée dans son ensemble présente, avec des côtés lumineux, des ombres épaisses. A côté de ces traits de vertu et de piété, que nous saluons avec joie et non sans un sentiment d’émulation, on en rencontre trop souvent d’autres de nature à faire naître des émotions contraires. Les actes d’égoïsme et de cruauté, décelant quelquefois une inhumanité révoltante, ne sont malheureusement des événements rares ni dans les guerres de peuple à peuple, ni surtout dans les luttes intestines des partis. Enfin des vices contre nature souillent fréquemment la vie des Grecs et, sans obtenir leur approbation, sont jugés par eux avec une indulgence presque aussi coupable. Si donc nous qualifions les Grecs de peuple religieux, c’est avec cette réserve que leur religion n’était pas incompatible avec l’immoralité, ou que du moins elle n’avait pas la force d’exercer sur leur vie de tous les jours une influence qui en guérît les impuretés[1]. Il ne faut pas s’en étonner ; elle n’avait pas cette force, parce qu’elle avait été au début dirigée dans une autre voie, et il lui était interdit d’acquérir ce qui lui manquait, parce que jamais elle ne put renier son origine.

Les premiers tâtonnements des Grecs dans la voie de la religion, les formes originelles sous lesquelles se manifeste leur croyance à la divinité remontent, il est vrai, par delà les limites de la recherche historique. Il faudrait, pour en retrouver le point de départ, se transporter dans les temps où les Grecs n’étaient pas encore des Grecs et ne s’étaient pas détachés sensiblement du tronc unique qui a donné naissance aux peuples dont l’Asie fut le berceau commun. Mais il est évident que depuis et toujours leur religion a conservé son caractère primitif, à savoir le polythéisme et l’adoration de la Nature[2]. La plupart de leurs fables, qui composent un si riche trésor, témoignent clairement d’une doctrine rapportant la vie et les forces de la Nature à l’action d’êtres personnels, en étroite union avec elle, quoique distincts par leur forme immatérielle des éléments qui la composent. Ainsi toute l’activité de ces êtres s’exerce et se satisfait dans les phénomènes de la Nature. N’ayant pas de vie propre au delà, de son domaine, ils sont, non pas des puissances placées en dehors et au-dessus d’elle, mais les forces naturelles elles-mêmes, revêtues d’une personnalité apparente, et dont le jeu, pour ainsi dire, se traduit en mouvements d’êtres animés, parce que l’homme est incapable de se le représenter autrement. Mais la religion d’un peuple doué de facultés aussi brillantes ne put longtemps s’en tenir là. A mesure que se développe la personnalité humaine, que l’homme se sent un être libre, maître de ses déterminations, les forces personnifiées de la Nature doivent se transformer à son image. Elles se manifestent à leur tour comme des êtres libres, maîtresses aussi bien que l’homme de leurs volontés, chacune dans le domaine qui lui est échu en propre, domaine où leur souveraineté s’exerce dans des conditions que nous n’entreprendrons pas de définir, qu’elles animent, sans cependant s’y renfermer, et de manière à pouvoir en sortir, pour exercer leur activité sur un plus vaste théâtre. C’est à cette période de développement que correspond le plus ancien monument de l’esprit grec. Les poésies d’Homère nous montrent les dieux beaucoup plus occupés du gouvernement des hommes et des événements humains que du branle à donner à la vie de la Nature. Leurs attributions naturalistes sont tellement rejetées à l’arrière-plan qu’on en retrouve à peine la trace dans ses descriptions[3]. Tout y est combiné pour représenter la vie humaine et les événements qui la traversent comme dus à l’influence despotique des dieux. Homère cependant avait pu recueillir sur les dieux et les choses divines une foule de légendes, héritage d’une civilisation moins avancée, dans lesquelles les dieux n’intervenaient encore que comme les forces personnifiées de la Nature. Mais l’action des forces naturelles, envisagée au point de vue de la raison et de la moralité humaine, n’est pas toujours raisonnable et morale ; il en résultait que, lorsqu’elle était représentée dans ces antiques légendes comme le fait de personnalités divines, la divinité risquait fort d’encourir le même reproche. Le sens dans lequel les fables avaient été originairement conçues n’était plus guère saisi par le poète ni par ses auditeurs. L’application de l’activité divine au jeu des forces naturelles leur échappait. Les légendes n’étaient plus depuis longtemps que des contes dont le sens était perdu et que le poète mettait en couvre moins pour instruire ou édifier l’assistance que pour la charmer. De là les nombreuses contradictions dans lesquelles est tombé Homère au sujet des dieux, tantôt exprimant la croyance religieuse d’une époque exigeante déjà en fait de moralité et qui veut des dieux irréprochables, tantôt remontant aux fables antiques sans en ressaisir la vraie signification[4]. Quant à penser qu’Homère et les poètes qui ont traité dans le même esprit les légendes mythologiques en aient admis la vérité et aient cru à l’existence de dieux tels qu’ils les ont souvent représentés, c’est là une supposition soutenue, il est vrai, par quelques critiques, mais assurément erronée et à peine compréhensible. Sans doute la mythologie poétique ne rechercha ni n’obtint jamais l’autorité d’un dogme religieux[5] ; on ne saurait nier cependant que les chants des poètes dont le peuple écoutait avidement la voix durent avoir pour effet de dénaturer les vieilles croyances et d’y jeter la confusion. Nous ne devons donc pas être surpris que beaucoup de gens aient cru pouvoir excuser leurs écarts par les exemples de leurs dieux[6], et que des esprits prudents, jugeant sévèrement les poètes, aient voulu les tenir à distance de la foule trop facile à égarer. Les penseurs en effet avaient beau s’efforcer d’expliquer par des allégories les côtés choquants des légendes, et de les présenter comme les imaginations d’une époque disparue, qui ne devaient pas être prises à la lettre ; leurs explications ne pénétraient pas dans les masses, et si en réalité ces peintures furent pendant un temps moins contagieuses qu’on ne pouvait le craindre, cela tient à la nature saine et morale de la nation, qui la mettait à l’abri de séductions dont les commentaires philosophiques ne pouvaient la préserver.

Retracer l’histoire des diverses transformations par lesquelles passa la religion grecque, depuis son origine jusqu’à sa décomposition, est une tâche d’une exécution à peu près impossible et que, en tout cas, nous ne saurions entreprendre ici. On peut risquer beaucoup d’hypothèses plus ou moins déraisonnables sur la période préhistorique, désignée par le nom des Pélasges, mais les données manquent et surtout les preuves. Pour les temps remplis par les exploits des héros achéens, l’Iliade et l’Odyssée nous offrent un tableau plus propre à nous faire apprécier l’état d’esprit du poète ou des poètes que celui des générations dont ils se sont faits les historiens. Les échos des siècles qui ont immédiatement suivi l’épopée homérique témoignent de dispositions plus pieuses, d’un besoin de religiosité impossible à contenter avec ce qui avait suffi jusque-là, et inclinant vers un mysticisme théosophique qui cherchait sa satisfaction dans des symboles plus profonds au moins en apparence et dans les coutumes en vigueur chez les nations orientales[7]. Mais les matériaux dont nous pouvons disposer ne nous permettent guère de retracer clairement et en connaissance de cause l’histoire religieuse de ces temps. C’est seulement depuis la fin du VIe siècle et le commencement du Ve que naît la possibilité de démêler et d’exposer dans des monographies l’état religieux de quelques esprits éminents, poètes, historiens, philosophes, tout en recueillant de nombreux indices sur les idées qui dominaient dans la nation. Je me propose de rassembler ici, avec les développements que comporte le sujet, les renseignements certains que nous fournissent les sources, du Ve au IIIe siècle. Ce qui a précédé et suivi, surtout ce qui a suivi, sera traité dans des chapitres distincts, à mesure que l’occasion s’en présentera.

L’essence de la foi religieuse, telle qu’elle était professée par tout être intelligent, durant les beaux temps de la Grèce, peut se résumer ainsi en quelques mots : il existe un ensemble d’êtres divins dont la puissance s’exerce sur la nature et sur l’humanité, d’où procède le bien et le mal, de qui nous pouvons à notre gré nous concilier ou nous aliéner la faveur. Le moyen de leur être agréable et de nous, les rendre propices, c’est d’une part, d’accomplir en leur honneur les cérémonies religieuses auxquelles ils ont été habitués de tout temps et dont eux-mêmes nous ont imposé la loi ; de l’autre, de nous bien comporter et de remplir nos devoirs envers l’État et envers nos semblables, devoirs qui eut aussi nous ont été impérieusement tracés soit par les dieux, soit par des hommes inspirés, ou que révèlent à chacun de nous notre raison et notre conscience[8].

Quels étaient les dieux que l’on devait surtout honorer, et quel culte devait-on leur rendre ? C’est ce dont s’instruisait chaque citoyen, dans l’État, dans le γένος, dans la famille dont il faisait partie. Il n’existait pas en Grèce d’autre instruction religieuse, rien qui ressemblât à ce que nous apprennent aujourd’hui l’église et l’école. L’enseignement dogmatique et officiel n’était pas plus appliqué à la religion qu’au reste ; le seul élément fixe était le culte traditionnel, sur les formes et les usages duquel on pouvait dans l’occasion s’éclairer auprès des prêtres chargés d’y présider ou auprès des exégètes institués à cet effet dans quelques pays. Sans doute les formes du culte n’étaient pas indifférentes ; elles avaient une signification et reposaient sur certains principes religieux ; mais que les rites qui souvent nous étonnent et nous choquent aient été interprétés suivant une tradition formelle, conservée comme une doctrine sacerdotale et communiquée soit à la foule, soit à quelques privilégiés, rien absolument ne le prouve, non pas même en ce qui touche les mystères, ainsi que nous le verrons plus tard, bien qu’on ait cru pouvoir l’affirmer. La vérité est que chacun restait libre d’expliquer les cérémonies du culte comme il l’entendait.

L’idée que l’on se faisait des dieux eux-mêmes, de leur essence, de leurs attributs et de leurs fonctions, de leurs rapports réciproques et de la part que chacun prenait au gouvernement du monde, n’était pas plus que la Symbolique du culte l’objet d’un enseignement confié aux prêtres ou à des personnages autorisés. S’il se trouvait en général un certain accord dans ces représentations, cela tenait à l’influence des aœdes dont les chants se répétaient dans toute la Grèce, et qui, bien que peu propres à donner une idée vraiment élevée des dieux, leur prêtaient au moins des formes plus précises : Homère et Hésiode, dit Hérodote, sont les auteurs de la théogonie grecque, ils ont assigné aux dieux leurs noms, ont partagé entre eux les attributions et les honneurs, ont rendu vivantes leurs figures[9]. Ce passage ne signifie pas que les dieux n’étaient pas représentés longtemps avant ces aœdes avec leurs noms, leurs formes et leurs attributions. La pensée d’Hérodote doit être plutôt prise en ce sens que ces différents caractères d’abord incertains, flottants et mal assortis furent précisés par les poètes. C’était en effet une nécessité pour eux de présenter des formes arrêtées, concrètes pour ainsi dire. A cet effet ils choisissaient dans les données antérieures, et ces images, ornées du charme de la poésie, trouvaient dans le peuple un accueil d’autant plus empressé qu’elles n’avaient pas à lutter contre d’anciennes préventions. Ainsi put s’établir une sorte d’uniformité dans les croyances. Sans doute, il ne faut pas s’exagérer ce rôle de la poésie[10]. L’oracle de Delphes, centre religieux de la Grèce (κοινή έστία), eut aussi sa part d’influence. Alors même que les témoignages feraient défaut, on pourrait être certain a priori qu’il fut souvent interrogé sur les affaires religieuses, mais les témoignages ne manquent pas. En traçant dans ses Lois le plan de la Cité modèle, Platon dit : On ira chercher à Delphes des lois touchant les choses divines, et ces lois on les observera, après avoir établi des interprètes pour les expliquer. On lit encore ailleurs : Pour ce qui concerne soit les dieux et les temples à élever dans chaque ville, soit les noms de dieux ou de démons sous l’invocation desquels il convient de placer ces sanctuaires, nul ne changera rien, s’il est sage, à ce qui aura été réglé par les oracles de Delphes, de Dodone ou d’Ammon[11]. Comparés à l’oracle de Delphes, l’oracle d’Ammon était rarement visité par les Grecs, et celui de Dodone, bien que plus ancien, n’eut jamais la même considération et n’exerça jamais une influence aussi générale. C’est surtout à Delphes que les particuliers aussi bien que les États allaient chercher des instructions sur les affaires religieuses. Il est vrai que les questions portaient moins sur le dogme que sur le culte et que les réponses du dieu se bornaient le plus souvent à recommander la fidélité aux anciennes coutumes[12]. Même en l’absence d’un enseignement théologique, une institution si haut prisée ne pouvait être dépourvue d’influence, et les idées que l’on se faisait à Delphes des dieux et des choses divines devaient trouver plus ou moins de créance auprès du reste de la Grèce.

Mais quel que fût le crédit accordé aux poètes et aux oracles, ni les uns ni les autres, ne pouvaient espérer de déterminer un accord général dans la façon d’envisager les choses religieuses. La moindre attention suffit à nous convaincre que, à côté des croyances qui formaient le fonds commun de la religion grecque, il existait un nombre au moins aussi grand de dissidences et d’opinions particulières sur chaque divinité, sur sa situation vis-à-vis des autres dieux, sur sa sphère d’action, sur ses titres aux hommages publics, sur les rites suivant lesquels il devait être honoré[13]. C’est ainsi qu’en diverses localités, telles qu’Athènes, Mégare, Olympie et la ville arcadienne de Thelpousa, nous trouvons un système de douze dieux réputés les plus dignes de vénération, et récemment les mythologues ont cru voir dans ce groupement un principe fondamental de la religion grecque, dont ils ont fait honneur à l’influence delphique ; mais c’est là une hypothèse gratuite, car on ne retrouve à Delphes aucune trace de la combinaison des douze dieux, et rien ne témoigne qu’elle ait été générale en Grèce[14]. De plus, il est certain que dans les pays où douze dieux se trouvent réunis, ces dieux ne sont pas partout les mêmes. Les Athéniens adoraient Zeus et Théra, Posidon et Déméter, Apollon et Artémis, Héphaistos et Athéna, Arès et Aphrodite, Hermès et Hestia, qui sont souvent aussi associés ailleurs[15] ; mais dans le Dodékathéon d’Olympie dont il a été déjà question, Déméter, Arès, Aphrodite, Héphaistos, Hestia étaient laissés de côté et suppléés par Kronos, Rhéa, Dionysos, le fleuve Alphée et les Charites[16], qui en raison de leur pluralité formaient un excédent. L’Alphée ne doit évidemment qu’à son importance locale la place qu’il occupe ; Kronos et Rhéa, qui figurent ici, sont partout ailleurs rejetés au second plan. Il est à noter aussi que Zeus, qui, dans le système des douze dieux et dans la mythologie, a le pas sur ses rivaux, est primé, dans les religions d’État, par Athéna chez les Athéniens, par Apollon à Delphes, par Position chez les Ioniens. Il y a telle localité où les principaux honneurs étaient décernés à des dieux qui n’avaient pas même rang parmi les douze, ou qui du moins n’en faisaient pas généralement partie ; entre les premiers on peut citer Hélios à Rhodes, Éros à Thespies ; parmi les seconds Dionysos à Naxos, et les Charites à Orchomène. Les monuments de l’art révèlent aussi dans le concert des douze dieux des différences, dont on ne sait si elles doivent être attribuées aux fantaisies de l’artiste ou aux croyances populaires, dominantes dans telle ou telle contrée.

La même variété et le même défaut d’accord se manifestent en divers pays dans les épithètes par lesquelles les dieux sont distingués, ainsi que dans les attributs qu’on leur prête, d’où l’on peut inférer que par l’effet surtout d’influences locales on s’en faisait des idées fort différentes’, difficiles même à concilier. Ce qui ajoutait encore à la confusion, c’est que çà et là on adoptait des divinités inconnues ailleurs, sans savoir si elles ne devaient pas être assimilées à d’autres honorées sous d’autres noms. Enfin il y avait aussi des divinités sans nom, désignées simplement par des qualifications générales. A Tritæ, par exemple, en Achaïe, certains temples étaient placés sous l’invocation des grands Dieux, sans rien de plus. De même à Roulis en Phocide, on honorait un très grand Dieu (μέγιστος), au sujet duquel Pausanias émet la conjecture que ce pourrait bien être Zeus. Dans l’Arcadie, près de Pallantion, il existait aussi un temple consacré aux Dieux purs (καθαροί), que l’on prenait à témoin des serments les plus solennels. Quels étaient leurs noms propres ? les habitants mêmes l’ignoraient ou refusaient de le dire aux étrangers. Dans la ville d’Amphissa, en Phocide, on adorait des Dieux cléments (μειλίχιοι), auxquels on offrait des sacrifices nocturnes ; on ne leur savait pas d’autres noms qui pussent servir à les distinguer ou à les faire reconnaître identiques avec d’autres divinités. Les Amphisséens honoraient aussi, sous la figure de jeunes gens et sous la dénomination vague d’άνακτες, deux personnages que l’on ne saurait rattacher sûrement aux divinités en honneur dans d’autres pays. Nous citerons encore le Dieu bon qui avait un temple à Mégalopolis en Arcadie, pour ne pas parler des autels qu’Athènes et Olympie par exemple avaient consacrés aux Dieux inconnus[17]. Les Athéniens honoraient aussi des Dieux ancêtres (τριτοπάτορες). D’où venait ce nom ? quelle idée devait-on se faire de ceux qui le portaient ? C’est ce dont ne pouvaient rendre raison les hommes les plus au courant de ces matières[18]. Les Curètes avaient en Crète une place parmi les dieux officiels qui, dans les grandes occasions, étaient pris à témoin des serments[19] ; partout ailleurs, ils n’étaient l’objet d’aucun culte, et leur divinité même était contestée. On n’osait décider si la Britomantis de Crète était la même qu’Artémis, ou si elle faisait seulement partie de son cortège. Tantôt Artémis elle-même était considérée comme la déesse de la Lune, tantôt on distinguait ces deux individualités. Hécate s’identifiait pour les uns avec Artémis, pour les autres avec Perséphoné ; d’après une troisième opinion, elle était étrangère à l’une et à l’autre. Si ces exemples ne suffisaient pas, on en pourrait citer beaucoup d’autres[20] ; nous nous bornerons à faire observer encore que, même pour les divinités dont le nom invariable était le signe d’une individualité constante, les surnoms et les attributs indiquant les différentes fonctions de leur activité variaient tellement que l’on s’est souvent demandé si tous s’appliquaient à la même personne divine ou à plusieurs qui n’auraient de commun que le nom. N’y a-t-il qu’une seule Aphrodite ou en existe-t-il deux, l’Aphrodite céleste et l’Aphrodite vulgaire, je l’ignore, dit Socrate, dans le Banquet de Xénophon, car on invoque Zeus sous beaucoup de surnoms, bien que sans doute il soit unique[21]. Ce dont Socrate doute, un poète postérieur, Callimaque, croit le savoir. Il y a, selon lui, non pas seulement deux Aphrodites, mais plusieurs, et dans le nombre la prééminence appartient à l’Aphrodite Kastniétis[22]. Ce que Xénophon rapporte de son propre chef, au sujet de Zeus que Socrate considérait comme unique, ne s’accorde pas avec cette prétendue unité[23]. Il avait, en revenant d’Asie, fait de nombreux sacrifices à Zeus Libérateur et à Zeus Roi, mais lorsqu’il atteignit Lampsaque, un devin lui déclara que le mauvais état de ses affaires tenait à la rancune de Zeus Meilichios, que c’était lui qu’il fallait fléchir. De ce passage il ressort que Zeus Meilichios était distinct de Zeus Libérateur et de Zeus Roi, qu’il réclamait des hommages personnels et ne tenait pas compte des sacrifices offerts à ses rivaux. Cela rappelle les griefs de Jupiter Capitolin contre Auguste, qui lui avait témoigné moins de vénération qu’à Jupiter Tonnant[24]. D’après les lois de Solon, certains serments devaient être prêtés sur les autels de Zeus ίκεσίος, de Zeus καθάρσιος et dé Zeus έξακεστήριος. Évidemment ces épithètes ne sont que les divers surnoms d’un même dieu, qui se laissait apaiser par les prières, les purifications et les cérémonies expiatoires. Cela n’empêche pas que Solon ordonnait de prier sur les autels des trois Dieux[25]. Nous trouvons encore, dans d’autres formules de serment, un Zeus Krétogénès à côté d’un Zeus Tallæos, une Athéna Oléria rapprochée d’une Athéna Polias et d’une Athéna Samonia, et d’autres encore[26]. Nous ne devons donc pas être surpris que d’anciens théologiens aient été conduits tant par ces motifs que par les contradictions inconciliables dont fourmillent les légendes religieuses, à déclarer que l’on doit admettre plus d’un Zeus, plus d’une Héra, plus d’un Apollon, et ainsi de suite[27]. Au point de vue des croyances populaires, cette opinion soulevait moins de critiques que l’hypothèse développée, sinon inventée, par Evhémère, à la fin du IVe siècle, et à laquelle il donna la rigueur d’un système : à savoir que tout les prétendus dieux n’étaient en réalité que des rois et des héros des anciens temps, divinisés pour leurs exploits et leurs bienfaits, hypothèse qui lui valut naturellement d’être accusé d’athéisme[28]. Tous les croyants, en effet, étaient au moins fermes sur ce principe que les grands Dieux, maîtres du monde et arbitres de la vie humaine, étaient quelque chose de plus que des hommes passés à l’état de dieux, et qu’ils appartenaient à une nature originairement plus haute, bien que l’on n’eût encore sur leur essence, sur leur personnalité et leurs attributions que des idées obscures et chancelantes. Les croyants[29], d’ailleurs, se rendaient compte, aussi bien que les sages[30], qu’il n’est pas donné à l’homme d’avoir une connaissance certaine de ces matières. Il n’existait pas dans l’antiquité de théologie dogmatique, mais seulement une mythologie remplie de récits équivoques ou contradictoires et un culte traditionnel qui, bien que l’observance en pût être imposée à tout le monde, était hors d’état de suppléer à un enseignement religieux et de produire l’uniformité des croyances. Les formes de ce culte qui, au début, répondaient assurément à certaines idées sur les dieux, sur leurs rapports avec la Nature et avec l’homme, représentaient ces idées d’une manière trop vague pour pouvoir les propager et les fixer. Elles étaient, comme les mythes eux-mêmes, susceptibles d’interprétations multiples, et chacun y attachait le sens que bon lui semblait. Quelques-uns se contentaient de n’y pas penser du tout ; il ne manquait même pas de gens qui tout en s’astreignant aux formalités extérieures de la religion, en riaient au fond du cœur. Comment s’en étonner, quand on voit les Épicuriens, la secte la plus incrédule et la plus opposée aux superstitions populaires, exercer des fonctions sacerdotales[31] ?

Le culte[32] est né de la conscience qu’avaient les hommes, de leur dépendance et de leur misère, et ses origines remontent à un temps où ils n’avaient pas encore un sentiment assez élevé de la divinité et de ses rapports avec la race humaine. Les poèmes hésiodiques présentent le culte comme une sorte de contrat intervenu à l’occasion d’un débat entre les dieux et les hommes, au sujet de l’assistance que les hommes étaient en droit d’attendre et des honneurs que la reconnaissance leur imposait[33]. Il ne s’agirait donc dans ce cas que d’un commerce d’échanges, et c’est là en effet, d’après Platon, le point de vue auquel se place le grand nombre[34]. L’homme remplit les obligations qui lui sont prescrites et demande en revanche la satisfaction de ses besoins ; il donne pour obtenir. Il témoigne sa reconnaissance, parce qu’il craindrait d’irriter les dieux par son ingratitude et de perdre ses droits à une faveur dont il sent à chaque instant la nécessité. Sa piété n’est que l’accomplissement intéressé de la loi. Ce serait cependant une erreur de croire que la Grèce n’a connu ni enseigné autre chose que cette piété extérieure et légale. D’enseignement religieux, nous avons déjà fait observer plus haut qu’il n’en existait pas, à vrai dire. Chacun était libre de se faire, sur les dieux et sur leurs relations avec les hommes, telle idée que bon lui semblait, et si les institutions religieuses qui toutes avaient trait uniquement aux formes extérieures du culte, n’étaient guère propres à développer dans les âmes des idées plus pures et plus élevées de la divinité, du moins elles n’y faisaient pas obstacle. Beaucoup de gens, parmi les fidèles du paganisme, s’approchaient de leurs dieux avec un sentiment de piété véritable ; on ne peut nier même que cette observance légale dont nous parlions tout à l’heure ne fût considérée par tous les philosophes païens comme une superstition impie, bonne tout au plus à satisfaire les instincts grossiers de la multitude. Il faut bien prendre garde de se laisser abuser par ce fait, que suivant une définition généralement adoptée par les philosophes, la piété n’est autre chose que la justice envers les dieux[35], car la justice, telle qu’ils l’entendent (δικαιοσύνη), loin d’être une légalité purement extérieure, est un sentiment intime et jaillissant du fond de la conscience de ce qui est le droit en soi. L’Évangile parle aussi d’une justice qui conduit au ciel[36], mais pour l’opposer à la régularité formaliste que prêchaient les pharisiens et les docteurs de la loi, et les pères de l’Église faisaient entrer dans l’idée de justice l’amour de Dieu et du prochain[37]. L’idée que l’amour est le véritable lien qui rattache les hommes et les dieux n’était pas d’ailleurs restée étrangère au paganisme grec. Lorsque Homère désigne Zeus comme le père des dieux et des hommes, il ne prend pas le mot de père dans le sens de créateur ; il exprime, simplement par là, ainsi que le remarque Aristote[38], l’autorité paternelle que ce dieu exerce sur les hommes, pour leur plus grand bien. Les Grecs appliquaient à Zeus et à Apollon l’épithète de bon aussi souvent que nous disons bon Dieu ! Les hommes réputés bons étaient pour eux les hommes chers à la divinité. Suivant Chrysippe, la bienveillance et la tendresse des dieux pour les hommes est une donnée de la conscience universelle[39]. La pensée contraire, à savoir que les dieux sont des maîtres durs et jaloux qui, au lieu de la confiance et de l’amour, ne doivent inspirer que la terreur, δεισιδαιμονία, est jugée une erreur superstitieuse, directement contraire au respect qu’ils réclament[40]. Le mot grec εύσέβεια exprime en effet quelque chose de plus élevé que la crainte servile ou les dispositions d’esprit qui portent à se mettre en règle avec la loi ; il suppose la reconnaissance volontaire d’un principe supérieur, auquel l’homme se sent au dedans de lui tenu de payer un tribut de respect[41]. Il fut donné aussi au paganisme de rejeter les conceptions sensuelles et grossières des premiers temps, et de s’élever à l’idée plus pure d’une nature divine, digne d’adoration, en raison non plus seulement de sa puissance, mais de sa sagesse et de sa bonté.

A vrai dire, cette idée plus pure de la divinité et l’εύσέβεια dont elle était le principe étaient, le monopole des hommes d’élite, et ne se rencontraient, dans leur entier épanouissement, que chez quelques esprits supérieurs. Aussi’ l’historien qui se propose de caractériser la religion des Grecs, non pas celle qui restait le secret du petit nombre, mais la religion populaire dans sa généralité, ne peut-il s’empêcher de reconnaîtra que, à la place de la véritable εύσέβεια, régnait presque partout une superstition grossière ou une incrédulité irréfléchie. Quelques-uns de nous, dit Platon, ne croient pas du tout aux dieux ; d’autres pensent que les dieux ne se soucient pas des hommes ; d’autres enfin sont d’avis qu’ils se laissent toucher par les prières et les faux semblants[42]. Entre ces derniers qui sans doute formaient le plus grand nombre, il y avait lieu de distinguer, suivant l’idée que chacun se faisait des dieux en eux-mêmes, des choses qu’il avait à demander et de la manière dont il devait s’y prendre pour les obtenir, idée qui variait naturellement avec le degré de culture intellectuelle et morale auquel il était parvenu. Toutefois le polythéisme, c’est-à-dire l’apothéose de la Nature, ne permettait guère qu’un sentiment religieux, digne de la divinité, établît son empire sur les âmes. Dans la multitude des dieux dont il peuple le monde, il y en a nécessairement beaucoup qui ne répondent pas à l’idée que l’on voudrait s’en faire ; ils n’en sont pas moins considérés comme des dieux, ayant la puissance de faire aux hommes du bien ou du mal. Le terme générique θεοί désigne simplement des êtres en dehors de l’humanité[43], et n’est pas même refusé à ceux d’entre eux que l’on se représente comme se confondant avec la nature bestiale. Le monstre marin Scylla est appelé dans Homère une déesse ; de même, la Chimère, Echidné, les Syrènes, sont d’essence divine[44]. D’autre part, un poète, interpellant le dieu Pan, ne se fait pas scrupule de l’appeler θήρ[45]. On comprend quel respect de pareils dieux devaient inspirer. La vraie religion ne peut séparer la divinité de la sainteté. Les dieux capables de mal faire, dit Euripide, ne sont pas des dieux[46]. Mais le peuple ne raisonnait pas ainsi. Les meilleurs et les plus nobles de ses dieux n’étaient pas exempts de faiblesses morales et d’égarements ; le bien et le mal se mêlaient chez eux comme chez les hommes ; ils pouvaient pratiquer l’injustice aussi bien que la justice[47] ; ils n’étaient pas toujours dans des dispositions favorables, et avaient aussi leurs crises de malveillance et de jalousie. On ne peut nier en effet que les mots fréquemment répétés de φθόνος θεών n’aient quelquefois le sens de jalousie, bien qu’ils doivent être pris aussi dans une acception plus honorable, et signifient le ressentiment que peuvent très légitimement inspirer aux dieux la présomption et l’arrogance humaines[48]. Si la religion populaire n’exigeait par des dieux la sainteté, c’est-à-dire la perfection absolue, elle n’en admettait pas non plus d’absolument mauvais. Les dieux n’ont pas en face d’eux des diables qui ne s’appliquent qu’à mal faire et à induire l’homme au péché, pour le précipiter dans l’abîme[49]. Les poètes parlent, il est vrai, d’Άτη, comme d’une déesse malfaisante qui aveugle et égare le sens moral de l’homme, à cette seule fin que le châtiment suive la faute, mais Άτη, n’est qu’une figure poétique, qui ne peut être rangée parmi les divinités admises dans le panthéon populaire. Même chez les poètes, elle n’agit pas à sa guise et ne fait qu’obéir à l’impulsion d’une divinité supérieure, qui, elle-même, se borne à corrompre de plus en plus le jugement des hommes déjà voués au mal, pour être bien sûre qu’ils n’échapperont pas au châtiment[50]. Alastor, esprit vengeur, acharné à la poursuite des criminels et qui punit jusque chez les enfants les fautes des pères, appartient bien, il est vrai, à la religion populaire, mais il n’a rien de commun avec l’humeur diabolique des démons ; il est au contraire l’ennemi inflexible du mal[51]. Au nombre des esprits tracassiers doit être compté aussi Alitérios ; qui avait la réputation de tourmenter les êtres malfaisants. C’est ainsi que, d’après Andocide[52], le bruit courait parmi les femmes et les enfants qu’un Alitérios hantait la maison d’Hipponicus et y mettait tout sens dessus dessous ; mais les personnes enclines à la superstition étaient seules à se représenter ce personnage dans le rôle de trouble-fête. Elles en avaient long à dire aussi sur les lutins et les fantômes désignés par les noms de Lamie, Empuse, Akko, Mormo, et sur tous les μορμολυκεΐα[53] qui servaient à effrayer les enfants. Les Erinyes étaient, à la vérité, des divinités généralement reconnues ; elles étaient même, en beaucoup de lieux, l’objet d’un culte public et d’une vénération profonde ; mais leur tache, comme celle d’Alastor, consistait, ainsi que le dit Æschyle, à poursuivre et à punir les ennemis des dieux[54]. De là les qualifications de σεμναί et d’εύμενίδες qui, contrairement à l’opinion de quelques critiques, n’étaient pas des euphémismes, mais une manière de reconnaître la protection qu’elles accordaient aux bons. Eu punissant les méchants[55], elles étaient les servantes du droit immuable, les exécutrices des lois absolues, sur lesquelles repose l’ordonnance morale du monde.

La foi dans le gouvernement des choses humaines par les dieux conformément aux principes de la bonté, de la sagesse et de la justice, et le sens moral qui se dégage de cette croyance n’étaient pas, chez les Grecs, le résultat d’une révélation d’en haut. Aussi ne doit-on pas s’étonner qu’un petit nombre seulement se soit élevé à une pareille conception et l’ait maintenue dans toute sa pureté[56]. Toutefois, l’hypothèse contraire, d’après laquelle l’ordonnance du monde eut été livrée aux caprices individuels des dieux, sans autre règle que les décrets obscurs et aveugles du destin, ne saurait être considérée non plus comme la croyance générale du paganisme. La fatalité mystérieuse de la nature, d’où procède tout ce qui existe, ne peut assurément être confondue avec le gouvernement d’un .dieu personnel, créateur du monde, toute sagesse et toute bonté ; mais de cette nécessité impénétrable peuvent dériver aussi les lois de la sagesse et de la justice, sur lesquelles repose la conservation du monde, et dont les dieux sont les exécuteurs reconnus. Pour tout être, homme ou dieu, les conditions générales de son existence, sa nature, ses dispositions et ses habitudes, ses faiblesses, les bornes qu’il ne peut franchir, sont fixées invariablement par les Μοίραι, filles de la Nuit ou de Zeus et de Thémis ; mais dans la limite de ces prescriptions, il existe encore, pour les hommes comme pour les dieux, une sphère où ils peuvent se mouvoir librement[57]. Les dieux ne sont pas tous égaux en puissance et en sagesse ; tous n’ont pas conscience, dans la même mesure, des lois fondées sur la nécessité primordiale ; en général, cependant, ils agissent suivant ces lois. Il existe entre eux un certain ordre social et comme une constitution. Zeus les domine tous ; il est le plus puissant, le plus sage et le meilleur ; il règne paternellement et par cette raison est appelé le père des dieux et des hommes. Tous les autres dieux doivent être attentifs à sa volonté. C’est lui qui leur a assigné leurs fonctions et a tracé le cercle de leur activité ; ils ne sont que ses auxiliaires et ses serviteurs dans le gouvernement du monde. Telle est à peu près la moyenne des croyances religieuses, chez les esprits éclairés de l’antiquité. Entre l’essence originaire dont il n’est pas permis de scruter ni d’embrasser la nature, que l’on ne pouvait se représenter comme un être personnel[58], dans laquelle on se résignait à ne voir que la cause première, le germe et la possibilité des choses qui en sortaient par l’effet d’une nécessité innée[59], entre cette essence, dis je, et la nature humaine, l’intervalle était rempli par des êtres qui n’existaient pas dès le principe et avaient pris naissance un jour, êtres non pas absolus, mais contingents, personnels, semblables aux hommes et amis des hommes qui les appelaient leurs dieux, que chacun pouvait prier avec la confiance d’être entendu, vers lesquels les simples mortels levaient les yeux comme sur les arbitres de leur destinée, à qui ils attribuaient ce qu’il y avait de plus noble et de meilleur en eus, dont enfin ils ne pouvaient se passer, sous peine d’être réduits à l’impuissance. Que ce fût là l’opinion des hommes intelligents de l’antiquité touchant les dieux, cela ne fait de doute pour personne, niais nous savons aussi que, en Grèce comme partout, les hommes intelligents n’étaient pas en majorité. Si l’on eût interrogé l’un d’eux sur le fondement de sa foi, il eût sans doute répondu qu’il croyait aux dieux, parce que cette croyance lui venait de ses ancêtres, à qui ces dieux s’étaient manifestés par des signes certains[60]. Car il y eut un temps, aurait-il ajouté, où les dieux, revêtus de la forme humaine, liaient commerce avec les hommes qu’ils affectionnaient, et de là date ce qui nous a été transmis de vrai et d’authentique sur les dieux. Si, poursuivant l’interrogatoire, on eût demandé au même personnage en quoi consistaient ces vérités certaines et comment on pouvait répandre encore sur les dieux tant de fables invraisemblables, il eut dit : Ce qu’il y a avant tout de vrai et de certain, c’est que les dieux existent, qu’ils ont la puissance et la majesté, la sagesse et la justice, qu’ils sont amis des bons et ennemis des méchants, et que les hommes leur doivent tout ce qu’ils possèdent de précieux. Leurs attributions, leur figure et les autres signalements offrent moins de certitude et rentrent dans l’ordre des choses dont l’homme ne peut sûrement pénétrer le mystère, mais tout ce qui ne peut se concilier avec la bonté, la sagesse et la justice divine est certainement faux. Ces faussetés se sont introduites dans les croyances, soit parce qu’on a mal compris les représentations symboliques .des dieux, soit par suite de l’altération des traditions primitives, lorsque les poètes commencèrent à parler légèrement des choses saintes et à se laisser aller aux fantaisies de leur imagination, dans une intention irréligieuse et pour l’amusement des impies[61].

La conviction que les dieux n’étaient pas égaux en puissance et en dignité était commune à la multitude et aux esprits éclairés, mais les derniers se faisaient des divinités inférieures une idée plus élevée encore que celle de la foule sur les grands dieux. Peu à peu la croyance s’accrédita que, en dehors des dieux proprement dits, il existait une classe nombreuse d’êtres à part, qui tenait le milieu entre la divinité et l’espèce humaine. On pensait que, en leur qualité de serviteurs et d’auxiliaires des dieux, ces intermédiaires exerçaient une influence considérable sur les événements de la vie humaine, et qu’à ce titre ils avaient droit aux hommages religieux. Cette hypothèse trouva plus de faveur à mesure que l’on se fit une plus haute idée de la grandeur et de la majesté divines. Les dieux auraient paru déroger en admettant parmi leurs attributions des détails trop particuliers et trop mesquins ; on les entoura donc d’un essaim d’esprits secondaires, auxquels ces soins furent abandonnés. Cette distinction pût être aussi un moyen de dégager la religion et le culte de certaines responsabilités choquantes. Les dieux, se disait-on, n’auraient pas fait cela, ce n’était pas eux qui exigeraient l’observation de tel ou tel rite ; il fallait s’en prendre aux esprits subordonnés que l’on avait tort de confondre avec eux[62]. Ces êtres intermédiaires s’appelaient du nom général de démons, δαίμονες, qui n’a reçu d’ailleurs cette application restreinte qu’après les temps homériques, qui même depuis pouvait comprendre tous les êtres surhumains, et souvent servait à désigner la divinité agissant dans l’exercice de sa puissance, aussi bien que τό θεΐον[63]. Homère, il est vrai, met déjà en scène des dieux subordonnas et serviles : il présente Protée comme un serviteur de Posidon[64] ; mais l’unique différence que l’on puisse saisir chez lui entre les mots θεός et δαίμων est qu’il emploie de préférence le dernier, pour exprimer, non la personnalité individuelle des dieux, mais leur puissance et leur action. Aussi souvent il s’en sert, ‘sans même avoir en vue telle du telle divinité, et seulement pour donner une idée générale de la puissance divine en action. Dans la Théogonie d’Hésiode, Phaéton, fils de l’Étoile du matin, est appelé, à l’endroit où Aphrodite le constitue gardien de son temple, δαίμων δΐος. Ces termes entraînent donc déjà une idée de subordination vis-à-vis des dieux supérieurs. Dans les Œuvres et Jours, les démons sont des esprits qui, après avoir formé la génération de l’âge d’or, sont chargés par Zeus de veiller sur les mortels[65]. Les Satyres, les Silènes, les Curètes et les Corybantes étaient reconnus aussi comme des démons aux ordres de Dionysos et de la Mère des Dieux[66]. Aphrodite avait des servantes telles que les Génétyllides, et des serviteurs mâles, parmi lesquels on cite un Tychon, un Gigon, un Orthanès[67]. A cette classe appartiennent encore Éros ou les Érotes, car ce nom se trouve souvent au pluriel, ainsi qu’Himéros et Pothos. Diotime en effet, dans le Banquet de Platon, assigne expressément à Éros une place parmi les démons, bien que d’autres, les Thespiens par exemple, le révèrent comme un grand Dieu. De même les Charitinnes, qui à Orchomène étaient honorées à l’égal des grandes Déesses, apparaissent ailleurs comme les suivantes d’Aphrodite. Doivent être comptés également parmi les démons un grand nombre d’êtres qui, sans être au service d’une divinité, empruntaient leurs noms aux circonstances et aux affections de la vie humaine dans lesquelles ils intervenaient : de ce nombre sont, chez les Athéniens, Άιδώς, la Pudeur ; Φιλια, l’Amitié ; Έλεος, la Compassion ; Όρμή, l’Ardeur ; Είρήνη, la Paix ; Φήμη, la Renommée[68]. Chez les Spartiates, on honorait au même titre Φόβος, l’Obéissance, et Γέλως, le Rire ; à Ægion, Σωτηρία, le Salut ; à Olympie, Όμόνοια, la Concorde et Καιρός, l’Occasion propice[69]. Ces différents cultes reposaient sur la croyance que les circonstances de la vie et les dispositions de l’âme humaine sont soumises à des influences divines ; mais comme on pouvait difficilement savoir de qui au juste elles dépendaient, on imaginait des esprits intermédiaires, agissant d’après les ordres tantôt d’un dieu, tantôt d’un autre, quelquefois suivant leur propre mouvement. Dans le domaine de la fable, les idées sont toujours vagues et mal assurées ; elles devaient l’être surtout ici[70]. La Victoire, Νίκη, est généralement considérée comme une divinité indépendante ; mais pour les Athéniens qui faisaient honneur de leurs victoires à la déesse protectrice de leur ville ; Athéna s’appelait aussi Νίκη, et le surnom d’Έργάνη s’applique tantôt à la déesse elle-même, tantôt à l’une de ses suivantes. De même Ύγίεια, ordinairement associée à Asclépios, et représentée comme sa fille, pour les Athéniens n’était autre qu’Athêna. Εύκλεια était à Thèbes, un surnom d’Artémis, mais c’est quelquefois aussi le nom même de la déesse[71]. Afin de faire bien comprendre comment on rattachait aux dieux, pour les aider dans leurs différentes attributions, des démons qu’eux-mêmes avaient choisis, on peut citer ce fait que Zeus, qualifié de ξένιος, en tant que gardien du droit hospitalier, a des ministres spéciaux pour les différents cas qui peuvent se présenter[72]. Beaucoup de gens pensaient aussi que les oracles ou les signés qui présageaient l’avenir n’étaient pas une communication directe des dieux et étaient transmis par l’entremise des démons[73]. Dans chaque domaine de la nature, comme pour les détails de la vie journalière, il y avait autour et au-dessous des dieux une multitude d’êtres surhumains ou de dieux en sous-ordre. Tout le monde connaît les Nymphes dont l’activité remplit les bois, les montagnes, les grottes, les vallées, les prairies et les eaux. Elles révèlent leur condition subordonnée par les soins qu’elles rendent à leurs maîtres, par le cortège dont elles les entourent, par les sacrifices qu’elles leur offrent[74], ce qui n’empêche pas que de la part des hommes elles aient droit elles-mêmes à des sacrifices et à des hommages. En Arcadie Βροντή et Άστραπή[75], avaient aussi leurs autels. Nul doute qu’on ne les considérât comme les ministres des tempêtes, chargés de lancer le tonnerre et les éclairs, au commandement de Zeus. Dans cette même classe de divinités subalternes, doivent être rangés les dieux des vents, à qui l’on rendait, suivant les contrées, un culte collectif ou individuel[76] ; dans ce dernier cas, les hommages s’adressaient surtout à Borée. Si ces dieux ne sont pas plus que ceux qui précèdent désignés par la qualification spéciale de démolis, il ne faut pas nous y tromper, cela tient uniquement à ce qu’ils président aux phénomènes naturels, tandis que les démons proprement dits sont mêlés aux circonstances journalières de la vie humaine. En retournant en arrière, nous devons encore mentionner spécialement, ceux d’entre eux que l’on croyait associés à chacun de nous. La première allusion à ces démons personnels se trouve dans Théognis, et la même croyance est confirmée par des témoignages certains, à partir du siècle de Platon[77] ; elle est même élargie plus tard, en ce sens que, d’après quelques témoignages, chaque homme n’a plus seulement affaire à un seul démon, mais à deus, un bon et un mauvais. Toutefois cette idée n’est jamais devenue générale : la plupart pensaient que le bien et le mal venaient d’un démon unique, que les uns avaient, pour compagnon un démon puissant, les autres un démon faible et chétif. Tel de ces êtres intermédiaires était favorable et bienveillant ; tel autre malveillant et hostile. Mais au-dessus de tous, on admettait l’existence d’un démon universel et bon, que l’on invoquait sous le nom d’Άγαθοδαίμων, et que plusieurs pensaient n’être autre que Zeus lui-même[78].

La religion des Romains admettait des Génies chargés de protéger les peuples, les villes, les corporations, qui peuvent être considérés comme étant de même ordre que les Démons. En effet les Grecs ont coutume de traduire le mot genius par δαίμων. Cependant nous ne trouvons rien dans la mythologie primitive des Grecs qui ressemble à ces génies protecteurs des populations. Plus tard, durant les périodes hellénistique et romaine, la déesse invoquée sous le nom de Τύχη comme gardienne des villes, prit la place du genius civitatis[79]. Mais dès le premier siècle avant Jésus-Christ, on rencontre à Athènes un prêtre du démos[80], dans lequel il faut évidemment reconnaître le représentant divin et l’appui tutélaire du peuple.

Les héros formaient encore une classe d’êtres intermédiaires entre les dieux et lés hommes. Cette croyance toutefois naquit postérieurement à Homère. Chez Homère le mot ήρως s’applique à tous les hommes distingués par quelque vertu éminente, sans acception de leur état social, bien que le poète établisse une différence marquée entre la foule et les héros qui s’élèvent au-dessus d’elle. Les hommes du commun (δήμου άνδρες) sont d’origine obscure. C’est à eux surtout que l’on pense, lorsqu’on présente la race humaine comme née des arbres ou des pierres ; les nobles, au contraire, se vantent de remonter de près ou de loin aux dieux. Dans les Œuvres et Jours, Hésiode n’emploie le mot ήρως que pour les hommes de grande race qui, en raison de cette descendance, sont appelés ήμίθεοι, et dont plusieurs, échappant à la loi commune de la mort, sont transportés dans les îles des Bienheureux, où ils mènent une existence fortunée, sous la domination de Kronos[81]. On ne trouve d’ailleurs dans Hésiode aucune trace de l’influence exercée par ces héros sur la vie des mortels, non plus que du culte qui en était la récompense ; mais plus tard cela devient un article de foi dans toute la Grèce. Si les héros meurent suivant la destinée commune, leurs filmes entrent en possession d’une vie plus heureuse et ont elles-mêmes le privilège de faire le bonheur ou le malheur des hommes. Il est difficile de fixer l’époque à laquelle se produisit cette doctrine ; elle put être favorisée par l’opinion qui attribuait aux héros célèbres de l’antiquité une origine surhumaine, et les faisait naître de l’union des dieux avec des mortelles, origine qui assurait à leurs âmes d’autres destinées que celles des hommes ordinaires. L’anthropomorphisme païen rendait vraisemblables les rapprochements entre la race divine et la race humaine, et même, dans les siècles postérieurs, la foule ne les révoquait pas en doute. Une femme pouvait encore, au temps de Lysandre, se dire enceinte des œuvres d’Apollon[82]. Alexandre espérait se faire passer pour le fils de Zeus, et le roi Séleucus était, aux yeux de beaucoup de gens, fils d’Apollon. L’histoire fournit beaucoup d’autres exemples de pareilles supercheries, admises par la crédulité. Mais sans être engendrés par des dieux, des hommes purent acquérir assez de droits à l’estime de leurs semblables pour être jugés dignes de participer dans une plus large mesure à l’essence divine, et pour assurer à leurs limes, après leur mort, une place d’honneur. Ce n’est pas seulement dans la haute antiquité que fut honorée cette classe de héros. Les générations qui suivirent restèrent fidèles à cette croyance, et souvent il arriva que des contemporains furent jugés dignes des mêmes honneurs. Quelquefois même ces récompenses furent décernées par des considérations étrangères- au mérite de ceux qui en étaient l’objet et pour des services douteux. Un athlète, Cléomède d’Astypalée, furieux de ce que les Hellanodices avaient refusé de lui décerner un prix à. Olympie, renversa la colonne qui soutenait le toit d’une école où étaient réunis des enfants, dont plusieurs furent ensevelis sous les décombres. Pour échapper à la vengeance du peuple qui menaçait de le lapider, il se réfugia dans le temple d’Athêna et se cacha dans un coffre. Lorsque la foule, ne pouvant parvenir à ouvrir ce coffre, le brisa, Cléomède avait disparu, et nulle part on ne retrouva sa trace. Le fait sembla si merveilleux aux Astypaléens qu’ils consultèrent l’oracle de Delphes. La Pythie répondit que Cléomède était un héros, le dernier des héros, et qu’il fallait lui offrir des sacrifices[83] ; cela se passait l’an 496 (olymp. LXXI). Néanmoins Cléomène ne resta pas le dernier des héros ; on en créa un grand nombre après lui, les uns pour des motifs plausibles, les autres pour des misons équivoques on même mauvaises. Nous avons déjà remarqué que les colonies rendaient à leurs fondateurs (οίκισταί) des honneurs héroïques, et que, faute de retrouver le véritable οίκιστής, on empruntait parfois à la légende quelque héros avantageusement connu. On ne se faisait pas faute non plus d’élever à l’état de héros des personnages imaginaires, comme par exemple en Attique les auteurs présumés des races nobles et sacerdotales : Hésychos pour les Hésychides, Eumolpos pour les Eumolpides, Krokon pour les Krokonides, Boutès pour les Boutades, ou bien encore les Éponymes des dèmes et des tribus. De même, à Sparte, on honorait les patrons de divers métiers, tels que Kéraon et Matton[84]. En revanche quelques personnages, qui originairement avaient été des dieux, étaient tombés, dans les temps historiques, à l’état de héros, dépouillés de leur dignité première par des vicissitudes mythologiques dont il est facile de se rendre compte, mais que nous n’avons pas à démêler ici[85]. Il suffit de dire que dans chaque ville, chaque localité de la Grèce, on vénérait, il côté des dieux supérieurs, un nombre considérable de héros, parmi lesquels plusieurs étaient considérés comme les protecteurs en titre du pays (ήρωες έγχώριοι). Tels étaient, à Sparte, les Dioscures, dont les images accompagnaient les rois en campagne, et, parmi les Æginètes, les Æacides, qu’ils envoyèrent un jour ou plutôt dont ils envoyèrent les portraits aux Thébains, comme un gage de victoire. Le secours des Æacides fut aussi invoqué avant la bataille de Salamine, et une trière alla les chercher à Ægine. Enfin, lorsque les Athéniens attaquèrent cette île, l’oracle leur donna le conseil de s’assurer d’abord la faveur d’Æacos et de lui élever un temple[86]. Chez les Locriens Epizéphyriens, Ajax, fils d’Oilée, était réputé aussi un puissant auxiliaire dans les combats ; quand l’armée était rangée en bataille, une place était toujours laissée libre en son honneur[87]. A Thèbes, Hector était le héros ; d’après les instructions de l’oracle on alla en Troade chercher ses ossements[88]. Dans les serments, les héros étaient pris à témoin, aussi bien que les dieux ; le nom d’Héraclès surtout était invoqué. Iolaos chez les Thébains, Dioclès chez les Mégariens, d’autres encore remplissaient le même office. Avec le temps, certains héros tombèrent dans l’obscurité et perdirent beaucoup de leur considération. Ce fut le sort de tous ceux qui étaient simplement l’objet d’un culte domestique que telle ou telle famille, tel ou tel γένος venaient leur rendre sur leur tombeau ; car c’était la coutume dans plusieurs contrées, que certains morts fussent salués héros par ceux qu’ils laissaient après eux, et reçussent, à ce titre, l’hommage d’un culte privé ; c’est ce qu’on appelait άφηρωίζειν[89]. Cette consécration fut quelquefois reconnue et confirmée par l’État, mais ce n’était là qu’un témoignage public, rendu sans autre conséquence à la mémoire du défunt, quelque chose comme une canonisation ; car, dans les temps historiques, l’opinion était généralement répandue, bien qu’elle n’ait jamais été établie d’une manière dogmatique, que non seulement les âmes illustres, comme le voulaient les philosophes[90], mais toutes sans distinction échappaient à la mort et recevaient la récompense ou le châtiment qu’elles avaient mérité. Naturellement les conjectures variaient sur les conditions de cette vie future[91]. Nous parlerons plus tard des cérémonies religieuses et des usages superstitieux qui se mêlèrent à ces croyances ; actuellement, nous nous bornons à remarquer que la grande généralité attribuait aux âmes le pouvoir d’exercer du fond de leur séjour, une certaine influence sur le monde qu’elles avaient habité[92], que l’on croyait avoir un moyen de les évoquer, et que souvent aussi elles revenaient à l’état de fantômes, auquel cas leur apparition n’annonçait rien de bon pour ceux à qui elles s’étaient manifestées[93].

 

 

 



[1] C’est ce que Schmidt, dans son Essai sur la Société civile (Strasbourg 184, p. 128), appelle l’impuissance morale du paganisme. Voy. aussi Schœmann, ueb. das Sittlich-relig. Verhalten der Griechen, Greifswald, 1848, p. 16.

[2] L’opinion de quelques critiques, que le polythéisme serait le développement d’un monothéisme antérieur, ne peut, selon moi, se justifier au point de vue de l’histoire ni à celui de la psychologie. Les plus anciens monuments religieux de la race indo-européenne, les Védas, mentionnent un grand nombre d’êtres divins. On ne peut douter non plus, à la suite d’une étude impartiale, que plusieurs dieux n’aient été placés auprès du Jehovah ou Jave des Hébreux, et que l’idée d’un vrai dieu ne se soit dégagée peu à peu par opposition avec les autres. Dans les religions primitives de l’Amérique, le Grand Esprit n’est pas non plus un dieu unique ; il existe autour et au-dehors de lui une multitude d’autres dieux, personnifications des lois naturelles ; voy. Th. Waitz, Anthropol. der Naturvœlker, t. III, p. 189. Les peuples n’ont connu le monothéisme qu’après être parvenus à un haut degré de civilisation. Chez les Grecs, dans les beaux temps de leur histoire, les esprits réfléchis étaient en réalité monothéistes, ils ne reconnaissaient qu’un dieu suprême. Si en dehors de lui, ils admettaient des êtres surhumains, remplissant l’office de serviteurs et d’auxiliaires, ils ne le faisaient que dans le sens où la Bible entoure Jéhovah de légions d’anges et d’archanges. Sur le développement progressif du monothéisme issu du polythéisme, il faut lire la dissertation de Steinthal, dans la Zeitschr. für Vœlkerphysiol. und Sprachwissensch., t. I, p. 328. Diestel de son côté a démontré que l’opinion contraire est insoutenable historiquement ; voy. Jahrbuch f. deutsche Theologie, de Leibner, t. I, p. 669 et suiv.

[3] Voy. Schœmann, dans ses notes sur la Théogonie d’Hésiode, p. 192.

[4] Voy. Welcker, Gœtterlehre, t. II, p. 66.

[5] Πολλά ψεύδονται άοιδοί était au temps d’Aristote une phrase proverbiale, voy. la Métaphysique, I, c. 2, et le Scholiaste de Platon, p. 465 (p. 428 éd. Ruhnkenius). Les Muses font elles-mêmes un aveu semblable dans la Théogonie d’Hésiode, v. 27.

[6] Aristophane, Nubes, v. 905 et 1070 ; Eurypide, Hippolyte, v. 451 ; Jon., v. 449 ; Platon, Leges, I, p. 636 E et XII, p. 941 D ; Eutyphron, p. 5 E ; Térence, Eunuch., a. III, sc. 5, v. 36 ; saint Augustin, de Civit. Dei, II, c. 7, et Confess., I, c. 16, § 2.

[7] Voy. Lobeck, Aglaophamus, p. 312.

[8] Voy. Schœmann, über das sittlich-religiose Verhalten der Griechen, p. 23.

[9] Hérodote, II, c. 53. Nous pourrions dire aussi bien théologie que théogonie.

[10] Voy. les remarques critiques de E. Muller dans la recension du livre de Nægelsbach, Nachhomer. Theologie. (Jahrb. f. Philol., t. LXXXI, p. 154.)

[11] Platon, Leges, VI, p. 759 D, et V, p. 738 B ; de Republ., IV, p. 427 B.

[12] Rhetor. ad Alexandrum, c. 2. Cf. Xénophon, Memorab., IV, c. 3, 16 ; Cicéron, de Legibus, II, c. 16.

[13] Cette appréciation ne diffère pas beaucoup de celle qu’a exposée Welcker (Griech. Gœtterlehre, t. 1, p. 271 ; cf. p. 222, 243 et 546) ; aussi ai-je peine à comprendre pourquoi il s’en prend dans le même ouvrage (p. 121) à ce que j’avais dit dans ma dissertation üb. die Genien (Greifsw., 1844, p. 27 et 28). Je ne résiste pas au plaisir de citer à l’appui de la même thèse un extrait d’un mémoire de l’ingénieux et profond Fréret (Mém. de l’Acad. des Inscript., t. XXIII, p. 19, hist.) La mythologie était un champ vague, mais immense et fertile, ouvert indifféremment à tous, que chacun s’appropriait, où chacun prenait à son gré l’essor, sans subordination, sans concert, sans cette intelligence qui produit l’uniformité. Chaque pays, chaque territoire avait ses dieux, ses erreurs, ses pratiques religieuses, comme ses lois et ses coutumes. La même divinité changeait de nom, d’attributs, de fonctions, en changeant de temple ; elle perdait dans une ville ce qu’elle avait usurpé dans une autre. Tant d’opinions diverses, en circulant de lieux en lieux, en se perpétuant de siècle en siècle, s’entrechoquaient, se mêlaient, se séparaient pour se rejoindre plus loin, et tantôt alliées, tantôt contraires, elles s’arrangeaient réciproquement de mille façons différentes.

[14] Le système des douze dieux ne se retrouve pas seulement en Égypte, d’où suivant la conjecture d’Hérodote (II, c. 4), il aurait passé en Grèce, (Preller, Rœm. Mythol., p. 59), chez les Sabins et les Osques (Mommsen, unterital. Dialecten, p. 141), chez les Etrusques (Müller, Etrüsker), mais même chez les anciens Scandinaves et chez les Germains (Steub, das baier. Hochland, p. 71 ; Weinhold, dans la Zeitschrift für deutsche Philol. de Hœpfner et Zacher, fasc. I, 2), et chez les Américains (J. C. Muller, Gesch. der amerik. Urrelig., p. 91). Il est possible que l’on ait été conduit à cette combinaison par la division de l’année en douze mois.

[15] Schol. d’Apollonius de Rhodes, II, v. 532 ; voy. aussi Welcker, Gœttert., t. II, p. 168.

[16] Schol, de Pindare, Olymp., V, v. 8 et 10.

[17] Sur tous ces dieux sans nom, voy. Pausanias, I, c. 1, § 2 ; V, c. 14, § 6 ; VII, c. 22, § 9 ; VIII, c. 36, § 3 ; et c. 43, § 5 ; X, c. 37, § 3, etc. 38, § 7 et 8.

[18] Voy. Lobeck, Aglaophamus, p. 753.

[19] Corpus Inscript. græc., n° 2554, v. 185, et n° 2355, v. 14.

[20] Voy. Schœmann, Opusc., t. I, p. 334.

[21] Symposion, c. 8, § 9.

[22] Callimaque, cité par Athénée, IX, p. 438.

[23] Anabase, VII, c. 8, § 4 ; cf. ibid. IV, c. 8, § 25 ; V, c. 9, § 22, et VII, c. 6, § 44.

[24] Suétone, Auguste, c. 91 ; Dion Cassius, LIV, c. 4.

[25] Jules Pollux, Onomast., VIII, 142.

[26] Corpus Inscript. græc., n° 2554, v. 176. Cf. Ross, alte lokrische Inschr., p. 50 et 51.

[27] Cicéron, de Natura Deorum, III, c. 16 et 21. Cf. les notes et l’introd., de Schœmann, p. 7.

[28] Sur Evhémère, voy. Hoeck, Kreta, III, 326, et Gerlach, Histor. Studien, p. 137 et suiv.

[29] Les termes d’Hérodote (II, c. 3) νομίζων πάντας άνθρώπους ϊσον περί αύτών έπίστασθαι signifient évidemment que tous les hommes en savent autant, c’est-à-dire aussi peu les uns que les autres, sur les choses divines, et il est surprenant que cela n’ait pas été plus généralement compris.

[30] Par exemple, Xénophane, dans Sextus Empiricus, adv. Mathemat., VII, c. 49 ; Melissus, dans Diogène Laërte, IX, c. 24 ; Euripide, fragm. Philoct., 6.

[31] Lucien, Convivium s. Lapithæ, c. 9.

[32] L’étymologie de ce mot est obscure. Les anciens hésitaient entre Θρήκες et θεοΐς αρέσκειν ; depuis on a proposé θρέομαι, pris dans le sens d’invocation aux dieux.

[33] Hésiode, Théogonie, v. 535 ; voy. aussi l’introd. de Schœmann au Prométhée d’Æschyle, p. 113, et ses Opusc., t. II, p. 272.

[34] Eutyphron, p. 14 E.

[35] Platon, Definitiones, p. 412, E (T. II, p. 594, ed. Didot) ; Eutyphron, p. 12 E ; Protagoras, p. 331 B et 339 C ; Cicéron, de Nat. Deorum, t. I, c. 41 ; Porphyre, de Abstin., III, c. 1, p. 214 ; Sextus Empiricus, adv. Mathem., IX, c. 124 ; Stobée, Eclogæ, II, p. 124.

[36] Evangile selon saint Matthieu, c. V, v. 20.

[37] Lactance, div. Institutiones, VI, c. 10, § 1 : primum officium justitiæ est conjunctio cum Deo, secundum cum homine.

[38] Politique, I, c. 12 ; voy. aussi Lactance, div. Instit., IV, c 3, § 11 et 12. Comment d’ailleurs, si ces mots devaient être pris à la lettre, Zeus eût-il pu être appelé θεών πατήρ ήδέ καί άνδρών, dans le catalogue généalogique d’Hésiode (Théog., v. 468), après qu’il a été présenté comme le fils de Rhéa et de Kronos, et le dernier né.

[39] Plutarque, de Stoicor. repugn., c. 38.

[40] Plutarque, Périclès, c. 6 ; de Superstit., c. 4. Sur les différents sens du mot δεισιδαιμονία, voy. Varron, cité par saint Augustin, de Civit. Dei, VI. c. 9, et surtout Welcker, Gœtterlehre, t. II, p. 140. Ce mot exprime souvent une crainte raisonnable des dieux, et n’est guère pris avant Polybe dans l’acception de terreur superstitieuse, ainsi que l’a remarqué Ast, dans son édition des Caractères de Théophraste, p. 143. Théophraste désigne les esprits superstitieux par l’épithète de κακόθεοι. Quant au chapitre des Caractères intitulé περί δεισιδαιμονία, il est reconnu pour apocryphe (voy. Wyttenbach, dans son commentaire sur les Œuvres morales de Plutarque, de Superst., t. II, p. 279, édit. de Leipsick).

[41] Le respect des enfants pour les parents, la piété envers la mémoire des morts sont appelés aussi εύσέβεια ; voy. par exemple le discours de Lycurgue c. Léocrate, § 94.

[42] Leges, X, p. 885.

[43] Les coryphées de la philologie comparée ne se sont pas encore mis d’accord sur l’étymologie et la signification originaire du mot θεοί. La plupart le rapprochent, ainsi que le latin deus, dont la l’orme féminine dea n’est pas non plus étrangère à la langue grecque, des mots sanscrits diw et dewa (voy. les remarques de Schœmann sur le de Nat. Deorum, II, c. 16). Il signifierait d’après cela les possesseurs et les habitants des hauteurs lumineuses du ciel, de même que l’on a rattaché dans la Kuhn’s Zeitschrift, t. VII, 16, le mot allemand Gott au sanscrit jynt ou dynh, briller. D’autres, comme Buhler dans l’Orient und Occident de Benfey, t. I, p. 508, inclinent vers le sanscrit dhi, qui signifie penser, être sage, ou vers didhi, briller, rayonner. Pour d’autres encore, le mot o-roi signifie les êtres vénérés auxquels s’adressent les prières, et vient d’une racine dont le sens est prier, honorer. Voy. Dœderlein, Glossar., III, p. 366, et G. Curtius, Griech. Etymol., t. I, p. 12 et t. II, p. 911. Quoiqu’il en soit de cette controverse, il est certain que le mot θεοί pris en général désignait uniquement chez les Grecs des êtres surhumains.

[44] Homère, Odyssée, XII, v. 117 et 118, VI, v. 180 ; Hésiode, Théogonie, v. 296 ; Lycophron, v. 721. La peste est appelée aussi θεός, dans Sophocle (Œdipe Roi, v. 28). Il en est de même pour la faim (Simonide d’Amorgos, VI, 102). Enfin tous les enfants de la Nuit énumérés dans la Théogonie, v, 226 et suiv., prétendent à ce nom.

[45] Dans Athénée, X, p. 455 A.

[46] Fragm. Bellerophontis, 17, v. 4, p. 687, éd. Didot.

[47] Isocrate, Panathen., c. 23. D’après la Théogonie (v. 220), la vengeance des Kères s’étendait aux fautes des dieux aussi bien qu’à celles des hommes.

[48] Voy. Schœmann, Introd. au Prométhée d’Æschyle, p. 132 ; Eichhoff, ueb. einige religiös-sittliche Vorstell. des class. Alterthums, dans un progr. de Duisbourg, 1846, p. 10 et 11 ; W. Hoffmann, dans le Philologus, t. XV, p. 224, et A. Schuler, ueb. Herodots Vorstell. von Neide der Griechen, Offenburg, 1869.

[49] Sur la théorie de Nægelsbach au sujet de la haine, de la malice et de la perversité des dieux (Nachhom. Theol., p. 54) il suffit de renvoyer à la recension de cet ouvrage par E. Muller, dans les Iahrb. für Philol., t. LXXXI, p. 167.

[50] Voy. surtout Æschyle, les Coéphores, v. 377, éd. Herm. ; Solon, fragm. XI, v. 75 ; cf. Rhianus, III, 31 ; voy. aussi Schœmann, dans son Introd. aux Euménides, p. 28. Cette idée est déjà indiquée dans Homère, Iliade, IX, v. 508 et suiv.

[51] Voy. Nægelsbach, Nachhomerische Theologie, p. 375.

[52] De Mysteriis, p. 64, § 134.

[53] Voy. Becker, Chariklès, t. II, p. 17. Voy. aussi sur les lutins, appliqués à jouer des tours de toute espèce, comme Taraxippus qui effraie les chevaux, Syntrips et Smaragos qui cassent les pots des buveurs, et autres esprits malins, Lobeck, Aglaophamus, p. 970.

[54] Æschyle, Euménides, v. 870 et suiv. Voy. aussi l’Introd. de Schœmann, p. 42.

[55] Cornutus, de Nat. Deorum, c. 10, p. 33, ed. Osann.

[56] Platon, Leges, p. 644 D. Θαΰμα μέν έκαστον ήμών ήγησώμεθα τών ζώων θεΐον, εϊτε ώς παίγνιον έκείνων εϊτε ώς σπουδή τινί ξυνεστηκός . ού γάρ δή τοΰτό γε γιγνώσκομεν. Sur les vues analogues d’Héraclide et d’autres philosophes, voy. les notes d’Ast et de Stailbaum. Les mots ού γιγνώσκομεν, sont à remarquer. Le manque de certitude n’exclut pas la croyance à la seconde hypothèse ; en semblable matière, la foi peut ou doit suppléer à l’insuffisance des preuves.

[57] Vov. les notes de Schœmann sur le Prométhée d’Æschyle, p. 38 et 108-111. Cf. Nægelsbach, Nachhom. Theologie, p. 150.

[58] Arnobe, adv. Gentes, I, c. 31 : prima enim tu causa es, locus rerum ac spatium fundamentumque cunctorum, quæcumque sunt, infinitus, ingenitus, immortalis, perpetuus, solus, quem nulla delineat forma corporalis, nulla determinat circumscriptio, qualitatis expers, quantitatis, sine situ, motu et habitu, de quo nihil dici et exprimi mortalium potis est significatione verborum : qui ut intelligaris tacendum est, atque ut per umbram te possit errans investigare suspicio, nihil est omnino mutiendum.

[59] C’est ce que Héraclite appelle ή τής κοσμικής γενέσεωρ είμαρμένη (Alleg. homer., c. 48) et Denys d’Halicarnasse (Ars rhetorica, X, c. 5) : ή τής φύσεως άνάγκη καί τό γρεών.

[60] Platon, Philèbe, p. 16 C, et Timée, p. 40 D ; Clément d’Alex., Stromata, V, c. 13, § 85 ; Eusèbe, Præpar. evang., VIII, c. 1, § 3 ; Lactance, Instit. div., V, c. 19. Cf. Schœmann, ueb. das sittlich-relig. Verhalten der Griechen, p. 85 ; Nitzsch, zur Odyssee, t. II, p. 156, et Nægelsbach, Nachhom. Theol., p. 159. Sur d’autres manières d’expliquer la formation des croyances religieuses, voy. Welcker, Gœtterlehre, t. II, p. 45.

[61] Euripide, Herc. furens, v. 1346 : Άοιδών δύστηνοι λόγοι. On peut affirmer que tout ce qu’ont inspiré aux apologistes chrétiens les impuretés du paganisme avait été dit longtemps avant eux par les païens intelligents, ainsi qu’eux-mêmes d’ailleurs l’ont reconnu ; voy. Arnobe, adv. Gentes, III, c, 6.

[62] Plutarque, de defectu Orac., c. 14, 15 et 21 ; de Iside et Osir., c. 25 et 26 ; de facie in orbe Lunæ, c. 29 et 30.

[63] Voy. Wahrmund, ueb. den Begriff δαίμων und seine geschichtl. Entwickel., dans la Zeitschr. für die Œsterr. Gymnasien, t. X, p. 761, et sur l’étymologie incertaine de ce mot, Welcker, Gœtterlehre, t. I, p. 138 et 731 et Preller, Griech. Mythol., t. I, p. 87.      

[64] Odyssée, IV, v. 386.

[65] Théogonie, v. 991 ; Œuvres et Jours, I, v. 108-125.

[66] Strabon, X, v. 466 et 468.

[67] Voy. Lobeck, Aglaophamus, p. 1235, et sur les Génétyllides en particulier, Preller, dans les Iahrb. f. Philol., t. LXXIX, p. 552.

[68] Hesychius, s. v. Αίδοΰς ; Pausanias, I, c. 8, § 3, c. 17, § 1, et 18, § 3 ; Schol. de Sophocle, Œdipe à Colone, v. 253 ; Schol. d’Æschine, c. Timarque, p. 140 R.

[69] Pausanias, II, c. 3 § 6, V ; c. 14 § 9, VII, c. 21 § 7, et c. 24 3 ; Plutarque, Cléomène, c. 9. A Hipata, en Thessalie, une fête annuelle était célébrée en l’honneur du Rire, si l’on en croit Apulée (Métam., III, c. 11), nous n’avons pas à rechercher si le fait est bien réel.

[70] En élargissant encore le champ, et par delà les limites des superstitions populaires, les poètes ont divinisé tous les états et les affections de l’âme. Les exemples abondent de ces personnifications ; voy. les notes de Boissonade sur Psellus, de opere Dæmon., p. 292, et celles de Bæhr sur Hérodote, VIII, c. 111.

[71] Des inscriptions postérieures signalent aussi chez les Athéniens un ίερεύς Εύκλείας καί Έύνομίας ; voy. par ex. le Philistor, t. III, p. 458, et Keil, dans le Philologus, t. XXIII, p. 243.

[72] De là ce passage de Platon dans les Lois (V, p. 730 A) : ό ξένιος έκάστου δαίμων καί θεός, τώ ξενίω συνεπόμενος Διί. De même, dans Lucien (Encom. Demosth., c. 50) : όπαδός δαίμων Έλευθερίου Δίος.

[73] Plutarque, de defectu Oracul., c. 12 ; Platon, Sympos., c. 23, p. 202 E ; Diogène Laërte, VIII, c. 32. Voy, aussi Wachsmuth, die Ansichten der Stoiker ueber Mantik und Dæmonen, Berlin, 1860, p. 35.

[74] Voy. Schœmann, dans son Introd. au Prométhée d’Æschyle, p. 150 ; cf. Ovide, Fastes, II, v. 247, et IV, v. 423.

[75] Pausanias, VIII, c. 29, § 1.

[76] Par ex. à Delphes (Hérodote, VII, c. 178), et à Coronée (Pausanias, IX, c. 24, § 2). Cf. Pausanias, VIII, c, 36, § 4 ; Hérodote, VII, c. 189 ; Xénophon, Anabasis, IV, c. 5, § 3.

[77] Théognis, v. 161 et suiv. ; cf. Phocylide, cité par Clément d’Alexandrie, Stromata, V, p. 725, éd. Potter. Voy. d’autre part Platon, Phædon, p. 107 D, avec les notes de Wyttenbach, et Lehrs, Populäre Auss. aus dem Alterth., p. 166. Cependant les expressions εύδαίμων, κακοδαίμων δυσδαίμων semblent témoigner à l’appui de ces croyances. On rencontre pour la première fois εύδαίμων dans les Œuvres et Jours, v. 826. Homère ne connaît point ce mot, non plus que les deux autres, et όλβιοδαίμων, au III, v. 182, peut être rangé avec raison parmi les indices qui ne permettent guère de croire à l’authenticité de ce passage. Voy. Curtius, homer. Studien, dans le Philologus, t. III, p. 18.

[78] Au moins Pausanias (VIII, c. 36, § 3) estime que le dieu bon, qui avait un temple en Arcadie, n’est autre que Zeus.

[79] Voy. Preller, Griech Mythol., I, p. 423. Dans la Théogonie, v. 360, Τύχη est nommée parmi les Océanides ; voy. à ce sujet Schœmann, Opusc., t. II, p. 159. Pausanias (II, c. 7, § 5 ; IV, c. 30, § 2, et VI, c. 25, § 4) atteste l’antiquité du culte rendu à Τύχη. Cf. Lobeck, Aglaophamus, p. 595.

[80] Voy. le Philistor, t. I, p. 47, et les inscriptions recueillies dans le théâtre d’Athènes, dont il a été question plus haut ; cf. Keil, dans le Philologus, t. XXIII, p. 235.

[81] Hésiode, Œuvres et Jours, v. 159 et suiv.

[82] Plutarque, Lysandre, c. 26.

[83] Pausanias, VI, c. 9, 6 ; Plutarque, Romulus, c. 23 ; Eusèbe, Præpar. evang., V, c. 34. Il est bon aussi de lire dans Hérodote les histoires d’Artachæos, honoré comme un héros par les habitants d’Acanthos (VII, c. 117), de Philippe de Crotone (V, c. 47) et du roi Onésilos à Cypre (ibid., c. 114), ainsi que ce que raconte Athénée d’un chef d’esclaves fugitifs, Drimakos de Chios (VI, p. 267).

[84] Kéraon et Matton présidaient à la cuisine ; voy. Athénée, II, p. 39 C. Un troisième héros, Dæton, est nommé avec. Kéraon au liv. IV, p. 173 F. De même, on honorait l’Άκρατοπότης, à Munychie, le Δειπνεύς en Achaïe.

[85] Hérodote, II, c. 45 et 143 ; Thucydide, II, c. 74, et V, c. 30 ; Lycurgue cité par Athénée, VIII, p. 309 D ; voy, aussi Klausen, Theol. Æsch., p. 61 ; Maetzner, dans ses Notes sur Lycurgue, p. 73.

[86] Hérodote, V, c. 75, 80, 81 et 89 ; VIII, c. 64 et 83.

[87] Pausanias, III, c. 19, § 11 ; Conon, amat. Narrat., 18.

[88] Tzetzès, ad Lycophrontem, v. 1194 et 1208.

[89] Corpus Inscript., n° 21167 et suiv. ; cf. Bœckh, Abhandl. ueb. die Inschr. v. Thera, dans les Mémoires de l’Académie de Berlin, 1836 ; Ross, Inscript., t. II, p. 203, et Inselreise, t. II, p. 18 ; Conze, Reise nach Lesbos, p. 12. Dans une épitaphe athénienne (Philologue, t. XXII, p. 709, et Gœtting. Nachrichten, 1864, p. 342), un enfant mort à l’âge de cinq ans est appelé ήρως συγγενείας.

[90] Diogène Laërte, VII, c. 157, avec les remarques de Ménage ; cf. Thomasius, Stoica Animarum mortalitas, à la suite de sa dissertation de Mundi exustione Stoica, p. 227.

[91] Il suffit, pour le but que nous nous proposons ici, de renvoyer à la Real-Encyclop. de Pauly, t. IV, p. 164 et suiv. et à ses Studien, p. 36.

[92] Platon, les Lois, XI, p. 927 A.

[93] Babrius, fab. 63, v. 6 et suiv. ; Athénée, XI, c. 4, p. 461 ; Hesychius, s. v. Κρείσσονες ; voy. aussi les passages cités par Meineke, dans son édition de Ménandre, Berlin, 1823, p. 158.