ANTIQUITÉS GRECQUES

DEUXIÈME PARTIE. — LA GRÈCE HISTORIQUE — TROISIÈME SECTION. — CONSTITUTIONS DES PRINCIPAUX ÉTATS DE LA GRÈCE.

CHAPITRE TROISIÈME (SUITE). — ORGANISATION DE LA CITÉ.

 

 

§ 4. — Classifications et corporations.

L’État n’est pas une juxtaposition d’individus isolés. Il se compose de corporations et d’associations grandes ou petites qui en elles-mêmes n’ont qu’une existence purement civile, mais qui, servant de base à l’organisation de la puissance publique, acquièrent par là une importance gouvernementale. La maison et la famille composent déjà une de ces corporations élémentaires sur lesquelles nous aurons l’occasion de revenir, en tant qu’elles sont entraînées dans la sphère d’activité de l’État ; mais avant tout, nous devons mentionner quelques associations dont nous trouvons la liste dans un ancien document attribué à Solon[1], et qui avaient ce privilège que leurs règlements particuliers avaient force de loi, pourvu qu’elles ne fussent pas en opposition avec les lois. En tête figurent les sociétés commerciales qui ne pouvaient manquer d’être nombreuses[2], puis viennent les sociétés organisées en vue de la course, qui, en temps de guerre, équipaient un navire pour donner la chasse aux vaisseaux ennemis[3]. On cite aussi les associations formées par plusieurs familles alliées entre elles, afin d’acquérir en commun une sépulture collective[4]. La loi de Solon signale encore des compagnons de table. Il paraît que souvent des hommes célibataires ou veufs, qui ne tenaient pas maison, quelques-uns même mariés, aimaient mieux prendre leur repas au dehors que chez eux, et formaient des associations de table, comme celle par exemple dont faisaient partie, au rapport de Platon[5], Lysimaque, fils d’Aristide, et Milésias, fils de Thucydide ; leurs jeunes fils assistaient aussi à ces agapes. Il est possible que les réunions dont parle la loi de Solon fussent quelque chose de semblable. Nous sommes mieux renseignés sur les θίασοι, dont il est fait mention dans le même texte. On désignait ainsi des corporations placées sous la protection spéciale de quelque divinité, et qui, pour reconnaître son patronage, avaient institué à des jours déterminés des sacrifices et des banquets. En dehors de ces pratiques religieuses, les θίασοι se livraient à des occupations en commun ou recherchaient ensemble des distractions agréables. Ces collèges étaient régulièrement organisés ; ils avaient des présidents, des administrateurs, des trésoriers, et se distinguaient les uns des autres parles noms des divinités qu’ils invoquaient, ou par le jour où ils célébraient leurs fêtes patronales. C’est ainsi qu’on appelait Nouméniastes ceux qui célébraient la nouvelle lune, Eicadistes ceux pour qui ces fêtes revenaient le 20 de chaque mois[6]. Aux θίασοι on peut rattacher les έρανοι, bien qu’ils n’aient pas place dans le document que nous connaissons. Les έρανοι ne se réunissaient pas seulement pour se divertir, ils étaient aussi une société de secours mutuels, de telle sorte que si l’un des membres tombait dans le besoin, les autres se cotisaient pour le tirer d’embarras, à charge par lui de s’acquitter, si ses affaires se rétablissaient. Ces sociétés avaient aussi leurs présidents (Άρχιερανισταί, Προστάται), des secrétaires, des trésoriers et des syndics ou procureurs. Elles jouissaient de ce privilège qu’en cas de procès, pourvu qu’il se rapportât au but de l’institution, la procédure suivait une marche plus rapide, et que tout devait être terminé dans le délai d’un mois[7]. Ces diverses corporations portaient le nom commun d’hétairies (έταίρειαι)[8], bien que l’on désigne plus particulièrement par là les clubs qui n’étaient pas, comme les έρανοι, des sociétés reconnues et dûment autorisées. Les hétairies politiques n’existaient, que par tolérance et souvent même à l’état de sociétés secrètes, poursuivant leurs projets dans l’ombre. Tantôt il s’agissait de changer la constitution, ou d’assurer le triomphe de tel ou tel parti, tantôt on se bornait à briguer des charges politiques ou à peser sur les décisions des juges[9]. Il ne paraît pas que dans ce dernier cas on ait été très sévère sur le choix des moyens : on ne s’interdisait ni les faux témoignages ni les tentatives de corruption[10].

Les phratries mentionnées aussi dans la loi attribuée à Solon étaient, nous le savons déjà, des subdivisions des quatre anciennes tribus ioniennes, qui chacune en comprenait trois. Le nom d’une seule phratrie, celle des Άχνιάδαι, nous est connu[11]. Il ne faut pas conclure de cette terminaison patronymique que les noms de toutes les phratries eussent une signification analogue. Quelques-unes sans cloute était désignées d’après les localités les plus importantes comprises dans leurs circonscription, comme nous le verrons plus tard pour les dêmes. Clisthène, lorsqu’il institua ses nouvelles tribus, laissa les phratries subsister telles quelles, de sorte que tous liens étaient rompus entre les anciennes divisions et les nouvelles, et que les membres d’une même phratrie pouvaient appartenir à des tribus différentes. Il est certainement inexact que Clisthène ait fondé de nouvelles phratries pour donner place à sa fournée de nouveaux citoyens ; la vraisemblance est au contraire qu’il incorpora ces recrues dans les phratries existantes, qui d’ailleurs eurent, à partir, de ce moment, un caractère beaucoup plus religieux que politique. Il suffit de remarquer actuellement que les enfants étaient inscrits sur les registres des phratries, comme ils le sont aujourd’hui sur ceux de la commune ou de la paroisse[12], avec la différence toutefois que cette formalité n’était en usage que pour les enfants nés dans le mariage. Elle fournissait ainsi un moyen de contrôler la légitimité des naissances. L’inscription devait se faire régulièrement le troisième jour dés Apaturies, que l’on désignait sous le nom de ήμέρα κουρεώτις, mais elle pouvait aussi avoir lieu cil quelques autres circonstances où les phratries avaient occasion de se réunir[13]. Le père présentait l’enfant à l’Assemblée, affirmait sous serment qu’il était né de lui en légitime mariage, et offrait au Dieu protecteur de la phratrie un sacrifice, à ses confrères un banquet. La naissance était consignée par le président de la phratrie (φρατρίαρχης), sur un registre qui s’appelait τό κοινόν ou τό φρατορικόν γραμματεΐον. Les enfants adoptifs étaient présentés aussi dans la phratrie par leur père d’adoption et inscrits de la même manière. Enfin les maris conduisaient à la phratrie la femme qu’ils venaient d’épouser, après quoi ils offraient également un sacrifice et un festin[14]. Peut-être aussi les jeunes gens n’étaient-ils déclarés majeurs qu’après la même cérémonie[15], lorsque l’épreuve dont il a été question plus haut avait été favorable. On sait que pour les fils d’orphelines, appelés à recueillir la fortune maternelle, et pour les orphelins qui entraient en possession de leurs biens, l’épreuve portait en particulier sur leur aptitude à bien gouverner leurs affaires.

Les phratries se subdivisaient en gentes, et chacune parait en avoir contenu trente. Les gentes ne furent atteintes en aucune manière par les innovations de Clisthène. Les nouveaux citoyens n’y furent pas incorporés, parce que l’affiliation n’eut pu se faire sans relâcher, sous beaucoup de rapports, les liens que la religion et le droit civil avaient établis entre leurs membres. Un grand nombre de gentes possédaient à titre héréditaire des dignités sacerdotales, et à défaut de parenté plus proche, les gennètes pouvaient hériter ab intestat. Aussi, dans les temps qui suivirent, les hommes nouvellement nés à la vie civique et qui pouvaient être admis dans la phratrie ne le furent-ils jamais dans la gens, où leurs descendants eux-mêmes n’avaient chance d’être introduits que par adoption. Lorsque par exemple le père avait épousé une femme de vieille bourgeoisie, le grand-père maternel pouvait en l’adoptant présenter l’enfant à la gens ; encore fallait-il sans doute que tous les membres y consentissent. Les inscriptions sur les registres de la gens et sur ceux de la phratrie se faisaient simultanément par le ministère du président de la gens[16]. Chaque gens, outre le culte commun du Zeus protecteur des enclos (έρκεΐος) et de l’Apollon paternel (πατρώος) honorait spécialement telle ou telle divinité, laquelle avait ses prêtres, ses, sanctuaires, ses biens-fonds, une caisse et un trésorier. Il est question aussi de lieus de réunion ou Leschés, dans lesquels s’assemblaient les gentes[17]. Entre les citoyens de fraîche date, à qui étaient fermées les gentes d’origine purement attique, et les descendants, sans cloute très nombreux, rte citoyens naturalisés, se formèrent certainement aussi des associations analogues à celles des gentes. Chaque famille ayant ses sacrifices privés, plusieurs familles issues d’un auteur commun, professaient naturellement le même culte domestique, et il était tout simple que ce lien religieux établit entre elles une sorte de communauté analogue sans doute à la gens, quoique plus circonscrite. Les associés de ces nouvelles confréries étaient désignés non par la dénomination de γεννήται, qui ne fut jamais appliquée qu’aux anciennes gentes attiques, mais par celle d’όργεώνες, que portaient aussi d’autres corporations religieuses. On devine que Ζεύς έρκεΐος était resté la divinité du foyer. Il n’y avait non plus aucune raison d’interdire aux groupes île formation récente le culte d’Apollon πατρώος. Apollon en effet était aussi pour eux la divinité paternelle, en ce senti que, l’auteur de la famille mue fois naturalisé, cette religion s’était transmise à ses descendants, de génération en génération. Dans ces affiliations religieuses, les nouveaux-nés étaient présentés et inscrits comme l’étaient ceux des gennètes dans la gens[18].

Lorsque Clisthène crut devoir, pour les motifs exposés plus haut, faire un nouveau partage de la population, il divisa tout le pays en cent districts[19] qui réunis par dizaines, formaient (les groupes supérieurs, auxquels il donna le nom de tribus, bien que ce nom, à vrai dire, ne s’appliquât pas très justement à une démarcation fondée sur des rapports de localité, et non sur une descendance commune ; mais on trouve ailleurs des exemples de ce même abus de termes. Chaque district formait un dême ; les dêmes étaient désignés en partie d’après les bourgades comprises dans leur circonscription, en partie d’après les gentes tenant un rang considérable, dont les propriétés étaient situées sur leur territoire[20]. Ces diverses dénominations, non plus que celle même de δήμοι, n’étaient pas dues à Clisthène ; avant lui des districts, des villes et des bourgades, avec le territoire attenant, portaient le nom de dêmes, et chaque dême se distinguait naturellement par un nom particulier. L’innovation de Clisthène consista en ceci que le nombre en fut fixé à cent, ce qui entraîna quelques modifications dans les groupements antérieurs. Des petites localités furent réunies ; on agrandit un district aux dépens d’un autre, et tous finirent par avoir non pas exactement, mais à peu près la même étendue. De semblables changements pouvaient se faire sans blesser des droits acquis. Les dêmes de formation récente, érigés en centres administratifs, et dotés de privilèges dont ne jouissaient pas les anciens, étaient évidemment une combinaison toute nouvelle. D’autre part, les liens religieux que pouvaient avoir contractés les membres d’un même district, répartis désormais entre plusieurs dîmes, subsistèrent après la réforme de Clisthène. Au reste, le nombre des dêmes fut encore augmenté plus tard, à la suite de l’accroissement de la population dans certaines localités qui, groupées d’abord pour former une circonscription, purent, avec le temps, en constituer une à elles seules[21]. En différents endroits aussi, des bourgades nouvelles surgirent et amenèrent la division d’un même district en deux dêmes[22], ce qui eut pour conséquence de faire passer un dême d’une tribu dans une autre, afin que pût être maintenu, autant que possible, entre les diverses tribus, l’équilibre de la population. C’était en effet d’après cette base qu’étaient calculés, on le verra plus tard, les droits et les devoirs, c’est-à-dire le nombre des offices publics et les obligations liturgiques. On finit ainsi par compter jusqu’à cent soixante-quatorze dêmes[23], mais l’expression collective des cent héros, par laquelle on désignait les éponymes des dêmes rappela toujours la limite primitive[24]. Le temps amena encore une autre modification. D’après les dispositions de Clisthène ; chacun appartenait au dême dans lequel il avait son habitation ou du moins ses propriétés ; mais plus tard, comme les enfants restaient affiliés au dême dont leur père faisait partie, il arriva souvent que l’on fut compté dans un dême oit l’on n’avait ni propriété ni habitation[25]. Les seuls exemples qui se présentent du passage d’un dême dans un attire sont des cas d’adoption. L’adopté devait suivre nécessairement son père adoptif[26]. Pour personnifier un citoyen d’une manière précise et officielle, on faisait suivre le nom du père par celui du dême. Ainsi on disait Démosthène, fils de Démosthène, [du dême] de Pæania[27].

Les dêmes, comme tous les groupes institués dans les États grecs, étaient organisés surtout en vue des intérêts politiques, on pourrait dire temporels ; ils formaient cependant aussi des associations religieuses ou spirituelles, car il n’y avait pas d’union sans lien religieux. Chaque dême honorait comme éponyme un être- surhumain, quelque héros des vieux âges, en mesure de servir de patron auprès des dieux[28]. Outre ces différents cultes, dont plusieurs, à la vérité, avaient été institués par Clisthène ou même après lui, il y en avait d’autres remontant à une haute antiquité et propres à chaque dême, ou communs à plusieurs d’entre eux. Naturellement les derniers servaient à rapprocher les dêmes que Clisthène avait désorganisés et incorporés dans des tribus différentes[29] ; il n’avait donc pas ébranlé les institutions religieuses. L’exercice de ces cultes particuliers était confié à des prêtres dont la nomination dépendait à la fois du choix et du hasard. Les démotes élisaient un certain nombre de candidats entre lesquels le sort prononçait[30]. La plus haute autorité était celle du démarque, qui probablement était nommé au choix : il y avait en outre pour le maniement et la bonne administration des finances des trésoriers            des contrôleurs (άντιγραφεΐς), des vérificateurs (εύθυνοι)[31]. Les dêmes, en effet, outre les bâtiments et les domaines affectés aux usages religieux, possédaient des propriétés qui permettaient de fournir aux dépenses publiques. Ces propriétés étaient affermées, et le loyer en était versé dans la caisse commune. Une contribution foncière était prélevée aussi sur lesbiens qu’un citoyen possédait dans un dême qui n’était pas le sien (έγκτητικόν), et avec d’autres impôts calculés d’après le revenu, servait à l’entretien du culte et aux frais de l’administration.

Les démotes ou citoyens du même dême devaient s’assembler souvent pour délibérer sur les affaires publiques, élire les magistrats et pourvoir à tout ce que de besoin. Les réunions étaient désignées par le vieux mot d’άγοραί, non par celui d’έκκλησίαι, que l’on réservait pour les assemblées populaires d’Athènes. Les séances dans lesquelles on conférait le droit de cité aux jeunes citoyens et celles où les listes étaient révisées étaient surtout intéressantes, au point de vue général de l’État. L’inscription des éphèbes avait lieu, on l’a vu plus haut, dans leur dix-huitième année, et paraît avoir Coïncidé avec l’élection des magistrats[32]. Les éphèbes étaient immatriculés, après examen, sur un registre tenu par le démarque et appelé ληξιαρχικόν γραμματεΐον, sans doute parce que, à partir da ce moment, ils devenaient aptes à recueillir les héritages qui leur étaient échus. Il fallait toutefois, pour prendre une part active aux assemblées, réclamer une seconde inscription sur un autre registre (πίναξ έκκλησιαστικός)[33], laquelle inscription n’avait lieu vraisemblablement qu’après deux années passées dans le corps des περίπολοι. Dès lors l’assistance aux assemblées n’était pas seulement un droit, mais un devoir. On révisait les listes à des époques indéterminées, quand on avait des raisons de soupçonner que certaines inscriptions avaient été faites sans droit. Dans ce cas, les noms étaient appelés successivement, et à chacun d’eux, l’on demandait s’il ne soulevait pas d’objections. Il fallait naturellement le temps de discuter les motifs pour et contre ; ce qui ne pouvait se faire en une seule séance[34]. Si, quand le vote était défavorable, l’intéressé y donnait son assentiment, le verdict n’entraînait d’autre conséquence que la radiation et la perte des droits civiques ; lorsque, au contraire, la décision des démotes était contestée et soumise au tribunal des Héliastes, l’appelant convaincu d’avoir violé la loi, était dépouillé de sa liberté ci, vendu comme esclave public. Les démotes se réunissaient toujours dans le chef-lieu de leur district, et non dans la capitale, à moins que le dême ne comprît une partie de la ville, ce qui se présenta assez souvent, à mesure qu’elle s’agrandit[35].

Les tribus de Clisthène étaient, on le sait, formées par la réunion de dix dêmes. On ne voit pas clairement d’après quel principe les dêmes étaient répartis entre les tribus ; ce qui est certain, c’est qu’ils pouvaient être limitrophes sans faire partie d’une agrégation commune, et qu’une même tribu comprenait des dêmes éloignés l’un de l’autre et séparés par des cantons affiliés à d’autres tribus[36]. Clisthène sans doute avait voulu éviter par là que, dans les délibérations des tribus, les intérêts locaux prévalussent sur les intérêts généraux du pays. Les tribus portaient des noms d’anciens héros : elles s’appelaient Erechtheïs, Ægeïs, Pandionis, Léontis, Akamantis, Œneïs, Kekropis, Hippothontis, Æantis, Antiochis. Nous observons ici l’ordre traditionnel dans lequel elles étaient rangées, mais cette succession ne préjugeait rien pour les prérogatives et les charges afférentes à chacune d’elles, qui paraissent avoir été fiées tous les ans par la voie du sort[37]. Les statues des héros éponymes dont les noms précèdent décoraient la place publique d’Athènes ; à leurs pieds étaient affichés tous les avis par lesquels le public était informé de ce qu’il avait intérêt à connaître. Chaque tribu vouait à son éponyme un culte qui avait ses prêtres, ses sanctuaires et ses bois sacrés (τεμένη)[38]. Nous ne trouvons désignés comme fonctionnaires spécialement attachés aux tribus que les présidents (έπιμεληταί) et les trésoriers (ταμίαι), dans la caisse desquels on versait les revenus des biens-fonds appartenant à la tribu et les contributions de ses membres[39]. Les assemblées de la tribu étaient, comme celles .du dême, désignées par le mot άγοραί ; mais elles étaient toujours tenues dans Athènes, le peu de cohésion de la tribu ne permettant pas de trouver ailleurs un point qui pût en être considéré comme le centre[40]. On ne se désintéressait pas dans ces réunions des affaires générales[41] ; on y déléguait par exemple des inspecteurs chargés de veiller à la conservation des monuments publics, tels que les murailles de la ville, les fortifications, les tombeaux, ainsi qu’à l’entretien des routes et des bâtiments de guerre. Les assemblées des tribus désignaient aussi les liturges, c’est-à-dire les citoyens qui, dans les fêtes publiques, avaient la charge d’organiser les exercices gymniques, les représentations théâtrales ou les banquets, et, d’y pourvoir en grande partie. On ne sait si les membres du Sénat, dont chaque tribu fournissait cinquante, étaient élus dans ces assemblées, mais la question doit être résolue négativement pour les collèges de magistrats, dont plusieurs étaient composés de dix membres, représentant chacun une tribu.

On a vu qu’antérieurement à Clisthène les quatre tribus se subdivisaient en quarante-huit naucraries, douze dans chacune. Clisthène conserva cette organisation, en ce qu’elle avait d’essentiel, et se borna à porter le nombre des naucraries à cinquante, pour le mettre en rapport avec celui des nouvelles tribus[42]. Nulle part il n’est dit, mais on n’en peut guère douter, que deux dêmes formassent une naucrarie. L’importance des naucraries souffrit de ces remaniements : On sait en particulier que des affaires qui étaient autrefois de la compétence des naucrares passèrent aux démarques[43]. Les démarques ayant désormais dans leurs attributions tout ce qui concernait les finances et la police, les naucrares n’eurent plus à s’occuper que des prestations publiques, surtout de celles qui avaient pour objet l’entretien de la flotte et peut-être de la cavalerie, d’où vient sans doute qu’ils sont assimilés aux triérarques, et que les naucraries sont présentées comme quelque chose d’analogue aux symmories[44]. Sans être à même de dire au juste ce que dura cette magistrature, on peut affirmer qu’elle ne subsista pas au delà du développement nouveau dont la flotte fut redevable à l’impulsion de Thémistocle. A partir de ce moment, les frais des constructions navales furent supportés par l’État. Une caisse spéciale fut instituée à cet effet, et confiée à un trésorier. Dix τριηροποιοί, nommés par les tribus, étaient chargés de pourvoir au renouvellement de la flotte, sous la surveillance du Sénat.

On ignore si Clisthène établit aussi des trittyes (τριττύες). Ce nom avait désigné jadis le tiers de l’ancienne tribu, formé par la réunion de quatre naucraries. Ces anciennes trittyes cessèrent naturellement d’exister. Plus tard nous en retrouvons d’autres, composées de même avec le tiers de la tribu réorganisée par Clisthène[45], mais tout ce que nous en savons, c’est qu’elles avaient surtout pour objet l’entretien de la marine et le service militaire.

 

 

 



[1] Digeste, XLVII, 22, de Collegiis et Corpor., fragm. 4. Le texte de cette loi est incertain en plusieurs passages. Je me suis contenté d’en extraire les indications relatives aux corporations politiques, sur lesquelles aucun doute ne peut être élevé.

[2] Voy. la loi είς έμπορίαν οίχόμενοι ; cf. Harpocration, s. v. κοινωνίκων : κοινωνίαν έμπορίας συνθέμενοι.

[3] Voy. la loi είς λείαν οίχόμενοι ; cf. Schœmann, Antiq. Jur. publ. Gr., p. 368, n. 8.

[4] Démosthène, c. Macartatos, § 79, et c. Eubulide, § 67 : οΐς ήρία ταύτά.

[5] Platon, Lachès, p. 179 B.

[6] Voy. Antiq. Jur. publ. Gr., p. 305, n. 4.

[7] Att. Process, p. 541.

[8] Digeste, XLVII, 22, 3, 1 : Sodales sunt qui ejusdem collegii sunt, quam Græci έταιρίαν vocant.

[9] De là les expressions de Thucydide (VIII, 54) : συνωμοσίαι έπί δίκαϊς καί άρχαϊς.

[10] Démosthène, c. Midias, § 139 ; c. Zénothémis, § 10 ; c. Pantænétos, § 39 ; c. Bœotos, de dote, § 9, et de Nom. , § 2, 13 et 18.

[11] Bœckh, Corp. Insc. Gr., n° 469.

[12] Avec cette différence toutefois qu’aujourd’hui les enfants illégitimes sont inscrits comme les autres, avec mention de cette irrégularité.

[13] Isée, Or. 7, § 15.

[14] Isée, Or., 3, 5 76 ; voy. aussi le Comment. de Schœmann, p. 263.

[15] Pollux, VIII, 108 ; voy. aussi Schürer, Demosth. etc., t. III, 2, p. 21. La chose toutefois est loin d’être claire ; cf. Antiq. Jud. pub. Gr., p. 208, n. 20.

[16] Isée, Or., 7, § 15. — Le président de la Gens est appelé άρχων τοΰ γένους, dans un tableau de la Gens amynandride, où sont signalés aussi un ίερεύς Κέκροπος et un ταμίας ; voy. Ross, die Demen v. Attika, p. 28.

[17] Proclus, Comment. sur Hésiode, Op. et Dies, v. 492.

[18] Vov. Isée, Or., 2, 3 14., avec le Comment. de Schœmann p. 208 ; cf. Verfassungsgesch. v. Athens, p. 67, et Philippi, Beitræge, etc., p. 205.

[19] Ce nombre, appuyé sur la véritable interprétation d’un passage d’Hérodote (V, 60) a été contesté par quelques critiques modernes, mais sans raison suffisante.

[20] Un peut citer comme exemples de noms géographiques, Marathon, Œnoé, Bésa, Lamptra, Eleusis ; pour les noms patronymiques, Butadæ, Thymætadæ, Cothocidæ, Perithoedæ, Semachidæ. J’ai déjà remarqué ailleurs (Antiq. Jur. publ. Gr., p. 201, n. 5), que les dêmes désignés par des noms patronymiques étaient situés surtout dans la partie de la contrée habitée par les Géléontes, c’est-à-dire par la tribu qui comprenait le plus grand nombre de familles nobles.

[21] C’est ce qui parait être arrivé par exemple à Brauron qui antérieurement appartenait au dême Philaïdæ.

[22] Voy. Ross, Demen, c. 3.

[23] Strabon, IX, 4, p. 396.

[24] Hérodien, περί μονήρ. λέξεως, p. 17, 8.

[25] Voy. de Comitiis Athen., p. 366.

[26] Démosthène, c. Léocharès, § 21 et 34.

[27] Pour certains dêmes, la terminaison adverbiale est usitée à la place de la terminaison adjective. Ainsi on dit Κολωνήθεν, non Κολωαΐος. Pour d’autres, on emploie la préposition έξ, par ex. έξ Οΐου. Cette forme est la seule employée, lorsqu’il s’agit d’une femme ; voy. Franz, Elem. Epigr. Gr., p. 339.

[28] Voy. pour plus de détails Sauppe, de Demis urbanis, dans un progr. du gymnase de Weimar, 1846.

[29] Ainsi les deux dêmes Semachidæ et Plotheeis avaient avec un troisième, dont le nom est inconnu, un culte commun, bien que le premier appartint à la tribu Antiochis et le second à la tribu Ægæis. De même les dêmes de Phalère, du Pirée, de Thymætadæ, de Xipélé avaient un même sanctuaire, consacré à Héraklès, et cependant le premier faisait partie de la tribu Aerantis, le deuxième et le troisième de la tribu Hyppothontis, le quatrième de la tribu Cécropis.

[30] Démosthène, c. Eubulide, § 46.

[31] Voy. Schœmann, Antiq. jur. publ. Gr., p. 204.

[32] Voy. Schœmann, dans ses Notes sur Isée, p. 369. On ne sait rien de précis sur le moment où avaient lieu ces réunions électorales ; voy. Opusc. acad., t. I, p. 289, et Schürer, Demosth. und seine Zeit, t. III, 2, p. 28. l’opinion reprise tout récemment, à savoir que Démosthène (Contre Léocharès, § 39), et Isée (VII, § 28), ont voulu parler des assemblées générales du peuple, non des assemblées électorales, n’a aucune espèce de fondement.

[33] Démosthène, c. Léocharès, § 35.

[34] Démosthène, c. Eubulide, § 9.

[35] Étaient dans ce cas les dêmes urbains de Kérameis, Médité, Dioméa, Kollytos, Kydathénaion, Skambonidæ ; voy. Sauppe, de Demis urbanis, et Meier, dans l’Allg. litt. Zeitung. de Halle, 1846, p. 1082.

[36] Voy. Schœmann, Antiq. Jur. publ. Gr., p. 201, n. 2, et Grote, Hist. de la Grèce, IV, p. 105.

[37] Voy. Bœckh, Corp. Inscr. Gr., t. I, p. 153, 234 et 299.

[38] Ibid., p. 175 ; cf. Kœhler, dans l’Hermès, L. V, p. 339.

[39] Voy. Corp. Inscr. Gr., t. I, p. 142, n. 104 ; Rangabé, Ant. Hell., 174, n. 476.

[40] Voy. Sauppe, de Demis. urb., p. 20 ; Meier, dans l’Allg. litt. Zeit, 1846, p. 1088.

[41] Voy. Schœmann, de Comit. Athen., p. 374 ; Bœckh, Staatshaush. der Athen., t. I, p. 593 et 619.

[42] Photius, s. v. ναυκραρία, d’après Klidemus.

[43] Harpocration, s. V. δήμαρχος et ναυκραρία ; Schol. d’Aristophane, Nubes, v. 37 ; Photius, s. v. ναυκραρίκα ; Pollux, VIII, 103.

[44] Photius, ibid. ; Lexicon Seguer., p. 283.

[45] Démosthène, de Symmoriis, § 23 ; Eschine, c. Ctésiphon, § 30 ; cf. Platon, de Republ., V, p. 475, où les trittyarques sont présentés comme les lieutenants des stratèges. Des trittyarques sont mentionnés dans des inscriptions datant de la 2e année de la 120e et de la 121e olympiade ; voy. Rangabé, Antiq. Hellen., n° 443 et 2298. Une autre inscription de date plus ancienne (ibid., n° 448) cite une Έπακρέων τρίττύς, sans décider la question de savoir si les Épacriens formaient une trittys, ou si la trittys était une division des Épacriens. Cf. Ross, Demen, p. 8, et Haase, Stammverfassung, p. 70.