ANTIQUITÉS GRECQUES

DEUXIÈME PARTIE. — LA GRÈCE HISTORIQUE — TROISIÈME SECTION. — CONSTITUTIONS DES PRINCIPAUX ÉTATS DE LA GRÈCE.

CHAPITRE PREMIER. — CONSTITUTION DE SPARTE.

 

 

§ 9. — Magistratures secondaires.

Les sources dont nous pouvons disposer ne nous fournissent sur les magistratures secondaires que des renseignements incomplets. Mentionnons d’abord les pythiens ou poithéens[1], chargés d’assister les rois dans leurs attributions religieuses, parmi lesquelles étaient compris les rapports avec l’Apollon de Delphes. On sait que la constitution de Lycurgue était placée sous la sanction du dieu ; aussi les oracles étaient-ils toujours invoqués dans les circonstances importantes. Les pythiens étaient les intermédiaires de ces communications. Chacun des deux souverains en nommait deux, qui faisaient le voyage de Delphes, rapportaient les réponses de la Pythie et les conservaient de concert avec les souverains, depuis que s’était établi l’usage de les consigner par écrit. Les pythiens appartenaient à l’entourage le plus intime des rois ; ils étaient leurs compagnons de table, et comme tels nourris aux frais du public[2]. Les augures, dont on ne saurait déterminer le nombre, étaient aussi adjoints aux irais, avec mission de les assister dans les sacrifices, soit à l’intérieur, soit au dehors en temps de guerre, et d’interpréter les signes célestes. Le caractère sacerdotal des rois permet aussi de considérer comme leurs subordonnés les prêtres attachés aux différents sanctuaires, qui probablement recevaient leur investiture de l’autorité royale.

Il est rare cependant qu’il soit fait mention’ de prêtres à Sparte, à moins que l’on appelle de ce nom le πυρφόρος qui lorsqu’on partait en campagne, portait devant les troupes le feu recueilli sur l’autel où le roi venait de sacrifier à Zeus Agétor, et que certains critiques considèrent comme attaché au culte d’Arès[3]. — En dehors du pyrphoros, nous ne trouvons mentionnées que des prêtresses, en particulier celle d’Arthémis Orthia, de Dionysos et des Leucippides, Phœbé et Hilaïra[4]. — Dans les relations diplomatiques les rois avaient pour auxiliaires les πρόξενοι, chargés d’exercer l’hospitalité envers les ambassadeurs étrangers[5]. Les rois choisissaient eux-mêmes les proxènes, dont le nombre était indéterminé. — Les lieutenants des rois, dans l’ordre militaire, étaient d’abord les polémarques, au nombre de six, du moins au temps de Xénophon[6], qui avaient eux-mêmes sous leurs ordres les λοχαγοί, les πενρηκοστήρες et les ένωμοτάρχαι, sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir. Les commandements étaient donnés en temps de paix, aussi bien qu’en temps de guerre, car le peuple spartiate était une armée permanente, toujours prête à entrer en campagne, et dont les cadres devaient être constamment formés. Nous savons d’ailleurs que les polémarques en particulier étaient chargés de veiller sur les syssities. On ignore si la nomination de ces officiers appartenait aux rois, au peuple assemblé ou aux éphores[7]. Contrairement à ce qui se passait pour les autres, les stratèges, c’est-à-dire les chefs des armées qui n’étaient pas commandées par l’un des rois, n’étaient choisis que pour la durée de la guerre. Ils étaient nommés par le peuple ou par ses fondés de pouvoir, les éphores. Il en était de même des ναύαρχοι ou amiraux, depuis que les Spartiates entretenaient des forces navales. Ce fut par exception que le commandement des armées de terre et de mer se trouva réuni dans les mains d’Agésilas[8]. Aristote blâme même la situation trop indépendante faite aux navarques qui semblaient constituer une seconde royauté, à côté de la véritable. II est vraisemblable, bien que cela ne soit pas prouvé, que la durée de leur commandement ne dépassait pas une année. On cite une loi d’après laquelle le même citoyen ne pouvait en être investi qu’une seule fois, loi qu’il était facile d’ailleurs d’éluder, en adjoignant au navarque un lieutenant qui, avec l’apparence de la subordination, était en fait muni de pleins pouvoirs ; c’est à quoi servait l’έπιστολεύς[9]. Il a été question plus haut des vingt harmostes, gouverneurs présumés des districts dévolus aux Périèques.

En ce qui concerne les magistratures urbaines, nous devons signaler : 1° Les empélores (έμπέλωροι) qui, ainsi que leur nom l’indique, avaient la police des marchés, et que l’on peut comparer aux agoranomes des autres États. On a supposé sans raison qu’ils étaient au nombre de cinq[10] : 2° les armosynes (άρμόσυνοι), dont on ne sait rien, si ce n’est qu’ils paraissent, avoir été chargés surtout de veiller sur les mœurs des femmes[11] : les nomophylaques (νομοφύλακες), dont le nom indique aussi un droit de contrôle, sans que l’ont sache sur quoi ce contrôle portait, ni même si cette institution remontait à l’antique législation de Sparte, attendu qu’elle n’est mentionnée que par un écrivain du second siècle après Jésus-Christ[12] : le pædonome (παιδονόμος) préposé à la discipline des éphèbes, dont au contraire les importantes fonctions étaient certainement aussi vieilles que la Constitution de Lycurgue. Il en était de même des bidéens ou bidyens (βίδεοι ou βιδιαΐοι), chargés de veiller aussi, sous la direction du pædonome, à l’éducation de la jeunesse[13]. Nous ne savons ni par qui ni de quelle manière étaient nommés ces magistrats, non plus que ceux qui précèdent. Une seule chose est certaine, c’est que leur nomination n’était pas laissée au sort[14]. Il y a lieu de citer encore les ίππαγέται et les άγαθοεργοί qui, au moins sous tilt certain rapport, rentrent dans la classe des magistrats. Parmi les hommes qui allaient atteindre leur trentième année, ou qui l’avaient dépassée de très peu[15], les éphores en choisissaient trois, qui à leur tour désignaient cent élus pris entre les citoyens un peu plus jeunes, en ayant soin d’énoncer les motifs de leur préférence, afin d’échapper au soupçon de partialité. Le bataillon ainsi trié réunissait la fleur de la jeunesse. Tous ceux qui le composaient avaient le titre honorable de chevaliers (ίππεΐς) et marchaient, sous la conduite des trois ίππαγρέται. Ces noms remontent sans doute à un temps où les hommes qui les portaient combattaient à cheval, mais alors ils servaient comme hoplites[16]. C’était d’ailleurs un titre purement honorifique ; nulle part il n’est question de privilèges qui auraient mis les chevaliers légalement hors de pair parmi les citoyens de même âge. Cependant, lorsqu’ils étaient réunis, et formaient un corps compacte, ils exerçaient naturellement une certaine influence sur les affaires publiques. C’est ainsi sans doute que doit être entendu un passage d’un écrivain fort peu autorisé, il est vrai[17], d’après lequel ils auraient formé un ordre distinct, destiné à maintenir l’équilibre entre les pouvoirs, en venant à l’aide de celui qui était menacé par les empiètements des autres. Les éphores choisissaient chaque année, entre ceux qui quittaient ce corps d’élite, après leurs trente ans accomplis, et entraient dans la classe dés hommes faits, les cinq άγαθοεργοί, agents publics appelés à remplir différentes fonctions, notamment des missions au dehors[18].

Nous sommes plus à court encore de renseignements sur les charges subalternes ; il convient cependant de mentionner les hérauts publics, tous pris de père en fils dans la famille des Talthybiades[19], qui devait appartenir à la race achéenne, puisqu’elle se disait issue du héraut des Atrides, Talthybios ; peut-être avait-elle été admise depuis dans la Cité spartiate[20]. Les fonctions de joueurs de flûte, dont on utilisait les talents dans les fêtes et dans les combats, étaient également héréditaires, ainsi que celles des cuisiniers chargés de préparer les repas en commun[21], qui comme eux appartenaient à la classe des Périèques. La préparation des mets et des vins était placée sous le patronage des trois héros Dæton, Matton et Kéraon, dont les sanctuaires étaient situés dans la rué des Hyacinthies[22]. Faut-il supposer qu’il y avait aussi trois familles distinctes, occupées à préparer les viandes, à cuire le pain et à mélanger le vin, ou que les membres d’une même famille se partageaient ces diverses attributions ? c’est là une question dont j’avoue que l’intérêt m’échappe[23].

 

 

 



[1] Voy. Photius et Suidas, au mot πύθιοι.

[2] Hérodote, VI, 57.

[3] O. Muller, Dorier, II, p. 240.

[4] Pausanias, III, 16, 7, 13, § 5, et 16, § 1. Sur les prêtresses et les prêtres mentionnés dans des inscriptions postérieures, voy. Bœckh, Corpus Inscr. gr., I, p. 610.

[5] C’est du moins l’idée la plus vraisemblable que l’on puisse se faire de ces fonctionnaires, qui ne sont mentionnés que dans un passage d’Hérodote (VI, 57) ; cf. Meier, de Proxenia, p. 4. Il n’est pas douteux qu’en dehors de ces πρόξενοι, un État étranger ait pu, en signe d’honneur, choisir un Spartiate quelconque pour proxène. On en voit un exemple dans une inscription attique de la 102e ou de la 103e Olympiade, publiée par Rangabé (Antiq. Hellen., II, 4.0 385). Cf. Schæfer, Demosthen., I, p. 68.

[6] Xénophon (Hellen., V., 4, § 14) cite aussi une fois des συμφορεΐς τοΰ πολεμάρχου dont nous ne pouvons apprécier la situation ni l’importance.

[7] O. Muller l’attribue aux rois (Dorier, II, p. 239.)

[8] Aristote, Polit., II, 6, § 22.

[9] Plutarque, Lysandre, 7 ; Xénophon, Hellen., I, 1, § 23 ; II, I, § 7 ; IV, 8, § 11 ; V, I, § 5 et 6 ; Jul. Pollux, I, 96.

[10] Cette supposition ne repose en effet que sur les inscriptions certainement apocryphes de Fourmont. Hesychius, au mot έμπέλοιροι, ne donne aucune indication de nombre.

[11] Voy. Hesychius au mot άρμόσυνοι.

[12] Pausanias, III, 11, § 2, les nomophylaques soit cités aussi dans des inscriptions relativement récentes.

[13] Plutarque, Lycurgue, 17 ; Xénophon, Resp. Laced., 2, 3 2 ; Pausanias, III, 11, § 2 ; cf. Bœckh, Corp. insc. gr., t. I, p. 88 et 609.

[14] Aristote, Polit., IV, 7, § 5 ; Isocrate, Panathen., 153.

[15] C’est ce qu’indique l’expression de Xénophon (Resp. Laced., 4, § 3) έκ τών άκμαζόντων.

[16] Chez les Thébains, les soldats du bataillon sacré s’appelaient ήνίοχοι et παραβάται, en souvenir des chars sur lesquels on combattait jadis, bien que cet usage fût depuis longtemps tombé en désuétude. Voy. Diodore, XI, 70 ; Plutarque, Pélop., 18 et 19.

[17] Voy. un passage du Pseudo-Archytas, cité par Stobée (Florileg., 43, 134, p. 168, éd. Gaisford), où les membres de cette corporation sont appelés κόροι. Les mots άρχή τών ίππέων qu’emploie l’historien Éphore, dans un fragment rapporté par Strabon (l. X, p. 484), ont trait évidemment aux trois hippagrètes désignés aussi dans les lexiques de Timée et d’Hesychius par les mots άρχή et άρχουντες.

[18] Hérodote, I, 67 ; cf. Suidas s. v. άγαθοεργοί, et Lex. Seguer., p. 209 et 333.

[19] Hérodote, VII, 134.

[20] Voy. O. Müller, Dorier, II, p. 31, dont je ne puis cependant partager le sentiment au sujet de Sperthias et de Boulis, qu’il considère comme des Talthybiades.

[21] Hérodote, VI, 60.

[22] Athénée, IV, 74, p. 173, et II, 39, p. 9.

[23] Les όψοποιοί ou préparateurs de viande dont parle Agatharchidès, dans Athénée (XII, 711, p. 550) doivent être certainement compris parmi les μάγειροι que mentionne Hérodote (VI, 60), et puisque cet historien cite les μάγειροι, les hérauts et les joueurs de flûte comme avant seuls sur leurs fonctions un droit héréditaire, il est difficile d’admettre que des familles fussent désignées spécialement pour se transmettre de père en fils les offices de boulanger ou de sommelier. L’opinion d’O. Muller, qui déclare héréditaire à Sparte presque toutes les professions, est moins acceptable encore.