ANTIQUITÉS GRECQUES

DEUXIÈME PARTIE. — LA GRÈCE HISTORIQUE — PREMIÈRE SECTION. — CARACTÈRE GÉNÉRAL DE LA CITÉ GRECQUE.

CHAPITRE SIXIÈME. — IDÉE DE L’ÉTAT - ANTAGONISME DES PARTIS.

 

 

Donc la religion offrait peu de ressources pour affermir ou développer la moralité des citoyens, et d’autre part, il faut bien reconnaître que les institutions purement civiles étaient loin de réaliser l’idéal des politiques, d’après lequel l’État a le devoir de venir en aide au progrès moral de l’humanité. Platon, tout convaincu qu’il était que l’homme est créé pour l’État et ne peut accomplir sa véritable destination que dans une Cité bien ordonnée, pensait avec tristesse qu’un philosophe seul pouvait se résoudre à embrasser la vie publique ; et comme aucun des États existants ne lui paraissait répondre même imparfaitement à son objet, Platon allait plus loin, et estimait que l’ami de la sagesse devait lui-même se tenir à l’écart des affairés, plutôt que de s’y consacrer sans succès et sans espérance. Avait-il raison, ou devons-nous adhérer au jugement ; de Niebuhr, qui lui refuse le titre de bon citoyen ? Nous n’avons pas à traiter cette question, mais il faut reconnaître d’une part que la Cité dont Platon a tracé le modèle est absolument irréalisable dans les conditions dont l’humanité ne peut s’affranchir, de l’autre que son appréciation sur les cités grecques qu’il a pu observer ne saurait être contredite. Outre que la communauté civile proprement dite, c’est-à-dire la bourgeoisie, était bornée à une très faible partie de la population, que même dans les États les plus populaires elle eut fait à nos modernes démocrates l’effet d’une intolérable oligarchie, il est certain que cette société restreinte réalisait un très petit nombre des conditions qui sont le but et l’essence de l’État. Presque toujours le bien public y est subordonné à l’intérêt privé des hommes qui détiennent le pouvoir. Le bien public, d’accord avec la justice, demande en effet que tous les associés jouissent de la liberté et des droits dont ils sont capables, et comme ce rapport varie suivant les différents degrés de civilisation, la constitution doit aussi se modifier avec le progrès des temps. Par malheur, ce travail de perfectionnement échoue contre l’égoïsme de ceux dont l’ordre de choses établi assure la prépondérance. Pour le défendre, on s’organise en coteries, dont le but suprême est la conservation de leurs privilèges. Peu de gens sont disposés à sacrifier des prétentions autorisées par l’usage, et tandis que l’on repousse obstinément des réformes réclamées d’autre part avec insistance, des conflits éclatent, dans lesquels les passions opposées franchissent trop souvent toute limite. L’histoire de la Grèce offre une suite non interrompue de luttes et de révolutions qui jettent l’État dans les extrémités contraires. Quelquefois cependant sont sortis de cet antagonisme des gouvernements sagement équilibrés qui tiennent, autant que possible, compte de tous les droits. Mais s’ils satisfaisaient pour un temps la génération qui les avait enfantés, une autre génération succédait, pour laquelle ils ne réalisaient déjà plus l’idée de la justice. Ainsi la constitution qui avait été relativement la meilleure ne pouvait conserver longtemps son prestige, et ceux qui prétendaient la maintenir indéfiniment entraient à leur tour en révolte contre la loi naturelle du progrès. Pour conclure, les Grecs se sont appliqués, avec une conscience plus ou moins claire de l’objet qu’ils poursuivaient, à mettre en pratique l’idéal d’un bon gouvernement, et ont approché du but quelquefois ; mais le succès a été court, et la plus grande partie de leur histoire est remplie par des luttes qui n’ont guère eu d’autre résultat que de servir les intérêts des factions.