L'ÉPOPÉE BYZANTINE À LA FIN DU DIXIÈME SIÈCLE

Troisième partie

CHAPITRE PREMIER

 

 

Basile II, une des plus grands parmi les souverains de Byzance, avait porté à nouveau, durant son règne de près de soixante années, la puissance des successeurs de Constantin à un degré inouï, inconnu depuis les temps glorieux de Justinien.

Tous les adversaires les plus redoutables de l’Empire avaient été successivement, détruits, abattus ou soumis. Le Trésor regorgeait d’or. Tous les souverains étrangers sollicitaient le titre d’alliés de l’Empire. Et cependant, à peine le héros septuagénaire fut-il couché dans la tombe que l’éclatant soleil qui avait si longtemps brillé sur la Ville gardée de Dieu commença à s’obscurcir. De lourds nuages s’accumulèrent presque aussitôt à l’horizon, sinistres avant-coureurs des pires tempêtes.

Tous les chroniqueurs byzantins, Skylitzès, Zonaras, Glycas, Psellos aussi, bien qu’avec des réticences, celui-là exactement contemporain et témoin oculaire du règne, nous tracent de Constantin VIII un portrait infiniment peu flatteur à la date où, par la mort de son frère, le grand basileus Basile II, qui l’avait, on se le rappelle, solennellement désigné pour son successeur, il demeura, étant pour lors âgé d’environ soixante-cinq ans,[1] le seul maître de l’immense Empire victorieusement restauré et relevé par ce dernier. Il fut proclamé basileus unique immédiatement après la mort de son aîné.[2] J’ai tracé déjà, surtout d’après Psellos, dont le témoignage est ici si important, la description aussi complète que possible de ce caractère lamentablement faible. Constantin VIII, disent à l’envi les chroniqueurs, à l’opposé tout à fait de son illustre frère, était de nature infiniment molle, indolente,[3] très efféminée, de vie étrangement dissipée et oisive. Aussi Basile n’avait-il jamais consenti à l’associer au pouvoir effectif. Extrêmement enclin à toutes les sortes de jouissances, il se plaisait particulièrement aux spectacles, aux divertissements licencieux. Sans cesse environné d’un groupe de familiers détestables, presque tous de basse extraction, il aimait à assister en leur compagnie aux courses de chevaux ou de chars, à tous les spectacles excitants de l’Hippodrome de Constantinople, aux représentations le plus souvent honteuses des mimes et des baladins, passant ses jours à festoyer, à chasser, ses nuits à boire, à jouer aux dés. Il était avare, de nature très emportée. A son avènement, il trouva le trésor de l’Empire rempli des sommes énormes[4] accumulées par son frère et ne sut qu’en faire le pire usage, dissipant presque incontinent ces immenses richesses. Il n’était pas précisément lâche, mais son âme était vile, fuyant toute peine. Bien qu’il fut de prestance superbe, de très haute taille, bien constitué, d’essence très robuste, il ne pouvait supporter sans fatigue le poids de son armure de mailles. Le son des instruments guerriers lui était, parait-il, insupportable.

J’ai dit, dans la première partie de cette histoire, combien son rôle avait été effacé durant le règne si long de Basile. Maintenant sa santé jadis excellente était devenue à tel point mauvaise par l’âge, la goutte et les excès, qu’il était parfaitement incapable de conduire au combat les armées impériales.

Je n’hésite pas à reproduire presque en entier la description si vécue que Psellos nous fait de ce prince: « Il était, nous dit-il, d’une volonté si faible que le pouvoir n’avait pour lui guère d’attraits. Bien qu’elle habitat un corps robuste, son âme était timide. Trop âgé déjà, lors de son avènement, pour diriger en personne les guerres de l’Empire, il se dédommageait de cette infériorité en se montrant dur à l’excès à la moindre nouvelle fâcheuse. Au lieu de combattre les nations barbares les armes à la main, il préférait les empêcher de nous faire la guerre en distribuant aux chefs des dignités et des présents. D’autre part, il traitait avec la dernière rigueur ses sujets rebelles, les faisant châtier et mutiler cruellement. Plus prompt à la colère que quiconque, il ajoutait foi à toutes les calomnies, accablant de ses cruautés tous ceux qu’il soupçonnait d’aspirer au pouvoir. Il ne combattait pas ceux-ci à ciel ouvert, face à face; il ne leur infligeait ni l’exil, ni la prison, mais de suite il leur faisait crever les yeux! Insouciant de toute équité dans la distribution des châtiments, il punissait avec une égale sévérité les plus vénielles comme les plus coupables fautes, aussi inexorable pour l’intention seule du crime que pour le crime accompli. Son but unique était de s’assurer ainsi la tranquillité la plus complète au prix de ces condamnations foudroyantes autant que draconiennes qui paralysaient et détruisaient instantanément toute hostilité, même naissante. Il traitait avec la même dureté les plus grands et les plus petits, n’épargnant pas les hommes d’Église, pas même les plus hauts placés. Une fois qu’il s’était mis en colère, il devenait presque impossible de lui faire entendre raison. Malgré ce caractère essentiellement irascible, il n’était pas étranger à toute pitié. Il savait se montrer compatissant pour les grandes infortunes, l’ami des malheureux. Il n’avait du reste pas la rancune opiniâtre comme son frère Basile. Ses irritations les plus violentes étaient de courte durée. Il se repentait alors amèrement des cruautés qu’il avait commises. Si, dans le cours de sa fureur, quelqu’un parvenait à lui faire entendre raison, loin d’en vouloir plus tard à celui-ci ou de le faire punir, il lui savait gré de l’avoir empêché de sévir. Par contre, si personne ne parvenait à se mettre en travers de sa colère, il brisait tout. Mais tout de suite aussi la raison lui revenait. Il regrettait alors sa folie, se jetait en pleurant dans les bras de celui qu’il avait maltraité et s’efforçait de justifier ses actes par des accents tels qu’ils faisaient couler les larmes des yeux de ses propres victimes.

« Il avait la main large à faire le bien,[5] plus peut-être qu’aucun autre basileus, mais cette bienfaisance n’était jamais ni équitable, ni égale. Il comblait de ses munificences ceux qui l’entouraient, mais il oubliait presque totalement ceux qui étaient au loin. Il ne faisait guère sa société que des eunuques du Palais qui étaient en réalité ses seuls amis. Ceux-ci, qui étaient d’humble naissance, généralement d’extraction païenne et barbare, ayant été élevés sous ses yeux, avaient pris de lui quelques-unes de ses qualités. Chose étrange, ces hommes s’efforcèrent, en général, de racheter l’ignominie de leur origine par leurs actes et se montrèrent d’esprit plutôt libéral, nullement avides de s’enrichir, plutôt empressés à rendre service, à combler chacun de leurs bienfaits. »

Ce faible et vieux souverain, si longtemps maintenu au second plan par son frère, si longtemps confiné dans son rôle subalterne de second basileus, se trouvait enfin le maître d’en agir à sa guise. Comme je l’ai dit, il abusa presque aussitôt de ces pleins pouvoirs illimités. Apre à réparer les années perdues, sentant que le temps pressait, il s’en donna à cœur joie, « à bouche que veux-tu », dépensant sans compter pour ses plaisirs les immenses trésors de l’État accumulés dans les souterrains du Grand Palais avec tant de vigilance par son frère. « Ce fut comme son idée fixe, sa préoccupation unique, a-t-on dit fort bien, de dépenser ces richesses. » Il y en avait pour deux cent mille livres d’or, au dire de Zonaras, qui se sert encore ici de cette expression pédantesque de « talents » dont probablement Psellos est le véritable éditeur responsable. Si vraiment « talents » signifie « livres », il y en avait pour un nombre considérable de millions.

« Le mal que ce pauvre basileus fit en très peu de temps fut immense », dit, probablement avec quelque exagération, Skylitzès. Tout ce que Basile dans son règne si long avait assemblé autour du trône de fonctionnaires capables ou distingués par leur naissance ou leurs vertus dans les plus hautes fonctions de l’État, tout ce qu’il y avait de personnages considérables et dévoués à la dynastie, aussi bien dans le domaine civil que dans l’ordre militaire, fut instantanément congédié, disgracié, remplacé dans les postes les plus élevés par les compagnons de plaisir, plutôt de débauche du nouveau basileus, tous individus des moins recommandables, s’il faut en croire la plupart des chroniqueurs. Tous étaient de basse origine, pas un de naissance noble. C’étaient d’anciens esclaves, des eunuques, des étrangers infimes, des domestiques du Palais, personnages incultes, de vrais barbares, misérables comparses que Basile eût écrasé du pied et auxquels Constantin, poursuivant les errements de toute sa vie, accordait au contraire son entière faveur.

Le nouveau basileus n’était point dépourvu d’esprit. Il aimait à se mêler aux luttes de la parole et discourait avec quelque grâce. Bien que son éducation eut été très négligée, comme il était fort intelligent, il était doué d’une remarquable facilité de parole qui allait parfois jusqu’à l’éloquence. Il était en ceci tout l’opposé de son frère, le rude et peu disert Basile. Ajoutez à ces dons la voix la plus douce, la plus harmonieuse. Son parler était si rapide que lorsque, par aventure, il dictait quelque dépêche, le plus agile des secrétaires était inhabile à le suivre. Et cependant il avait la fortune d’avoir à son service de nombreux scribes écrivant très vite. Aussi le métier de ceux-ci était-il des plus fatigants. Souvent ils en étaient réduits à rendre par des signes tachygraphiques la pensée impétueuse du maître.

Le grand Basile avait constamment tout fait par lui-même. Cela avait été pour lui une habitude invétérée. Constantin, bien au contraire, ne s’occupait en rien de gouverner. Tout au plus consentait-il à donner parfois audience aux ambassadeurs étrangers. Dans ces occasions solennelles, il remplissait son rôle de souverain avec une vraie maestria. Ou bien encore, comme je l’ai dit, dictait-il quelques lettres.

Après avoir ainsi fait place nette au Palais et dans les ministères et congédié tous les excellents fonctionnaires depuis si longtemps mis à l’épreuve par son prédécesseur, Constantin se hâta de remettre toute l’administration de l’Empire aux mains de six eunuques, ses familiers, personnages d’ordre très humble. Au premier abord, en lisant dans les chroniqueurs, surtout dans Psellos, aussi dans Skylitzès, le portrait si chargé de ce prince lamentable, en voyant ceux-ci raconter à l’envi qu’à peine fut-il seul sur le trône, « il poursuivit son existence toute de volupté, en véritable esclave de son ventre et de Vénus », on pourrait croire à quelque exagération. Il suffirait alors de lire les noms des personnages qui composèrent le nouveau gouvernement pour s’apercevoir qu’il n’y en a vraiment aucune. La stupeur des bourgeois de Constantinople dut être extrême quand ils apprirent simultanément ces nominations scandaleuses, œuvre d’un basileus qui, méconnaissant à ce point tous ses devoirs, ne sut pas mieux choisir ses ministres qu’il ne savait se passer d’eux. Écoutez et jugez: Nikolaos, premier cubiculaire, autrement dit premier valet de chambre du basileus, eunuque, fut, chose incroyable, nommé domestique des Scholes d’Orient, c’est-à-dire généralissime en Asie, la plus haute charge militaire, et parakimomène, autrement dit le premier des conseillers intimes, littéralement « celui qui couche à la porte de la chambre du basileus »[6]. Nicéphore, second personnage de l’Empire après Nikolaos, également eunuque fut créé protovestiaire, c’est-à-dire chef du personnel du Palais, préposé à la garde-robe impériale. Un troisième, toujours eunuque, Syméon, qui parait avoir été le plus avant dans la confiance du prince, et qui, plus tard, nous le verrons, arriva aussi à la dignité de parakimomène, fut « drongaire de la Veille », c’est-à-dire préfet de police de la Ville gardée de Dieu. Tous trois furent en outre élevés dans la fonction sénatoriale au rang si considérable de proèdres. Eustathios, très bas fonctionnaire, encore un eunuque, eut, dans un ordre de dignités quelque peu moindre, la charge si importante de grand hétériarque, c’est-à-dire de chef suprême de tous les corps de mercenaires étrangers ou barbares de la garde impériale. Ce fut en somme le gouverneur militaire du Palais. Un cinquième eunuque palatin, Spondyle, fut nommé duc d’Antioche, c’est-à-dire châtelain de la plus grande forteresse de l’Empire. Ce fut en de telles mains que fut remise la garde de l’illustre capitale de la Syrie reconquise, protectrice des marches impériales du Sud, en face de l’immensité sarrasine. Cette dernière nomination fut peut-être la plus scandaleuse. De la bonne garde d’Antioche dépendait, on le sait, le salut des grands et riches thèmes d’Asie exposés à l’incessante invasion arabe. Enfin, le nouveau duc ou gouverneur des marches d’Ibérie ou de Géorgie, c’est-à-dire de tous les territoires annexés à l’Empire par Basile à la suite de la mort de l’exousiocrator d’Ibérie Davith, fut un autre eunuque, Nicétas, originaire de Pisidie. Ces deux derniers parvenus étaient, semble-t-il, des hommes véritablement infâmes, de la plus louche origine, de vrais scélérats. Je sais bien que nous avons pour combattre cette opinion le témoignage de Psellos cité plus haut, qui parle de certaines bonnes qualités de ces tristes personnages; mais cela n’était-il point seulement bonne politique de leur part pour se faire pardonner la honte de leur élévation? Il est bien difficile du reste de se faire une opinion en présence de ces témoignages contemporains si clairsemés, souvent si parfaitement contradictoires. « Cette bande de misérables, poursuit Skylitzès, mettant partout le trouble et la confusion, eut tôt fait de bouleverser l’administration et de mettre à deux doigts de sa perte cet Empire si constamment florissant depuis l’époque déjà lointaine du père de Constantin le basileus Romain, si constamment en progrès sous ces trois grands basileis: Nicéphore Phocas, Jean Tzimiscès et Basile II, devenu, par les hauts faits de ceux-ci, la terreur de toutes les nations voisines. Non seulement Constantin, par cette conduite, se mettait en contradiction avec toute règle, avec toute sagesse, mais encore il pourchassait les plus dignes; les plus illustres, tous ceux qui, sous les règnes précédents, n’avaient pas encensé ses vices, faisant le plus de mal qu’il pouvait aux meilleurs. » Il y a probablement beaucoup d’exagération dans cette philippique. Très certainement cependant Constantin fut un souverain fort médiocre.[7] Surtout il poursuivit de sa haine les principales familles de la noblesse byzantine, constamment préoccupé des compétitions possibles au trône impérial.

Parmi les plus lamentables victimes de ce prince, il faut citer en première ligne le patrice Constantin Bourtzès, le fils du glorieux vainqueur d’Antioche, le magistros Michel Bourtzès. Le basileus Constantin qui haïssait dès longtemps ce personnage de haute vertu parce qu’il avait à mainte reprise courageusement dénoncé ses actes indignes à son frère le grand Basile, se hâta de lui faire crever les yeux. « Il avait une vraie prédilection, dit Zonaras, pour ce genre de supplice, qui paralyse la victime et la frappe d’impuissance sans la faire cependant périr. Il usa sans cesse durant son règne de cet affreux supplice pour réduire à rien une foule d’hommes éminents. On appelait cela à Constantinople d’un terme plein d’une douloureuse ironie: « la divine clémence de l’empereur ».

Tels furent les premiers débuts de ce règne qui tranchait si tristement avec le précédent, période suprême de la puissance byzantine. En peu de semaines on fut loin des jours prospères du grand Basile. La suite fut pire encore. « Comment en raconter dignement, l’histoire? » s’écrie lamentablement Skylitzès; « Constantin, une fois seul sur le trône, continua à mener la vie honteuse qui avait été constamment la sienne, consacrée au seul plaisir. Jamais homme ne vécut plus uniquement, plus passionnément, pour les joies du jeu, du théâtre, du sport, de l’Hippodrome surtout, de la chasse aussi. Il excellait à combattre les fauves, à les attaquer la lance ou l’épée à la main, à coups de flèches ou de traits. Il semblait qu’il estimât n’avoir autre chose à faire en ce monde qu’à s’amuser de la sorte. Et alors il supportait aisément, avec une parfaite sérénité, le chaud, le froid, la soif. Il aimait à préparer lui-même ses chevaux pour la course du Cirque. Les exercices du corps et de la palestre étaient depuis longtemps en défaveur; il les remit en honneur, prenant part aux luttes, non en spectateur, mais en acteur infiniment désireux de l’emporter sur son antagoniste, non parce qu’il était basileus, mais parce qu’il s’efforçait de vaincre pour de bon. Telle fut son existence de chaque jour tant que sa santé le lui permit, n’ayant du reste jamais eu cure d’autre chose. » « Il était, nous dit encore Psellos, fin gourmet et s’occupait fort de sa table qui était très recherchée. » Malheureusement il n’usait pas plus de sobriété que de continence. Aussi souffrait-il horriblement de la goutte, dans les pieds surtout. Il finit par ne presque plus pouvoir marcher. En fait, il ne faisait plus jamais un pas. Il était par contre excellent cavalier. « Il aimait le jeu d’un amour si intense, nous dit encore le même écrivain, que lorsqu’il tenait les dés toute affaire, même de la plus haute importance, cessait aussitôt pour lui. Alors il ne craignait pas de faire attendre les ambassadeurs étrangers. Il en oubliait le boire et le manger. » « C’est ainsi, s’écrie mélancoliquement Psellos, qu’il mourut, après avoir joué chaque jour son empire aux dés, la vieillesse lui ayant apporté enfin sa fin naturelle! »

On se souvient que Nicéphore Comnène, ce haut fonctionnaire de grande naissance, d’une sagesse, d’une vertu, d’une énergie peu communes, avait été établi par le défunt basileus Basile, stratigos de la nouvelle province asiatique du Vaspouraçan, tout récemment annexée à l’Empire par suite de la cession faite de son territoire par la famille royale ardzrounienne. C’était un chef de premier ordre qui s’était signalé par de brillants exploits contre les envahisseurs Turcs. Comme il était arrivé plusieurs fois que ses troupes avaient fui devant les agressions devenues presque incessantes de ces Turcs Seldjoukides que les historiens arméniens nationaux désignent d’ordinaire sous les noms de « Deïlémites » ou d’« Élyméens », il avait en termes violents fait honte à ses soldats de leur lâcheté. Même il avait pris sur eux assez d’ascendant pour leur faire signer par écrit un serment solennel de le suivre dorénavant jusqu’à la mort contre ces adversaires réputés si redoutables, Dans ce document de forme inusitée, ces rudes hommes de guerre, mercenaires scandinaves ou miliciens de l’armée d’Anatolie, se vouaient d’eux-mêmes aux pires malédictions par les plus solennelles imprécations au cas où leur courage n’irait pas jusqu’à affronter la mort pour obéir à leur chef. A partir de ce serment, ils remportèrent constamment, paraît-il, sur leurs sauvages adversaires, les plus brillants succès. Par contre, dès que le soupçonneux basileus eut été mis au courant de ces faits qui lui furent transmis probablement très défigurés par la médisance, sans raison autre que la jalousie, affirme Skylitzès, plutôt parce que cette démarche insolite de Nicéphore Comnène à l’endroit de ses soldats lui avait été présentée comme un commencement de complot contre sa personne, bien plus vraisemblablement encore mû par la simple crainte qu’un chef aussi énergique, s’appuyant sur des soldats aussi dévoués, ne devint rapidement un danger, il retira au valeureux gouverneur du Vaspouraçan son commandement. Sous l’éternel et si redoutable prétexte de conspiration contre la sûreté de l’État, prétexte si constamment invoqué à cette époque et toujours avec succès pour justifier tant d’actes infâmes, tant d’iniques révocations, le malheureux stratigos fut ramené chargé de chaînes dans la capitale.

Il est juste de dire que le chroniqueur arménien Arisdaguès de Lasdiverd qui, à l’exemple de presque tous les historiens de sa nation, se montre très favorable au basileus Constantin et dit que celui-ci avait maintenu dans leurs charges les « stratigoi » ou gouverneurs de provinces nommés par le grand Basile, accuse formellement Nicéphore Comnène[8] d’avoir conspiré, d’accord avec le roi Kéôrki des Aphkhases, pour se faire proclamer basileus en Asie par ses soldats. « Les troupes impériales de Cappadoce, raconte notre chroniqueur, ayant été instruites de ce projet, se réunirent pour saisir à l’improviste leur chef infidèle. Ayant coupé les cordes de sa tente, les soldats la firent tomber sur lui. Ainsi il fut fait prisonnier avec ses complices. Ceci arriva dans la première année du règne de Constantin. On les enferma dans une forteresse et on en avisa le basileus qui n’infligea d’abord aux coupables aucune punition, laissant passer une année entière jusqu’à ce que ses informations fussent tout à fait complètes. Seulement l’année suivante il remit les malheureux aux mains du bourreau. »

Jugé pour crime de lèse-majesté, Nicéphore fut condamné à avoir les yeux crevés. L’atroce sentence fut également, au dire d’Arisdaguès de Lasdiverd, exécutée contre sept de ses complices. S’agit-il ici d’une simple infamie perpétrée sur l’ordre d’un basileus aux rêves hantés de jalousie et de terreur, ou bien y eut-il vraiment, ainsi que l’affirme l’historien arménien, quelque motif capital pour que le basileus eût à se défier du malheureux Nicéphore Comnène? C’est ce que nous ne saurons probablement jamais d’une manière certaine[9]. « C’est une chose bien digne de regrets, s’écrie le chroniqueur arménien, qu’un tel acte de folie commis par un homme illustre dont le nom méritait de vivre entouré des meilleurs souvenirs et qui avait donné à l’Empire la ville d’Ardjesch[10] avec son territoire! »

Un sort également cruel atteignit à cette époque beaucoup d’autres hauts personnages qui avaient sous le basileus précédent joué dans l’Empire un rôle important et qui, pour ce seul fait, étaient devenus suspects au nouveau souverain. Il en fut ainsi notamment du patrice Bardas Phocas, dernier descendant connu du fameux prétendant de ce nom. Celui-ci était le fils de ce Nicéphore Phocas « au col tors » qui avait traîtreusement été assassiné par Nicéphore Xiphias le 15 août de l’an 1022, lors de leur commune révolte contre le basileus Basile. Sur la dénonciation d’un misérable parasite, le malheureux fut enveloppé avec plusieurs autres fonctionnaires et officiers auquel le basileus en voulait également dans une de ces terribles accusations de haute trahison et de prétention à l’Empire qui, à cette époque, valaient un arrêt de mort.[11] Tous, par ordre de Constantin, eurent les yeux crevés.[12]

Dans ce même temps, toujours dans l’année 1026, première du règne de Constantin, raconte encore Skylitzès, dans le thème de Hellade, dans la ville de Naupacte, gouvernait un stratigos du nom de Mavrogeorgios.[13] L’instabilité extraordinaire de son caractère agité l’avait fait surnommer « le fou ». Il avait commis des exactions telles qu’une violente émeute éclata contre lui. Il fut massacré par la population soulevée et ses biens pillés. La colère du basileus fut extrême. Par son ordre les coupables périrent dans les pires supplices. Le métropolitain de Naupacte qui semble bien, par ce détail même, avoir été un des principaux instigateurs de ces troubles, eut les yeux crevés. La monotonie de ces affreux supplices ne fait, semble-t-il, qu’en augmenter l’épouvante. A travers ces quelques faits si extraordinairement clairsemés, racontés d’une manière si succincte, hélas, qui constituent à peu près tout ce que les chroniqueurs nous ont dit de ce règne, on devine un gouvernement violent et faible tout à la fois, contrastant singulièrement avec la forte administration du règne précédent, un basileus odieux, des provinces abandonnées abominablement à l’avidité de « stratigoi » cupides, contraintes de renoncer à tout espoir de justice, n’ayant dans leur désespoir d’autre issue que des tentatives de révoltes partielles, aussitôt réprimées avec la plus sauvage cruauté. Skylitzès raconte encore, toujours dans ces termes si brefs, que vers cette même époque, le patrice Basile Skléros, fils de Romain Skléros, petit-fils de l’autre fameux prétendant Bardas Skléros et marié à la propre sœur de Romain Argyros, le futur basileus, alliance qui faisait de lui un personnage fort considérable, eut un différend violent, nous ignorons pour quel motif, avec le magistros Prusianos, dit « le Bulgare », parce qu’il était le fils aîné du dernier souverain de cette nation Jean Vladistlav. Ce dynaste barbare, amené tout jeune prisonnier de guerre à Constantinople par le vieil empereur Basile, avait grandi au Palais Sacré dans cette demi captivité dorée si douce aux fils de tant de souverains détrônés par l’impitoyable politique des basiles.

L’ex-prince royal de Bulgarie avait fini par s’identifier si bien avec sa nouvelle patrie d’adoption forcée qu’il avait été trop heureux d’entrer dans la peau d’un haut fonctionnaire impérial. Il était pour lors stratigos ou gouverneur du grand et populeux thème asiatique des Bucellaires, l’antique province de Galatie. La querelle entre ces deux hommes, tous deux très illustres dignitaires, fut si acharnée qu’ils estimèrent que seul un combat régulier pourrait satisfaire leur honneur singulièrement terni. Ils se battirent en duel, ce qui était pour lors une fort grande nouveauté à Byzance. Ce premier jugement par les armes entre deux sujets grecs semble avoir été un événement véritable. Jusqu’alors, parait-il, les seuls barbares s’étaient avisés de vider de la sorte leurs débats. Peut-être ce combat aussi impie qu’inusité eut-il lieu presque sous les regards du basileus?

En tout cas, le scandale des dévots fut grand. L’Église réclama et Constantin VIII, comme plus tard Richelieu, estimant cette fois avec sagesse, me semble-t-il, que ces deux personnages, dont les noms rappelaient d’une si éclatante façon les grandeurs et les douleurs du règne précédent, avaient ainsi gravement manqué à la majesté royale, résolut de faire un exemple et de sévir durement contre les deux patrices. Cette fois cependant le vieux souverain fit preuve d’une clémence relative. En place d’appliquer aussitôt aux coupables son supplice favori de l’aveuglement, il se borna à les condamner tous deux; et une déportation certes peu lointaine, malgré cela infiniment pénible. Basile Skléros fut enfermé dans un monastère du minuscule îlot d’Oxya, une des plus petites îles de l’archipel des Princes, distante de quelques milles à peine de la capitale. Par une ironie cruelle le prince bulgare, son adversaire, eut pour prison l’îlot tout voisin, non moins petit, non moins désert, de Plati. Pour être si rapproché de la capitale, ce séjour sur ces âpres îlots n’en était pas moins odieux. Dans un volume sur les îles des Princes, paru il y a bien des années déjà, j’ai consacré un chapitre à Plati et Oxya, sentinelles détachées de cet archipel délicieux. Situés à une assez grande distance vers la haute mer, à l’ouest et un peu au nord de la grande Antigoni et de Proti, ces deux îlots, véritables récits perdus au milieu des flots bleus de Marmara, sont bien connus des voyageurs et de tous les habitants de la capitale. Leurs silhouettes isolées en pleine mer attirent le regard et, constituent un détail caractéristique à l’horizon de tous les points de vue des environs de Constantinople.

De tous les sommets des rives du Bosphore, de toutes les hauteurs et de tous les minarets turcs de la vieille Byzance, l’oeil qui suit la ligne bleuâtre des flots de la Propontide, aperçoit par-delà Skutari et Kadikeui, se profilant sur l’azur du ciel, le bas rocher de Plati et la pyramidale Oxya aux immenses falaises perpendiculaires habitées par d’innombrables oiseaux de mer. Ces deux rochers dont le nom grec indique la forme générale si différente, tout petits, tout perdus qu’ils soient dans l’immensité des flots, ont, on le voit, joué un rôle dans l’histoire de Constantinople. Tantôt asile de pieux cénobites, tantôt repaire de pirates dangereux, plus souvent, à l’égal, de leurs sœurs aînées, Prinkipo et Halky, séjour de prisonniers d’État, Plati et Oxya, simples taches dans la mer, sont fréquemment mentionnées dans les chroniques byzantines.

Dans Oxya, il y avait une église très vénérée, dédiée à l’archange Michel, « l’Archistratège des nuées célestes ». On y avait adjoint un monastère et un de ces « orphanotrophia » ou maisons d’orphelins, desservis par des moines, gloire de Byzance, note touchante de charité chrétienne, qui étonne parmi tant de cruautés. Quelques ruines de ce pieux édifice subsistent peut-être encore. Mais ce n’est pas là que fut enfermé l’irascible Basile Skléros, car à cette époque le monastère n’existait pas. Il fut probablement emprisonné dans quelque affreuse geôle, taillée dans le roc nu. Son adversaire, le fils du roi bulgare, eut pour demeure l’inhospitalière Plati.

Plati fut longtemps un lieu d’exil et de torture, très à la mode à Byzance, un carcere duro, particulièrement redouté entre tous les innombrables lieux de déportation voisins de la grande capitale. De vastes chambres souterraines, ménagées dans le roc, constituaient ces horribles prisons. On y jetait, par un orifice à fleur de sol, les malheureux condamnés à cette mort vivante. C’était par là également qu’on leur donnait leur pâture. Ces caveaux, dont l’origine première remonte probablement à l’époque hellénique, existent encore, à demi comblés par des débris de toutes sortes, et leurs orifices béants se reconnaissent fort bien. Là, furent enfermés maints prétendants, maints personnages gênants. Cet exil sur ce rocher battu des vents en hiver, brûlé par le soleil en été, était considéré comme plus affreux même que la déportation dans les solitudes de l’aride Proconèse. La garde des prisonniers était confiée à de brutals soldats, le plus souvent des mercenaires barbares, et les infortunés étaient littéralement à leur merci. Ce fut dans ces oubliettes que le basileus Constantin exila le Bulgare Prusianos.

Les deux rivaux, séparés par un mince bras de mer, purent se contempler d’une île à l’autre, savourant chacun cette amère consolation que le sort du voisin n’était pas meilleur que le sien. Cette aventure eut d’ailleurs une issue tragique, comme c’était si souvent le cas à Byzance. Basile Skléros, soit qu’il eut tenté de s’évader, soit qu’il eut été, d’autre manière, calomnié en haut lieu, excita davantage la colère de ce lâche basileus, qui lui fit crever les yeux. Fidèle à son système de compensation, Constantin ordonna de faire subir le même traitement au prince bulgare, mais le prisonnier de Plati, plus heureux que son rival, parvint à obtenir sa grâce ou à s’évader sans subir ce supplice. Un fait seul est certain, c’est qu’il finit par recouvrer sa liberté.

Skylitzès, poursuivant son sinistre et bref dénombrement, s’exprime en ces termes, dans le récit qui constitue à peu près tout ce que nous savons de ce règne médiocre de trois années: Constantin fit encore crever les yeux à Romain Courcouas, marié à une sœur de Prusianos le Bulgare, une fille royale de Bulgarie par conséquent, toparque, c’est-à-dire châtelain, des « kastra » ou châteaux « de l’intérieur »[14], puis au patrice Bogdan, encore un Bulgare, puis aussi à Glavas, à Goudélis. De même il fit couper la langue au moine Zacharias, le parent du « vestis »[15] Theudatès, encore un Bulgare certainement. Tous ces malheureux, dont nous ne savons rien d’autre, se trouvaient, comme de coutume, enveloppés dans une accusation de conspiration contre le basileus. Ces noms significatifs n’indiqueraient-ils point, plutôt, que ce complot, si complot il y eût, avait surtout pour but de profiter de la faiblesse du nouveau règne pour arracher la Bulgarie à l’autorité byzantine, si récemment rétablis dans ce pays, et déjà si pesante à ses indociles habitants .

De même que dans l’intérieur de l’Empire, on s’aperçut aussitôt, sur les infinies frontières de cet immense État, qu’un basileus débile avait succédé au plus redouté des empereurs. Dès la première année du règne, sur le Danube, les barbares Petchenègues ou Patzinaces, dont on n’avait plus guère entendu parler depuis les temps déjà lointains de Jean Tzimiscès, alors qu’ils avaient massacré Sviatoslav et les débris de ses bandes en retraite, firent une soudaine irruption sur la rive méridionale du grand fleuve, en plein territoire bulgare. Nous ne possédons malheureusement, sur cette sauvage agression, que les quelques mots que nous en disent Skylitzès et Zonaras. Ces terribles cavaliers, racontent ces chroniqueurs, surprenant un pays probablement mal gardé, portèrent de tous côtés leurs affreux ravages, Ils massacrèrent ou emmenèrent en captivité une foule de gens, même plusieurs hauts officiers ou chefs militaires.

Le danger devint tel qu’il fallut décréter des mesures extraordinaires. Constantin Diogène, gouverneur ou archonte Sirmium, ou plutôt duc de Bulgarie, depuis le coup de main sanglant qui avait mis cette forteresse aux mains des troupes impériales, fut confirmé par le basileus dans ce titre de duc. Il reçut le titre, exceptionnel d’« hyparchôn » ou chef suprême de toute cette province, avec des pouvoirs illimités. Ce général énergique, après plusieurs petites rencontres, réussit à acculer au combat ces hordes sans cesse en mouvement. Il les vainquit en bataille rangée et les contraignit à repasser le Danube et à se tenir tranquilles, au moins pour quelque temps.[16]

En l’an 1027, ce sont toujours Skylitzès et Zonaras qui parlent, une grande flotte de corsaires sarrasins accourus certainement des ports d’Afrique, probablement des régions de la Tunisie actuelle, ne craignit pas de venir jusque dans les parages de l’Archipel se livrer au pillage des îles. Ces forbans osèrent insulter aux garnisons impériales qui y étaient cantonnées. Jamais pareil scandale ne se serait passé sous le grand Basile. Aucun exemple ne nous prouve mieux à quel point la décadence avait été rapide en ces quelques mois. Cependant l’insulte fut cette fois encore cruellement vengée. Le stratigos du thème insulaire de Samos, Georgios Théodorokanos, et Bériboès, stratigos de Chio, c’est-à-dire probablement stratigos du thème de la Dodécanèse ou des « douze îles » de l’Archipel, à la tête de leurs flottes et de leurs contingents respectifs embarqués en hâte, attaquèrent vivement ces redoutables corsaires. La victoire sourit à ces vaillants. Douze vaisseaux sarrasins avec tous leurs équipages tombèrent aux mains des Impériaux. Le reste de l’« armada » arabe s’enfuit en désordre. Constantin, demeuré constamment au Grand Palais, ne prit personnellement aucune part à ces exploits de ses troupes de terre et de mer.

Le basileus Basile, dit Skylitzès, bien que son avarice et sa dureté fussent proverbiales, par commisération pour les malheureux, avait coutume d’ordonner qu’on n’exigeât pas trop sévèrement l’impôt annuel à jour fixe. Il accordait facilement des délais. Aussi, au moment de sa mort, le tribut de deux années entières était dû par presque toutes les provinces de l’Empire. Son frère Constantin, à peine sur le trône, non seulement ordonna de réclamer le paiement immédiat de cet énorme arriéré, mais, pour chacune des trois années que dura son règne, exigea avec la dernière rigueur le versement intégral de l’impôt.[17] Aussi la population entière en fut-elle littéralement accablée, non seulement les pauvres, mais aussi les riches qui se virent forcés, dans des circonstances climatériques déplorables, à travers cette interminable sécheresse, de solder dans le cours de ces trois années l’impôt régulièrement exigible en cinq! Quant à l’argent disponible, il allait tout entier aux indignes favoris du prince. Personne d’autre n’obtenait rien de lui.

Les « Vies » de saints qui, pour le Xe siècle, sont une mine d’informations si précieuse, ne nous fournissent malheureusement presque rien pour l’époque de ce règne et des suivants. Quelques bien rares inscriptions contemporaines, quelques textes plus rares encore, ne suffisent pas à combler ces déplorables lacunes. Pour le règne si court de Constantin, je ne connais que deux inscriptions qu’on puisse attribuer avec certitude à ce prince. Toutes les autres sur lesquelles figurent son nom portent également celui de son frère et datent par conséquent de l’époque de leur règne commun, ou bien ne portent que ce seul nom de Constantin sans aucun détail qui permette de les attribuer à lui plutôt qu’à un de ses plus proches homonymes. Une inscription très longue et très incorrecte près d’un pont de la Sparte antique par M. Fourmont, est datée du 1er mai 1027. Elle nous apprend en un style barbare que ce pont, conduisant au « kastron » de « Lakédaimion » par-dessus le fleuve Ire, l’antique Eurolas, fut construit à grand peine aux frais du moine Nicodème, qui bâtît également l’église du Rédempteur, située à la gauche du pont. Pour se ménager des droits, sa vie durant, sur ce pont et sur cette église, le dit moine s’adressa à l’empereur Constantin VIII, qui lui octroya un privilège au nom duquel le stratigos du thème du Péloponnèse devenait curateur de ces édifices, et défense était fait à l’évêque de « Lakédaimion » et aux autres ecclésiastiques du diocèse de commettre dans l’église aucun acte d’autorité religieuse. De ce fait cette église devenait une de ces propriétés d’exception qu’on avait la coutume de qualifier d’« impériales ». « Après ma mort, ajoutait le moine, le stratigos et l’évêque devront choisir parmi les religieux desservant l’église un nouvel abbé qui donnera tous ses soins à l’entretien de l’église et du pont, comme aussi à celui des desservants, faute de quoi il devra être remplacé par un autre ». La malédiction du fondateur devait poursuivre tous ceux qui mettraient méchamment opposition à ces volontés. « Nous trouvons ici, dit fort bien C. Hopf, un écho du réveil religieux inauguré en ces régions de l’antique Hellade par le fameux saint Nikon Métanoite, et je crois bien ne pas me tromper en reconnaissant dans ce moine Nicodème, un des successeurs de ce grand chrétien. Son nom même de Nicodème n’est peut-être qu’un souvenir de celui de son illustre prédécesseur. »

La seconde inscription contemporaine du basileus Constantin VIII se trouvait inscrite sur la base de la fameuse « Pyramide murée », ou plutôt obélisque de pierre, qui s’élève aujourd’hui encore au milieu de l’Hippodrome de Constantinople. Elle annonçait en six vers que cet étrange édifice, jadis revêtu de plaques de bronze doré, « cette merveille, rivale du Colosse de Rhodes, ce prodige au quadruple flanc », avait été restauré par le basileus Constantin Porphyrogénète, le fils de Romain. Comme Basile n’est pas mentionné, il est bien probable que cette restauration a eu lieu sous le gouvernement de Constantin VIII, empereur unique. Inscription et plaques de bronze doré ont aujourd’hui disparu. Les pierres même qui composent cet antique monument se disjoignent incessamment. Il est, hélas, menacé d’une ruine imminente.

En dehors de ces quelques mentions si brèves, en dehors de l’irruption des Petchenègues au delà du Danube et des ravages des corsaires sarrasins dans l’Archipel, nous ne savons presque rien, je le répète, sur les relations de l’Empire avec les nations voisines pendant ce règne si court.

Je laisse à raconter au règne suivant la rupture avec l’émir d’Alep et les autres dynastes sarrasins de Syrie et les très fâcheuses conséquences qui en furent la suite pour l’Empire. Pour les relations avec le Khalife d’Égypte, toutefois, nous possédons un renseignement intéressant qui nous est fourni par Makrizi. En l’an 418 de l’Hégire, dit cet historien, année qui correspond à l’an 1027 environ de l’ère chrétienne un traité fut conclu entre le basileus Constantin et le Khalife fatimide Al-Zahir. Il fut convenu que le nom de ce dernier serait désormais prononcé dans les prières de toutes les mosquées sises dans toute l’étendue des contrées soumises au pouvoir du basileus. Ce fait fort extraordinaire constituait déjà par lui-même comme une sorte de reconnaissance formelle du Khalife par le nouvel empereur. Mais, circonstance autrement curieuse, il fut entendu qu’on restaurerait une mosquée sise dans la capitale même de l’Empire, dans la Ville gardée de Dieu, et qu’un prêtre musulman, un « muezzin », y serait installé pour appeler les fidèles à la prière. Quelle preuve plus étonnante de la tolérance religieuse en ces époques barbares, en un tel lieu, tolérance qui contraste si étrangement avec nos fausses notions préconçues sur ce point!

Par une sorte de compensation, le Khalife, toujours par la même convention, autorisait la réédification de l’église de la Résurrection de Jérusalem ou église du Saint-Sépulcre, ce temple fameux si cher à toute la Chrétienté, si universellement vénéré, qui avait été, on se le rappelle, détruit entièrement en septembre de l’an 1009 sur l’ordre du terrible prédécesseur d’Al-Zahir, son père, l’insensé Hakem. Bien plus, le Khalife accordait la permission à tous ceux des chrétiens qui, sous ce dernier souverain, avaient accepté par crainte et seulement du bout des lèvres, la religion musulmane, de retourner librement à la foi de leurs pères. L’écrivain oriental affirme que beaucoup parmi les sujets chrétiens du Khalife se prévalurent de cette autorisation si libérale.

Les écrivains nationaux d’Arménie se montrent, je l’ai dit, favorables à Constantin. Ils racontent entre autres que le frère de ce souverain, le grand Basile, en mourant, avait, par testament, recommandé leur contrée infortunée à toute sa bienveillance, « voulant, dit Mathieu d’Édesse, qu’il traitât ce pays avec un amour paternel ». Le vieil empereur moribond appela aussi, continue l’écrivain national, la sollicitude de son frère sur les fils de Sénékhérim, le roi démissionnaire du Vaspouraçan: Davith, Adam, Abou Sahl et Constantin, ainsi que sur tous les grands d’Arménie. Il lui prescrivit encore de témoigner la plus grande bienveillance aux fidèles du Christ [18] »

« Constantin — poursuit l’écrivain arménien, décidément tout à fait favorable à ce souverain — Constantin, devenu empereur, se montra bon, pieux, compatissant, enclin à pardonner les offenses des méchants. Aussi fit-il mettre en liberté tous ceux qui avaient été incarcérés.[19] Il ordonna de brûler la prison des condamnés que Basile avait fait construire et qu’il avait remplie des grands de l’Empire. Car Basile, craignant pour son trône, avait fait étrangler les personnages les plus considérables, et leurs corps étaient pendus là, recouverts de leurs vêtements et attachés par la gorge à des crochets en fer. Ce spectacle arracha des larmes des yeux de Constantin, et il donna l’ordre de les ensevelir, en même temps qu’il fit détruire cette prison. Accusant la cruauté de son frère: « Eh! quoi, s’écria-t-il, la fin de l’homme est toujours imminente, pourquoi donc cette mort cruelle, dans le but de préserver une vie corporelle et passagère? » Constantin gouverna avec des dispositions pacifiques et se montra plein de douceur envers les fidèles. Après un règne de quatre ans,[20] il termina ses jours dans une foi parfaite en Jésus-Christ, et laissant après lui une mémoire vénérée, il alla rejoindre ses pères. Sa mort causa un deuil universel parmi le peuple, privé d’un si bon prince ». Ces éloges, entachés d’une telle partialité, sont certainement sincères. Ils s’expliquent par l’attitude conciliante prise par Constantin vis-à-vis de ces petites monarchies d’Arménie et de Géorgie, si rudement traitées par son frère aîné.[21]

On se rappelle qu’à la suite de l’expédition victorieuse dernière de Basile en Arménie et de la défaite du fougueux roi d’Ibérie ou des Aphkhases, Kéôrki, en l’an 1022, le vieux basileus était rentré en triomphe à Constantinople emmenant avec lui comme otage le petit prince royal Pakarat, fils du dit Kéôrki, alors âgé de trois ans, en s’engageant toutefois par serment à renvoyer au roi son fils au bout de trois années. « Pakarat, poursuit la Chronique connue sous le nom d’Histoire de la Géorgie, à laquelle nous devons ce récit, ayant passé ces trois années dans la cité impériale de Constantinople, fut renvoyé conformément à la parole donnée ». Ce prince, continue la Chronique, venait d’atteindre le Daïk’h – c’est-à-dire les terres de son père – et d’entrer à Bana, dans les domaines royaux. Il avait été escorté jusqu’à la frontière de ses états par le catépan d’Orient,[22] qui revint de là sur ses pas, lorsqu’on vit arriver en toute hâte un mandator, c’est-à-dire un messager impérial, apportant au catépan une lettre du nouveau basileus Constantin ainsi conçue: « Par la providence divine, le bienheureux basileus Basile, mon frère, est mort et je lui ai succédé sur le trône de toute la Grèce.[23] En conséquence, en quelque lieu de mon Empire que mes ordres vous parviennent, faites revenir sans différer Pakarat, fils de Kéôrki, roi des Aphkhases, afin qu’il nous soit présenté.

Le catépan n’eut pas plus tôt pris connaissance de l’ordre impérial qu’il s’occupe, suivant ses instructions, de faire rétrograder le petit prince. Il courut en toute hâte après lui, mais sans parvenir à l’atteindre, car il était déjà rentré dans ses domaines et se trouvait soutenu par une armée considérable à laquelle le catépan ne pouvait songer à livrer bataille. Quand ce haut fonctionnaire vit de loin tout ce peuple immense accouru à la rencontre de son prince et la multitude des « didébouls », des « éristhaws », des « aznaours », du Daïk’h, de la Meskie et du Khartle, il revint sur ses pas et dit au mandator impérial, porteur de l’ordre du basileus: « Si tu le peux, fais-le revenir; quant à moi, cela m’est présentement tout à fait impossible ».

En terminant son curieux récit, le pieux écrivain national s’écrie dévotement: « O grande et admirable bonté du ciel! Voyez comme ce juste fut inopinément sauvé des mains perfides de ses ennemis qui le voulaient saisir et ramener! Voulez-vous savoir ce que c’est que la protection divine! Voyez et considérez combien de secours en a reçu le grand Pakarat, lui plus qu’aucun autre monarque, ainsi que vous le prouvera, en divers temps, la suite de cet ouvrage! »

« Dès que le prince, poursuit le chroniqueur, fut arrivé auprès de son père, le roi Kéôrki, dans sa résidence royale de Koutaïs, leur réunion s’opéra sans inquiétude et ils glorifièrent Dieu avec des actions de grâce. Ses parents, en revoyant leur fils, leur vivante image, embelli de charmes qui ne se peuvent imaginer ni décrire, se livrèrent à d’indicibles transports de joie et offrirent à Dieu l’hommage de leur reconnaissance. » C’était au début de l’an 1026.

Constantin, plus défiant ou moins loyal que son frère Basile, avait certainement dû s’opposer primitivement à ce qu’on s’en tint à la parole donnée au roi Kéôrki en relâchant son fils. De là sa précipitation à faire rechercher le royal otage avant qu’il fût trop tard. Mais il est bien probable que le motif principal de cette hâte fut la brusque nouvelle de la rébellion de Nicéphore Comnène et de l’alliance conclue entre ce prétendant et le roi Kéôrki, événements dont j’ai parlé plus haut et sur lesquels nous sommes malheureusement à peine informés, puisque presque seul Arisdaguès de Lasdiverd nous en a dit quelques mots. Il y a là une coïncidence si frappante qu’elle devient presque une certitude.

Quoi qu’il en soit, les circonstances, quelles qu’elles aient pu être, qui avaient accompagné le retour du petit prince Pakarat dans le royaume de son frère, avaient dû jeter un froid très vif, sinon créer un état de complète hostilité entre, les deux pays. En effet, nous voyons arriver presque aussitôt après à Constantinople une nouvelle ambassade géorgienne commandée par un des principaux personnages du royaume, destinée certainement à ramener la bonne entente troublée par ces événements. Il est probable que l’effondrement de la conspiration de Nicéphore Comnène était pour beaucoup dans cette démarche si cruelle à l’orgueil du roi Kéôrki

Après cela, raconte en effet la Chronique, le patriarche Melkisédec se rendit à Constantinople auprès du basileus Constantin qui l’accueillit et lui fit don d’ornements d’église, d’icônes, de croix, et de tout ce qui sert à l’habillement des dignitaires ecclésiastiques et des prêtres. » C’était la seconde fois que le catholicos d’Ibérie s’en allait ainsi à Constantinople réclamer pour son Église nationale l’aide toute puissante du basileus de Roum. La première fois, cela avait été du temps du roi Pakarat, père du roi actuel Kéôrki sous le règne du grand basileus Basile. Nous ne savons sur le second voyage du saint prêtre rien de plus que ce que nous en dit l’Histoire de la Géorgie.

Moins de deux ans après le retour de son fils Pakarat, dans la journée du 16 août de l’an 1027, encore du vivant du basileus Constantin, le belliqueux roi Kéôrki, qui avait si vaillamment défendu ses États contre le grand Basile cinq années auparavant, mourut tout jeune encore, âgé de trente à trente et un ans à peine.[24] « Nul, parmi ses ancêtres, dit le chroniqueur national, ne s’était montré son égal en énergie, en héroïsme, en générosité, en perfection du corps et du visage, en habileté à gouverner. Il rendit l’âme dans un lieu du Thrialeth, nommé Mqinwarni ou Itsroni,[25] laissant tous les peuples de ses domaines royaux en proie à l’affliction, chacun regrettant sa bonté, son héroïsme. » Ses restes furent rapportés et déposés en pompe dans la grande église royale de Koutaïs, dont les belles ruines existent encore. Aussitôt qu’il eût fermé les yeux, son fils aîné, Pakarat, pour lors âgé de neuf ans, fut proclamé roi en sa place sous le nom de Pakarat IV dans tous ses domaines et royaumes, tant du Haut que du Bas Pays, c’est-à-dire tant du Karthli que de l’Iméréthie et de la Mingrélie. Sa mère, fille, on se le rappelle, de Sénékhérim, ex-roi du Vaspouraçan, fut régente en son nom. Ce petit prince devait régner presque un demi-siècle, exactement quarante-cinq années, sur toute la Géorgie, jusqu’en l’an 1072!

Dans ces petites monarchies chrétiennes asiatiques voisines du Caucase, soumises au régime le plus essentiellement féodal, le pouvoir ne se transmettait presque jamais d’un règne à l’autre sans quelque secousse violente. Toujours il se trouvait un parti qui s’opposait à l’avènement de l’héritier présomptif. Cette fois, les événements semblent avoir été particulièrement graves. « Au même temps, poursuit l’Histoire de la Géorgie, que le roi Pakarat IV de Karthli et d’Aphkhazeth, fils de Kéôrki Ier Pagratide, âgé de neuf ans, se fut assis sur le trône, les « aznaours » du Daïk’h, Watché, Caridchis-Dzé, Joané, évêque de Bana, et avec eux une foule d’« aznaours » du même pays, s’en allèrent en Grèce — c’est-à-dire se retirèrent sur territoire de l’Empire. Quelques-uns possédaient des citadelles. D’autres n’en possédaient point. S’étant révoltés contre le roi Pakarat, ils s’attachèrent à Constantin, frère et successeur du basileus Basile ». Voici, d’autre part, le récit de ces mêmes événements qui nous est fait par Yahia: « Les officiers de la reine régente lui conseillèrent de réclamer, au nom de son fils, la restitution des forteresses jadis cédées par le père de celui-ci au basileus Basile et de les occuper. Aussitôt le basileus Constantin envoya le parakimomène Nikolaos avec une armée en Aphkhasie,[26] dans la troisième année de son règne, et celui-ci la ravagea.

Il brûla des villages, il tua une foule de gens, et fit une quantité innombrable de prisonniers. Le reste se sauva dans les montagnes inaccessibles et dans les places fortes où les troupes ne pénétrèrent pas; et plusieurs de leurs chefs sortirent vers lui et la reine et son fils lui demandèrent pardon et excuses pour le passé et jurèrent obéissance complète et soumission sincère au basileus, promettant qu’ils rempliraient toujours tous ces désirs et que personne d’entre eux n’agirait plus contre lui, et cette affaire fut arrangée à leur satisfaction réciproque, et le parakimomène Nikolaos rentra sur le territoire de l’Empire ».

La version d’Arisdaguès de Lasdiverd, historien arménien, est quelque peu différente. « Dès le courant de la seconde année de son règne raconte-t-il, le basileus Constantin avait envoyé en Orient, en qualité de gouverneur, c’est-à-dire en qualité de domestique des Scholes ou de généralissime, l’eunuque Nicétas. Celui-ci, étant passé en Géorgie, par de fallacieuses paroles persuada nombre d’« aznaours » ou nobles du pays de quitter leurs chefs héréditaires pour se rendre à la cour du basileus, à Constantinople. Enchanté de leur arrivée, Constantin les combla de présents, d’honneurs et de dignités pour les indemniser de l’abandon de leurs possessions, leur assignant en outre les bourgs et des villages avec titres perpétuels confirmés par un écrit revêtu de son sceau. Au commencement de la troisième année du règne de Constantin, l’eunuque et parakimomène Syméon partit à son tour pour l’Orient, c’est-à-dire pour les mêmes régions de Géorgie, avec une armée bien plus forte que celle que le basileus Basile avait sous ses ordres dans sa dernière expédition de l’an 1022. Il pénétra dans le royaume de Géorgie, mais il n’eut le temps de rien terminer, car la nouvelle de la mort de Constantin étant arrivée peu après, il se hâta de retourner avec son armée à Constantinople ».

L’Histoire de la Géorgie donne quelques détails de plus. « L’armée de Syméon, dit-elle, traversa les contrées déjà ravagées par Basile en les saccageant encore plus cruellement et vint dans le Trialeth jusque sous les murs de la forteresse de Cldé-Carni,[27] possédée alors par Liparit, fils de Liparit, « éristhaw » des « éristhaws ». Là, le parakimomène fit encore sa jonction avec quelques autres « aznaours » dissidents à la tête de leurs contingents ». Il est probable que ces « aznaours » soutenaient un candidat au trône auquel l’Empire se montrait plus favorable qu’au petit prince héritier légitime et que c’était pour procéder à l’installation de ce prétendant que le basileus avait envoyé le parakimomène en Géorgie avec une armée.

Le parakimomène, toujours au dire de cette même Chronique, ne fut pas heureux. C’était probablement du reste un fort mauvais général. Il commença par offrir de l’argent, mais ses offres furent rejetées. On se battit ensuite sous les murs de la forteresse de Cldé-Carni, mais il n’y eut aucun résultat favorable. Alors, voyant l’inutilité de ses efforts, le chef impérial prit le parti de se retirer. Sur la route, il rencontra les contingents des « aznaours » demeurés fidèles au petit roi Pakarat. Il y eut à nouveau bataille, mais on lutta mollement. Puis il survint une nouvelle défection d’« aznaours » qui livrèrent leurs forteresses aux impériaux. L’« éristhaw » du Chawcheth, Tchantchoukha Phalel, livra celle de Tsephth,[28] et alla rejoindre les Byzantins auxquels il avait déjà auparavant remis son autre forteresse de Garqlob. Ardjéwan Hololis-Dzé leur abandonna également son château héréditaire. Par contre Saba, évêque de Mtbéwar ou de Tbeth, demeuré courageusement dévoué à son roi légitime, sans se laisser troubler par l’état lamentable du Chawcheth, éleva un fort à l’entrée de Tbeth et bâtit auprès de l’église de ce lieu une porte fortifiée qu’il nomma Swéti. Par son énergie et son dévouement, ce prélat fidèle réussit aussi à reconquérir tout le Chawcheth à son prince. « Dieu, de son côté, poursuit le chroniqueur national, honora le roi Pakarat et ne permit pas que ses ennemis lui enlevassent ses domaines ».

Cependant la guerre faisait rage. En dehors de ces quelques lignes de Yahia et d’Arisdaguès de Lasdiverd, nous ne sommes plus renseignés sur cette expédition byzantine en Géorgie, sous le règne de Constantin VIII, que par la seule Histoire de la Géorgie dont j’ai déjà cité quelques lignes racontant la cause et le début de ces hostilités. Les chroniqueurs byzantins, je le répète, passent ces faits absolument sous silence. Le récit de l’Histoire de la Géorgie est d’ailleurs aussi bref que confus.

Voici ce que je crois y démêler en combinant les versions assez différentes des deux manuscrits de cette Chronique. Le parakimomène après avoir complètement échoué sous les remparts de Cldé-Carni organisa une nouvelle expédition fort nombreuse avec l’aide des contingents géorgiens dissidents, sous les ordres de trois chefs nationaux, l’« éristhaw » et chartulaire impérial Ioané, de Bana, Witbang ou Watang, également chartulaire, et Démétré, du Klardjeth,[29] fils de Soumbat.[30] Cette expédition, destinée surtout à razzier les campagnes et à faire des prisonniers emmena une foule de captifs, principalement de malheureux paysans qui furent entraînés chargés de chaînes. D’autres villageois très nombreux se joignirent au contraire aux envahisseurs du Chawcheth. Mais les « aznaours » demeures fidèles à la cause du petit roi, sous la conduite d’Ezra Antchel,[31] retirés avec l’évêque Saba dans la nouvelle forteresse de Tbeth ou Swéti dont je viens de parler, « opposant une invincible résistance à toutes les promesses de riches récompenses, et soutenus par Dieu et l’intercession des saints apôtres et des saints pasteurs », s’y défendirent aussi vaillamment que victorieusement contre les dissidents qui les assiégeaient avec la dernière rigueur, de concert avec les villageois soulevés. De même Ioané Abouser réussit à défendre la forteresse d’Artanoudj. « Il n’y eut donc, poursuit le chroniqueur national, que guerres, combats, allées et venues, mais an milieu de tant d’agitations, Dieu continua à honorer Pakarat, roi des Aphkhases et des Géorgiens. Comme tout l’Orient était ébranlé par ces fléaux, l’injuste basileus Constantin, châtié par une grave maladie, comme l’impie Julien, à cause de sa cruauté envers notre roi Pakarat, et de la dévastation de notre pays, fit écrire en diligence au parakimomène[32] pour le rappeler, lui enjoignant d’avoir à se retirer sur-le-champ avec ses troupes et d’accourir à Constantinople. Celui-ci obéit incontinent. Mais avant qu’il ne fut de retour dans la capitale, le basileus était mort [33] ».

Voici tout ce que nous savons, hélas, sur ces luttes obscures. On devine confusément à travers les récits si incomplets des rares chroniqueurs, l’éternelle intervention de l’adversaire byzantin si puissant dans les affaires de ce petit royaume lointain. Diviser pour régner, pour conquérir plutôt, telle est la constante devise de la diplomatie impériale.

Aussitôt qu’un changement de règne, un avènement nouveau, une minorité surtout, devient une occasion de trouble ou de malaise, aussitôt on voit apparaître les diplomates, puis derrière eux, les soldats de Roum. Aussitôt, ils font alliance avec la faction hostile au nouveau souverain. Ils lui prêtent un appui parfois déguisé, plus souvent à ciel ouvert. Ils combattent à ses côtés et ne s’en vont jamais sans avoir annexé à l’Empire quelque forteresse nouvelle, quelque lambeau de territoire, présage certain de la conquête finale, définitive.

Pour ce qui est du royaume d’Arménie proprement dit, nous n’en savons de même que bien peu de chose durant le règne si court du basileus Constantin VIII. Cette contrée infortunée entre toutes, continuait à être en proie aux incursions de plus en plus incessantes, de plus en plus audacieuses, des Turcs Seldjoukides. J’ai parlé au volume précédent de ces terribles agresseurs et de leur grande invasion de l’an 1021 à la suite de laquelle le pauvre roi Sénékhérim du Vaspouraçan, avait dû céder au basileus Basile sa petite souveraineté trop cruellement exposée aux attaques toujours renouvelées de cette diabolique nation de sauvages cavaliers accourus si récemment des plateaux de l’Asie centrale.

Je rappelle encore que le roi d’Arménie, Jean Sempad, fils aîné et successeur de Kakig Ier, roi des rois, roi pagratide d’Ani, régnait depuis l’an 1020 sur l’Arménie en compagnie de son frère Aschod IV, surnommé le Brave.[34] Ce prince s’était fort imprudemment, on s’en souvient, allié contre le basileus Basile au roi de Géorgie, Kéôrki, qu’il redoutait fort, nous dit l’historien Vardan.

Après la totale défaite de celui-ci en 1022, il avait été forcé d’implorer lui aussi la paix et d’envoyer à cet effet au basileus Basile le catholicos d’Arménie Pierre ou Bédros, surnommé « Kédatartz »[35]. Le basileus s’était montré très hostile et, pour obtenir son pardon, Jean Sempad avait dû, par la bouche de son pieux envoyé, accepter les conditions les plus dures et s’engager à léguer après lui son royaume à l’empire. Après la mort du grand Basile, la situation du malheureux royaume dont les frontières étaient sans cesse violées par les Turcs, était demeurée fort précaire, presque désespérée. A la suite des invasions constamment répétées des cavaliers de la steppe, une famine aussi était survenue, si atroce que beaucoup de cultivateurs avaient dû se décider à vendre femmes et enfants pour éviter la mort. Les voisins musulmans, tant les Turcs que les contingents des dynastes arabes environnants, même les soldats byzantins sur la frontière du Sud, pillaient et dévastaient presque sans discontinuité les provinces limitrophes. Les deux pauvres rois, sans argent, sans ressources, demeuraient complètement impuissants au milieu de tant d’horreurs. Il ne restait qu’une force, le clergé, mais le catholicos Bédros, parait-il, bien loin de songer à porter secours à ses ouailles défaillantes, dépourvu de toute aptitude politique, absolument incapable de jouer le rôle qu’on lui destinait, avide de lucre par-dessus le marché, consumait ses jours en pratiques religieuses d’un ascétisme aussi extraordinaire que puérile.

En Italie, durant le règne si court du faible Constantin VIII, les affaires des Grecs, grâce à la valeur de l’intrépide catépan Bojoannès, se maintinrent dans des conditions assez favorables. J’ai dit au volume précédent[36] comment le trépas subit du glorieux Basile avait arrêté court les progrès de la grande expédition byzantine en Sicile. C’est à l’occasion de cette expédition que le ziride Mouizz Ibn Badis, qui régnait en Afrique, avait offert son secours au nouvel émir de Sicile, Akhal. Il avait fait proclamer la guerre sainte dans ses États en même temps qu’il envoyait à son nouvel allié une flotte de quatre cents navires qui, l’an d’après, dans le mois de janvier 1026, fut presque entièrement détruite par un orage au large de l’île Pantellaria.[37] Ce grand désastre aurait dû améliorer les affaires des Byzantins en Sicile. Il n’en fut rien, grâce à l’impériale des chefs.

Par le fait de cette retraite désastreuse qui avait suivi la mort de leur grand empereur, les troupes byzantines, abattues aussi par la dysenterie qui les décimait cruellement, reperdirent en un moment les conquêtes si précieuses qu’elles avaient faites en Sicile dans un premier élan, sauf Messine cependant. Il semble que, déjà dans le courant de l’an 1026, le catépan Bojoannès soit rentré en terre ferme italienne avec le gros de ses forces. Quant au second chef de l’expédition, le kitonite eunuque Oreste, général incapable, il demeura bien encore en Sicile, mais enfermé avec quelques troupes mercenaires, varangues et autres, dans cette forte place de Messine d’où il n’osa rien tenter contre les Sarrasins.

Sur terre ferme italienne, le catépan fut plus heureux dans ses efforts pour y rétablir l’autorité byzantine très fort ébranlée par la récente expédition de l’empereur Henri II, mais aussi très vite redevenue prépondérante dans les principautés longobardes à la suite du retour de ce prince en Allemagne. L’assujettissement de ces petites seigneuries de l’Italie méridionale à l’empire d’Occident ne pouvait jamais, par suite des circonstances politiques particulières de cas Etats, être que tout à fait passager. Aussitôt que l’empereur Henri et son armée eurent quitté le sud de la Péninsule, l’influence de Byzance, momentanément comprimée, se fit à nouveau sentir toute puissante sur ces principautés. Aucune des mesures prises par le souverain germanique en ces parages n’eut la moindre durée. Les neveux de Mélès, les fils de Dattus, entrèrent bien pour un temps en possession de la comté de Comino, qui leur avait été donnée en fief par Henri. Grâce à leurs alliés normands de ce lieu et à Renier, marquis de Tuscie, ils firent même bien encore quelques autres conquêtes. Mais aucun de ces résultats ne subsista et l’éphémère souveraineté des descendants de Dattus s’effondra en peu d’années. De même, à Capoue, la dynastie des comtes de Teano, qui y avait été installée par Henri II, ne se maintint que bien peu de temps. On a vu dans le volume précédent qu’une ligue s’était formée après la mort de Henri II, sous la direction suprême du prince Guaimar de Salerne, pour reprendre cette ville et la restituer au beau-frère de ce dernier qui en avait été dépouillé par Henri II, le fameux Pandolfe IV, enfin sorti des geôles d’Allemagne par la permission du nouvel empereur germanique Conrad II, et cela sur les supplications de Guaimar.[38] Les Grecs, sous leur catépan Basile Bojoannès, le comte des Marses, Guaimar de Salerne au service duquel se trouvaient presque tous les Normands, aussi ceux de Comino, tous les anciens ennemis de l’empereur Henri II, unis contre le prince imposé par lui, qui était pour eux le plus incommode des voisins, avaient pris part à cette expédition et donné leur appui à Pandolfe IV dans cette attaque contre Capoue, inaugurée vers la fin de l’an 1024. C’était la reconstitution presque immédiate du parti grec dans l’Italie méridionale. Parmi ces Normands de Comino qui combattaient au service du prince de Salerne, il y en avait quelques-uns qui ne venaient pas de cette localité. Entre ceux-ci, Léo de Marsi en signale deux: Rainulfe et Arnold, dont le premier devait bientôt avoir la gloire de fonder en Italie la première ville normande. Capoue, défendue par Pandolfe de Teano qu’Henri II y avait établi en 1022, sachant d’ailleurs ce qui l’attendait si elle ouvrait ses portes à son ancien souverain, résista durant un an et demi à ces forces très supérieures et à toutes les attaques de la ligue, présidée peut-être par le catépan à partir de son retour de l’expédition de Messine. Basile II était mort depuis quelque temps déjà, quand, en mai de l’an 1026, elle fut enfin forcée de capituler. Du reste, si elle succomba, ce fut moins par la violence que par la trahison des bourgeois. Pandolfe, d’ailleurs, n’eut point l’humiliation de remettre sa ville à son cousin, l’autre Pandolfe.

Il la rendit au catépan qui lui promit la vie sauve avec la permission de se retirer librement auprès du duc de Naples, le magistros impérial Sergios IV, lequel devint responsable de sa personne. Quant à Pandolfe IV, l’ami des Grecs, celui qu’on nommait déjà le « fortissime loup des Abruzzes », tout frémissant encore de l’horreur des prisons allemandes, il reprit avec orgueil et joie, des mains du « catépano », possession de sa principauté. Il avait associé à son pouvoir son petit-fils, Pandolfe V.[39]

Je rappelle que je n’écris point ici ni l’histoire de l’Italie méridionale, ni celle de la conquête de ces provinces par les Normands. Je raconte uniquement le déclin de la domination grecque en ces parages sous les règnes qui m’occupent. Je serai forcément très bref sur les événements, si nombreux à cette époque troublée, qui ne concernent pas directement les Grecs, événements dont le récit m’entraînerait beaucoup trop loin. Je les mentionnerai lorsque cela sera nécessaire, mais toujours très succinctement, renvoyant pour plus de détails aux ouvrages spéciaux très nombreux.

On voit par ce qui précède combien le catépan excellait à user habilement de la prépondérance naturelle de l’autorité grecque à l’endroit des seigneurs longobards.[40] Pour tenir en bride Pandolfe IV réintégré dans Capoue, ce Pandolfe dont il pouvait connaître déjà l’âme ambitieuse aux si hautes visées, Bojoannès prit, nous venons de le voir, sous sa protection immédiate son rival et mortel ennemi Pandolfe de Teano, le mettant à l’abri de la vengeance de son plus redoutable adversaire, lui procurant un sûr refuge dans la ville de Naples fidèlement dévouée à Byzance. De cette manière, il eut constamment sous la main un excellent prétendant tout prêt à être replacé dans Capoue le jour où la fidélité de Pandolfe IV viendrait à faiblir ou bien encore où sa puissance deviendrait par trop menaçante pour les Grecs.[41] La suprématie byzantine dans l’Italie méridionale se trouva ainsi encore plus nettement confirmée. Elle ne fut même nullement ébranlée lorsque, à la mi-avril de l’an 1027, le nouveau roi élu de Germanie, Conrad II, successeur de Henri II, qui venait avec sa femme Gisèle de recevoir en grande pompe, le 26 mars, des mains du pape Jean XIX, la couronne impériale en présence des rois Rodolphe III de Bourgogne et Canut d’Angleterre et de Danemark, fit son apparition dans le sud de la Péninsule.[42]

L’empereur germanique, bien que vaillant et énergique, peu désireux d’entamer une lutte ouverte contre les Grecs, dut se contenter, dans une marche rapide, de faire reconnaître moitié de gré, moitié de force, sa suzeraineté par les princes longobards de Bénévent, de Capoue et de Salerne. Pandolfe IV de Capoue, qui promit tout ce qu’on voulut, fut reconnu sans conteste. De même Conrad semble avoir de très bon gré donné son assentiment à l’alliance des Normands avec les princes de Capoue et de Salerne et décidé, en outre, que ces guerriers seraient définitivement pourvus de résidences fixes dans le sud de son empire, comme protection toute-puissante pour ses vassaux longobards contre les prétentions de jour en jour plus actives de la grécité en ces parages. En tout cas, cette présence si courte, de quelques jours à peine, du nouvel empereur d’Occident dans l’Italie méridionale, ou plutôt en Campanie seulement, fut sans suite aucune comme il en avait été si souvent le cas déjà pour d’autres souverains germaniques. D’ailleurs, dans l’esprit de ce prince qui, dès la fin de mai, dans sa grande hâte du retour, avait aussitôt repassé les Alpes par la voie de Vérone, un plan hardi avait déjà alors pris forme qui n’était autre que celui d’une alliance matrimoniale entre son Empire et celui d’Orient. A peine quelques mois plus tard, Conrad, nous l’allons voir, envoyait une ambassade à la cour de Byzance pour y proposer le mariage, d’ailleurs bien extraordinaire, de son fils et héritier, alors âgé de dix ans seulement, avec une des filles et héritières de Constantin VIII qui toutes deux avaient environ cinq fois l’âge de cet enfant. Ce fut certainement en considération de ce projet quelque peu fantastique qui s’agitait déjà en son esprit que Conrad, lors de sa visite dans l’Italie méridionale, s’efforça de ménager les territoires encore soumis à l’autorité byzantine et de ne léser en rien dans ces régions lointaines les intérêts du basileus.

Voici à peu près tout ce que nous savons sur l’étrange ambassade matrimoniale dont je viens de parler: Il est très vraisemblable, dit Breslau, que ce fut au concile de Francfort, en 1027, que l’empereur Conrad chargea l’évêque Werner de Strasbourg d’aller en qualité d’ambassadeur à Constantinople pour y quérir auprès du basileus une épouse pour le petit prince Henri. Constantin, n’ayant pas d’héritier mâle, l’empire d’Orient reviendrait naturellement après sa mort à qui aurait épousé une de ses deux filles demeurées dans la monde, c’est-à-dire n’ayant pas pris le voile comme leur aînée, mais quelle immense disproportion d’âge entre les deux époux proposés et quelle manière de vivre si différente! Il nous parait aujourd’hui que ce fut une audacieuse et presque indéfendable folie d’avoir songé à unir un enfant de dix ans, né dans les bruines de la sauvage Germanie, avec une vieille Porphyrogénète cloîtrée depuis tantôt un demi-siècle dans la molle et morne existence du Gynécée impérial de Byzance. Mais, à cette époque du xe siècle, les fabricants d’unions impériales, ne considérant autre chose en leurs projets chimériques que le but politique à atteindre, ne reculaient devant aucune invraisemblance. Nous ne savons laquelle des deux antiques princesses, Zoé ou Théodora, se trouva plus spécialement visée. Probablement on songea surtout à Théodora, qui était la plus jeune et à laquelle plus tard Skylitzès dit qu’on offrit d’abord la main de Romain Argyros. Nous ignorons de même complètement jusqu’à quel point ce projet matrimonial avait pour objet principal dans l’esprit de ceux qui l’avaient préparé: la grande pensée de replacer à nouveau sous un sceptre unique les deux empires d’Occident et d’Orient. On ne peut que signaler ce fait curieux pour l’époque que l’empereur Conrad II et son entourage se montraient généralement favorables à des combinaisons de cet ordre tout extravagantes et atteintes de mégalomanie que celles-ci puissent nous paraître aujourd’hui. Ne savons-nous pas avec certitude que, bien peu d’années plus tard, aux fiançailles de la fille de Conrad avec le roi Henri de France, prit corps cette pensée que ce mariage amènerait un jour une union nouvelle des deux monarchies franques d’Occident et d’Orient! Et combien plus lointaine cependant cette dernière éventualité devait paraître, que celle qu’on pouvait dès maintenant prendre en sérieuse considération, au cas où ce mariage projeté réussirait, entre l’héritier de l’Empire romain et l’héritière de Byzance!

Donc, l’évêque Werner de Strasbourg se mit en route, accompagné par une suite brillante. L’empereur lui avait donné comme collègue en diplomatie le comte souabe Manegold, de la maison de Dillingen-Woerth.[43] Un énorme convoi de bagages, de véritables troupeaux de chevaux, de boeufs, de moutons, de porcs suivaient le poudreux cortège de dignitaires qui s’avançait à travers l’Europe orientale avec une solennelle lenteur, dans un fastueux déploiement de pompe impériale. Évidemment, on comptait en imposer à la cour byzantine qui tant aimait la représentation. On s’était, en haut lieu, décidé pour la grande voie ordinaire des pèlerins d’Orient à cette époque, la route de terre par la Hongrie et la péninsule des Balkans, et l’évêque Werner s’imagina qu’en faisant semblant de se rendre en pèlerinage à Jérusalem, il ferait plus facilement route à travers ces contrées périlleuses. Mais, alors que le roi Étienne de Hongrie accueillait d’ordinaire de la manière la plus amicale tous les pieux voyageurs se rendant en Terre Sainte, les autorisant à traverser son royaume tout à leur aise, ce prince fit à l’évêque de Strasbourg, pour une raison qui nous échappe, une réception toute différente. Vraisemblablement, les relations entre le roi de Hongrie et l’empereur germanique n’étaient déjà plus aussi bonnes. En outre, il était presque impossible que le but vrai de cette mission fût demeuré entièrement caché pour Etienne.

Le secret était bien difficile à garder, et une fois qu’il se trouvait divulgué, la défiance de ce souverain en devait être fort excitée. Bref, les choses tournèrent si mal que les envoyés impériaux, rebroussant chemin brusquement, résolurent, par la Bavière et le Brenner, de gagner l’Italie pour s’embarquer à Venise. Naturellement, ceci non plus n’alla pas sans difficultés. Les ambassadeurs furent longuement retenus aux frontières de la marche de Vérone avant d’obtenir accès dans Venise, on n’avait aucun intérêt à soutenir les plans extraordinaires du César germanique. Ils finirent cependant par atteindre leur but et, après une navigation orageuse, calamiteuse, semée de périls incessants, comme c’était presque toujours alors le cas dans ces parages, atteignirent enfin la Ville gardée de Dieu. Grâce à tant de traverses, ils ne durent guère y arriver avant les premiers mois de l’an 1028. Par deux sources d’origine très différente, nous apprenons qu’on fit à Byzance, aux envoyés impériaux allemands, la plus belle réception. Les conceptions de la cour des basileis sur l’Empire d’Occident, sur sa grandeur et son importance, s’étaient notablement modifiées depuis les temps de Nicéphore Phocas et la réception humiliante que ce prince n’avait pas craint de faire soixante ans auparavant à Liutprand, l’ambassadeur d’Otton Ier.

Aussi les deux envoyés de l’empereur Conrad entretinrent-ils incontinent avec le basileus Constantin et son entourage les relations les plus intimes et les plus cordiales. Le comte Manegold, en particulier, par la splendeur de son maintien, par son entregent, son attitude toute de sagesse et de prudence, s’attira, au cours de relations presque journalières, à un tel degré la faveur du souverain, que celui-ci lui fit don des plus précieuses reliques, d’un prix inestimable: un fragment de la Vraie Croix entre autres, certainement enchâssé dans quelque reliquaire de prix. Cependant, les véritables négociations à l’occasion desquelles ce voyage si lointain, si pénible, avait été entrepris, ne faisaient aucun progrès sérieux. Ou bien les ambassadeurs allemands, alors qu’ils eurent appris à mieux connaître les vieillissantes filles de Constantin, eurent-ils scrupule de réclamer sérieusement pour leur jeune souverain, dont l’avenir était si brillant, la main d’une de ces princesses antipathiques dont il n’y avait vraiment absolument rien de bon à dire, ou bien l’empereur Constantin lui-même, ainsi que cela avait été constamment le cas jusqu’ici, pour des raisons d’ordre politique, ne pouvait-il en arriver, même dans les conditions présentes, à une décision définitive pour le mariage d’une de ses filles? C’est ce qu’il nous est impossible de démêler exactement. Une seule chose est certaine, c’est que mois après mois passèrent sans qu’on puisse aboutir. Le chroniqueur Wipo dit que l’évêque Werner songeait à nouveau à entreprendre le pèlerinage de Jérusalem et qu’il comptait bien mener cette entreprise à bonne fin avec l’appui du basileus, mais que, comme il se présentait chaque jour un nouvel empêchement, il finit par se trouver contraint de renoncer à son projet. Certainement, ce bruit, rapporté par cet historien, repose sur les récits des compagnons de l’évêque, après leur retour en Allemagne. Nous n’avons donc aucune raison d’en suspecter la véracité. Mais, par cela même, il doit nous fortifier dans la pensée que même Werner espérait à peine un heureux résultat des négociations à lui confiées par son empereur, sans cela il n’eut jamais songé à remettre à une date si éloignée et son retour en Allemagne et le rapport qu’il devait à son souverain sur le résultat de sa mission.

Sur ces entrefaites, dans le courant de l’automne de l’an 1028, survinrent successivement à Constantinople deux événements funèbres, qui modifièrent les circonstances du tout au tout et amenèrent très naturellement d’eux-mêmes la rupture définitive des négociations. Le 28 octobre expira, après une courte maladie, le pauvre évêque Werner, loin de son pays natal et de ses ouailles, sans avoir même pu accomplir le désir secret de son cœur, le cher pèlerinage aux lieux saints. Il fut enterré à Byzance, en terre étrangère. Deux semaines plus tard à peine, le basileus Constantin tombait à son tour gravement malade. Au bout de trois jours il rendait le dernier soupir, après s’être donné un successeur en mariant la seconde de ses filles au patrice Romain Argyros.

Suivant le récit du chroniqueur Berthold de Donauwoerth, ce changement de règne eut pour le second des ambassadeurs allemands, le comte Manegold, les plus pénibles suites immédiates. Au couronnement même du nouveau basileus, le fragment de la Vraie Croix à lui remis par Constantin se trouva égaré. L’injuste soupçon de l’avoir, non point reçu en don, mais simplement détourné, tomba sur l’infortuné envoyé allemand, dont on connaissait les relations intimes avec le feu basileus. Le pauvre homme fut jeté en prison. On perquisitionna dans sa demeure, mais comme il avait eu la prudence d’expédier d’avance dans son pays l’inestimable relique, on ne trouva rien. Les preuves pour le condamner firent totalement défaut et il fallut bien le remettre en liberté et le laisser partir.

Il est très possible que le nouveau basileus, ainsi que l’affirme plus loin le même chroniqueur Berthold, ait tenté de prolonger sur des bases nouvelles les négociations pour le mariage allemand, en faisant offrir cette fois au jeune Henri la main d’une de ses sœurs à lui, devenues, par suite de ce changement soudain, princesses de la maison impériale.[44] Wipo, lui aussi, parle d’une lettre « en caractères d’or », un chrysobulle, adressé par Romain Argyros à l’empereur Conrad. De même encore dans un document émanant de l’impératrice Adélaïde, mère de l’empereur Conrad, au sujet du monastère fondé par cette princesse à Oehringen, où elle voulait avoir sa sépulture, nous lisons la mention de reliques précieuses envoyées par le même basileus Romain; et ce prince, probablement toujours à cette même occasion, et cédées par ce dernier à sa mère. Mais, tout naturellement aussi, on le comprend, Manegold, dans des circonstances aussi complètement modifiées, ne put que promettre au nouveau basileus qu’il ferait part de ces propositions à son souverain. Sa propre mission était terminée, honoré de riches et précieux présents, des reliques encore très vraisemblablement, il prit le chemin du retour. On peut, semble-t-il, fixer sa rentrée en Allemagne aux premiers mois de l’an 1029. Il est trop aisé de comprendre que Conrad ne se rendit point à l’invitation de Romain Argyros, après surtout qu’il eut entendu de la bouche de son envoyé l’exposé précis des circonstances de la cour byzantine, circonstances dont probablement il se doutait jusque-là fort peu. Ainsi le projet de mariage grec fut définitivement abandonné à la cour impériale allemande. Cependant l’ambassade de Werner et de Manegold ne devait pas demeurer complètement sans conséquences politiques. Bien qu’on ne puisse pas tenir pour certain ce qu’on ne peut actuellement encore que conjecturer, que, dès cette époque ou peut-être seulement plus tard, une alliance formelle fut conclue entre l’empereur Conrad et Byzance, il demeure certain toutefois que l’attitude du souverain germanique durant sa seconde expédition en Italie prouva d’une manière fort claire que des relations s’étaient établies entre les deux Empires, bien plus amicales qu’aux temps des Ottons et des Henri.

Reprenons la suite des événements qui se passèrent dans l’Italie méridionale sous le règne si court du basileus Constantin. A peine l’empereur Conrad avait-il quitté, pour retourner en Allemagne, les marches méridionales de son Empire dans la Péninsule qu’un changement très important se fit dans les forces relatives des seigneuries longobardes, changement également destiné par la suite à transformer la situation de l’empire byzantin en ces parages. Dans ce même printemps de l’an 1027, en effet, mourut le fameux prince Guaimar de Salerne. Son fils, Guaimar V, associé à son pouvoir depuis l’an 1018, lui succéda, âgé d’à peine quatorze ans, d’abord sous la tutelle de sa mère Gaïtelgrima, puis seul à sa majorité, mais toujours sous l’autorité très directe de son oncle Pandolfe de Capoue. Neveu et oncle s’unirent à tel point que le premier s’inféoda étroitement à la politique du second.

Sentant sa puissance très augmentée par cette heureuse alliance, Pandolfe IV qui, déjà, s’était emparé du Mont Cassin, s’enhardit jusqu’à venir attaquer et bloquer étroitement dans sa cité le protégé de la cour byzantine, le magistros Sergios IV de Naples, coupable, on se le rappelle, d’avoir jadis, sur la demande de Bojoannès, donné asile au rival du prince de Capoue, Pandolfe de Teano, et à son fils Jean. Par de très habiles intrigues intérieures qui, probablement, amenèrent la trahison du parti de la noblesse, Pandolfe de Capoue réussit à prendre Naples dans les dernières semaines de l’an 1027 ou au commencement de l’an 1028. Pandolfe de Teano et son fils durent s’enfuir à Rome devant leur mortel ennemi. Sergios IV, lui, se retira à Gaète. L’heureux vainqueur prit possession de la ville et seigneurie de Naples dont tous les actes continuèrent à être datés des années du règne des basileis de Constantinople. Ceci, a-t-on dit fort bien, tendrait à faire admettre que cette conquête de Naples par le prince de Capoue eut peut-être lieu avec le consentement tacite de la cour de Byzance, ou bien plutôt encore que les Grecs, absorbés par d’autres tâches en Sicile et dans l’Italie méridionale, laissèrent faire Pandolfe sans souffler mot et acceptèrent sans protester cette augmentation de puissance de ce prince à condition toutefois qu’il consentit, dans sa nouvelle conquête napolitaine, à reconnaître, à l’égal de ses prédécesseurs, la suprématie byzantine. Précisément, à ce moment, les troupes grecques venaient, en effet, ainsi qu’on l’a vu plus haut, d’éprouver en Sicile un sanglant échec à Messine où ils avaient été aussi inopinément que vigoureusement attaqués par les Sarrasins. Romain Argyros qui venait de succéder à Constantin s’empressa d’expédier des renforts de Grèce et de Macédoine en Italie pour remédier à ce triste état de choses, mais ces troupes nouvelles ne firent rien de bon ou s’enfuirent devant les Musulmans. Aucun résultat militaire important ou durable ne put être obtenu, grâce au déplorable commandement de l’armée.

La suite de tout ceci fut le rappel définitif, dans le courant de l’automne de l’an 1028 du cubiculaire eunuque Oreste, malheureusement aussi de l’habile et énergique catépan Bojoannès qui avait rendu à l’Empire, en ces parages d’Italie, de si longs et si brillants services. Ce partitif capitaine fut remplacé dans son commandement par un certain Christophoros,[45] qui fut certainement nommé sur place, car la Chronique du protospathaire Lupus, en mentionnant ce changement, ajoute que le grand hétériarque Eustathios[46] vint à Constantinople en qualité de « mandator » impérial, pour confirmer le nouveau catépan dans sa dignité et ramener à Constantinople les deux chefs disgraciés Oreste et Bojoannès.[47]

De ce Christophoros un souvenir nous est demeuré, souvenir très précieux, parce qu’il nous confirme cette haute dignité de catépan d’Italie » dont ce personnage fut investi. C’est une inscription qu’on lit encore aujourd’hui gravée au-dessus de la porte de la charmante mosquée de Kazandjilar,[48] très ancienne église byzantine à Salonique. Cette inscription fort mal lue par Texier, a été restituée depuis par ce fin connaisseur des choses de Byzance qui a nom le docteur A. Mordtmann, de Constantinople. Ce texte précieux raconte que « ce lieu autrefois profane a été transformé en temple de la Vierge, par Christophoros, le très illustre protospathaire impérial et catépan de Longobardie, par son épouse Marie et par ses enfants Nicéphore, Anne et Katakala, à la date de l’indiction XII de l’année du Monde 6537 », date qui correspond exactement à la fin de l’année 1028, la douzième indiction commençant, en effet, exactement avec le mois de septembre de cette année. Il semble bien, nous l’avons vu, que Christophoros était déjà présent en Italie lors de son installation, car celle-ci eut lieu à Bari même en vertu d’un ordre souverain apporté par le « mandater » impérial Eustathios. Probablement, il avait servi primitivement en qualité de lieutenant de Bojoannès avant d’être appelé à lui succéder. La construction d’une église en l’honneur de la Sainte Vierge « Hodigitria », « Celle qui conduit à la victoire », dit fort bien M. Mordtmann, paraît fort naturelle au début d’une carrière aussi dangereuse que l’était celle d’un catépan de Longobardie. Probablement Christophoros était originaire de Salonique ou bien il y avait du moins longtemps vécu, et il avait, au moment de sa nomination de « catépano », écrit à sa femme de faire édifier ce temple à la Toute Sainte pour attirer les bénédictions de celle-ci sur sa nouvelle et si périlleuse fonction.

M. Mordtmann possède dans sa riche collection le sceau en plomb du vaillant catépan Bojoannès. Ce précieux petit monument port la légende que voici: Seigneur, porte secours à ton serviteur Jean, patrice, protospathaire impérial et stratigos de Longobardie.

A plusieurs reprises déjà, j’ai dit que Constantin VIII avait eu trois filles seulement de sa femme, la belle et bonne basilissa Hélène, de race très illustre, fille de « ce fameux patrice Alypios », qui jadis avait été au tout premier rang, à Constantinople, comme influence et dont nous ne savons du reste rien d’autre absolument.

Il l’avait épousée, étant fort jeune encore. Quant aux trois petites princesses, leurs filles, demeurées, semble-t-il, après la mort prématurée de leur mère, le charme du vieux palais où régnait leur oncle célibataire, le grand Basile, et leur père, elles y avaient, de l’expression même de Psellos, un presque contemporain, « reçu une éducation vraiment impériale »! Le terrible basileus adorait ses nièces mais ses occupations ne lui permettaient pas de diriger leur instruction dont il avait laissé le soin à leur père. Lui, pendant ce temps, veillait au salut de l’Empire.

L’aînée de ces trois princesses, Eudoxie, nous dit encore Psellos, se distinguait de tous les autres membres de sa famille par la modération, la douceur angélique de son caractère. Sa beauté était médiocre. Dès l’enfance, les marques de la petite vérole avaient cruellement abîmé son visage. Elle était entrée au couvent probablement à la suite du chagrin que lui avait cause cette destruction de sa grâce féminine.[49]

Venait ensuite Zoé, née en 980. « Je l’ai vue souvent dans ses vieux jours, nous dit Psellos. Elle était d’humeur altière, très belle de corps, d’esprit brillant ». Je reviendrai longuement sur les qualités physiques et morales de cette étrange Porphyrogénète. La dernière des filles de Constantin, Théodora, toujours au dire de Psellos, était moins belle que sa sœur Zoé. Elle avait, par contre, la parole plus facile et plus prompte. Elle et Zoé étaient, naturellement, fort mal ensemble. Théodora était de quelques années plus jeune.

Basile, en mourant, n’avait pris aucune disposition à l’égard de ses nièces et héritières. De même Constantin, durant qu’il gouverna seul l’Empire aux derniers temps de sa vie, n’eut cure d’aucune d’entre elles. Les deux plus jeunes acceptaient sans murmurer ce complet effacement et menaient sans apparent chagrin la vie monotone du Gynécée. Mais l’aînée, Eudoxie, nous l’avons vu, « soit qu’elle ne se souciât aucunement du pouvoir, soit qu’elle eût tout simplement choisi la bonne voie », avait prié son auguste père de consentir à ce qu’elle se donnât à Dieu. Constantin avait acquiescé au vœu de sa fille et présidé personnellement à la prise de voile de la jeune princesse. « Pour ce qui est des deux autres soeurs, ajoute sentencieusement Psellos, il avait ses desseins secrets, mais il n’est pas encore temps de parler de ces choses! »

C’était la terreur cachée de faire par cette union le jeu de quelque noble byzantin qui avait constamment empêché Basile, puis Constantin, de marier de leur vivant ces princesses, ultimes rejetons, héritières dernières de la vieille souche impériale macédonienne. C’était pour cette cause uniquement, cause d’ordre essentiellement politique, que celles-ci avaient passé de si longs jours au Gynécée, et que leur jeunesse s’y était flétrie dans cette vie monotone, abrutissante et déprimante entre toutes.

Constantin, accablé par l’âge, usé par la débauche, de plus en plus désintéressé des affaires de l’État, renfermé uniquement dans le cercle de ses tristes plaisirs, tomba subitement malade dans les premiers jours du mois de novembre de l’an 1028, le 9 novembre exactement. Considéré de suite par les médecins comme perdu et abandonné par eux, comprenant que c’en était fait de lui, il songea enfin à ce dont il semblait ne s’être jamais soucié jusqu’ici, à se désigner un successeur. Comme il ne laissait après lui aucun fils, il n’y avait pour lui qu’une issue: trouver un époux pour une des deux princesses qui, par suite de carence de tout membre mâle de la famille, allaient hériter régulièrement et nécessairement de l’immense empire des basileis si glorieusement restauré par le grand Basile: « Ce choix d’un mari était des plus difficiles, dit Psellos, car, parmi les hauts personnages sénatoriaux entre lesquels il fallait de toute nécessité choisir, le basileus n’en avait jusqu’ici distingué aucun pour ses qualités particulières. Aucun non plus ne lui avait été spécialement désigné par ses collègues du Sénat. De fiévreuses délibérations se tinrent au chevet du mourant. Le choix de celui-ci s’était d’abord fixé sur le patrice Constantin Dalassénos, d’une illustre famille de la noblesse byzantine, qui vivait pour lors retiré dans ses vastes domaines du thème arméniaque en Asie. Disons de suite que Psellos, qui va devenir notre guide principal, ne parle pas de ce premier candidat. Il ne nous est connu que par les seuls Skylitzès et Zonaras. « Constantin, mourant, disent ceux-ci, ayant décidé de marier Dalassénos à une de ses filles et de le désigner en même temps pour le trône en le nommant d’ores et déjà césar, l’envoya chercher précipitamment par Ergodotes, un de ses plus fidèles eunuques. » C’était certainement dans l’espèce le meilleur choix que le vieux basileus put faire. Aussi cette combinaison échoua. Plus, en effet, ce candidat était excellent, plus il déplaisait aux ministres de l’empereur moribond qui ne songeaient qu’au moyen de maintenir leur puissance sous le règne de son successeur désigné. Une intrigue destinée à faire échouer ce premier projet se noua aussitôt. Fort heureusement pour les conspirateurs, le thème arméniaque était loin et la mort du basileus était proche.

Le drongaire de la Veille ou préfet de police de la capitale, l’eunuque Syméon, favorisait de toutes ses forces un autre candidat, le patrice Romain Argyros, lui aussi de la plus noble origine,[50] un des premiers dans l’Empire, propre parent de l’empereur, très haut fonctionnaire,[51] aussi membre du Sénat. C’était également du reste, au dire de Psellos, un choix parfait, la meilleure des alliances pour l’héritière du trône, à cause de cette famille des Argyros, si illustre, si considérée, aussi à cause de toutes ces hautes dignités dont était revêtu le candidat.

A force d’intrigues, Syméon réussit à faire abandonner le premier projet. Un second message impérial fut expédié à Dalassénos, lui intimant l’ordre de ne pas dépasser le point où le toucherait la missive impériale, et d’attendre là de nouveaux ordres. Le temps pressait. Bientôt la mort du vieux basileus parut si proche qu’il ne fut plus possible ni de délibérer, ni de se concerter, ni même de remettre la décision finale. Constantin, moribond, n’avait maintenant plus de pensée que pour Romain Argyros. C’était lui qu’il voulait à tout prix pour gendre! Donc Romain fut mandé en hâte au Palais. J’ai négligé de dire que ce précieux candidat était marié!

On n’ignorait point que sa femme, qu’il avait épousée dès sa jeunesse et qui le chérissait, était naturellement fort hostile à cette combinaison inouïe qui ruinait si inopinément son pauvre bonheur à elle. Une comédie fut, en conséquence organisée pour hâter un dénouement nécessaire en terrifiant Romain. Le vieux basileus expirant, feignant une vive colère, le fit saisir ainsi que sa femme par ses gardes. Puis se le faisant amener, il donna au malheureux épouvanté le choix ou de divorcer sur l’heure d’avec son épouse légitime et de se marier immédiatement après avec sa fille, la Porphyrogénète Zoé, héritière présomptive du trône en prenant le titre de césar, puis, à sa mort à lui, de devenir basileus aux côtés de sa nouvelle épouse, ou, au contraire d’avoir aussitôt les yeux crevés.[52]

On donna à Romain jusqu’à la fin du jour pour répondre. Le pauvre homme, qui adorait sa femme, hésitait affreusement. La cour, anxieuse de ce drame qui se jouait auprès de ce lit de mort, assista alors à un spectacle presque sublime. L’épouse d’Argyros, ne se doutant pas un moment qu’il ne s’agissait là que d’une pure comédie, ne voulant pas que son mari endurât à cause d’elle ce cruel supplice, se sacrifia noblement. Fondant en larmes, vêtue de noir, elle se fit couper les cheveux en sa présence, annonçant ainsi sa volonté arrêtée de renoncer à lui et d’embrasser la vie monastique pour sauver ces chers yeux qu’elle ne devait plus voir. Puis elle se laissa docilement emmener au fond du couvent qui lui avait été assigné pour demeure! Elle y vécut plusieurs années encore et mourut en 1032.

En même temps, à la joie de tous, Argyros était conduit triomphalement au Palais où il fut sur le champ proclamé césar et héritier de l’Empire en présence de son auguste fiancée Zoé, âgée pour lors déjà de quarante-huit ans bien sonnés. Constantin avait naturellement d’abord songé à le marier à sa seconde fille Théodora, plus jeune, et qui pouvait peut-être encore espérer avoir un héritier. C’était celle des trois Porphyrogénètes qui avait certainement le plus de qualités, qui était la mieux faite pour régner et à laquelle son père avait constamment en secret destiné l’Empire après lui. Mais elle refusa obstinément d’épouser Romain, peut-être, disent les chroniqueurs, par scrupules religieux pour la parenté qui les unissait, ou bien plutôt parce qu’il était marié à une femme encore vivante et qu’elle ne voulait pas s’unir à un homme aussi irrégulièrement divorcé. Zoé, au contraire, plus belle, mais aussi plus ambitieuse, moins timorée surtout, brûlant, à près de cinquante ans, des feux inassouvis de sa chaste, longue et déjà lointaine jeunesse, ne se fit pas prier et, au refus de sa sœur, accepta avec entrain ce mari fort inattendu mais déjà, lui aussi, terriblement mûr.[53]

La question de parenté — les pères des deux fiancés étaient cousins par leurs mères[54] — était une grosse difficulté. Elle fut naturellement invoquée par ceux qui, au Palais, voyant cette union de mauvais oeil, voulaient à tout prix s’y opposer, mais elle fut presque aussitôt définitivement écartée. L’Eglise, par la bouche docile du patriarche Alexis, très favorable à ce mariage, ayant levé toutes les barrières, proclama qu’il n’y avait à cette union aucun empêchement canonique sérieux. Aussitôt donc, sans le moindre délai, Zoé fut solennellement unie à Argyros, probablement dans la chapelle du Palais. Yahia affirme que si le patriarche se prêta si facilement à rompre le premier mariage de Romain et à lui en laisser contracter aussitôt après un second malgré les difficultés d’ordre si grave, ce fut dans l’intérêt de l’État, afin d’éviter toute lutte pour le pouvoir après la mort maintenant imminente du basileus Constantin.

Le troisième jour après le début de cette maladie si violente et aussi de cette crise politique intérieure, le 11 novembre de l’an 1028,[55] le basileus Constantin, qui avait ainsi pu assister aux premières heures de l’existence commune de la nouvelle basilissa et de son époux si rapidement improvisé, expira, laissant l’Empire à son nouveau gendre. Il mourait à soixante-dix ans.[56] Presque toute sa vie s’était passée sur le trône aux côtés de son frère Basile. Il avait régné seul trois ans moins quelques jours.[57]

« Constantin, nous dit Yahia, fut enseveli dans le très beau tombeau de marbre, de couleurs harmonieuses et de dessin varié, primitivement préparé par son frère Basile pour lui-même aux Saints Apôtres, tombeau délaissé plus tard par ce prince pour celui de la petite église de Saint Jean l’Évangéliste. »

On attribue, sans preuves très sérieuses à l’appui, au court règne solitaire de Constantin après la mort de son frère, quelques monnaies d’or et de cuivre sur lesquelles ce prince, déjà très figé à cette époque, figure avec une longue barbe très fournie, vêtu de la robe de cérémonie à grands carreaux. Il existe de ces sous d’or des exemplaires à flan épais, de module moindre, et d’autres de plus grand module, à flan mince. Au droit on lit la légende, en caractères grecs: Constantin, basileus des Romains. Au revers, sur les sous d’or, figure la vieille devise latine: Jhesus Christus rex regnantium, environnant le beau buste du Rédempteur sur la croix des monnaies byzantines de cette époque. Sur les pièces de cuivre on lit au revers la légende grecque en quatre lignes: Constantin, fidèle en Dieu, basileus des Romains.[58]

On connaît une seule Novelle de ce basileus durant les trois années de son règne solitaire. Elle est datée du mois de juin de l’an 1026 et consacrée « à ceux qui tentent de se révolter contre le chef de l’état et à leurs complices ».[59]

 

 

 



[1] Psellos fait erreur, semble-t-il, en disant qu’il était âgé de soixante-dix ans.

[2] « Le lundi 13 décembre, dit Yahia, de grand matin. » En réalité ce fut le 15 décembre. Basile était mort à la neuvième heure de ce jour.

[3] Voyez le portrait très chargé de ce prince, tracé en opposition à celui de son frère, dans Manassès (vers 1033 à 1050).

[4] On se rappelle qu’à la date de la mort du Bulgaroctone, il n’y avait qu’un arriéré d’impôt de deux années.

[5] Yahia, éd. Rosen, dit que Constantin fit mettre aussitôt en liberté tous les complices de Nicéphore Phocas et de Nicéphore Xiphias qui, pour avoir prêté secours à ces deux rebelles, avaient été emprisonnés par ordre de Basile, ainsi que beaucoup d’autres condamnés. L’écrivain syrien est seul à parler de cette amnistie, dont les Byzantins ne semblent rien savoir. Mathieu d’Édesse dit pourtant, on le verra plus loin, que Constantin fit ouvrir les prisons à son avènement.

[6] Deux inscriptions dédicatoires encore aujourd’hui conservées dans l’église de l’Assomption de la Vierge, à Nicée, concernent presque certainement cet eunuque Nicéphore, qui y figure avec les titres de patrice, de préposite, de « vestis » et aussi de grand hétériarque. Sur une fresque du narthex de cette église, fondée par lui, fresque grossière d’époque moderne très certainement calquée sur une plus ancienne, ce personnage figure en costume guerrier, agenouillé devant la Vierge auprès de son basileus. Voyez surtout O. Wulff, Die Koimesiskirche in Nicæa und ihre Mosaiken 1903 — Je possède également dans ma collection le sceau de ce personnage avec son seul titre de grand hétériarque. Quand j’ai publié pour la première fois ce sceau dans ma Sigillographie byzantine, je n’avais pas encore réussi à en identifier le propriétaire.

[7] Zonaras, qui s’inspire de Psellos, dit que Constantin ne régna que par la délation, prêtant l’oreille à toutes les calomnies. Enclin à la colère, mais moins opiniâtre que Basile dans son ressentiment, il changeait facilement d’avis, se montrant alors souvent désolé du mal qu’il avait causé.

[8] Qu’il appelle « Gomianos ».

[9] Arisdaguès de Lasdiverd place cet événement dans la première année de règne solitaire de Constantin VIII, aussitôt après la mort de son frère. Basile.

[10] Ville de la province de Douroupéran, sur la côte nord du lac Van.

[11] Yahia semble prendre cette accusation tout à fait au sérieux.

[12] A partir de cet infortuné Bardas, la maison Phocas semble disparaître de l’histoire.

[13] Autrement dit « Georges le Noir. »

[14] C’est-à-dire certainement: gouverneur des grandes forteresses établies par Basile dans l’intérieur de la Bulgarie, pour maintenir les Bulgares encore frémissants. Ce Romain Courcouas était fils du Jean Courcouas tué par les Russes sous Tzimiscès.

[15] Dignitaire palatin.

[16] Il y eut dans cette première année du règne et dans les suivantes une terrible sécheresse par tout l’Empire. Des sources qui n’avaient encore jamais tari, de véritables rivières furent mises à sec. Par contre, Aboulfaradj raconte, à cette même année 1026, que l’Euphrate et le Tigre gelèrent au point, qu’on put les franchir à pied! L’an d’après, il tomba une grêle effroyable. En 1018, il parut au ciel des signes effrayants. Un d’entre eux avait la forme d’un serpent. Ce devait être une comète certainement (Chronique dite de Nestor, éd. Léger). — Yahia mentionne, dans le cours de la seconde année du règne, le 4e jour de kanoun, ou 21e jour du mois de cheval de l’an 417 de l’Hégire, qui correspond au 5 décembre de l’an 1026, un violent tremblement de terre. Beaucoup d’édifices dans la capitale s’écroulèrent

[17] L’écrivain syrien Yahia dit du reste précisément le contraire! « Constantin, écrit-il, fit remise à tous les habitants de l’Empire des arrérages des impôts. De plus, il fit de même remise de tous impôts sur tous domaines en friche tant qu’on n’aurait pas cultivé à nouveau ceux-ci, c’est-à-dire qu’il ne préleva plus sur les voisins l’impôt des propriétés dont la culture avait été abandonnée par leurs propriétaires ». Ce serait bien là la véritable abolition de l’« Allèlengyon » que Skylitzès attribue seulement à Romain Argyros. L’écrivain grec ajoute, il est vrai, que Constantin avait eu l’idée de procéder à cette suppression, mais qu’il en avait été empêché. —M. le professeur Ouspensky, dans l'article qu’il a consacré au livre du baron V. Rosen sur la Chronique de Yahia dans la livraison du 1er avril 1884 du Journal du Ministère de l’Instruction publique russe, se demande avec raison, me semble-t-il, si la traduction de cet érudit, presque toujours excellente, ne serait point ici, par exception, quelque peu en défaut, et si le baron Rosen a vraiment bien saisi le sens de la phrase de l’écrivain syrien.

[18] Sénékhérim mourut en 1027, peu après l’avènement de Constantin, dans sa nouvelle résidence de Sébaste qui lui avait été donnée par le basileus Basile. Davith, son fils aîné, lui succéda. On verra plus loin que Kéôrki, le fameux roi des Aphkhases, l’adversaire opiniâtre de Basile, mourut également à cette époque.

[19] Nous voici vraiment bien loin des accusations si graves de Skylitzès.

[20] En réalité, pas tout à fait trois années.

[21] Le témoignage d’Arisdaguès de Lasdiverd est également très favorable au basileus Constantin. Il est curieux de constater que le syrien Yahia, à l’égal des Arméniens, éprouva certaines sympathies pour ce prince que les Byzantins nous dépeignent, tout au contraire, sous un aspect constamment désavantageux.

[22] Certainement le domestique des Scholes d’Orient, i.e. le généralissime des forces impériales en Asie.

[23] Ainsi Pakarat avait bien été envoyé en otage en Grèce en l’an 1022, ce qui date bien positivement la seconde expédition de Basile contre les Aphkhases.

[24] Il était âgé de dix-huit ans en l’an 1015.

[25] Ou encore Wironi, localité inconnue au dire de Brosset; Histoire de la Géorgie.

[26] Les historiens byzantins ne disent pas un mot de cette expédition ni des projets belliqueux de la régente d’Aphkhasie.

[27] Ou Cldé-Cari ou simplement Kahrni, ville située dans le nord de la Siounie.

[28] Ou Tsephtha. — Wakhoucht écrit « Tseph ».

[29] Province montagneuse de l’Arménie géorgienne.

[30] Ou de Gourguen.

[31] Ou d’Antcha.

[32] M. Brosset se demande, fort à tort, si ce parakimomène ne serait point Constantin Dalassène. C’était Syméon.

[33] Arisdaguès de Lasdiverd, de son côté, dit que le parakimomène Syméon, arrivé en Géorgie, ne put obtenir aucun résultat définitif, car, la nouvelle de la mort du basileus étant survenue, il dut retourner en hâte à Constantinople avec son armée.

[34] Voyez Mathieu d’Edesse, éd. Dulaurier. — « Les renseignements sur cette époque de la vie politique et sociale de l’Arménie, dit avec raison M. Grène, sont incomplets et confus. Kirakos et Vardan ne citent que quelques faits isolés. Ajoutons que ce ne sont pas là des contemporains. Les Chroniques d’Arisdaguès de Lasdiverd et de Mathieu d’Edesse fourmillent d’anachronismes. Un grand nombre d’événements sont confondus, beaucoup sont embrouillés. Il est difficile de dire, dans l’état actuel de nos connaissances sur l’histoire d’Arménie, si les ouvrages, de ces deux derniers auteurs sont altérés par les copistes ou bien si les auteurs ont introduit, dans un but intentionnel connu d’eux seuls, des anachronismes dans leur propre texte. Nous ne pouvons donc, parmi ces renseignements, choisir que les plus topiques. »

[35] « Bédros, frère du catholicos Kakig, dit M. Brosset, Coll. d’hist. armén., élu en 1019, remplacé en 1035, par Dioscore, de Sanahin, qui siégea à peine deux ans, mort en 1053, siégea trente-neuf années. Il est connu sous le nom de « Kédatartz », « Celui qui fait rebrousser un fleuve », à cause d’un miracle qui lui est attribué.

[36] Aboulfaradj place par erreur l’expédition d’Oreste en l’an 1027. Chez cet auteur, le nom du catépan Bojoannès se trouve déformé en « Vulcano ». De même la Chronique du protospathaire Lupus place par erreur seulement en 1028 l’arrivée à Bari de la flotte amenant Oreste et son armée. Lupus place à cette même année le remplacement de l’évêque défunt de Bari par Byzantios qui fut à cette occasion nommé archevêque.

[37] Qui venait d’être occupée par les Grecs. Ibn al Athir.

[38] « C’était une lourde faute politique de relâcher ainsi ce terrible prisonnier. » Manuscrit Chalandon, Histoire des Normands d’Italie. Probablement Pandolfe avait dû s’engager à renoncer à revendiquer sa principauté, mais bien naturellement, aussitôt de retour en Italie, il ne tint aucun compte de ses serments.

[39] L’intervention du « catépano », dit fort bien M. Chalandon, dut être fort désagréable aux princes longobards. Il est évident que la conduite de Bojoannès lui fut dictée par le désir d’avoir entre les mains un prétendant à opposer à Pandolfe IV au cas où celui-ci cesserait d’être fidèle à l’alliance byzantine.

[40] La suite de ce récit des affaires byzantines en Italie est empruntée presque constamment et presque textuellement, jusqu’à la fin du volume, aux ouvrages de L. de Heinemann et de l’abbé Delarc.

[41] Sur le rôle prépondérant de Pandolfe IV à cette époque dans l’Italie méridionale, sur son génie politique odieusement défiguré par les récits de ses mortels adversaires, les moines du Mont Cassin, Voyez Chalandon.

[42] Voyez dans Trinchera, un document (n° XXI) daté du mois de novembre 1026 à Tarente, conservé aux archives du Mont Cassin, dans lequel il est fait mention d’un juge ou « kritis » de Longobardie et Calabre qui est en même temps « spathaire », candidat et « protosecretis »

[43] Voyez dans Breslau toutes les fausses légendes qui coururent l’Occident sur le compte de cette ambassade.

[44] Skylitzès en mentionne seulement deux, mariées: l’une à Romain Skléros, l’autre à Constantin Karanténos, mais ce n’étaient pas les seules.

[45] Et non « Christophari » comme il est écrit dans la Chronique du protospathaire Lupus. Nous possédons de ce fonctionnaire, comme catépan d’Italie, un document daté déjà du mois de janvier 1029.

[46] Et non « Eustachios », ainsi que le nomme la Chronique de Lupus. C’est certainement l’Eustathios de Skylitzès et de Cédrénus. La Chronique place par erreur ce remplacement de Bojoannès à l’an 1029, un an trop tard. Par une amusante erreur, prenant pour deux noms propres la fonction d’Eustathios, cette même Chronique raconte la venue de ce fonctionnaire à Bari « avec ses fils Basilisque et Mandatoras. Le « mandator » impérial — analogue aux « kramanatars » des rois persans, aux aides de camp de Saint-Pétersbourg ou aux « capidjis » de la Sublime Porte, — apportait!es ordres émanant directement du souverain. —J’ai publié le sceau du grand hétériaque Eustathios dans ma Sigillographie byzantine.

[47] Le Bugien » ou « Bugianus », des Chroniques de Bari et de Lupus. Lebeau a raconté tous ces faits d’une façon fort inexacte. En l’an 1026, Othon Orseolo, doge de Venise, déposé par une faction puissante, fut tondu puis exilé à Constantinople, où lui et son frère avaient jadis paru avec tant d’éclat. Il fut remplacé par Pietro Centranigo Barbolani. Il trouva en Romain Argyros, frère de sa mère, un ardent protecteur. Quatre ans après, grâce à l’influence byzantine, on le rappela pour envoyer à sa place, dans cette morne ville de Constantinople, Pietro Centranigo, qui lui succédait dans son exil comme il lui avait succédé dans sa dignité. Mais Orseolo mourut avant que de pouvoir retourner dans sa patrie. Une ambassade solennelle, envoyée à Constantinople pour le ramener en triomphe, le trouva mort. C’était en l’an 1030.

[48] Kazandjilar Djami.

[49] Elle mourut avant 1042, d’après Psellos.

[50] Voyez sur les origines et les ascendants de Romain Argyros, Gfroerer.

[51] Constantin VIII, à cause des liens de parenté qui les unissaient, de protospathaire (c’est Yahia qui nous donne ces détails) l’avait successivement élu patrice, puis juge suprême du tribunal du « Velon » ou de l’Hippodrome de dernier mot est laissé en blanc dans le manuscrit) et « hyparque » ou éparque de la Ville, c’est-à-dire préfet impérial de la capitale. Plus tard encore, il le nomma économe de la Grande Église, fonction très haute et très prisée. —De même Psellos désigne Argyros sous les titres d’éparque et de protoproèdre, c'est-à-dire de « premier parmi les sénateurs, » « dignité, dit-il, vraiment impériale. »

[52] Yahia va jusqu’à dire que Constantin fit semblant d’être persuadé que le malheureux Romain avait trempé dans un complot pour se faire proclamer basileus à sa place, même que la conspiration était déjà commencée, ce pourquoi il l’exila de la capitale. Mais il le rappela le quatrième jour pour lui offrir le pouvoir et la main de sa fille, lui disant qu’à cause de l’illustration de sa famille, il l’estimait plus digne de régner que les autres candidats, ses concurrents. Ce récit de l’élévation de Romain au trône dans Yahia, diffère fort de celui des Byzantins.

[53] Zonaras est seul à nous parler des intentions de Constantin à l’égard de Théodora et du refus de celle-ci. Psellos, lui, ne parle que de Zoé.

[54] C’est Yahia qui indique le plus clairement les difficultés provenant de cette parenté et le véritable degré de cousinage des deux époux, cousinage qui, s’il fut un écueil momentané, fut aussi l’une des raisons principales du choix fait par le basileus moribond. Constantin Porphyrogénète, en effet, grand-père de Constantin VIII, et l’arrière-grand-père d’Argyros, Romain Argyropoulos, étaient beaux-frères, ayant épousé deux sœurs, filles de Romain Lécapène: Hélène, épousée par Constantin Porphyrogénète en 919, et Agathe la seconde, épousée par Romain Argyropoulos trois ans après, lorsque Lécapène était déjà basileus.

[55] La veille de la St Martin, dit la Chronique du protospathaire Lupus. Probablement dans la nuit du 10 au 11.

[56] Soixante-huit, dit Lebeau.

[57] Le copiste qui a transcrit le texte de Cédrénus a ajouté cette glose curieuse.

[58] Voyez Sabatier, Descr. génér des monnaies byzantines

[59] Voyez Zachariæ v. Lingenthal, Jus gréco-rom., — Mortreuil attribue à tort cette « Novelle » à Constantin, fils de Léon. — Capasso, Monum. ad neapol, ducatus hist. pertin., pars prima, Naples, 1885, publie dix-huit actes conservés aux archives de Naples, le dernier daté de l’an 1029, tous datés de cette ville et du règne du basileus Constantin VIII — Voyez encore Krumbacher, Gesch. der byz. Litter., au sujet d’un Traité de Tactique attribué à ce basileus