L'ÉPOPÉE BYZANTINE À LA FIN DU DIXIÈME SIÈCLE

Deuxième partie

CHAPITRE VII

 

 

Dès le printemps prochain, poursuit Skylitzès en son bref récit d'une si désespérante monotonie, c'est-à-dire dès les premiers beaux jours de l'an 1017, le basileus et ses fidèles soldais, quittant une fois encore les cantonnements de Mosynopolis, rentrèrent en campagne. C'était véritablement merveille de voir ce rude souverain, ce parfait homme de guerre, âgé déjà de plus de soixante ans, insensible aux douceurs du repos, reprendre chaque année le harnais de combat comme, aux beaux jours de sa vaillante jeunesse et parcourir à la tête de ses vieux légionnaires ces contrées âpres et inhospitalières entre toutes, tantôt brûlantes, tantôt glacées, toujours fourmillant d'adversaires acharnés. » Le premier objectif des impériaux était, cette fois, le kastron de Longos dont la garnison, elle aussi, refusait de faire sa soumission. Je ne suis pas parvenu à identifier cette localité. En même temps, un corps détaché sous le commandement de David Arianites et de Constantin Diogène, dont le nom paraît ici pour la seconde fois, avait mission de razzier une fois encore cette malheureuse plaine de Pélagonie déjà si souvent dévastée par les Byzantins, surtout d'y étouffer les derniers germes de résistance en achevant de détruire quelques groupes d'entêtés partisans qui tenaient encore la campagne. Les deux chefs revinrent de leur expédition avec de très nombreux prisonniers et un grand butin, d'immenses troupeaux surtout, ressource suprême des malheureux paysans bulgares.

Sur ces entrefaites, l'énigmatique kastron de Longos s'était rendu à Basile. Skylitzès, qui ne donne aucun détail sur ce siège, raconte seulement que le basileus ordonna de détruire cette forteresse par le feu, et qu'il fit trois parts des prisonniers. C'était probablement sa coutume de procéder ainsi après chacune de ces prises si fréquentes de villes et de châteaux bulgares. Une part, dit le chroniqueur, fut réservée au basileus, Une autre aux troupes impériales byzantines proprement dites, « aux Romains », suivant l'expression de Skylitzès, une troisième enfin aux auxiliaires russes. Ce dernier détail fort intéressant nous est une preuve que la fameuse troupe de six mille guerriers envoyée pour la première fois en l'an 988 par Vladimir au secours de ses beaux-frères les basileis, troupe qui se maintenait à ce chiffre en se recrutant incessamment, continuait à rendre à l'empire grec les plus signalés services. Non seulement les guerriers du grand-duc de Kiev devenus les fidèles mercenaires du basileus faisaient campagne au fond de l'Asie à côté des légionnaires purement byzantins, mais ils combattaient encore à leurs côtés dans ces sauvages vallées perdues de la Bulgarie et de la Haute Macédoine.

Poursuivant sa marche en avant, continue le chroniqueur, —expression qui, par parenthèse, indique bien que cette forteresse de Longos devait se trouver quelque part sur la route entre la frontière et la ville que je vais nommer, — le basileus arriva ensuite devant Castoria. Les soldats de Basile n'avaient jamais encore paru dans cette région méridionale de la Haute Macédoine jusqu’ici s'était maintenu jusqu'ici un dernier foyer de résistance qui paraît avoir été des plus sérieux. Castoria, l'antique, Célétron, si exactement décrite par Anne Comnène, s'élevait alors comme aujourd'hui au milieu de belles cultures, à l'entrée d'une presqu'île qui s'avance dans le pittoresque lac du même nom, sur sa rive orientale. Elle en occupe toute la longueur sur une étendue île plus d'un kilomètre et demi. Le lac, est à près du dix-neuf cents pieds au-dessus du niveau de la mer. On reconnaît encore actuellement les restes de l'enceinte byzantine qui coupait en travers l'isthme de la péninsule. Son entrée centrale était fortifiée par une tour carrée. Une seconde enceinte parallèle, flanquée de tours rondes, sépare, toujours le quartier grec du quartier turc. On circule encore pour entrer dans Castoria sur la très ancienne chaussée établie au pied des hauteurs rocheuses qui, en ce point, dominent le lac. Toute la presqu'île était entourée d'une enceinte continue.

Castoria, une des principales cités bulgares, se trouvait à l'entrecroisement de quatre routes fort importantes, celle de Larissa à Berat. Dyrrachion et Scutari, celle de Larissa à Achrida, Pritzrend, Uskub et Pristin, celle de Salonique à l'Adriatique par Vodhéna qui était la fameuse Via Egnatia, celle de Monastir enfin et de la plaine de Pélagonie au littoral de l'Epire. C'était une position très forte, si forte même que cette fois encore le glorieux Basile et ses troupes aguerries éprouvèrent un sérieux échec. Castoria offrit une résistance désespérée aux plus acharnées attaques des impériaux et finalement demeura inexpugnable. Il fallut s'en retourner d'autant plus rapidement que l'empereur apprit à ce moment même les plus graves nouvelles qui nécessitaient son départ immédiat.

Skylitzès raconte que Basile avait reçu des lettres de son lieutenant le gouverneur de Dorystolon sur le Danube, Tzitzikios, fils du patrice Theudatès l'Ibère, c'est-à-dire le Géorgien, quelque officier de cette nation passé à son service, lui mandant une tentative suprême de la part des Bulgares agonisants. Un chef nommé Krakras, sur lequel les chroniqueurs byzantins ne donnent aucun autre détail, à la tête de bandes très nombreuses, avait réussi à faire sa jonction avec d'autres forces encore réunies sous le commandement de l'usurpateur Jean Vladistlav. Les deux chefs avaient fait alliance avec les Petchenègues et tous ensemble se préparaient à attaquer Tzitzikios. Il est difficile de dire, en l'absence absolue de renseignements, dans quelle région précisément s'était assemblée cette dernière armée bulgare alliée aux éternels ennemis de Byzance, les Petchenègues; quelque part dans le Nord, certainement, pas très loin du Danube, puisque ces barbares en étaient tout proches. Quoi qu'il en soit, Basile estima que cet effort suprême nécessitait son intervention immédiate. « Fort troublé par ces nouvelles, dit Skylitzès, le basileus, abandonnant le siège de l'invincible Castoria, reprit brusquement le chemin du retour pour courir à la rencontre de ces nouveaux agresseurs. » Sur la route il prit et brûla la forteresse de Bosograd,[1] que M. de Muralt place aux sources mêmes de l'Indjè-Karasou ou Vrystitza,[2] par conséquent tout auprès de Castoria. Descendant probablement le val de cette rivière, le basileus parut ensuite devant Verria dont il ordonna de relever immédiatement les murailles en ruines, puis dans les régions voisines d'Ostrovo et de Molyskos où il prit et démantela tous les châteaux bulgares qui tenaient encore. Ostrovo est sise sur la rive nord du lac du même nom. Molyskos, ville rarement mentionnée par les Byzantins, devait se trouver tout auprès.[3] Là, une bonne nouvelle parvint au basileus. Tzitzikios lui mandait que Krakras et Jean Vladistlav avaient dû renoncer à leur attaque projetée parce que les Petchenègues, peu soucieux probablement d'attirer sur eux les foudres du tout-puissant basileus, avaient définitivement refusé de s'associer à leur entreprise désespérée.

Rebroussant chemin aussitôt, l'infatigable basileus alla mettre le siège devant une ville que Skylitzès appelle Setaena, dans laquelle se trouvaient, au dire de ce chroniqueur, outre un palais ou aoul du tsar Samuel, d'immenses approvisionnements de blé. Je n'ai pu identifier cette ville royale bulgare. M. de Muralt pense que c'était peut-être Zeitoun sur la frontière de Thessalie et de Grèce, mais c'est beaucoup trop loin vers le sud. Il y avait beau temps que toute cette région méridionale de la Thessalie avait cessé d'appartenir aux Bulgares. Setaena devait se trouver bien plus au nord, quelque part entre Ostrovo et Vodhéna. Elle ne semble pas avoir fait grande résistance. Basile fit incendier le palais ainsi que tous les autres édifices probablement en bois qui la composaient. Les approvisionnements de blé des infortunés Bulgares furent distribués aux troupes.

Cependant l'usurpateur Jean Vladistlav, après l'échec de son alliance avec les Petchenègues, n'avait point perdu courage. Il accourait à marches forcées avec toutes les bandes éparses qu'il avait pu rassembler. Basile détacha à sa rencontre le corps de la garde dit des Scholes d'Occident et celui des contingents du thème de Salonique sous le commandement du stratigos de ce thème, Constantin Diogène. Tel est le titre que donne Skylitzès à ce haut fonctionnaire. Mais sur un précieux sceau de plomb de lui que j'ai acquis à Constantinople et qui appartient certainement à cette époque de sa vie, Diogène figure avec celui, non de stratigos, mais bien de « catépano » de cette grande cité, preuve qu’en ces temps troublés le commandement de la place de Salonique si voisine du théâtre des opérations militaires avait été provisoirement transformé en un catépanat, sorte de capitainerie générale.

Jean Vladistlav, averti de l'approche de ce corps ennemi, fidèle à la tactique nationale, réussit à attirer Diogène dans une embuscade où ce capitaine aurait certainement succombé avec tous les siens, si les espions impériaux n'avaient eu le temps d'aviser le basileus. Vivement inquiet sur le sort de son lieutenant, Basile, montant précipitamment il cheval, en vue de tout le camp assemblé, ne prit que le temps de crier derrière lui: « Que tous ceux qui veulent se battre me suivent » et partit au galop à la rescousse de ses soldats, suivi de tous les hommes de bonne volonté. Songez que ce parfait guerrier avait alors plus de soixante armées!

Les éclaireurs du Bulgare n'eurent pas plutôt aperçu cette troupe de cavaliers bondissant à une allure désordonnée que, pris de terreur, ils revinrent en hâte auprès des leurs où ils eurent tôt fait de semer la panique. « Affolés, dit Skylitzès, hors d'haleine, ils ne pouvaient crier que ces mots: « Fuyez, fuyez, voici l'empereur! » Les Bulgares épouvantés, abandonnant la proie qu'ils croyaient tenir, s'enfuient, dans un immense désordre. Les soldais de Constantin Diogène, un instant accablés, ranimés soudain par ce secours miraculeux, se jettent sur leurs pas l'épée haute. Ils en massacrent, une foule, en prennent quelques-uns, parmi lesquels « deux cents cavaliers tout cuirassés avec leurs chevaux ». « Tous les bagages de Jean et, de son cousin germain, dit Skylitzès, —-il s'agit peut-être bien là de Krakras, tombèrent aux mains des impériaux. »

« A la suite de cette grande et fructueuse victoire, Basile, poursuit Skylitzès, concentra ses troupes pendant quelque temps à Vodhéna, d'où il procéda, à l'organisation des territoires nouvellement pacifiés dans cette région. Il regagna ensuite sa capitale où il fit son entrée dans la journée du 9 janvier 1018. »

Cependant, Jean Vladistlav, demeuré plein d'énergie, malgré ce cruel désastre, infatigable à l'égal de Basile, s'était hâtes, de profiter de ce répit, pour porter la guerre sur un autre point de cet immense territoire. Dyrrachion demeurait toujours dans une position difficile, enclave byzantine entourée de territoires non encore pacifiés, trop éloignée de la capitale par la voie de la mer pour qu'elle put être facilement ravitaillée de ce côté. L'usurpateur bulgare que tant d'échecs n'avaient pas découragé, alla, attaquer cette forteresse avec toutes les forces qui lui restaient. Mais le sort l'abandonnait décidément. Le siège venait à peine de commencer lorsque lui, qui avait assassiné son souverain, subit enfin la peine du talion qu'il avait méritée. Lui qui avait égorgé son roi mourut également par l'épée, « Il périt, dit Skylitzès, dans un combat sous les murs de la forteresse byzantine, sans qu'on pût découvrir quel était celui qui lui avait porté le coup mortel. » Cette phrase ambiguë semble indiquer qu'on soupçonna quelque Bulgare d'avoir profité du désordre du combat pour supprimer l'usurpateur, vengeant ainsi la mort du bis du grand Samuel. Du reste, Yahia qui fait allusion à cet événement,[4] mais qui confond Jean Vladistlav avec son père Aaron, dit que ce prince fut tué après un an de règne[5] par un de ses subordonnés.[6] Bien que souillé du meurtre que l'on sait, Jean Vladistlav, si prématurément disparu, avait su se montrer, durant son court règne de moins de deux ans et demi, le digne successeur du grand tsar Samuel dans la lutte désespérée soutenue par les derniers Bulgares indépendants contre leur vainqueur.

Cette mort, qui dut survenir dans les derniers jours de l'an 1017 ou les premiers de l'an 1018, était une vraie bonne fortune pour le basileus. Le patrice Nicétas Pégonite, stratigos impérial à Dyrrachion, lui avait mandé incontinent cette grave nouvelle. Quittant de suite la capitale, ardent à profiter de la panique qu'un tel événement allait répandre dans toutes les régions éparses de la Bulgarie où la résistance se maintenait encore, Basile se jeta sur la route du nord. C'était, au dire de Yahia, dans le courant du mois de mars 1018. Les soumissions dernières allaient commencer. Déjà à Andrinople, le vieux guerrier vit arriver à sa demeure le frère et le fils du fameux Krakras, le plus illustre des chefs bulgares qui tenaient encore la campagne. Ils venaient lui apporter au nom de ce héros national la soumission de trente-six kastra bulgares, parmi lesquels cette imprenable forteresse de Pernic qui avait jusque-là résisté à tous les efforts des Grecs. Fidèle à sa tactique de modération, résolu à hâter par tous les moyens cette pacification si lente à venir, Basile fit aux deux boliades porteurs de cette heureuse nouvelle l'accueil le plus empressé et le plus flatteur. Krakras, le partisan bulgare, fut créé patrice du Palais Sacré en récompense de sa soumission. Il est probable que ces trente et quelques forteresses représentaient l'ensemble des résistances dernières dans ces régions de la Bulgarie septentrionale. Le basileus, en effet, estima inutile de poursuivre sa route vers Philippopolis et le Balkan. Rebroussant chemin après cette courte pointe vers le nord, il ramena l'armée vers ses cantonnements de Mosynopolis.

La mort de l'intrépide Jean Vladistlav[7] avait découragé, les derniers espoirs. Les soumissions affluaient de toutes parts. A peine installé à Mosynopolis, Basile vit arriver de nouveaux messagers bulgares. Ceux-ci accouraient de la Pélagonie, de Morovisdos,[8] ville située sur le fleuve du même nom, la Moravitza actuelle, affluent de la Morava, quelque peu au sud de Vranja, puis aussi de Lipémos, localité que je ne suis pas parvenu à identifier, tous empressés à porter au nouveau maître de la Bulgarie les clés des derniers châteaux qui tenaient encore. Enfin le vieux basileus Basile et ses infatigables soldats triomphaient entièrement en cette année 1018, après quarante-deux ans d'efforts! Les ultimes résistances s'éteignaient. De Mosynopolis l'empereur et son armée partirent pour prendre possession de tant de conquêtes nouvelles. Un premier arrêt se fit à Sérès. L'importance de cette place était extrême. Elle commandait toute la vallée du grand fleuve Strymon. Là, les Byzantins ravis virent arriver Krakras en personne, dernier véritable chef de la résistance depuis la mort de Jean Vladistlav. L'audacieux partisan venait faire sa soumission officielle à Basile, entouré des châtelains des trente-cinq châteaux dont il lui avait envoyé les clés par l'entremise de son frère et de son fils. Le basileus fit le meilleur accueil au nouveau patrice. Après celui-là on vit arriver encore Dragomouzos, chef de cet imprenable territoire de Stroumnitza qui, par deux fois, avait tenu en échec les armées impériales. Il accourait; lui aussi, demander sa grâce reconnaissant que toute prolongation de résistance serait folie. Il fut de même créé patrice.

Il ramenait avec lui un patrice byzantin nommé Jean, l'ancien stratigos du thème asiatique de Chaldée qui, fait prisonnier par Samuel dans les dernières années du siècle précédent, était demeuré vingt-deux ans captif chez les Bulgares!

De cette forte position de Sérès, certainement par la vallée du Karasou, le défilé de Biélasitzi et la vallée de la Stroumnitza, le basileus, reprenant le vieux chemin des victoires de jadis, s'avança jusqu'à la ville du même nom, la Stroumnitza actuelle, dont il voulait prendre possession en personne. Comme, à la tête des troupes, il approchait de cette place, il vit s'avancer vers lui un cortège suppliant. C'était le vénérable métropolitain de Bulgarie, l'archevêque David, suivi de son clergé. Le pieux prélat apportait au vainqueur des lettres de la tsarine Marie, la veuve infortunée de Jean Vladistlav, par lesquelles cette princesse offrait de renoncer à tous ses droits sur la Bulgarie et de faire cession de son royaume au basileus, pourvu que celui-ci lui accordât les sauvegardes qu'elle estimerait nécessaires. Ce fut encore devant ces mêmes portes de Stroumnitza qu'on vit arriver Bogdan que Skylitzès qualifie de « châtelain des forteresses de l'intérieur », probablement ces forts châteaux de Prespa et de Castoria placés au cœur de la monarchie bulgare. Celui-là avait depuis quelque temps déjà fait montre des dispositions les plus amicales envers le basileus. Même il avait fait périr son propre beau-frère qui probablement contrecarrait ses projets de trahison. Basile fit à cette nouvelle et si importante recrue un accueil tout particulièrement gracieux. Bogdan fut nommé patrice.

De Stroumnitza, le basileus, franchissant la Velitza Planina, remontant par Keupruli la longue vallée du Vardar, s'avança jusqu'à Skopia. La prise de possession des derniers lambeaux de la Bulgarie indépendante était chose accomplie. Confiant la garde de cette place au patrice David Arianites, le vieil empereur, rebroussant chemin, reprit par la voie des forteresses de Stypion, la Stipljè d'aujourd'hui, et de Prosakon, que je n'ai pu identifier, cette sorte de marche triomphale destinée à frapper l'imagination des vaincus. Partout sur sa route, les populations, lasses à l'excès de cette lutte affreuse de plus d'un quart de siècle, accouraient entonnant des chants d'allégresse. On le recevait aux sons des hymnes pieux, des prières répétées à haute voix par les cortèges de prêtres, aux sons des actions de grâce, des euphémies, des invocations a sa pitié, proférées par tout un peuple.

Tournant brusquement a droite dans la direction du sud-ouest, l’empereur, de Prosakon, se dirigea enfin sur Achrida, la ville royale bulgare, C'était certes la station la plus importante de cette vaste promenade militaire. Basile dut se rendre dans cette auguste cité par Keupruli, Prilep, Bitolia, la plaine de Pélagonie et le col qui sépare celle-ci du lac d'Ochrida. Il tardait à l'autocrator de mettre enfin le pied dans cette lointaine capitale de son mortel ennemi, cette métropole politique et religieuse de la Nouvelle Bulgarie occidentale de pénétrer en vainqueur dans cet aoul mystérieux et rustique où si longtemps l'audacieux aventurier Samuel devenu roi avait entassé les trésors sans nombre arrachés aux cités grecques conquises. Ce dut être une scène mémorable, épique et majestueuse, que cette entrée impériale en cette cité aux pentes rocheuses, sise sur les bords élevés de ce lac ravissant d'où le Drin noir va par une courbe immense se jeter dans l'Adriatique lointaine.

Le basileus, ici comme toujours, établit son camp aux portes de la ville et y fit installer un immense, pavillon d'or et de soie. Ici aussi, toute la population, clergé en tête, était sortie à sa rencontre, poussant des acclamations, entonnant en choeur les cantiques de circonstance. Hélas! nous n'avons aucun autre détail. C'est en vain que nous cherchons à nous représenter ce que devaient être à cette époque cette ville étrange, ce palais au luxe demi-barbare. Skylitzès dit, et nous n'avons pas de peine à le croire, que Basile trouva dans cette vaste demeure royale, dans le trésor de la monarchie bulgare qu'il se fit ouvrir, « des richesses immenses, diadèmes entièrement cousus de perles et de gemmes, vêtements d'apparat tout brodés d'or, bien d'autres joyaux encore, plus de cent « kentinaria » d'or monnayé, somme énorme qui fut, par l'ordre du basileus, distribuée tout entière en guise de congiaire aux troupes qui le suivaient. » C'est un deuil véritable pour l'historien de ne pouvoir dire rien de plus sur ce séjour si dramatique du grand empereur dans la capitale de son sauvage adversaire. Le patrice Eustathios Daphnomélès, à la tête d'une forte garnison, fut préposé à la garde de la ville d'Achrida. Basile distribuait à ses meilleurs lieutenants les principaux gouvernements des vastes territoires qui venaient après un temps si long de rentrer en son pouvoir.

Ce fut aux portes d'Achrida que se passa une des scènes les plus émouvantes de cette prise de possession triomphale. Le basileus reçut là dans son camp la tsarine Marie de Bulgarie, la veuve de Jean Vladistlav, qu'on lui présenta pompeusement avec tout un cortège de petits princes et de princesses attachés aux pans de la robe de cette mère tragique. Outre trois fils et six filles à elle, outre un fils naturel de Samuel nommé Trajanos, on distinguait parmi ces jeunes suppliants deux filles de Gabriel Romain ou Radomir, ce fils et successeur de Samuel jadis assassiné par Jean Vladistlav, plus cinq fils du même dont l'un avait eu les yeux crevés par Jean lorsqu'il avait massacré leur père et leur mère, en tout, dix-sept petits infortunés. Il existait bien encore trois autres fils de Jean Vladistlav et de Marie, certainement plus âgés, dont l'un, l'aîné très probablement, avait nom Prusianos. Mais ceux-ci n'avaient point voulu suivre leur mère dans sa soumission au basileus. On les disait réfugiés avec quelques partisans déterminés sur le sombre Tmoros ou Tmor, au dire de Skylitzès, le sommet le plus élevé, le plus inaccessible de la chaîne des monts Cérauniens, cime énorme qui se dressait au sud-est de Bérat, montagne aux flancs âpres semblant d'une hauteur prodigieuse, aux escarpements sauvages.

Le basileus, disent à l'envi les chroniqueurs byzantins, fit le plus doux accueil à la triste veuve de son adversaire, à cette dernière reine de la seconde monarchie bulgare. Il l'autorisa à demeurer auprès de lui sous sa sauvegarde avec son rustique troupeau de petits princes et de petites princesses.

Une foule d'autres hauts hommes de Bulgarie, boliades, chefs et châtelains de villes et de forteresses, accoururent encore en ce lieu, ardents à faire leur soumission à l'invincible empereur qui les reçut avec sa bienveillance accoutumée. Parmi eux, Skylitzès énumère Nestoritzès, Zaritzès et Dobromir le Jeune, chacun à la tête de ses contingents. Bientôt une autre bonne nouvelle parvint au camp d'Achrida. Prusianos et ses deux frères, ces fils de Jean Vladistlav qui n'avaient pas voulu suivre leur mère en suppliants au pavillon du basileus et qui avaient préféré continuer cette guerre de partisans sans espoir en se jetant dans les solitudes du mont Tmoros, traqués et cernés de toutes parts par les troupes envoyées à leur poursuite, brisés par les angoisses et les fatigues inexprimables de ce long blocus de toutes les issues de leurs montagnes, avaient fait, eux aussi, porter leur soumission à Basile, ne demandant que la vie sauve. L'autocrator, dit Skylitzès, leur fit la réponse la plus humaine. Maintenant que la fortune lui souriait si complètement, il estimait de bonne politique d'en finir au plus vite avec ces dernières convulsions de la résistance.

Poursuivant ce lent voyage triomphal à travers cette Haute Macédoine qui avait si longtemps, si obstinément résisté à ses armes, Basile, franchissant la région élevée qui sépare les deux lacs, avait, sur ces entrefaites, transporté son camp sur les rives du lac de Prespa. Celui-ci, qui s'appelle encore aujourd'hui lac de Presna, est situé à l'orient de celui d'Ochrida, dans une vaste concavité d'environ dix lieues de longueur sur deux à trois de largeur, dirigée du nord-ouest au sud-est entre la chaîne qui hume la plaine de Monastir ou de Pélagonie et celle qui longe la côte orientale de la plaine de Pojani et du lac d’Ochrida. Dans la ville même de Prespa, cité aujourd'hui disparue, sise très probablement dans une île du lac, Samuel, avait jadis fait construire une demeure royale dans laquelle il avait résidé vers 995, avant d'aller définitivement fixer à Achrida sa cour errante. Le lac de Prespa, sans écoulement apparent,[9] les pâturages, les cultures environnantes et les grandes montagnes boisées enserrant ce haut bassin, formaient alors connue aujourd'hui le plus pittoresque tableau.

Basile fit ici, dit Skylitzès, élever deux kastra. Le premier commanda le col qui sépare les deux lacs et l'empereur lui donna le nom de « Basilida », « la forteresse impériale ». Le second s'éleva au milieu même, du lac, bien probablement dans la petite île qui porte encore aujourd'hui le nom de « Grad » c’est-à-dire de « Ville ». On y aperçoit quelques ruine d’une forteresse qui est peut-être bien celle, élevée jadis par Basile, celles aussi d'une grande église et de trois plus petites, de nombreux autres édifices, d'un couvent enfin dans la région méridionale. Tous ces débris attestent que Prespa, cette capitale de Samuel dont le souvenir même s'est évanoui parmi les populations actuelles des bords du lac, s'élevait, non comme on l'a dit, souvent, sur la rive de cette vaste nappe d'eau, mais bien dans cette position si sûre, sur cette île peu éloignée du rivage.

Aujourd'hui, une cinquantaine de paysans serbes habitent ces ruines. Une autre île, plus petite située plus au sud porte le nom de Mali-Grad, la « Petite Ville.[10] »

De Prespa, Basile, marchant dans la direction du sud, fit arrêt à Deabolis,[11] vers les sources de la rivière de ce nom, aujourd'hui le Dévol, qui vient grossir un émissaire du lac Ventrok et va se jeter dans le petit lac de Svirina. La ville bulgare, fréquemment mentionnée par les chroniqueurs, s'élevait probablement au défilé de la rivière entre le Souho Gora et le mont Morova.

Le camp impérial à Deabolis fut le théâtre de nouvelles scènes dramatiques. On y amena à l'autocrator les fils de Jean Vladistlav, Prusianos et ses deux frères, descendus en suppliants de leur haute retraite du Tmoros. Assis sur une estrade élevée, un « tribunal » dressé en face du camp, environné de toute l'armée, l'auguste vieillard couronné fit à l'infortuné héritier de cette monarchie brisée un accueil plein d'humanité, s'efforçant de le consoler lui et ses frères par des paroles de sympathie. Il nomma Prusianos magistros, les deux autres patrices. Plus tard nous verrons que Prusianos fut créé stratigos du grand thème des Buccellariens. Tous ces glorieux vaincus s'honoraient de recevoir ces vains titres, tant était encore immense à cette époque le prestige de l'Empire gardé de Dieu.

On amena en ce lieu à l'empereur un autre grand chef de l'Albanie bulgare. C'était le fameux Ibatzès, qui jadis avait détruit un corps byzantin dans la plaine de Bitolia. Le malheureux avait les yeux crevés. Skylitzès qui, dans son inégal récit de la guerre bulgare, néglige de nous dire tant de choses importantes, a raconté fort en détail la curieuse histoire de la capture par les impériaux de ce boliade, capture émouvante qui paraît avoir intéressé au plus haut point les esprits à Byzance.

« Après la mort de Jean Vladistlav, — dit ce chroniqueur, — après la soumission de sa veuve Marie avec ses enfants et tous les autres princes bulgares de toute la Bulgarie, Ibatzès, refusant de se soumettre, n'eut d'autre ressource que de prendre la fuite et de se cacher. Dans sa course errante à travers les monts de la Haute Macédoine, il atteignit la cime presque de toutes parts inaccessible du mont Brochotos.[12] Sur les pentes de cette montagne, s'élevait à cette époque la belle villa de Pronista,[13] quelque grande ferme assurément, entourée d'un parc et de beaux jardins.[14] Retiré dans ce lieu tant écarté, Ibatzès, rebelle aux volontés de Dieu, ne rêvant que révolte et résistance, ardemment désireux de se faire proclamer souverain par les Bulgares, s'efforça de rassembler autour de lui quelques partisans. Basile en fut tôt informé. Cet orage grossissant sans bruit n'était point pour plaire à ce prudent autocrator qui ne voulait rien abandonner au hasard. Les agissements du partisan bulgare finirent par l'inquiéter très fort. Ce fut même pour se rapprocher de l'incorrigible rebelle qu'il se détourna ainsi de son chemin pour venir jusqu'à Deabolis. Décidé à écraser dans l'œuf ce nouveau roi bulgare en préparation, il fit séjour dans cette localité d'où son premier soin fut d'envoyer au chef rebelle des lettres pressantes. Il lui représentait la folie de ses projets alors qu'en dehors de lui et des faibles bandes qui le suivaient toute résistance était maintenant éteinte en Bulgarie. Il le conjurait d'abandonner ce rêve fou de la restauration de la monarchie de Samuel.

« Le rusé Bulgare, cherchant à gagner du temps, fit aux lettres impériales une réponse si évasive que le basileus, espérant toujours avoir gain de cause sans en arriver à une nouvelle effusion de sang, se laissa entraîner fort contre son gré à demeurer près de deux mois, cinquante-cinq jours exactement, dans cette lointaine et misérable localité de Deabolis.

« C'est alors qu'Eustathios Daphnomélès, celui-là même que le basileus venait de créer gouverneur d'Achrida, voyant combien ce retard exaspérait Basile et combien l'autocrator avait à cœur avant de s'en aller de s'emparer de la personne de ce dernier agitateur, résolut d'accomplir de son chef cette mission difficile. Après s'être concerté secrètement avec deux de ses familiers, il procéda de la manière que voici:

« Ibatzès, fort dévot, surtout très pieux adorateur de la Panagia, avait coutume de fêter chaque année la fête solennelle de l'Assomption du 10 août. Dans cette malheureuse année 1018 il voulut, malgré la dureté des temps, suivant sa tradition invariable, inviter à cette occasion, outre ses proches voisins, toute sa parenté plus éloignée. Profitant de cette circonstance, aussi de l'espèce de trêve qui avait succédé à la cessation des dernières résistances, le gouverneur byzantin d'Achrida résolut de s'inviter audacieusement à cette fête. Arrivé au pied du Brochotos il rencontra les soldats qu'Ibatzès avait placés à la garde du défile. Se nommant hardiment à eux, il leur commanda d'aller prévenir leur maître: « Dites-lui que je viens pour me réjouir avec lui. »

« Ibatzès, à l'ouïe de ce message, n'en put croire ses oreilles, stupéfait de voir que l'infortuné venait ainsi de gaieté de cœur se jeter en sa main. Toutefois, lui ayant fait répondre de venir au plus vite, il lui fit grand accueil, lui donnant l'accolade. Aussitôt que le service religieux de la matinée eut pris fin, tous les invités s'étant retirés dans leurs logis improvisés, le rusé byzantin demanda une entrevue secrète à Ibatzès, sous prétexte de confidences graves. Le Bulgare, sans défiance, persuadé qu'Eustathios, traître au basileus, accourait s'associera ses projets, ordonna à ses gardés de s'écarter. Conduisant son hôte par la main, il l'emmena dans un bosquet si touffu qu'on ne pouvait ni les voir, ni les entendre. Ils n'étaient pas plus tôt seuls qu'avec une folle audace, Eustathios Daphnomélès, cet homme d'une vigueur, d'une promptitude de décision inouïes, se ruant d'un bond furieux sur Ibatzès, le terrassa. Le tenant contre terre, de son genou écrasant sa poitrine, il étouffa ses cris, de ses deux mains couvrant sa bouche. En même temps, par un signal convenu d'avance, il hélait ses deux affidés dissimulés tout auprès qui accoururent aussitôt. En un clin d'œil le vêtement du malheureux Ibatzès est ramené sur son visage. Il ne peut proférer un son. Les misérables lui crèvent les yeux, le lient et l'emportent en courant jusque dans les bâtiments de la villa. Ils escaladent en hâte l'étage supérieur avec leur proie et, l'épée au poing, attendent les assaillants.

 « En un clin d'œil l'horrible nouvelle s'est répandue parmi la foule des invités bulgares. Une multitude furieuse accourt armée d'épées, de lances, d'arcs, de bâtons, de pierres, de torches enflammées. D'autres apportent du bois, de la paille, tous criant, vociférant: « Tuez-les, brûlez-les, coupez en morceaux ces misérables. Lapidez-les. Pas de quartier pour eux, pas de pardon! »

« Eustathios Daphnomélès, en face de cette foule hurlante qu'il ne pensait pas voir accourir si vite, bien que désespérant du salut, demeure impassible. Il encourage ses deux compagnons à ne point demander grâce, ce qui serait la mort certaine, mais bien à se défendre jusqu'à la dernière extrémité. D'une fenêtre, dédaigneux des projectiles dont on l'accable, il fait signe qu'il veut parler. « Je ne nourris, dit-il, aucune animosité personnelle contre votre maître. Vous le savez tous. Vous savez qu'il est Bulgare et que moi je suis sujet de l'Empire romain, non point un Romain de Thrace ou de Macédoine, mais bien de la lointaine Anatolie. Tous ceux parmi vous qui sont dans leur bon sens estimeront que je n'ai agi comme je l'ai fait que contraint et forcé. Autrement pourquoi me serais-je jeté volontairement comme un insensé dans un tel péril? Sachez que j'ai agi sur l'ordre exprès du basileus et pour son service. Si vous voulez me tuer cela ne vous sera point difficile. Je suis certes en votre pouvoir. Mais vous ne nous aurez pas facilement ni sans sang versé. N'espérez point que nous nous rendions à merci. Nous vous ferons payer cher jusqu'au dernier souffle de notre vie. Si nous succombons, ce qui paraît certain, nous mourrons contents du devoir accompli, assurés d'être effroyablement vengés. » Tel est le discours étrange autant qu'audacieux que Skylitzès met dans la bouche de son héros.

Cette harangue intrépide en un tel moment eut un effet foudroyant, frappant de stupeur ces auditeurs furieux. Comme par enchantement, pris de terreur à l'ouïe des vengeances qu'exercerait le basileus si redouté, pour punir le meurtre de ses serviteurs, tous s'éclipsèrent subitement. Les plus vieux, les plus raisonnables même, désertant sans pudeur la cause de leur chef infortuné, jurèrent obéissance au basileus. Chose qui eût semblé follement impossible quelques instants auparavant, l'audacieux officier byzantin put emmener son prisonnier sans que personne se souciât de l'arrêter. Bientôt il parut avec son misérable mutilé devant Basile, qui, plein de gratitude pour un tel dévouement, le nomma sur-le-champ stratigos du thème de Dyrrachion et lui attribua tous les biens confisqués d'Ibatzès. Quant au malheureux aveugle, il paya de la prison son obstination à ne pas se soumettre. L'histoire ne nous dit pas ce que fut la fin de sa lamentable vie.

Il me faut parler encore ici d'un autre personnage qui lui aussi avait joué un rôle considérable dans cette interminable guerre, je veux parler de ce Nikolitzès, traître à son basileus, si souvent pris, si souvent évadé. Depuis, la fin de la résistance, il errait lui aussi caché dans les montagnes les plus inaccessibles de la Haute Macédoine. Des troupes nombreuses furent envoyées à sa poursuite. Peu à peu ses derniers partisans tombèrent aux mains des impériaux ou bien l'abandonnèrent pour faire leur soumission. Alors, désespéré, pris d'une immense lassitude, il se décida, lui aussi, à venir se rendre au basileus. Une nuit il parut tout seul aux portes du camp impérial et, se nommant aux gardes, dit qu'il venait se livrer à l'empereur. Mais ses incessantes trahisons avaient trop violemment irrité Basile. Le jugeant indigne de clémence, il refusa de le voir et l'expédia enchaîné dans les cachots de Salonique. Les sources ne parlent plus guère de lui dans la suite. Nous ignorons même quelle fut la fin de ce hardi partisan sans scrupule.

Le glorieux autocrator, poursuit Skylitzès, ayant réglé définitivement le nouvel état de choses dans toutes ces régions pacifiées et reconquises, en particulier dans les gouvernements de Dyrrachion, de Drynopolis[15] et de Kolonia,[16] c'est-à-dire dans toute l'ancienne province d'Epire, plaça à la tête du gouvernement de ces divers territoires des « stratigoi » avec de fortes garnisons. Il autorisa ceux de ses soldats, jadis faits prisonniers par les Bulgares, et internés dans ces régions lointaines, qui avaient recouvré leur liberté à la cessation des hostilités, à continuer à résider dans ces contrées qu'ils habitaient par force depuis, si longtemps, ou à rentrer à sa suite dans leurs anciens foyers.

Quittant Deabolis, le basileus, poussant toujours plus vers le sud, atteignit ensuite Castoria, mollement assise sur le bord de son lac. Ce devait être dans l'automne de l'an 1018. Dans cette ville on amena encore au basileus deux filles du roi Samuel. Lorsque ces femmes eurent aperçu aux côtés de Basile la tsarine Marie, la veuve du meurtrier de leur frère en vraies princesses barbares, elles se jetèrent sur elle comme des fauves pour la déchirer. On eut grand peine à l'arracher vivante de leurs mains, Il fallut que le basileus les calmât à force de bonnes paroles. Il leur promit à sa cour des litres et des honneurs avec une pension convenable. Pour éviter le retour de ces incidents, il envoya au-devant de lui la tsarine Marie l'attendre à Constantinople avec sa nombreuse famille. Marie fut nommée, dame du palais, plus exactement patricienne à ceinture.[17] Celle qui avait régné aux côtés de son époux sur toute la Bulgarie, se vit réduite à baiser humblement les mains, les genoux et les pieds de ses nouveaux maîtres et se trouva heureuse de faire dans les grands jours partie du cortège de l’impératrice Hélène, la femme du second empereur Constantin. Puisque ce dernier nom se trouve ici prononcé, disons de suite que ce prince n'est pas une seule fois mentionné dans tous ces récits de la lutte finale contre les Bulgares. Il était probablement demeuré tout ce temps à Constantinople, chargé nominalement de la direction des affaires, surtout occupé a des fonctions de représentation car en fait le seul Basile continuait à gouverner l'empire du fond de son pavillon du camp impérial.

De Castoria, poursuit encore Skylitzès, Basile détacha un corps de troupes sous le commandement de Xiphias avec mission de raser tous les kastra et autres lieux fortifiés aux alentours des villes de Servia, aujourd'hui Selvidze, dans la vallée de l’Indjè-Karasou[18] et de Soskos laquelle devait se trouver quelque part dans cette même région, mais que je n'ai pas réussi à identifier. Servia était une place de guerre fort importante à l'entrée du fameux défile de Portaes.

Puis Basile, s’enfonçant toujours plus avant vers le sud. décidé à aller avec son armée, jusqu'au fond de la Péninsule visiter ces vieilles provinces de l'empire auxquelles l'issue heureuse de cette guerre interminable venait enfin de restituer la paix et la tranquillité, franchit la frontière de Thessalie, Le premier arrêt important, en cette contrée fut à Stagous ou Staghi, la Kalabaka des Turcs, aujourd'hui simple village dans la haute vallée de la Selimvria, le Pénée antique, auprès des rochers célèbres qui portent, accrochés à leurs sommets en pointe, les laineux couvents des Météores. En ce lieu Basile reçut la soumission d'un chef parmi les plus considérables: Elemagos, archôn ou premier magistrat de la lointaine cité de Belegrad ou Bérat, encore aujourd'hui une des capitales de l'Albanie. Lui aussi accourait sur les pas de l’autocrator pour lui rendre hommage et implorer son pardon. Lui et ses compagnons parurent devant leur vainqueur, dit Skylitzès, dans de sordides vêtements d'esclaves, ce qui signifie qu'ils étaient pour la circonstance rasés, la tête nue et souillée de poussière, les pieds nus, la corde au col, en chemise.

La Thessalie fut triomphalement traversée probablement au milieu d'un immense et joyeux concours de populations rurales venant acclamer cet émule du Christ, cet Isapostole triomphant, ce pieux basileus aimé de Dieu, ce libérateur envoyé par le Pantocrator et la Panagia Toute Sainte pour les débarrasser à jamais des odieuses terreurs de l'incessante invasion bulgare. Avant de regagner Constantinople après cette absence si prolongée, le vieux basileus avait décidé de pousser jusqu'à Athènes, cette cité fameuse, brillante relique de l'antique histoire des Grecs, où il n'avait jamais été, où aucun basileus n'avait paru depuis l'empereur Constans, plus de trois siècles et demi auparavant.[19] Basile voulait y remercier pour ses éclatantes victoires la Très Sainte et Très Vénérée Panagia du Parthénon.

Comme l'armée arrivait à Zitonion,[20] l'antique Lamia dans la Phthiotide thessalienne où jadis, en l'an 323 avant Jésus-Christ, les Athéniens avaient battu le Macédonien Antipater, il se passa un incident émouvant. Lorsque les troupes traversèrent le champ de bataille où, en l'année 995, vingt-trois ans auparavant, le magistros Nicéphore Ouranos avait si cruellement battu l'armée du tsar Samuel, les ossements blanchis des Bulgares tombés en foule en ce lieu couvraient, paraît-il, encore au loin les campagnes du fleuve Sperchios. Le basileus, contemplant ces amas funèbres, frappé de surprise à la vue d'un tel désastre, célébra la bravoure des soldats de Roum. « Mais, poursuit le chroniqueur, ce qui excita encore bien davantage son admiration, ce fut le spectacle de l'énorme muraille fortifiée que l'Arménien Roupen, un de ses lieutenants certainement, avait fait élever à travers le défilé fameux des Thermopyles pour barrer la route aux Bulgares et les empêcher de renouveler à tout instant leurs incursions dévastatrices dans les thèmes de la Grèce propre. » Ce Roupène, probablement de la même famille que son illustre homonyme, le fondateur du royaume de Petite Arménie au xie siècle, était vraisemblablement stratigos du thème de Hellade, lorsqu'il mena à bonne fin cette œuvre colossale, dont nous n'avons pas d'autre mention dans les sources byzantines et qui tant excita l'admiration du vaillant empereur.[21] La configuration de ces lieux célèbres s'est fort modifiée grâce à l'exhaussement du sol par le dépôt des eaux minérales, grâce aussi au recul à plusieurs kilomètres en arrière des eaux du golfe Maliaque par suite de la masse des terrains d'alluvion charriés par le Sperchiôs et les rivières du Callidrome. Il n'est donc pas bien étonnant qu'on n'aperçoive plus trace de ce grand mur médiéval, construction gigantesque de ce brillant officier arménien. Ce rempart portait, paraît-il, le nom de « Skélos », « le Long Mur ». Ce devait être quelque haute muraille crénelée, garnie de fortes tours, barrant de part en part le défilé si étroit placé entre les montagnes et la mer, défilé qui n!existe plus aujourd'hui, mais qui constituait dans l'antiquité comme encore à cette époque du Moyen âge, l'unique passage, de très facile défense, par lequel une armée put pénétrer de Thessalie dans la Grèce propre.

Poursuivant sa route à travers ces contrées fameuses, contrées classiques de la Phocide, de la Locride, de la Béotie, faisant halte probablement à Livadie, puis à Thèbes, résidence du stratigos du thème de Hellade, cité industrielle alors florissante, siège de nombreuses filatures de soie et d'autres tissus, l'invincible autocrator, franchissant le défilé d'Eleuthères, apparut enfin avec son armée aux portes de la cité de Minerve. Il voulait fêter son triomphe sur la vieille Acropole, accomplir ce pieux pèlerinage au foyer de l'Hellénisme antique, avant de rentrer à Byzance, capitale de l'Hellénisme moderne.

Ce long voyage à travers la Macédoine et la Thessalie avec tant d'arrêts dans tant de cités que j'ai énumérées, avait pris un temps assez considérable. On était tout à la fin de l'an 1018. « La visite du héros impérial, dit Gregorovius,[22] était un grand honneur pour Athènes alors presque totalement plongée dans l'oubli. Cette cité fameuse, bien déchue de son brillant passé, tombée au rang de ville provinciale, n'était même plus la résidence du stratigos du thème de Hellade qui avait sa demeure à Thèbes. Certes ce n'était point une curiosité d'ordre archéologique qui avait conduit jusqu'au pied de cette colline illustre entre toutes le terrible Bulgaroctone. Ce rude homme de guerre qui ne haïssait rien tant que l'érudition et la science, n'en avait pas moins nettement conscience que par l'anéantissement de la monarchie bulgare il avait décidé de la victoire du monde grec, de la grécité, sur le monde slave. Aussi le souvenir de l'antique gloire immortelle de la cité de Pallas devait mettre au cœur de ce prince belliqueux une vénération immense pour cette glorieuse patrie des combattants de Marathon et des vainqueurs de Salamine. Et puis Athènes, malgré sa déchéance, était toujours encore une des plus notables cités de la Vieille Grèce.[23]

« A partir des jours déjà si lointains du viiie siècle et du commencement du ixe, alors que deux vierges grandies en ces lieux, Irène et Théophano, étaient venues successivement s'asseoir sur le tronc des basileis, c'est à peine si nous connaissons quelques-uns des événements qui, durant tant d'années, depuis cette époque jusqu'aux jours dont j'écris l'histoire, s'étaient passés dans la cité de Minerve. En 910, nous savons qu'une révolte avait coûté la vie à un haut fonctionnaire du nom de Chasé, fils de Juba, protospathaire, sarrasin renégat. Réfugié dans le temple du Parthénon, il y avait été lapidé par le peuple. Pour tout le dixième et tout le onzième siècle nous n'avons que les récits de quelques voyageurs occidentaux venus à Athènes en pèlerinage, récits témoignant par ce fait même de l'antique lustre qui, jusqu'en ces temps d'obscurité profonde, mettait encore une auréole au front de cette cité découronnée. Le Bourguignon Gui[24] célèbre dans Athènes l'antique mère de toute philosophie et de toute éloquence et admire le feu divin qui brûle sans cesse dans le temple de la Vierge Marie, Mère de Dieu, « temple jadis nommé les Propylées et bâti par le roi Jason ». Le pèlerin islandais Saewulf[25] en 1102 fait un récit non moins intéressant. Mais dès 1018 le voyage même de Basile prouve combien Athènes vivait encore clans la mémoire des hommes. Les rares chroniqueurs qui ont daigné noter cette page si intéressante de l'histoire d'Athènes au Moyen Age, racontent simplement, en quelques mois, hélas! que le basileus victorieux célébra des actions de grâces à la divine Théotokos pour son complet triomphe sur les Bulgares et dédia dans le temple de celle-ci érigé sur le Parthénon des dons nombreux et splendides. » Puis, disent-ils, le basileus s'en retourna à Constantinople.[26] » Ils n'ajoutent pas un mot, pas plus sur la durée de ce séjour que sur les circonstances qui l’accompagnèrent. Ils ne parlent pas davantage ni des affaires qui occupèrent les journées du vieil empereur durant cette visite aux extrémités des plus vieilles provinces de son immense empire, ni des dispositions qu'il y prit, des règlements qu'il y édicta vraisemblablement pour le plus grand bien de ses sujets de l'Attique et aussi du Péloponnèse où il ne semble pas qu'il ait pénétré.

« Une dernière fois donc avant les jours agités de l'occupation latine, puis ceux plus sombres encore de l'occupation turque, l'antique Acropole, cette colline la plus illustre du monde, fut illuminée des splendeurs de la cour impériale. Une dernière fois autour du basileus d'Orient, couronné des lauriers de la victoire escorté des vétérans poudreux de la guerre bulgare, on vit s'assembler aux sons des euphémies et des chants des prêtres, les « stratigoi », les prélats vénérables, évêques et higoumènes provinciaux, les juges et les notaires des thèmes, les archontes urbains, les chefs des milices des thèmes, les envoyés des cités hellènes et des tribus du Péloponnèse et de la Grèce propre, tous ceux enfin du sacré catalogue de la hiérarchie impériale. Hélas! nous ignorons jusqu'aux noms de ces innombrables personnages, sauf par hasard celui de l'archevêque même d'Athènes. Certainement à son arrivée au temple de la Vierge, le vieux basileus fut accueilli par les harangues les plus raffinées, conçues amoureusement dans l'esprit du temps, par les panégyriques les plus ampoulés, rédigés en un style aussi lourd qu'étrange, mais nous ignorons par qui tous ces discours furent prononcés. Si quelque heureux hasard venait à nous livrer les manuscrits où furent consignées ces productions littéraires d'il y a tantôt neuf siècles, nous y lirions certainement des allusions en style pédantesque à l'histoire devenue légendaire de la cité de Thémistocle prononcées sur un ton précieux par quelque docteur athénien, moine demi savant, demi barbare, frotté de philosophie antique autant que de sorcellerie médiévale. Certainement à cette époque d'immense ignorance, toute curiosité admiratrice des Byzantins, même des purs Hellènes, pour les monuments sublimes encore debout en grand nombre dans leur cité, avait dû totalement disparaître. Ainsi que les Romains dégénérés du même temps, ils ne jugeaient plus de la splendeur de leur patrie que par le nombre et la beauté de leurs temples chrétiens.

« De tous ces monuments antiques qui eussent pu attirer l'attention du rude Bulgaroctone à son arrivée dans la ville de Pallas, le seul Parthénon a mérité l'honneur d'une mention de la part des chroniqueurs byzantins contemporains et cela uniquement parce que le merveilleux édifice, alors encore à peine mutilé, se trouvait depuis le ve siècle transformé en une église très vénérée, consacrée d'abord à la Souveraine Panagia, plus tard à la Vierge, patronne auguste de la cité.[27] Cette nouvelle affectation de l'édifice célèbre était à cette époque chose faite, dès longtemps. La vieille Cella mystérieuse de la divine Parthénos, l'église qui plus tard sous les ducs de la famille des Acciaiuoli s'appelait encore Santa Maria di Atene, se trouvait dès maintenant disposée en trois nefs supportées de chaque côté par dix colonnes renforcées par des piliers. Deux autres colonnes soutenaient l'entrée qui avait été percée dans le mur antique. Ainsi vingt-deux colonnes eh tout supportaient la toiture. Une galerie supérieure de vingt-trois colonnes constituait l'espace réservé aux dévotes Athéniennes de qualité. La couverture plate du temple, couverture à caissons peints, ainsi que le toit, avaient été détruite et remplacée par une voûte.

« Les colonnades extérieures semblent avoir été reliées entre elles par un mur bas. On y avait établi des chapelles latérales. Certes, tout ce pauvre appareil moderne défigurait étrangement le monument aux lignes divines, mais il était alors encore presque complet, et durant que l'auguste vainqueur des Bulgares, prosterné devant l'autel tout éclatant des mille feux de l'Iconostase, invoquait la Très Sainte Panagia Athéniotissa « patronne éponyme de la ville » et la remerciait de lui avoir donné le triomphe sur ses ennemis, les Dieux et les héros de Phidias, en leur procession sublime, contemplaient le vieil autocrator du haut des frises augustes. Les Turcs, les Vénitiens, les Anglais surtout, détrousseurs de merveilles, n'avaient point encore passé sur la colline sainte.

« Il semble bien que le basileus dévot et reconnaissant ait donne ordre de repeindre à fresque les parois de l'étrange et splendide église. Il est peu vraisemblable cependant qu'il ait fait figurer dans ces compositions la représentation de ses pittoresques victoires sur les soldats du tsar Samuel. Les restes intimes des belles peintures de cette époque qu'on aperçoit encore sur les murailles de l'Opisthodome représentent tous des sujets religieux. A l'abside du temple, on admirait dans ce même temps une mosaïque alors célèbre représentant la Panagia Athéniotissa, « Miséricordieuse et qui sauve ». Cette Vierge, qui jouissait alors d'une popularité immense, figure sur les rares sceaux d'archevêques et de fonctionnaires athéniens de cette époque parvenus jusqu'à nous. »

Je possède quelques-uns de ces précieux petits monuments dans nies collections. La Vierge du Parthénon s'y trouve représentée sous le type antique de la Panagia Blachernitissa, c'est-à-dire en buste, de face, tantôt avec les mains jointes devant sa poitrine, dans l'attitude de l'oraison, tantôt avec le médaillon de son divin Fils suspendu sur sa poitrine entre les sigles accoutumés disant son nom classique de la Mère de Dieu. Plus tard seulement, bien après la visite du Bulgaroctone, cette Vierge figura sur ces mêmes sceaux archiépiscopaux avec son épithète spéciale d'Athéniotissa dans une attitude toute différente: avec l'Enfant Dieu sur le bras gauche, la main droite placée sur la poitrine. A cette époque, la peinture grecque, pas plus, du reste, que les autres arts, ne fleurissait plus ni à Athènes ni à Corinthe. Elle était réfugiée avec eux à Constantinople, puis encore dans l'école célèbre d'un couvent de Salonique qui produisit l'illustre maître Manuel Panselinos et décora de ses belles productions les murailles des monastères et des églises de la Sainte Montagne de l’Athos.

Ces variantes de l'effigie de la Panagia sur les sceaux sont, du reste, sans importance. « La Panagia d'Athènes, dit fort bien M. G. Millet, n'était pas figurée par un type consacré; son image a varié suivant le goût du temps. On ne croyait pas que la Mère de Dieu tînt à être représentée dans telle ou telle attitude, mais bien qu'elle avait certains sanctuaires préférés dont elle prenait volontiers le nom. Celui d'Athènes était, après celui des Blachernes, un des plus chers à son cœur. »

Ce n'étaient pas seulement les Athéniens qui honoraient leur Patronne d'une piété ardente nouvelle. De toutes parts, à l'époque dont j'écris l'histoire, même de l'Occident latin, même de la lointaine Thulé, de pieux pèlerins accouraient en foule chaque année au sanctuaire de la Panagia d'Athènes. C'était un pèlerinage très saint, opérant de grands miracles. Saint Nikon Métanoïte, l'apôtre de Crète reconquise par Nicéphore Phocas, quittant, l'île qu'il avait à nouveau convertie au christianisme, avant d'aller évangéliser les Slaves encore idolâtres de la Morée, avait pieusement passé, en 980, à Athènes. Lui aussi avait gravi la sainte montagne du Parthénon, prêché la parole de Dieu dans le temple de Minerve, enthousiasmé par ses enseignements enflammés les fils lointains du vieux Cécrops.[28]

Le grand empereur Basile enrichit donc le trésor de la métropole athénienne de nombreux joyaux de l'orfèvrerie et de l'art byzantins, produits de l'inestimable butin recueilli dans le trésor royal bulgare d'Achrida. Bien probablement ce fut là l'origine vraie des merveilles qu'on admira plus tard dans ce temple. Les chroniqueurs citent parmi celles-ci une colombe d'or qui se balançait sur l'autel, symbole du Saint-Esprit, une lampe d'or dont le feu ne s'éteignait jamais et qu'on considérait par toute la Grèce comme un chef-d'œuvre admirable. Athènes, à cette époque, n'était point, comme on serait peut-être tenté de le croire, un amas de décombres antiques. Elle comptait de nombreuses habitations, tout un peuple surtout d'églises et de chapelles dont plusieurs tombaient déjà en ruines. Basile certainement donna ordre de les réparer. Le passage triomphal du basileus semble avoir été le signal dans toute cette contrée d'une ère relativement brillante de restauration et de construction. Dans un livre qui va paraître sur l'église et le couvent de la Théotokos de Daphni, ce monastère si poétiquement situé sur la Voie Sacrée d'Athènes à Eleusis, M. G. Millet prouve que la construction de ce beau temple avait dû suivre de très près le voyage fameux du Bulgaroctone.[29] On vient d'y retrouver sous le badigeon de belles mosaïques de cette époque. De même l'église ruinée de Saint Nicodème, à Athènes, date à peu près de ce temps.[30] De même, dans sa belle étude sur l'église et les mosaïques du couvent de Saint Luc de l'Hélicon en Phocide, M. Ch. Diehl a démontré que cet édifice superbe encore debout aujourd'hui, élevé en l'honneur de ce grand saint du xe siècle, d'une si exquise douceur et d'une si pure austérité, mort un peu avant 950, dans une haute vallée fraîche et charmante de la région la plus retirée de la Phocide, datait non du milieu du xe siècle ainsi que beaucoup l'avaient pensé jusqu'ici, mais bien de cette époque de relèvement et de restauration qui suivit la grande tournée provinciale du basileus Basile dans les années 1018 et 1019. Parmi les belles figures de saints représentées en mosaïques à fonds d'or presque toutes d'une conservation a peu près parfaite, sur les murailles de la grande église, on admire celle du fameux thaumaturge saint Nikon Métanoïte, l'apôtre des Crétois et des Slaves du Péloponnèse, le contemporain de notre Basile, mort en 998. Ainsi cette décoration en mosaïques ne saurait être antérieure au xie siècle et M. Diehl a prouvé qu'elle s'accordait parfaitement avec les autres monuments de la première moitié de ce siècle.

« La Grèce, dit cet érudit, si durement éprouvée pendant le cours du xe siècle par les invasions bulgares, reprenait haleine dans le premier quart du xie siècle. L'administration impériale s'occupait avec sollicitude de ces provinces longtemps négligées: par ordre de l'empereur, les fortifications qui couvraient au nord la péninsule, étaient réparées et complétées et en 1018, à la fin de la longue guerre bulgare, Basile II lui-même venait jusqu'à Athènes célébrer par des fêtes solennelles et de pieuses fondations le triomphe de ses armes. Moins de vingt ans après, la prospérité des thèmes de Hellade et du Péloponnèse était si grande qu'ils devenaient en une année de famine le grenier de Byzance.[31] Vers la même époque, des édifices religieux assez nombreux s'élevaient en Grèce: en 1027, à Mistra ou Sparte, une église du Sauveur; à Athènes, celles de Saint Nicodème élevée en 1045 et de Saint Théodore en 1049; c'est à cette même époque, c'est-à-dire à la première moitié du xie siècle, qu'il faut attribuer, semble-t-il, l'achèvement de l'église de Saint Luc en Phocide. »

J'ai dit que nous ignorions les noms du stratigos du thème de Hellade et de l'archôn ou premier magistrat municipal qui reçurent Basile II lors de son entrée solennelle. Nous possédons quelques sceaux de fonctionnaires athéniens de cette époque, mais ils ne portent pas de dates. On n'y lit que des légendes monotones où le titulaire, après avoir énuméré ses noms et fonctions, supplie la Vierge glorieuse de le couvrir de sa sainte protection. On sait par contre qu'on a retrouvé gravée à la pointe dans les cannelures des colonnes du Parthénon la liste des archevêques athéniens de ces temps.[32] Théodégios, archevêque depuis peu, était mort en l'an 1006. Nous possédons encore un exemplaire de son sceau. Au moment de la venue du Bulgaroctone, l'Eglise d'Athènes était gouvernée depuis l'an 1016 par l'archevêque Michel dont nous ne savons malheureusement rien d'autre.[33] Ce fut certainement à ce prélat que revint l'honneur de recevoir en pompe le basileus aimé de Dieu aux portes de l'ancienne demeure de Minerve. Tous ces prélats athéniens du xe siècle et du xie commençant comptèrent parmi les plus instruits et les plus considérés du clergé byzantin de cette époque.

Ceux qui ont visité Venise connaissent tous le beau lion colossal de marbre dressé devant la porte de l'Arsenal, qui fut rapporté du Pirée par

François Morosini en l'an 1688. Sur la poitrine et le flanc du monstre antique on déchiffre, chose étrange, gravées à la pointe, des inscriptions en langue runique, inscriptions sur les origines desquelles on a beaucoup disserté. Gregorovius pense que ce sont d'antiques graffites, œuvre naïve de quelque soldat russe des hétairies, de quelque varangien de l'armée impériale de Basile II lors de la visite de cet empereur à Athènes en 1018.[34] Rien ne s'oppose à la vérité de cette curieuse autant qu'ingénieuse hypothèse qui fait figurer si poétiquement les signatures des héros des sagas norraines sur le marbre superbe jadis érigé aux rives du golfe de Salamine, maintenant captif aux bords de la Lagune lointaine. Le penseur voit en rêve ces rudes Varangiens, ces blonds enfants du Nord, brunis sous le harnais de guerre byzantin, sous les feux du soleil de Bulgarie, tuant l'ennui des; longues heures passées aux rivages athéniens en inscrivant leurs noms aux syllabes gutturales et sonores sur les flancs du lion antique.

Sa visite terminée à cette illustre cité, capitale historique de la race grecque, le vieux basileus, après tant d'années passées presque constamment dans les camps, après cette dernière lente tournée triomphale qui avait duré plusieurs mois, après avoir assuré le gouvernement des provinces bulgares reconquises ou pacifiées, reprit enfin le chemin de Constantinople. Certainement, le voyage du retour dont nous ne savons rien, dut pour l'armée se faire par la route accoutumée de la Thessalie, de Salonique et de Mosynopolis. Basile, lui, probablement, s'embarqua au Pirée[35] sur le dromon impérial, du moins sur quelque chelandion de la flotte de la mer Egée.

Comme il n'était que juste après cet écrasement définitif de la Bulgarie, Basile II, autocrator glorieux et invincible, rentra en pompe solennelle dans la cité reine. Jamais triomphe n'avait été plus mérité. Cette fameuse monarchie bulgare qui avait un moment poussé ses frontières jusqu'aux portes de Salonique et de Constantinople, qui, si longtemps, avait possédé plus des deux tiers des provinces de la péninsule des Balkans', n'existait plus. Ce péril, immense, incessant, semblait avoir pour toujours disparu, n'étant déjà plus qu'un souvenir. Comme toujours les chroniqueurs n'ont presque rien dit de ce triomphe. Ce dut être un des plus beaux dont le cortège eut jamais parcouru l'antique voie principale de la Ville gardée de Dieu, la Mesa constantinopolitaine. Je ne referai point une fois de plus la description de cette pompe. A la différence près de la nationalité des captifs et des origines du butin conquis, toutes ces entrées splendides se ressemblaient fort.

Basile, dit seulement Skylitzès, fit son entrée dans la cité de la Vierge par les grandes portes médianes de la Porte Dorée, qu'on n'ouvrait que dans les occasions les plus solennelles. Le vieil empereur, toujours droit et imposant comme aux plus beaux jours de sa verte jeunesse, portait la « toufa », diadème d'or fort élevé surmonté d'une immense aigrette ornée de brillants et de pierres précieuses. C'était la couronne dite « tropaiouchia » parce qu'elle ornait le front des basileis triomphants. Devant l'autocrator, s'avançaient à pied, probablement chargées de chaînes, la tsarine veuve Marie de Bulgarie et les filles du tsar Samuel avec tous les petits princes et princesses et l'immense cortège des prisonniers bulgares de marque. Tous les trésors trouvés à Achrida devaient suivre aussi. C'était en 1019, certainement dans les premières semaines de l'année. Ainsi escorté des trophées de ses victoires, environné des flots de ce peuple immense, le glorieux empereur alors âgé de soixante quatre années, fit son entrée clans la Grande Eglise parmi les chants et les acclamations. Il vint devant l'autel offrir dévotement au Dieu des combats ses prières d'actions de grâces pour ces victoires qui mettaient fin à une guerre de plus de trente années. Puis il rentra dans son Palais pour se reposer de tant de rudes campagnes. Ce fut à cette occasion, nous le verrons, que le patriarche Sergios, allant processionnellement à la rencontre du monarque, tenta vainement de profiter de cette fête auguste pour obtenir de Basile le retrait de l'impôt si impopulaire de l’Allêlengyon. Ce fut à cette occasion également que, dans les euphémies de circonstance chantées par les chantres des Factions, Basile reçut certainement pour la première fois ce surnom à la fois pittoresque et terrible de Bulgaroctone ou « Tueur de Bulgares » dont l'histoire s'est constamment servie depuis pour le distinguer de son non moins illustre homonyme, le fondateur de la gloire de sa race, Basile Ier le Macédonien[36] La populace de Constantinople le salua probablement alors déjà de ce nom sanglant, mais les écrivains contemporains n'en font pas encore mention.

Une des filles de l'infortuné tsar Samuel, Catherine, qui avait suivi esclave et prisonnière le triomphe du maître, fut mariée à cet Isaac Comnène qui, plus tard, devait devenir empereur. Par un de ces dramatiques retours de fortune si fréquents dans l'histoire de Byzance, la pauvre captive du triomphe de l'an 1019 devait moins de quarante années plus tard s'asseoir aux côtés de son époux sur le trône des basileis successeurs de Constantin.[37] Au moment de l'avènement d'Isaac, Catherine se trouvait au kastron de Pimolissa d'où le nouvel empereur la fit venir à Constantinople.

L'empire de Samuel le « Comitopoule » avait été détruit par la puissante main du Bulgaroctone. La guerre de Bulgarie était terminée après avoir fait périr des milliers et des milliers d'hommes. Des rivages de l'Adriatique, des vertes campagnes de Croatie aux pentes arides ou ombreuses du Rhodope et du Balkan, des monts de Thessalie aux rives du Danube les bannières impériales flottaient maintenant victorieuses sur toutes ces fameuses forteresses bulgares dont la prise avait coûté la vie à tant de légionnaires byzantins, à tant de mercenaires barbares. La Bulgarie allait rentrer tout entière pour cent soixante-sept années, presque deux siècles, sous le joug byzantin, jusqu'en l'an 1185, lorsque devait sonner à nouveau pour ce peuple intrépide, amoureux à l'excès de son indépendance, l'heure de la délivrance.

Le vieux basileus aurait pu prendre le repos définitif qu'il avait si bien gagné. Sa joie devait être profonde, en présence de cette grande œuvre si patiemment, si résolument accomplie, si heureusement terminée. L'empire revenait aux jours les plus glorieux de la dynastie. Les victoires de Nicéphore Phocas et de Jean Tzimiscès étaient encore dépassées. Une chronique contemporaine dit que Basile, au cours de cette guerre terrible, avait fait vœu, au cas où elle se terminerait heureusement, d'embrasser l'état monastique et qu'en conséquence, à partir de l'an 1018 jusqu'à sa mort, il porta le froc, sous les vêtements impériaux, garda la continence à l'exemple de Nicéphore Phocas, et s'abstint de vin et de viande selon la coutume des moines byzantins. Il est difficile de dire quelle confiance on peut accorder à ce récit. En tous cas la Bulgarie, entièrement domptée, disparaissait pour un long temps du rang des nations. Fidèle à la martiale marche en avant inaugurée par ses prédécesseurs les deux glorieux héros militaires de la fin du xe siècle, l'empereur Basile, en achevant après ceux-ci de tirer l'Etat byzantin d'une longue léthargie d'impuissance, venait par cette annexion gigantesque de la Bulgarie occidentale de mettre le couronnement à cette brillante campagne de restauration, conduite incessamment de victoire en victoire, depuis la conquête de Crète sous Romain II, inaugurée cependant dès le règne de Basile Ier, fondateur de cette illustre dynastie macédonienne, et qui avait eu pour but opiniâtre de redonner à l'empire son ancienne puissance, de restituer ses anciennes limites, de replacer sous le sceptre des fils de Constantin les anciennes provinces slavisées des Balkans comme les plaines de Syrie et de Mésopotamie devenues musulmanes. Jamais depuis des siècles, depuis la grande époque de Justinien, depuis les temps glorieux d'Héraclius, l'empire d'Orient ne s'était trouvé aussi puissant, aussi complètement vainqueur que dans ces premiers jours de l'an 1019, qui virent à Constantinople le triomphe éclatant du vieux Bulgaroctone.[38] Jamais sa situation dans le monde n'avait paru plus belle. Pour la première fois, depuis l'auguste époux de Théodora, le basileus régnait puissant et incontesté du Danube jusqu'aux extrémités du Péloponnèse. En Asie, sa position était également excellente.

De la Colchide lointaine, des bornes de l'Arménie jusqu'à celles de la Haute Syrie, toutes les populations de ces régions obéissaient docilement à ses lieutenants. En Italie même, les choses, en apparence du moins, allaient encore au mieux, grâce à l'énergie des « catépano » de là-bas. La flotte impériale était la première du monde à cette époque, la mieux commandée, la plus habilement dirigée et équipée. L'armée était admirable et avait montré durant ce long règne ce qu'un chef énergique pouvait exiger d'elle, comment il pouvait à son gré la jeter tour à tour sur les rives du Danube, dans les monts d'Albanie, dans les vallées du Caucase, sur les sables brûlants de Mésopotamie ou sur la rive éclatante de Phénicie. Hâtons-nous d'ajouter en guise de correctif à ce tableau brillant que si la Bulgarie se trouvait à nouveau réunie de fait à l'empire, l'antique animosité qui, à la suite de tant de luttes et d'atrocités réciproques, régnait entre les deux nations, ne s'éteignit jamais tout à fait. Certes, elle parut anéantie durant presque deux siècles, mais ce ne fut jamais qu'une apparence, et ce fut bien là le côté réellement tragique du différend gréco-bulgare sans cesse renaissant.[39] Déjà vingt ans plus tard, sous le règne de Michel le Paphlagonien, nous verrons cette lutte acharnée, en apparence éteinte, se réveiller par places.

A la suite de la chute définitive de la monarchie de Samuel le « Comitopoule », diverses nations limitrophes de la péninsule des Balkans qui, grâce à cette lutte interminable, avaient réussi à conserver jusqu'ici, à recouvrer même leur indépendance, se virent forcées de faire aussi leur soumission au basileus qui demeurait seul tout-puissant en face d'elles. Skylitzès raconte qu'il en fut ainsi des Chorbates ou Croates. Ces Slaves, établis sur la Save et entre ce fleuve et l'Adriatique, jusqu'au pays des Narentans, jouaient à cette époque un rôle prépondérant en ces régions d'Illyrie.[40] Ils avaient eu pour chef de 970 à 1001, Drzislav qui avait fait reconnaître son titre par le basileus et avait été assujetti pour unique marque de ce protectorat impérial à la présence d'un protospathaire en résidence à Zara.[41] Maintenant ils étaient gouvernés par deux frères que Skylitzès désigne sous le titre d'archontes, dont l'un au moins devait être en réalité le « grand joupan », sorte de roi ou chef suprême de la nation. Celui-ci s'appelait Crésimir, le troisième du nom. En 1018, nous savons seulement qu'il avait vainement tenté de reconquérir sur Venise les villes dalmates. Encore cette information serait-elle fort sujette, à caution s'il faut en croire M. Wassiliewsky qui estime que vers cette année la prépondérance en Dalmatie avait passé à nouveau des Vénitiens aux Croates.[42] Basile fit l'accueil le meilleur à ces ouvertures pacifiques de ces princes demi-barbares dont la cour, soit qu'elle se tint dans la villa royale de Byaci, soit qu'elle se transportât dans leur palais de Nona, ne manquait pas d'un certain éclat. Leur soumission assurait de ce côté la tranquillité de la frontière septentrionale de l'empire. « Le basileus, dit le chroniqueur, combla d'honneurs, de richesses et de dignités les deux frères, et leurs peuples de bienfaits. » Probablement il accorda à ces princes les titres modestes de patrices ou de protospathaires qui comblaient de joie leur naïf orgueil. Le roi Crésimir régna dès lors en qualité de vassal du basileus. Les actes de son royaume s'inscrivirent au nom de celui-ci.

Nous savons encore qu'une division de l'armée impériale alla opérer vers les rivages de l'Adriatique pour achever la soumission des montagneuses et sauvages régions du thème de Dyrrachion jusqu'aux frontières de la Dalmatie et de la Serbie. Une flotte impériale alla par l'Adriatique prêter main-forte à ce corps détaché. Les archontes des Serbes reconnurent la suprématie du basileus.[43]

Seul, dans toute la péninsule balkanique, poursuit Skylitzès, Sermon, chef ou châtelain de la célèbre forteresse de Sirmium,[44] frère de Nestong, refusa de se soumettre, alors que tous les autres boliades bulgares et slaves s'étaient ralliés au puissant empereur. En face de cette résistance isolée, véritable acte de folie, le Bulgaroctone envoya contre ce dernier champion de cette nationalité expirante le nouveau commandant en chef des forces impériales sur le Danube et la Save, Constantin Diogène, l'ancien stratigos du thème de Salonique. Ce chef s'était distingué, nous l'avons vu, dans les derniers événements de la guerre bulgare. Depuis longtemps il était rompu à toutes les difficultés de ces luttes spéciales. Estimant qu'il aurait grand peine à réduire cet adversaire obstiné il eut recours à une de ces ruses si fréquentes dans les annales des guerres de cette époque. Il fit par un envoyé proposer une entrevue à Sermon, lui jurant que tout se passerait loyalement, offrant de venir à sa rencontre dans une île de la Save avec trois de ses officiers seulement. Le chef bulgare se rendit sans défiance au lieu désigné. L'entretien était à peine commencé que Diogène, saisissant une épée cachée sous ses vêtements, se rua sur Sermon, et, lui enfonçant son arme dans le côté, le tua du coup. Les compagnons du malheureux s'enfuirent épouvantés. Aussitôt le général meurtrier, profitant de la panique répandue parmi les assiégés, parut avec tout son monde sous les murs de la ville. Moitié par menaces, moitié par promesses, il arracha à la veuve terrifiée du chef assassiné la reddition de cette place, une des plus fortes du bassin du Bas Danube, dernier foyer de résistance dans l'ensemble de la péninsule balkanique. Sirmium devint une forteresse byzantine. La veuve de Sermon, envoyée à Constantinople, recueillie par l'empereur, fut mariée à un haut personnage de la capitale. Diogène, nous le verrons, reçut en récompense le commandement suprême de la nouvelle Bulgarie reconquise avec le titre de duc. Ces événements des premiers mois de cette année 1019 sont racontés par Skylitzès immédiatement après l'entrée triomphale du Bulgaroctone à Constantinople. Le chroniqueur ne donne pas d'autres détails sur ce hardi capitaine dont la fin fut si tragique.

Zonaras raconte les mêmes faits sans ajouter aucun renseignement nouveau.

Si les chroniqueurs sont demeurés fort avares de détails sur cet audacieux Sermon, un précieux souvenir tangible nous en est par miracle demeuré qui vient grandir encore pour nous son nom à peine mentionné par l'histoire. J'ai publié, il y a bien des années déjà dans une Revue spéciale,[45] deux exemplaires d'une monnaie inédite fort intéressante conservés dans la section des pièces d'or byzantines incertaines du Cabinet des Médailles de France. Ces monnaies sont si minces que les empreintes de leurs deux faces se confondent quelque peu. Sur la face principale est gravé le monogramme cruciforme traditionnel qui se traduit par ces mots: « Mère de Dieu, prête secours. » Au droit on lit distinctement en grands caractères disposés sur trois lignes les nom et titre du personnage qui appelle ainsi sur lui la protection céleste: Sermon stratilatis.

Le seul renseignement certain que nous possédions sur ces étranges monnaies dont un troisième exemplaire figure, je crois, au British Muséum à Londres, est qu'elles ont été retrouvées sur la rive du Danube en compagnie d'autres pièces d'or. Leur physionomie très particulière se rapproche cependant du monnayage byzantin par le monogramme du droit, et de certaines pièces des « Slaves méridionaux » par la disposition de la légende du revers. Le récit de Skylitzès, malgré sa brièveté, permet d'affirmer qu'elles ont été frappées par ce Sermon, chef ou prince indépendant à Sirmium, qui tomba sous les coups de Constantin Diogène. Le lieu de la découverte sur les rives du Danube, le style de ces pièces, ce titre même de « stratilatis », tout concorde à prouver que le Sermon du chroniqueur byzantin et celui des monnaies du Cabinet de France sont un seul et même personnage. Sermon, un moment souverain indépendant de la place de guerre de Sirmium, a certainement fait frapper ces monnaies à son nom durant sa tentative suprême de résistance, peut-être durant le siège même de Sirmium qui précéda de quelques jours le meurtre commis par Constantin Diogène.

La présence de légendes en langue grecque sur la monnaie d'un Slave ennemi acharné de Byzance peut paraître étrange. Rappelons qu'il n'existait pas à cette époque sur les rives du Danube ou dans la péninsule balkanique de monnayage bulgare ou slave d'aucune sorte. L'unique monnaie d'or courante dans ces régions était le sou d'or des basileis byzantins. C'était elle seule qu'on devait imiter, et si l'on admet, chose très naturelle, que ce furent des ouvriers d'origine byzantine qui gravèrent les coins du gouverneur de Sirmium, on ne s'étonnera point qu'ils aient tout simplement copié les monogrammes et les légendes de leur monnayage national, alors que deux siècles plus tard les souverains de la troisième monarchie bulgare n'ont fait qu'imiter plus ou moins servilement ce même monnayage byzantin en substituant toutefois sur leurs espèces, à de rares exceptions près, l'alphabet slave à l'alphabet grec.

Nous ne possédons, hélas! presque aucun renseignement sur la réorganisation par le gouvernement du Bulgaroctone des provinces de la Bulgarie reconquise. Les chroniqueurs grecs n'en parlent qu'en quelques phrases insignifiantes. Un chrysobulle du basileus Michel Paléologue retrouvé récemment, dont je parlerai plus bas, nous fait, il est vrai, connaître, en s'y référant, quelques-unes des ordonnances rédigées par Basile II pour l'administration de ces territoires nouveaux, mais on verra que ces pièces uniquement consacrées aux questions d'ordre ecclésiastique n'avaient d'autre but que d'assurer les droits politiques et fonciers de l'Eglise bulgare, et qu'elles ne s'occupent en rien de l'organisation civile du pays. De cette organisation civile de cette moitié de la péninsule balkanique rentrée au commencement du xie siècle dans le giron de l'empire, nous ne saurions donc rien si, par un hasard heureux, nous n'étions à même de puiser quelques informations précieuses dans une source assez inattendue, source d'ordre tout différent que les chroniques byzantines, mais en tout cas incomparablement supérieure. On sait que l'écrivain syrien contemporain Yahia dont un érudit russe, M. le baron V. de Rosen, vient de nous faire connaître de si précieux fragments, fait d'assez fréquentes allusions à la grande guerre bulgare, allusions d'ailleurs souvent entachées d'erreur, empreintes surtout d'une confusion qu'explique suffisamment la grande distance où se trouvait l'auteur du théâtre de la lutte. Parmi ces allusions il s'en trouve une très importante, qui semble plus exacte, et qui concerne précisément l'organisation civile imposée à la Bulgarie par le basileus Basile après son triomphe définitif en 1018.[46] La source contemporaine très vivante à laquelle Yahia a dû certainement puiser pour ce récit des événements qui marquèrent la chute de la monarchie de Samuel, ne se manifeste nulle part plus clairement que dans ce passage où l'écrivain syrien énumère les mesures prises par Basile pour assurer l'administration de sa nouvelle conquête. Ces renseignements que nous fournit l'honnête chroniqueur oriental ont même une certaine fraîcheur d'inédit qui est la preuve manifeste de l'excellence de leur origine. Ni Skylitzès ni Cédrénus n'ont connu cette source, eux qui ne disent rien que d'insignifiant sur ces questions.

Voici ce passage de Yahia: « Basile, dit-il en substance, après le meurtre de Jean Vladistlav,[47] s'étant rendu en Bulgarie à l'appel des chefs des Bulgares au mois de chewal de l'an 408,[48] tous ces chefs sortirent à sa rencontre. Et il accepta d'eux les clefs de leurs forteresses et leur prodigua ses faveurs et distribua à chacun d'eux des dignités proportionnellement aux services rendus. Et il conserva pour lui les forteresses les plus importantes et y nomma des gouverneurs grecs. Il démantela les autres. Et il organisa l'administration de la Bulgarie et y nomma des « basilikoi » c'est-à-dire des administrateurs chargés de l'expédition de toutes les affaires et de l'exploitation de toutes les sortes de revenus. Et l'Etat bulgare devint une simple annexe de l'Etat grec sous la forme d'un catépanat. C'était en la quarante-quatrième année du règne du basileus.

Puis Basile retourna à Constantinople. Et les filles des Bulgares épousèrent les fils des Grecs et réciproquement, et Basile les mélangea les uns aux autres et anéantit de cette manière la vieille haine qui les séparait.[49] » Ce fragment est tout ce que nous savons de l'organisation byzantine dans la Bulgarie reconquise, mais, confronté avec le chrysobulle de Michel Paléologue dont je vais parler, il comble un vide. Les deux documents réunis, en nous dévoilant le lien existant entre les privilèges qui furent à ce moment accordés à l'Eglise bulgare et les droits politiques conférés par Basile aux classes civiles, arrivent tant bien que mal à nous fournir quelques notions plus précises qui semblent bien conformes à la vérité.

Basile n'avait pu triompher de la Bulgarie par la seule force des armes. Il avait dû procéder au moins autant par l'intrigue et les libéralités de toute sorte. Dans la famille même du « Comitopoule », des défections s'étaient produites. Tout au début de la guerre le frère de Samuel Aaron avait payé de sa vie la trahison qui avait fait de lui l'allié des Grecs. De même le fils de cet Aaron, Jean Vladistlav n'avait pas hésité à assassiner son cousin Gabriel Romain pour tenter de se concilier le puissant basileus. Il avait ainsi porté sciemment le coup de grâce au parti national dans sa patrie. La trahison à la cause nationale décomposait ainsi successivement les couches supérieures de la noblesse et du clergé, et le renforcement graduel du parti grécophile en Bulgarie fournissait petit à petit au basileus des points d'appui pour obtenir de nouveaux succès militaires sur ceux des Bulgares qui s'opiniâtraient dans une résistance désespérée. La mention que nous verrons être faite dans les Novelles de Basile relatives à la reconstitution de l'Eglise bulgare, des mérites particuliers de l'évêque bulgare de Widdin, mérites tels qu'ils sont estimés par le basileus dignes de récompenses extraordinaires, se trouve complétée par le témoignage si formel de Yahia nous disant que les chefs bulgares, après la mort de Jean Vladistlav au siège de Dyrrachion, vinrent supplier l'empereur des Grecs d'accepter la remise des forteresses et des provinces qui étaient encore en leurs mains. On pourrait appuyer ces observations sur bien d'autres preuves encore tirées par exemple du manuscrit si curieux récemment publié par M. Wassiliewsky sous le titre de Conseils et Récits d'un grand seigneur byzantin.[50] « La pacification de la Bulgarie, dit ce profond érudit dans sa préface à cet ouvrage, consista précisément en ce fait capital que Basile II s'efforça d'attirer à lui l'aristocratie bulgare en lui distribuant généreusement rangs, titres et dignités du Palais Sacré. » En groupant toutes ces indications éparses il devient possible de se faire une idée quelque pieu précise de la forme que revêtit, l'organisation de la Bulgarie reconquise et cette notion plus exacte, on peut, l'affirmer, nous est surtout fournie avec quelque clarté par Yahia. Dans les débuts, il ne parut pas possible d'introduire en Bulgarie l'ordre byzantin de gouvernement dans son intégrité, avec sa juridiction compliquée, son système d'impôts, etc. Le gouvernement impérial tenta vainement cette, expérience dans la suite. Pour le moment, le basileus se borna à faire occuper les forteresses principales et démolir les autres qui auraient pu servir de point d'appui à de nouvelles tentatives d'insurrection, à nommer des administrateurs supérieurs qui prirent le nom de « pronoitai » ou « provéditeurs[51] » à placer enfin sur un même pied Grecs et Bulgares pour ce qui était de leurs droits politiques; ce qui donna aux premiers le droit de colonisation en Bulgarie. " II est plus que probable que ces conditions de la pacification définitive furent spécifiées à l'époque dans quelque convention conclue entre le basileus et les chefs bulgares repentants, document que Yahia aura pu encore consulter, mais qui depuis aura été perdu et par conséquent ignoré des historiens grecs plus récents. Ce sont ces circonstances qui donnent une si grande importance à chaque expression de ce passage du chroniqueur syrien.

La Bulgarie reconquise ne fut point transformée en un thème proprement dit; elle n'en devint même jamais un dans la suite, mais demeura un territoire de conquête militairement organisé avec le moins de changements possibles dans l'ancien ordre de choses qui existait lors de son indépendance. Basile II, prince sage et prudent, soumit cette vaste étendue de territoires situés entre le Danube, le Balkan et les monts de la Haute Macédoine, redevenus terre byzantine à un régime particulier, quelque chose d'analogue à ce qui a eu lieu de nos jours pour l'Alsace transformée par l'Allemagne victorieuse en « pays d'empire », « Reichsland ». Yahia se sert de l'expression de « catépanat » pour désigner ce commandement tout guerrier, mais l'étude attentive des seuls documents contemporains certains parvenus jusqu'à nous, qui sont précisément quelques sceaux de plomb de ces premiers fonctionnaires de la Bulgarie byzantine reconquise, en nous montrant que jamais ce titre ne figure dans leurs légendes, nous apprend que ces gouverneurs de cette Bulgarie impériale, fonctionnaires exclusivement militaires, furent non point de véritables « catépano », comme le dit par erreur l'écrivain syrien et comme c'était le cas dans les thèmes byzantins d'Italie, non point non plus de simples « stratigoi » comme dans toutes les autres provinces de la monarchie, mais bien des « ducs » et des « pronoitai[52] » ou provéditeurs, « provéditeurs de toute la Bulgarie », fonctionnaires d'ordre spécial, assez analogues, il me semble, à nos « commissaires extraordinaires». Nous avons vu que ce titre si particulier se trouve mentionné dans une source précisément à propos de la Bulgarie. De même, sauf de très rares exceptions, je ne l'ai jamais retrouvé sur d'autres sceaux que sur ceux des fonctionnaires de cette province reconquise.

Ces sceaux de plomb ayant servi à sceller la correspondance officielle de fonctionnaires de la Bulgarie qui nous sont restés de cette époque si mal connue de l'histoire de cette contrée sous la domination byzantine, entre la chute de la monarchie du « Comitopoule » et la création du nouveau royaume bulgare vers la fin du xiie siècle, sont d'une rareté extrême. Circonstance singulière, j'en possède précisément trois, différents les uns des autres, qui ont appartenu au premier gouverneur byzantin de la Bulgarie reconquise, à ce Constantin Diogène dont il a été question à deux reprises déjà dans l'histoire de cette guerre terrible et qui avait assassiné de sa main le boliade Sermon de Sirmium. Sur ces trois précieux petits monuments qui nous représentent comme le cursus honorum de ce haut capitaine byzantin, figure au droit le buste armé de toutes pièces de saint Démétrius, le glorieux mégalomartyr patron de Salonique, auquel vraisemblablement Constantin Diogène avait voué un culte particulier et qu'il avait choisi pour protecteur depuis qu'il avait été stratigos et « catépano » de ce thème. Au revers on lit les titres décernés à Constantin aux divers degrés de sa carrière administrative en Bulgarie: « Seigneur, prête secours à Constantin, ton serviteur, vestarque, anthypatos, anagraphe, patrice ou duc, ou encore provéditeur de tonte la Bulgarie. » Sur d'autres de ces monuments si modestes d'apparence mais qui font si étrangement revivre pour nous les mâles figures de tous ces rudes fonctionnaires byzantins dont ils scellèrent les laconiques dépêches, se lisent les noms et titres d'autres préteurs, « pronoitai », juges ou anagraphes de Bulgarie.[53]

Parlons maintenant du précieux document que j'ai signalé plus haut et qui concerne exclusivement l'organisation ecclésiastique de la Bulgarie redevenue byzantine. On a retrouvé récemment[54] un chrysobulle du basileus Michel Paléologue daté de l'an 1272, adressé à l'archevêque régnant de Bulgarie, dans lequel, circonstance pour nous fort heureuse, se trouvent citées trois Novelles jadis adressées à l'archevêque Jean d'Achrida par notre grand Bulgaroctone en vue de réorganiser l'Eglise bulgare et d'établir définitivement les droits politiques et fonciers de celle-ci après la conquête du pays par les Grecs.[55] Par ces ordonnances dans lesquelles Basile déclare tout d'abord qu'il vient de réunir à nouveau la monarchie bulgare à l'Etat romain, nous apprenons que le vieux basileus, fort habilement et contrairement aux dispositions prises par son prédécesseur Jean Tzimiscès lors de l'annexion à l'empire de la Bulgarie danubienne, avait décidé de laisser à cette Eglise demeurée depuis tant d'années autocéphale, c'est-à-dire pleinement indépendante,[56] usant de la liturgie slave de Méthode en place de la liturgie grecque, sa forme nationale, toute son ancienne autonomie, exactement sur le pied d'autrefois. L'indépendance vis-à-vis du Siège suprême de Constantinople se trouvait, par ces dispositions intelligentes, maintenue de la manière la plus large et la plus complète. Même Basile ne craignait pas de placer à la tête du clergé bulgare un fils de cette race. En effet la première de ses ordonnances rappelée par Michel Paléologue nous apprend que le premier archevêque de Bulgarie installé à Achrida par le basileus, après la conquête finale de 1018, archevêque succédant à ce patriarche autocéphale, fut un moine, enfant du pays, nommé Jean, celui-là même qui avait été le dernier patriarche autocéphale régnant. En d'autres termes ce Jean fut simplement « confirmé », la Novelle se sert de cette expression même, dans son siège. De patriarche bulgare indépendant, il devint le premier archevêque de la Bulgarie à nouveau grécifiée.[57] Seulement, après la mort de Basile survenue peu après, cet esprit de large tolérance jusqu'alors inconnu à Byzance, se modifia déjà très complètement, et le successeur de Jean fut un certain Léon de nationalité non plus bulgare mais grecque,[58] ancien chartophylax du clergé de la Grande Eglise, prêtre passionnément orthodoxe.[59]

Ces Novelles de Basile ainsi heureusement retrouvées dans le corps d'un document beaucoup plus récent présentent donc pour nous le plus vif intérêt. Pratiquement elles ont surtout pour but d'assurer par privilège impérial à l'archevêque Jean et à ses seize suffragants un nombre donné de « clerici » et de « paroikoi » ou serfs d'église. Les « clerici » attachés à un évêché sont déclarés exempts de l'impôt d'Etat « ainsi que c'était l'usage sous le règne de Samuel ».

Il ressort de tout ceci très clairement que, par cette première de ses ordonnances citée dans la Novelle de son successeur du xiiie siècle, Basile II, dans son esprit de politique si résolument conciliante, avait assuré à l'archidiocèse d'Achrida qui succédait au patriarcat indépendant de Bulgarie les mêmes limites que celui-ci avait possédées vers la fin du règne du tsar Samuel. Mais il paraît que l'archevêque Jean ne crut pas devoir se contenter même d'une mesure aussi large. Il réclama pour son archi-diocèse les anciennes limites bien autrement considérables du patriarcat bulgare telles qu'elles avaient existé sous le règne du tsar Pierre, de 927 à 968, date de la mort de ce prince, alors que la Bulgarie s'étendait jusqu'à la mer Noire d'une part, jusqu'à la Thessalie de l'autre, et le basileus vainqueur, dans son désir extrême de conciliation, n'hésita pas à lui accorder ces demandes si exagérées.[60] C'est là l'objet de la seconde ordonnance de Basile rappelée dans la Novelle de Michel Paléologue. Dans ce second document daté du mois de mars 1020, le basileus Basile déclare formellement que le « très saint archevêché de Bulgarie » sera constitué dorénavant non point comme sous le tsar Samuel mais bien comme aux temps du tsar Pierre avec tous les évêchés suffragants qu'il comptait à cette époque. En conséquence, Basile annexe aux sièges d'Achrida, de Dristra, de Widdin,[61] de Rhasos, etc. toute une série de sièges suffragants des métropoles de Salonique, de Naupacte, de Dyrrachion (lesquelles se trouvent ainsi dépouillées au bénéfice de l'archevêché de la nation vaincue), cités de Macédoine et d'Epire, plus deux de Thessalie.[62]

La troisième ordonnance de Basile rappelée dans le document du xiiie siècle, ordonne encore des disjonctions analogues d'évêchés en faveur du siège d'Achrida mais cette fois au préjudice des diocèses de Serbie, de Stagoï et de Berrhœa.[63]

« Il semble toutefois, dit Zachariae de Lingenthal,[64] que la suprématie ecclésiastique complète n'ait pas été concédée à ce moment à l'archevêque sur l'ensemble des diocèses de la monarchie bulgare reconquise, mais que certains parmi ceux-ci soient demeurés indépendants de son autorité, placés directement sous celle du patriarche de Constantinople. Il en fut certainement ainsi, par exemple, des métropoles de Larisse et de Dyrrachion dont une portion avait fait partie du patriarcat bulgare sous les rois Samuel et Pierre. »

Cette organisation ecclésiastique de la Bulgarie qui suivit immédiatement la conquête, organisation si favorable à la conservation de l'autonomie de cette nation, et qui témoignait d'une si étonnante indépendance d'esprit de la part de ce basileus du début du xie siècle et de ses conseillers, cette organisation, dis-je, nous est un sûr garant de plus que des circonstances identiques durent exister pour la constitution civile de ce pays, comme nous pourrions l'affirmer déjà d'autre part grâce aux renseignements sommaires que nous fournit Yahia. Basile dut certainement laisser une très grande indépendance, une presque complète autonomie aux boliades bulgares maintenus sous la main de fer gantée de velours de ses « pronoitai ». En tout il dut s'efforcer de modifier le moins possible l'état de choses anciennement établi, se bornant à maintenir sévèrement parmi les vaincus un ordre parfait, une soumission absolue. Une phrase encore de Cédrénus vient apporter ici le plus précieux témoignage à cette manière de voir.[65] Racontant les origines des premiers mouvements insurrectionnels qui, quinze ans après la mort du Bulgaroctone, vinrent pour, la première fois depuis la pacification de l'an 1018 troubler la Bulgarie accablée sous le joug intolérable de Jean l'Orphanotrophe, l'odieux ministre de son frère le basileus Michel IV, le chroniqueur s'exprime en ces termes: « Car le basileus Basile, lorsqu'il soumit les Bulgares, n'avait rien voulu changer au gouvernement du pays, mais, au contraire, avait ordonné que l'ancien ordre des choses serait partout maintenu et que l'impôt continuerait à être perçu comme il l'était sous le gouvernement du tsar Samuel: c'est-à-dire que tout Bulgare propriétaire d'un joug de bœufs serait tenu de payer au trésor une mesure, un « modius » de blé, une mesure de millet, une cruche[66] de vin. » C'était l'impôt foncier perçu en nature dans toute sa simplicité antique. Cette coutume était tellement enracinée dans les mœurs que le Bulgaroctone lui-même crut ne pouvoir rien y changer. La transformation par ordre de l'Orphanotrophe, et pour des raisons fiscales qui nous échappent, de cette légère prestation en nature en une prestation en argent monnayé parut aux Bulgares une mesure si tyrannique et provoqua un tel mécontentement qu'elle fut cause du premier soulèvement contre le gouvernement impérial depuis la conquête et que des insurrections éclatèrent aussitôt. Quelle preuve plus grande de l'indépendance que leur avait laissée leur vainqueur! A partir de ce moment du reste, la Bulgarie perdit de plus en plus son autonomie locale, ses privilèges et ses exemptions pour devenir une simple province byzantine gouvernée d'après les mêmes principes que le reste de l'empire. Aussi la haine des vaincus pour leurs oppresseurs redevint-elle bientôt aussi ardente qu'elle l'avait été avant les victoires définitives du Bulgaroctone.

Quel le était donc la forme vraie de cette dépendance de la Bulgarie à l'empire? Qui recevait cet impôt en nature payé par chaque paysan bulgare? Comment était-il réglé? A quelles dépenses était-il affecté par l'administration impériale? En général quelles furent les limites de la région dans laquelle cette large autonomie locale fut maintenue par la volonté intelligente du vainqueur? Toutes ces questions demeurent bien obscures encore. Un des plus érudits byzantinistes russes, le professeur Th. Ouspensky d'Odessa, aujourd'hui directeur de la Mission archéologique de son pays tout récemment établie à Constantinople, a cherché à y répondre dans l'ouvrage plein de science qu'il a consacré à la formation du second royaume bulgare au douzième siècle.[67] Ce savant estime, ainsi que je l'ai dit, que la constitution primitive accordée à la Bulgarie par Basile II, constitution dont nous avons malheureusement perdu presque toute trace, devait se rapprocher beaucoup de celle accordée par le même prince à l'Eglise bulgare que nous connaissons un peu mieux grâce à la Novelle retrouvée de Michel Paléologue. En un mot, M. Ouspensky croit que, par ces ordonnances promulguées à cette époque en faveur de l'Eglise, on peut se faire une idée de ce que furent pour l'administration civile du royaume reconquis ces lois décrétées par le vainqueur, dont tout vestige a disparu. « En étudiant à ce point de vue, dit-il,[68] les trois chrysobulles du Bulgaroctone, nous y relevons un certain nombre de faits significatifs. Et d'abord ces documents constituent en quelque sorte un titre de donation qui confirme et consacre l'indivisibilité de l'Etat ecclésiastique bulgare et l'inviolabilité de ses droits après le passage de la Bulgarie sous la domination byzantine. Ici le basileus donne simplement force de loi et sanction juridique aux anciennes ordonnances des tsars bulgares et le législateur byzantin se base sur ces documents pour déterminer les frontières ecclésiastiques d'abord, puis les frontières politiques de la Bulgarie reconquise. Toutefois il est facile de démêler dans ces textes impériaux quelque chose de plus qu'une simple confirmation des antiques droits de l'archevêque et des évêques nationaux. Certes le basileus a cédé quelques droits particuliers du pouvoir souverain sur le pays conquis; même il a conféré quelques nouveaux privilèges. Mais l'élément de la volonté personnelle du prince, qui se révèle, tantôt par quelque restriction apportée au nombre des serfs ecclésiastiques,[69] ou des « clerici », tantôt au contraire par leur augmentation, accordée en récompense de quelque mérite extraordinaire ou de la fidélité à la cause byzantine, cet élément, dis-je, vient parfois donner à ces précieux documents une signification plus grande. C'est ainsi que nous voyons l'évêque de Widdin recevoir une récompense extraordinaire supérieure à celle conférée à l'archevêque, « et cela », est-il dit textuellement, « à cause des services qui furent rendus par ce prélat lors de la soumission de la Bulgarie ». En somme le basileus Basile avait augmenté les droits du clergé bulgare et non point seulement confirmé ceux dont il jouissait sous ses rois nationaux. Le nouveau gouvernement se hâtait de s'appuyer sur l'Eglise pour y trouver un soutien dans son administration du pays conquis. Il est très probable que, dans ce même but, des privilèges spéciaux avaient été également conférés à d'autres castes de particuliers non ecclésiastiques.

Ces chrysobulles si heureusement retrouvés nous fournissent encore les renseignements les plus précieux sur la nature même de ces privilèges accordés à ce moment par Basile à l'Eglise bulgare. Il s'agit surtout du nombre de serfs ou paysans et de « clerici » que chaque évêque est en droit de posséder. En un mot, il s'agit là du droit le plus grand dont un évêque puisse être investi, véritable droit souverain, celui de posséder des lieux habités. Dans ces Novelles, l'administration impériale byzantine se borne à édicter quelques mesures limitant le nombre des gens ecclésiastiques sur lesquels peut s'étendre la juridiction épiscopale et disant où doit commencer le droit du fisc et où celui de la propriété particulière. En étudiant la suite de cette histoire de l'administration de la Bulgarie par l'Etat byzantin, on voit, d'une part, que la préoccupation constante du pouvoir séculier, sans aller jusqu'à violer ces privilèges accordés par les chrysobulles impériaux, fut de découvrir sur les terres de l'Église le plus grand nombre possible de paysans dépassant les chiffres prescrits par les chartes de donation afin de pouvoir de la sorte mieux s'immiscer dans le gouvernement des évêques, d'autre part que le haut clergé considéra constamment cette recherche comme, la violation de ses anciens droits et s'ingénia par tous les moyens à rendre impossible ce recensement de ses serfs par les employés de l'Etat.

A ce droit de posséder des lieux habités se trouvent attachées dans ces chrysobulles certaines prérogatives et certaines exclusions. Si, par exemple, les droits de l'évêque sur des gens d'Église n'y sont pas indiqués parce qu'ils se réglaient probablement sur des usages très anciens, on y trouve déterminées avec beaucoup de précision les limites du domaine non assujetti au pouvoir civil. Ainsi les « clerici » et les paysans ecclésiastiques ne payaient pas l'impôt en nature exigible de chaque autre Bulgare au profit de l'Etat. De même encore les lieux habités appartenant aux églises demeuraient soustraits à l'ingérence de tous les fonctionnaires militaires ou civils, tels que « stratigoi, collecteurs d'impôts, juges, etc. ». Enfin un impôt spécial, dit « canonique », était perçu au profit du clergé tant sur ces paysans appartenant aux églises que sur les Valaques habitant la Bulgarie[70] et les Turcs dits Vardariotes; établis dès longtemps en colonies militaires sur le Vardar. Certes ces données fournies par ces précieux chrysobulles sont encore bien peu de chose. Il n'en est pas moins fort intéressant de voir comment M. Ouspensky, en s'aidant de la volumineuse autant que précieuse correspondance que nous possédons de l'archevêque Théophylacte, chef de l'Eglise bulgare sous l'autorité byzantine dans les premières années du xiie siècle, a réussi à démontrer de quelle manière cette législation si intéressante fut appliquée et mise en pratique par les vainqueurs dans les pays conquis. Je renvoie pour plus de détails à la lecture de ce savant mémoire écrit en langue russe.

 

 

 



[1] Cédrénus, II, 465.

[2] L'antique fleuve Haliacmon.

[3] Taful, Symbolarum criticarum geogr. byzant. spect., Pars 1, p. 51.

[4] Rosen, op. cit., p. 58.

[5] Ici Yahia fait erreur. Nous savons par Skylitzès que Jean Vladistlav a régné deux ans et cinq mois.

[6] Elmacin qui a tant copié Yahia s'exprime en termes identiques.

[7] La mort de Jean Vladistlav, dernier souverain de Bulgarie, détermina immédiatement un vaste mouvement de soumission parmi la grande majorité des chefs bulgares, tandis que les derniers débris fort peu nombreux du parti purement national continuaient à lutter contre Basile avec l'acharnement du désespoir. L'écho lointain de ce grand découragement nous est parvenu dans une phrase de cet historien syrien si excellent qui a nom Yahia. « En 1018, dit-il, la majorité des Bulgares tendait à faire sa paix avec Byzance et offrit au basileus sa soumission. Et les chefs bulgares écrivirent à Basile s'humiliant, lui demandant d'accepter toutes leurs forteresses et leurs provinces, implorant la permission de venir à lui et de lui obéir. Basile se rendit en Bulgarie dans le mois de chewal de l'an 804 (fin de février et commencement de mars de l'an 1018), et tous les chefs sortirent à sa rencontre. On lui amena aussi la femme et les enfants d'Aaron (Yahia a confondu ici Jean Vladistlav avec son père Aaron) roi des Bulgares, et il accepta leurs forteresses et leur distribua faveurs et dignités à chacun suivant les services qu'il avait rendus. Il conserva les plus importantes parmi ces forteresses et y installa des gouverneurs grecs. Il démantela les autres. »— Elmacin raconte ces faits en termes à peu près identiques. Voyez Rosen, op. cit., note 135.

[8] Ou Moravisdo.

[9] Il décharge ses eaux par des canaux souterrains dans celui d’Ochrida.

[10] Voyez dans le tome XXI de l’Archiv für slavische Philologie (p. 543) la découverte si curieuse, toute récente, d’une inscription funéraire datée de 993 en l’honneur des père et mère du tsar Samuel.

[11] Ou Diabolis. — Voyez Tafel, Symbol. crit., etc. p. 37.

[12] Le Vrochot actuel.

[13] Villa probablement royale. Je ne suis naturellement pas parvenu à identifier cette localité qui devait certainement, nous l'allons voir, se trouver quelque part aux environs de Deabolis et de la vallée du Dévol.

[14] Que le chroniqueur appelle des « paradis ».

[15] La Jannina du Moyen âge.

[16] District du mont Grammos, à l'occident de Castoria, sur la frontière de la Haute Macédoine et de l'Albanie, qui porte aujourd'hui encore ce même nom de Kolonce. Tafel, Symbol. critic, etc., p. 38.

[17] Patricienne, « Zôsta »; voyez au Livre des Cérémonies de l’empereur Constantin Porphyrogénète, chap. I, le long et compliqué cérémonial à observer pour la promotion d’une « Zôsta ».

[18] Jadis appelé Vrystitza on encore Haliacmon.

[19] Hiver de 662 à 663.

[20] Zeitoun, Zitouni.

[21] C'est à M. Wassiliewsky (Conseils et Récits, etc., p. 116), que nous devons cette correction importante. Jusqu'ici on avait pris ces mots de Skylitzès et de Cédrénus (II, 475) pour une expression géographique.

[22] Gesch. der Stadt Athen im Mittelalter, I, 162.

[23] Voyez dans Paparrigopoulos, op. cit., IV, p. 247, l'exposé des raisons qui durent décider le rude basileus à cette lointaine visite en cette cité déchue.

[24] Hopf, op. cit., p. 139.

[25] Ibid. Voyez le curieux voyage de ce personnage à Patras, en Eubée, à Thèbes, à Athènes. Il ne parle que des souvenirs chrétiens. Toute réminiscence de l'antiquité sublime semble disparue pour lui.

[26] Cédrénus, II. 475. Glycas, IV, 578. Zonaras, liv. XVII. chap. ix.

[27] Voyez Strzygowsky, Die Akropolis in altbyzantinischer Zeit, Athènes, 1889.

[28] Voyez sur ce grand saint mon Épopée, I. Sa Vie, écrite en 1142 par un abbé du célèbre couvent fondé à Sparte en son nom abonde en détails précieux sur la vie provinciale dans le Péloponnèse à l'époque du basileus Basile, sur les exactions des fonctionnaires impériaux, les troubles causés par la présence des tribus slaves des Meliogi établies en ces parages et auxquelles le basileus impose un duc; sur le commerce actif de Sparte avec l'Italie, sur la population nombreuse, relativement cultivée et raffinée de cette cité encore importante à cette époque. Voyez Hopf, op. cit., pp136-139.

[29] C'est aussi l'opinion de M. Néroutsos. M. D. Gr. Kampouroglous, dans son article du 31 janvier 1893, sur l'origine du nom de Daphni, croit la fondation du monastère plus ancienne.

[30] M. Strzygowsky, dans son article du Deltion de la Soc. hist. et ethnol. de Grèce de 1890, consacré au monastère a démontré que ce couvent bâti au flanc de l'Hymète, presque entièrement modernisé aujourd'hui, du moins comme aspect extérieur, avait été construit vers le milieu du xe siècle, à la même époque à peu près que celui de saint Nikon de Sparte.

[31] Muralt, op. cit., I, 615.

[32] Le premier archevêque cité est de la seconde moitié du ixe siècle. Voyez Neroutsos, op. cit., p. 49.

[33] Il mourut en 1030. Il a signé divers actes synodaux sous le patriarcat d'Eustathios.

[34] Voyez un article de M. D. Neroutsos dans l'Estia, 1890, nos 5-14. Je n'ai pu consulter ce travail.

[35] Paparrigopoulos, op. cit., t. IV, p. 248.

[36] Basile II est parfois aussi désigné sous le nom de « le Jeune », pour le distinguer de Basile l'Ancien, puis encore sous celui de « Porphyrogénète » comme étant né d'un père sur le trône, ce qui n'avait point été le cas pour Basile Ier. Voyez Zonaras, éd. Dindorf, t. VII, p. 170.

[37] Bryenne, chap. Ier, § 2. Skylitzès; op. cit., p. 807. Du Cange, Fam. sclav., C, VIII.

[38] Voyez dans Rambaud, op. cit., p. 323, les considérations sur les causes qui amenèrent la chiite finale de la Bulgarie. « Quand l'empereur byzantin pouvait disposer de toutes ses forces contre la Bulgarie, il était bien difficile que le tsar, avec des troupes féodalement organisées, pût lutter contre les armées permanentes et les troupes régulières de l'empire. C'est cette infériorité qui deux fois amena le renversement de la monarchie bulgare à la mort de Pierre, par Tzimiscès, puis à la mort de Jean Vladistlav, par Basile II. — Puis les Bulgares ne possédaient pas de marine de guerre. » Ibid., p. 33G. —Voyez dans Arisdaguès de Lasdiverd (éd. E. Prud’homme, pp. 11 et 12), la version de ce chroniqueur arménien contemporain sur la guerre bulgare. Voyez p. 40, ce qu'il dit des tremblements de terre.

[39] Lipowsky, op. cit., p. 141.

[40] Hilferding, op. cit., 1ère partie, pp. 149 sqq. Malgré toutes mes recherches, il m'a été jusqu'ici impossible Je me procurer un travail publié à Cazan en 1880 par le professeur J. N. Smirnoff sous ce titre: Aperçu de l'hist. du royaume croate avant sa soumission à la couronne de Hongrie (en russe).

[41] C'est, ce prince auquel le doge Pierre Orseolo II avait enlevé les villes du littoral de Dalmatie en 998.

[42] Voyez dans Wassiliewsky, Conseils, etc., pp. 162 sqq., les très intéressantes hypothèses de l'auteur sur la situation dos cités dalmates à la fin du règne de Basile II.

[43] Lucius, De regno Dalmatiœ, p. 207. — Vers ce même temps, le roi saint Etienne accomplissait en Hongrie la grande œuvre civilisatrice qui a assuré à son nom une gloire immortelle. Ce souverain fit bâtir à Constantinople une église splendide pour la colonie hongroise qui. s'y trouvait (Voyez Heyd, op. cit., II, 83), église qui n'était que le complément pratique des fondations analogues déjà faites par lui à Rome et à Jérusalem.

[44] Antique capitale de la Pannonie seconde, sur la rive gauche de la Save, patrie dos empereurs Probus et Gallien, où moururent les empereurs Marc-Aurèle et Claude. Les ruines importantes de cette vieille cité se voient encore aujourd'hui près de Mitrovitz en Esclavonie.

[45] Sous ce titre: Monnaies, d'or d'un chef bulgare du XIe siècle, Sermon gouverneur de Sirmium. (Revue archéologique du 1877.) — Voyez une de ces monnaies gravées.

[46] Rosen, op. cit., p. 90.— M. le professeur Ouspensky d'Odessa, dans un article consacré à la publication du baron V. de Rosen, a été le premier à signaler l'importance de ces renseignements de Yahia sur la nouvelle administration byzantine en Bulgarie.

[47] Que Yahia appelle par erreur Aaron, le confondant avec son père.

[48] Date qui correspond à la fin du mois de février et au commencement du mois de mars de l'an 1018.

[49] Ici l'auteur syrien fait erreur. La haine violente entre les deux races survécut à la conquête.

[50] Ainsi Démétrius Polémarkos, grand-père maternel de l’auteur des Conseils et Récits, que Basile avait fait patrice et mystikos, puis Nikolitzès et bien d’autres encore qu’il combla de ses faveurs.

[51] « Celui qui veille, qui pourvoit à quelque chose. »

[52] Du Cange traduit par ces mots: « provisores, qui Venets hodic provedori »; il cite une Novelle de Jean Comnène, dans laquelle les pronoitai sont associés aux ducs, aux stratigoi, etc. C'était vraisemblablement un office qui correspondait à une période d'administration militaire lors de la réorganisation et de l’occupation définitive de territoires reconquis.

[53] Voyez ma Sigillographie byzantine, pp. 240 et 652.

[54] D'abord en partie dans un précieux manuscrit, propriété d'un ancien archevêque grec d'Argos, nommé Gérasime, puis en entier dans un manuscrit sinaïtique retrouvé par le savant évêque russe Porphyrios Ouspensky.

[55] Voyez Zachariae de Lingenthal, Jus graeco-romanum, III, p. 319, où cette Novelle de Michel Paléologue, alors retrouvée seulement en partie, est encore attribuée à tort à Basile II. Elle se trouve maintenant publiée au complet dans l'Histoire des Eglises serbe, bulgare et roumaine d'E. Goloubinsky, Moscou, 1871, pp. 259, 263. Elle avait été publiée pour la première fois dans Rhallis et Potlis, t. V, pp. 206 sqq., d'après la version incomplète du manuscrit de l'archevêque Gérasime d'Argos. Voyez encore l'étude de ce précieux document à l'état complet, suivie de notes précieuses sur les évêchés bulgares, leurs circonscriptions, leurs sièges suffragants et leurs dépendances, dans H. Gelzer, (Byzant. Zeitschrift, tomes I et II) et l'article de Zachariae de Lingenthal paru dans le tome VIII (1864) des Mém. de l'Acad. imp. des Sciences de Saint-Pétersbourg, sous le titre: Beiträge zur Gesch. der bulgar. Kirche.

[56] L'autocéphalie de l'Eglise bulgare avait déjà été reconnue par Romain Lécapène (Zach. de Lingenthal, op. cit., p. 14) et après la perte de la Bulgarie danubienne, le patriarcat autocéphale de Dorystolon avait été remplacé par celui de Prespa, puis d'Achrida (Ibid., p. 10 et 14)

[57] Avant lui, les derniers patriarches bulgares autocéphales avaient été Germain, Gabriel à Vodhéna et Prespa, puis Philippe à Achrida. Jean avait été d'abord higoumène du monastère de la Mère de Dieu de Dèvre.

[58] Dans le catalogue des archevêques bulgares publié par Du Cange, Léon est désigné par une expression qui signifie bien nettement qu'à ce moment l'esprit entre Byzance et la Bulgarie s'était complètement transformé et qu'une ère nouvelle avait commencé pour les archevêques de Bulgarie. Léon fut, paraît-il, un prélat d'une rigoureuse orthodoxie grecque. Il ne dut tolérer qu'à grand peine les vestiges nombreux subsistant dans son diocèse de la liturgie slave. D'accord avec le patriarche Michel Cérulaire, en 1004, il excommunia l'Église de Rome. En souvenir de sa chère Sainte-Sophie de Constantinople, il bâtit un temple du même nom dans sa métropole d'Achrida.

[59] Un témoignage postérieur et par lui-même suspect, dit M. Wassiliewsky, Fragm. russo-byz., p. 82, témoignage provenant d'un autre roi bulgare, Jean Asan (Lettres de ce prince, l'une de 1202, l'autre de 1204, dans Theiner, Vetera monumenta Slavorum merid., I, 10, 28), lequel, à la suite de la restauration du royaume national bulgare, s'adressa au pape pour en obtenir la couronne royale, affirme que Samuel, lui aussi, deux siècles auparavant, « avait reçu la couronne et la bénédiction du Saint-Siège romain ».

[60] Gelzer, op. cit., Byz. Zeitschr., II, p. 55.

[61] Ou « Bdyn ».

[62] Voyez dans Kokkoni, op. cit., la note 2 de la page 123.

[63] Voyez dans les savants articles de Zachariae de Lingenthal (op. cit., pp. 18 sqq.) et de H. Gelzer cités précédemment, l'énumération des sièges de cet archevêché autocéphale de Bulgarie réorganisé, tels qu'ils sont indiqués dans les précieuses ordonnances du basileus Basile II que je viens d'étudier. Les sièges primitifs suffragants de l'archevêque de Bulgarie ou d'Achrida étaient à ce moment: Castoria, Glabinitza, Mogléna, Bitolia, Stroumnitza, Morobisdos, Belebousdion, Triaditza, aujourd'hui Sofia, puis Nisos, Branitza, Belograda, Thramos, Skopia, Prizdriana, Lipainion ou Lipljan. Ceux qui lui furent attribués par les deux dernières ordonnances de Basile, en suite des réclamations de l'archevêque Jean ne figurent pas dans cette énumération.

[64] Op. cit., p. 17.

[65] Cédr., II, 530, 9. Skylitzès s'exprime de même, bien que plus brièvement.

[66] « Stammos ». Voyez Neumann, op. cit., p. 68.

[67] Th. Ouspensky, La formation du second royaume bulgare.

[68] Op. cit., p. 114.

[69] « Paroikoi ».

[70] La Novelle dit expressément que « les Vainques de toute la Bulgarie seront soumis à l'autorité de l'archevêque.» On a voulu inférer de cette expression vague de « Valaques de toute la Bulgarie » que ce peuple habitait également la Bulgarie trans-balkanique, l'ancienne Mœsie jusqu'au Danube, mais le diplôme a fort bien pu vouloir désigner seulement par ces mots les Valaques occupant la région montagneuse de la Nouvelle Bulgarie ou Bulgarie Occidentale.