L'ÉPOPÉE BYZANTINE À LA FIN DU DIXIÈME SIÈCLE

Deuxième partie

CHAPITRE VI

 

 

La période qui suivit le second séjour en Bulgarie du basileus Basile dans le cours des quatre années 1001, 1002, 1003 et 1004 est la plus obscure peut-être de tout le règne, nous ne savons presque rien, des événements qui se passèrent alors dans l'empire, rien surtout des événements de la guerre de Bulgarie sauf que celle-ci continua, sans trêve ni repos, la résistance acharnée des Bulgares et de leur tsar n’ayant d'égale que l'opiniâtreté du basileus à achever de les dompter. Skylitzès, Cédrénus après lui, disent uniquement ceci qui ne nous renseigne que bien vaguement: « Le basileus ne manqua pas chaque année de pénétrer au cœur de la Bulgarie[1] et de faire le vide devant lui dans chacune de ces expéditions, dépeuplant et dévastant. Samuel, qui commençait à sentir sa force brisée, ne se trouvant plus en état de lui faire une guerre, ouverte, se voyant sans cesse vaincu par lui, ayant perdu son énergie d'antan, s'efforça d'empêcher le retour périodique de ces expéditions si terribles pour son peuple, en fermant par des retranchements, des fossés et des barricades, les défilés principaux qui donnaient accès de la Macédoine dans son pays. » Ceci veut dire simplement que Samuel, ne pouvant plus lutter en rase campagne contre les Grecs, réduit à la stricte défensive, dut se borner à leur faire une guerre de partisans, à leur tendre des embuscades, à gêner de toutes manières leurs mouvements.

C'étaient bien déjà les symptômes précurseurs de la fin devenue prochaine de ce long drame. Ce n'étaient plus maintenant les défilés menant de Thrace et de Macédoine en Bulgarie à travers le Balkan et le Rhodope qu'il s'agissait pour Samuel de défendre à outrance. Ceux-là se trouvaient depuis longtemps avec leurs forteresses et leurs « clisures » aux mains des Byzantins. Il s'agissait aujourd'hui de ceux qui conduisaient de la vieille Bulgarie et aussi de la Basse Macédoine, dans la nouvelle Bulgarie, c'est-à-dire dans la Haute Macédoine et aussi dans l'Epire à travers les énormes massifs montagneux de cette région sauvage, inconnue, retirée, inaccessible entre toutes. C'était dans ces contrées hérissées d'obstacles naturels qui correspondaient aux antiques territoires de la Pélagonie, de la Paeonie, de la Dardanie, de l'Orestide, aussi de l'Epire et de l'Illyrie, que s'était réfugiée l'âme de cette résistance indomptable du patriotisme bulgare, résistance qui durait depuis tant d'années déjà, incarnée dans le cœur invincible de son énergique souverain.

Je suis parvenu à glaner encore çà et là quelques rares et bien brèves indications, sur cette troisième série de combats qui eut la conquête de ces défilés pour objectif. Ainsi, s'il en faut croire Mathieu d'Edesse, Basile qui était rentré à Constantinople en l'an 1005 ou 1006 après son long séjour de quatre années en pays bulgare,[2] serait retourné dès le printemps suivant en ce pays. « En l'année arménienne 455, dit cet auteur — année qui correspond aux années 1006 et 1007 de notre ère — Basile rassembla de nouveau une armée, marcha contre les Bulgares et séjourna longtemps dans leur pays, occupé à y faire une guerre terrible.[3]

Dans la Vie de saint Nikon Métanoïte dont j'ai parlé déjà,[4] il est également fait allusion à une victoire remportée par le basileus Basile en l'an 1009 sur les Bulgares. L'empereur aurait porté un coup fatal à la puissance de Samuel en le mettant en déroute près de Creta.[5] M. Lipowski a proposé de voir dans ce nom de localité certainement défiguré, le nom latin de la ville de Kratovo, dans la haute vallée encore si mal connue qui est aujourd'hui celle de la Toplitza.[6]

A partir de cette date de l'an 1009 jusqu'à l'an 1014, on ne trouve plus mention nulle part d'un seul fait précis concernant la guerre de Bulgarie. On voit à quel point la disette de documents est complète, absolue, désespérante pour l'historien. Pour toute cette longue période de près de dix années force nous est, force nous sera peut-être toujours de nous contenter de la phrase de Skylitzès, d'un sens si général, que j'ai citée au commencement de ce chapitre.

Poursuivant leur récit, l'historien byzantin et son spoliateur Cédrénus, immédiatement après cette phrase, comme s'ils voulaient donner une illustration de ce nouveau système de guerre inauguré par le fils du « Comitopoule », racontent ce qui suit: « Le roi Samuel, voyant que Basile II avait, coutume de pénétrer régulièrement dans ce qui lui restait de territoire par le défilé de Cimbalongou[7] et Kleidion dans la vallée du Strymon, résolut de fermer au basileus ce passage difficile. » Un peu plus loin, nous verrons que Samuel, après avoir forcé ce passage, se trouva dans la Zagorie, non pas certes le canton actuel de Zagorie en Epire, mais la Zagorie du Rhodope où s'élève la ville de Melnic dans la haute vallée du Strymon. Ce terrible défilé de Cimbalongou n’était donc pas autre, chose, semble-t-il, que celui qui conduit actuellement de Sérès dans cette haute vallée du Strymon, aujourd'hui le Kara-Sou, et de là à Melnic et qui porte le nom actuel de passe de Demir Hisar, d'après la petite ville ce nom située non loin de son débouché: méridional. Basile donc, continuent les deux annalistes byzantins, ferma ce passage par des ouvrages très considérables (des fortifications de bois sûrement) dans lesquels il installa des troupes fort nombreuses. Lorsque Basile, dans le courant de l’an 1014, nous ignorons à quel jour précis, — se fut présenté cette nouvelle fois venant évidemment de Serres) et qu’il se fut engagé dans cet étroit défilé presque entièrement occupé sur une très longue étendue par le lit du Strymon, il y rencontra la plus acharnée résistance, la possession de ce point étant pour les Bulgares de la plus haute importance. En effet, ce passage était pour un adversaire venant comme cette fois, du Sud, la clé de tout le vaste bassin qui s’étend à l'Est vers Melnic et à l'Ouest vers Pétrovitch, dans la vallée de la Stroumnitza.

Du haut des retranchements énormes, des palissades qui barraient le défilé, les Bulgares couvrirent les Impériaux de projectiles de tout genre. L'armée se trouva arrêtée dans sa marche. Tous les efforts se brisèrent contre cette défense opiniâtre, Déjà le basileus songeait à la retraite lorsqu'un de ses lieutenants, Nicéphore Xiphias, stratigos du thème de Macédoine,[8] vint s'offrir à lui pour chercher à tourner les positions formidables de l'ennemi. Tandis que le basileus, à la tête du gros de ses forces, exécutait une nouvelle attaque plus violente contre les fameux retranchements, et concentrait sur lui toute l'attention des Bulgares, Xiphias, avec de nombreux fantassins d'élite, tournait par les sentiers de la forêt la haute cime du Balathistès ou Biélasitzi sise au sud-ouest de Kleidion. C'est là certainement la Soultanitza-Planina actuelle, portion de la Bêles Planina de la carte de l'état-major autrichien.[9] Ayant achevé son mouvement sans encombre, l'entreprenant stratigos fondit d'en haut à l'improviste sur les derrières de l'ennemi.

Les Bulgares, épouvantés par cette brusque attaque, s'enfuirent en désordre, abandonnant le retranchement si péniblement construit, conservé au prix de tant de sang. Les troupes de Basile eurent tôt fait de détruire toutes ces fortifications qui ne se trouvaient plus défendues et se jetèrent sur les pas des fuyards. On fit des malheureux Bulgares débandés un affreux massacre. On en prit une foule. Samuel lui-même allait tomber aux mains des Grecs lorsque son fils, par sa résistance héroïque, le sauva. Le jeune héros réussit à remettre son père en selle et tous deux, certainement par la vallée de la Stroumnitza, galopèrent jusqu'au kastron de Prilapon, aujourd'hui Prilipo,[10] dans la vallée de la haute Tcherna,[11] l'antique Erigon, un des affluents Occidentaux du Vardar. Ce château, dont les ruines, débris très curieux de l'architecture médiévale, se voient encore à quelque distance de la ville actuelle qu'il dominait, passait pour la plus puissante forteresse du tsar Samuel. Le souverain fugitif et son fils y trouvèrent un sûr asile.[12]

La grande victoire du défilé de Cimbalongou[13] eut lieu le 29 juillet de l'année 1014.[14] Basile victorieux, poursuivent les chroniques byzantines, précipita sa marche en avant, faisant dévaster par ses troupes toute la contrée environnante, s'emparant, ainsi que nous allons le voir, de nombreuses places et châteaux. Cependant, il ne se trouva pas en force pour aller attaquer son ennemi vaincu jusque dans cette formidable forteresse de Prilapon. Il l'atteignit d'une manière bien autrement cruelle. Avant de poursuivre la campagne pour recueillir le fruit de sa victoire, il se résolut à frapper un coup terrible pour épouvanter ces adversaires opiniâtres et précipiter d'autant la fin de la résistance. A la prise des défilés de Cimbalongou plus de quinze mille combattants bulgares étaient tombés vivants aux mains de ses soldats. Les chroniqueurs byzantins affirment qu'il fit crever les yeux à tous ces captifs et les renvoya ainsi mutilés à leurs compatriotes pour servir d'exemple. Par un raffinement inouï, pour chaque centaine d'aveugles, on laissa un borgne chargé de la conduite de ses infortunés compagnons. Puis le basileus expédia au tsar Samuel cette effroyable théorie. Combien de ces misérables victimes succombèrent en chemin? Combien arrivèrent à Prilapon? Nul chroniqueur ne s'est occupé de nous le dire. Seulement Skylitzès et Cédrénus racontent que Samuel, déjà gravement malade, vaincu physiquement par le désastre de sa patrie, ne put supporter la vue d'une de ces colonnes de malheureux gémissant et chancelant à chaque pas. Cette trop cruelle émotion amena une attaque d'apoplexie, rupture du cœur ou de quelque vaisseau. Le tsar infortune tomba à terre, inanimé, mourant. Une médication énergique le rappela à la vie pour quelques instants. Il demanda à boire de l'eau glacée et aussitôt retomba en une syncope d'où il ne sortit plus. Il expira deux jours après.[15] C'étaient bien vraiment la douleur des maux de la patrie, l'horreur de la vue de ses sujets mutilés, aux orbites sanglants, qui avaient eu raison de cet homme de fer, la plus noble personnification de la lutte pour l'indépendance nationale qu'aient vue ces sombres jours du xe siècle. Sa mort, qui eut lieu le 24 octobre de cette année 1014,[16] marqua l'heure de l'agonie de son peuple.

Nous avons peine à nous imaginer d'aussi horribles circonstances, cette épouvantable scène de torture aux milliers de martyrs, ces pauvres soldats bulgares arrivant liés par milliers pour subir en supplice, infâme, cette tempête de hurlements de douleur, puis ces files pleurantes d’aveugles sanglants, se donnant la main, chancelant et butant à chaque pas, puis cette entrevue dernière du roi moribond avec ces malheureux, sa mort tragique à la vue de tous ces effroyables mutilés qu'il avait connus quelques jours avant, combattant pleins de vaillance, aujourd'hui, misérables infirmes, condamnés à couler des jours affreux, Le fait cependant paraît certain, attesté par la plupart des chroniqueurs. Le fameux manuscrit slavon de la Bibliothèque Vaticane, qui est une traduction de la Chronique de Manassès, parmi ses curieuses miniatures exécutées au xive siècle, en contient une représentant avec une grande naïveté cette scène du pauvre tsar Samuel expirant de douleur à la vue de ses sujets aveuglés.

Tout au plus pourrait-il y avoir quelque, exagération dans les chiffres donnés par les Byzantins. Et cependant un autre témoignage presque contemporain, fort, important, que je vais citer, donne pour cette journée le même nombre de prisonniers bulgares à un millier près. Ce serait une grave erreur de supposer que Basile se soit laissé entraîner à un tel acte par pure cruauté ou lâche désir de vengeance. Certes, cette mutilation en masse avait des raisons d'être d'ordre essentiellement politique et, en somme, elle était bien dans les mœurs effroyablement, dures de l'époque.

Il s'agissait pour le basileus de frapper un coup décisif pour en finir avec cette guerre interminable qui depuis bientôt trente années usait les forces vives de l'empire. Il s'agissait de détruire à tout jamais tous ces espoirs patriotiques, toutes ces résistances sans cesse renaissantes, en envoyant dans chaque village perdu au fond des forêts bulgares, dans chaque chaumière de Bulgarie, un de ces lamentables aveugles, témoin vivant de la puissance irrésistible de l'inexorable basileus des Grecs. Le supplice de la perte de la vue, infligé à Byzance à une foule de catégories de criminels d'Etat, était alors d'un emploi infiniment fréquent, tout à fait dans l'esprit du temps, considéré comme beaucoup moins dur que la peine capitale.

En fait la mesure horrible ordonnée par le basileus Basile, eut exactement le résultat désiré, non seulement, en précipitant la mort de Samuel, elle priva la Bulgarie de son plus valeureux champion, de son bras droit, mais, à partir de cette exécution, la résistance mollit brusquement. De ce jour, on put commencer à compter les derniers jours du peuple bulgare indépendant.

De cette déroute des défilés de Macédoine au mois de juillet de l'an 1014 qui sonna le glas de la puissance du tsar Samuel, aussi de l'épouvantable exécution en masse qui en fut la suite, deux témoignages précieux nous sont encore demeurés, l'un dans la Chronique de Michel Attaliatès,[17] le second dans ce manuscrit précieux dont j'ai parlé à plusieurs reprises qui, récemment retrouvé dans la Bibliothèque du Saint-Synode de Moscou, a été publié par M. Wassiliewsky sous le titre: Conseils et récits d'un grand seigneur byzantin du xie siècle.[18]

Michel Attaliatès, historien de la fin du xie siècle, faisant l'éloge du basileus Nicéphore Botaniatès son contemporain, parle à un moment du grand-père de ce prince, nommé comme lui Nicéphore. Après avoir raconté que ce fut un grand capitaine, un des meilleurs lieutenants de Basile II dans la guerre de Bulgarie, ce que ne nous avait révélé aucune autre source, il nous dit comment ce personnage se couvrit de gloire précisément dans cette journée du défilé de Cimbalongou en 1014 et comment il perdit peu après la vie. Voici ce très curieux passage qui vient confirmer très exactement les récits de Skylitzès et de Cédrénus.[19]

« Basile le Porphyrogénète, s'étant vu contraint de combattre pendant quarante ans les Bulgares, fut astreint de ce fait à des guerres innombrables et à des fatigues inouïes, pendant la durée desquelles il eut en la personne de Nicéphore Botaniatès, aïeul de l'empereur dont je rédige aujourd'hui l'éloge, un auxiliaire aussi unique que fidèle et dévoué, qui fut en même temps son conseiller et son meilleur lieutenant, son aide de camp et son bras droit. Vers la fin de cette guerre interminable, comme le peuple bulgare était déjà à peu près entièrement vaincu, ce magnifique guerrier mourut au champ d'honneur, de la mort la plus belle, que tout soldat pourrait envier. Car, après avoir mis en fuite les Bulgares en les poursuivant dans le défilé de Kleïdion, il ne cessa de les combattre et de les pourfendre de sa main jusqu'à ce qu'il eût reçu lui-même un coup mortel. Quant au chef bulgare Samuel, dans sa terreur, il s'enfuit jusque dans l'île marécageuse de Presna où il mourut. La masse des Bulgares fit sa soumission au basileus. Ainsi cette nation fut réduite en esclavage par l'ingéniosité, la grandeur d'âme, le courage d'un seul homme. »

Certainement il est bien question dans ce passage de la grande bataille du 29 juillet 1014 et le fait que, sans la publication de la Chronique de Michel Attaliatès, nous ignorerions encore aujourd'hui que ce Nicéphore Botaniatès fût, après le basileus Basile, le capitaine byzantin le plus important de toute cette dernière partie de la grande guerre bulgare, est une preuve éclatante de la désolante disette de renseignements dans laquelle nous nous trouvons et nous demeurerons probablement toujours pour toute cette longue période de ce règne, comme pour bien d'autres aussi.

La seconde allusion à la bataille du mont Bielasitzi et au drame du mois de juillet 1014 est celle-ci: l'auteur anonyme des Conseils et récits d'un grand seigneur byzantin du xie siècle, en son chapitre quarante-neuvième sur la tactique de guerre intitulé: De l'ennemi qui n'est pas en force, s'exprime en ces termes: « Envoie des émissaires avec un chef capable et quand ils seront arrivés qu'ils fassent du feu si c'est de nuit, de la fumée seulement si c'est dans le jour. Alors l'ennemi sera saisi d'épouvante et tu lui tomberas dessus. Ce fut par de tels procédés que jadis le basileus Basile Porphyrogénète vainquit les soldats bulgares de ce parfait guerrier, de ce chef expérimenté qui avait nom le roi Samuel dans les retranchements de la Zagorie[20] et qu'il fit prisonniers quatorze mille d'entre eux.[21] »

La mort du grand tsar Samuel marqua vraiment la fin de l'indépendance bulgare si admirablement personnifiée en lui. Avec ce héros si hardi, si infatigable, périt l'espoir de sa race, et le pied, brutal et lourd du basileus tout-puissant s'appesantit, dès lors, plus cruellement chaque jour sur la patrie mutilée, privée des talents et de l'ardeur invincible de son plus courageux fils. « Après la mort du tsar Samuel, dit, dans ses souvenirs, l'auteur anonyme du manuscrit que je viens de citer, tous les autres Bulgares durent se rendre au basileus et furent réduits en esclavage, grâce à l'astuce, au courage, à l'énergie d'un homme, le grand Basile Porphyrogénète. » Certes il y eut encore des années de résistance et de luttes partielles opiniâtres, des combats héroïques, des dévouements sublimes, mais la grande guerre était finie; l'œuvre de soumission et d'asservissement était véritablement commencée. La Bulgarie indépendante, totalement épuisée d'hommes et de ressources, mena durant quatre années encore, après la mort de son héros, une existence qui ne fut plus qu'une lente agonie. Tout espoir de salut avait vraiment disparu. Nous n'avons pour nous en convaincre qu'à nous en rapporter aux trop rares allusions éparses dans les sources contemporaines. Le parti national, décimé par quarante années de guerre incessante, par les sanglantes exécutions des dernières campagnes, luttait encore avec une énergie admirable, contre le terrible basileus de Boum, mais il était devenu trop peu nombreux. L'immense majorité de la nation, lasse de ces interminables horreurs dans lesquelles il semblait qu'on eût toujours vécu, épuisée, effroyablement ruinée, portant dans chaque chaumière un deuil cruel, aspirait de plus en plus à la paix à tout prix, à la paix par l'union avec Byzance. Ce fut sous ces influences que les premières propositions sérieuses de soumission furent, ainsi que nous le verrons, présentées en l'an 1017 au vainqueur.

Après un interrègne de quelques mois, période pour nous entièrement obscure, le fils de Samuel, Gabriel Romain, dit encore Radomir, fils qu'il avait eu d'une femme probablement d'origine grecque, capturée au sac de Larissa de Thessalie en 986, fut proclamé à sa place le 15 septembre de l'an 1015. Ce jeune prince, au témoignage de Skylitzès comme de Glycas, semble avoir été de complexion encore plus extraordinairement vigoureuse que son père, mais il lui était fort inférieur moralement, surtout intellectuellement. Nous ne savons absolument rien de plus sur la personnalité de ce pauvre souverain dont le règne aussi court qu'agité se passa tout entier dans les camps et les embuscades. Les sources byzantines disent seulement que moins d'un an après son avènement, par conséquent dès le milieu de l'an 1016, alors que Gabriel Romain avait déjà fait faire des offres de soumission au basileus Basile, il fut assassiné dans une chasse par son cousin germain, Jean Vladistlav, fils d'Aaron le « Comitopoule » que lui-même avait sauvé de la mort peu auparavant. Probablement le meurtrier fut, dans ce cas, l'instrument de la vengeance du parti national qui n'avait point encore totalement abdiqué et qui voulait punir le nouveau souverain d'avoir osé songer à traiter avec les Byzantins exécrés.

Revenons à Basile et à son armée, vainqueurs au défilé de Cimbalongou. Avant d'entreprendre la campagne de cette année qui venait d'aboutir à ce grand et décisif succès, le basileus avait envoyé à Salonique en qualité de stratigos, pour y remplacer David Arianites, Théophylacte Botaniatès, lequel me paraît bien devoir être le même personnage que le Nicéphore Botaniatès, aïeul du futur basileus de ce nom dont Michel Attaliatès nous a fait le magnifique éloge que je viens de reproduire, parlant de lui comme du meilleur lieutenant de Basile dans cette terrible guerre. Ce capitaine, qui n'est mentionné par les autres Byzantins que dans cette seule campagne de l'an 1014, avait, avec l'assistance de son fils Michel, complètement battu un corps bulgare très nombreux que Samuel, probablement pour faire diversion et tenter d'entraver la marche en avant de Basile, avait envoyé contre cette seconde cité de l'empire sous le commandement de David Nestoritzès, un de ses principaux boliades. Très probablement le corps expéditionnaire bulgare avait suivi la vallée du Vardar. Nous ne savons pas autre chose sur cet épisode qui dut avoir son importance, sinon que Nestoritzès se vit contraint de prendre la fuite abandonnant beaucoup de prisonniers, tout son convoi, et que le stratigos de Salonique victorieux fut assez heureux pour rejoindre avec ses contingents le basileus alors que celui-ci se trouvait arrêté devant les fameux retranchements du défilé de Kleïdion. C'est ce qui permit à ce capitaine de prendre à la grande bataille du 29 juillet la part si décisive que nous raconte Michel Attaliatès.[22]

Le basileus donc, après avoir franchi victorieusement, grâce à l'initiative hardie de ce chef, cet obstacle en apparence insurmontable, avait aussitôt repris sa marche dévastatrice. Quittant Melnic, remontant entre de hautes chaînes de montagnes, la vallée de la Stroumnitza, l'armée impériale, par Pétrie, parut devant la ville forte également nommée Stroumnitza, l'Oustroumdcha des Turks d'aujourd'hui. C'était à cette époque une place de guerre très importante. On en aperçoit encore aujourd'hui les antiques murailles ruinées avec les débris de son kastron.[23] Un autre kastron tout proche, celui de Matzoukion,[24] tomba d'abord aux mains des Byzantins. Il en eût été certainement de même de la place de Stroumnitza, mais à ce moment le basileus éprouva un grave échec. Satisfait probablement de son grand triomphe, il voulait aussitôt cette ville prise ramener par la vallée du Vardar à Salonique son armée pour qu'elle y prît du repos. Pour passer de la vallée de la Stroumnitza dans celle-ci, les impériaux devaient franchir la chaîne qui porte aujourd'hui le nom de monts de Blagousa. Les Bulgares avaient coupé par des palissades improvisées tous les sentiers de ces régions perdues, infiniment sauvages. Le basileus, pour éclairer cette marche prodigieusement difficile, détacha en avant-garde Théophylacte Botaniatès et quelques troupes d'élite, avec ordre de franchir ces monts qui dominaient Stroumnitza et de rouvrir la route vers Salonique en brûlant les retranchements et les palissades bulgares.

Le Botaniatès partit aussitôt pour accomplir sa mission. Les Bulgares qui gardaient le pays le laissèrent s'enfoncer dans la montagne sans lui opposer de résistance. Tout le long de la route il rétablit la voie en incendiant les abatis d'arbres, mais, quand, sa mission terminée, il voulut retourner auprès du basileus, il tomba dans une embuscade établie dans un long couloir de la montagne. Quand il se fut engagé dans ce défilé avec tout son monde, de toutes les hauteurs voisines les Bulgares l'assaillirent brusquement à coups de flèches et de quartiers de rocs. Les soldats byzantins, pressés confusément, gênés extraordinairement par l'étroitesse de la passe, ne pouvaient se défendre. Le Botaniatès[25] et la plus grande partie des siens périrent sans même avoir pu vendre chèrement leur vie.

Le basileus éprouva, dit Skylitzès, de ce revers de son lieutenant une peine très vive. Il renonça définitivement à s'enfoncer plus loin pour cette fois en terre ennemie. Rebroussant chemin avec son armée, il rentra dans le pays de Zagorie où il alla mettre le siège devant cette place forte de Melnic qu'il avait laissée de côté sur sa droite lors de sa rapide marche en avant le long de la vallée de la Stroumnitza après sa grande victoire du 29 juillet. Après l'échec de son lieutenant, il estimait sans doute dangereux de laisser sur ses derrières une aussi forte position aux mains de l'ennemi.

Cette place de Melnic, qui semble avoir été la localité principale de ce sauvage canton de Zagorie, forteresse perdue au milieu des monts, sur les pentes du Rhodope, sur le flanc oriental de la vallée du Strymon, était, disent les sources byzantines, d'une force extraordinaire, admirablement disposée pour la défense sur un roc isolé, fort élevé, complètement environnée d'immenses précipices et de profonds ravins. Les combattants bulgares de toutes les régions avoisinantes s'y étaient réfugiés, s'y croyant à l'abri des impériaux. C'est aujourd'hui le bourg obscur de Melniki[26] qu'on aperçoit de loin sur la droite en remontant la vallée du Strymon, près du confluent de la Vrystitza qui s'écoule vers le sud-ouest au pied de l'Alabouroun, avec un autre torrent.

Les Bulgares de Melnic se croyaient invincibles. Basile, préférant négocier, leur envoya, dit Skylitzès, l'eunuque Sergios, un de ses plus familiers cubiculaires, personnage énergique, d'une éloquence entraînante. A force de discours, celui-ci leur persuada de se rendre au basileus, ce qui était bien certainement la seule chose raisonnable. Ils remirent leurs armes et ouvrirent les portes de leur château des montagnes. Le basileus fut plein de clémence envers eux. Laissant une forte garnison dans Melnic, il rentra à Mosynopolis.

Cette ville de Mosynopolis, si fréquemment mentionnée par les Byzantins, citée pour la première fois à cette occasion par Skylitzès et Cédrénus, très souvent aussi citée par les chroniqueurs latins de la quatrième Croisade qui la nomment Messinoples, n'est pas encore très exactement identifiée. Située, au dire de Villehardouin, sur les pentes du Rhodope, sur la rive d'un fleuve et sur la route d'Andrinople à Salonique entre Sérés et Kypsela, l'Ipsala actuelle, elle est bien probablement la même ville que l'ancienne Maximianopolis sur le grand lac salé Bistonis, aujourd'hui le Bouron-Gol.[27] Précisément entre la localité actuelle de Gumourdjina et ce lac situé au nord du golfe de Lagos on aperçoit près d'un petit cours d'eau, le Karadja-Sou, quelques ruines informes connues encore sous le nom de Messin Kalé.

Ce fut durant qu'il séjournait en cette ville, alors place de guerre fort importante, centre de ravitaillement et cantonnement d'hiver pour les troupes impériales,[28] que le basileus Basile apprit la mort tragique de son adversaire acharné le tsar Samuel. Aucune nouvelle ne pouvait lui être plus agréable. C'était l'âme même de cette terrible lutte bulgare qui venait de disparaître en la personne de son chef héroïque! Basile, non moins opiniâtre, non moins énergique que son ennemi abattu, put dès lors entrevoir comme en un rêve heureux la fin imminente de cette guerre interminable.

Résolu à frapper un coup après l'autre, à profiter du trouble affreux où ce qui restait de Bulgares indépendants se trouvait jeté par le grand désastre de Biélasitzi, par la mutilation de ces milliers de leurs compatriotes et la mort de leur souverain, Basile, ce basileus vraiment infatigable, quittant Mosynopolis dès qu'il eut ouï cette grave nouvelle, en toute hâte par la route du rivage amena son armée à Salonique. Sans perdre une heure, il en repartit presque aussitôt entraînant son armée à de nouveaux combats. Cette fois, nous disent les chroniqueurs byzantins, il se dirigea vers la Pélagonie. C'est le nom antique de cette portion de la Haute Macédoine où s'élevaient alors dans leur vaste plaine les villes de Bitolia, la Pélagonia des anciens, la Monastir turque d'aujourd'hui,[29] et de Prilapon. C'est dans cette dernière place, on l'a vu, que s'étaient réfugiés le tsar Samuel et son fils après la catastrophe du défilé de Cimbalongou. C'est probablement la aussi que Samuel avait expiré. On se trouvait ici clans le cœur de la Bulgarie indépendante, dans ces contrées reculées où aucune armée byzantine n'avait encore paru sous ce règne. Le basileus, ardent à terminer la lutte, allait y pénétrer enfin pour venir à bout des dernières résistances.

Malheureusement, comme c'est toujours le cas pour ces luttes orientales des environs de l'an 1000, nous n'avons aucun renseignement sur cette campagne capitale de l'arrière automne de l'an 1014. Si nous possédons exactement six lignes de Skylitzès[30]! mais nous ne savons même pas quelle route l'empereur et l'armée prirent en quittant Salonique. Ils suivirent probablement la même que celle qu'ils devaient prendre au retour, c'est-à-dire l'antique Voie Egnatienne par Vodhéna, Ostrovo et son lac, d'où ils durent déboucher dans les vastes, fertiles et déjà populeuses campagnes de Bitolia, plaine magnifique de quinze lieues de longueur sur trois de largeur.

Donc Skylitzès ne nous dit que ceci: « Basile ne commit aucun pillage en Pélagonie, sauf qu'il incendia l'aoul royal à Bitolia.[31] » Cette grande ville bulgare était située à deux kilomètres environ des ruines de Cantique Héraclée de Lyncestide, sur la limite même de la plaine qui porte son nom, dans une vaste cavité dont le pourtour est formé par des montagnes verdoyantes dominées par les cimes neigeuses de la Son Gora. C'est aujourd'hui encore une cité pittoresque et sauvage, peuplée de plus de quarante mille habitants. Presque inaccessible jusqu'ici à cause du caractère fanatique de sa population, elle a vu il y a trois ans la locomotive pénétrer dans ses vieilles murailles. Bien que déjà fort importante, elle ne put, probablement à cause de sa situation en plaine, opposer de résistance aux bataillons byzantins. « De Bitolia, poursuit Skylitzès, le basileus envoya des troupes s'emparer aussi des places de Prilapon et de Stypion. »

Prilapon, la Prilep ou Perlépé actuelle, située tout au nord de la plaine de Monastir, à huit heures de marche de cette dernière ville, est aujourd'hui encore une des plus commerçantes cités de la Bulgarie méridionale, elle aussi disposée au fond d'un vaste bassin de montagnes, environnée de prairies et de beaux pâturages qui nourrissent les meilleurs bœufs de Macédoine.

Le château du héros serbe légendaire Marko Kralievitch qui a remplacé la vieille forteresse byzantine, domine encore la ville à quelque distance vers le nord. Les défenseurs de Prilapon, découragés par tant de désastres, n'opposèrent probablement, eux aussi, aucune résistance sérieuse. Il dut en être de même de Stypion située bien plus au nord, au delà de la vallée du Vardar, sur un des affluents de ce fleuve appelé aujourd'hui la Bregalnitza, à une certaine distance au-dessous de Keupruli ou Velesc. Stypion est actuellement Istib ou Stiplje, ville industrielle considérable, construite, en amphithéâtre circulaire dans une vaste cuve environnée de montagnes. Les ruines de son kastron médiéval couronnent une butte située au nord-ouest. Certainement avec ces deux places fortes toutes les autres localités de la Pélagonie et de la haute vallée du Yardar qui appartenaient encore aux Bulgares se rendirent sans coup férir aux Byzantins.

Le territoire demeuré libre aux mains des derniers défenseurs de cette nationalité expirante se rétrécissait chaque jour. Basile, laissant des garnisons dans les villes reconquises, reprit la route de ses cantonnements. Skylitzès dit seulement que dans ce retour l'armée dut franchir la Tcherna sur des radeaux et des outres gonflées et que de là par Vodhéna elle revint à Salonique où le basileus fit son entrée le 9 janvier de l'an 1015. Cette brillante campagne, la seconde menée depuis un an dans ces régions montagneuses, dures entre toutes, par ce basileus indomptable déjà presque septuagénaire, n'avait pas duré deux mois. La Tcherna est ce grand affluent du Vardar qui, descendu des monts situés à l'occident de la haute plaine pélagonienne, coule d'abord au sud-est à travers ces riches étendues, puis, par une courbe brusque, s'en va, à travers le pays boisé et montueux de Murihovo, se jeter dans leVardar à quelque distance au-dessous de Kenpruli. Le lieu où l'armée franchit ainsi ce fleuve avec grand péril doit être recherché dans, la plaine de Pélagonie à moitié chemin entre Prilep et Bitolia. Probablement de fortes pluies avaient rendu les gués inaccessibles.

Il semblait que cette lutte de géants fut tout près d'être terminée. L'indépendance bulgare ne se maintenait plus intacte, semble-t-il, que dans les hautes terres sauvages et retirées de la région des grands lacs de Castoria, de Prespa et d'Achrida. Mais autant l'attaque était vive, soutenue, impitoyable, autant la résistance, se maintenait acharnée, désespérée, sans cesse renaissante au milieu de ces contrées à peine soumises par quelque rapide passage des armées impériales, où cent foyers mal éteints rallumaient à toute heure l'incendie. On en eut une preuve tragique dès le printemps de cette nouvelle année 1015.

Dès les premiers beaux jours, Basile, qui avait très certainement passé le reste de l'hiver à Salonique, dut en hâte faire reprendre les armes à ses troupes. Il s'agissait de reconquérir la forte place de Vodhéna, l'ancienne Edesse des rois de Macédoine, enlevée par les Grecs, on se le rappelle, en l'année 1003 et qui venait de leur échapper à nouveau. Sa nombreuse population, raconte Skylitzès, s'était soulevée contre le gouvernement impérial, probablement après avoir massacré, pour le moins chassé la garnison byzantine, certainement en suite de quelque trahison.

Le chroniqueur, comme toujours, ne donne aucun détail. Il dit seulement que Basile attaqua la ville rebelle avec la dernière violence et que ses défenseurs furent bientôt contraints de se rendre à merci. Pour éviter le retour de pareils incidents, qui retardaient d'autant la pacification générale, les habitants de la malheureuse cité furent en bloc déportés dans ce canton maritime de Voléros sur le bas Strymon qui avait donné asile déjà à tant de populations vaincues depuis le commencement de cette terrible guerre. Puis, pour empêcher à l'avenir de nouvelles incursions bulgares en ces parages, le basileus fit construire, pour la défense de la sombre et étroite passe au sortir de laquelle Vodhéna est bâtie, deux forts kastra. II donna à l'un construit en plein défilé le nom caractéristique de Kardia, à l'autre celui de Saint-Élie, probablement à cause de quelque chapelle ou monastère du voisinage, bâti en l'honneur de ce grand saint de l'Ancien Testament si vénéré des Byzantins. Puis Basile regagna une fois déplus son quartier général de Salonique.

Durant qu'il séjournait en cette glorieuse cité, dans l'hiver de l'an 1016, son antagoniste le nouveau souverain bulgare, le fils du tsar Samuel, Gabriel Romain, lui envoya un de ses fidèles: Romée, surnommé « Chirotmète »,[32] parce qu'il était manchot, avec des lettres par lesquelles il lui faisait sa soumission, lui promettant obéissance et fidélité. Mais le prudent basileus se défia, dit Skylitzès, de la forme insolite de cette communication. Croyant à quelque ruse destinée à gagner du temps, il estima qu'au lieu de recevoir le roi des Bulgares à composition, le moment était, au contraire, venu de porter à cette cause perdue des coups de plus en plus impitoyables et incessants.

Dans le sauvage pays de Moglènes, quelque peu au nord-est de Vodhéna, dans la haute vallée du Moglénitiko, l'un des principaux affluents de la Vrystitza, il existait encore, paraît-il, un foyer de résistance très important: « Ce pays de Moglènes, dit M. Delacoulonche, le premier et longtemps le seul explorateur européen qui ait pénétré si loin, est l'antique Almopie, bassin de montagnes isolé, entouré de toutes parts de hauts sommets. Elle est aujourd'hui encore habitée par une population fanatique, Composée de Bulgares et de Valaques apostasies qui, malgré leur titre officiel de musulmans, ont conservé leur existence propre et leur langue. On y rencontre des ruines byzantines importantes, une, entre autres, nommée Palaeo Kastro, sur l'emplacement probable de l'ancienne Europos, devenue dans l'ère chrétienne l'Almopia d'Hiéroclès, plus tard encore la Mogléna des historiens byzantins. » Cette population belliqueuse de montagnards bulgares turbulents et insoumis constituait certainement un danger permanent pour la garnison et la population nouvelle de Vodhéna reconquise, Un foyer incessant d'excitations pour cette région à peine pacifiée à tant de frais. Basile, dès le premier printemps de l'an 1016, dédaigneux des avances perfides de Gabriel Romain, expédia dans cette région un corps de troupes sous le commandement du patrice Nicéphore Xiphias et de Constantin Diogène. Ce dernier personnage, chef habile, qui devait jouer un rôle si important dans ces dernières luttes de la pacification bulgare, avait succédé à l'infortuné Botaniatès dans la charge de stratigos du thème de Salonique. Il se trouve cité ici pour la première fois par les auteurs. Xiphias et Diogène, après avoir mis toute cette montagneuse contrée des Moglènes à feu et à sang, concentrèrent leurs efforts sur la capitale du pays, cette antique cité de Mogléna dont M. Delacoulonche croit avoir retrouvé la trace dans cette ruine de Palœo Kastro, entre les villages de Voltidjta et de Slatena, à quelques minutes du confluent du Tcherna-Réka et de la Bélitsa, deux des principaux torrents de la vallée. On y contemple encore les restes d'un kastron à triples murailles, avec tours rondes et tours carrées. Ce fut cette forteresse certainement que les deux généraux vinrent assiéger.[33] Bientôt on vit arriver le basileus en personne qui prit aussitôt le commandement. La résistance de ce sauvage repaire des montagnes était plus opiniâtre probablement qu'on ne l'avait supposé d'abord au quartier impérial. Le basileus, pour hâter l'issue, fit détourner le cours des eaux qui formaient au rempart une ceinture protectrice. Puis la muraille fut minée dans ses fondations; après quoi, suivant le procédé classique de l'époque, que j'ai maintes fois décrit dans le volume consacré au règne de Nicéphore Phocas, les artificiers byzantins, à l'aide d'amas de matières combustibles, mirent le feu aux étais de bois placés pour soutenir le pan de mur dont la base avait été ainsi fouillée. Le rempart s'écroula formant une brèche béante.

La courageuse garnison, se voyant perdue, renonça à prolonger la lutte. Les montagnards bulgares vinrent en suppliants demander au basileus la vie sauve et rendirent leur ville. La résistance du haut pays de Mogléna était terminée. Entre autres captifs de marque, les Byzantins s'emparèrent ici de Domitien Kaukanos, un des plus puissants archontes de la région, conseiller intime du tsar Gabriel, et d'Ilitzès, l'archôn même ou prince du pays de Moglènes, avec beaucoup d'autres hauts hommes de la contrée. On fit prisonniers de très nombreux combattants.

Fidèle à sa pratique constante, Basile, pour rendre impossible tout soulèvement nouveau, fît transporter toute la population valide de Moglènes en état de porter les armes, en Asie, à l'autre extrémité de l'empire « sur la frontière de Perse », dans ses nouvelles possessions de l'Aspracanie, le Vaspouraçan d'aujourd'hui. Quel exode affreux pour ces libres enfants des monts du Rhodope si tendrement attachés à leurs vallées natales! Le restant misérable de ces infortunés fut, sur l'ordre du basileus impitoyable, dépouillé de tout. Le kastron de Moglènes fut incendié. Il n'en demeura que les ruines informes actuelles. Les troupes impériales s'emparèrent encore d'un autre kastron voisin, que Skylitzès désigne sous le nom d'Enotia. M. Delacoulonche en a retrouvé l'emplacement dans celui du village actuel de Notia, à l'angle nord-est de la vallée. Certainement, ici comme partout, Basile remplaça la population déportée par de nouveaux colons venus d'Asie, arméniens ou géorgiens probablement. Ces immenses chassés-croisés de peuples couvraient incessamment les routes impériales de longues théories d'infortunés voyageurs. Ils expliquent en partie l'infini mélange des races en Orient.[34]

« Cinq jours après, dit Skylitzès, — probablement cinq jours après la chute de la forteresse de Mogléna, — on vit reparaître au camp impérial Romée à la main coupée, l’ancien messager du tsar Gabriel Romain, dit Radomir. Ce personnage mystérieux amenait avec lui des envoyés de Jean Vladistlav, le fils d'Aaron, un des quatre « Comitopoules » par conséquent le propre neveu de Samuel. Ces ambassadeurs apportaient au basileus des lettres par lesquelles Jean lui mandait qu'il venait d'assassiner de sa main dans la ville de Pétric,[35] dans le val de la Stroumnitza, son cousin Gabriel Romain, avec la reine, sa femme, et qu'il se trouvait à cette li eu ru l'unique maître et souverain de ce qui restait de la Bulgarie indépendante. »

Nous n'avons aucun détail sur les circonstances de ce crime. Il semble, d'après ce que Skylitzès dit de la durée du règne de Jean Vladistlav, qu'il dut être commis au plus tôt dans le courant de l'été de cette année 1016, date qui correspond bien avec cette campagne de l'armée impériale dans le pays de Moglènes.

Le meurtrier, par la bouche de ce Romée « à la main coupée », qui paraît avoir abandonné avec la plus parfaite désinvolture le service de la victime pour celui de l'assassin, offrait, lui aussi, au basileus sa soumission sans conditions. A travers les phrases brèves du chroniqueur racontant ces tentatives successives des chefs bulgares au fur et à mesure de leur avènement pour obtenir la paix et fléchir le tout-puissant basileus de Roum, on devine l'agonie sans cesse croissante de la résistance. Gabriel Romain avait échoué auprès de l'empereur qui avait répondu à ses offres de soumission par la conquête et le sac du val de la Mogléna. Une poignée de mécontents s'était débarrassée par un crime de ce prince gênant et malencontreux et l'avait remplacé par son cousin et son meurtrier, qui, lui aussi maintenant, implorait la paix et se proclamait l'esclave du basileus. Les propositions de celui-ci devaient avoir plus de succès que celles de son prédécesseur.

« Le basileus, dit Skylitzès, ayant pris connaissance des lettres de Jean Vladistlav, lui envoya sous pli bulle d'or, preuve qu'il le traitait encore en souverain indépendant, les conditions qu'il exigeait de lui pour le recevoir à merci. Celles-ci furent acceptées aussitôt et au bout de bien peu de jours on vit l'ambassadeur manchot reparaître une fois de plus au camp impérial. Cette fois il était porteur d'une lettre de soumission pleine et entière signée de la main du nouveau tsar et de celles des principaux archontes et boliades bulgares survivants. Tous se reconnaissaient suivant la formule byzantine « les esclaves et les sujets du basileus », ses hommes liges suivant la formule occidentale. Skylitzès cite un des premiers parmi les hauts hommes de Bulgarie, un certain Kaukanos, frère de ce Domitien Kaukanos fait prisonnier au siège de Mogléna, comme ayant passé ouvertement à cette occasion au service du basileus. Basile paya cette défection éclatante de l'accueil le plus flatteur. »

Il semblait une fois encore que c'en fût bien fini de cette résistance désespérée. Mais, à l'exemple de son prédécesseur, Jean Vladistlav semble n'avoir agi de la sorte que pour mieux tromper le basileus, surtout pour gagner du temps. Malgré des engagements si solennels, le basileus fut secrètement informé que son adversaire n'avait pas été de bonne foi dans sa soumission et qu'il tramait à nouveau les pires entreprises.

La réponse de Basile à l'attitude déloyale du roi bulgare ne se fit pas attendre. Prompt comme l'éclair, bien qu'il eut pris déjà avec l'armée la route du retour, le basileus fit volte-face. Par une marche rapide, il se porta d'abord de Vodhéna sur Ostrovo, suivant la route charmante de la fraîche et verdoyante vallée de la Vrystitza. Une fois de plus, tout le territoire de cette cité essentiellement bulgare, les rives de son lac, furent impitoyablement saccagés par les légionnaires byzantins. Il en fut de même, au dire de Skylitzès, « du territoire de Soskos et de tout le plat pays de Pélagonie ». Je ne suis pas parvenu à identifier cette localité de Soskos. Ce devait être quelque kastron aux environs de la bourgade actuelle de Florina, au-delà d'Ostrovo, sur la route de Monastir. La Pélagonie était, on s'en souvient, la grande et fertile plaine environnant bette dernière cité, la Bitolia bulgare. Le basileus, résolu à brusquer les choses, ordonna cette fois encore les mesures les plus cruelles. Tous les combattants bulgares qui tombèrent aux mains des Impériaux eurent les yeux crevés. C'était vraiment une lutte infernale. Puis, l'armée remontant le val du Dragor ou Tcherna, franchissant ensuite, au col actuel de Derbend, la crête qui sépare les eaux de cette rivière de celles du bassin de Prespa,[36] descendit dans ce haut pays. De là, longeant l'extrémité septentrionale du lac du même nom, passant un nouveau col qui leur offrit soudain sur le grand lac d'Ochrida une vue enchanteresse, les troupes orthodoxes parurent enfin sur les rives retirées de cette petite mer intérieure, étonnées elles-mêmes d'aborder enfin ces régions mystérieuses, centre si longtemps inviolé de la monarchie de Samuel.

A l'extrémité méridionale de ce lac fameux, le plus grand de la péninsule des Balkans, s'élevait la capitale principale du défunt tsar, la royale cité d'Achrida,[37] que jamais encore les troupes du basileus Basile n'avaient contemplée. Partout à la ronde, aux yeux surpris des légionnaires de Roum, se profilaient les pentes élevées couvertes de bois de chênes sous lesquels disparaissaient les villages bulgares. Au centre de cette ceinture de montagnes étincelaient les eaux bleues merveilleusement limpides du lac dont les rives comptent plus de cent kilomètres de tour. Le Drin noir en sort qui va se jeter près d'Alessio dans l'Adriatique, confondant aujourd'hui une partie de ses eaux avec celles de la Boyana.

Sous les pieds des rudes soldats de Basile, arrêtés au sommet des monts, se dressaient tout au nord du lac les maisons du village qui est devenu l'Ochrida bulgare et turque actuelle, cité toute moderne qu'il ne faut pas confondre avec l'Achrida médiévale. Au loin, sur la rive sud du lac, étincelaient au soleil, parmi les noyers superbes, les toits du grand monastère de Saint-Naum fondé, dit-on, par Justinien, auprès de l'emplacement de l'antique Lychnidos. C'est, aujourd'hui encore, un des plus riches monastères de la Roumélie. Sur le site même de Lychnidos, s'élevait, à l'époque dont j'écris l'histoire, la capitale bulgare, l'Achrida byzantine, devenue l'Achrida royale de Samuel et de ses infortunés successeurs. Il n'en subsisté aujourd'hui que quelques ruines sur une colline, débris d'enceinte antique et débris d'églises, seuls restes de ces deux cités successives.[38] A partir du moment où les Bulgares eurent pénétré en Macédoine et en Albanie, Achrida, dont le nom était d'origine récente, avait servi de résidence à plusieurs de leurs rois, Bogoris ou Boris vers la fin du ixe siècle puis le grand Syméon, son neveu. Enfin, à l'époque où nous sommes, Samuel le « Comitopoule », après avoir durant quelques années transporté de ville en ville sa cour errante, l'avait définitivement et officiellement fixée en ce lieu, voulant avoir sa capitale dans cette région la plus retirée de ses sauvages Etats, retraite inaccessible qu'il croyait pour toujours à l'abri des attaques des Grecs. Il y avait de même transféré le siège du patriarcal bulgare. Ces circonstances, mal expliquées jusqu'à ce jour, ont été cause d'une erreur qui longtemps a jeté une grande confusion dans les historiens et qui identifiait Ochrida ou Ochri, ville moderne située au nord du lac avec Achrida bâtie non loin de ses rives à six heures de là vers le sud à deux kilomètres environ de Saint-Naum.[39]

A Achrida s'élevait le palais principal, l'aoul royal de la dynastie des Schischmanides. C’était là qu'était conservé le trésor de la couronne. En un mot c'était là la cité royale de la nouvelle Bulgarie comme Durazzo en (Mail le port de guerre sur l'Adriatique. Samuel avait choisi ces deux villes avec habileté, surtout Achrida. Celle-ci, en effet, tout en tenant sa sécurité de sa situation si retirée sur la rive de ce lac des montagnes, se trouvait placée sur cette fameuse Via Egnatia, une grande voie romaine aulique, toujours encore en usage à cette époque, qui conduisait de  Salonique à Durazzo, en franchissant la chaîne centrale, et établissait ainsi une communication facile entre les deux sections orientale et occidentale de la portion européenne de l'empire byzantin, c'est-à-dire entre l'Adriatique d'une part, Salonique et la mer de l'Archipel de l'autre jusqu'à Constantinople. Pour la possession de cette voie unique, d'une importance capitale, ces deux illustres adversaires Basile et Samuel avaient lutté durant des années déjà avec la plus opiniâtre énergie. Pour la conquérir, des milliers et des milliers de leurs soldats avaient versé leur sang. La plupart des grands combats dont je viens de faire le récit, soit que l'initiative en vînt d'Achrida ou au contraire de Salonique, ont eu pour théâtre cette voie ou ses environs immédiats, à gauche ou à droite.

Jusqu'à ce jour, aucun légionnaire de Basile n'avait pu contempler du haut des monts la capitale bulgare reposant aux bords charmants de son lac délicieux. Quelle dut être l'angoisse des habitants longtemps si confiants dans leur sécurité séculaire lorsqu'ils virent descendre des monts les files pesantes des hoplites du grand empereur de Roum! Nous n'avons aucun détail sur ce que fut la résistance. « Basile, dit Skylitzès, s'empara de la capitale bulgare. Il y mit tout en bon ordre et se disposa à marcher aussitôt de là sur Dyrrachion qu'il craignait de reperdre et qui réclamait sa présence immédiate. »

Le chroniqueur byzantin, d'ordinaire si concis, entre, à propos de cette dernière cité, dans quelques détails. Samuel, raconte-t-il en substance, avait confié à son propre gendre Vladimir, mari de sa fille Kosara, le gouvernement de la Trymalie et des autres districts serbes, c'est-à-dire slaves, avoisinant cette enclave de Dyrrachion si récemment reconquise par les Byzantins grâce à la trahison de son autre gendre, l'Arménien Aschod. Tant que ce seigneur, ami de la justice et de la paix, avait vécu, la tranquillité avait régné dans ces régions. Jamais Vladimir n'avait cherché à inquiéter la garnison byzantine et la population de Durazzo avait continué à jouir du plus profond repos. Mais les choses avaient changé dans ces régions aussitôt après le meurtre de Gabriel Romain. Jean Vladistlav, non content de ce premier crime, avait, à force de parjures, par l'intermédiaire du métropolite David de Bulgarie en personne, réussi à attirer Vladimir dans une entrevue. Il s'était emparé de lui par trahison et l'avait fait périr. Il semble que l'infortuné gendre de Samuel ait été tué de la propre main de cet homme féroce.

Cette mort était devenue pour toute la région avoisinant Dyrrachion le signal d'une immense anarchie, de troubles violents. L'usurpateur bulgare n'avait cessé de diriger les plus vives attaques contre la puissante place forte byzantine. Acharné à la prise de cette ville dont la possession lui importait tant pour la sécurité de ses derrières, tantôt il la faisait assaillir par ses généraux, tantôt il l'assaillait en personne. Zonaras[40] dit qu'il la serrait de fort près au moment même où le basileus entrait dans Achrida. Aussi ce dernier, pour voler au secours de sa forteresse, se disposa-t-il aussitôt à franchir en hâte l'espace qui séparait les deux villes, et qui est aujourd'hui la province d'Albanie. Mais à cet instant même un incident fâcheux vint très subitement traverser ses projets. Au moment de la marche sur Achrida, Basile avait laissé en arrière un corps nombreux sous le commandement du stratigos Georges Gonitziatès et du protospathaire Oreste, personnage que Skylitzès désigne sous le nom du « captif », certainement parce que c'était quelque prisonnier de guerre passé au service de l'empire. Ces deux chefs avaient ordre du basileus de faire des incursions dans-la plaine de Pélagonie, ce qui, bien probablement, signifie qu'ils devaient parcourir le territoire de cette province en tous sens pour en achever la pacification, surtout pour détruire définitivement fous ces foyers de révolte si constamment prêts à renaître de leurs cendres. Un fort détachement de guerriers bulgares sous le commandement d'un des principaux boliades, Ibatzès, d'origine illustre, d'une rare valeur, réussit à attirer ce corps dans une embuscade où il périt massacré tout entier.

A cette nouvelle, le basileus, désolé, abandonnant pour le moment Dyrrachion à son sort, ne songeant qu'à sa vengeance, rebroussa chemin sur l'heure. Laissant certainement une forte garnison dans Achrida avec un corps d'occupation pour assurer sa récente conquête, il franchit à nouveau la chaîne qui le séparait de la plaine de Pélagonie et se jeta à la poursuite d'Ibatzès et de ses bandes fuyant devant lui.

Skylitzès ne nous dit même pas si Basile réussit à atteindre le boliade et à le châtier. Le bref chroniqueur termine le récit de cette expédition pour cette année 1016 par ces seuls mots: « L'armée impériale et son chef regagnèrent Salonique et de là leurs cantonnements habituels de Mosynopolis. » Seulement, un corps détaché sous le commandement du patrice David Arianites fut envoyé par l'empereur contre la ville forte de Stroumnitza[41] située au sud-est de Skopia, à l'entrée de la vallée du fleuve du même nom qui sort de là pour se jeter dans le Strymon. On se rappelle que les troupes impériales avaient subi un échec devant cette localité en 1014. Nicéphore Grégoras dit qu'elle était située sur un rocher fort élevé. David Arianites, par une marche rapide, parut d'abord devant le château de Thermitza dont il s'empara. On ne nous dit pas si Stroumnitza succomba également, mais c'est chose probable. En même temps, Basile envoyait un autre corps sous le commandement de Xiphias jusque sur le territoire de Triaditza, la Sofia d'aujourd'hui, pour y prendre quelques villes et châteaux de cette plaine où les Bulgares tenaient encore. L'attaque de Xiphias fut si subite que pas une de ces forteresses ne résista. Toutes se rendirent. Skylitzès ne cite nominativement que celle de Boiae, la Boyana bulgare au pied du mont Vitoch ou récemment ont été découvertes des inscriptions en caractères glagolitiques.[42]

Les premiers résultats obtenus en cette année 1010 étaient véritablement décisifs. La nouvelle Bulgarie avait été traversée, parcourue de part en part par les armées impériales depuis les approches de l'Adriatique jusqu'à la plaine lointaine de Triaditza. Presque toutes ses dernières forteresses étaient aux mains des impériaux. Sa mystérieuse capitale elle-même, auprès de son lac perdu, était tombée en leur pouvoir. Son souverain actuel n'était plus qu'un usurpateur souillé de sang, errant de lieu en lieu avec quelques poignées de fidèles. Tout n'était pas encore fini cependant et l'opiniâtre basileus allait avoir à compter deux années encore avec la résistance de cette race indomptable.

Pour la fin de cet an 1016, les chroniqueurs, Skylitzès en tête, signalent encore une expédition. Le basileus qui, du Mosynopolis, était déjà revenu à Constantinople, repartit une fois de plus pour cette région de Triaditza qui semble avoir été un des derniers centres principaux de résistance. Il voulait y assiéger la place de Pernikon qui, seule en cette région, semble-t-il, était demeurée aux: mains des Bulgares après l'expédition victorieuse de Xiphias de l'an précédent.

Pernikon, la Pernie d'aujourd'hui, est située dans la haute vallée d'une des deux branches du Strymon, sur sa rive droite, presque à l'origine de ce cours d'eau, au sud-ouest de Sofia ou Triaditza, sur la route de cette ville à Radomir. Déjà, douze ans auparavant Basile l'avait, ou se le rappelle, assiégée sans succès. Cette fois encore la garnison, composée probablement de tout ce qui dans ce pays se refusait obstinément à accepter le dur joug byzantin et préférait périr, fit une résistance désespérée. Le siège très meurtrier, qui coûta la vie à beaucoup de soldats byzantins, durait depuis quatre-vingt-huit jours lorsque Basile, estimant que ce kastron perdu ne valait pas un sang si précieux, prit le parti de se retirer. Il regagna, dit Skylitzès, les quartiers de Mosynopolis où ses troupes prirent un repos mérité. Nous ne savons pas un mot de plus sur cette opération infructueuse qui dura trois mois, pas plus que sur les autres faits militaires de cette saison. Que de lacunes qui ne seront jamais comblées! Il est bien probable toutefois que le basileus remporta des succès importants et que l'œuvre de pacification fit de nouveaux progrès. Hélas! nous ne pouvons que faire des suppositions.[43]

Il nous faut interrompre un moment le récit de la guerre bulgare pour parler, à propos de cette même année 1016, d'une autre lointaine expédition militaire dans une région toute différente, expédition bien intéressante sur laquelle nous ne possédons, hélas, que quelques lignes de Skylitzès reproduites par Cédrénus. « Le basileus, disent en substance ces chroniqueurs, de retour dans sa capitale au mois de janvier de l'an du monde 6524, qui est l'année 1016 après Jésus-Christ, expédia une flotte en Khazarie, sous la conduite de Bardas Ducas, surnommé Mongos, fils du duc Andronic Lydos, l'ancien partisan de Bardas Skléros, mort durant la sédition de celui-ci.[44] Mongos, aidé par Sphengos, le Svenki des chroniques russes, frère[45] du grand prince Vladimir, soumit toute cette contrée à la puissance impériale. L'archôn du pays, Georges Tzoulos, avait été fait prisonnier dès la première rencontre. » Nous ne savons rien de plus, rien sur les causes de l'expédition, rien sur le lieu du débarquement et l'historique des opérations, rien sur les suites de cette annexion. Cependant comme l'empire des Khazars, qui allait encore à cette époque des rives de la Caspienne à celles de la mer d'Azov et de la mer Noire, comprenait aussi une notable portion de la Crimée, il semble vraisemblable que quelque agression de cette nation en ces parages ait nécessité l'envoi de cette force navale. Il est probable encore que ce Georges Tzoulos au nom barbare grécisé était simplement un archôn ou chef local, peut-être l’archôn des territoires khazars en Crimée, mais non point certainement le grand Khagan, chef de la nation khazare. Le fait que le commandement de l'expédition fut confié à un des plus dévoués partisans de Bardas Skléros, qui, avec son père, son frère et tous les siens, avait jadis suivi la fortune du fameux prétendant, prouve une fois de plus combien Basile, oublieux du passé, s'entendait habilement à utiliser tous les zèles, tous les dévouements, fût-ce ceux de la dernière heure.

« Les Khazars sur le Don, dit M. Rambaud dans son admirable étude sur l'Empire grec au xe siècle, étaient en ce temps, avec les Petchenègues sur le Dnieper, la principale et plus puissante nation des rivages de la mer Noire, sur laquelle les Byzantins avaient des notions fort précises. Ils étaient les seuls pour lesquels la chancellerie impériale eût des formules honorifiques. Un Khagan les gouvernait, dont l'autorité était sans bornes. Il disait à un de ses sujets: « Va, et tue-toi. » Et il était obéi sur l'heure.

« Certes la puissance des Khazars avait décliné depuis le viie siècle, même au xe elle demeurait encore incontestée entré le Don et la Caspienne qui s'appelait la mer des Khazars. La Chersonèse, autrement dit la Crimée, était presque entièrement en leur puissance. Le Khagan avait un préfet à Bosporos et en eut quelquefois un à Cherson. Dans la lettre du Khagan Joseph au rabbin espagnol Hasdaï en 948, le prince khazare prétend recevoir les tributs de neuf nations habitant les bords du Volga, de quinze nations voisines du Caucase, de treize autres riveraines de la mer Noire. Les Khazars étaient du reste, en somme, peu dangereux pour l'empire grec. Par terre, il leur était impossible d'envahir son territoire, resserrés qu'ils étaient entre les peuplades caucasiennes à l'est et les Petchenègues à l'ouest. Il ne paraît pas qu'ils aient possédé une marine sérieuse. Ils n'étaient donc à redouter que pour les possessions byzantines de la Crimée, et il paraît qu'ils ont toujours désiré mettre la main sur Cherson. C'est pour conjurer ce danger que nous voyons Constantin Porphyrogénète dans ses instructions célèbres enseigner à son fils quel parti on pouvait tirer des peuples voisins, des Ouzes, des Alains, des Bulgares noirs. Mais il ne recommande point l'emploi des Petchenègues. Le moyen serait trop violent!

« Les Khazars étaient infiniment plus civilisés naturellement et intellectuellement que les Petchenègues. Ils avaient abandonné la vie errante et le système de guerre tumultuaire des peuples barbares. Le Khagan avait une armée permanente et soldée de douze mille hommes. Avec la civilisation byzantine, ils avaient pris quelques-uns de ses défauts: cette armée se composait d'étrangers mercenaires. Ces anciens dominateurs de l'Orient semblaient avoir renoncé à se défendre eux-mêmes; ils payaient des émigrés arabes, des Russes, des Slaves païens pour se battre à leur place.

« Les Khazars possédaient des villes. Même ils en bâtissaient. Sur le Don, en 833, le protospathaire Pétronas, envoyé par le basileus Théophile, avait bâti, à la prière du Khagan, pour arrêter les incursions petchénègues, la forteresse de Sarkel, la Maison blanche, comme l'appelle Constantin VII. A l'embouchure du Volga, Itil paraît avoir été la résidence politique du Khagan. C'était, au dire d'Ibn Fozlan, une grande ville où des bains, des marchés, des synagogues, trente mosquées musulmanes, le palais de briques du Khagan s'élevaient au milieu de misérables cabanes de feutre ou d'argile. Itil était le grand entrepôt commercial du Palus Méolide et de la mer Caspienne. Sur les ruines de Phanagoria, l'antique et florissante colonie hellénique, les Khazars avaient bâti Taman ou Tamatarkha; Bosporos était un autre legs de la civilisation grecque. Le Khagan Joseph, dans sa fameuse lettre au rabbin Hasdaï, parle de trois résidences royales.

« Les Khazars, grâce à leurs rapports avec les Khalifes de Bagdad et les basileis byzantins, grâce à l'influence de la Bible, de l'Évangile, du Coran, étaient devenus une nation presque civilisée. On sait que, par une exception unique, la majorité du peuple, la famille régnante, l'élite de la nation professait la religion judaïque. Une grande tolérance existait entre les diverses communions.

« Depuis le mariage de Constantin Copronyme avec la fille du Khagan qui devint impératrice sous le nom d'Irène et apporta à Byzance les modes khazares, le vêtement khazar, entre autres le fameux tzitzakion, une paix de plus de trois siècles, presque une alliance sans refroidissement aucun, avait continué entre les deux nations et toujours dans l'armée byzantine, il y avait eu régulièrement un corps auxiliaire de troupes khazares.

C’était pour la première fois depuis tant de temps en cette année 1016 que l'empire se trouvait en guerre avec ses fidèles alliés, et, chose étrange, il avait précisément pour auxiliaires contre eux ses vieux ennemis les Russes. Très probablement, dans cette lutte sur laquelle nous ne savons que si peu de chose et qui semble avoir marqué le début définitif du déclin rapide de la monarchie khazare, ce n'est point celle-ci qui eut les premiers torts. »

Dans le si bref récit que nous donnent, de ces faits les chroniqueurs byzantins, il y a encore un enseignement a glaner. Ce détail si curieux du secours apporté à l'expédition byzantine par le propre frère du grand prince Vladimir, secours sur lequel se taisent du reste les sources russes, est, en effet, une preuve de plus que l'alliance russo-byzantine s'était; maintenue intacte depuis le mariage déjà lointain de la Porphyrogénète Anne avec le glorieux chef de la nation varègue. Sur toute cette période de près de trente années, qui va de l'an 988 lorsque le secours des six mille guerriers envoyés par Vladimir sauva l'empire aux abois de l'étreinte du prétendant Bardas Phocas, jusqu'à cette présente année 1016, la Chronique dite de Nestor, source presque unique de nos connaissances sur l'histoire des Russes à cette époque, se tait à peu près complètement sur les relations entre Russes et Byzantins. Nous ne sommes certains que d'une chose, c'est qu'une paix de soixante années entre J'empire de Roum et la Russie suivit l'union politique d'Anne et de Vladimir. « A la faveur de ce long armistice, la Russie, pénétrée par l'influence et la civilisation byzantines, devient comme une colonie et une succursale de l'empire grec. Désormais les fantassins russes, nous l'avons vu, vont former un élément nécessaire des armées byzantines, et, de l'Euphrate au Vulturne, combattront et mourront sous les enseignes impériales. A leur tour, les basileis, se familiarisant avec les mœurs du Nord, voudront attacher à leur personne, à l'imitation du Hird ou cour militaire des princes russes, une garde nouvelle exclusivement composée de Scandinaves, et qui, fidèle et sans pitié, étrangère aux passions de la foule byzantine, sera toujours prête à frapper de sa hache la victime désignée par un signe du maître, la fameuse garde Vœring enfin dont Anne Comnène a célébré l'héroïsme, et qui, du xe au xiie siècle, se recruta uniquement parmi les soldats de fortune de Russie et des pays Scandinaves. »

Vladimir avait donc continué, à partir de cette fameuse année 989 qui vit sa conversion et celle de sa nation, de régner sur ses peuples et de vivre dans la religion chrétienne. « Il avait, raconte la Chronique, conçu le projet de bâtir à Kiev, sa sainte capitale, une église de pierre à la très sainte Vierge; il envoya en conséquence chercher des architectes en Grèce et se mit à la bâtir. Quand l'église fut achevée, il l'orna de tableaux, en confia le soin au prêtre Anastase[46] de Cherson et désigna des prêtres de cette ville pour y célébrer les offices. Il lui fit don en outre de tout ce qu'il avait recueilli à la prise de Cherson, des images, des vases d'église, des croix, surtout des reliques. » Ceci se passait, suivant la Chronique, dans les années 989 à 992.

Ce court mais très précieux récit montre combien étaient devenues étroites les relations établies entre Byzance et la monarchie russe convertie au christianisme. C'est de Byzance encore que partit en 991[47] le premier métropolitain élu de Kiev. Ce fut le patriarche Eustathios qui le désigna. Il avait nom Léon ou Léonce.

« Vladimir, dit M. Rambaud, s'occupa avec ardeur d'orner d'églises sa capitale veuve d'idoles. Outre celle consacrée à la Vierge, il bâtit, nous l'avons vu, sur le lieu où s'élevait Péroun, l'église de Saint Basile, nom grec qu'il avait pris à son baptême. Sur celui où les deux martyrs varègues avaient été égorgés par ses ordres, il construisit celle de la Déciatine ou de la Dîme, embellie et ornée d'inscriptions grecques par les artistes venus du Sud. Il fonda des écoles où les jeunes garçons vinrent étudier les livres saints traduits en slavon; mais il fut obligé d'y traîner les enfants dont les parents, convaincus que l'écriture était une dangereuse espèce de sorcellerie, versaient des larmes de désespoir. Nestor ne peut assez vanter l'amélioration qui s'opère dans Vladimir après son baptême. Il est fidèle à la femme grecque; il n'aime plus la guerre; il distribue son revenu aux églises, aux pauvres, et, bien que les criminels se multiplient, il hésite à leur appliquer la peine capitale. « Je crains le péché, » répond-il à ses conseillers. Ce sont les évêques qui sont obligés de lui rappeler « qu'il faut châtier le criminel, quoique avec discernement », et qu'il ne faut point laisser le pays en proie aux Petchénègues. Vladimir, qui rappelait d'abord assez bien le type northman de Robert le Diable, se trouve être devenu tout d'un coup le bon roi Robert! »

La Chronique raconte ensuite beaucoup de faits qui n'intéressent pas directement l'histoire byzantine: la fondation par Vladimir de la ville de Bielgorod, les guerres de ce prince contre les Croates, surtout contre les Petchenègues. Lorsque l'église principale qu'il faisait bâtir à Kiev avec une somptuosité barbare fut achevée, « il alla y prier Dieu et donna à cette église de la Sainte Mère de Dieu la dîme de ses biens et de ses villes. Puis il écrivit une malédiction et la déposa dans l'église disant: « Si quelqu'un viole ce serment, qu'il soit maudit. » Et il donna cette dîme à Anastase de Cherson et il offrit ce jour-là une grande fête à ses boïars et aux anciens de la ville et fit beaucoup d'aumônes aux pauvres. » — A la suite d'un vœu, il bâtit aussi à Vassilief une église de la Transfiguration du Seigneur.— En l'an 1008, on apporta, évidemment de Constantinople, des reliques pour l'église de la Sainte Mère de Dieu à Kiev. — En 1009, Brunon, premier martyr de l'Eglise russe, que d'autres sources appellent Boniface, fut décapité avec dix-huit compagnons sur la frontière de Russie en Lituanie.

La Chronique, ayant ainsi pieusement raconté le règne réparateur et relativement paisible de Vladimir, premier souverain chrétien des Russes; fixé la mort de ce prince au 15 juillet de l'an 1015, dans un âge très avancé. Il était tombé malade à Bérestovo ou Bérestov au moment où il se préparait à faire la guerre à un de ses fils, Iaroslav, révolté contre lui.[48] Ce fut là qu'il mourut. Sa femme, la Porphyrogénète Anne, la sœur des basileis de Constantinople, l'avait précédé dans la tombe, quatre années auparavant, en l'an 1011.[49]

On cacha quelque temps la mort du héros. On fit, la nuit, un trou au milieu du plancher, entre deux chambres, sa demeure étant probablement construite sur pilotis; on enveloppa le corps dans une couverture; on le descendit à terre avec des cordes; on le mit sur un traîneau, puis on alla l'ensevelir dans cette somptueuse église de la Mère de Dieu qui était son œuvre et que tant il chérissait.[50] « Quand le peuple eut appris tout cela, dit la Chronique, une foule innombrable se répandit par la ville et pleura Vladimir: les boïars comme le défenseur du pays, les malheureux comme leur défenseur et leur bienfaiteur; puis ils le mirent dans un cercueil de marbre et enterrèrent avec de grands gémissements le corps du prince. »

Vladimir laissait de ses nombreuses femmes une foule d'héritiers. Son fils aîné, Sviatopolk, fut son successeur et s'établit à Kiev. Ce prince eut un début de règne fort agité. Il fit traîtreusement assassiner à coups de lance son frère Boris, fils de son père et d'une Bulgare, durant que le malheureux jeune prince chantait des psaumes. Avec celui-ci, Sviatopolk fit encore tuer un jeune Hongrois du nom de Georges que Boris aimait, auquel il avait fait don d'un grand collier d'or. Puis ce fut le tour de Gleb, un autre des fils de Vladimir. Les noms des deux jeunes princes martyrs devinrent parmi les plus populaires de l'histoire russe. Ils furent dès lors les saints nationaux par excellence. Quatre-vingts ans à peine après leur mort, leur fête était déjà la fête de la terre russe.

Sviatopolk tua encore son frère Sviatoslav, prince des Drevlianes, fils de Vladimir et d'une Tchèque. Il voulait tuer tous ses frères. Toujours dans cette année 1015, première de son règne, il partit en guerre contre son frère Iaroslav de Novgorod, le fils de Rogniéda. Après trois mois d'alerte, la bataille s'engagea sur les rives glacées du Dnieper. Sviatopolk battu dut s'enfuir, Iaroslav, vainqueur, alors âgé de vingt huit ans, s'installa dans Kiev, sur le trône de ses pères. Il devait être un des plus grands princes de la Russie et régner près de quarante années. Ce fut en 1016 qu'il vainquit son frère, l'impie tyran Sviatopolk. C'est dans cette même année que les Byzantins firent cette expédition de Khazarie à propos de laquelle je viens de passer en revue les événements écoulés en Russie depuis 989, qui présentent quelque intérêt pour l'histoire du règne de Basile II.

 

 

 



[1] C'est-à-dire dans les régions d'Achrida, de Prespa, de Mogléna, dans toutes ces terres montagneuses de la Haute Macédoine.

[2] Séjour dont la durée nous est connue par la seule Chronique de Yahia.

[3] Op. cit., liv. I, chap. xxxiii. Il faut croire que cette guerre fut véritablement très sérieuse, car, un peu plus loin, au chapitre suivant, Mathieu ajoute que « Basile, après avoir achevé la conquête de la Bulgarie, devenu maître de tout ce pays, s'en retourna à Constantinople dans la joie du triomphe. »

[4] Voyez Épopée byzantine, I.

[5] Voyez cet épisode dans la Vie du saint, publiée dans Martène et Durand, Amplissima Collectio, t. VI, pp. 868-869.

[6] Boué, Rec. d'itinér. dans la Turquie d'Europe, p. 78.— La Vie de saint Nikon Métanoïte place encore à cette même année 1009 l'aventure malheureuse de Jean Malakinos qu'elle raconte brièvement. Skylitzès place cet incident avant les événements de l'an 1000. J'ai dit plus haut, pourquoi ce dernier chroniqueur semble ici avoir raison.

[7] Kimbalung, Cimpu-Lung, « Longchamp ». Ce nom romain, dit M. Xénopol, Revue Historique, 1891, p. 279, L’empire valacho-bulgare, est une preuve que dans cette époque les Romains habitaient ces contrées. »

[8] Du thème de « Philippes » suivant l’expression même de Skilitzès et de Cédrénus,

[9] Je trouve à côté du col le village de Biélavoda.

[10] Prilapon, Prilep, Perlépé, Prilopi, Pirlip, à vingt heures de cheval d'Uskub. C'est aujourd'hui une ville murée de huit à dix mille âmes, une des plus commerçantes de la Bulgarie méridionale.

[11] Actuellement Kara-Sou.

[12] Michel Attaliatès, à la suite de la phrase que je cite plus haut, racontant la défaite des Bulgares, dit que « Samuel s'enfuit plein de terreur, jusque dans l'île marécageuse de Presna où il mourut! »

[13] Gregorovius, op. cit., I, p. 101, la désigne sous le nom de victoire de la Neumitza.

[14] 29e jour de juillet de la douzième Indiction.

[15] Mathieu d'Édesse, éd. Dulaurier, p. 40, le confond, je l'ai dit, avec Alousianos.

[16] Le 15 septembre pour Lipowsky, op. cit., p. 75, et pour le baron V. de Rosen, op. cit., note 358.

[17] Publiée pour la première fois en 1853 par M. Brunet de Presle.

[18] Voyez surtout Épopée, t. I.

[19] Michel Attaliatès, éd. Bonn, p. 229.

[20] La Zagorie est le district de la ville de Melnic (voyez Cédrénus, t. II, p. 460), situé exactement entre cette place forte et celle de Stroumnitza, entre les fleuves Strymon et Stroumnitza. Voyez Wassiliewsky, Conseils, etc., p. 256. Voyez aussi Tafel: Symbol. critic. geogr. byzant. spectant., pars. 1, pp. 44 sqq.

[21] Une des pièces de vers de Jean Géomètre contient des allusions à cette grave défaite. Voyez Cramer, op. cit., p. 296; Migne, op. cit., col. 919.

[22] Le Nicéphore Xiphias du récit de Skylitzès et Cédrénus ne serait-il pas aussi le même personnage que le Nicéphore (ou Théophylacte) Botaniatès de Michel Attaliatès? Cela semble improbable, car nous voyons Xiphias reparaître au siège de Mogléna (voyez quelques pages plus loin).

[23] Boué, op. cit., I, 213.

[24] Cédrénus, II, 459.

[25] Ce récit semblerait une nouvelle preuve que le Nicéphore Botaniatès de Michel Attaliatès et le Théophylacte Botaniatès de Skylitzès ne sont qu'un seul et même personnage.

[26] Ou Menlic.

[27] C’était déjà l’opinion de Du Cange.

[28] Il s’y était rendu vraisemblablement par Sérès, Kavala et Ienidsche, par la route qui suit le rivage le long des dernières pentes du Rhodope.

[29] Bitolia est le nom bulgare.

[30] Cédrénus, II, 460-461.

[31] Skylitzès nomme cette ville Boutelion.

[32] Littéralement: « à la main coupée ».

[33] Lebeau, op. cit., t. XIV, p. 207, confond Mogléna avec Vodhéna qu'il nomme de son nom antique d'Édesse.

[34] Sur ces immenses transplantations des populations bulgares, voyez aussi Kokkoni, op. cit., p. 123. Voyez encore le témoignage d'Ibn el Athir, dans Rosen, op. cit., note 158. L'historien arabe dit que Basile remplaçait au fur et à mesure les Bulgares par des Grecs.

[35] Que Cédrénus appelle Pétriscon. Yahia et Elmacin l'ont allusion à ces événements, Seulement le premier auteur confond Jean Vladistlav avec son père Aaron. Il place le meurtre de Gabriel Romain en l'année 407 de l'Hégire (10 juin 1016-21 mai 1017) et se trompe en disant que ce prince avait été « l'esclave », c'est-à-dire un des lieutenants de Samuel, alors qu'en réalité il était son fils et son successeur. — Rosen, op. cit., p. 58 et note 358.

[36] Ou Presna.

[37] Ce nom dérive du mot slavon: ahar, « cour », la résidence royale bulgare.

[38] On ne saurait dire à quelle époque la cité perdit son nom antique pour celui d'Achrida, dénomination byzantine signifiant: hauteur, éminence, parfaitement caractéristique de la position de Lychnidos.

[39] La position ainsi fixée concorde, pour les distances, avec le tracé de la Via Egnatia qui passait à Lychnidos.

[40] Éd. Dindorf, t. IV, p. 123.

[41] Stroumbitza, Stroumpitza, Stroummitza.

[42] Wassiliewsky, Conseils et récits, pp. 282-283.

[43] L'auteur anonyme des Conseils et récits d'un grand seigneur byzantin, dans son chapitre lxxxi intitulé Histoire d'une autre forteresse, fait allusion au siège par le basileus Basile d'une place forte du nom de « Morie », entre Philippopolis et Stredetz, nom slave de Triaditza ou Sofia. Ce nom de « Morie » m'est inconnu, Pas plus que M. Wassiliewsky, je ne suis parvenu à l'identifier. Voici le texte de l'auteur anonyme: « Étant parti pour une de ses expéditions, Basile, arrivé devant la forteresse de Morie, disposa ses machines, battit longuement les murailles, puis, pour mieux attaquer, fit construire un château de bois. Mais les assiégés détruisirent cet engin grâce à un stratagème qui mérite d'être sauvé de l'oubli. Ils décidèrent, par de riches cadeaux plusieurs jeunes hommes à se glisser secrètement clans l'appareil par les interstices des poutres extérieures, emportant avec eux des torchés, du goudron, des matières inflammables et de quoi faire du feu. Ces hardis compagnons, après avoir allumé l'incendie à l'intérieur du château de bois, réussirent à s'éloigner. Extérieure ment, on ne se doutait de rien, aucune flamme ne paraissant. Toute la nuit le feu brûla au centre du vaste échafaudage, dévorant peu à peu la charpente. Au matin les flammes apparurent, mais le château était détruit. L'empereur, fort chagrin, dut se retirer, et les habitants de cette cité conservèrent leur indépendance. » De quelle cité et de l'expédition de quelle année s'agit-il? Achrida avait aussi nom Morra, mais Achrida n'a jamais été située entre Philippopolis et Sofia. II, 464. Voyez Wassiliewsky, op. cit., p. 51.

[44] Voyez Épopée, I, où j'ai écrit à tort Antoine pour Andronic.

[45] Une variante de Cédrénus dit « beau-fils ».

[46] Des variantes le nomment Joachim. Voyez Muralt, op. cit., t. I, p. 572.

[47] Muralt, op. cit., I, 572. Nestor L. et G. 6499. — L. Novg. 2 b: 6497 et 3: 6496 désignent Photius comme le patriarche qui envoya Joachim de Cherson

[48] A ce même moment, son neuvième fils, Boris, se battait contre les Petchenègues. Un autre, Sviatopolk, était en prison à Kiev.

[49] Skylitzès, au contraire (voyez Cédrénus, II, 478.20), fait survivre cette princesse à son époux. Même il semble dire qu'elle ne mourut qu'après la fin de la grande guerre de Bulgarie, même après l'expédition de Basile au pays des Abasges et la révolte de Xiphias, c'est-à-dire après l'an 1021. Du moins il ne raconte la mort d'Anne qu'immédiatement après ces grands événements.

[50] Muralt, op. cit., I, 587, dit que Vladimir fut enterré à l'église Saint Clément, au milieu de son église, vingt-huit ans après son baptême, auprès de son épouse « Hélène »!