L'ÉPOPÉE BYZANTINE À LA FIN DU DIXIÈME SIÈCLE

Première partie

CHAPITRE IX

 

 

Les chroniqueurs contemporains et autres, dit Freytag, ne s’accordent guère dans leurs récits des événements dont la Syrie fut le théâtre entre les années 358 et 366 de l’Hégire, période à peu près correspondante à celle des années 969 à 977 de l’ère chrétienne. J’ai dit déjà ce que nous savons de ces événements à partir de 969 jusqu’à la mort de Jean Tzimiscès, survenue le 10 janvier 976. J’ai dit comment l’autorité, plutôt la suprématie de plus en plus illusoire du Khalife de Bagdad, avait été rapidement supplantée à cette époque dans toute la Syrie par celle des nouveaux maîtres de l’Egypte, les Khalifes africains Fatimides, depuis le jour où, dans le mois de ramadhan de l’an 362 qui correspond à peu près au mois de juin 972, Mouizz l’Africain avait mis le sceau à la conquête définitive de ce pays en faisant dans sa nouvelle capitale de Kahira son entrée triomphale. J’ai dit aussi longuement les expéditions victorieuses au delà du Taurus et jusqu’aux portes de Jérusalem de Jean Tzimiscès et son trépas lamentable au retour de la dernière de ces campagnes, presque au moment où le Khalife Mouizz expirait de son côté dans son palais du Caire.

A cette même époque, un fait important avait eu lieu en Syrie. A peu près à l’instant précis où les fils de Romain II étaient devenus seuls maîtres de l’empire d’Orient par la mort inopinée de Jean Tzimiscès, Saad le Hamdanide, le fils du chevaleresque Seïf Eddaulèh, si longtemps dépouillé de sa principauté héréditaire d’Alep, demeuré tant d’années prince errant et sans terres, était rentré en vainqueur dans l’ancienne capitale de son glorieux père. Voici comment les chroniqueurs arabes racontent un peu diversement cet événement considérable.

Saad, étant dans la grande cité de Homs, l’ancienne Emèse, où, pour lors, il résidait, y reçut un jour très inopinément la visite de l’ancien mamelouk Bakgour,[1] un des deux régents d’Alep, qui, après l’avoir expulsé de sa capitale, avaient été contraints d’accepter eux-mêmes la suzeraineté byzantine. Bakgour venait, paraît-il, surtout pour espionner l’émir. Le rusé partisan n’en réussit pas moins à persuader à son ancien maître que c’était au contraire uniquement pour lui rendre hommage et lui faire sa soumission. Saad lui rendit son amitié, lui remit un vêtement d’honneur en signe de réconciliation et le nomma son gouverneur à Alep sous la seule condition que dans cette ville et dans tout le territoire de la principauté on dirait la prière officielle à son nom.

Après cela, le louche Bakgour complota avec ses compagnons de jadis, les anciens mamelouks de Seïf Eddaulèh, de se débarrasser d’abord de son chef et corégent Kargouyah en l’emprisonnant et d’aller ensuite attaquer l’émir Saad dans Émèse pour l’en chasser. Il comptait bien demeurer ainsi l’unique seigneur de la principauté alépitaine.

Bakgour réussit dans la première partie de son projet et déposa Kargouyah, à ce que nous apprend Kémal ed-din qui fixe ces événements à l’an 363[2] de l’Hégire maïs il échoua pour le reste, car Saad, averti du danger qui le menaçait, prévint son ennemi en marchant avec tous ses contingents sur Alep. Suivant un autre récit, celui de Nowaïri, ces faits ne se seraient passés qu’en dou’l-hiddja de l’an 364, par conséquent au mois d’août ou de septembre 975, précisément à l’époque où Jean Tzimiscès quittait pour la dernière fois la Syrie. Ce serait même à ce moment seulement que Bakgour aurait déposé Kargouyah en l’enfermant dans le donjon d’Alep pour pouvoir régner, seul sur cette ville. Je crois cette date plus vraisemblable que celle de Kémal ed-din parce que ce siège d’Alep par Saad coïncide de la sorte précisément avec le départ de Jean Tzimiscès de Syrie après sa dernière campagne dans ces contrées. Jamais Saad n’eût osé attaquer Alep durant que le basileus et son armée se trouvaient encore au Sud du Taurus.

Donc le Hamdanide Saad Eddaulèh, avec l’appui de la puissante tribu des Boni Kilâb dont il avait réussi à s’assurer l’alliance, partit en guerre contre son ancienne capitale, ardent à la reconquérir. D’abord il vint mettre le siège devant la jolie cité de Maaret en Noaman où Zohair, un ancien mamelouk de son père, s’était déclaré indépendant. Il prit cette ville après une lutte acharnée et fit périr ce traître, malgré le serment qu’il avait fait de lui laisser la vie. Puis il marcha droit sur Alep, qu’il investit aussitôt. Ce dut être dans les derniers jours de l’an 976, au moment de la maladie dernière de Jean Tzimiscès.

Alors Bakgour, se voyant serré de si près par son ancien maître, tenant toujours Kargouyah emprisonné, n’hésita pas à appeler à son aide les troupes du basileus, son suzerain de fait, offrant sa ville en caution des subsides en hommes et en argent qui lui seraient fournis. On ignore par suite de quelles circonstances les Grecs ne purent à ce moment profiter de cette occasion si propice pour intervenir dans les affaires de la principauté. Un des chroniqueurs arabes de ces faits se contente de dire que ce fut « parce que Nicéphore Phocas n’était plus » comme si la disparition de ce vaillant eût enlevé depuis six années toute énergie aux armées de Roum. C’était plutôt parce que le nouveau régent, le parakimomène Basile, avait bien trop d’embarras sur les bras aux premières heures de ce règne naissant. Quoi qu’il en soit, l’émir Saad, débarrassé des craintes de cette intervention redoutable, pressa d’autant plus vigoureusement le siège de sa capitale, dans laquelle une foule d’habitants, mécontents de la tyrannie de Bakgour, faisaient en secret des voeux pour lui. Finalement un groupe de ceux-ci, chargé de la défense d’une portion de l’enceinte, lui livra la tour d’Alginan ou « des Jardins ». La porte en fer que celle-ci était destinée à protéger fut aussitôt renversée et les sauvages guerriers de l’émir se ruèrent dans Alep l’épée haute. Ce fut ainsi que Saad le Hamdanide rentra par la force dans la capitale de ses États héréditaires, après plus de sept années d’exil,[3] en mars 976,[4] après quatre mois d’un siège opiniâtre. Deux mois auparavant, Jean Tzimiscès avait expiré et le trouble général qui fut la suite de cette catastrophe inattendue explique peut-être pourquoi les chefs byzantins échelonnés sur la frontière du sud laissèrent ainsi s’accomplir cette grave révolution sans s’y opposer en aucune manière.

Saad se montra clément dans sa victoire. Il ne répandit pas de sang dans Alep, mais, tout au contraire, s’occupa d’assurer la sécurité de ses habitants. Bakgour s’était réfugié dans le château avec ses plus fidèles partisans. Il s’y défendit désespérément durant près de deux années. Enfin, ses provisions se trouvant épuisées, il dut se rendre à discrétion à celui qu’il avait si gravement offensé. C’était au mois de décembre de l’an 977.[5] Saad, toujours miséricordieux, plutôt encore politique avisé, au lieu de faire périr le rebelle, le nomma son gouverneur pour la ville et le territoire de Homs. Bakgour y fut, paraît-il, un administrateur modèle. Sous son gouvernement la sécurité, la prospérité régnèrent à nouveau dans Émèse. De Kargouyah on ne nous dit plus rien à ce moment. Toutes ces révolutions qui se succédaient incessamment à quelques mois, souvent à quelques semaines d’intervalle, témoignent, il faut en convenir, des plus extraordinaires variations de l’esprit public à Alep, comme du reste dans toute la Syrie. Celles-ci n’ont pas d’autre explication, répétons-le bien, que les hauts et les bas incessants des diverses sectes qui se disputaient alors le pouvoir religieux parmi ces populations musulmanes à la fois si fanatiques et si facilement excitables.

Saad rétablit solidement sa puissance dans Alep. Dès le printemps de cette année 976, il reçut dans sa capitale une ambassade du nouveau Khalife d’Égypte Al-Aziz qui venait de succéder à son père Mouizz le Conquérant, mort dans son palais du Caire le vendredi 10 décembre de l’an précédent. Dans le courant de cette même année, il fit dire la prière officielle au nom de ce nouveau suzerain dans toutes les mosquées de sa capitale et expédia en ambassade au Caire avec les envoyés du Khalife le grand juge ou cadi d’Alep, probablement Ibn Alhassâb Alhâsimi, porteur de sa réponse à Al-Aziz. Sous son énergique impulsion, les Alépitains procédèrent encore à la reconstruction de leur belle et antique grande mosquée et restaurèrent le rempart de la cité, fort endommagé par tant de sièges successifs. Dans les derniers mois de l’année suivante 977, autrement dit dans le cours de l’an 367 de l’Hégire,[6] d’après quelques-uns seulement en 368 ou 369, l’émir, certainement pour se concilier la fraction chiite qui était alors la plus forte dans Alep, fit ajouter à l’appel à la prière publique que les musulmans appellent « idsan » ces mots: « Debout pour la meilleure des causes; Mohammed et Allah sont les plus excellents des hommes ».

Dans ce même automne de l’an 977, Saad, bien qu’ayant en fait reconnu la suprématie du Khalife du Caire, fit encore en même temps acte de soumission à la fois à l’endroit d’Adhoud Eddaulèh, lequel venait de succéder dans sa charge de grand vizir à son père Rokn Eddaulèh, mort dans le courant de septembre, et à celui du nouveau Khalife abbasside Et-Ta’yi. Le premier l’avait envoyé complimenter à l’occasion de sa rentrée dans Alep et de sa victoire sur Bakgour. Le second lui fit remettre des vêtements d’honneur en signe d’investiture pour tous les territoires soumis à son autorité. Dès lors, à Alep, dans la prière officielle, on nomma d’abord le Khalife, puis Adhoud Eddaulèh, en troisième lieu Saad. Ce fut à cette occasion que l’émir d’Alep reçut d’Adhoud le surnom d’Eddaulèh, qu’il ajouta dès lors à son nom de Saad.

C’est ainsi que la faiblesse des souverains successifs d’Alep, si rapidement déchus, les forçait à faire alternativement des avances tantôt du côté de Bagdad, tantôt du côté du Caire, tantôt même du côté de Constantinople et du basileus grec, cet adversaire héréditaire dont le voisinage était si redoutable. Cette fois, par exemple, trop confiant dans cette illusoire protection du Khalife de Bagdad qu’il venait d’invoquer, l’émir Saad, voulant profiter du trouble profond causé dans l’empire par la mort de Jean Tzimiscès et par la minorité de ses deux pupilles, tenta de secouer toute vassalité chrétienne et cessa brusquement de payer le tribut imposé aux Alépitains par le traité du mois de safar de l’an 359 de l’Hégire.[7]

Saad Eddaulèh, grâce surtout aux embarras causés à l’empire par l’interminable rébellion de Bardas Skléros, semble être demeuré jusqu’en 981 en tranquille possession de sa principauté. Personne du moins ne la lui disputa sérieusement durant cette période. Mais bientôt les difficultés recommencèrent pour lui. Le Palais Sacré n’avait point accepté sans en éprouver un vif ressentiment son refus cavalier de continuer à payer le tribut annuel dû par la principauté. Très probablement aussi, Saad avait dû se montrer favorable au prétendant Bardas Skléros.[8] D’où colère du gouvernement impérial. D’autre part, le Fatimide du Caire, maître déjà de toute la Syrie méridionale et centrale, et qui était sur le point de rentrer en possession de Damas,[9] après avoir battu Aftekin dans l’été de 977,[10] probablement irrité de ce que Saad continuait à entretenir des relations avec l’Abbasside de Bagdad, jetait des yeux de convoitise sur sa principauté. En un mot, Grecs et Égyptiens ne cherchaient qu’une occasion pour se mêler des affaires de l’émir, qu’ils observaient tous deux d’un oeil vigilant, et ce n’était qu’à force de louvoyer habilement entre ces deux périls constants que le rusé souverain réussissait à conserver quelque ombre d’indépendance. Ce fut là le but constant de sa politique. Malheureusement ce statu quo que ne pouvait durer longtemps.

Le premier choc vint du côté des Grecs. Dès que la défaite définitive de Bardas Skléros et sa fuite en terre sarrasine eurent procuré quelque répit au gouvernement impérial, celui-ci s’occupa en hâte de relever sur la frontière du sud le prestige bien amoindri des armes chrétiennes, et le malheureux émir vit fondre sur lui l’orage que depuis si longtemps il sentait grossir. Le fameux domestique des Scholes d’Orient, Bardas Phocas, le vaincu de jadis, maintenant le tout-puissant vainqueur de Bardas Skléros, vint en personne, dès que l’Anatolie, si longtemps troublée par cette terrible rébellion, eut été entièrement pacifiée, dès le mois de novembre de l’année 981,[11] camper sous les murs d’Alep, à la tête de très nombreux contingents.

Nous ne possédons malheureusement aucun renseignement sur cette expédition du grand capitaine byzantin, sauf que, dès le lendemain de l’arrivée des Grecs devant la ville, un violent combat fut livré près de la porte des Juifs, Bab-el-Yehoud, plus tard appelée Bab-en-Nasr, située au nord de la ville, à l’issue du quartier des Israélites. La lutte dut être entièrement favorable aux impériaux, car, après de courtes négociations, un traité fut signé qui rétablissait purement et simplement le tribut payé par la principauté à l’empire. Toutefois, d’un commun accord, le montant en fut fixé à la faible somme annuelle de quatre cent mille dirhems seulement, de bon poids et bon argent, à vingt dirhems le dinar,[12] soit en tout vingt mille dinars au lieu de trente-cinq mille, ou sept cent mille dirhems, que payait la principauté aux temps de Kargouyah et de Bakgour. C’était une diminution de près de moitié. On tenait évidemment, à Constantinople, à en finir rapidement avec les agitations possibles de ce côté. On avait assez à faire pour le moment à préparer la défense contre les Bulgares et leur turbulent souverain, et à surveiller un retour offensif possible de Bardas Skléros. Le cinquième jour après son arrivée sous les murs d’Alep, le domestique d’Orient s’en alla avec ses troupes. L’expédition avait été  aussi courte qu’heureuse. La principauté d’Alep était à nouveau tributaire de l’empire de Roum.

Il y avait eu également, quelque peu avant ces événements, diverses hostilités entre les garnisons byzantines de la côte de Phénicie et les troupes africaines du Fatimide d’Égypte. Yahia raconte qu’en l’an 370 de l’Hégire, qui correspond à la seconde moitié de l’année 980 et à la première moitié de 981, Nazzâl el Ibn Chakir, deux chefs des Égyptiens allèrent de Tripoli assiéger Latakieh, qui est Laodicée ou plutôt la forteresse de cette ville. Le chef impérial qui y commandait s’appelait K-r-m-rouk ou K-r-m-r-k. Impossible de préciser davantage, la transcription arabe, unique indication que nous possédions, ne nous permettant pas de connaître exactement les voyelles du nom.

Yahia, qui est seul à nous parler de ce personnage, dit que Basile lui avait confié le commandement de Latakieh pour le récompenser de ses services passés, notamment d’une incursion victorieuse qu’il avait faite sur le territoire de Tripoli, incursion qui avait coûté la vie ou la liberté à une foule d’habitants de cette ville et de soldats africains du Fatimide[13] et rapporté aux troupes grecques un grand butin. Nous avons vu que Jean Tzimiscès n’avait pu s’emparer de cette forte place maritime. Puis, au début du règne commun de Basile et de Constantin, Michel Bourtzès avait fait contre elle un nouvel effort. De retour avec un riche butin, il avait, nous dit Yahia, de suite préparé une expédition nouvelle. C’est probablement de celle-là qu’il s’agit, qui aurait été confiée par Michel Bourtzès à un de ses lieutenants, ce chef au nom méconnaissable dont nous parle Yahia. Le baron Rosen se demande s’il ne faut pas identifier ce K-r-m-rouk avec le brave guerrier géorgien Guarmeraguel cité par Mathieu d’Édesse comme ayant combattu au service du curopalate Davith d’Ibérie. Peut-être était-ce là un des douze mille soldats de ce pays que ce prince avait envoyés en l’an 978 au secours des troupes impériales dans leur lutte suprême contre Bardas Skléros. Yahia ne nous donne du reste pas d’autre détail sur ce premier exploit syrien de cet énigmatique chef impérial et néglige même d’en donner la date précise. Tripoli devait demeurer constamment dans la suite un des buts principaux visés par les expéditions byzantines. Plus tard encore, toujours au dire de Yahia, K-r-m-rouk avait victorieusement repoussé une tentative dirigée contre Antioche par des troupes égyptiennes sous le commandement de l’émir Al-Sânhâdji.[14] Il avait d’abord, dans une attaque nocturne, enlevé à l’ennemi ses bagages et son convoi de vivres laissés par lui en arrière, puis il avait attaqué le gros du corps expéditionnaire et en avait massacré ou pris la majeure partie.

Ce chef, jusqu’ici si constamment heureux, marcha donc avec son avant-garde à la rencontre des deux capitaines africains Nazzâl[15] et Ibn Chakir, qui venaient si audacieusement l’attaquer. Mais cette fois son étoile lui fut infidèle. Younous, un esclave d’Ibn Chakir, s’étant jeté impétueusement sur lui, blessa son cheval et le fit tomber à terre. Il fut incontinent saisi, lié et envoyé au Caire. Sa condamnation fut criée par les rues de la ville, puis il fut exécuté. Nous ne savons rien de plus sur ce chef byzantin, dont nous ne parvenons même pas à lire le nom correctement dans la chronique syrienne, qui est seule à nous parler de lui.

Il faut noter encore aux environs de cette époque l’aventure d’un cheik bédouin nommé Daghfal ibn el-Mouffaridj ben el-Djerrah, qui nous est racontée fort longuement par Yahia en termes, du reste, assez obscurs. Ce personnage, que nous avons déjà rencontré à une autre page de ce récit, s’étant révolté contre le Khalife Al-Aziz, avait été une première fois battu par le général égyptien Rachik en mai ou juin 982, puis il avait à son tour pillé la caravane de la Mecque et mis en déroute les troupes envoyées à sa poursuite. Enfin, battu à nouveau, il s’était enfui vers l’automne ou l’hiver de cette même année à Homs auprès de Bakgour, lequel, on se le rappelle, gouvernait dans cette ville au nom de l’émir Saad depuis la fin de l’année 977. Bakgour lui avait fait bon accueil, mais avait dû, dès l’été suivant de l’an 983, contracter alliance avec les troupes africaines du Fatimide. Aussi Mouffaridj, ne se trouvant plus en sûreté auprès de lui, s’était réfugié à Antioche chez les Byzantins, dont il espérait obtenir l’appui. Il y arriva au moment même où Bardas Phocas y concentrait ses forces pour l’expédition nouvelle contre Alep que je vais raconter. On n’estima pas possible ou avantageux de lui venir en aide. Le refus qu’on opposa à sa demande fut, du reste, quelque peu mitigé par la remise d’un présent considérable. Il fut, en outre, autorisé, nous le verrons, à suivre l’armée de Bardas Phocas et profita de cette faveur pour trahir les Byzantins et renseigner Bakgour sur leur compte. Plus tard il obtint du Khalife sa grâce et put rentrer définitivement en Syrie.[16]

Or, dans le courant de ce même été de l’an 983,[17] l’émir Saad Eddaulèh et Bakgour, son gouverneur à Homs, s’étaient brouillés à nouveau. Bakgour, s’étant derechef révolté contre son seigneur, s’était trouvé à la tête de forces assez nombreuses pour venir assiéger celui-ci dans Alep. Le 12 septembre 983, il campa devant cette porte des Juifs, Bab-el Yehoud, théâtre, à cette époque, de tant de combats incessants. Les troupes africaines du Khalife Al-Aziz, qui venaient, sous le commandement de Toltekîn, d’étouffer une insurrection dans Damas, sur la promesse que leur fit le rebelle de leur livrer Alep lorsqu’il y serait entré, étaient accourues pour lui prêter leur appui. C’était même probablement ce voisinage qui avait décidé de la nouvelle révolte de ce turbulent personnage. Avec leur secours il combattit deux jours durant les troupes de l’émir. De son côté, Saad Eddaulèh, surpris à l’improviste par cette soudaine agression de son lieutenant révolté, avait imploré le secours des Grecs. A son appel, l’infatigable Bardas Phocas,[18] toujours encore domestique des Scholes orientales, s’était mis aussitôt en marche avec tous ses contingents. Si les Grecs prenaient aussi chaudement parti pour leur vassal d’Alep, c’était, on le comprend, pour empêcher que la principauté ne tombât définitivement aux mains des Égyptiens, auxquels Bakgour voulait la livrer. Ce n’était là qu’un épisode sans cesse renouvelé de l’éternelle rivalité, de la lutte incessante, entre l’empire d’Orient et le Khalifat, jadis celui de Bagdad, aujourd’hui celui du Caire, pour la possession de la Syrie. C’était, je le répète, en louvoyant constamment entre ces deux géants ses voisins que le petit souverain d’Alep réussissait à conserver encore quelque indépendance, et cette rivalité devait le sauver cette fois encore du danger amené par la révolte de Bakgour. Pour la connaissance, hélas, si imparfaite de ces faits, hier encore inconnus, devons une vive gratitude à Yahia dont le récit malheureusement quelque peu confus, résumé trop bref de sources très importantes aujourd’hui perdues, est venu, après les récits déjà connus de Kémal ed-din et d’Elmacin, combler, pour l’histoire des faits et gestes de Bardas Phocas après la défaite de Skléros et pour celle des opérations des troupes byzantines en Syrie à cette époque, une lacune fort importante.

Bardas Phocas, accouru d’Anatolie au secours de l’émir d’Alep, avait concentré rapidement ses troupes à Antioche, s’apprêtant à attaquer Bakgour et ses alliés avec des forces très considérables. C’était précisément, on se le rappelle, le moment où le cheik bédouin Mouffaridj, révolté contre le Khalife Al-Aziz, avait quitté précipitamment Homs pour se retirer à Antioche, l’entente entre Bakgour et les Égyptiens l’ayant chassé de la première de ces villes. Reçu au camp impérial, il en profita pour mander secrètement à son ami Bakgour le danger qui le menaçait.[19]

Pour la suite de ces événements, les récits que nous possédons sont malheureusement fort différents Voici d’abord celui de Yahia, confirmé en partie par celui d’Ibn Zafir. « La nouvelle de la marche en avant de Bardas Phocas, dit le chroniqueur antiochitain, parvint ainsi à Bakgour qui, levant le siège, partit aussitôt à sa rencontre avec une partie de ses forces le mercredi 19 septembre 983, donc sept jours seulement après son arrivée devant Alep, Bardas Phocas, refoulant probablement devant lui cet adversaire trop faible pour l’arrêter, n’en atteignit pas moins cette ville, sous les murs de laquelle il vint à son tour camper le jeudi 27[20] en face de la porte des Juifs, ayant avec lui le cheik Mouffaridj.[21] La bataille s’engagea aussitôt. » Ici s’arrête le récit de Yahia, qui ne désigne même pas nominativement les deux belligérants Bardas Phocas et Bakgour, pas plus qu’il ne dit lequel des deux remporta la victoire. Nous verrons par Elmacin que ce fut le chef byzantin. A partir de ce point, les deux récits concordent pour toute la suite des événements.

Immédiatement après avoir mentionné ce violent combat de la porte d’Alep, Yahia, omettant de dire ici la fuite de Bakgour à Homs, raconte la nouvelle convention qui fut conclue par Bardas Phocas vainqueur avec l’émir Saad Eddaulèh pour payer aux Grecs l’appui prêté par eux à l’émir.[22] Puis il montre Bardas se jetant à la poursuite de Bakgour. Quant à Ibn Zafir, après avoir raconté la première partie de ces événements comme Yahia, il dit seulement qu’à l’approche des Grecs Bakgour se sauva à Homs et de là à Damas.

Voici maintenant le récit, fort différent et en apparence assez extraordinaire, de Kémal ed-din. En effet, au lieu d’une victoire de Bardas Phocas, ce chroniqueur nous raconte ici une défaite de ce capitaine. Suivant cet auteur, d’ordinaire si bien informé des affaires d’Alep, dès l’annonce de l’arrivée des Grecs. Bakgour épouvanté, levant immédiatement le siège de la ville, se serait sauvé à Homs, d’où il emporta tout ce qu’il put de ses biens et de ses trésors. De là il se serait réfugié à Damas, où le Fatimide d’Egypte, Al-Aziz, frappé de ses talents d’administrateur, le conviait depuis longtemps à se rendre pour lui confier le gouvernement de cette cité et de toute cette région de la Syrie depuis peu reconquise par les Africains.[23] Ce qui décida Bakgour à abandonner ainsi de suite la partie, dit Kémal ed-din, c’est qu’il ne s’estimait pas en état de résister avec ses forces à la formidable armée du domestique.

Celui-ci n’en avait pas moins poursuivi sa marche sur Alep. Le jeudi dix-septième jour du mois de rebîa’ second de l’an 373 de l’Hégire, qui correspond au 28 septembre de l’an 983,[24] il vint pour la seconde fois en deux ans camper sous les murs de la grande métropole du sud, toujours en face de Bab-el-Yehoud. Une armée formidable, cinquante mille cavaliers et  fantassins,[25] l’accompagnait. Les auteurs byzantins se taisent complètement sur cette expédition du grand capitaine, comme aussi sur la précédente. Nous devons le peu que nous en savons aux seuls chroniqueurs arabes ou syriens. Comme Bakgour avait fui, certainement le premier but de ce grand effort des Byzantins était déjà atteint. On n’avait plus à redouter qu’Alep tombât aux mains des lieutenants du Fatimide. Mais on admettra difficilement que Bardas Phocas fût venu aussi loin avec tant de monde dans le but unique de protéger Saad Eddaulèh contre son lieutenant infidèle. Si le récit d’Elmacin, qui parle aussi de cette expédition, est exact, cette formidable démonstration était encore destinée à châtier l’émir pour quelque faute qu’il avait commise et que nous ignorons. Il est plus que probable que, voyant le gouvernement des deux jeunes basileis continuer à se débattre au milieu des plus graves embarras du côté de la Bulgarie, l’émir avait cru pouvoir négliger à nouveau de payer le tribut auquel il s’était derechef engagé par le traité signé dans l’automne de l’an 981. Bardas Phocas était donc accouru à la fois pour punir Saad de ce manquement à la parole jurée et pour empêcher sa ville de tomber aux mains des Africains, bien plus que pour le protéger personnellement contre ses ennemis. Une fois de plus, le domestique venait mettre à la raison cette turbulente principauté vassale, qui, quel que fut son maître, se refusait constamment à remplir les engagements à elle imposés par les traités.

Je reprends la suite du récit de Kémal ed-din. Cette fois, l’irritation paraît avoir été très vive au Palais Sacré. Bardas Phocas, nous dit l’écrivain arabe, avait juré aux deux basileis de prendre Alep, de la ruiner, de n’en pas laisser pierre sur pierre, de ramener toute sa population, hommes et femmes, jeunes et vieux, captive sur le territoire de l’empire jusqu’à Constantinople. Outre ses cinquante mille hommes il traînait après lui une infinie quantité de machines de guerre et de béliers, tout un formidable appareil de siège.

L’armée impériale, poursuit Kémal ed-din, en quittant Antioche, avait d’abord occupé Hadath, forte place de la province d’Altoghier, située entre Malatya, Samosate et Marasch. Elle s’y arrêta quelques jours, répandant la terreur, tandis que Saad, enfermé dans sa capitale, ne semblait même pas se préoccuper de sa venue. Puis la marche sur Alep fut reprise. « L’avant-garde du domestique, disent seulement les sources orientales, était commandée par Taritsawel,[26] roi des Géorgiens, et sur les deux ailes se tenaient les patrices cuirassés de fer de pied en cap. » J’ignore qui pouvait être ce « roi de Géorgie », probablement quelque prince d’une des familles régnantes du pays. Ce détail n’en a pas moins sa valeur en nous montrant une fois de plus quelle place constamment importante tenaient les soldats alliés ou simplement les mercenaires de cette race dans les forces impériales à cette époque. Ce « roi de Géorgie » devait commander une avant-garde de cavaliers de sa nation. C’était encore là une de ces grandes armées byzantines composées de guerriers de vingt peuples divers. Quant aux ailes formées par des « patrices cuirassés de pied en cap », c’étaient certainement deux ailes de ces cavaliers d’élite, dits cavaliers cataphractaires, parce qu’ils étaient entièrement vêtu de mailles, peut encore les anciens Immortels de Jean Tzimiscès.

L’arrivée inopinée sous Alep de ces forces prodigieuses dans la journée du 28 septembre 983 glaça d’épouvante la population alépitaine. Quant à l’indolent Saad, qui semble vraiment avoir été frappé de stupeur et qui n’avait encore fait presque aucun préparatif de défense, il paraît avoir persisté d’abord dans cette inaction tout à fait surprenante. Ce ne fut que lors que la formidable armée grecque eut entièrement investi sa capitale et détaché de toutes parts, pour ravager le territoire d’Alep, des partis de cavalerie, lesquels d’ailleurs ne rencontrèrent aucune résistance, qu’il parut retrouver quelque énergie pour faire enfin prendre les armes à ses mamelouks et à ses autres troupes, du reste fort peu nombreuses. Les deux partis demeurèrent ainsi trois jours à s’observer. Le quatrième, qui était le 1er octobre, le domestique se mit en devoir d’attaquer, mais, cette fois encore, l’émir retint obstinément ses troupes derrière les remparts de la ville. Le septième jour enfin, le 4 octobre, lassé par leur ardeur guerrière, il les laissa sortir.

« Ce fut un combat terrible, tel qu’on n’en avait jamais vu de pareil », s’écrie le chroniqueur, les Alépitains attaquèrent avec une vigueur inouïe. On se battit sur la grande place du Meïdan, en avant de la porte de Kinnesrin, ainsi désignée parce qu’elle conduisait à la ville de ce nom. Le vizir de Saad Eddaulèh qui commandait ses troupes, Abou’l Hassan Ali ibn el-Hosaïn ibn Almagribi, fit donner à la fois tout son monde au moment favorable. L’élan furieux des Arabes eut cette fois, paraît-il, raison du courage des soldats impériaux. Il ne faut pas oublier que nous n’avons ici, pour nous renseigner, que des sources musulmanes, mais nous devons avouer d’autre part que le silence complet des chroniqueurs chrétiens devient par lui-même un indice grave. Il semble donc trop certain que les armes byzantines furent malheureuses dans ce grand combat et que les troupes du domestique furent mises en complète déroute. Nous n’avons presque aucun détail: nous savons seulement que l’honneur et la gloire du camp grec, le « roi de Géorgie », le mystérieux Taritsawel, « l’appui de l’armée chrétienne », suivant l’expression même de Kémal ed-din, fut tué et que, les mamelouks de Saad ayant redoublé d’efforts, les Grecs, désespérés de la mort de ce chef, s’enfuirent honteusement, à la grande douleur de Bardas Phocas ». Suivant Kémal ed-din, les troupes alépitaines auraient même poursuivi leurs adversaires jusque sous les remparts d’Antioche et auraient, en passant, pris d’assaut et détruit le fameux monastère puissamment fortifié de saint Syméon, mais nous verrons qu’il y a là confusion avec une campagne postérieure.

Kémal ed-din raconte encore que le domestique, assiégeant Alep, vit en songe le Messie qui lui parlait sur un ton menaçant «Penses-tu vraiment, lui avait crié Jésus, que tu puisses jamais prendre cette cité, alors qu’un aussi pieux croyant que l’est ce fidèle adorateur veille sur sa muraille? » En même temps le Christ lui désignait du doigt un point du rempart entre Bab-Kinnesrin et Bordj-al-Hanam, à la hauteur de la mosquée dite Mesched al-Nour. Le matin, à son réveil, Bardas Phocas s’était aussitôt informé du nom du saint personnage qui habitait en ce lieu précis. On trouva que c’était un certain Ibn Ah Noumeir Abder ibn Abd al Salâm, dévot alépitain et pieux ermite profondément versé dans la connaissance des légendes et prophéties musulmanes.[27] Kémal ed-din n’hésite pas à affirmer que la présence dans Alep de cet homme de Dieu ainsi miraculeusement désigné par le Christ, fut la cause déterminante de la retraite du domestique. Le même écrivain ajoute que d’autres sources — peut-être par cette expression veut-il précisément désigner Yahia — affirment que Bardas Phocas ne s’en alla qu’après avoir signé un nouveau traité avec Saad Eddaulèh.

Voilà à peu près tout ce que nous savons sur cette défaite des armées byzantines sous Alep. Elle ne dut cependant pas être aussi totale que semble l’indiquer Kémal ed-din. En effet, Yahia, qui, en ce point, est fort confus, après avoir, on l’a vu, dit seulement qu’il y eut bataille, sans même désigner le vainqueur, ajoute aussitôt qu’un traité fut signé entre les Grecs et l’émir, par lequel ce dernier s’engageait à payer au basileus un tribut de quarante mille dinars durant deux années consécutives. Puis Kémal ed-din lui-même, d’accord ici avec Yahia, nous montre dès le lundi 7 Octobre, par conséquent à peine trois jours après la bataille, les troupes du domestique repartant probablement à la poursuite de Bakgour, dans la direction de Homs et s’emparant de cette ville le mardi 29 de ce même mois,[28] durant que Bakgour se réfugiait auprès des Egyptiens à Damas. Ibn Zafir, il est vrai, qui fait le même récit, ajoute que Homs se rendit aux Grecs du consentement même de Saad, lequel aima mieux voir cette aux mains des chrétiens que dans celles du traître Bakgour et des troupes magrébines que le Khalife du Caire avait prêtées à ce dernier.[29] Bakgour, en effet, n’avait abandonné le siège d’Alep à l’arrivée des Grecs que pour courir à d’autres aventures. Impatient de profiter du trouble immense amené dans toutes ces régions par l’invasion si subite de la grande armée de Bardas, il s’était fait expédier à Damas par son nouveau protecteur le Khalife d’Égypte des renforts de contingents africains avec le secours desquels il comptait bien jouer le rôle du troisième larron pour demeurer définitivement en possession d’Alep. Durant que Bardas Phocas se faisait battre sous les murs de cette ville, lui s’était avancé jusqu’à Émèse. Seule la nouvelle marche en avant du domestique l’avait forcé à reculer encore plus loin.

Donc, le 29 octobre 983, les troupes chrétiennes s’emparèrent de l’antique cité d’Élagabale. Voici comment se fit cette conquête. Bardas Phocas avait donné par écrit pleine garantie de sécurité aux habitants. Il répétait à tous qu’il n’en voulait point personnellement aux sujets de Saad Eddaulèh, mais que son unique objectif était maintenant Damas, et qu’il y avait paix entre lui et l’émir d’Alep. Les gens d’Émèse, calmés par ces assurances, vinrent sans défiance apporter aux impériaux les vivres et le fourrage dont ceux-ci avaient un pressant besoin. Mais, dévoilant brusquement ses intentions vraies, le domestique fit à l’improviste donner l’assaut.

Les Arabes, surpris, ne surent ou ne purent se défendre. Ce dut être encore quelque affreuse tragédie, quelque épouvantable massacre. Nous savons seulement que les Grecs brûlèrent la grande mosquée avec la majeure partie de la ville. La population tout entière fut emmenée en captivité. Beaucoup de malheureux périrent étouffés par les flammes et la fumée dans les grottes où ils s’étaient réfugiés. Puis l’armée du domestique que se dirigea sur Teil Khalif, localité située quelque part au sud de Homs.

Le baron Rosen, dans l’ouvrage excellent qu’il a consacré à la Chronique de Yahia, dit avec raison que tout ce récit de Kémal ed-din, d’ordinaire si bien informé des choses d’Alep, présente par exception de très grandes obscurités. Tout le passage est très confus et le texte en est irrémédiablement embrouillé. Si Bardas Phocas avait été si complètement battu sous Alep, il n’aurait pu aussitôt après marcher sur Homs, en plein territoire ennemi fortement occupé par les troupes d’Égypte, mais il aurait plutôt rétrogradé dans la direction d’Antioche pour se mettre à l’abri sous les murailles de cette grande forteresse. Pour le savant historien russe, la poursuite des Grecs par les Alépitains jusque sur territoire antiochitain, la prise et le sac par eux du grand couvent de saint Syméon n’ont eu lieu que plus tard, seulement en l’an 985, et ici le récit de Yahia mérite plus de confiance que ceux des chroniqueurs purement musulmans. Kémal ed-din lui-même semble déjà hésiter à quel de ceux-ci il doit donner confiance. En effet, après avoir constaté que, suivant d’autres sources, Bardas Phocas ne s’éloigna qu’après avoir signé un traité nouveau avec Saad, le chroniqueur va jusqu’à se demander si, pour cette expédition de l’an 373 de l’Hégire, il n’a pas été fait de confusion avec quelques épisodes de celle bien postérieure de l’an 421, lors de la déroute de l’armée de l’empereur Romain III dans ces mêmes parages dans l’été de l’an 1030. Pour le baron Rosen, cette confusion faite par les chroniqueurs entre ces deux expéditions si distantes cependant l’une de l’autre ne saurait faire le moindre doute.[30]

Toutefois il est un trait fort remarquable rapporté par Kémal ed-din et qui, lui, est bien particulier à l’expédition de l’an 373 de l’Hégire, c’est la présence dans l’armée de Bardas Phocas de troupes géorgiennes. Les chroniques tant byzantines que géorgiennes nous apprennent, on le sait, que le brillant domestique des Scholes d’Anatolie n’avait fini par triompher du rebelle Bardas Skléros que grâce aux contingents ibères qui lui avaient été fournis par le roi curopalate Davith de Géorgie. Ces mêmes contingents avaient dû certainement suivre Bardas Phocas jusque sous les murs d’Alep et c’est avec raison que le baron Rosen croit retrouver dans la transcription arabe si déformée du nom du prince géorgien qui périt sous Alep dans les rangs de l’armée impériale les traces d’un nom de forme et de désinence purement ibères, tel que Tchortvanel par exemple.

Nous ignorons entièrement comment se termina cette grande expédition des armes byzantines. Nous savons seulement que vers la fin de l'année 983 ou dans le courant du mois de janvier suivant, Bardas Phocas, qui n’avait peut-être voulu que répandre l’épouvante parmi les Sarrasins de la région de Homs sans songer pour cette fois à annexer définitivement à l’empire le territoire de cette ville, laissant une forte garnison dans cette place lointaine, ramena, la mauvaise saison étant venue, ses troupes aux environs d’Antioche pour leur faire prendre leurs quartiers d’hiver en terre byzantine.

Bakgour, je l’ai dit, s’était de nouveau retiré ou plutôt enfui à Damas. Dès le 9 décembre 983, il reçut du Khalife d’Egypte l’investiture officielle du gouvernement de cette ville et de son territoire. Avec les troupes que lui envoya Al-Aziz, il se rapprocha aussitôt d’Alep au fur et à mesure que les Grecs remontaient vers le nord pour regagner Antioche. Puis, redoutant peut-être quelque retour offensif du domestique, il s’éloigna une fois encore de son ancienne conquête et se retira à Djoûcie, « localité située à six parasanges de Homs ». Son administration à Damas fut extrêmement dure. Il opprima cruellement les Damasquins Yahia dit qu’il fit périr sur la croix ou en les faisant enterrer vifs plus de trois mille d’entre eux qui s’étaient révoltés contre lui et qui furent capturés par ses soldats.

La puissance du Khalife d’Egypte grandissait de jour en jour en Syrie, dit le chroniqueur: aussi l’émir Saad, délivré de la terreur de l’armée du domestique, jugea-t-il prudent à ce moment de se mettre une fois de plus officiellement sous la protection de ce nouveau maître de l’Orient sarrasin, et de faire dire derechef en signe de vassalité la prière officielle à son nom dans ses Etats. »

C’est à cette même campagne de Bardas Phocas en Syrie en l’an 983 de notre ère qu’il faut, ce me semble, rattacher la remise sous l’autorité du basileus du très fort château d’Ibn Ibrahim, château fort de la ville de Ra’bân. Ce fait de guerre, que nous connaissons par la Chronique de Yahia, est, semble-t-il assez vaguement fixé par cet historien à l’an 370 de l’Hégire, qui correspond à la seconde partie de l’an 980 et à la première partie de l’an suivant, mais Elmacin, qui a copié plus ou moins exactement le récit de cet épisode dans le chroniqueur antiochitain, le place deux ans plus tard, à l’année de l’Hégire 373, c’est-à-dire précisément dans la seconde moitié de l’an 983 ou dans les premiers mois de 984.[31] Ra’bân, ville du futur comté d’Edesse, si connue dans la suite lors des grandes luttes des Croisades, était située quelque peu à l’orient de Marasch, entre cette ville et K’éçoun.[32] A bien des reprises déjà, Byzantins et Sarrasins se l’étaient disputée. Une dernière fois, elle avait été prise en même temps que Dolouc et Marascli par Nicéphore Phocas au mois d’avril 962 et nous ignorons à quelle époque elle était depuis retombée aux mains des Musulmans. Le baron Rosen estime, avec raison, que ce dut être au début de la sédition de Bardas Skléros, alors que toute cette frontière de l’empire se trouva, par suite des événements, livrée presque sans défense aux entreprises des Arabes. Yahia raconte donc comment cette conquête nouvelle du château de Ra’bân par les troupes de Basile II se fit grâce à une ruse singulière

« Le gouverneur de la forteresse d’Ibn Ibrahim, dit-il, avait à son service une captive chrétienne d’origine arménienne dont les frères et la soeur demeuraient aussi dans la ville. C’étaient probablement tous des esclaves, prisonniers de guerre. Cette soeur vint un jour rendre visite à la recluse du château et fit auprès d’elle un assez long séjour, durant lequel elle vit combien la forteresse était mal gardée par fort peu de monde. Cette femme intelligente et courageuse nota un point plus faible de la muraille où l’escalade serait possible, et mesura les hauteurs avec le fil de sa quenouille. Rentrée en ville, elle communiqua le résultat de ses observations à ses frères, leur exposant avec quelle facilité on pourrait pénétrer par ruse dans la forteresse. Eux, ayant fabriqué une échelle sur les mesures qu’elle leur avait données, aidés de leur autre soeur prisonnière, pénétrèrent de nuit dans le château avec leurs complices. Le gouverneur avait précisément choisi ce moment pour aller dans son harem s’enivrer avec ses femmes. Il avait expressément recommandé qu’on ne le dérangeât sous aucun prétexte pour affaires de service, et les gardes s’en étaient allés pour la plupart à leurs plaisirs. Les autres dormaient. Quand donc les Arméniens eurent pénétré dans la forteresse, ils n’y trouvèrent qu’un unique soldat, qu’ils tuèrent aussitôt. Se précipitant ensuite dans l’appartement du gouverneur, ils l’égorgèrent sur sa couche. De même ils massacrèrent son fils. Après quoi ils proclamèrent l’autorité restituée du basileus, criant à haute voix ces paroles: « Au nom du basileus des Romains; longue vie à Basile ! » Puis ils occupèrent tout le château, durant que le reste des guerriers sarrasins fuyaient éperdus.

Une députation envoyée à Basile pour lui offrir la possession de la cité reconquise fut favorablement accueillie par lui. Il récompensa fort généreusement ces courageux Arméniens et ordonna d’augmenter si bien les fortifications de Ra’bân, qu’elles en devinrent imprenables. Elmacin, racontant les mêmes faits, ajoute que Basile donna au chef de ces Arméniens un commandement important, qu’il vint en personne à Ra’bân et que cette forteresse fut par ses soins munie de toutes sortes de machines, d’armes, de vivres et d’approvisionnements de guerre.

Certainement le chroniqueur a confondu Bardas Phocas avec Basile, qui ne dut venir que bien plus tard à Ra’bân, si même il y vint jamais. C’est au brillant domestique Bardas Phocas que les partisans arméniens si habilement vainqueurs de la garnison arabe durent faire remise de leur cité.

Ici le précieux récit de Yahia, qui est presque le seul à nous parler de ces obscures luttes gréco-arabes de cette époque en Syrie, alors que les Byzantins n’en soufflent mot, s’embrouille fort à nouveau. Ce chroniqueur d’ordinaire si clair, si précis, si attaché à nous fournir des dates exactes, devient confus, mêlant ensemble des événements survenus dans plusieurs années différentes. Le baron Rosen s’est efforcé avec quelques succès de remettre un peu d’ordre dans ce chaos. Je le suivrai pas à pas dans cet essai de restitution.

Bardas Phocas, nous l’avons vu, après avoir renouvelé le traité d’alliance avec l’émir Saad qu’il avait sauvé des griffes de Bakgour, après avoir pris Émèse et s’être avancé encore plus loin vers le sud, était retourné à Antioche vers le mois de janvier de l’an 984. Bakgour, lui, s’était retiré à Damas, dont il était devenu gouverneur pour le Fatimide. de cette douce retraite,[33] le turbulent et toujours inquiet condottiere ne songeait toutefois toujours qu’à rentrer à Alep, « centre commercial du nord de la Syrie, comme Damas l’était au centre », et à en chasser une fois de plus le souverain légitime, l’émir Saad. Cette fois, voulant essayer plutôt de la ruse que de la violence, il entra en pourparlers avec l’émir, lui promettant fallacieusement l’appui éventuel du Khalife Al-Aziz. Naturellement Saad Eddaulèh pencha du côté de celui de ses deux grands voisins qui lui faisait espérer davantage, une indépendance absolue étant, nous l’avons vu, chose pour lui à peu près impossible. Fort du secours promis, il tarda volontairement, dès la fin de cette année 984 ou le commencement de 985, à payer le tribut qu’il devait au basileus conformément aux nouvelles conventions signées l’an précédent.

Le châtiment ne se fit pas attendre. Sous la main de fer de Bardas Phocas, les armes byzantines étaient à cette époque sans cesse sur le qui-vive sur cette extrême et mouvante frontière du sud. La moindre offense était incontinent relevée, rudement châtiée. Vers le milieu de l’an 985, semble-t-il, Bardas Phocas, c’est Yahia qui nous l’apprend, envahit à nouveau avec toutes ses forces le territoire alépitain.[34] Cette fois, son premier objectif fut la forte place de Killis[35] située exactement au nord d’Alep, à treize lieues de marche de cette capitale. Cette circonstance ferait même croire que quand le domestique, apprenant la violation du traité par l’émir d’Alep, se décida à aller le châtier de suite pour tenter d’étouffer ce nouveau péril dans l’oeuf, il devait se trouver, non à Antioche mais plus au nord, quelque part en Cilicie, peut-être à Anazarbe.

Killis se rendit à Bardas Phocas vers la fin de juin ou dans le courant de juillet 985.[36] La population fut emmenée captive. Cependant, à la première nouvelle de cette agression, les troupes africaines du Khalife en garnison à Damas s’étaient mises en marche à la rencontre des Grecs. Bardas Phocas, apprenant ce mouvement, quitta brusquement Killis, vers la seconde moitié d’août, semble-t-il, battit sur la route les troupes alépitaines qui avaient attaqué son camp et cherchaient à le retenir, et, laissant Alep la gauche, s’avança à marches forcées vers le sud dans la direction d’Apamée.[37] Aussitôt arrivé devant cette place, il l’attaqua avec la dernière vigueur. Ses puissantes machines de guerre eurent tôt fait de jeter bas plusieurs tours de la muraille. La situation semblait désespérée. Alors, pour tenter une diversion, pour détourner l’attention du terrible domestique, aussi pour donner le temps aux Africains d’arriver, l’émir Saad envoya ses contingents faire une pointe hardie en terre chrétienne. Il les avait placés sous le commandement du fameux Kargouyah, l’ancien mamelouk favori de son père Seïf.[38] Marchant tout droit vers Antioche par le chemin des caravanes, l’armée alépitaine, sans se soucier des Grecs qui opéraient tellement plus au sud, rencontra d’abord sur sa route à l’extrême frontière des territoires d’Alep et d’Antioche, par conséquent à l’extrême frontière chrétienne, à sept heures et demie de marche d’Antioche seulement, le vaste et fameux couvent alors florissant de Saint Syméon d’Alep ainsi nommé de son fondateur le célèbre Stylite qui était venu habiter en 412 à côté de ce village, actuellement connu sous le nom de Deir Sem’ân al-Halebi, sur la colonne fameuse où il devait passer les vingt-sept dernières années de son existence.[39]

A l’époque où nous sommes, cette immense construction fortifiée était habitée par une foule de moines. Puis, à l’approche des Sarrasins d’Alep, les populations du voisinage, épouvantées, s’y étaient réfugiées en masse. Mais tous ces nombreux défenseurs improvisés furent impuissants à défendre le monastère contre ces sauvages guerriers, vétérans de tant de combats. Après trois jours de lutte acharnée corps à corps de nuit et de jour, les forces alépitaines donnèrent l’assaut le mercredi 2 septembre 985[40] et se ruèrent victorieuses dans ce sanctuaire illustre. Ce fut une effroyable tragédie, un massacre horrible, que Yahia, hélas, se contente de nous narrer en quelques mots, mais qui semble avoir laissé l’impression la plus profonde dans la mémoire des contemporains. Les moines, les paysans des environs, furent égorgés en masse. Beaucoup d’autres, emmenés en captivité, eurent un sort plus douloureux encore: ils furent exposés en vente sur les marchés d’Alep aux risées de tous.[41]

De nos jours encore, écrit le plus récent historien des Stylites, le voyageur contemple avec étonnement, aux lieux mêmes que Saint Siméon a illustrés par sa pénitence, un groupe de monuments incomparables, témoins de la vénération des contemporains pour le grand Stylite. C’est l’ensemble de ruines grandioses désignées aujourd'hui sous le nom de Qala’at Sem’àn, Château de Syméon, au sommet du plateau escarpé qui domine la vallée de l’Afrîn, à six kilomètres au nord de la montagne que les Arabes appellent Djebel Cheik Bereket. Ce sont les restes de l’église et du monastère construits en l’honneur du saint. L’admirable basilique qu’Evagrius a jadis visitée et décrite doit avoir été commencée peu après la mort de Syméon. L’architecte lui a donné une disposition tout à fait originale. Elle affecte la forme d’une croix dont les branches viennent s’appuyer sur les côtés d’une cour octogonale, au centre de laquelle se dressait la colonne du saint. Circonstance faite pour émotionner les âmes les moins sensibles à la poésie de l’histoire: la base de la colonne illustrée par tant d’années de cette incroyable pénitence est encore debout aujourd’hui. Par ses dimensions, la basilique peut rivaliser avec nos cathédrales. Elle nous étonne par la hardiesse de la conception et l’élégance des détails. C’est vraiment l’expression d’une grande pensée. Le majestueux édifice traduit dans un langage plus éloquent que la parole la dévotion du peuple de Syrie pour l’illustre Stylite.

Tel est l’état actuel de ces lieux fameux qui virent cette tragédie de l’an 985, ce massacre affreux des pauvres caloyers, fils du grand Syméon, par les Sauvages cavaliers de l’émir d’Alep.

« Sitôt, dit Yahia, que le basileus eut eu connaissance de l’affreux désastre du monastère de Saint Syméon, plein de fureur il envoya au domestique l’ordre écrit de lever le siège d’Apamée et de marcher de suite, coûte que coûte, sur Alep ».[42]

Cependant, durant que se pressaient ces événements tragiques, les troupes égyptiennes concentrées à Damas n’étaient point demeurées dans l’inaction. Laissant le domestique s’acharner au siège d’Apamée et faire ravager par ses colonnes volantes le territoire de cette ville, elles avaient, de leur côté, pris la direction du littoral et enlevé aux Grecs la forte place de Balania,[43] aujourd’hui Banias, sur la mer Méditerranée, l’antique Balanée de Strabon, la future Valénie des Croisés, entre Tortose et Ga’bala. Prise par Jean Tzimiscès, lors de la dernière campagne de ce prince en Syrie, cette ville était demeurée depuis aux mains des chrétiens. De là les Égyptiens se préparaient à attaquer encore d’autres cités de la côte alors aux mains des Grecs.[44]

Comme le domestique avait assez à faire à lutter devant Alep contre les troupes de l’émir, le basileus, averti de ce nouveau péril, dépêcha le magistros Léon Mélissène, après lui avoir conféré le titre de duc d’Antioche,[45] pour s’opposer aux progrès des troupes du Khalife le long du littoral. Ce grand chef avait ordre de reprendre avant tout Banias. Il se mit immédiatement en marche et vint assiéger cette place forte.

Yahia, dit le baron Rosen, place exactement à ce moment la disgrâce et la chute du fameux parakimomène Basile, disgrâce et chute dont il va être question tout à l’heure. Surtout ce chroniqueur fait comprendre, malheureusement en termes fort obscurs, qu’il dut y avoir une corrélation très étroite entre ce grand fait et l’attitude subséquente du nouveau duc d’Antioche. Les Byzantins, il est vrai, qui, ainsi que nous le verrons, parlent d’une intrigue nouée contre Léon Mélissène lors de l’expédition malheureuse du basileus en Bulgarie dans l’été de l’an 986, placent la chute de l’eunuque à une date bien postérieure, seulement après la mort de Bardas Phocas dans le cours de l’an 989. Telle semble du moins être la version de Psellos, historien d’ordinaire très véridique.[46] Dans cette pénurie universelle d’informations, il est difficile de sa voir où se trouve exactement la vérité. Cependant du récit de Yahia on peut inférer avec une quasi-certitude que dès ce moment, quelque sourd complot avait commencé à se tramer contre le basileus entre le parakimomène d’une part, depuis longtemps gêné et exaspéré par les velléités d’indépendance sans cesse croissantes de son impérial pupille de l’autre, les grands chefs militaires tels que Bardas Phocas et Léon Mélissène qui estimaient comme trop effacé leur rôle actuel dans la direction générale des affaires. Probablement le sac du monastère de Saint Syméon, si fameux dans tout l’Orient à cette époque, puis, presque aussitôt après, la prise de la forte place de Balanée par les troupes africaines du Khalife d’Égypte, furent considérés  par les conjurés comme des événements très malheureux pour la dynastie, destinés à hâter l’accomplissement de leurs noirs desseins. Probablement encore Léon Mélissène, expédié par le basileus pour reprendre Balanée, devait se démasquer au moment convenu et soulever ses troupes, le secours de Bardas Phocas et, par suite, celui de tout le reste de l’armée d’Asie, lui ayant été d’avance assuré. D’autre part, en Europe, les mêmes conjurés de haut bord espéraient bien certainement, en faisant remettre en liberté les deux fils du défunt tsar Pierre de Bulgarie, provoquer de nouveau les agressions des armées de cette nation. Enfin, durant les troubles qu’on allait ainsi fomenter, durant l’émeute urbaine qu’on organiserait vraisemblablement, les conjurés espéraient bien se défaire d’une manière ou d’une autre des basileis. Ce coupable projet finit par échouer parce que l’empereur Basile en découvrit trop tôt la trace et déposa et exila à temps, ainsi que nous l’allons voir, l’agent principal de toute cette conspiration, je veux dire le trop fameux parakimomène.

Durant que les événements à Constantinople tendaient précipitamment à cette issue si désastreuse pour les conjurés, Léon Mélissène, un d’entre eux, s’efforçait donc de reprendre Banias aux Égyptiens. Yahia, en quelques mots obscurs qu’il faut presque deviner, nous le montre mal informé des événements à cause de la distance, ignorant absolument la catastrophe qui venait d’atteindre le tout-puissant eunuque, répandant au contraire autour de lui la nouvelle, qu’il pensait véritable, du succès de la conspiration à Constantinople, enfin abandonnant subitement son poste et le siège de Balanée pour courir joindre ses troupes à celles de Bardas Phocas, qu’il croyait de retour à Antioche, prêt à se soulever au premier signal venu de Constantinople, et auquel certainement un rôle fort important avait été réservé par les conspirateurs. « Et le bruit courut dans l’armée, dit Yahia, que Léon Mélissène s’était soulevé et avait abandonné le siège de Banias. » Mais Bardas Phocas, plus avisé, averti à temps avant Mélissène de l’échec de la conspiration dans la capitale, se tint coi et poursuivit ses opérations contre l’émir d’Alep. Yahia nous en a dit seulement l’issue, qui était du reste facile à prévoir. Saad Eddauleh forcé une fois de plus de demander l’amân, dut prendre l’engagement pour ses sujets, non seulement de payer le tribut annuel fixé par le dernier traité, mais encore de solder les annuités en retard, ce qui faisait de ce seul chef une somme de quatre cent mille dirhems.[47] Yahia dit que cette nouvelle convention fut signée en l’an 376 de l’Hégire, c’est-à-dire bien probablement dans le courant de l’été de l’an 986, précisément au moment si grave pour l’empire, de la première campagne de Bulgarie.

Ce tribut en retard était une punition bien légère pour la conduite déloyale de l’émir, surtout pour cette sanglante dévastation du grand monastère de Saint Syméon et l’odieux massacre de tant de moines innocents; mais, d’autre part, Bardas Phocas avait tout intérêt, à être débarrassé au plus vite de cette campagne contre Alep, pour se trouver prêt à toute éventualité, de l’autre la mansuétude même du basileus à l’endroit de ce faible adversaire peut fort bien s’expliquer par le vif désir qu’on devait avoir aussi au Palais Sacré d’en finir avec ces éternelles affaires de Syrie, de manière à être à tout hasard libre de ses mouvements. Pour ces mêmes raisons, Basile, bien que délivré de tout danger immédiat au palais et débarrassé du terrible parakimomène, ne put pas se montrer aussi sévère qu’il l’eût certainement désiré pour les autres conjurés de marque. Aussi le voyons-nous pardonner à Léon Mélissène, si coupable cependant, et passer l’éponge sur sa pitoyable incartade. La seule punition infligée par lui au lieutenant qui avait voulu le trahir fut de le renvoyer devant Balanée dont il avait si honteusement abandonné le siège. « Le basileus, dit Yahia dans son récit malheureusement d’une déplorable brièveté, se fâcha contre Léon Mélissène et lui donna le choix ou de retourner prendre Balanée ou de payer de sa poche les frais de la première expédition et de céder la place à un autre. Léon Mélissène, heureux certainement d’être quitte à si bon compte d’une aventure qui eût pu lui coûter la liberté ou la vie, s’engagea à reprendre la forteresse. Il repartit aussitôt mettre de nouveau le siège devant la malheureuse petite cité. Il fit construire, dit l’historien syrien, un bélier si puissant qu’une des tours du rempart s’écroula promptement avec sa courtine sous les coups furieux de ce diabolique engin. La garnison égyptienne, pour éviter l’assaut et le massacre qui eût fatalement suivi, demanda l’aman et s’éloigna aussitôt pour retourner probablement à Damas. L’injure faite au gouverneur impérial par les guerriers du Fatimide était brillamment vengée. Léon Mélissène fit relever le pan de muraille détruit, restaura les remparts et, laissant une forte garnison dans la ville reconquise, reprit de son côté la route d’Antioche.

Quant à Bardas Phocas, moins coupable, puisqu’on ne pouvait lui reprocher aucun acte de rébellion ouverte, mais qui certainement avait été, dans le fond de l’âme, d’accord avec les conjurés, Basile se contenta de le destituer de sa haute charge de domestique des Scholes orientales, lui laissant celle de duc d’Antioche et de toutes les marches d’Orient.[48]

Kémal ed-din raconte qu’en cette même année 376 de l’Hégire l’émir Saad reconnut à nouveau le pouvoir du Khalife d’Égypte et fit dire au nom de celui-ci la prière officielle dans Alep. Dans le mois de cha’bân de cette année, c’est-à-dire dans le courant de décembre de l’an 986, Al-Aziz lui envoya en signe d’investiture des vêtements d’honneur. Ce rapprochement entre l’émir et le Khalife fut peut-être la suite de la défaite des troupes impériales grecques dans le Balkan, défaite qui dut avoir dans tout l’Orient un retentissement considérable. Prévoyant, bien à tort, l’affaiblissement de la puissance byzantine pour de longues années, l’émir se serait trop hâté de se rapprocher des Égyptiens. « Les choses, dit excellemment le baron Rosen, peuvent très bien s’être passées ainsi, cependant le témoignage de Kémal ed-din, entièrement isolé, en opposition avec tout ce qui précède, et qui n’est confirmé par aucun autre chroniqueur, ne manquera pas d’éveiller certaines suspicions. »

Il est temps de parler avec plus de détail de ce changement capital qui se préparait lentement dès longtemps dans les conseils suprêmes de l’immense empire, changement qui eut à ce moment sa solution définitive, transformant profondément les conditions mêmes du gouvernement en en modifiant du tout au tout l’esprit et la direction, et agissant de la sorte extraordinairement sur toutes les circonstances politiques extérieures et intérieures de la monarchie. Ce changement si profond, ce fut la chute du parakimomène depuis tant d’années tout-puissant, sa disgrâce et son exil, bientôt suivis de sa mort. Longtemps nous avons été très mal renseignés sur l’époque vraie de ce mémorable événement. Skylitzès et Cédrénus, qu’on suivait d’habitude, semblaient en fixer la date aussitôt après la fin de la première révolte de Bardas Skléros, c’est-à-dire dès l’année 980 environ.[49] Les byzantinistes se sont crus mieux renseignés depuis qu’ils possèdent la Chronique de Psellos. Cet historien d’ordinaire excellent, presque contemporain de ce règne, dit très nettement que la disgrâce de l’eunuque survint seulement un peu après la fin de la rébellion et la mort de Bardas Phocas à la bataille d’Abydos, au printemps de 989. Mais, cette fois, l’éminent écrivain du XIe siècle semble bien avoir commis une grave erreur. La publication, par le baron Rosen, de la Chronique de Yahia nous a enfin donné la date de 985, qui paraît bien être décidément la vraie. Hâtons-nous de dire cependant que cette catastrophe qui emporta le fameux ministre après cette longue existence où il avait presque constamment brillé au premier rang, après que dans ce seul dernier règne il eut constamment gouverné l’empire durant neuf années consécutives, ne fut pas l’effet d’un moment. Je l’ai dit, elle s’était dès longtemps lentement préparée; dès longtemps le jeune aiglon, héritier de la couronne des basileis, maintenant parvenu à l’âge d’homme, supportait impatiemment le joug intransigeant, âpre, violemment autoritaire, de son vieux premier ministre. Il n’était pas possible qu’il pût en advenir autrement, étant donnés les deux personnages et leurs situations respectives.

Il se passa petit à petit entre ces deux hommes ce que nous avons vu de nos jours se passer au cours d’une disgrâce autrement illustre. Le parakimomène tout-puissant, se reposant orgueilleusement sur tant de services rendus, sur la confiance à lui témoignée par quatre basileis successifs, sur la part si grande qu’il avait prise à l’avènement de chacun, sur son origine impériale enfin qui, bien qu’irrégulière, ne manquait pas de rehausser extraordinairement son prestige; le parakimomène, dis-je, croyant n’avoir toujours affaire qu’à des enfants, avait longtemps continué à gouverner comme s’il fût l’unique souverain. Il dut, dans ce rôle poursuivi obstinément durant plusieurs années, cruellement froisser à maintes reprises un homme aussi jaloux de la suprême puissance que l’était le basileus Basile, se refuser probablement — l’histoire est toujours la même — à lui céder à un moment la moindre parcelle d’autorité. Certainement, aveuglé par sa situation d’omnipotence, il ne sut ni comprendre ni deviner quel homme était son impérial pupille.[50]

Probablement aussi Basile, qui, dans l’origine, semble avoir, éprouvé le besoin de placer sa jeunesse et son ignorance des affaires sous la protection de cette vieille et parfaite expérience finit assez promptement par s’effaroucher. Cependant force lui fut de patienter très longtemps. Les premiers symptômes du réveil du lion n’apparaissent que plusieurs années après les débuts du règne, plusieurs années durant lesquelles le vieil eunuque demeura certainement tout-puissant, le véritable maître de l’empire enfin, luttant contre le terrible Bardas Skléros, envoyant contre lui Bardas Phocas, combattant les Allemands en Italie, les troupes du Khalife d’Egypte en Syrie. Soudain nous voyons la situation se modifier. Une goutte d’eau a fait déborder le vase. La disgrâce du tout-puissant ministre va se précipiter.

Voici comment les chroniqueurs racontent cette tragédie de palais qui en rappelle de si près une autre toute récente où un homme d’Etat longtemps tout-puissant a été si aisément déposé et brisé par un jeune et fougueux empereur impatient de régner seul:

« Basile, disent ces écrivains qui jusque-là avait mené une vie de dissipation, résolut subitement de modifier son existence. Il se fit brusquement chez lui un revirement complet. La première manifestation publique de cet état d’esprit nouveau qui montra d’une manière éclatante le changement survenu dans le caractère de l’empereur fut la disgrâce foudroyante du parakimomène. L’eunuque, auquel Basile avait si longtemps abandonné le pouvoir, et qui était en même temps son parent puisqu’il se trouvait être le demi-frère de sa grand-mère, femme du basileus Constantin,[51] avait toujours été personnellement très attaché à son pupille. Il l’aimait fort et avait gouverné au mieux de ses intérêts. Mais il s’était rendu impopulaire à tous par sa dureté, sa rapacité, insupportable au jeune basileus par son humeur essentiellement autoritaire Tout en cet homme extraordinaire, ajoute Psellos, auquel nous devons ce précieux détail inédit, tout en lui: apparence, stature et maintien, révélait sa haute origine et était véritablement impérial. Il avait la taille d’un géant, l’attitude la plus noble et la plus imposante, malgré sa qualité d’eunuque. »

Son expérience des affaires publiques, dont Jean Tzimiscès, vivant constamment dans les camps, lui avait abandonné l’entier maniement durant tout son règne, était immense. Basile, à son tour, en montant sur le trône, lui avait tout remis en mains, le civil comme le militaire, si bien que, suivant l’expression très particulière du chroniqueur, « il fut bien comme l’athlète qui courait dans le stade durant que le jeune basileus le regardait agir, non point toutefois pour lui placer sur la tête la couronne de victoire, mais bien pour apprendre de lui sa leçon, pour apprendre à courir un jour la course en son lieu et place ».

Après avoir raconté la fin tragique de Bardas Phocas et comment à partir de ce moment l’empereur changea complètement de caractère, après avoir décrit cette transformation si totale et si curieuse, Psellos, qui, je l’ai dit, place ainsi à une date de quatre ans trop tardive la chute de l’eunuque, poursuit à peu près en ces termes: « Le basileus ne voulut plus laisser davantage l’administration de l’empire aux mains du parakimomène. Violemment jaloux de lui, il se mit petit à petit à l’exécrer, sans aucun souci ni des liens du sang qui les unissaient, ni de tous les immenses services que l’eunuque lui avait rendus, ni de la situation si élevée qu’il occupait depuis si longtemps. Rien ne put attendrir le jeune souverain. Il ne voulut pas davantage tolérer l’infortuné ministre même en qualité de second à ses côtés. Après mûre réflexion, il se décida subitement à lui enlever toute espèce d’autorité. Et il le fit sans égards aucuns, sans le moindre ménagement, cruellement, avec une simplicité brutale, à la stupéfaction de tous. Au lieu de lui demander sa démission, il le chassa du Palais, le mettant aux arrêts dans sa demeure, avec défense expresse d’en sortir. » Comme c’est presque toujours le cas, le colosse avait des pieds d’argile. Cet homme qui avait été longtemps si arrogant, si redoutable, ne put et ne sut faire autre chose qu’obéir au signe que lui fit son maître aussitôt que celui-ci daigna se révéler. Il se résigna sans murmure apparent. Mais même ce premier si complet effondrement ne parvint pas à calmer la rancune impériale. Presque aussitôt Basile fit embarquer de force le malheureux et l’envoya en exil, probablement dans quelque monastère des rives du Bosphore.

Tel est le dramatique récit des Byzantins. Toutefois, depuis que nous possédons des extraits de la Chronique de l’historien syrien contemporain Yahia, publiés par le baron Rosen, il est permis de penser que les choses ne se passèrent pas tout aussi simplement. Nous pouvons même entrevoir que l’eunuque avant de se laisser déposer aussi aisément, avait cherché à résister, même qu’un complot avait été en voie d’organisation, peut-être sous son impulsion directe, certainement avec son assentiment, dans le but de paralyser dans l’oeuf les velléités d’indépendance du jeune basileus, peut-être même de s’assurer de sa personne. Malheureusement le passage dans lequel Yahia, écrivain d’ordinaire très claire et très précis, nous parle à mots couverts de ces faits, que les Byzantins, inspirés par leur zèle dynastique, ont entièrement passés sous silence, est fort obscur. On devine que le chroniqueur syrien a eu à sa disposition une source contemporaine, très probablement d’origine byzantine, source très détaillée, mais dont il a tiré le plus mauvais parti en l’abrégeant à outrance.

Pour me résumer, il ressort de la lecture attentive de ces lignes de Yahia que dans le courant de l’an 985 il dut y avoir à Constantinople quelque vaste complot contre l’empereur, complot que nous ne pouvons aujourd’hui que soupçonner et dont l’existence nous est surtout révélée par l’attitude infiniment louche prêtée par ce chroniqueur à Léon Mélissène, un des chefs de l’armée en Syrie, et par le châtiment même infligé par le basileus à ce capitaine et à un autre des principaux chefs impériaux, Bardas Phocas, après l’avortement de leurs coupables menées. Avec un peu d’attention, en lisant entre les lignes, il devient presque facile de reconstituer tout cet épisode, du moins dans ses grands traits.

Voici ce qui a dû se passer: Lorsque l’eunuque, depuis longtemps en butte aux mauvais procédés de son royal pupille, se fut bien convaincu que celui-ci était décidé à le sacrifier, il s’aboucha avec les chefs de l’armée, mécontents du peu de cas que Basile semblait faire de leurs avis, furieux de voir que le jeune basileus ne paraissait vouloir tenir aucun compte des conventions de jadis par lesquelles le Palais Sacré s’était engagé à ne plus rien entreprendre sans les consulter et sans être d’accord avec eux. Ce fut de la sorte qu’un vaste complot dut s’organiser, ainsi que je l’ai raconté plus haut. Malheureusement pour les conjurés, la première partie de leur programme échoua misérablement par l’énergie du basileus, qui n’hésita pas à mettre la main sur l’eunuque, auteur principal de tout ce trouble, et celui-ci, comme de nos jours le plus fameux des ministres modernes, grandi comme lui dans l’air des cours, céda sans la moindre résistance à l’énergique volonté de son jeune maître. Il n’en fut pas de même de la seconde partie de ce plan criminel qui eut, bien malheureusement au contraire, on le verra, le succès le plus complet, succès d’une forme peut-être bien inattendue pour les conjurés eux-mêmes. En effet, l’expédition du basileus Basile en Bulgarie, provoquée par les agressions si vives des Bulgares, agressions qui avaient eu elles-mêmes pour cause première la fuite des deux princes bulgares fils du tsar Pierre et l’activité inouïe déployée par le comitopoule Samuel, chef du parti national en ce pays, se termina par une lamentable catastrophe. Et cette nouvelle du désastre de l’armée impériale dans les gorges du Balkan, rapidement portée à Bagdad, dut contribuer puissamment à la mise en liberté de Bardas Skléros et, par contre coup, fournir à Bardas Phocas lui-même l’occasion de poursuivre ses projets ambitieux. Seules l’extraordinaire énergie déployée par le jeune basileus Basile, énergie merveilleuse que les conjurés n’avaient point prévue, puis plus tard l’assistance si opportune d’un corps auxiliaire russe, réussirent à amener la victoire finale du jeune et vaillant empereur.[52]

J’ai dit le départ forcé, le dur exil du malheureux parakimomène. Ce n’était là que le commencement des infortunes qui accablèrent ce grand ministre tombé, de cette disgrâce si brutale et si complète à la fois, qu’elle brisa cette âme vigoureuse et tua ce corps de fer. Pour lui enlever tout espoir d’un retour de fortune, il fut, sur l’ordre du basileus inexorable, dépouillé de tous ses biens immenses, amassés en tant d’années de pouvoir absolu. Palais, maisons, fermes, domaines, fortune mobilière, argent, joyaux, pierres précieuses, objets de prix, tout fut confisqué. Puis, par un raffinement de cruauté, Basile, comme s’il voulait effacer toute trace du passage de sa victime aux affaires, fit procéder d’urgence à la recherche de tous les actes de ce long ministère. On éplucha chacune des mesures prises par le parakimomène, et tout ce qui, dans les choses d’intérêt public, parut au basileus porter la trace des visées personnelles ou l’empreinte des idées particulières à l’eunuque, fut impitoyablement cassé, abrogé, déclaré nul et non avenu. « Le jeune empereur, dit le chroniqueur, feignit d’ignorer toute cette oeuvre immense accomplie par son ministre pour le bien de l’État, ne laissant debout que les mesures d’ordre général qui, ne portant aucune marque particulière, eussent pu être édictées par n’importe qui. »

L’eunuque, dont les richesses étaient immenses, avait fait construire dans la capitale un monastère superbe qu’il avait consacré à son glorieux homonyme et patron, le grand saint Basile.[53] Il l’avait doté de très grands biens, de revenus considérables. Basile, violemment tenté de faire jeter bas cet édifice admirable, n’osa toutefois aller aussi loin. Il se contenta d’arrêter les travaux et de faire mettre le beau couvent dans un tel état de délabrement que les moines en furent réduits à la misère noire.[54]

« Ainsi, dit Psellos, le malheureux chambellan fut torturé de jour en jour. Accablé par la douleur d’une telle injustice et d’une telle chute, rien ne put le consoler de sa disgrâce, qui lui parut insupportable. Il s’effondra rapidement. Son intelligence même se voila. Cette nature si forte, si grande, si richement douée, devint un corps sans âme, un cadavre vivant. Sa noble prestance fit place à une complète décrépitude. La vieillesse aussi était venue qui avait diminué sa vigueur naturelle. Le ramollissement cérébral, suite d’une pareille secousse, la sénilité, firent des progrès extraordinaires, et le malheureux ne tarda pas à succomber, exemple tragique de la vanité des choses humaines. Nous n’avons aucun détail sur la date précise ni sur les circonstances de cette fin lugubre. Nous ignorons même quel fut le triste lieu d’exil assigné au parakimomène sur les rives du Bosphore par un maître impitoyable, quel fut le couvent qui vit la fin de ce fils d’empereur tombé de si haut. Basile le parakimomène demeurera une des figures intéressantes de l’histoire byzantine. Depuis sa première arrivée aux affaires publiques, il avait joué un rôle presque constamment prépondérant dans l’État.[55]

Immédiatement après cette chute retentissante, disent à l’envi tous les chroniqueurs,[56] il se fit un changement étrange, merveilleux, dans la manière d’être du jeune empereur. « Comme subitement, dit Psellos, il parut apprécier tout différemment la grandeur de son rôle et les difficultés de sa haute situation. Il en parut si impressionné que toute son existence en fut soudain transformée. D’un viveur qu’il avait été il devint une sorte d’ascète couronné. Alors que jusque-là il n’avait vécu que pour ses plaisirs à l’égal de son frère plus jeune, il se consacra dès lors exclusivement aux plus sérieuses affaires de l’État et renonça d’un coup à toute espèce de dissipation. » Il n’eut plus le culte de son corps. Il s’abstint dorénavant de toute bonne chère, de tout confort, menant la vie la plus sobre, la plus frugale, « observant strictement la chasteté, vêtu avec la plus rigide simplicité, ne portant sur lui aucun ornement », pas même une chaîne ou un collier à son col, jamais de diadème au front, ni même de vêtements de pourpre. Il ôta de ses doigts toutes ses bagues, ne porta plus que des vêtements de couleur sombre. Il ne parut plus absorbé que par une unique pensée, faire concourir tous ses actes à l’accroissement et à la consolidation de son autorité personnelle, unique, surtout l’empire, « à la consécration de l’harmonie impériale », suivant l’expression même de Psellos.

Souverainement jaloux de cette autorité, il se défia dorénavant de tous. Il se défia même de son frère, ce prince d’un si pauvre et faible caractère, qui ne fut vraiment son associé que de nom et auquel, fort heureusement pour la chose publique, ainsi que le dit Psellos, il ne laissa qu’une ombre de pouvoir, réduisant sa cour et sa garde à fort peu de chose, semblant toutefois jalouser encore cet état si médiocre. Constantin accepta avec une bonne grâce admirable cette situation inférieure, contraire même aux volontés paternelles, qui, pour un autre, eût été si humiliante, et eût pu devenir cause des plus violentes luttes intestines. Malgré sa jeunesse, âge où d’ordinaire on est ambitieux, sa nature presque féminine, ses moeurs de libertin s’accommodèrent facilement de cette vie inutile consumée dans les plaisirs de l’amour, du jeu, de la campagne, du bain et de la chasse, parmi de gais et frivoles compagnons. Psellos, qui semble favorable à ce prince, dit qu’il faut le louer pour tant d’abnégation.[57] Durant ce temps son frère aîné volait aux frontières de l’empire, repoussant à l’orient comme à l’occident, au midi comme au septentrion, les ennemis barbares qui le menaçaient incessamment.

Donc, à l’égal de tant d’autres princes qu’on pourrait citer tout au travers de l’histoire, après une jeunesse orageuse ensevelie dans les plaisirs, passionnée pour tous les désordres de l’âme et du corps, consumée dans les frivolités, Basile, arrivé à l’âge d’homme (il avait à ce moment environ vingt-sept ou vingt-huit ans), se transforma soudain et ne vécut plus que pour son ambition, la gloire militaire et la grandeur de son immense empire. Psellos, qui avait encore dans son enfance connu des  vieillards ayant vécu aux côtés de l’illustre empereur, dit encore ceci: « La plupart de nos contemporains qui avaient connu le basileus Basile parlaient de lui comme d’un prince impérieux, de nature rude, abrupte, de caractère obstiné, prompt à la colère, de vie austère, détestant toute délicatesse et toute mollesse. Mais, à ce qui m’a été dit par les historiens de son époque, ce prince n’avait point été toujours ainsi et avait eu au contraire une jeunesse dissolue et débauchée. Puis, les circonstances ayant agi sur sa vigoureuse nature à la manière d’un fortifiant extraordinaire, il s’était subitement transformé et était devenu uniquement et définitivement sérieux, serrant vivement en ses mains les rênes du pouvoir qu’il avait jusque-là laissé flotter au gré de ses passions, formant résolument le livre de son passé. Au début de ses ans il s’était livré sans pudeur, publiquement, aux plus folles orgies; il avait eu maintes liaisons amoureuses; il avait adoré la société de ses compagnons de fête. Mais, après les révoltes de Bardas Skléros, après celle de Bardas Phocas, après d’autres circonstances graves encore qui avaient mis l’empire en péril extrême,[58] il quitta, toutes voiles dehors, les rivages du pays de luxure et se dévoua corps et âme aux plus sérieuses occupations.

« Il entendit désormais assurer son pouvoir par la terreur et non par la bonne volonté. De plus en plus il voulut gouverner et administrer entièrement par lui-même et, à mesure qu’il prit de l’âge, son expérience personnelle le rendit absolument indépendant de celle de ses conseillers. Suivant l’expression même adoptée par Psellos pour exprimer le caractère de son absolutisme impérial, « il dirigea le navire de l’Etat non d’après des lois écrites, mais d’après les lois instinctives de sa propre nature, si forte et si bien constituée, et, dans cet esprit, il ne tint nul compte des intelligences cultivées qui pouvaient l’entourer; tout au contraire, il les dédaigna profondément. Ce fut là, nous le verrons, un des caractères essentiels de ce règne: la culture intellectuelle ne fut point protégée par le prince, mais bien méprisée, découragée, persiflée par lui. Cela faisait partie de son système général d’abaissement de la noblesse et des classes élevées, qui alors étaient les classes intellectuelles. Nous verrons que l’éducation des nièces du basileus, Zoé et Théodora, fut entièrement négligée, Ses secrétaires furent des hommes de rien et de nulle éducation, mais il formulait toutes ses dépêches dans un style si simple et si primitif qu’il n’était guère besoin de préparation pour savoir les rédiger. Cela n’empêche qu’au dire des auteurs, les philosophes et les rhétoriciens demeurèrent nombreux sous ce long règne. Et Psellos, qui note ce fait comme curieux, fait cette remarque, que pour ces hommes la culture de l’esprit fut bien la fin même et le but de leurs existences et ne put jamais être un moyen pour arriver à la faveur du souverain ou à la fortune, « puisque maintenant, dit-il, l’argent est la fin de tout ».

De même Zonaras insiste sur ce changement extraordinaire qui se fit à ce moment dans l’âme du basileus, changement qui entraîna la chute du parakimomène. « Basile, dit-il, devint hautain, réservé, défiant, inexorable dans sa colère. Il abandonna pour toujours sa vie de plaisirs de jadis. »

 

 

 



[1] Son véritable nom était Abou’l Fawaris Bakgour Alhagibi Alkasiki.

[2] 2 oct. 973 au 24 sept. 974.

[3] Il avait été chassé d’Alep par Kargouyah vers la fin de l’an 968. Un Empereur Byzantin du Dixième Siècle.

[4] Au mois de redjeb de l’an 365 de l’Hégire. Cette date est donnée par Kémal ed-din.

[5] Au mois de rebia de l’an 367 de l’Hégire (Kémal ed-din).

[6] 19 août 977 au 9 août 978.

[7] Voyez Un empereur Byzantin au Dixième Siècle.

[8] Zonaras dit que « Bardas Skléros s’était allié aux émirs de Hamah, de Mayyafarikin et aux Arabes ».

[9] Cet événement eut lieu en 982.

[10] Voyez Wüstenfeld.

[11] Djoumada de l’an 371 de l’Hégire.

[12] Nowaïri.

[13] « Maghrébins ou encore Occidentaux ».

[14] C’est-à-dire « de la tribu berbère Sinhàdja ou Sânhadja ».

[15] Ce Nazzâl reparaît dans les années 378 et 381 de l’Hégire toujours encore en qualité de gouverneur égyptien à Tripoli. Il fut, au dire d’Ibn Zafir, une des créatures du fameux vizir chrétien Issa, fils de Nestouros.

[16] Ibn el Athir est fort mal renseigné sur Mouffaridj.

[17] An 372 de l’Hégire.

[18] Et non le basileus Basile en personne, comme Ibn el Athir le dit par erreur.

[19] Nous devons ce détail Elmacin. Yahia n’en souffle mot.

[20] Ou 25.

[21] La présence de ce chef bédouin au camp chrétien est une confirmation de l’accusation de trahison portée contre lui par Kémal ed-Din. Mouffaridj semble avoir joué dans tous ces événements un double jeu fort peu honorable.

[22] On pourrait supposer encore, dit M. Rosen, que Bardas Phocas, après avoir battu Bakgour, voulut profiter de l’occasion pour occuper définitivement Alep, mais que Saad, ayant deviné ses intentions, lui résista si énergiquement que le domestique dut se contenter de signer un nouveau traité pour éviter un long siège qui eût donné à Bakgour le temps de reparaître devant Alep avec des forces nouvelles.

[23] Nous avons vu que Sergios, évêque de Damas, à la suite de cette conquête, avait quitté l’Orient pour se réfugier à Rome.

[24] Yahia dit le jeudi 14 du mois de rebia’ second, qui correspond au 25 septembre.

[25] Et non 500 000! comme le dit le baron Rosen.

[26] Ou T-a-th-i-a-vil, éristhav », noble?

[27] Il mourut vers 1025 à Alep, où sa tombe, au dire d’Elmacin se voyait aux environs de Bab-Kinnesrin.

[28] 19 djoumada premier de l’an 373 de l’Hégire.

[29] Ibn Zafir dit que Homs tomba alors pour la seconde fois aux mains des Grecs. Il est difficile de savoir quelle première prise de cette ville par les chrétiens le chroniqueur musulman fait ici allusion.

[30] Voyez dans Rosen, le récit de cette défaite de l’empereur Romain. Elmacin ne dit rien absolument de cette expédition de Bardas Phocas.

[31] Lebeau et après lui Muralt ont rapporté à tort cet événement aux années 1022 ou 1023.

[32] Hist. Armée des Croisades.

[33] Voyez dans l’édition de Moquaddassi de G. Le Strange (Description of Syria including Palestine) la description enchanteresse de Damas précisément aux environs de l’an 985, l’abondance de ses marchés, la richesse, la beauté de ses bains et de ses fontaines, mais aussi la turbulence de ses habitants. La grande mosquée est décrite comme étant la plus belle de toutes les terres musulmanes. Damas était à cette époque le grand rendez-vous des pèlerins allant à la Mecque. Ce mouvement continuel y amenait un immense trafic.

[34] Voici une coïncidence curieuse qui peint bien cette époque de terreur pour la Syrie incessamment violée par les troupes grecques. Moquadassi, dans sa précieuse Description de la Syrie, rédigée très probablement dans le cours de cette même année 985, s’exprime en ces termes: Par toute la Syrie on rencontre des hommes riches et faisant du commerce, aussi des libraires, des artisans de divers métiers, des médecins. Mais toute la population y vit dans une terreur constante des Byzantins, exactement comme si elle vivait en exil, car ses frontières sont incessamment ravagées par eux et ses places fortes sont constamment prises et reprises.

[35] Elmacin dit que ce fut Dara (ou Daras), forteresse célèbre non loin de Nisibe, mais cette localité est bien trop éloignée.

[36] « Au mois de safar de l’an 375. »

[37] Elmacin donne les mêmes indications, mais d’une manière fort confuse. Il vaut mieux s’en tenir Yahia.

[38] Le poète Alwasani a fait allusion à ce sac du fameux couvent chrétien dans une de ses pièces de vers.

[39] C’est donc bien à cette date, et non à l’année 373 de l’Hégire (15 juin 983 au 4 juin 984), qu’il faut placer le sac de ce couvent par les Alépitains.

[40] Ou le 8. En tout cas un des premiers jours de ce mois de septembre.

[41] C’est encore à Yahia que nous devons ce détail.

[42] Le but de Saad, en faisant opérer cette diversion par ses troupes, avait donc été atteint, du moins partiellement. Durant qu’il faisait le siège d’Apamée, Bardas Phocas avait envoyé dans la direction du nord-ouest, à Kefer Tab’, l’ancienne Kafartholia des guerres juives, un détachement de ses troupes battre un gros de Bédouins et de troupes alépitaines qui cherchait à l’inquiéter.

[43] « Bulunyas » dans Moquadassi.

[44] Dans la description si curieuse de la Syrie par Moquadassi, précisément vers cette époque, exactement vers l’an 985, on lit quelques précieux passages qui ont trait à cette lutte incessante entre les Africains et les troupes byzantines en Syrie, surtout le long du littoral de cette province. Ainsi l’auteur, décrivant avec soin les fortifications puissantes de Sour, la Tyr antique, son port si bien protégé dans lequel chaque soir se retirent les vaisseaux, ajoute: « Chaque soir, aussitôt après cette rentrée, on tend une chaîne à l’entrée du port. Ainsi les Grecs ne peuvent attaquer nos navires. » Plus loin encore on lit ce qui suit: « Tout le long du littoral de la province de Syrie sont disposés les postes d’observation (ribét) où s’assemblent les milices. On voit aussi venir dans ces ports les vaisseaux de guerre et les galères des Grecs, amenant les captifs faits par ceux-ci sur les Musulmans, offrant de les vendre au prix de cent dinars pour chaque trois prisonniers. Et dans chacun de ces ports il y a des gens qui savent le grec, parce qu’ils ont été en mission chez les Byzantins, ou fait avec eux le commerce de diverses marchandises. Aux stations d’observation, dès qu’un vaisseau grec est en vue, on sonne de la corne; et si c’est de nuit, on allume un grand feu sur la tour, ou si c’est de jour, on fait une forte colonne de fumée. De station en station, jusqu’à la capitale de la province maritime, qui est Ramleh, sont disposées de hautes tours ayant chacune pour la garder une compagnie de soldats. A l’arrivée des vaisseaux grecs, ces hommes, dès qu’ils les aperçoivent, allument le bûcher disposé sur la tour la plus proche. Puis les gardiens des tours voisines allument leurs feux de proche en proche. Si bien qu’une heure ne s’est pas écoulée qu’à Ramleh les trompettes sonnent et les tambours battent aux champs, appelant les hommes armés dans leurs stations respectives sur le rivage. Ils y accourent en armes et les jeunes hommes de chaque village se rassemblent. Alors commencent les négociations pour le rachat des prisonniers. On échange des captifs ou bien on offre pour les racheter de l’argent, des bijoux, jusqu’à ce que tous ceux qui ont été amenés par les vaisseaux grecs aient été mis en liberté.

[45] Ce détail est peu vraisemblable car Bardas Phocas était, toujours encore duc d’Antioche.

[46] Il est vrai que, Psellos ne donnant jamais de dates, il ne faut peut-être pas attacher une importance trop grande la simple succession des faits dans son récit. De ce que deux faits sont indiqués par lui l’un à la suite de l’autre, il ne s’ensuit pas nécessairement que le second ait suivi immédiatement le premier.

[47] Elmacin dit « quarante mille seulement. »

[48] Cédrénus (c’est-à-dire Skylitzès), il est vrai, dit le baron Rosen, ignore cette disgrâce de Bardas Phocas. Ce chroniqueur semble même dire clairement, de même du reste que Zonaras, que ce grand chef était encore domestique des Scholes orientales à l’époque de la première campagne de Bulgarie. Par contre, Psellos nous apprend que la cause de la rébellion de ce capitaine en 987 fut, qu’« honoré d’abord de grands honneurs et plus tard de moindres » il se voyait déçu dans ses espérances. Le fait, rapporté par Skylitzès et par Cédrénus, que Bardas Phocas en voulait au basileus de ce que celui-ci n’avait pas réclamé ses avis lors de l’expédition de Bulgarie est très admissible, mais le même chroniqueur nous donne plus tard exactement le même motif pour la rébellion de Bardas Skléros et aussi pour celle du fils même de Bardas Phocas, Nicéphore Phocas. Il est bien à craindre que ce soit l’un de ces clichés si chers à ces Byzantins d’imagination peu fertile.

[49] Ces chroniqueurs disent que lors du retour de Bardas Skléros de Bagdad, retour à peu près contemporain de la révolte de Bardas Phocas, le parakimomène était déjà en exil. Plus loin, ils répètent encore que cet exil eut lieu bientôt après la fuite de Bardas Skléros à Bagdad. Zonaras dit la même chose, mais en termes bien moins explicites.

[50] Serait-ce au parakimomène et au rôle joué par lui auprès de son pupille que fait allusion cette phrase des Conseils et récits d’un grand seigneur byzantin publiés par M. Wassiliewsky? Un homme âgé et dépourvu de raison disait au seigneur Basile le Porphyrogénète, dont il souhaitait la perte: « Tiens le peuple dans la misère. » L’écrivain anonyme ne cite ces paroles odieuses que pour protester contre de pareils sentiments et pour en faire apprécier les conséquences déplorables.

[51] Et non son demi-frère à lui, comme dit Psellos par erreur. Il était, je le rappelle, fils naturel de Romain Lécapène, le beau-père de Constantin Porphyrogénète.

[52] Au fond, pour la suite de ces événements mémorables, la version de Psellos est à peu près identique à celle que je viens de développer; seulement ce chroniqueur place à tort tous ces faits à une époque beaucoup trop tardive. Basile, dit-il plus loin à propos de la naissante faveur de Romain Skléros, avait disgracié le parakimomène, sentait critiquer chacun de ses actes et chercher l’occasion de commettre quelque crime sur sa personne. Après l’avoir chassé du palais, il lui avait ordonné de garder les arrêts dans sa maison. Puis, voyant l’homme toujours plus exaspéré s’agiter en toutes sortes d’intrigues pour tâcher de ressaisir le pouvoir, il l’avait relégué sur le Bosphore, le dépouillant de toute son immense fortune pour mieux ainsi le paralyser. Aussi, privé qu’il se trouvait ainsi des avis accoutumés, ayant besoin d’un ami et d’un conseiller fidèle, accueillit-il avec joie Romain Skléros, qu’il savait homme d’intelligence et d’énergie, et avec cela parfait homme de guerre.

[53] C’est le monastère dont parle Psellos dans le premier livre de son histoire, monastère dédié à saint Basile. Du Cange en parle de même dans sa Constantinopolis Christiana.

[54] Il y a là dans le texte de Psellos un pauvre calembour intraduisible, qu’on pourrait exprimer à peu près comme suit: « Basile disait en parlant de ces moines « J’ai transformé leur réfectoire en réfectoire, car ils n’y sont plus occupés qu’à y réfléchir comment ils se procureront de quoi manger. »

[55] Il avait, paraît-il, rédigé un traité sur la tactique navale. Voyez Fabricius, Bibliotheca graeca — Ses goûts étaient somptueux. Je rappelle que parmi les plus splendides monuments de l’orfèvrerie byzantine parvenus jusqu’à nous, deux au moins, l’admirable et célèbre reliquaire de la Vraie Croix de Limbourg, exécuté vers 960, et le non moins beau reliquaire en forme de calice du Trésor de Saint-Marc de Venise que j’ai fait reproduire dans mon histoire de Nicéphore Phocas, portent le nom du fameux bâtard de Romain Lécapène et ont été exécutés à ses frais pour être donnés à des églises. Basile figure, dans les légendes gravées sur ces monuments d’un prix inestimable, avec les titres de parakimomène et de proèdre très illustre.

[56] Psellos surtout et aussi Zonaras qui place ce changement dans le caractère du basileus seulement et immédiatement après la mort de Bardas Phocas.

[57] Le poète historien Manassès par contre, est très dur pour Constantin. Le parallèle qu’il établit entre lui et son frère Basile est terriblement sévère pour le premier. Il l’accuse de cruauté, presque de lâcheté. Cette dernière accusation ne semble pas fondée.

[58] Je rappelle une fois encore que Psellos paraît avoir fait erreur sur l’époque vraie de la disgrâce de l’eunuque, qui marqua le début foudroyant de cette grande et capitale transformation dans la manière d’être du jeune empereur.