ESSAI SUR L’HISTOIRE DE LA RELIGION ROMAINE PENDANT LES GUERRES PUNIQUES

 

Édouard SAYOUS

 

I - Les terreurs, les triomphes et les dieux de la mer. — Regulus martyr (réel ou légendaire ?) de la religion du serment. — Le dévouement de Calpurnius Flamma. — Influences étrusques : jeux de gladiateurs et jeux séculaires. — Changements dans l’art. — Claudius et l’incrédulité. — Vénus Erycine et la légende d’Enée.

II - Gaulois et Romains : Marcellus, les dépouilles opimes et le drame de Clastidium. — Les partis et la religion jusqu’à Trasimène : l’incrédulité de Flaminius. — Dispute religieuse de Varron et de Paul-Émile.

III - Réparations religieuses après Trasimène et après Cannes : Fabius jusqu’à la reprise de Tarente. — Marcellus et les temples de Syracuse. — Présages de la mort de Gracchus et de Marcellus. — Le Métaure : terreur et délivrance. — Caractère miraculeux de Scipion l’africain : triomphe définitif.

IV - Annibal et les religions. — Foi punique et foi romaine. — Rapports religieux avec Préneste et Capoue.

V - Deux grands pontifes remarquables : Metellus, sauveur du Palladium, et Licinius Crassus. — affaires de sacerdoce et d’élection, — Questions triomphales. — Prodiges et expiations. — Les Saturnales. — Les cultes de Janus et de Vesta. — Dédicaces. — Peu de nouveaux dieux romains : épuisement cosmogonique.

VI - L’hellénisme religieux et politique de cette période ; missions à Delphes. — Les prophéties de Marcius et les jeux d’Apollon. — Les Floralia. — La poésie lyrique et la patrie romaine. — Le sacrilège de Pleminius expié.

VII - Causes d’un premier progrès des religions orientales. — L’arrivée de la mère des dieux.

 

 

La religion romaine, au temps des guerres puniques, est vraiment la religion de la patrie, non seulement à l’égard des ennemis du dehors, mais à l’égard des deux Ordres de citoyens : la religion de la Cité une. L’antique étroitesse du patriciat s’est effacée, ou si elle reparaît c’est de loin en loin, et sur de petites questions. L’énorme disproportion des fortunes, que créeront les grandes conquêtes, n’a pas encore creusé un fossé profond entre les riches et les pauvres. Sans doute le mal commence à se produire, mais il ne s’est pas encore développé[1]. Sur les querelles et les haines naissantes, le Sénat jette le manteau de la religion Une. Après le désastre de Trasimène en grande partie causé par les dissensions politiques et religieuses, le Sénat, remarque M. Duruy, rappelle à tous la nécessité d’une mutuelle confiance, en faisant élever un nouveau temple à la Concorde, a et il le met dans l’enceinte de la citadelle, afin que chacun comprenne que la force de Rome dépend des sentiments inspirés par cette divinité[2]. Le Capitole, avec ses trois divinités protectrices, Junon, Minerve, surtout Jupiter très bon et très grand, arrive en quelque sorte au point culminant de son histoire. Il résume en lui les croyances de chaque Romain et les espérances de la chose romaine[3]. Il se couvre de temples déjà imposants. Il reçoit les prémices d’une richesse déjà luxueuse, mais qui n’a pas encore trop gâté l’héroïsme primitif et simple. Il est visite par des matrones pleines d’angoisse qui viennent lui demander le salut de Rome et de leurs fils, et par des héros triomphateurs qui lui apportent d’autres prémices, celles de la conquête du monde.

Jamais religion nationale n’a plus fortement présidé aux destinées d’un peuple engagé dans une crise décisive ; jamais, d’autre part, elle ne s’y est plus profondément altérée. Où la religion romaine trouve son apogée, elle trouve aussi son épuisement : elle commence à se nourrir de cultes étrangers, dans lesquels l’ambition de la grande cité trouve son compte, mais auxquels ne résistera pas son antique caractère de simplicité. De même que la gloire des familles s’exalte dans des cérémonies superbes, dans des oraisons funèbres débitées en plein forum devant les images des ancêtres[4], sans que pour cela la famille romaine échappe à un premier ébranlement ; de même le Sénat, les sacerdoces, les illustres consuls multiplient les inventions, les rites, les scrupules, les subtilités, les magnificences, sans empêcher la vieille religion, qui rend encore de si grands services, de se transformer jusqu’à presque en mourir. J’ai entrepris d’étudier et d’exposer cette histoire, sur laquelle abondent les renseignements et les appréciations, depuis la littérature antique jusqu’aux excellents historiens français et allemands de ces dernières années[5]. Aussi mon espoir n’est-il point d’apporter quelque chose d’inédit, mais simplement de trouver, pour des choses connues, un groupement nouveau, quelque peu utile à l’étude de l’histoire romaine et de l’histoire des religions.

 

I

Les terreurs, les triomphes et les dieux de la mer. — Regulus martyr (réel ou légendaire ?) de la religion du serment. — Le dévouement de Calpurnius Flamma. — Influences étrusques : jeux de gladiateurs et jeux séculaires. — Changements dans l’art. — Claudius et l’incrédulité. — Vénus Erycine et la légende d’Énée.

La mer, la Sicile, l’Afrique, trois nouveautés où la première guerre punique entraînait le ferme courage et la craintive imagination des Romains[6]. Ils avaient grand peur de la terre d’Afrique, renommée pour ses prodiges. Leur premier débarquement les mit en face d’un serpent énorme, sur les bords du Bagradas ; entouré d’exagérations légendaires, le fait en lui-même peut être admis, puisque la tradition dit que la peau du monstre a été longtemps visible à Rome[7]. Les dieux de la mer qui, comme le remarque Preller[8], avaient eu une place presque nulle dans la vieille religion romaine, commencèrent à compter. Neptune jouera un rôle actif dans la seconde guerre, et, dans l’intervalle, les tempêtes seront devenues une divinité à laquelle Cornelius Scipion, éprouvé mais épargné par les flots près des tûtes de la Corse, vouera un temple à son retour[9].

 !liais c’est surtout dans les triomphes et leurs monuments commémoratifs que pouvait innover un peuple guerrier. L’ingénieux C. Duilius fut le premier à recevoir l’honneur d’un triomphe naval, et le souvenir en fut consacré par une colonne où étaient figurées les proues de navire perfectionnées par lui, avec une inscription élogieuse[10]. Peu de temps après, Æmilius Paulus obtint aussi, avec un second triomphe naval ; une seconde colonne rostrale, seulement l’une était au Capitole et l’autre au Forum[11]. Enfin le triomphe de Metellus vainqueur en Sicile fut signalé par une procession surprenante, cent quarante éléphants prisonniers[12] : on les avait amenés Sur des radeaux formés par de nombreux tonneaux joints ensemble. Ces animaux furent gênants après comme avant le jour de la cérémonie, d’autant plus qu’après y avoir joué un tel rôle, ils ne devaient plus être utilisés. Peut-être figurèrent-ils à titre de combattants dans le cirque avant d’être tués à coups de javelots Pour en revenir à Duilius, on a dit qu’il avait pris l’initiative des honneurs qui lui furent conférés. Nous ne savons pas positivement si c’est lui qui imagina de perpétuer son triomphe en se faisant escorter chaque jour par des flambeaux et des joueurs de flirte, ou si le Sénat lui a spontanément offert cette flatteuse et quotidienne importunité[13]. En tout cas, il n’est pas vrai qu’il se soit élevé à lui-même sa colonne rostrale, car nous savons par Tacite[14] quel est le monument qu’il a fait construire en souvenir de ses succès : c’est un temple de Janus sur le marché aux légumes.

Les Romains, qui, dans leur lutte contre un ennemi renommé pour ses perfidies, exaltaient le culte de la Foi jurée, trouvèrent un héros, un martyr de ce culte : Regulus. L’ont-ils trouvé dans la réalité historique, ou, par un travail inconscient, dans leur imagination, — dans cette imagination romaine, habituellement si peu brillante, mais capable, quand il s’agissait de l’orgueil et de la majesté de Rome, de brûler avec un éclat sombre et de magnifiques reflets

Il importe, pour serrer du plus près possible cette question moins facile à écarter dédaigneusement qu’on ne le pense, de rappeler d’abord ce qui dans l’histoire de ce héros est incontestable[15]. Atilius Regulus a le premier débarqué en Afrique, il a un moment réduit Carthage au désespoir, il a durement repoussé les propositions pacifiques de l’ennemi aux abois. Remarquons que ce refus superbe a été sévèrement jugé par les écrivains anciens, et que la personne de Regulus apparaît déjà comme un thème à réflexions morales et religieuses. Polybe, qui ne perd pas son temps à apprécier ce qui n’en vaut pas la peine, blâme cette rigueur excessive ; Diodore voit dans les malheurs qui ont suivi, cette vengeance des dieux, cette Némesis que le consul n’avait pas assez redoutée. La première phase de ces malheurs n’est pas non plus contestable : Regulus survivant au désastre de son armée, est tombé aux mains des Carthaginois ; il n’est pas bien traité dans sa captivité, de quoi sa famille se venge sur les prisonniers qui sont à sa merci à Rome ; enfin il meurt à Carthage.

Ce qui est douteux, c’est précisément ce qui fait son immortalité[16] : son ambassade, étant prisonnier sur parole ; le conseil donné par lui au Sénat de ne pas traiter ; la discussion juridique et religieuse tout à fait romaine, qui s’engage sur la question de savoir si son serment le lie, si sa personne est encore propriété de Carthage, ou s’il n’a pas reconquis sa liberté par son retour, en vertu du droit de postliminium ; le grand pontife lui affirmant qu’il ne sera point parjure en oubliant un serment arraché par la violence[17], — détail qui serait très important, mais qui est encore moins prouvé que le reste ; son retour à Carthage, son martyre raconté différemment par tous les historiens anciens qui, jusqu’à cet endroit de leurs récits, étaient à peu près d’accord. — Tous, excepté Polybe : grave, très grave exception ! Comment le plus ancien, le plus sérieux, le plus clairvoyant narrateur des guerres puniques aurait-il passé sous silence un tel événement ? Comment cet admirateur de la religion du serment chez les Romains aurait-il négligé une illustration si magnifique de sa pensée[18] ?

Rarement l’argument du silence s’est imposé avec plus de force. Mais rappelons-nous qu’il n’est pas infaillible ; reconnaissons le concert des historiens dont l’un du moins remonte au second siècle avant notre ère[19] ; avouons que d’autres fragments d’annalistes encore plus anciens ont pu se perdre ; et laissons prudemment un point d’interrogation en face du martyre de Regulus. Malgré tout, j’inclinerais plutôt, avec les critiques du dix-huitième siècle[20] et plusieurs de ceux du nôtre[21], à le regarder comme une légende. Cette ambassade parait invraisemblable ; cette attitude de Regulus, de sa famille, du Sénat, présente quelque chose d’artificiel, d’arrangé, de voulu. C’est un cadre par trop réussi pour le tableau, pour la tragédie, surtout pour la dissertation. Voici ce qu’il est permis de supposer. L’instinct national cherchait une personne dans laquelle incarner la foi jurée jusqu’à la mort, gardée fidèlement à des ennemis sans foi. Il l’aura trouvé dans Regulus, désigné par ses brusques alternatives de succès et de catastrophes, par son caractère rigide, par sa mort à Carthage, par ce fait que sa famille avait puni sur des prisonniers carthaginois sa pénible captivité[22] : un de ces petits faits autour desquels se groupent les légendes, comme les nuages autour d’une cime étroite.

Le récit traditionnel n’en reste pas moins un grand fait de l’histoire morale des Romains, comme le récit de Guillaume Tell restera un grand fait de l’histoire morale de la Suisse. Les caractères romains ont vécu de ce grand exemple qui les préservait, même dans la croissante corruption, de certaines défaillances. Les écrivains y puisaient toutes sottes de leçons. Cicéron[23] dégage cette pure gloire de toute crainte superstitieuse : Regulus n’a pas eu peur des punitions de Jupiter, qui ne lui aurait jamais fait plus de mal que les Carthaginois. Non, ce qui l’a fait agir, c’est la vertu qui est dans le serment lui-même. Le violer, dit-il magnifiquement, c’est violer la Foi, qui est voisine de Jupiter au Capitole comme l’ont voulu nos ancêtres. Carthage était une ennemie régulière et légale, à laquelle s’appliquait le droit fécial ; lui manquer de parole, c’eût été détruire le droit de paix et de guerre. — Ce que voit surtout Horace dans sa belle ode[24], c’est le patriote qui veut préserver Rome des traités honteux. — La note religieuse est dominante chez Valère Maxime et chez Silius Italicus : le premier croit que les dieux, libres d’adoucir le sort des Carthaginois, s’en sont abstenus afin de faire briller la gloire de Regulus dans les souffrances[25] ; le second l’appelle l’homme dans le sein duquel la sainte Foi avait établi sa demeure[26].

La guerre de Sicile et les ruses savantes d’Amilcar firent éclater le dévouement de Calpurnius Flamma. Forme nouvelle, pour ainsi dire sécularisée, de la devotio, de ce contrat plusieurs fois conclu entre les Decius et les Dieux Immortels pendant les guerres samnites, pour que la victoire fût acquise à l’armée romaine en échange du sacrifice d’un de ses chefs. Contrat sublime dans sa précision juridique[27], exception poétique dans la sèche religion des vieux Romains, fleur éclatante d’un arbre au terne feuillage.

Calpurnius Flamma (si toutefois c’était bien là le nom de ce tribun militaire[28]) n’a point incliné sa tète voilée sous la formule du pontife. Il a simplement dit à son général : Je vais avec trois cents hommes attirer sur moi tout l’effort d’Amilcar, et vous serez dégagé. Mais les Romains, avec toute raison, n’ont pas jugé que cette opération de tactique rompit entièrement avec la tradition vénérée de la devotio. Le vieux Caton dit que les Dieux Immortels ont récompensé le courage du tribun en lui conservant la vie sous le monceau de morts qui le recouvrait, et en lui permettant de rendre de nouveaux services à sa patrie. Il s’étonne seulement, en homme pratique, que ce nouveau Léonidas, supérieur au Spartiate en ce que son sacrifice avait procuré la victoire, n’ait pas reçu autant de louanges. Du moins reçut-il cette belle récompense, la couronne de gazon[29], la couronne que l’on décernait au sauveur d’une ville ou d’une armée, emblème simple et antique de la terre conservée à la patrie.

Les jeux faisaient partie intégrante des religions de l’antiquité ; et cette partie est une de celles qui se sont le plus transformées à Rome pendant la période qui nous occupe. Des jeux purement helléniques, des jeux plutôt orientaux sont venus s’établir à côté des jeux romains ou italiques ; mais ne parlons pour le moment que de ces derniers.

Les Etrusques des derniers siècles se complaisaient dans les idées de terreur et dans les scènes funèbres[30]. Victorieuse et récemment conquérante de l’Etrurie, Rome était sollicitée par tout ce que le pays conquis avait de bon et de mauvais : L’haruspice toscan verra son crédit, en dépit de certaines défiances, augmenter rapidement dans la terreur des guerres puniques[31]. Dès le début, les combats de gladiateurs commencent, pour se répéter, et peu à peu s’implanter, au point de passer, pour ainsi dire, dans le tempérament du peuple. Et cependant ils ne sont nullement romains d’origine, ils sont même directement contraires aux vieilles idées sur les bons Mânes ; ils procèdent de cette notion qu’on retrouverait encore aujourd’hui chez certains sauvages et dont les Etrusques étaient pénétrés, que le sang répandu dans ces jeux guerriers était agréable aux morts. Les deux fils de Junius Brutus donnent l’exemple d’honorer ainsi les cendres de leur père[32] ; et malgré certaines interdictions, certains dégoûts, le précédent s’établit[33]. Au plus fort de la terreur d’Annibal, les trois fils d’Æmilius Lepidus, voulant illustrer ses funérailles, ensanglantent le forum trois jours de suite par des combats où l’on voit lutter vingt-deux couples de gladiateurs[34].

L’influence étrusque se retrouve dans l’introduction des jeux séculaires (249)[35]. En effet ceux qui portent ce nom et que l’on a attribués à une époque antérieure, paraissent être des inventions tardives et légendaires. Cette question d’origine est d’ailleurs obscurcie par la nature mène du sujet, par les prétentions de la gens Valeria, qui réclamait l’invention de cette fête, célébrée par elle dans un passé fabuleux comme une cérémonie de famille, enfin par le désaccord qui règne entre les annalistes et les commentaires des Decemvirs sacris faciundis[36]. Voici du moins ce qui est vraisemblable. Les Etrusques croyaient à certains renouvellements de la vie des peuples, à certaines crises concordant avec l’achèvement d’un cycle d’années mal déterminé appelé sæculum[37] ; et ce renouvellement était accompagné de prodiges. Sous l’influence de cette idée, et peut-être aussi des désastres qui précédèrent le succès final de la première guerre punique, l’année 504 de Rome ou 249 avant notre ère, parut aux interprètes des Livres Sibyllins et aux pontifes, une de ces époques où l’on devait célébrer des jeux et noter des prodiges. Les jeux furent célébrés, et c’est aussi depuis lors que les prodiges, au lieu d’être cités exceptionnellement, reparaissent dans l’histoire romaine, comme le remarque M. Bouché-Leclercq[38], avec une exacte et ennuyeuse périodicité.

Donc deux sortes de jeux très différents, mais tous deux d’origine étrusque, commencent à Rome, les uns certainement, les autres probablement, pendant la première guerre punique. Ils sont dus à ce grand courant d’importations étrangères dans lequel nous reconnaîtrons de plus en plus le caractère essentiel de notre période. L’influence la plus voisine était la première à se faire sentir. Le grand flot hellénique apportera un peu plus tard les jeux d’Apollon[39], et renouvellera les jeux romains par la littérature. De l’Orient viendront les jeux mégalésiens[40], et bientôt, de l’Afrique conquise, les grands massacres de bêtes féroces. En attendant, un autre courant, celui du luxe et de la magnificence, rendait les jeux déjà existants, grands jeux, jeux plébéiens, de plus en plus prolongés et dispendieux[41].

Cet autre courant, qui vient enrichir et embellir aussi les lieux de culte, n’est point particulier à notre période. Il était déjà très marqué pendant les guerres des Samnites et de Pyrrhus, comme le montre un beau chapitre de M. Mommsen[42] ; il sera plus intense, plus débordant après qu’avant la bataille de Zama. Toutefois les soixante années des guerres puniques ne sont point à négliger dans l’histoire de ce mouvement. Elles y ont directement contribué par les hauts faits militaires dont l’art conserva le souvenir ; Valerius Messala, vainqueur dans le premier combat, le fit représenter par un peintre sur les murs de la curie hostilienne[43] ; il donnait ainsi l’idée et l’exemple de figurer l’histoire contemporaine aux yeux du peuple, ainsi que les villes italiennes de la Renaissance l’ont fait plus d’une fois[44]. Elles y ont contribué par les dépouilles conquises sur l’ennemi, qui venaient enrichir les temples des dieux de la patrie : tels ces boucliers précieux et ciselés pris sur Asdrubal, qui firent l’ornement des portes du Capitole[45], et que les censeurs, par un reste de rudesse, crurent longtemps de simples boucliers d’airain. Elles y ont enfin contribué par les présents de toute sorte qu’envoyaient les alliés, couronnes d’or, statue d’or de la Victoire. Le Capitole devenait un musée[46].

Ce n’est déjà plus la Rouie dont le dieu Janus, causant avec Ovide, pouvait dire : Un foudre en argile était dans la main de Jupiter ; on ornait de feuillage le Capitole, et non de pierres précieuses comme aujourd’hui[47]. La période des pierres précieuses et de la monnaie d’or commence. Ce n’est pas que le Janus d’Ovide, dieu sceptique, se fasse grande illusion plus tard sur les hommes du bon vieux temps. Il avoue que sous le règne de Saturne on n’en voyait guère auxquels le lucre ne fût pas extrêmement agréable. Les autres dieux et lui-même prennent aussi très bien leur parti d’avoir des temples riches, sans dédaigner pour cela les temples anciens[48]. Ce sont deux bons systèmes : l’un et l’autre peuvent se soutenir.

Pendant la première guerre punique, l’indifférence moqueuse pour la religion fait sa première apparition, mais reste une exception très rare. C’est le consul Claudius Pulcher qui en donne le signal, par une boutade restée célèbre : les poulets sacrés tirés de leur cage se refusant à manger, il les fait jeter à la mer afin qu’ils boivent[49]. Je crois volontiers, avec M. Mommsen et d’autres historiens, qu’il faut attribuer cette malencontreuse audace au caractère indisciplinable de la famille Claudia. La même supposition s’appliquerait au souhait impie de la sœur du consul : cette Claudia, se trouvant trop serrée par la foule, exprime tout haut le désir de voir encore son frère à la tête des Romains[50] ; il se chargerait bien, voulait-elle dire, d’éclaircir leurs rangs par quelque nouveau désastre. Soit, mais expliquée d’une manière ou d’une autre, cette témérité impie est une nouveauté. Elle n’est d’ailleurs pas complètement isolée, puisque le propre collègue de ce mauvais plaisant, L. Junius, combat lui aussi sans s’occuper des auspices[51], lui aussi perd sa flotte, lui aussi encourt une accusation d’impiété. Ne venait-on pas de voir les Potitii, chargés héréditairement du culte d’Hercule, en abandonner le soin aux esclaves publics[52] ? Il y avait donc une première tendance à l’incrédulité dans la haute société romaine, sous l’influence des idées grecques modifiées par les philosophes. A cela contribuait l’arrivée des Romains dans la Grande Grèce, puis en Sicile, pays de sanctuaires célèbres, mais aussi de célèbres hardiesses ; plus d’un siècle auparavant le sacrilège tyran Denys en avait donné l’exemple.

Seulement ces attaques prématurées contre une religion solidement établie tournaient à la confusion de leurs auteurs. Les dieux semblaient punir ceux qui les négligeaient ou les tournaient en dérision. Lorsque la haute société romaine vit les Potitii s’éteindre rapidement, tandis que les Pinarii leurs collègues restés héréditairement fidèles au culte d’Hercule[53] continuaient honorablement, sinon avec éclat, leur existence de dynastie patricienne ; lorsqu’elle vit Claudius vaincu par l’ennemi et condamné[54], Junius, vaincu par la tempête, se tuant pour échapper à sa sentence, elle s’attacha résolument à la religion des pères. Même beaucoup plus tard, lorsqu’un nouveau courant d’incrédulité philosophique eut débordé toutes les digues, un mauvais renom restera attaché à ces deux consuls, et Cicéron les jugera dignes de tous les supplices pour n’avoir pas su respecter le culte national[55].

Nous avons gardé pour la fin de ce chapitre le résultat religieux le plus important de la première guerre punique. Les Romains prirent possession du temple du mont Eryx[56], et par suite la légende d’Enée s’établit solidement dans leur esprit[57].

Ce temple, admirablement situé sur une montagne faite pour attirer l’attention stratégique d’Amilcar, était le plus important de la Sicile ; et la Sicile elle-même, tant que la civilisation du monde a vécu autour de la Méditerranée, fut le point de rencontre des croyances et des idées comme des navires. Le sanctuaire de Venus Erycine, — ainsi s’appela-t-il une fois devenu romain, — était auparavant et resta longtemps encore un sanctuaire d’Aphrodite pour tout ce qui était hellénique, un sanctuaire d’Astarté pour tout ce qui était phénicien[58]. Les marins de tous les pays s’y donnaient rendez-vous pour leurs dévotions et leurs plaisirs ; les trésors de tout le monde connu y affluaient, en ex-voto ou en offrandes. L’art des différentes nations avait contribué à le construire ou à l’orner ; aussi elles le respectaient toutes, excepté les transfuges d’Amilcar qui n’étaient plus d’aucune nation. C’était, bien avant le mouvement religieux que vit éclore l’Empire romain, un temple du syncrétisme.

Toutefois ce monument, que les Grecs fréquentaient et qu’ils avaient embelli pour leur grande part, était loin d’avoir une signification essentiellement hellénique. Son caractère était phénicien comme sa fondation : les gros blocs qui le soutiennent et qui ont survécu à sa destruction portent encore des lettres puniques, et les prêtresses nombreuses de la déesse se conduisaient comme leurs sœurs de Carthage. La Vénus Erycine était devenue en quelque sorte la divinité poliade des habitants non helléniques de la Sicile, la protectrice des Carthaginois et des Elymiens. Or ces derniers passaient pour venir de l’Asie mineure et se rattachaient au souvenir de l’ancienne Troie. La légende d’Enée, fugitif de Troie, colon de l’Italie, fondateur de Rome, s’élabora en grande partie autour du mont Eryx[59].

Cette légende, qui servit la grandeur romaine, plus tard la grandeur d’une famille, existait déjà en Italie. Elle présidait au culte fédératif des Latins groupés autour du sanctuaire de Lavinium ; elle avait imprimé à la victoire finale de’ la légion romaine sur la phalange de Pyrrhus, le caractère d’une revanche d’Hector contre Achille ; mais l’arrivée des Romains au mont Eryx lui donna plus de force et de popularité. C’est du moins l’opinion de Preller[60], et les faits la justifient. Que voyons-nous en effet ? Une série d’actes publics ou individuels proclamant la descendance troyenne du peuple romain. Dès la première guerre punique, le Sénat prend sous sa protection les Acarnaniens parce que, dit-il, seuls de tous les Grecs ils n’ont pas envoyé de secours contre les Troyens, nos ancêtres [61]. Un peu plus tard, il propose son alliance à Séleucus, roi de Syrie, pourvu que les Troyens, pour le même motif, soient exemptés des impôts[62]. Nous verrons dans l’intervalle des deux guerres le pontife Metellus sauver le Palladium, garant des destinées de Rome, et mériter par ce haut fait, qui lui a coûté la vue, la vénération de tous. Après Trasimène, Fabius voue un temple à Venus Erycine. Après Cannes, les prophéties de Marcius, qui circulent dans la ville et que l’autorité religieuse adopte, s’adressent au peuple romain en le qualifiant de Trojugena[63]. Lorsqu’on ira, sur l’ordre des livres sibyllins, chercher à Pessinonte la mère des dieux, lorsque l’on conclura des traités qui dépassent nos limites chronologiques, on se souviendra de cette communauté d’origine.

Tous ces faits successifs prouvent surabondamment, dans leur monotonie même, le progrès du culte de Vénus Erycine et de la légende d’Énée dans l’histoire religieuse et dans la pensée des Romains. De plus, la période où ce progrès s’accuse est celle des guerres puniques. Mais pourquoi, et comment ? Car ce n’est pas expliquer une chose que la constater. Nous ne songeons pas à poser toutes les questions que soulève l’histoire d’Énée, et que M. Boissier, entre autres, a si bien élucidées. Il faut nous restreindre aux deux points suivants, qui sont dans notre sujet : Comment le temple d’Eryx a-t-il eu tant d’influence sur la propagation de la légende d’Énée en Italie, et surtout : Pourquoi le culte d’Eryx et d’Énée, avec son origine en grande partie phénicienne, est-il devenu une arme, ou une forme, du patriotisme romain contre les Carthaginois ?

La première des deux questions n’est pas la plus difficile. La déesse d’Eryx s’appelait Aphrodite Énéenne. Qu’il faille voir dans cette épithète un vague adjectif, signifiant illustre ; qu’il soit préférable, comme il est plus vraisemblable en effet, d’y reconnaître avec la tradition le nom du guerrier troyen que l’imagination hellénique avait promené sur tant de mers ; que l’on doive enfin deviner sous ce nom celui d’un dieu phénicien associé à Astarté, plus tard détrôné par celui d’Énée associé à Aphrodite[64] ; en d’autres termes, qu’il y ait eu ou non calembour ou substitution, peu importe. La gloire du héros troyen siégeait dans ce temple, où les marins de toute la Méditerranée se donnaient rendez-vous et célébraient son nom. De cette montagne d’Eryx, Énée, comme disaient les grammairiens antiques, apporta Vénus dans le Latium[65], ou, comme le dit spirituellement M. Hild[66], l’Aphrodite de Sicile y apporta Enée.

Il suit de là que pour les Romains, guerroyer autour du mont Eryx puis en prendre possession définitive, c’était faire entrer profondément dans leur vie nationale Vénus Erycine et son glorieux fils. Mais on n’en est pas moins surpris, — et nous arrivons à notre seconde question, — de voir Fabius Cunctator tourner contre le peuple d’Astarté, contre les Phéniciens de Carthage, un culte primitivement rendu à Astarté. S’il voue un temple, dans Rome même, à Vénus Erycine[67], c’est afin que les dieux soient apaisés à l’égard des vaincus de Trasimène et leur rendent la victoire. Telle était la puissance du patriotisme romain : il avait jeté sa forte main sur Énée, il lavait fait sien, et par suite il avait fait sienne la déesse sa mère, devenue ainsi l’une des fondatrices de la grandeur de Rome. Mais quelles sont les causes qui facilitèrent cette heureuse et hardie transformation ?

D’abord, comme le remarque M. Hild, cette déesse a symbolisé en Sicile la résistance contre l’étranger ; mais, tandis qu’elle jouait alors ce rôle pour les Carthaginois et les Elymiens contre les Grecs, elle va le remplir sous sa forme nouvelle pour les Romains contre les Carthaginois[68]. Ensuite, et surtout, ces choses d’Ilion avaient un double aspect, et pouvaient servir les causes nationales les plus diverses. Sans doute les Troyens et Énée pouvaient être considérés comme les ennemis des Grecs ; c’est le côté de leur histoire que l’on apercevait d’abord, celui que rappelaient les Romains chaque fois qu’ils le jugeaient utile. Mais d’autre part les Troyens n’étaient pas des barbares ; ils comptaient parmi les peuples d’Homère, ce qui était un titre de noblesse. Énée en particulier passait pour avoir été un peu l’ami des Grecs. Rien n’empêchait de supposer qu’il eût été un peu l’ennemi de Carthage ; et de le supposer à l’affirmer il n’y avait pas loin.

Ce dernier pas, les poètes romains le franchirent. L’antagonisme récent et violent de la grande cité italienne et de la grande cité africaine, ils le transformèrent en un antagonisme plus que séculaire, aussi ancien que les deux fondateurs. Didon et Énée, dont l’histoire était depuis longtemps associée dans les récits que se faisaient les marins de tous pays au temple du mont Eryx[69]. Alliés ensemble tant que leurs peuples restèrent unis, dit M. Boissier, ils devinrent ennemis mortels quand éclata la lutte entre Carthage et Rome. On fit alors remonter la haine des enfants jusqu’aux ancêtres, et la rencontre de la reine de Carthage avec le héros troyen prit des couleurs tragiques. C’est Nævius sans doute qui donna ce caractère nouveau à l’ancienne légende. Or Nævius était le chantre et le soldat des guerres puniques[70].

 

II

Gaulois et Romains : Marcellus, les dépouilles opimes et le drame de Clastidium. — Les partis et la religion jusqu’à Trasimène : l’incrédulité de Flaminius. — Dispute religieuse de Varron et de Paul-Émile.

Dans l’intervalle des deux guerres, les Gaulois cisalpins, avec des auxiliaires accourus de la Transalpine, vinrent secouer Rome par un dernier tumulte, et leurs dieux se heurtèrent contre ceux du Capitole. Antagonisme qui semble avoir été conscient de part et d’autre. Dans la première terreur de l’invasion, les livres sibyllins ordonnent d’enterrer vifs dans le forum boarium un Gaulois et une Gauloise, un Grec et une Grecque[71], pour conjurer un oracle qui menaçait Rome d’un conquérant gaulois et d’un conquérant grec[72]. Le couple sacrifié avait pris possession de la terre, et le mauvais sort était en quelque sorte épuisé. En revanche, les plus vaillants des Gaulois, pendant qu’ils marchaient sur la grande ville avec celte témérité qui y jeta l’épouvante, auraient juré de gravir tout armés la colline triomphale[73]. Ils tinrent parole : ils y montèrent couverts de leurs armures, mais précédant le char d’Æmilius vainqueur[74]. Dans la campagne suivante, les Insubres tirèrent du temple de leur déesse les étendards dorés qu’on nommait les Immobiles, et que toute la vaillance de leurs défenseurs n’empêcha pas de tomber au pouvoir de Flaminius[75]. Enfin les dépouilles opimes, les armes du chef Virdumar furent vouées à Jupiter Férétrien par le vainqueur de Clastidium[76].

Clastidium ! un nom qui retentit au triomphe de Marcellus et sur le théâtre de Nævius, le créateur du drame national, de la fabula prætextata[77]. Le héros et Fauteur tragique étaient dignes l’un de l’autre : Marcellus, le soldat de haute taille et d’une bravoure à outrance, le Romain dévot à la religion de la patrie, non sans mélange de calcul ni sans accès de scepticisme, le noble plébéien ‘que sa vaillance personnelle et sa force physique rendaient populaire, et que toute l’aristocratie des deux Ordres opposait volontiers au démocrate et impie Flaminius ; Nævius le soldat poète, mais poète vraiment romain par les sujets et par la forme, célébrant la gloire, la gloire contemporaine de son peuple, et sur la scène et dans l’épopée[78].

Ce drame, quelques fragments insignifiants ne nous permettent pas de le reconstruire ; il faut, avec M. Ribbeck[79], chercher à nous le représenter d’après le beau récit de Plutarque. Les principales scènes, les unes jouées devant le spectateur, les autres racontées par des messagers, devaient être les suivantes : Avant la bataille, Marcellus voyant que son cheval tourne bride et que les soldats s’en effraient, achève le mouvement commencé et adore le soleil, de sorte que ce qui paraissait un mauvais présage se trouve être devenu une cérémonie du culte militaire. Dans la bataille même, il pique droit au guerrier revêtu des armes les plus éclatantes, il l’abat, le dépouille, et lève les mains vers le ciel avec cette prière : Ô toi qui regardes d’en haut les grandes actions, Jupiter Férétrien, je te prends à témoin que je suis le troisième des Romains qui, en combattant chef contre chef, ai de ma main terrassé et tué mon ennemi, et consacré à toi les dépouilles opimes. Accorde-nous le même succès dans le reste de cette guerre. Enfin, la campagne terminée, une pompe triomphale s’avance dans Rome, avec des Prisonniers de haute taille comme leur vainqueur. Celui-ci, peint en vermillon comme les statues des dieux[80], debout sur son quadrige, tient entre ses mains un chêne de montagne, taillé et arrangé en trophée avec les armes de Virdumar dessinant une statue étincelante. Il va les consacrer à Jupiter, dans son temple du Capitole.

Si nous avions conservé Clastidium comme nous avons conservé les Perses, nous ne posséderions certainement pas un chef-d’œuvre comparable à celui d’Eschyle : le génie littéraire des deux nations était trop différent. Mais nous aurions sans doute une œuvre belle dans sa rudesse, belle d’orgueil patriotique et d’énergie religieuse.

Juste à la même époque, l’incrédulité audacieuse apparaît dans la personne de Flaminius, pour subir une punition terrible au commencement de la guerre d’Annibal. La tradition a été cruelle pour ce chef populaire, les écrivains de son pays l’ont traité sans miséricorde[81], et cela même dispose le critique impartial à quelque sympathie pour un homme aussi accablé. On comprend M. Lange lorsqu’avec beaucoup de science et de résolution il entreprend la réhabilitation, en bonne partie légitime, de Flaminius[82]. Mais nous n’avons pas à nous occuper ici de ses lois, de ses colonies, de sa route, de son cirque, ni même de sa victoire sur les Gaulois ; nous avons plutôt à constater l’impiété qui, en l’isolant des autres grands citoyens de Rome, a neutralisé ses services, et l’a peut-être empêché de devenir un des personnages les plus illustres de l’histoire. Quelle n’eût pas été sa gloire s’il avait délivré l’Italie d’Annibal, et sauvé d’une ruine déjà menaçante la classe moyenne de Rome !

Cette impiété résolue, très différente des preuves de légèreté ou de négligence que nous avons signalées, était à la fois la cause et l’effet de la haine du Sénat contre Flaminius. Il semble avoir été en bonne intelligence politique avec Carvilius[83], le premier Romain de haute situation qui, au mépris de la désapprobation publique, ait accompli l’irréligieux divorce[84]. Il n’aimait pas la puissance paternelle, ayant dû, pendant son tribunat, céder publiquement aux injonctions de son père ; et il fit passer une loi qui interdisait d’être tribun lorsqu’on était le fils d’un personnage encore en vie avant exercé une charge curule. Devenu consul, au moment de combattre les Gaulois cisalpins, il refuse de lire un message du Sénat avant la bataille ; il l’ouvre après sa victoire : on lui ordonnait de revenir à Rome, son consulat avant pris naissance sous des auspices viciés. Il revient, le Sénat lui refuse le triomphe, mais il triomphe avec l’assentiment du peuple avant d’abdiquer. Bientôt un dictateur qui avait osé choisir Flaminius pour maître de la cavalerie est forcé d’abdiquer à cause d’un mauvais présage, d’un cri de souris[85]. C’était une lutte implacable, coup pour coup. Une haine sans bornes contre la religion qui servait d’arme à ses adversaires, grandissait chaque jour dans l’âme de Flaminius.

Cet homme intraitable ne le prouva que trop à la veille de Trasimène, lors de son second consulat. Il offensa la religion de la patrie avec un parti pris que rien ne peut excuser, et qui fit le plus grand mal[86]. Aucune des cérémonies nécessaires au début de son commandement, surtout dans des circonstances si solennelles, ne fut accomplie par lui. Ces témoins solennels et in Limes du citoyen devenant magistrat, les Pénates de sa maison ne le virent point revêtir la robe prétexte. Sur le mont Albain, Jupiter Latiaris dut se passer de son sacrifice. Le Capitole ne reçut point les vœux du général, qui devait le quitter revêtu du manteau militaire, accompagné de ses licteurs, pour prendre possession de sa province. En route, il dédaignait les messages les plus pressants. Nul doute que l’opinion générale ne fût bien celle que Tite-Live met dans la bouche des pères conscrits : ce n’est plus au Sénat qu’il fait la guerre, c’est aux dieux immortels.

Aussi quand il se décide, de mauvaise grâce et dans ces circonstances irrégulières, à leur offrir le sacrifice d’usage, leur malveillance se déclare-t-elle par un signe terrible : la victime échappe aux mains de ceux qui l’immolent, et, dans les mouvements qu’elle fait, son sang couvre les assistants. L’irritation du consul contre les présages s’en accroît, et plus, au moment de livrer bataille, ces présages se multiplient, plus il s’entête à les mépriser[87]. Son cheval le jette à bas sans cause appréciable, devant l’image de Jupiter Stator : c’est en vain que les hommes instruits voient dans cet accident, l’ordre de ne pas combattre. Les poulets sacrés ne veulent pas manger ; Flaminius s’adresse à leur gardien : Et si une autre fois ils ne veulent pas manger davantage, que faudra-t-il faire ?Attendre. — Oh ! les jolis auspices, s’écrie le consul, les poulets seront-ils à jeun, il faudra livrer bataille, seront-ils rassasiés, plus rien à faire ! On vient lui dire que les porteurs des enseignes ne viennent pas à bout de les enlever de terre. Se tournant alors vers le messager : Ah ! ne m’apporterais-tu pas une lettre du Sénat pour me commander l’inaction ? Va-t-en, et que l’on déracine les enseignes, si les poltrons ne savent pas les enlever. Quelle impression pour les témoins, et si nous préférons les mots romains ici bien à leur place, quels auspices, quelle bataille de mauvais augure !

Il n’est pourtant pas sûr qu’à ce moment précis, avant la défaite, l’impression ait été unanime[88]. Tite-Live dit que le commun de l’armée, sans se rendre bien compte de ce qui se passait, voyait avec joie le fier entrain de son chef. Peut-être l’incrédulité s’était-elle glissée dans le parti populaire, on ne sait par quels canaux obscurs. Si ce courant a existé, le carnage de Trasimène, la mort du téméraire consul, l’ont brusquement arrêté, et la réaction a été prolongée. L’événement, qui n’est pas seulement le magister des sots avait prouvé qu’il ne fallait pas se jouer de la religion et des prodiges, et les gens d’esprit qui vivaient un ou deux siècles plus tard se le tenaient pour dit. Cicéron[89] et ses contemporains, Tite-Live et ses contemporains étaient là-dessus d’accord, et parmi ces derniers Ovide avertissait César de ne pas faire marcher ses étendards quand les oiseaux le défendent. Par eux les dieux nous donnent bien des signes : Tu en as pour témoins Flaminius et les rives de Trasimène[90].

Une dernière leçon acheva de rendre les Romains conservateurs. Terentius Varron, à la veille de Cannes, reprit en quelque mesure l’attitude de Flaminius, et son antagonisme avec son collègue Paul-Émile affecta un caractère religieux. Pour bien comprendre l’incident, c’est Appien[91] qu’il faut lire, car il a sur cette question plus de précision que Tite-Live. Donc Paul-Émile, voyant que Varron se laisse duper par une feinte d’Annibal, et fait sortir l’armée pour combattre, interroge seul le vol des oiseaux. Puis il fait dire à son collègue que le jour est funeste, qu’il faut s’abstenir. Le consul populaire n’ose pas désobéir ouvertement aux signes que donnent les oiseaux ; il fait rentrer son armée. Mais il est furieux ; il ne veut pas reconnaître que les mouvements d’Annibal donnent raison à Paul-Émile ; il accuse hautement celui-ci de se servir des oiseaux comme un prétexte pour lui enlever une victoire certaine, soit par lâcheté, soit par jalousie. Le désastre ne tarda pas à montrer combien les défiances du pieux aristocrate étaient justifiées.

 

III

Réparations religieuses après Trasimène et après Cannes : Fabius jusqu’à la reprise de Tarente. — Marcellus et les temples de Syracuse. — Présages de la mort de Gracchus et de Marcellus. — Le Métaure : terreur et délivrance. — Caractère miraculeux de Scipion l’africain : triomphe définitif.

Trasimène appelle un réparateur : ce sera l’augure, le conservateur Fabius Maximus Verrucosus[92], tout l’opposé du téméraire consul. Nul n’est plus capable d’apaiser les dieux et de maintenir les peuples dans les bornes de la prudence. Pendant les premières années de la guerre, la religion, la stratégie, la politique intérieure ne font qu’un. Les Romains se divisent nettement en deux partis, que je désignerai à tout risque par des noms très modernes : parfois les anachronismes de style sont légitimes, ils ne font que rétablir les choses anciennes dans leurs vrais rapports, qui se retrouvent les mêmes à de longs siècles d’intervalle. Donc les radicaux politiques et économiques veulent que l’on coure sus à Annibal, et font moins que les autres attention aux avertissements des dieux. Les conservateurs politiques et économiques veulent qu’on laisse Annibal s’user en Italie et que l’on prenne bien garde au mot d’ordre de prudence que les prodiges divins donnent à l’armée romaine. Les conservateurs avaient raison, et leurs superstitions elles-mêmes, qui nous paraissent si ridicules, ne faisaient au fond qu’exprimer la réalité des choses et que sanctionner la bonne stratégie comme à bonne politique.

Dans ses discours et dans ses actes, le Cunctator chargé de rétablir la Chose romaine, commence par les dieux[93]. Ce n’est point par incapacité que Flaminius a péché, c’est par dédain pour les cérémonies et les prodiges, et cette négligence doit être réparée, expiée : voilà ce que Fabius croit, ce qu’il veut qu’on croie, ce qu’on avait raison de croire, puisqu’un général séparé de la religion de la patrie était vaincu d’avance. Plutarque a très bien compris que le pieux dictateur ne cherchait pas à fortifier des sentiments superstitieux, mais à affermir le courage par la piété, à bannir la frayeur qu’inspirait l’ennemi, à la remplacer par la confiance dans la divinité[94]. C’était en même temps rétablir la confiance dans le commandement, cette chose si précieuse et si difficile aux armées malheureuses. De même après le désastre pour ainsi dire parallèle de Terentius Varron à Cannes, on aura le même instinct très juste, qu’il ne faut pas mettre en doute le talent militaire, non plus que le courage, des chefs romains. -lieux valait se demander en quoi l’on avait pu déplaire aux dieux, et comment on pouvait les apaiser. Je préfère encore, pour ma part, la superstition romaine à l’attitude de certaines populations modernes inondées de lumières, lorsqu’elles ont à supporter l’épreuve d’une mauvaise nouvelle.

Quant à la manière d’apaiser les dieux et de se les rendre favorables, Fabius et le Sénat pensèrent que les expiations ordinaires ne suffisaient pas. Les Pontifes marquaient un nouveau jour de deuil, dies ater, sur le calendrier[95] ; mais il fallait demander aux décemvirs d’ouvrir les livres sibyllins et d’y chercher des remèdes extraordinaires. Or que répond cet oracle[96], à moitié grec, à moitié italien ? Il donne les conseils que l’on peut attendre de sa double nature. Il veut que l’on recommence régulièrement une offrande déjà vouée à Mars, mais qui n’avait pas été faite selon les rites ; que l’on fasse le vieux sacrifice sabin du ver sacrum, et qu’on dédie un temple à Mens, divinité latine ; mais il veut aussi que l’on célèbre de grands jeux en l’honneur de Jupiter, que l’on offre aux grands dieux la magnifique supplication du lectisternium, que l’on dédie un temple à Vénus Erycine, la déesse de Sicile, exigences fortement empreintes de l’esprit hellénique[97].

Ce qui est purement romain, ce qui est digne de légistes religieux à la fois rudes et subtils, c’est la formule pontificale du ver sacrum de 217. Le peuple romain des Quirites fait un contrat avec les dieux[98] : si au bout de cinq ans la Chose romaine a résisté aux périls qui la menacent, on sacrifiera aux dieux les animaux nouveau-nés du printemps, — les races d’animaux étant bien spécifiées. Naturellement, si la Chose romaine périclite, la promesse est nulle, le contrat caduc. Mais s’il est valable comme on l’espère, le peuple romain ne doit pas risquer d’être actionné par les dieux à cause de telle ou telle irrégularité commise. Le contrat les prévoit, ces irrégularités ; il les énumère par faits et articles : si un porc est mort-né, si une chèvre nouveau-née a été volée, s’il y a eu ignorance ou dissimulation, le peuple romain n’est pas cause, le crime ne sera pas sur lui. L’instrument a été rédigé par le grand pontife Lentulus, et présenté au peuple qui le vole solennellement.

Alors aussi pour la première fois, dans l’imposant souper du leclisternium oit les images des immortels reposant sur les coussins sacrés communient[99] avec les magistrats de la patrie, les douze grands dieux paraissent au complet, formant six couples de dieux et de déesses : Jupiter avec Junon, Neptune avec Minerve, Mars avec Vénus, Apollon avec Diane, Vulcain avec Vesta, Mercure avec Cérès. Alors aussi des jeux sont célébrés, pour lesquels on a volé une dépense de trois cent trente-trois mille trois cent trente-trois as, chiffre dans lequel Plutarque voit un hommage rendu au puissant nombre Trois[100]. Alors enfin Fabius lui-même voue le temple de Vénus Erycine, parce que les livres sibyllins réclamaient pour celte fonction le magistrat le plus puissant de la République. Le préteur Otacilius voue le temple de Mens, de l’Intelligence ou plus exactement du bon sens, cette autre divinité dont les peuples vaincus ont un si grand besoin : leçon que les Romains avaient l’admirable courage de se donner à eux-mêmes. Tous frappés de stupeur, dit Ovide, tremblaient devant les Africains. L’Epouvante avait chassé l’Espérance ; mais le sénat fait des vœux au dieu Mens, et aussitôt l’Espérance, plus favorable, descendit sur nous[101].

Ce n’était pas sans des retours d’hostilité contre le système du religieux Fabius. Il fallut la nouvelle de Cannes pour qu’on lui rendit justice. Alors, dit Plutarque, on reconnut en lui une inspiration surnaturelle et divine, qui lui avait fait prévoir de loin les malheurs. Rome chercha son refuge dans la sagesse de cet homme, comme dans un temple et auprès d’un autel[102]. De là date cette idée que le Cunctateur seul, unus, a rétabli la Chose romaine ; Ennius l’exprime déjà dans un vers solidement bâti, que la littérature latine gardera comme un vieux bijou de famille, et que Virgile enchâssera fidèlement dans son poème[103]. Ovide croit que le jeune Fabius qui a survécu à l’antique désastre du Crémère a été l’objet d’un décret des dieux ; ils voulaient que ce descendant d’Hercule pût produire une nouvelle souche, et qu’un jour le Cunctator fût à même (c’est l’expression consacrée) de rétablir la Chose romaine[104].

Pourtant le système de Fabius ne devait pas rester indéfiniment le meilleur possible. Avec l’épuisement d’Annibal grandira le rôle de Marcellus, en attendant celui du jeune Scipion ; et le vieux Temporiseur, obstinément fidèle à ses habitudes d’esprit et à son tempérament défiant, se verra de plus en plus débordé par les partisans de l’offensive. Mais avant de quitter ce personnage, il nous faut encore signaler son dernier service, la reprise de Tarente, car elle intéresse l’étude que nous poursuivons.

Cette grande ville de Tarente s’était donnée à Annibal pour venger ses otages, qui s’étaient enfuis de leur prison, l’atrium du temple de la liberté[105], mais pour se voir reprendre et condamner à mort. L’irritation des Romains était grande contre Tarente, et lorsqu’ils finirent par y pénétrer, les vengeances furent cruelles. Qu’allaient devenir les images des dieux, non moins célèbres que celles de Sicile ? Fabius, suivant Tite-Live, se montra plus modéré, en ce genre de butin, que Marcellus à Syracuse[106]. Des statues colossales représentaient Hercule, Jupiter et d’autres divinités, dans une attitude menaçante. Lorsque le scribe chargé d’enregistrer les dépouilles, lui demanda ce qu’il décidait à cet égard, Fabius répondit : Laissons aux Tarentins leurs dieux irrités. Mais Pline croit que s’il a respecté le Jupiter de Lysippe, c’est à cause de son poids énorme et de la difficulté du transport[107]. Explication d’autant plus probable que, suivant la remarque du même écrivain, Fabius a fait transporter l’Hercule au Capitole ; tout à côté, malgré sa modestie habituelle, il fit mettre sa propre statue en airain[108].

Quittons Fabius pour revenir à Rome au lendemain de Cannes. Si le sénat, ayant reçu les sanglantes nouvelles[109], limita l’immense et universel deuil à trente jours, ce fut moins pour dicter l’héroïsme aux citoyens que pour préserver la Cité d’un nouveau mécontentement des dieux[110]. En ce qui concerne les fêtes de Cérès, le mal était fait : le jour marqué pour ces réjouissances tombait presque le lendemain de la bataille, quand il était impossible aux matrones de revêtir leurs vêtements blancs, de ceindre les couronnes d’épis mûrs, et de célébrer la joie de Cérès retrouvant Proserpine[111]. Mais il fallait que cette fête fût seulement renvoyée et non pas supprimée ; il fallait surtout éviter que d’autres fêtes, dont les vêtements noirs étaient exclus, fussent négligées pendant de longs mois[112]. Désormais les dieux rougiraient sans doute de frapper un peuple qui immolait à leur service jusqu’à l’amertume de ses deuils[113].

En cette tension extrême, on se fit encore d’autres violences. On en fit aux préjugés en appelant sous les drapeaux vingt-quatre mille esclaves[114] ; on en fit à l’humanité par l’enterrement de deux couples vivants, l’un gaulois, l’autre grec, et par l’exécution de nouvelles vestales et de leurs complices[115] ; on en fit à la religion elle-même en prenant dans les temples, sur l’ordre du dictateur Junius, les trophées conquis sur les ennemis et consacrés aux dieux[116] : ces armes, il est vrai, continuaient à les servir, une fois mises aux mains des soldats romains pour la défense de leurs temples.

Le scrupule, chez cette nation à la fois terrifiée et intrépide, devenait de plus en plus raffiné. Quelle explication va-t-on chercher pour la défaite de Cannes ? Celle-ci : autrefois Terentius Varron, pendant son édilité qui l’appelait à diriger les jeux du cirque, avait mis en faction un jeune et bel histrion dans le temple de Jupiter ; Junon, s’était promis de punir cette offense[117]. Il fallut quatre ans pour aboutir à un tel chef-d’œuvre : la chose fut prise au grand sérieux et donna lieu à des cérémonies expiatoires. Superstition ridicule, et admirable. Les plus grands ennemis du consul populaire, au lieu de l’écraser sous le poids de son incapacité et d’impliquer son parti dans sa ruine, sentaient qu’il fallait éviter de compromettre le commandement militaire romain. Si l’armée a été détruite, ce n’est pas que le général ne sût pas son métier, — écartons bien vite une pareille idée, — c’est qu’il pesait sur lui une malveillance divine contre laquelle ni le talent ni le courage ne pouvaient rien.

Le grand soldat qui, dans l’intervalle des deux guerres puniques avait porté les dépouilles opimes aux dieux du Capitole, est aussi celui qui, dans la terreur prolongée des grandes défaites, vainquit le premier Annibal et prit Syracuse. Ici comme à Clastidium, les destinées de la religion romaine se mêlent avec celle de Marcellus. La conquête de la grande ville sicilienne commence la transformation de Rome en un musée, où l’hellénisme des croyances devait faire les mêmes progrès que le sentiment hellénique de la beauté. Jusque-là, dit Plutarque, remplie de dépouilles barbares et ensanglantées, couronnée de trophées et des monuments de ses victoires, Rome apparaissait comme le temple du terrible dieu de la guerre[118]. N’est-il pas singulier que Marcellus, le robuste et sanglant triomphateur de Clastidium, en qui semblaient couronnées les vieilles énergies des enfants de la louve, soit aussi l’initiateur de ses concitoyens aux grâces étrangères ? Rien ne fait mieux saisir le caractère de transition qui est celui de notre période. Lui-même avait conscience de son rôle : Les merveilles de la Grèce, disait-il aux Grecs, les Romains ne les connaissaient point avant moi[119].

L’usage qu’il fit de sa victoire, au point de vue qui nous occupe, fut-il modéré, fut-il rigoureux ? Ni tout à fait l’un, ni tout à fait l’autre, ce semble, d’après la contradiction des témoignages. Suivant Plutarque, les vieillards du parti de Fabius reprochaient au populaire conquérant d’avoir fait de Rome un objet de haine en traînant triomphalement à travers ses rues, non seulement des hommes mais des dieux[120]. Et le même Plutarque, lorsqu’il écrit plus tard la vie de Fabius, dans laquelle il renvoie le lecteur à sa biographie du vainqueur de Syracuse, loue ce dernier de sa modération[121]. Entre Tite-Live et Cicéron l’opposition est la même qu’entre Plutarque et Plutarque. Tite-Live reproche à Marcellus d’avoir donné l’exemple du pillage des sanctuaires, et remarque que les dieux romains ont eu par la suite à en souffrir, que le temple dédié par le général lui-même près de la porte Capène était au bout de deux siècles dépouillé par des mains criminelles de presque tous ses ornements[122]. Cicéron tient un autre langage, il est vrai, dans un plaidoyer où la conduite de Marcellus lui sert, par contraste oratoire, à flétrir celle de Verrès.

Non seulement Marcellus, d’après Cicéron, n’a pas dépassé ses droits de conquérant, mais il n’en a pas atteint les limites. Il a respecté les peintures du temple de Minerve, quand même sa victoire, qui les rendait profanes, lui donnait le droit de les emporter : l’homme religieux s’est privé de ce que le jurisconsulte aurait pu se permettre. Il s’est même fait scrupule de dépouiller les dieux de Syracuse pour orner les temples, monuments de sa victoire ; il a laissé en place la plupart des chefs-d’œuvre ; il s’est plutôt conduit en défenseur qu’en conquérant de la ville[123]. Toutefois, ce panégyrique est accompagné d’aveux qui le restreignent. Si Marcellus n’a pas voulu détruire et éteindre la beauté de Syracuse, il a voulu orner sa propre patrie, il y a porté beaucoup de belles œuvres qu’on peut voir auprès du temple de l’Honneur et de la Vertu, ou en d’autres lieux publics[124]. Aveux qui, comme tous ceux que les avocats veulent bien se laisser arracher, concourent eux-mêmes à la perte de l’adversaire ; ce que Verrès a pris, il l’a pris pour lui, tandis que ce que Marcellus a pris, il l’a pris pour la patrie.

La religion de ces temps si durs a eu aussi des moments favorables au progrès, momentané à vrai dire, des sentiments humains. Assurément, s’il y avait quelque chose de bien établi dans les cœurs et dans les mœurs, c’était le mépris et l’oppression de l’esclave : eh bien, les dieux de la patrie étendirent au moins deux fois leur main sur cette classe misérable pour la relever. Dans un incendie, peut-être allumé par des vengeurs de Capoue, le temple de Vesta courut de sérieux dangers. Treize esclaves sauvèrent le foyer du peuple romain : ils furent, en récompense, rachetés aux frais de l’État et affranchis[125]. Fait beaucoup plus considérable que nous avons déjà signalé, un corps d’armée composé d’esclaves combattit sous les ordres de Gracchus. Le général, content de leur fidélité (c’était déjà un premier relèvement pour eus d’avoir été admis au serment militaire), leur donna la liberté. Joie immense. On arriva à Bénévent où les soldats affranchis célébrèrent un banquet[126]. Gracchus, frappé de ce spectacle, en fit le sujet d’un tableau, qui, peint sur sa commande, orna le temple de la Liberté[127] : ce temple avait été construit par son père sur le mont Aventin, avec le produit des amendes.

Gracchus et Marcellus, deux noms associés par les souvenirs de leur mort : événements lugubres et mal connus, dont on ne sait ni le lieu précis ni les circonstances authentiques, et dont le récit n’est arrivé à la postérité qu’entouré de légendes. Le trait commun à cette double tradition est l’importance attribuée à l’organe divinateur par excellence, le foie des victimes. Pendant que Gracchus prenait les auspices, deux serpents étaient venus dévorer ce foie, puis avaient disparu, et nulle précaution ne put les empêcher de recommencer par deux fois. Les aruspices virent dans ce phénomène persistant l’image de la trahison qui rampe, et l’annonce d’un piège tendu au général. Un Lucanien le trahissait en effet[128]. Mais les avertissements ne pouvaient sauver celui que le destin entraînait à sa perte : il succomba.

La mort du vainqueur de Syracuse lui fut annoncée différemment par le foie des victimes. La première avait un foie sans tête, c’est-à-dire dépourvu de cette protubérance que la divination antique regardait comme la partie essentielle de l’organe fatidique. Le foie de la seconde victime avait une tête énorme. Le second essai corrigeait-il le premier et lui enlevait-il toute signification fâcheuse ? Ce fut sans doute l’avis de Marcellus. Les haruspices virent, au contraire, dans cette brusque différence un présage de malheur ; ils conjurèrent le général de s’abstenir de toute entreprise hardie[129]. Ce fut en vain ; depuis quelque temps, il était nerveux et agité. L’opposition que lui faisaient les collèges sacerdotaux au sujet de la dédicace de son temple l’irritait et lui paraissait un mauvais signe. I1 sentait peut-être peser sur lui les inimitiés de plus d’une sorte que lui avait suscitées la prise de Syracuse. Pourtant il était très populaire, mais la sollicitude même qui poussait le peuple à s’opposer à son départ lui causait quelque ennui. Il brillait avec une ardeur presque maladive et peu d’accord avec son âge, d’attaquer Annibal en personne et de remporter des dépouilles opimes auprès desquelles celles de Clastidium auraient pâli. Nulle instance ne pouvait arrêter celui que le destin et sou propre caractère poussaient vers Annibal[130]. Un échange imprévu de provinces dans les arrangements entre généraux décida du choc, et les haruspices ne le retardèrent même pas.

Ces deux soldats illustres, Gracchus et Marcellus, ne tombèrent pas sans témérité ; Irais leurs torts en cette occasion, et peut-être en quelques autres, parurent aux dieux immortels suffisamment expiés par leur trépas[131], et la fortune de Rome n’en subit pas une grave atteinte. Les noms de ces deux victimes restèrent entourés d’une auréole que Gracchus transmit à sa généreuse postérité et qui se retrouva plus tard sur le front d’un autre Marcellus, devenue un nuage de mélancolie et de poésie : frons læta varum... nox atra capui tristi circumvolat umbra[132].

Les journées de l’an 207 avant Jésus-Christ, qui précédèrent et suivirent la bataille du Métaure, marquent la dernière phase, et la plus aiguë, de la terreur d’Annibal[133]. Les citoyens se demandaient avec angoisse quels dieux allaient être assez propices pour sauver la cité et l’empire de l’invasion des deux frères carthaginois. Alors surtout les matrones, errant d’un temple à l’autre, fatiguèrent les dieux de leurs supplications. Lorsqu’on eut entendu lire la fameuse lettre qui annonçait la victoire des deux consuls et la mort d’Asdrubal, ce furent les mêmes actions de grâces que si la guerre eût été terminée du coup ; l’écho de cette explosion de joie et de reconnaissance a retenti dans l’histoire et la poésie romaines. Revanche que les dieux donnent de Trasimène, disent Ovide[134] et Appien[135]. Horace y voit le rétablissement des dieux légitimes dans les temples dévastés par l’impie fureur phénicienne. Il entend l’ennemi découragé comparer le peuple romain au chêne de la noire forêt de l’Algide ; il entend les lamentations d’Annibal : Elle est morte notre espérance, morte notre fortune, morte avec Asdrubal[136].

Voici maintenant une figure nouvelle et qui fait pressentir l’apothéose impériale, celle de Scipion l’Africain. Déjà, de son vivant, et même dès sa jeunesse, un courant d’opinion se forme, qui prête aux événements de sa vie et au travail de sa pensée quelque chose de surhumain. Ce courant se fera sentir avec force dans la littérature historique ; il grandira sous le clair regard de Polybe, qui admire, sans être dupe, l’habileté des grands hommes à se servir de la superstition, tandis que les autres annalistes transmettent à la postérité, avec un respect patriotique tout au plus accompagné de quelques réserves, l’auréole de celui qui libéra et vengea l’Italie.

Réunissons ces fragments de légende. La naissance du premier Africain est miraculeuse comme celle d’Alexandre ; sa mère, ainsi «Olympias, a reçu la visite d’un serpent, forme visible de Jupiter[137]. La divinité voulait que cet enfant fût une image éclatante du courage et de la vertu parmi les hommes[138]. Il n’a pas connu cette période de l’enfance proprement dite où le petit être ne sait pas encore parler[139]. Au même âge, un autre serpent partit, qui l’entoura de ses replis sans lui faire de mal[140]. Au combat du Tessin, il sauva son père ; pourtant sa jeunesse traversait une phase de mollesse ou de dissipation[141] : elle devint sérieuse pour le bien de la patrie en danger. Le temple de son autre Père très bon et très grand au Capitole le recevait pendant les heures de la nuit, pour de longues méditations solitaires dont le salut de Rome était l’objet[142]. Les chiens qui gardaient cette demeure auguste, reconnaissant un enfant de la maison, n’aboyaient pas. Quand on l’interrogeait sur toutes ces circonstances merveilleuses, il ne disait ni oui ni non ; il laissait habilement croire au sujet de sa personne ce qu’on voulait, sachant, dit Polybe, que c’était le meilleur moyen d’obtenir l’obéissance des hommes[143].

En effet, sa carrière commençait, mêlée elle-même d’habileté et de merveilles. Un songe raconté à sa mère, pieuse visiteuse de temples, la faisait consentir à une candidature prématurée[144]. A vingt-quatre ans, le peuple l’envoyait en Espagne, en lui conférant, contre toutes les règles, l’imperium proconsulaire, et en poussant des acclamations qui parurent à tous un heureux présage[145]. A peine arrivé dans sa province, il promet aux soldats, au nom des dieux immortels, véritables auteurs de son extraordinaire élection[146], de venger leurs généraux tués, son père et son oncle. Au siège de Carthagène, il attribue à la protection de Neptune un mouvement des eaux qu’il avait prévu, et qui lui donne la victoire[147]. Maître de la place, il préserve ses soldats d’un serment sacrilège[148]. De retour à Rome, avant sa grande expédition d’Afrique, il donne des jeux superbes et n’oublie pas plus Apollon Delphien que les autres dieux[149].

Et pourtant les adversaires du jeune vainqueur, observateurs clairvoyants du péril que ses allures font courir aux institutions républicaines, cherchent les moyens de l’arrêter dans sa marche. Ils ne seraient pas fâchés de l’impliquer dans le sacrilège de Pleminius, son lieutenant[150]. Scipion s’en dégage habilement ; il s’embarque ; de son navire prétorial il adresse la prière sacramentelle aux dieux des terres et des mers pour qu’ils soutiennent le peuple romain, ainsi que ses alliés, dans sa juste entreprise, et qu’ils l’aident à rendre aux Carthaginois les maux dont ils ont menacé Rome[151]. Puis il laisse tomber dans la mer les entrailles de la victime, et l’on part.

Le court voyage de Lilybée en Afrique fut-il entouré de présages favorables ou, comme le voudrait un vieil annaliste[152], de toutes les terreurs du ciel et de la mer ? Quoi qu’il en soit, le Beau Promontoire fut salué par Publius comme un lieu de bon augure pour le débarquement. Avant comme après sa victoire de Zama, il se montra strict observateur de la religion du serment, presque méconnue par le peuple carthaginois dans la personne des ambassadeurs romains[153]. Lorsque vint le moment de conclure régulièrement le traité qui scellait la grandeur de Rome et l’irrémédiable abaissement de Carthage, un sénatus-consulte invita les Fétiaux à se rendre en Afrique[154]. Suivant un cérémonial qui est un moment restitué dans toute sa rigueur, mais qui bientôt va se perdre, les Fétiaux, magistrats-prêtres du droit public, reçoivent des mains du préteur l’herbe sacrée, la verveine du Capitole, symbole de la terre natale, les vases sacrés, le sceptre de Jupiter Férétrien, les cailloux de silex enlevés d’un temple, symboles, ainsi que ce sceptre, de la foudre qui frappe les parjures. Bientôt, dans l’ivresse brutale et croissante des conquêtes, ces usages respectables, attestant chez les anciens Romains une sorte de conscience du droit international, disparaîtront devant la politique des résultats sans scrupule[155]. Depuis lors, même pour les alliances, comme le remarque M. Willems[156], il n’y aura plus de traité sur le pied d’égalité entre Rome et les autres peuples ; un traité ne sera plus pour ceux-ci qu’un acte de soumission et une reconnaissance d’infériorité.

Cependant les citoyens avaient connu encore une fois les retours énervants de l’inquiétude et de l’espérance. Les vieillards du parti de Fabius voyaient avec indignation le départ d’Annibal produire, grâce au sentiment nouveau de la sécurité, un mouvement d’ingratitude. Ah ! murmuraient-ils, comme on fait bien de dire qua les hommes sentent le mal plus que le bien ! Tant que l’ennemi était là, combien de vœux publics et privés, combien de mains levées au ciel ! Aujourd’hui n’y a-t-il donc plus de dieux auxquels rendre grâces ?[157] Telles étaient du moins les premières impressions ; mais on trouva que la nouvelle décisive se faisait bien attendre. Alors on craignit de voir se renouveler le désastre de Regulus, on immola les grandes victimes promises. Encore un prodige effrayant[158] : le Tibre vient remplir le cirque par un débordement de ses eaux. Vite, on improvise un emplacement près de la Porte Colline, on s’y rend en foule ; mais en chemin l’on apprend que le Tibre vient de se retirer. Excellent présage ! En effet, bientôt arrive la nouvelle de Zama. Tous les temples sont ouverts en actions de grâces, et un triduum de supplications est ordonné[159].

Bientôt Scipion marchait au Capitole dans la plus belle pompe triomphale que la maison de Jupiter eût encore vue. Un surnom d’un nouveau genre, celui d’Africain, parti spontanément des rangs du peuple ou de l’armée, éternisait ce triomphe[160] ; et l’enthousiasme, pour ne pas dire le culte populaire, voulait remplir de ses statues tous les monuments de la cité[161]. Sil eut la prudence ou le bon goût de repousser une partie de ces hommages, le plus flatteur ne lui manqua pas : encore sous les empereurs, on voyait sa statue dans la cella de Jupiter très bon et très grand, où les Cornélius venaient la chercher pour leurs cérémonies de famille ; en sorte que, dit Valère Maxime, il est le seul qui ait eu pour atrium le Capitole[162].

On sait comment cette marelle glorieuse devait être arrêtée par le vieux Caton, ou pour mieux dire, par le génie de la vieille république : revers de médaille qui ne rentre pas dans le cadre de notre étude. Aucune réaction ne pouvait arrêter le fait accompli. On avait vu un général vainqueur rayonner d’un éclat surhumain très différent de l’auréole républicaine d’un Fabius ou d’un Marcellus. L’autel de la patrie, servi avec tant d’héroïsme, était apparu un moment comme le piédestal d’une personnalité éclatante : l’exemple, tôt ou tard, n’en sera pas perdu.

 

IV

Annibal et les religions. — Foi punique et foi romaine. — Rapports religieux avec Préneste et Capoue.

Nous n’avons pas à nous occuper des cultes phéniciens de Carthage pendant notre période[163] ; rien n’y fait dessiner d’ailleurs une phase nouvelle et particulière de leur histoire. Tout ce que nous laissent supposer à cet égard les historiens latins ou grecs, c’est que les inquiétudes répandues par les nouvelles militaires produisaient certaines réactions assez semblables à celles de Rome : ainsi l’extrême péril où Regulus mit un moment les Carthaginois, les aurait fait revenir à des cérémonies négligées[164], et toutes les religions, à vrai dire, ont connu de pareilles vicissitudes. Ce qui aurait plus d’intérêt pour nous, ce serait de connaître Annibal dans ses rapports avec les cultes de son armée, ou ceux des régions de l’Italie occupées par lui. Nous sommes réduits à un assez petit nombre de renseignements d’inégale valeur, dont quelques-uns, à vrai dire, ont leur importance.

Annibal était moins préoccupé des dieux que ses adversaires : cela parait hors de doute. Son père lui avait fait jurer haine éternelle aux Romains sur l’autel du Génie de Carthage, c’est-à-dire sur l’autel de Tanit, la déesse nationale[165]. Il n’y a rien là d’invraisemblable, et l’on ne voit pas pourquoi, dans sa vieillesse, il aurait inventé un conte de cette nature. A cette religion-là certes il fut fidèle, mais en eut-il d’autre que cette haine ? Il était assez peu un citoyen de Carthage ; il n’avait guère connu, si ce n’est dans son enfance, le culte sensuel, somptueux et cruel de sa patrie. Sa vraie patrie, c’était son armée, un ramassis d’hommes de toute provenance, qui n’avait point de dieux communs. Précisément cette absence d’un lien que toute l’antiquité regardait comme indispensable à une foule d’hommes combattant sous le même drapeau, augmentait l’admiration de Tite-Live pour un général qui savait sans cela se faire obéir[166]. Pourtant un chef d’armée, à certains moments décisifs, ne pouvait faire autrement que d’offrir un sacrifice solennel[167]. C’est ainsi qu’à Gadès Annibal honora l’autel de Melkart, et forma des vœux pour l’avenir, au cas où son entreprise réussirait[168]. Lorsqu’un traité d’alliance était conclu, un sacrifice était encore plus nécessaire, et les dieux garants de l’alliance étaient pris à témoin. Annibal n’a pu songer à manquer à cet usage : nous le voyons, avant le combat du Tessin, confirmer ses promesses aux alliés gaulois, le caillou mortel levé sur l’agneau qu’il va frapper, et demandant à Jupiter de le frapper de même s’il oublie ses engagements[169]. Nous le voyons, dans son traité avec Philippe de Macédoine, énumérer les dieux phéniciens et les dieux helléniques qui reçoivent les serments mutuels[170]. N’oublions pas non plus que ces deux vaillants soldats, Gracchus et Marcellus, ont reçu les honneurs funèbres[171] par les soins d’Annibal.

Les faits que nous venons de citer, les récits de songes que nous ont transmis des annalistes très anciens[172], atténuent sans l’infirmer la tradition générale de la littérature qui représente Annibal comme un homme peu religieux, peu respectueux des dieux[173]. L’habileté que lui attribue un historien dans l’art d’interroger les entrailles des victimes[174] n’était peut-être, à la supposer réelle, qu’un outil de plus dans son arsenal de ruses. Quand il traversait le territoire d’un peuple naïvement crédule, il en profitait pour prendre tous les déguisements, afin de frapper les esprits, par ces jongleries, d’une terreur superstitieuse. D’autre part, les ravages commis aux dépens des temples italiens ont laissé aux armées carthaginoises une renommée d’impiété. Le fanatisme n’est pas nécessaire pour les expliquer, mais simplement ce goût naturel pour la destruction qu’ont toujours montré les troupes de mercenaires, et que l’attrait du pillage venait singulièrement exciter.

Deux sanctuaires célèbres doivent être signalés, celui de Feronia au pied du Soracte, celui de Junon Lacinienne, près de Crotone. Les temples de Feronia étaient visités par des affranchis de toute origine qui venaient y déposer des offrandes, et celui-là, le plus voisin de Rome, avait un grand trésor composé d’objets en métal précieux et de monnaie. Annibal mit ces richesses au pillage, mais on retrouva après son passage beaucoup de monnaie jetée çà et là sur le sol du temple dévasté par des soldats peut-être saisis de scrupules ou de remords. Michelet suppose, un peu arbitrairement, que l’armée d’Annibal était en partie composée d’affranchis, lesquels n’auront pas voulu s’enrichir aux dépens de leur patronne[175]. Quant au temple de Junon Lacinienne, Annibal lui-même l’épargna, s’il faut en croire une vieille tradition. Les présents apportés à ce sanctuaire et les revenus considérables de ses troupeaux avaient permis aux prêtres d’y ériger une colonne en or. Annibal, pendant sa longue et tenace campagne dans le Bruttium, fit pratiquer un trou dans cette colonne pour s’assurer qu’elle était massive. En ayant acquis la certitude, il voulut l’emporter, mais, pendant la nuit, Junon lui apparut, le menaçant, s’il exécutait son sacrilège, de lui faire perdre l’œil qui lui restait. Non seulement Annibal renonça dès lors à l’emporter, mais il voulut réparer le dégât qu’il avait commis, et des débris enlevés il fit faire une petite génisse en or qui fut placée sur la colonne[176]. C’est aussi dans ce sanctuaire qu’il dédia un autel sur lequel était gravé, en lettres grecques et en lettres puniques, le long récit de ses exploits[177]. Je ne sais s’il faut abonder dans la conjecture de Preller[178], d’après laquelle Annibal aurait reconnu dans Junon Lacinienne, la déesse protectrice de Carthage. Cela est bien possible : la Juno Lacinia n’était peut-être pas très différente de la Juno Cœlestis, divinité phénicienne, et, d’autre part, il résulte des découvertes récentes que Tanit, la déesse poliade, le génie de Carthage, pouvait jouer à la fois le rôle de Virgo Cœlestis et celui de Juno Cœlestis[179]. Plusieurs de ces temples des côtes de la Sicile ou de la Grande-Grèce, fussent-ils purement helléniques au point de vue de l’art, présentaient un caractère international.

Les Romains avaient-ils le droit d’accuser Annibal et Carthage de perfidie ? La Foi, dit Valère Maxime, la Foi qui préside aux affaires humaines, regarda d’un visage attristé le bûcher volontaire des défenseurs de Sagonte[180]. Les Romains, remarque un personnage de Diodore, répètent volontiers le nom de la Foi[181]. Polybe, enfin, plus rapproché des événements et plus clairvoyant, regarde la Foi jurée comme la meilleure garantie des mœurs romaines, et son crédit comme la cause de la supériorité des Romains sur la corruption carthaginoise[182]. Le fait est qu’ils mettaient à exalter leur culte pour une divinité si morale, ce pédantisme sincère qu’ont à leur service tous les peuples possédés d’une ambition profonde[183]. Comme toujours, en pareil cas, ils ne daignaient s’apercevoir de leurs propres manquements, tandis qu’ils soulignaient amèrement ceux de l’adversaire. Ne leur objectez pas que Claudius, au début de la première guerre, a donné une mauvaise idée de la foi romaine[184], que clans l’intervalle des deux guerres, Rome a soutenu indirectement le soulèvement des mercenaires, et profité des embarras de Carthage pour s’agrandir[185]. N’allez surtout pas dire à Tite-Live que si l’on condamne les Carthaginois parce qu’Annibal a déchiré un traite conclu par Asdrubal sans l’aveu de sa patrie, on doit aussi condamner les Romains qui refusaient de reconnaître le traité conclu par Lutatius sans l’aveu du Sénat : il vous répondra par des distinctions juridiques, à vrai dire assez plausibles[186]. Polybe, en ce cas de conscience de Sagonte, expose avec sa calme raison les arguments de part et d’autre, les comprend de part et d’autre[187].

D’une façon générale on peut reconnaître avec le même Polybe la supériorité des Romains dans le respect de la foi jurée. Ce ne sont pas eux, par exemple, qui auraient fait ce que Tite Live reproche à Asdrubal. Ce Carthaginois, pendant qu’il amusait le consul Néron par de feintes négociations, voulut obtenir un délai de vingt-quatre heures dont il avait besoin ; il affirma que le lendemain, la religion de sa patrie défendait tout travail, tolite affaire sérieuse. Le délai fut accordé, et Asdrubal l’employa à occuper une position avantageuse. Claudius Néron reconnut la foi punique, mais trop tard[188]. Un Romain n’aurait pas commis cette vilenie, il ne se serait pas joué ainsi de sa parole et des dieux. Au total, les Romains pouvaient, sans trop d’hypocrisie, se croire la mission de punir la perfide Carthage et la perfide dynastie Barca. Un autre Asdrubal, après Zama, le reconnut bassement lorsqu’il offrit de jurer par les dieux qui punissaient avec tant de sévérité une nation perfide...[189] sa patrie !

Il est à remarquer que les Carthaginois avaient foi dans le serment des Romains. Annibal n’eut pas besoin d’une autre garantie[190] pour envoyer à Rome les délégués des captifs, chargés de proposer le rachat de leurs compagnons et d’eux-mêmes, et qui ne l’obtinrent pas. Sur le nombre des délégués qui retournèrent suivant leur parole et de ceux qui se parjurèrent, il y a des divergences que Cicéron et Tite-Live remarquent eux-mêmes[191]. Ce qui semble bien constaté et ce qui nous importe, c’est que, devant le refus du sénat de racheter les prisonniers, il se passa dans l’âme de ces captifs et de leurs parents une lutte entre la ferme religion du serment et l’amour de la vie, qui se cramponnait à des subtilités juridiques[192]. On leur persuadait dans leur famille, qu’une fois chez eux, ils avaient recouvré leur liberté en vertu du droit de postliminium. L’un d’eux avait trouvé mieux encore : à peine sorti du camp d’Annibal, il y était rentré sous un prétexte futile, puis il en était sorti de nouveau se croyant désormais libre parce qu’il avait exécuté et en quelque sorte épuisé sa promesse de revenir[193]. Ce que nous voyons d’autre part, c’est que les délégués qui avaient cédé aux tentations de la mauvaise foi succombèrent sous le poids du mépris général[194], et cherchèrent un refuge dans le suicide.

L’esprit scrupuleux des Romains ne leur interdisait nullement de profiter des fêtes religieuses de leurs adversaires pour les surprendre et les massacrer. Marcellus pénètre dans Syracuse pendant les fêtes de Diane, qui mettaient la population hors de combat. Gracchus est averti que les Campaniens ont un rendez-vous pour célébrer des sacrifices et un festin nocturne : il arrive subrepticement, et, au bon moment, il fait main basse sur cette foule[195]. Pinarius, chef de la garnison de Henna au cœur de la Sicile, a bien plus d’audace : il prétend mettre de son côté les dieux protecteurs de ceux-là même qu’il tue traîtreusement. Voyant que les habitants veulent livrer la ville à l’ennemi, il se croit parfaitement autorisé à prévenir leurs tentatives. Il les convoque dans le théâtre sous prétexte de les consulter, en réalité pour les cerner et les détruire. Mais avant de donner le signal à ses soldats, le pieux patricien, prêtre né du culte d’Hercule, se rappelle que Henna est l’endroit de la Sicile oit Cérès a retrouvé sa fille, et que les deux déesses ont cette ville sous leur patronage. Alors il leur adresse cette prière[196] : Je vous supplie, Cérès, mère, et vous Proserpine, et vous tous, dieux du ciel et de l’enfer, vous qui habitez cette ville, ces lacs, ces bois sacrés, de nous être favorables si nous agissons, non pour commettre une trahison, mais pour en prévenir une.

Le duel sans merci de Rome et de Capoue, l’alliée d’Annibal, est d’autant plus curieux à observer au point de vue religieux, qu’il n’y avait pas entre les deux villes une profonde différence de culte. Il y avait plus encore que cela, une rupture irrémédiable entre les foyers, entre les pénates des deux villes. Le Campanien Badius vient aulx avant-postes des assiégeants, provoquer Crispinus, qui l’avait reçu à Rome, à son foyer ; il lui déclare qu’il le renie pour son hôte, qu’il n’y a plus rien de commun entre lui et un ennemi qui vient attaquer sa patrie et ses pénates privés et publics[197]. Ensuite a lieu un combat singulier dont le Romain sort vainqueur. Plus menaçante encore est la déclaration, partie de Rome, qui vient signifier aux assiégés cette haine irréconciliable. Un fétial prévient les habitants de Capoue que ceux qui sortiront de la ville avant tel jour conserveront leur vie et leurs biens : c’était la condamnation à mort de la ville elle-même. Et pourtant dans cette ville, au milieu des haines exaspérées, une femme, Vesta Oppia, faisait dans sa demeure des sacrifices quotidiens pour le salut et la victoire du peuple romain[198]. Après la chute de Capoue elle l’ut bien traitée par les généraux romains qui connaissaient sa conduite ; n’auraient-ils point connu beaucoup d’autres choses encore, beaucoup de renseignements utiles, par elle ou par les autres partisans de la fortune de Rome ?

En statues de métal, en imagos de toutes sortes, le butin était considérable. Le collège des pontifes, dit Tite-Live, fut chargé de décider quels objets pouvaient être considérés comme conquis sur l’ennemi, quels objets étaient sacrés, quels profanes ; questions qui rentraient, en effet, dans la compétence de cette auguste corporation[199]. Il serait intéressant d’avoir là-dessus plus de détails. Mais ce que nous voyons avec une clarté relative, c’est que, d’une part, certains cultes de Capoue furent transférés à Rome et en quelque sorte annexés à la religion romaine ; que d’autre part Rome laissa aux Campaniens vaincus, écrasés, effacés de la liste des peuples, certaines institutions religieuses, unique débris de leur indépendance.

La fête des Volturnalia parait se rapporter au premier de ces deux points. Le Volturne, qui arrose Capoue, avait été divinisé comme beaucoup de fleuves italiens ; le culte romain l’honora à partir d’une époque non déterminée, mais qui ne parait pas avoir été très ancienne. Suivant Preller[200], voici la seule explication vraisemblable de cette importation : les Romains, conquérants de Capoue en 211, en prirent possession de telle sorte qu’ils se substituèrent complètement à cette personnalité pour ainsi dire supprimée. Alors et par ce seul fait, le culte du dieu fleuve et celui des éponymes de la cité devinrent la propriété du vainqueur qui les transporta dans ses murs, et leur réserva une place dans ses fastes. Quant au second point, la Campanie, dit M. Boissier, garda ses dieux après la guerre d’Annibal, quoiqu’elle eût perdu tous ses droits politiques. Le vainqueur, malgré sa colère, n’osa pas lui défendre de les honorer, el, pendant plus d’un siècle ce malheureux pays ne nous révèle son existence que par quelques pratiques religieuses dont la trace s’est conservée dans les inscriptions[201]. En effet plusieurs de ces documents[202], dont nous n’avons guère à nous occuper parce que ceux dont nous avons la date sont postérieurs de beaucoup à la seconde guerre punique, nous font connaître des collèges qui, dans les papi campaniens, privés désormais de toute existence politique, s’occupaient du culte et des jeux publics inséparables du culte.

Préneste n’était pas une rivale, comme Capoue, mais elle comptait parmi ces cités italiennes dont la fière indépendance était suspecte. L’importance de Préneste tenait à son temple de Fortuna Primigenia. Cette déesse, en vertu d’une théogonie locale qui n’avait cure de rentrer dans un système général, passait pour la divinité la plus ancienne de toutes, et Jupiter et Junon eux-mêmes y étaient regardés comme ses enfants. Aucun oracle, en Italie, n’était plus écouté que les sorts de Préneste, ainsi nommés de ce que ce mode de divination s’exerçait au moyen de tablettes portant des devises, et dont l’une était désignée par le sort[203]. Le Sénat était partagé entre le désir d’associer cet oracle à la grandeur romaine, et la crainte de le voir conspirer contre elle. Encore à la fin de la première guerre punique, c’est la défiance qui l’emporte, si bien qu’un consul se voit brusquement rappeler au moment où il va consulter la Fortuna primigenia[204]. Mais, au plus fort de la guerre d’Annibal, la belle conduite des soldats prénestins au siège de Casilinum vint tout changer. Pendant ce siège terrible, où ils se montrèrent les rivaux des plus braves légionnaires par la fermeté de leur résistance, Anicius, leur préteur, fit un vœu ; et dès que les héroïques défenseurs de Casilinum eurent été dégagés, il retourna à Préneste pour l’exécuter.

En vertu de ce vœu[205], la statue d’Anicius fut érigée dans le forum de Préneste. Elle le représentait en costume militaire, et cependant voilé parce qu’il remplissait une obligation religieuse. Elle portait cette inscription sur une feuille de cuivre : Vouée par Anicius pour les soldats de la garnison de Casilinum. La même inscription fut apposée sur le piédestal des trois statues du temple, celles de la Fortune, de Jupiter et de Junon. Dès lors les sorts de Préneste n’ont plus rien de suspect. Si les habitants de cette ville, fière dans sa fidélité[206], ne veulent pas quitter leur nom de Prénestins pour celui de Romains, le Sénat ne leur en tient pas rigueur. Leur Fortune n’en devient pas moins une déesse romaine, que les magistrats ou même les alliés de la République viennent prier pour le succès de Rome. Son rôle eu ce sens s’accentue si rapidement qu’avant la fin de la guerre, dans l’expédition d’Afrique, Sempronius Tuditanus lui vouera un temple[207], et ce temple, après la victoire et la paix, sera en effet bâti par lui sur le Quirinal.

 

V

Deux grands pontifes remarquables : Metellus, sauveur du Palladium, et Licinius Crassus. — affaires de sacerdoce et d’élection, — Questions triomphales. — Prodiges et expiations. — Les Saturnales. — Les cultes de Janus et de Vesta. — Dédicaces. — Peu de nouveaux dieux romains : épuisement cosmogonique.

Jusqu’ici nous n’avons guère envisagé, du moins pour la seconde guerre punique, que les grands personnages, le rôle général et les faits extérieurs de la religion romaine. Nous allons pénétrer plus avant dans la vie intérieure de cette religion, dans son sacerdoce et dans son culte, dans les importations helléniques et orientales qui commencent à la transformer.

Deux souverains pontifes remarquables occupent, l’un le milieu, l’autre la fin de notre période : L. Cæcilius Metellus et P. Licinius Crassus. Tous deux ont exercé plus de vingt ans cette haute dignité[208], dépassant ainsi de beaucoup la moyenne. Tous deux ont été sérieux, dévoués, respectés. Conformément à l’esprit anti-théocratique de la religion romaine, tous deux étaient aussi de braves soldats, de vigilants consuls ; Licinius est même arrivé au consulat pendant, et non pas avant son pontificat. Il n’en est pas moins vrai que ces deux hommes apparaissent dans l’histoire plutôt comme des prêtres que comme des magistrats. Au devoir sacerdotal, le premier sacrifie ses yeux en risquant sa vie ; le second sacrifie sa gloire : quelle gloire ! celle de terminer peut-être la guerre d’Annibal[209].

Le temple de Vesta brillait. Les Vestales, s’il faut en croire Ovide, perdaient la tête, et ne songeaient pas ou ne se risquaient pas à retirer le Palladium ou les Pénates[210] du sanctuaire. Le grand pontife Metellus arrive : il se jette dans la fournaise, revient avec le gage des destinées de Rome, mais il avait perdu la vue. Nous connaissons mal les détails de cet événement ; les jeux d’esprit d’Ovide sur les flammes sacrilèges qui venaient se mêler aux flammes sacrées du foyer de Rome[211] ne peuvent point passer pour des documents, et il est probable que Metellus fit la chose sans tant de paroles. L’auteur des Fastes lui en prête pourtant quelques-unes qui sont vraisemblables. Comme il pénétrait dans une retraite interdite à son sexe, il fait cette prière, qui constitue une sorte de devotio : Si c’est un crime, que la peine en retombe sur ma tête. Et, en effet, rien n’empêchait les dévots de considérer la cécité de Metellus comme une sorte de rançon du salut de Rome garanti par le Palladium. En tout cas le fait n’est pas douteux, ni l’importance qu’on lui attribuait, puisqu’il figure dans l’abrégé conservé d’un livre perdu de Tite-Live[212]. Le naturaliste Pline, destiné à finir sa vie par un acte d’héroïsme scientifique, reste quelque peu perplexe devant cet acte d’héroïsme religieux. Il se demande si le fils du pontife a eu raison de dire, dans l’oraison funèbre de son père, que le sauveur du Palladium a eu tous les bonheurs. Sans doute, Pline le concède, on ne peut être appelé malheureux quand on a rendu un si grand service, quand, en retour, on a obtenu du peuple romain ce témoignage inouï de reconnaissance : être autorisé à se rendre en voiture au Sénat. Mais peut-on être appelé heureux quand on a pavé cela de ses yeux[213] ? Le curieux observateur de la nature aurait bien envie de répondre : non.

Licinius Crassus, fort jeune encore, était candidat au grand pontificat. Il avait contre lui deux concurrents chargés d’années, de dignités et de gloire[214]. Pourtant sa réputation précoce d’intégrité et de science lui assura la majorité des suffrages, et le peuple n’eut pas à s’en repentir. Il dirigea d’une main ferme le sacerdoce romain pendant les douze dernières années de la guerre d’Annibal, et encore longtemps après. Les Vestales négligentes ne pouvaient se dérober à ses verges. Il apportait beaucoup de soin, et parfois de hardiesse, au recrutement des flamines. L’un de ses premiers actes fut de mettre la main sur un jeune débauché qui faisait le chagrin de sa famille, Valerius Flaccus, et de lui imposer les fonctions de flamine de Mars[215]. Faut-il penser avec M. Lange[216] que cette idée de se servir du sacerdoce pour corriger les jeunes gens d’illustre naissance décèle une sorte de décadence religieuse Y Je croirais plutôt que Licinius, avec un coup d’œil vraiment pontifical, discerna le germe de grandes qualités chez le jeune flamine malgré lui. Une fois revêtu de sa dignité, Valerius Flaccus changea si soudainement et si complètement son genre de vie, qu’il devait laisser un exemple longtemps célèbre de conversion[217], dans le sens où la religion romaine pouvait comprendre ce mot ou cette idée : beaucoup d’attention aux devoirs multiples du culte et des cérémonies, grande simplicité de mœurs ; tant et si bien que l’enfant perdu d’une grande maison devint l’objet du respect général, et qu’il rehaussa dans sa personne la dignité de flamine compromise par certains de ses devanciers. Lorsqu’il réclama un siège au Sénat, son droit paraissait douteux, mais le peuple et les pères conscrits eux-mêmes vénéraient tellement Valerius Flaccus que toute opposition dut s’évanouir[218].

On voit par là que si Licinius Crassus était audacieux dans ses choix, il ne manquait pas de clairvoyance. Quant à son attachement aux fonctions sacerdotales, il en donna une preuve plus décisive encore que Metellus. Celui-ci avait interdit au consul Posthumius de diriger une expédition loin de Rome, parce qu’il était en même temps flamine de Mars, et qu’il ne pourrait faire une longue absence sans manquer à ses devoirs[219]. Licinius, au lieu de faire plier la volonté des autres, inclina la sienne propre : devenu consul, et pouvant comme tel diriger l’expédition d’Afrique, il se retint lui-même à Rome pour remplir ses devoirs de pontife[220].

Malgré les qualités personnelles et le prestige personnel d’un ou deux chefs, des causes graves commençaient à entamer le sacerdoce dès cette période de transition, et surtout le menaçaient sérieusement dans l’avenir. Nous en indiquerons trois : le désaccord croissant entre les exigences des autels et celles des grands services publics ; l’esprit de népotisme, qui se glissait dans les charges de toutes sortes, et tendait à les transformer en propriétés héréditaires ; enfin les premiers progrès du scepticisme, malgré les recrudescences momentanées de la foi.

La première de ces causes a été bien vue par M. Lange, bien développée par M. Marquardt[221]. Plus les commandements militaires devenaient avantageux, plus ils entraînaient loin de Rome. C’est aujourd’hui la Sardaigne, la Sicile, l’Afrique ; ce sera demain la Macédoine, après-demain l’Orient. Comment concilier ces lointaines et séduisantes expéditions avec le strict rituel qui permettait à peine d’aller combattre à quelques journées de la cité, et qui vient encore de contraindre Fabius à quitter son armée en face d’Annibal, pour aller célébrer un sacrifice. L’accommodement étant impossible, les gênantes dignités religieuses tombent dans le discrédit. Dès l’an 210, et malgré la forte discipline de Licinius, la charge de rex sacrorum, très assujettissante, devient vacante et reste deux ans sans être pourvue[222]. On ne pourvoit pas non plus tout de suite à celle du grand turion, sorte de pontificat spécial exerçant une surveillance sur le vieux culte qui continuait dans chaque curie[223]. Il est vrai que les lacunes finissent par être comblées, et qu’en général, nous voyons d’année en année les vides creusés par la mort se réparer régulièrement. On peut même observer que l’élection du nouveau turion donne lieu à un nouveau progrès de l’union des deux Ordres. Jamais jusque-là plébéien n’avait été porté à ces fonctions, quoique la question se fût déjà posée[224]. Elle est cette fois tranchée par le peuple en faveur du plébéien C. Mamilius Vitulus.

Malgré tout, il y avait là l’indice d’un premier ébranlement du sacerdoce, et l’énergie même de Licinius, que nous avons vu recourir à la toute-puissance de sa charge pour créer un flamine malgré lui, en est une preuve de plus. Quelques années se passent, pendant lesquelles les anciennes incompatibilités sont maintenues. Non seulement Licinius donne l’exemple de les respecter, mais lorsque Fabius Maximus veut faire échouer la candidature d’Æmilius Régillus au consulat, candidature qui est sur le point de réussir, il lui suffit de faire remarquer au peuple que Régillus est flamine de Quirinus, et qu’on risque de le placer entre deux devoirs inconciliables[225]. Et toutefois la tradition est près de plier, comme elle savait toujours le faire à Rome, le moment venu. Le flamine Valerius Flaccus, voulant devenir édile curule, fait prêter serment par son frère. Cette fiction toute romaine ne rencontre aucun obstacle de la part du vigilant pontife[226]. La vieille barrière était percée d’une brèche destinée à s’élargir.

L’esprit de népotisme, qui a devant lui un si bel avenir, en est encore à ses débuts vers la fin de notre période. Jusque-là on respectait la règle qui interdisait à deux membres de la même gens de siéger dans le même collège, de peur que les sacerdoces ne deviennent des propriétés héréditaires. Maintenant, nous trouvons deux Sulpicius Galba, non seulement de la même gens mais de la famille, qui sont pontifes en même temps ; nous trouvons deux Sempronius qui sont augures en même temps[227]. Le même principe fermait les dignités sacerdotales aux jeunes gens qui n’avaient pas encore pris part au maniement des affaires ; on se gardait de cet abus surtout depuis l’union des deux Ordres ; mais déjà se reforme une oligarchie de patriciens et de plébéiens riches et illustres, qui mettent la main, jeunes encore, sur les sacerdoces. C’est une des formes de l’accaparement général qui ne fait que commencer, et qui sera la ruine de la république.

Le scepticisme dont nous pouvons signaler quelques indices n’est plus l’impiété provocante d’un Flaminius. Certains aveux échappent à des conservateurs, à deux augures illustres qui ne riaient point en se regardant. L’un d’eux, Marcellus, déclare que lorsqu’il a un projet en tête, pour ne pas en être détourné par les mauvais présages, il voyage en litière fermée : de la sorte, ne les apercevant pas, il n’a pas à s’en occuper[228]. Je veux bien que l’on explique ce propos par une théorie[229] d’après laquelle un présage ne signifiait rien si l’intéressé ne le voyait pas ; mais cette théorie même serait un raffinement sceptique. L’autre augure, Fabius Maximus, se permettait l’appréciation hardie que voici : les choses qui sont faites sous de bons auspices sont celles qui rendront service à la République, et les choses qui sont faites sous de mauvais auspices sont celles qui nuiront à la République[230]. Ces distinctions utilitaires sont moins importantes par elles-mêmes que par le soin qu’on a mis à les conserver. Les contemporains de Cicéron, partisans d’une religion officielle qui se contentait de l’adhésion extérieure du citoyen et qui dispensait l’homme de rien croire pour son propre compte, aimaient à retrouver chez des ancêtres pieux le premier germe de leur scepticisme. Ajoutons que l’on voit apparaître çà et là des traces de négligence professionnelle[231]. Plus d’un prêtre est suspendu ou relevé de ses fonctions sacerdotales pour avoir mal observé le rituel du sacrifice, ou pour avoir laissé tomber son bonnet pointu dans un moment solennel.

Si, tout à la fin de notre période, on voit poindre le népotisme de la nouvelle aristocratie qui envahira Rome dans les générations suivantes, au commencement de notre période nous constatons un progrès décisif de l’égalité aux dépens de l’ancien patriciat. C’est en 253 qu’un premier plébéien, Tiberius Coruncianus, devient grand pontife[232], près d’un demi-siècle après la loi Ogulnia, qui avait rendu cette dignité accessible à la plèbe : tellement les mœurs changeaient plus lentement que les dispositions légales. C’est alors aussi, du moins la chose est probable, que pour la première fois ce chef de la religion est élu par les comices populaires, et non plus par ses collègues. L’incertitude chronologique qui plane sur ce grave changement est singulière. M. Bouché-Leclercq[233] suppose avec beaucoup de vraisemblance que les pontifes, arbitres et détenteurs de la chronologie, auront fait le plus possible le silence sur cette transformation électorale qui, pour leur esprit de corps, était un échec.

Le même historien fait deux remarques importantes. D’abord le collège des pontifes n’était pas à la merci des suffrages populaires, puisqu’il continuait à se recruter par cooptation, puisque son chef seulement était choisi par le peuple, et choisi dans son sein.

Ensuite, on trouva le moyen de sauvegarder le respect dû à la religion en empêchant cette élection de ressembler à celle d’un magistrat politique. Au lieu de convoquer toutes les tribus, on n’en convoquait que la minorité, après un tirage au sort. Cette fiction donnait au choix du chef de la religion par le peuple, l’aspect d’une modeste présentation, et non d’une désignation impérative[234]. Malgré tout, l’innovation était considérable quelle a été son influence sur la destinée des institutions ?

Très funeste, selon M. Boissier, à cause des résultats que l’on peut attendre des caprices de la foule et des compétitions des partis ; on ne se soucie pas toujours de choisir les plus dignes et les plus capables, ce furent les plus influents ou-les plus habiles qui l’emportèrent. Dès lors, les traditions achevèrent de s’altérer, les cérémonies furent négligées et l’esprit religieux se perdit[235]. Rien de plus juste si nous jetons un regard vers l’avenir ; mais les deux premières générations n’ont pas souffert de ces conséquences. Par un effet de la force acquise, à laquelle il faut joindre la gravité des circonstances et le sérieux encore conservé des mœurs, les choix ne furent pas moins bons qu’ils lie l’auraient été sans la loi Ogulnia et sans le vote dans les comices. Coruncanius était un jurisconsulte éminent, qui donnait des leçons ou des consultations de droit, d’une grande autorité en toute affaire, et très serviable[236]. Nous avons vu quelles grandes qualités recommandèrent deux de ses successeurs, Metellus et Licinius.

Le triomphe, cette visite d’actions de grâces rendue à Jupiter Capitolin, patron de la cité, par le général vainqueur et son armée[237], ne devient pas seulement plus magnifique ; il est aussi plus envié et commence à être l’objet de certaines discussions, où la subtilité des juristes religieux de Rome se donne carrière. La bataille décisive des îles Egates avait terminé la première guerre ; mais on ne voyait pas clairement quel était le véritable vainqueur, le consul Lutalius ou son très actif subordonné, le préteur Valérius Fallo. Le principe hiérarchique l’emporta, mais sous une forme religieuse. L’arbitre choisi par les deux rivaux, Calatinus, posa cette question : Si vous aviez pris des auspices différents, lesquels l’auraient emporté ?Ceux du consul. — C’est donc au consul de triompher[238]. La sentence ne fut pourtant pas exécutée à la rigueur. Les fastes officiels nous indiquent bien Lutatius comme ayant triomphé le premier, avec une mention qui lui attribue le rôle principal ; mais Valerius triompha trois jours plus tard[239]. Le moyen terme était de toute justice.

Les choses ne s’arrangèrent pas toujours aussi bien. Dans l’intervalle des deux guerres, Papirius Maso, vainqueur des Corses, n’obtint pas du Sénat le suprême honneur qu’il croyait avoir mérité. Alors il s’accorda à lui-même un triomphe sur le mont Albain, satisfaction d’un nouveau genre que d’autres généraux se donnèrent à son exemple[240]. Dans la grande lutte contre les alliés d’Annibal, Q. Fulvius et Marcellus lui-même eurent à subir le même refus du Sénat, par ce motif que Capoue et Syracuse avaient été, non pas conquises une première fois, mais reprises sur l’ennemi, ce qui ne valait pas, disait-on, le complet triomphe[241]. Un autre Fulvius, Cneus venait, tout au contraire, de refuser le triomphe qu’on lui offrait, et cela parce qu’il était sous le coup d’une accusation : genre de contestation qui ne devait pas créer de précédent, et qui fit scandale[242]. Quant à Marcellus, qui désirait triompher et le méritait certes, il plaida lui-même sa cause, dans le temple de Bellone[243]. Plusieurs des pères conscrits lui étaient favorables, disant que l’on avait fait des supplications et des sacrifices pour ce général absent, et qu’il ne fallait pas lui faire affront maintenant qu’il était présent et vainqueur. Ce qui fut décisif contre lui, c’est que la guerre durait encore et que l’armée était absente. Le Sénat avait peut-être raison de ne pas multiplier les fêtes joyeuses quand le péril était encore si grand. Le vainqueur de Syracuse dut se contenter de célébrer son triomphe sur le mont Albain et d’obtenir l’ovation le lendemain[244].

Entre les deux vainqueurs du Métaure, il n’y eut pas de contestation, tant la joie était grande. Claudius Néron et Livius Salinator furent autorisés à triompher ensemble sur le pied d’égalité. Cette fois le scrupule vint de Néron lui-même : comme la bataille avait été gagnée dans la province de son collègue, comme de plus c’était son collègue qui ce jour-là avait pris les auspices, il crut devoir suivre modestement le triomphe de Livius ; et il en fut récompensé par des acclamations qui rétablissaient l’équilibre entre les deux consuls, tous deux véritables libérateurs de Rome[245].

La seconde guerre punique est, de toutes les périodes de l’histoire romaine, celle pendant laquelle on a signalé le plus de prodiges. Une liste complète de ceux que Tite-Live indique d’année en année d’après les notes des pontifes, serait insupportable de monotonie. Lui-même, le pieux historien, exprime plus d’une fois[246] son incrédulité, et l’explication qu’il donne de ces bruits bizarres venus de tous les quartiers de Rome et de tous les endroits de l’Italie, est la seule raisonnable : à savoir que la crédulité des esprits surexcités allait au-devant de toutes ces merveilles, et accueillait comme faits incontestables des phénomènes mal observés, grandis et déformés en passant de bouche en bouche.

La plupart de ces prodiges se répètent nombre de fois. Par exemple les pluies de pierres, qui depuis les origines de Rome étaient regardées comme des signes redoutables[247] ; les mouvements des animaux et des enfants dérangés de leur cours naturel, de telle sorte qu’un bœuf monte au troisième étage d’une maison et qu’un enfant parle en naissant[248] ; d’autres animaux se mettant en rapports insolites avec les dieux ou avec les armées romaines, comme ces abeilles qui vont essaimer au dessus de la tente du général, ou ces corbeaux qui vont faire leur nid dans le temple rie Junon Sospita[249] ; la mer ou les marais qui paraissent tout en sang[250] ; la lance d’une autre statue qui bouge ; les sorts des oracles, c’est-à-dire les tablettes que l’on tire au sort à Cœré ou à Préneste, tantôt diminuant de volume, tantôt laissant tomber l’une d’entre elles, sur laquelle on lit les menaces de Mars[251] ; la foudre qui frappe les temples[252] ; les navires apparaissant dans le ciel ; le Janicule couvert de légions armées imaginaires[253], etc., etc.

Selon les règles du pontificat romain plus que jamais en éveil, toits ces prodiges devaient être procurés, c’est-à-dire compris et expiés, c’est-à-dire encore que la volonté menaçante des dieux doit être détournée, calmée par quelque cérémonie : car il ne s’agit point d’une expiation morale, il suffit d’un rite extérieur pour dégager la responsabilité de Rome, pour obtenir la paix des dieux[254]. Prenons pour exemple le moment d’effroi qui précède Trasimène. Quelle accumulation de témoignages extraordinaires de piété ! Quarante livres d’or sont portées à Junon dans son temple de Lanuvium ; les matrones dédient une statue d’airain à Junon sur l’Aventin ; un lectisterne est ordonné à Cœré, là où les tablettes fatidiques se sont rétrécies ; la cérémonie appelée supplication est décrétée au temple de la Fortune dans la forêt de l’Algide ; à Rome même, supplications réitérées au temple d’hercule et près de tous les coussins qui portent les attributs des dieux[255]. Du reste on peut dire que toute cette époque est dominée par la préoccupation des prodiges. Les innombrables miracles proprement dits ne l’épuisent pas : c’est un prodige à procurer que le péché d’une vestale ; c’est un prodige à procurer que la défaite d’une armée romaine.

Ce n’est pas seulement le champ des prodiges, c’est aussi le champ des compétences qui s’élargit. Les corporations vraiment romaines des pontifes et des augures ne sont pas les seules à s’en occuper ; il y faut de nouvelles ressources divinatoires. L’haruspice toscan, malgré le fond d’invincible défiance qu’il rencontre dans l’instinct romain, met le pied chaque jour plus avant et plus sûrement dans les affaires publiques. Les livres sibyllins sont interrogés par les décemvirs, non plus de loin en loin, mais fréquemment, et chaque fois des nouveautés se produisent. En un mot, la surexcitation de la superstition romaine a beaucoup contribué à introduire dans Rome les autorités étrangères et les cultes étrangers.

Si d’innombrables prodiges effrayaient les Romains, d’autres venaient les rassurer. Telle l’auréole apparue sur le front du jeune Marcius[256], ce simple chevalier qui rendit un si grand service en ralliant l’armée d’Espagne après le désastre des deux Scipions. Les soldats virent avec stupéfaction la tète lumineuse du général improvisé qui les haranguait, et qui ne se doutait pas lui-même du miracle. Bientôt à une sorte d’effroi, succéda une entière confiance, et l’on marcha à la victoire. Le Capitole reçut dans sa collection de trophées un bouclier orné du portrait d’Asdrubal, et qui conserva jusqu’à l’incendie du Capitole le nom de bouclier de Marcius[257].

Parmi les satisfactions que l’on offrit aux dieux déjà avant Trasimène et sur l’indication que donnaient les prodiges, figure l’établissement des Saturnales[258] comme fête régulière fondée à perpétuité (217). Les Décemvirs désignèrent le 17 décembre pour ces réjouissances, qui ne duraient alors qu’un jour[259], et qui finirent par en durer sept sous l’Empire. Elles consistaient dans un sacrifice au temple de Saturne construit vers les premiers temps de la République, dans un lectisterne où le lit du dieu était préparé par les sénateurs eux-mêmes, dans un repas public où reparaissait l’égalité primitive de l’âge d’or, enfin dans les cris de : Io Saturnalia ! dont la ville retentissait durant vingt-quatre heures.

C’est également pendant la seconde guerre punique, mais huit ans plus tard, que le tribun Publicius mit fin à un abus causé par les Saturnales, abus d’autant plus singulier qu’il consistait dans une pression exercée par les riches sur les pauvres, c’est-à-dire dans ce que l’on pouvait imaginer de plus contraire à l’esprit de la fête. Les riches, parait-il, avec celte tendance à l’accaparement qui commençait à se dessiner et qui fut le mal mortel de la République, profitaient des Saturnales pour se faire offrir par leurs clients des présents onéreux dont on ne nous apprend pas la nature. Les seuls cadeaux qui fussent vraiment de tradition étaient les flambeaux de cire : image, selon les uns, de la civilisation qui dissipa les ténèbres de la barbarie ; souvenir, suivant les autres qui sont probablement dans le vrai, du temps où les flambeaux allumés sur l’autel de Saturne avaient été comme la rançon des sacrifices humains[260]. Le tribun Publicius fit peser une interdiction légale[261] sur tous les présents autres que ces flambeaux de cire, hommages offerts par les particuliers de condition humble aux personnages qui les protégeaient.

Deux autres divinités profondément populaires et nationales jouent leur rôle dans notre histoire : Janus et Vesta. Le temple de Janus fut, en signe de paix complète, fermé un moment[262] : minute de repos entre deux longs orages, exception fugitive dans la vie conquérante des Romains. Nous avons vu le temple de Vesta incendié deux fois ; il fut aussi souillé tantôt par la négligence, tantôt par l’infidélité de ses prêtresses, ni plus ni moins souvent qu’avant ou après les guerres puniques. Seulement, le péril que courait le foyer de Rome n’ayant jamais été si grand, la surveillance était plus attentive que jamais. Ce n’était pas alors que la vestale qui laissait le feu s’éteindre pouvait échapper aux verges, ni la vestale qui oubliait ses vœux, à la pierre scellée sur la victime vivante. Opimia y échappe, mais par le suicide[263]. La déesse était inexorable, mais juste ; elle veillait sur la bonne renommée de ses fidèles, et savait les venger de la calomnie. Lorsque arrive à l’embouchure du Tibre le vaisseau qui porte la mère des Dieux, la jeune Claudia prend Vesta à témoin de son innocence injustement contestée, et Vesta lui donne raison par un miracle : la jeune fille, seule et sans effort, traîne le vaisseau au bout d’un câble, sous les yeux de la cité qui applaudit[264].

Les généraux vainqueurs continuent à vouer des temples, comme dans les guerres précédentes. Ces vœux, suivis à distance plus ou moins grande d’une construction et d’une dédicace, deviennent de plus en plus fréquents, ils aboutissent à des édifices de plus en plus magnifiques ; et suivant le mouvement qui se dessine dans l’histoire religieuse, ils s’adressent aussi bien à des divinités étrangères qu’à des divinités indigènes. Le contrôle que le collège des pontifes exerce sur ces vœux est sévère et scrupuleux : on ne voit pas, par exemple, qu’un seul sanctuaire puisse être dédié à deux divinités distinctes, quand même ces deux divinités se compléteraient l’une l’autre. C’est ainsi que Marcellus avait cru pouvoir promettre un temple à Virtus et Honos réunis, la valeur guerrière reconnue et honorée par les citoyens[265]. Il fut obligé de les disjoindre, de faire un nouveau plan qui réservât à chacune de ces déités une cella séparée ; les deux cellæ furent enrichies des chefs-d’œuvre de Syracuse. Plus tard son fils devait offrir une plus complète satisfaction aux exigences pontificales en bâtissant à Virtus un temple entièrement nouveau et distinct[266].

C’est pendant notre période que la vieille religion romaine cesse de produire de son propre fonds des dieux nouveaux. Ce n’est pas qu’elle soit épuisée, la curiosité qui appelle des divinités inconnues ; au contraire elle n’a jamais été si grande, mais désormais elle s’emploie à acclimater les cultes étrangers. Changement de direction d’autant plus remarquable que la religion romaine, en vertu de sa nature propre, pouvait sortir d’elle-même un nombre infini de dieux : tout objet, toute action, tout mouvement quelconque d’une chose quelconque pouvait être divinisé. Eh bien, à la veille de la première guerre punique on signale une opération théogonique de ce genre qui est presque la dernière : le dieu Argentinus est inventé en même temps que la première pièce d’argent est frappée[267] ; on peut déjà dire la première monnaie, car le temple de Juno moneta vient d’être consacré à cette industrie et de lui donner son nom. Et comme la pièce de cuivre, plus ancienne, avait déjà son dieu Æsculinus, on fait d’Argentinus le fils d’Æsculinus[268]. Cinquante ans s’écoulent : nous sommes en 217, on frappe la première pièce d’or ; ne devrait-on pas inventer le dieu Aurinus, et lui attribuer pour père et pour aïeul les dieux monétaires précédents ? Point : la sève théogonique est épuisée[269]. La vieille religion romaine est complète ; elle est puissante, mais stérile d’avenir ; c’est désormais en dehors d’elle que l’on cherche des dieux.

C’est tout au plus si nous avons à constater une divinité nouvelle qui soit conforme à l’esprit et au vocabulaire de cette ancienne religion : le dieu Rediculus, le dieu qui fait retourner. On lui bâtit un temple vers la seconde pierre milliaire de la voie Appienne[270], à l’endroit où Annibal s’était le plus approché de la cité. Les Romains ne comprenaient pas que leur grand ennemi avait marché sur Rome, non dans l’espoir de s’en emparer, mais pour sauver par une diversion son alliée Capoue, investie et chancelante. Ils voulaient que les avertissements des dieux l’eussent forcé à reculer et lui eussent arraché sa proie. Ce mouvement divin qui avait protégé la patrie et fait reculer l’agresseur, devenait le dieu du recul et de la tutelle, Rediculus Tutanus[271]. Il y avait à peine là une création ; car Tutanus existait déjà ; il était seulement rajeuni et complété par le départ d’Annibal.

 

VI

L’hellénisme religieux et politique de cette période ; missions à Delphes. — Les prophéties de Marcius et les jeux d’Apollon. — Les Floralia. — La poésie lyrique et la patrie romaine. — Le sacrilège de Pleminius expié.

Un des chapitres les plus lumineux de la Cité antique[272] de M. Fustel de Coulanges, est celui qui explique l’extension de la puissance romaine par les nombreuses parentés, réelles ou légendaires, du peuple romain. Rome avait des liens d’origine avec tous les peuples qu’elle connaissait. Elle pouvait se dire latine avec les Latins, sabine avec les Sabins, étrusque avec les Etrusques, et grecque avec les Grecs... Elle avait les cultes grecs d’Evandre et d’Hercule, elle se vantait de posséder le palladium troyen, etc... Le Romain avait cet avantage incomparable de pouvoir prendre part aux féries latines, aux fêtes sabines, aux fêtes étrusques et aux jeux olympiques. Or, la religion était un lien puissant. Rogne était presque la seule cité que sa religion municipale n’isolât pas de toutes lés autres. Elle touchait à toute l’Italie, à toute la Grèce. L’hellénisme, en prenant ce mot dans son sens le plus large, n’a donc pas attendu pour s’introduire dans la religion romaine les victoires de Flamininus ou de Mummius, à la suite desquelles la Grèce conquise a conquis son rude vainqueur. Déjà dans notre période, cet hellénisme aussi ancien que la religion romaine elle-même, fait un premier progrès témoigné par certaines alliances et certaines missions. Déjà Rome est traitée en cité plus grecque que barbare, et tient à se conduire en cité presque hellénique. Quelques mots sur ces deux points.

Les Corinthiens, désirant s’appuyer sur Rome contre des pirates illyriens, admettent les Romains aux jeux isthmiques, ce qui revenait à leur conférer un brevet d’hellénisme[273]. Le plus clairvoyant des Grecs de Sicile, Hiéron de Syracuse, s’attachait à la grandeur romaine, et semblait conseiller à tous ses frères de trouver au Capitole leur seconde patrie, et comme la renaissance de leurs ambitions nationales découragées. Après Trasimène, il envoyait aux vaincus une magnifique Victoire en or[274] qui allait être le plus précieux des nombreux ornements du Capitole. Il jugeait bien que la seule manière d’être Grec, c’était désormais d’être Romain. Lui, le successeur de ces rois ou de ces stratèges de Syracuse qui avaient soutenu contre Carthage d’horribles guerres séculaires, il adressait ce témoignage d’inaltérable confiance, cet encouragement d’une délicate éloquence, à la grande cité qui se voyait menacer du sort d’Agrigente et de Sélinonte, ces villes grecques de Sicile jadis détruites par un autre Annibal.

D’autre part, après la victoire remportée sur les Gaulois, le Sénat envoie à Delphes une ambassade d’actions de grâces, avec des présents pour le grand dieu hellénique[275]. Plus tard le désastre de Cannes fait de nouveau penser à Apollon, mais pour des raisons différentes. Cette défaite déjà prodigieuse par elle-même, accompagnée de plusieurs prodiges, tels que la complicité du secrétaire des pontifes avec la vestale Floronia, avait quelque chose de désespérant et d’incompréhensible. On ne pouvait s’adresser mieux qu’à Apollon dans son sanctuaire pour savoir comment remédier à tant de désordres. L’historien Fabius Pictor, patricien romain et écrivain grec, fut naturellement choisi pour cette mission. Couronné de laurier, il aborda l’oracle qui lui indiqua, dans une sorte d’ordonnance, les cérémonies religieuses que les Romains devaient accomplir : on leur promettait en retour l’amélioration de Durs affaires et la victoire finale. On leur recommandait de ne pas oublier Apollon Pythien dans leurs succès futurs, de lui réserver un don prélevé sur les dépouilles de l’ennemi, et d’écarter de leur cité la négligence religieuse[276]. Sympathie intéressée ou non, le conseil pythique n’était pas moins empressé pour la cause romaine que le Sénat pour le culte d’Apollon.

Ayant reçu ces conseils, Fabius Pictor accomplit avec le vin et l’encens les cérémonies d’usage. Le prêtre lui ordonna de garder, pour remonter sur son navire, la couronne de laurier qui venait de lui servir, et de ne pas la quitter jusqu’à Rome. L’ambassadeur s’acquitta de tout ce qui lui était recommandé, vint raconter sa mission au Sénat qui imita son obéissance, et déposa la couronne sur l’autel d’Apollon.

Par ce symbole visible, le grand dieu hellénique était décidément associé à la grandeur romaine. Aussi recevra-t-il, après les victoires de Scipion en Espagne et de Livius et Néron en Italie, une magnifique partie des dépouilles d’Asdrubal[277], sous forme de couronne d’or et de simulacres guerriers en argent.

La terreur prolongée qui suivit le grand désastre contribua aussi aux progrès de l’hellénisme par la voie des superstitions populaires. Pendant plusieurs années, des prédictions rétrospectives et des recettes magiques circulèrent dans la population mêlée qui, de toutes les parties de l’Italie, avait reflué vers Rome[278]. Le Sénat, gardien des bonnes mœurs religieuses, voulut débarrasser la cité de ces dangereuses chimères. Le préteur Atilius fit main basse sur toutes sortes d’écrits qui rte sont pas parvenus jusqu’à nous ; mais dans le nombre se trouvaient deux prophéties qui furent remarquées et qui étaient en effet remarquables. L’une annonçait le désastre de Cannes, en style d’oracle, mais d’oracle bien au fait, et qui vaticine après les événements ; l’autre, évidemment du même auteur, ordonnait aux Romains de célébrer des jeux en l’honneur d’Apollon : Si vous voulez, leur disait-il, chasser l’ennemi du territoire, ce fléau (mot à mot cet abcès) qui te vient des nations lointaines, je te conseille de vouer à Apollon des jeux annuels, et de les célébrer fidèlement. Que le peuple donne pour cela de l’argent public, et que les citoyens contribuent pour eux et leurs familles. Le préteur qui rend la justice au peuple et à la plèbe, devra présider à ces jeux. Que les décemvirs offrent des victimes suivant les rites des Grecs. Si vous faites cela régulièrement, vous vous réjouirez toujours, et vos affaires iront mieux, car le dieu détruira ces ennemis qui dévorent tranquillement vos plaines[279].

Quel était l’auteur de ces prophéties ? Il faut ici distinguer deux choses : d’une part l’auteur réel qu’on peut leur attribuer, et les intentions de cet auteur ; d’autre part le Lton1 de l’auteur légendaire auquel on les a prêtées, et la signification de ce nom. Commençons par le second point.

Le prophète s’appelait, disait-on, Marcius. Ce nom, qui avait quelque chose de traditionnel et de très ancien, fut certainement pour beaucoup dans l’attention qu’on accorda à ces petites poésies, et qui se prolongea à travers les âges. On ne savait pas alors, on ne savait pas davantage au temps de Cicéron ni sous l’empire, qui était ce Marcius, quand il avait vécu, ni même s’il n’y avait pas eu deux frères de ce nom[280]. Les suppositions allaient leur train, et les lettrés n’étaient pas d’accord. Un peu de mystère au sujet de Marcius ne parait pas avoir déplu aux savants patriotes de Rome. Les plus intelligents, pense M. Bouché-Leclercq[281], sont ceux qui le reportent en arrière, vers ces temps primitifs où s’élaboraient dans les conseils des dieux et se fixaient dans les écrits sibyllins les destinées du Latium... Son nom n’est autre que l’épithète donnée à l’oiseau de Mars, au pivert. En effet, le peuple romain croyait que son vieux roi Ancus Marcius était le petit-fils d’un devin du même nom, personnage fabuleux qui doit se confondre avec l’oiseau fatidique. C’est sur ce nom de Marcius, resté vaguement dans la mémoire du peuple à côté de celui de Numa, que ceux qui découvrirent les carmina marciana fondèrent leur pieuse supercherie... C’est un produit artificiel, créé sous l’influence de l’hellénisme, avec des souvenirs empruntés aux vieux cultes de Picus et de Faunus.

La personnalité réelle de l’homme qui a répandu dans le public ces vers saturnins, est évidemment impossible à déterminer. Mais on précisera ses intentions avec quelque vraisemblance en continuant dans la voie que vient de nous indiquer M. Bouché-Leclercq. C’était un patriote romain, appartenant à cette tendance hellénique qui voulait, non pas encore substituer les choses grecques aux choses romaines, mais rajeunir et développer les choses romaines par une sorte de fusion avec les éléments grecs, et ouvrir ainsi, par de précieuses alliances, un immense horizon à la grandeur et à l’ambition de la patrie. C’était bien la tendance des livres sibyllins, celle des décemvirs, celle du Sénat lui-même qui, suivant une tradition d’ailleurs contestée, aurait fait porter dans les archives sacrées, comme attribués à l’inspiration de la sibylle, ces petits poèmes écrits sur des écorces d’arbre[282].

Quel que fût l’oracle, on lui obéit : Rome eut désormais ses jeux pythiques. On était en 212, le ciel de la République était à peine éclairci : Annibal, Capoue et Tarente, Asdrubal, combien de maux présents, combien de menaces ! Apollon, le dieu sauveur et purificateur, qui perce les monstres de ses flèches et qui délivre la terre, était à la fois, comme guerrier et comme médecin, le dieu qu’il fallait à l’Italie[283]. La décision prise par les décemvirs, conformément à l’oracle, ayant été ratifiée par un sénatus-consulte, un bœuf aux cornes dorées fut sacrifié à Apollon suivant les rites grecs, deux chèvres blanches aux cornes dorées furent sacrifiées à Latone. Conformément à un autre sénatus-consulte, le préteur urbain P. Cornélius Rufus, qui était en même temps décemvir, employa à la célébration des jeux une somme assez forte, bientôt augmentée par les cotisations des citoyens. Rien ne manqua à cette grande fête religieuse, ni les supplications des matrones, ni le banquet public, ni la présence du peuple couronné de lauriers en l’honneur du dieu.

Est-ce lors de cette première célébration, n’est-ce pas plutôt l’année suivante, que se place un épisode bien capable de faire saisir le côté religieux des jeux antiques ? Pendant que l’on dansait sur la scène, le bruit se répandit de l’approche d’Annibal, et la foule se précipita vers les remparts. Lorsqu’elle revint après cette fausse alerte, on craignit d’avoir manqué de respect au dieu en interrompant sa fête. Heureusement qu’un vieux mime n’avait pas cessé de danser et de chanter, cela suffisait pour que le service du dieu n’eût pas été déserté[284].

Une autre fête, celle des Floralia, montre également la transformation que subissait le culte romain dans le sens hellénique. C’était assurément une déesse romaine que Flora, une déesse d’origine sabine et très conforme au génie des vieilles religions italiques ; mais, Preller le remarque avec raison[285], les réjouissances que l’on fonda en son honneur étaient réellement des fêtes d’Aphrodite, et en présentaient tous les caractères. Peu après la première guerre punique, les deux édiles Lucius et Marcus Publilius consacrèrent une partie des amendes imposées aux usurpateurs du domaine public, à bâtir un temple de Flora près du grand cirque, et à instituer les Floralia[286]. Fête de plus en plus sensuelle et immorale, dont la popularité semble avoir fléchi pendant la grande guerre, qui fut même assez longtemps négligée. Si on la rétablit en 173, c’est que la déesse mécontente avait fait périr les lis et les violettes pour apprendre à son peuple à ne pas l’oublier. Elle le déclare elle-même à Ovide avec cet aveu : Nous autres divinités, nous sommes une troupe ambitieuse[287]. Du reste, si nous en croyons Pline[288], dès la première fois la fête fut instituée, en vue d’une bonne récolte, sur l’ordre des livres sibyllins. Encore une preuve de la tendance hellénique maintes fois signalée.

Un nouveau progrès de l’hellénisme, à la fois au point de vue littéraire et au point de vue religieux, fut, amené par le redoublement de terreur qui précéda la victoire du Métaure. Non seulement on était inquiet pour les deux armées consulaires, mais les prodiges signalés semblaient particulièrement graves. Des cérémonies, qui cette fois avaient l’avantage de ne présenter aucun caractère sanglant, furent décidées en partie par les pontifes, en partie par les décemvirs[289]. Trois chœurs de neuf jeunes filles chacun furent organisés en vue d’une procession qui traverserait la ville en chantant un hymne. Les paroles étaient latines, l’idée était hellénique ; l’auteur était le Grec latinisé Livius Andronicus, qui, trente ans auparavant, avait inauguré le théâtre romain imité des Athéniens[290]. Cette fois, il composait une œuvre lyrique, fort différente des rudes et archaïques chansons des Saliens ou des Arvales, et fort éloignée aussi, nous laisse-t-on supposer, du carmen sæculare d’Horace et de la perfection littéraire[291]. Pendant que les chœurs s’exerçaient à répéter cet hymne dans le temple de Jupiter Stator, le temple de Juno Regina sur l’Aventin fut frappé de la foudre. Prodige sur prodige.

Les aruspices, consultés cette fois, disent que c’est aux matrones d’apaiser la déesse par un don. En conséquence, les édiles curules convoquent au Capitole, non seulement toutes les matrones qui demeurent dans la ville, mais toutes celles qui ont leur domicile dans le rayon de la dixième pierre milliaire. Une fois réunies, elles délèguent vingt-cinq d’entre elles pour collecter les cotisations prélevées sur les dots. Avec ces offrandes, elles enrichissent le sanctuaire de Junon d’un grand bassin d’or, et elles l’honorent d’un sacrifice pur. Ensuite, la procession est ordonnée : du temple d’Apollon partent deux génisses blanches : derrière celles-ci viennent deux statues en bois de cyprès représentant Juno Regina ; puis les vingt-sept jeunes filles, revêtues d’une longue robe, marchent en chantant l’hymne à la déesse. Les décemvirs eux-mêmes, couronnés du feuillage d’Apollon, suivent en robe prétexte. Les chants et les danses se continuent dans le forum. Enfin, dans le temple de Juno Regina, deux victimes sont immolées par les décemvirs, et les deux images en bois de cyprès sont introduites. Rien de plus hellénique que l’esprit et l’économie de cette fête.

L’impression en resta profonde, moins à cause du progrès littéraire, encore fort modeste, dont ces cérémonies témoignaient, qu’à cause du résultat dont la Chose romaine leur paraissait redevable : la victoire du Métaure. Les Romains, on l’a bien remarqué, aimaient surtout dans la poésie ce qui était pratique, et rien de plus pratique que la libération de l’Italie. Littérature et littérateurs s’en trouvèrent bien. On reconnut l’existence d’une corporation nouvelle[292], celle des écrivains et des acteurs, et le lieu de réunion qui lui fut assigné était naturellement la demeure de la déesse de la pensée, le temple de Minerve, sur l’Aventin. Livius Andronicus demeura par la suite comme le patron de cette confrérie fondée par ses mérites ; et le 19 mars sa mémoire recevait des offrandes.

Là s’arrête, croyons-nous, l’histoire de l’hellénisme religieux dans la Rome des guerres puniques. Ni Ennius[293] ni Plaute ne nous paraissent y rentrer. Tous deux, non seulement Ennius, que Caton n’amène à Rome qu’en 204, mais Plaute qui, avant 200, a fait déjà jouer sans doute nombre de comédies de date incertaine, tous deux appartiennent plutôt à la période suivante et à un état d’esprit différent. Les plaisanteries risquées, l’évhémérisme, l’importation en masse de la mythologie hellénique, tout cela est contemporain de la conquête de la Macédoine et de la Grèce[294], non des deux grandes luttes contre Carthage.

Cependant le sacrilège atroce d’un officier romain parut un instant compromettre la politique hellénique du Sénat. Ce lieutenant de Scipion, nommé Pleminius, commandait la garnison de Locres, ville importante surtout par son temple de Proserpine. Ni la Sicile ni la Grande-Grèce ne possédaient un sanctuaire plus vénéré, plus rempli de riches offrandes. Déjà deux rois grecs s’étaient laissés tenter par ces trésors, Denys le Tyran et Pyrrhus. Denys en avait impunément chargé une partie sur ses vaisseaux ; mais Pyrrhus, ayant suivi son exemple, fut châtié par une tempête, et les biens de la déesse, miraculeusement épargnés par le naufrage, avaient été restitués. La vénération qu’inspirait le sanctuaire s’était accrue de l’effroi produit par cette manifestation de la puissance divine. Mais rien n’arrêta Pleminius, type de soldat pillard et sans foi, qui dans l’âge d’or de la République, fait déjà prévoir les pires désordres des guerres civiles[295]. Il força le trésor, prit l’argent sacré. Deux tribuns militaires qui ne valaient guère mieux que lui, et qui, disait-on, regrettaient de n’avoir pas eu leur part, feignirent une grande indignation. Bien vite on en vint aux injures et aux violences : la déesse se vengeait sur le voleur et les convoiteux en les excitant les uns contre les autres. Devenu furieux, Pleminius fit mutiler l’un des tribuns et périr l’autre sous les verges. Tout était compromis par cette horrible affaire : l’honneur religieux des armées romaines, la discipline militaire, le respect des peuples helléniques, et même l’avenir de Scipion, le dépositaire des grands projets d’Afrique, s’il était rendu responsable des crimes de son lieutenant.

Les délégués des Locriens se présentèrent à Rome en suppliants, vêtus de deuil et, suivant l’usage hellénique, tenant en main des rameaux d’olivier. Le discours que Tite-Live met dans leur bouche renferme des pensées tout à fait en situation, et qui ne pouvaient manquer de toucher magistrats et sénateurs. Nous savons quel soin vous mettez, non seulement à honorer vos propres dieux, mais à accueillir les dieux étrangers. Avant l’expiation d’un pareil crime, n’entreprenez rien ni en Italie ni en Afrique, de peur que le sacrilège ne soit châtié, non seulement par le sang du criminel, mais par un désastre public[296]. Le parti du vieux Fabius était sur le point d’englober Scipion lui-même dans la punition réclamée. Le remède eût été pire que le mal. Heureusement un parti plus modéré prévalut : un préteur, assisté de deux tribuns du peuple fut chargé d’une enquête avec pleins pouvoirs. Ils trouvèrent Pleminius déjà mis en prison par son général, et celui-ci complètement disculpé par les Locriens eux-mêmes.

Mais il fallait expier, et réparer largement, pour préserver la patrie de la vengeance divine. La mort de Pleminius dans sa prison ne suffisait pas ; ses biens furent consacrés à Proserpine. Les soldats qui auraient conservé quelque argent ou quelque objet provenant du temple, furent sommés de restituer sous peine de mort. Le Sénat décida que ce qui manquerait serait fourni parle trésor public, et, s’il faut en croire Valère Maxime[297], on ne se borna pas là : pour être sûr de ne pas rester en deçà des exigences célestes, on aurait restitué le double de ce qui avait été enlevé. On fit de plus un sacrifice expiatoire. Le scandale était effacé ; et même, selon Diodore, cette secousse augmenta la piété de telle sorte que ceux qui avaient à se reprocher un méfait ignoré à l’égard des sanctuaires, s’empressaient de le réparer. En tout cas, Rome n’était pas engagée dans le crime de Pleminius, et les liens de l’amitié n’étaient pas rompus entre le Sénat et la religion hellénique.

 

VII

Causes d’un premier progrès des religions orientales. — L’arrivée de la mère des dieux.

Notre période, qui voit commencer tant de choses, voit aussi commencer à Rome le culte des divinités orientales[298]. Ce n’est qu’un début, mais c’est un début qui contient en puissance tout ce qui a suivi, et dont les causes sont multiples.

En premier lieu, il était impossible, dès le ne siècle avant notre ère, de se pénétrer d’hellénisme sans se pénétrer par cela même d’éléments orientaux ; tant la religion grecque déjà s’était faite orientale aux nombreux points de contact établis par la conquête d’Alexandre, ou même antérieurs à cette conquête[299]. Qu’était-ce que le culte d’Éphèse, le culte de Pessinonte, le culte du mont Éryx, sinon des cultes mixtes, à moitié helléniques, à moitié phrygiens ou phéniciens ? Entrer dans le inonde religieux de la Grèce d’alors, c’était donc, et par ce seul fait, mettre le pied dans un monde religieux plus lointain.

En deuxième lieu, ce même instinct politique du Sénat romain qui lui conseillait d’associer les traditions helléniques à la grandeur romaine, lui suggérait l’idée d’ouvrir de nouvelles portes à l’ambition de la cité par l’introduction, dans la cité, de religions nouvelles. Les deux choses se tenaient, sans que l’on s’en rendit bien compte : aller chercher des dieux plus loin, c’était se préparer de plus lointaines conquêtes. Il faut faire attention, ce me semble, à un passage de Tite-Live parlant de la Mère des Dieux qu’on va chercher à Pessinonte. Il dit qu’on a environné les ambassadeurs d’un grand appareil maritime, afin qu’ils se montrent avec toute la dignité du peuple romain à ces nations que l’on devait frapper de la majesté du nom romain[300]. Au fond, cette expédition d’un consulaire, de deux anciens préteurs, de deux anciens questeurs, montant cinq mandes galères, ne va pas seulement demander ;un fétiche au roi de Pergame ; elle va préparer à longue échéance l’acquisition du royaume de Pergame par la République.

En troisième lieu, des raisons morales, que les historiens, MM. Mommsen, Duruy et Boissier, ont bien analysées, conspiraient au remplacement partiel et successif de la vieille religion romaine par les cultes étrangers. D’une part, l’art un peu étranger lui-même, la magnificence croissante, l’exagération de la minutie, du scrupule, de la superstition, altéraient cette religion, et, joints aux premiers progrès du scepticisme que ne pouvait conjurer entièrement la réaction religieuse causée par la terreur d’Annibal, laissaient le terrain libre à des idées nouvelles. C’est ce que M. Mommsen[301] exprime par une vive image : Lorsque les grands arbres de la forêt primitive furent déracinés, le sol se couvrit d’une quantité d’épines et de chardons qu’on n’y avait pas vus jusque-là. D’autre part, dit avec non moins de vérité M. Duruy, ceux dont le sentiment religieux était trop incomplètement satisfait par le formalisme aride de la religion nationale, cherchaient des cieux nouveaux et en faisaient descendre des dieux étrangers[302].

Les longues et terribles secousses de la guerre d’Annibal sont en rapport évident avec le, développement de ce sentiment nouveau. Sous les coups répétés du malheur, sous les anxiétés de l’attente, on devenait plus religieux, mais on sentait aussi combien la religion de la patrie, nourriture des âmes rudes, manquait de mystère et d’effusion pour les âmes malades. Nous ne faisons pas ici du spiritualisme chrétien hors de propos ; nous restons dans le monde antique, et, si nous sommes forcés de nous servir de plots qui ont dans la chrétienté un sens tout autre et plus intime, nous ne voulons leur faire rendre que des idées antiques. Seulement, il ne faut pas croire non plus que la nature humaine ait tellement changé. Le tableau que nous offre Tite-Live[303] de l’inquiétude religieuse du peuple dans les années terribles est bien un tableau du temps, mais c’est aussi un tableau humain : Une religion si intense, étrangère en grande partie, envahit la cité, que les dieux ou les hommes semblaient avoir subitement changé. Ce n’est plus seulement en secret, entre quatre murs, que les rites romains étaient négligés : en public, au Forum, au Capitole, on voyait des troupes de femmes qui ne sacrifiaient ni ne priaient à la manière nationale. Les esprits étaient au pouvoir des petits faiseurs de sacrifices et de prophéties. Le peuple inculte des campagnes, refoulé dans la ville par la misère et la terreur de la guerre, augmentait cette foule.

Rome était cependant une ville de forte et sévère discipline religieuse[304]. Ce débordement de superstitions venues du dehors était tout à fait contraire au bon ordre de la religion d’État, il ne pouvait être laissé sans répression. Si nous adoptons la chronologie habituellement reçue, un fait grave s’était passé. Déjà dans l’année qui avait précédé la seconde guerre, et lorsque le mal était moins développé, le Sénat avait voulu faire démolir un temple d’Isis et de Sérapis qui s’était construit on ne sait comment. Le consul Æmilius Paulus, à la tète d’une troupe d’ouvriers, s’était présenté pour exécuter cet ordre[305]. Mais personne n’avait osé porter le premier coup, tant ces divinités mystérieuses exerçaient d’empire sur l’esprit du peuple. Il avait fallu que le consul, se débarrassant des plis de sa toge, prit en main la hache et brisât la porte. Cette fois, après Cannes, la dissolution religieuse était bien plus grave, et le culte de l’État bravé bien plus ouvertement. Les magistrats inférieurs, triumvirs capitaux, édiles même, pensèrent se faire massacrer en voulant rétablir l’ordre.

Il fallait pourtant que force restât à la loi. Le préteur urbain M. Atilius fut chargé, nous l’avons déjà vu, de ramasser et de détruire toute une vulgaire littérature prophétique. Il défendit aussi tout sacrifice privé ou public qui serait célébré selon des rites nouveaux ou étrangers[306]. C’était la première des tentatives, aussi nombreuses qu’inutiles, de l’autorité romaine pour bannir du sein de la cité les insanités exotiques. Le courant disparaissait sous le joug de la loi, mais pour reparaître plus loin et plus fort. Alors que se passait-il ? On laissait subsister les interdictions légales, et dans la pratique on supportait tout.

L’autorité romaine fit une bien autre concession à ce courant : elle alla chercher à Pessinonte l’idole, la pierre non taillée, de couleur sombre, qui représentait Cybèle ou la Mère des Dieux[307]. Quel culte pour la dignité romaine ! Une orgie panthéiste où dans le mélange des douleurs et des voluptés les prêtres mutilés, armés de fouets sanglants, cherchaient l’absorption en Dieu et l’oubli de la personnalité ! Quel culte pour la simplicité romaine ! Une déesse qu’on se figurait couronnée de tours, traînée par des lions[308], qu’on honorait de banquets somptueux où toute pudeur s’oubliait dans les excès ! Et pourtant voilà l’importation que les livres sibyllins conseillent aux décemvirs pour expier quelques nouveaux prodiges, et pour délivrer enfin l’Italie de la tenace présence d’Annibal. L’autorité romaine donnait elle-même l’exemple, condamné par elle, de ne plus compter sur les anciens dieux de la patrie pour un suprême effort ; elle aussi, les nerfs tendus par une longue angoisse, cherchait désormais le secours au delà du ciel romain.

Un fait non moins significatif, et qui annonce longtemps à l’avance ce qu’on appellera le syncrétisme, c’est que l’oracle de Delphes est pour beaucoup dans cette entreprise. Le plus hellénique des dieux encourage les Romains à se procurer une idole orientale : Grèce, Rome, Orient, ces trois éléments religieux tendent déjà à se confondre. L’oracle de Delphes, sans prononcer le premier le nom de la Mère des Dieux, fait le premier luire aux yeux des Romains l’espérance suprême[309]. L’oracle de Delphes engage les ambassadeurs à obtenir la déesse du roi de Pergame, et leur fait en quelque sorte promesse en son nom. L’oracle de Delphes déclare que la pierre de Pessinonte, lorsqu’elle remontera le Tibre, devra recevoir l’hospitalité du meilleur citoyen de la République.

Cette réception de l’idole facilement accordée aux délégués du Sénat par le roi Attale, marque une étape importante dans l’histoire de la religion romaine. Toutes les matrones vont sur la route d’Ostie à la rencontre d’une déesse à peu près étrangère aux traditions nationales. Le plus honnête citoyen, Scipion Nasica, va prendre l’idole sur le vaisseau et la porte à terre. Là, une matrone s’en charge, puis une autre, et se relayant ainsi, elles arrivent jusque dans la cité. Toutes les rues indiquées pour le parcours de la procession sont encombrées de monde ; devant toutes les maisons de ces rues, l’encens fume. Le cortège, accompagné d’ardentes prières pour que la nouvelle venue se montre propice à la grandeur romaine, arrive au temple de la Victoire, sur le mont Palatin. C’est là que les censeurs vont lui construire une demeure définitive[310] ; là que déjà affluent les présents du peuple. On célèbre un lectisterne, les jeux mégalésiens sont institués.

Il paraissait difficile de se livrer plus complètement au courant populaire ; ne croyons pourtant pas que l’autorité romaine n’ait pas fait ses réserves. Si nous cherchons à analyser sa conduite, elle se compose de deux éléments distincts : d’une part elle obéit à l’entraînement général qui espère des dieux nouveaux la victoire finale ; d’autre part elle dépose les germes de sa domination dans une contrée qui passe de plus en plus pour la première patrie du peuple romain. Mais la défiance n’a pas perdu ses droits, et les pouvoirs publics n’ont aucunement l’intention de confondre cette utile hospitalité avec le vieux culte de la cité romaine[311]. Ils ne veulent pas que les citoyens se ruinent aux fêtes de la déesse, et que l’éclat de ses fêtes obscurcisse les autres cérémonies ; aussi ont-ils soin de limiter, et la quantité d’argenterie qui y figurera, et les dépenses qui y seront faites[312]. Surtout ils ne veulent pas que les citoyens romains se compromettent dans ce culte répugnant, et il est formellement établi que les Phrygiens seuls pourront le desservir[313]. Contradiction évidente, plutôt sage et prévoyante qu’efficace ; car l’orientalisme religieux, en ce qu’il avait de pire, prenait possession de Rome avec une force infatigable et envahissante qui usera tous les obstacles[314].

Il est temps de conclure. Pendant les guerres puniques, la religion romaine ne résume pas seulement tout son passé, elle fait prévoir, elle porte en germe tout son avenir. Elle s’hellénise suivant une première manière différente de la seconde, mais qui fraie la voie à la seconde. Elle est travaillée une première fois par l’incrédulité, qu’elle refoule encore grâce à la réaction produite par une lutte terrible. Elle célèbre le triomphe des grands citoyens, puis elle prépare au jeune Scipion comme une apothéose impériale. Elle ouvre une première porte aux religions orientales, dont elle deviendra plus tard le foyer commun, en attendant que l’une d’entre elles, celle qui élargira la patrie jusqu’aux extrémités de la terre et qui l’élèvera jusqu’au ciel, prenne et garde toute la place.

 

Annales de la Facultés des Lettres de Bordeaux — 1887

 

 

 



[1] V. Lange, Histoire intérieure de Rome, trad. Berthelot et Didier, Paris, 1885, t. I, p. 373 et s.

[2] Histoire des Romains, t. I, p. 571.

[3] M. Otto Gilbert, dans les dernières pages (448 et s.) de sa Geschichte und Topographie der Stadt Rom in Alterthum (Leipzig, 1885), définit avec une énergique précision ce rôle du Capitole. — V. aussi Jordan, Topographie der Stadt Rom in Alterthum, t. I, 2e partie, Berlin, 1885, p. 35 : Das Capitolium mit seiner Gottertrias... ist... die eigenste Schœpfung des rœmischen Staats, der rœmischen Staatsreligion, es ist von beiden unzertrennlich und ist mit beiden durch die Welt gewandert... Sur les archives diplomatiques qui commencent à se former au Capitole, v. ibid., p. 52. La 1re partie du même ouvrage (Berlin, 1878) donne p. 298 un tableau de Rome, à l’époque qui nous occupe.

[4] Pline, Hist. nat., XXXV, 2 : Imagines quæ comitarentur gentilitia funera... V. la belle description de M. Mommsen, ch. XIII du livre III de l’Histoire romaine, p. 346 du t. III de la trad. de Guerle, — et dans le même volume, les p. 351 et s., dans le t. II, les p. 125 et s., sur l’ensemble de la situation religieuse.

[5] L’ouvrage, non pas le plus spécial, mais le plus récent, est celui de M. de Pressensé, l’Ancien Monde et le Christianisme, Paris, 1887, où le rôle de la patrie dans la religion romaine est bien rendu, notamment p. 580.

[6] Sur ce caractère général, v. le premier chapitre de M. Boissier, la Religion romaine d’Auguste aux Antonins, notamment t. I, p. 10, éd. de 1818.

[7] Tuditanus et Tubéron cités par Aulu-Gelle, VI, 3 et 4. ; Zonaras, VIII, 12. ; Sommaire de Tite-Live XVIII. Amplification de Silius Ital., VI, v. 150 et s. Michelet croit qu’il s’agit d’une race aujourd’hui disparue.

[8] Rœmische Mythologie, éd. revue par M. Jordan (Berlin, 1881-3), p. 120 du t. II.

[9] Corpus Inscript., t. I, p. 18. On y fait remarquer, à propos du texte épigraphique de tempestatebus aide mereto, que ce temple, situé dans la région de la porte Capène, était voisin de celui de Mars, et que c’est ce voisinage qui a amené le distique d’Ovide (Fast., VI, 193) :

Te quoque, Tempestas, meritam delubra fatemur,

Cum pæne est Corsis obruta classis aquis.

[10] Corpus Inscr., t. I, p. 37.

[11] Tite-Live, XLII, 20. — Quintil., Instit., I, 7, 12.

[12] Pline, Hist. nat., VIII, 6, cite deux traditions différentes : celle de L. Pison qui veut que les éléphants aient été simplement montrés dans le cirque, et celle de Verrius, d’après laquelle ils ont combattu.

[13] Tite-Live somm. du XVII, et Aurel. Victor, de Viris, 33 ; Florus, II, 2, soutient avec insistance que Duilius s’est décerné lui-même cet honneur : non contentus unius diei triomphe... jussit...

[14] Annales, II, 49 : Jano templum, quod apud forum olitorium C. Duilius struxerat, qui primus rem romanam prospere mari gessit, triumphumque navalem de Pœnis meruit. Le Corpus inscr., loc. cit., remarque que cette construction rend plus qu’improbable le commentaire de Servius, in Georg., III, 29 : Rostrata C. Duilius posuit.

[15] Sur les faits indiqués dans cet alinéa, v. Diodore, XXIII, fragm. 12 et suiv., où il blâme Regulus et XXIV, fr. 12, sur les mauvais traitements infligés aux prisonniers par la famille de Regulus, et réprimés par les magistrats — et Polybe, surtout I, 35.

[16] Dans Peter, Historicorum rom. fragm., Leipzig, 1883, p. 91 et 202, fragments de Tuditanus et de Tubéron, cités par Aulu-Gelle, VII, 4. ; Tite-Live sommaire du XVIII ; Appien, VIII, 4 ; Dion Cassius, éd. Gros, I, 153 et 4. — Zonaras, VIII, 15, avec cet argument très romain présenté par Regulus lui-même, que s’il retourne, il souffrira seul, et que s’il ne retourne pas, la patrie portera la peine de son parjure. — De plus, les textes auxquels il sera renvoyé tout à l’heure.

[17] Suppléments de Freinsheim, remplaçant le L. XVIII de Tite-Live, dont le sommaire conservé ne parle que du postliminium.

[18] Ce n’est pas seulement dans le récit de la première guerre punique que le Silence de Polybe est à constater ; c’est plus encore, me semble-t-il, dans le fameux passage de VI, 56, sur la δεισιναιμονία et sur τής κατά τόν όρκον πίστεως chez les Romains par opposition aux Carthaginois. Une allusion au martyre de Regulus n’était-elle pas indiquée, dans le cas où Polybe y aurait cru ?

[19] Tuditanus, questeur en 145 av. J.-C.

[20] Cf. Naudet les énumère, en partageant leur scepticisme, dans l’article Regulus de la Biographie Michaud : Paulmier de Grantemesnil, Wesseling, Beaufort, Lévesque.

[21] On peut citer, parmi ceux qui le repoussent implicitement ou explicitement MM. Mommsen, Naudet ; parmi ceux qui l’admettent M. Lange ; parmi ceux qui tendraient plutôt à l’adopter, MM. Michelet et Duruy.

[22] C’est à peu prés l’idée de Beaufort, cité par M. Taine p. 95 de son Essai sur Tite-Live (éd. de 1860), dont le ch. II, sur la critique de Tite-Live est tout à fait essentiel.

[23] De officiis, III, 26-31. Dans ce passage, le plus important que l’on trouve sur Regulus dans Cicéron, il parle de son héroïsme comme d’un fait certain qu’il oppose aux légendes : ad rem factam veniamus. Avant le passage que nous traduisons se trouvent ces lignes déjà remarquables : Est... jusjurandum affirmatio religiosa. Quod autem... quasi deo teste, promiseris, id tenendum est.

[24] Odes, III, 5.

[25] Valère Maxime, I, 1, v. aussi IX, 2.

[26] Punic., VI, 131 :

Donec dis Italæ visuna est exstinguere lumen

Gentis, in egregio cujus sibi pectore seden

Ceperat alma Fides, mentenique amplexa tenebat.

[27] V. les Pontifes de l’ancienne Rome, de M. Bouché-Leclercq, Paris, 1671, p. 160-163.

[28] Caton l’appelle Q. Cœdicius. V. son fragment du l. IV des Origines dans Peter.

[29] Aulu-Gelle V, 6. — V. l’article Corona, de M. Saglio, dans le Dict. d’Antiquités de MM. Daremberg et Saglio, p. 1635 du t. II.

[30] V. Duruy, t. I, 513. — Boissier, la Religion romaine d’Auguste aux Antonins, t. I, p. 270 et s., et Nouvelles Promenades archéologiques, article sur Corneto. — J. Martha, Manuel d’archéologie étrusque et romaine (bibl. des Beaux-Arts), p. 69 et 34.

[31] Les preuves de ce progrès abonderont dans la suite de notre travail ; sur les défiances et la secrète antipathie, v. le t. IV de l’Hist. de la Divination, de M. Bouché-Leclercq, et Aulu-Gelle, IV, 5.

[32] Valère Maxime, II, 4, et Tite-Live comm. du l. XVI.

[33] Mommsen, l. III, ch. XIII.

[34] Tite-Live VIII, 30.

[35] V. Bouché-Leclercq, les Pontifes, p. 252 ; Preller-Jordan, Rœm. myth., t. II. p. 82-88 ; Censorinus, De die natali, 17.

[36] Censorinus, loc. cit., montre ce désaccord énorme au sujet des deux premiers jeux séculaires traditionnels (l’an 245 et l’an 305 U. C. selon Valerius d’Antium, l’an 298 et l’an 408 suivant les décemvirs devenus de son temps les quindecimvirs), et qui leur enlève toute vraisemblance historique. Un désaccord plus léger subsiste pour les troisièmes jeux séculaires, ceux de la première guerre punique, probablement les premiers en réalité. Les décemvirs semblent avoir obéi à la préoccupation d’obtenir des intervalles de cent dix ans bien réguliers.

[37] D’après Censorinus, loc. cit., le sæculum variait de 100 à 123 ans ; les Etrusques disaient que leur peuple avait vécu d’abord quatre siècles de 105 ans, puis un de 123, deux de 119, que le huitième s’écoulait, et qu’après le dixième finem fore nominis Etrusci.

[38] Les Pontifes, loc. cit.

[39] V. le VI du présent essai.

[40] V. le VII du présent essai.

[41] Tite-Live XXV, 2 ; XXVIII, 10, etc.

[42] T. II, ch. VII de la trad. de Guerle.

[43] Pline, XXXV, 1.

[44] J’emprunte cette comparaison à Preller-Jordan, Rœm. myth., I, 233.

[45] Pline, XXXV, 4 : Pœni ex auro factitavere et clypeos, et imagines, secumque in castris tulere... Talent Asdrubalis invenit Marcius... : isque clypeus supra fores capitolinæ ædis usque ad incendium primum fuit.

[46] Tite-Live XL, 51 : signa... clypea de columnis et signa militaria omnis generis ; Preller-Jordan. I, 232 ; Jordan, Topog. der Stadt Rœm. in Alterth., 2e partie du t. I. Berlin, 1865, p. 15.

[47] Fastes, I, 203 et 4.

[48] Vix ego Saturno quemquam regnante videbam,

Cujus non anime dulcia lucra forent...

(Fastes, I, 193.)

Æra dabant olim ; melius nunc omen in auro est...

Ce changement répond précisément à la période que nous étudions : voir plus loin notre eh. V.

Nos quoque tempta juvant, quanivis antiqua probemus,

Aurea, etc.

(Ibid., 221-324.)

V. sur les Fastes deux thèses de doctorat, celles de M. Lacroix (en entier) et Nageotte (en partie).

[49] Cicéron, de nat. Deor., II, 3 : Etiam per jocum deos irridens... Qui risus, classe devicta, multas ipsi lacrimas, magnam populo romano cladem attulit.

[50] Suétone, Tibère, 2, et Valère Maxime, VIII, 1.

[51] Cicéron, ibid., Quid ? colleta ejus Junius eodem bello nonne tempestate classeur amisit, quum auspicus non paruisset ?

[52] H. Wallon, Histoire de l’esclavage dans l’antiquité, 2e éd., Paris, 1879, t. II, p. 89.

[53] Sur la légende d’Hercule à Rome, sujet qui n’est pas sans ressemblances avec celui d’Eryx et d’Enée que nous allons traiter, vov. M. Bréal, Hercule et Cacus, Paris, 1863, p. 44 et s., en particulier la note 2 de la p. 46 sur les noms de Potilius et de Pinarius, et p. 62 sur le caractère patriotique des légendes dans l’esprit du Romain : Dans la victoire du dieu il voit une victoire nationale et fait triompher Jupiter comme un consul.

[54] Sur la condamnation de Claudius et le suicide de Junius, l’affirmation de Cicéron est formelle et réitérée (de nat. Deor., II, 3, et de Divin., II, 33) ; mais Valère Maxime, VIII, 1, dit que Claudius a été mis à l’abri de la condamnation par une pluie, velut diis interpellantibus.

[55] Cicéron, de Divin., II, 33 : Nec vero non omni supplicio digni... Parendum enim fuit religioni, nec patrius mos tam contumaciter repudiandus.

[56] Polybe, I, 55.

[57] Sur l’ensemble de cette question, qui ne rentre que partiellement dans notre étude, v. le mémoire de M. Bild sur la Légende d’Enée avant Virgile, Paris, 1883, où sont résumées, non sans vues originales, les recherches de Klausen, Schwegler, Movers, etc. — Boissier, Nouvelles promenades archéologiques, Paris, 1886, où le pays d’Eryx est décrit, les travaux des savants siciliens résumés, et les questions d’histoire religieuse élucidées. — Philippe Berger, article Phénicie de l’Encyclopédie Lichtenberger.

[58] Il résulte de précieux renseignements de M. Philippe Berger que l’on peut envisager provisoirement comme probables, de très curieuses assimilations, d’après lesquelles certains noms de la mythologie phénicienne auraient passé soit dans la mythologie hellénique, soit dans les légendes italo-grecques, comme désignant soit de véritables et importantes déités, soit de simple, héros humains. Ainsi, d’une part, Astarté, Amftoret, Aphrodite, d’autre part, Ascagne, fils d’Enée, Askoun-Sakôn, qui est l’Hermès phénicien ; enfin Julus, autre nom du fils d’Enée, Jolaüs, l’un des dieux carthaginois dont il est question dans le traité d’Annibal avec Philippe.

[59] A cette légende s’associe celle d’Anna Perenna, dont je ne parle qu’incidemment, parce qu’elle me parait présenter une certaine obscurité, et que d’ailleurs elle ne rentre pas directement dans notre étude. D’après Klausen (Æneas und die Penaten, Hambourg, 1839, p. 720 et s.), c’est la Chanua punique qui, dans le travail légendaire du temple d’Eryx, s’est confondue avec une vieille divinité fluviale d’Italie, exprimant symboliquement le cours des années (Perennes), les incertitudes et les espérances de la vie humaine, et par là méritant d’être l’héroïne d’une fête populaire, de plus en plus licencieuse à Rome, et qu’Ovide a décrite dans ses Fastes.

[60] Rœm. myth., I, 445. Ibid., v. p. 436 et s.

[61] Justin, XXVIII, 1 : ... soli quondam adversus Trojanos auctores originis suæ, auxilia Græcis non miserint.

[62] Suétone, Claude, c. 5. L’empereur Claude, dit-il, Iliensibus, quasi ronamæ gentis auctoribus, tributa in perpetuum remisit : recitata vetere epistola Græca senatus populique romani, Seleuco regi amicitiam et societatem ita demum pollicentis, si consanguineos suos Ilienses ab omni onere immunes præstitisset. — Il est à remarquer que le même prince archéologue ... templum in Sicilia Veneris Erycinæ collapsum, ut ex ærario populi romani reficeretur, auctor fuit (ibid.).

[63] Sur les trois derniers faits, voir la suite de notre étude.

[64] Wörner, Die Sage von den Nanderungen des Eneas, Leipzig, 1882, cité par les auteurs français indiqués. — Ce qui rend très probable l’existence encore aujourd’hui mystérieuse, d’un nom de dieu phénicien correspondant à celui d’Enée, c’est précisément l’identité probable, que nous venons de signaler dans nue ante, d’après M. Ph. Berger, des noms d’Ascagne et d’Iulus avec ceux de deux dieux phéniciens importants.

[65] Servius, in Æneid., I, 720 : Venus Erycina quam Æncas secum adduxit.

[66] La Légende d’Enée, p. 37.

[67] Ovide, Fastes, IV, v. 871 et s., passage dans lequel Hermann Peter relève avec raison une double confusion de lieux et de dates.

[68] La Légende d’Enée, p. 38.

[69] Pour toute la fin de ce chapitre, nous nous appuyons sur M. Boissier, surtout p. 136 et 161 des Nouvelles promenades archéologiques.

[70] M. Louis Havet, dans un ouvrage que nous aurons à citer plusieurs fois, De saturnio Latinorum versu, Parisiis, 1880, p. 432 et s., réunit les témoignages relatifs au poème de Nævius sur la guerre punique, puis les fragments pars de ce poème, avec des leçons souvent nouvelles. Ces fragments sont juste suffisants pour faire regretter la perte de l’ouvrage, ne fût-ce qu’au point de vue de l’histoire religieuse, et pour montrer que la légende d’Enée et d’Anchise y occupait une grande place.

[71] Plutarque, Marcellus, 3 ; il remarque que celte cruauté forme un contraste avec la douceur habituelle du culte des Romains, qui agissent πράως πρός τά θεΐα.

[72] Dion Cassius, éd. Gros, I, 159.

[73] Polybe, II, 31. — Zonaras, VIII, 20. — Duruy, I, 487.

[74] Suivant Dion Cassius, éd. Gros, I, 165, Æmilius, en faisant monter au Capitole ses captifs tout armés, se serait amèrement moqué de leur serment vaniteux.

[75] Polybe, II, 32. — Zonaras, ibid.

[76] Plutarque, Marcellus, 6-8. V. aussi Properce IV, 10, éd. Lemaire.

[77] V. Ribbeck, die Romische Tragædie, Leipzig, 1875, p. 63 et 72. Le critique allemand pense que les trois époques où ce drame a pu être joué sont : le jour du triomphe, le jour où l’on fit des jeux en l’honneur de la mort de Marcellus, le jour de la dédicace du temple de la Vertu. Voir aussi, sur la Fabula prætextata, Teuffel, Hist. de la littér. rom., trad. Bonnard et Pierson, Paris, 1879, p. 19 et 140.

[78] Il avait lui-même le sentiment de son rôle religieux et national, si les vers sont authentiques qui nous ont été conservés comme l’épitaphe de Nævius, composée par lui-même (Aulu-Gelle, I, 24) :

Immortales mortales si foret fas flere,

Flerent divæ camœnæ Nævium poetam.

Itaque postquam est orci traditus thesauro,

Obliti sunt Romæ loquier lingua latina.

Suivant M. L. Havet, dont j’adopte la leçon (lib. cit., p. 330) ce dernier vers est dirigé contre le jeune poète Ennius.

[79] Tragicorum rom. fragmenta, p. 877 : Vitulantesvita insepulta lætus in patriam redux. D’après M. Ribbeck, le premier de ces fragments doit se rapporter à la marche des soldats triomphants, le second au retour du général vainqueur.

[80] Pline, XXXIII, 36 : Enumerat autores Verrius, quibus credere sit necesse, Jovis ipsius simulacri faciem diebus festis minio illini solitam, triumphautumque corpora.

[81] Déjà Cœlius Antipater, cité par Cicéron (Frag. de Peter, et de Divin., I, 35, et de nat. Deor., II, 3) ; Cicéron lui-même dans ces deux passages ; Tite-Live et Ovide, v. infra ; Appien, VII, 9 ; Valère Maxime, I, 6 : Silius Italicus, injurieux et déclamatoire, qui croit Flaminius suscité par Junon protectrice de Carthage pour le malheur de Rome, Pun.

[82] Hist. int. de Rome, trad. Berthelot, p. 388 et s.

[83] Cicéron, de Senect., 4 : qui (Fabius) consul iterum, Sp. Carvilio quiescente, C. Flaminio tribuno plebis, quoad potuit restitit, passage remarqué et bien interprété par M. Lange.

[84] Valère Maxime, II, 1 : Carvilius (dont le divorce n’était, du reste, pas le premier) reprehensione non caruit. Selon Aulu-Gelle, IV, 3, il aimait beaucoup sa femme, et il a divorcé réellement pour avoir des enfants d’une autre femme et les donner à la patrie, motif que Carvilius avait mis en avant, mais qui, même de son temps, ne fut pas pris au sérieux.

[85] Sur ces derniers faits, et sur la politique du Sénat en ce qui concerne les triomphes, v. Plutarque, Marcellus, 4 et 5 ; Zonaras, VIII, 20 ; Polybe, VI, 15. Il est à remarquer que Plutarque croit à la sincérité religieuse du Sénat, et lui donne raison.

[86] Le récit de Tite-Live, XXI, 63, me parait résister dans son ensemble, malgré quelques détails contestables, à l’habile et savante critique de M. Lange, lequel reconnaît pourtant, tout en l’excusant, la négligence religieuse qui seule nous intéresse ici.

[87] Le récit de Tite-Live, XXII, 3, est confirmé et complété par celui de Cicéron, de Divin., I, 35, l’un et l’autre puisés dans les mêmes annalistes.

[88] Primoribus... territis duplici prodigio, milite in vulgus lœto ferocia ducis. (Tite-Live, loc. cit.)

[89] Il est à remarquer que c’est à propos de Flaminius et de Clodius que Cicéron écrit ces lignes célèbres : Quorum exitio intelligi potest, eorum imperiis rempublicam amplificatam, qui religionibus paruissent. Et, si conferre volumus nostra cum externis, ceteris rebus aut pares, aut etiam inferiore reperiemur ; religione, id est, cultu deorum, multo superiores. (De nat. Deor., II, 3.)

[90] Fastes, VI, 765.

[91] VII, 18 et 19.

[92] Plutarque, vie de Fabius.

...Victricesque moras Fabii, pugnamque sinistram

Cannensem, et versos ad pia vota deos.

Ces vers de Properce (III, 3, éd. Lemaire) figurent aussi comme paraphrase d’Ennius dans l’éd. Müller (Pétersbourg, 1885), de ce dernier poète.

[93] Ab diis orsus. (Tite-Live, XXII, 9.)

[94] Plutarque, Fabius, 4.

[95] Le 23 juin. Sur les dies atri, v. Bouché-Leclercq, les Pontifes, p. 126-132. Du reste, l’opinion de M. Gruppe (Note insérée dans le Hermès de 1880, p. 624) est que le sens de dies ater est primitivement celui-ci : jour qui vient après les Nones, les Ides, etc.

[96] Sur les livres sibyllins, v. Bouché-Leclercq, Hist. de la divination, t. IV, l. III, ch. II.

[97] Tite-Live XXII, 9. — Remarquons pourtant que M. Robiou attribue les lectisternia à une influence plutôt étrusque qu’hellénique (Les Institutions de l’ancienne Rome, par Robiou et Delaunay, t. I, p. 388).

[98] Tite-Live, XXII, 10.

[99] Image hardie de M. Duruy, et qui rend bien l’intention de cette cérémonie.

[100] Plutarque, Fabius, 4.

[101] Fastes, VI, 241 s.

[102] Plutarque, Fabius, 17.

[103] Unus gui nobis cunctando restituis rem.

(Æneide, VI, 846.)

Unus homo, disait Ennius, p. 41 de l’éd. Müller.

[104] Ut tamen Herculeae superessent semina gentis,

Credibile est ipsos consuluisse deos:

Nam puer impubes et adhuc non utilis armis

Unus de Fabia gente relictus erat;

Scilicet ut posses olim tu, Maxime, nasci,

Cui res cunctando restituenda foret.

(Fastes, II, 237 s.)

[105] Cet atrium, indiqué dans Ovide, Fastes, IV, 624, était différent, remarque Peter, du temple de la Liberté sur l’Aventin.

[106] Tite-Live, XXVII, 16 ; Plutarque, Fabius, 22.

[107] Pline, XXXIV, 18.

[108] Pline, ibid., — Aurelius Victor, 43. — Plutarque, Fabius, 22.

[109] Polybe (III, 112) nous donne la physionomie religieuse de Rome pendant l’attente de ces nouvelles.

Curas sævo obsidio magnas Titanu preme at.

(Ennius, p. 7 de l’éd. Müller.)

[110] Tite-Live, XXII, 56. — Valère Maxime, I, 1.

[111] Preller-Jordan, Rœm. mythol., t. II, p. 45.

[112] Alba decent Cererem. Vestes Cerialibus albas

Sumite. Nunc pulli velleris usus abest.

(Fastes, IV, 619.)

[113] On ne marqua pas non plus de nouveau dies ater ; mais Macrobe et Aulu-Gelle remarquent que le quatrième jour avant les Nones passait dans le peuple pour néfaste.

[114] Valère Maxime, VII, 6.

[115] Tite-Live, XXII, 57.

[116] Appien, VII, 11. — Valère Maxime, VII, 6.

[117] Valère Maxime, I, 1.

[118] Plutarque, Marcellus, 21.

[119] Plutarque, Marcellus, 21.

[120] Plutarque, ibid.

[121] Plutarque, Fabius, 23.

[122] Tite-Live, XXV, 40 : Orimum initium mirandi Graecarum artium opera licentiaeque hinc sacra profanaque omnia volgo spoliandi factum est, quae postremo in Romanos deos, templum id ipsum primum quod a Marcello eximie ornatum est, vertit... ornamenta quorum perexigua pars comparet.

[123] Cicéron, in Verrem, IV, 52-55 : Has tabulas M. Marcellus, cum omnia uictoria illa sua profana fecisset, tamen religione impeditus non attigit... deum nullum violavit... ; ædificiis omnibus... sacras et profanis sic pepercit, quasi ad es defendenda cum exercitu, non expugnanda, venisset.

[124] Id., Ibid. : In ornatu urbis habuit victoriae rationem, habuit humanitatis; victoriae putabat esse multa Romam deportare quae ornamento urbi esse possent.

[125] Il convient de remarquer avec M. Wallon, Hist. de l’escl. dans l’antiquité, édit. citée, II, 280, que les esclaves, pendant les guerres puniques, n’ont pas toujours été favorables à la patrie de leurs maîtres. Ils ont fait deux tentatives de guerre servile. (Tite-Live XXVI, 27.)

[126] Valère Maxime, VI, 7 : ... Adactasque jure jurando, strenuam se fortemque operam daturos. (Tite-Live XXIII, 16.)

[127] Tite-Live, XXIII, 16 : Digna res visa, ut simulacrum celebrati ejus diei Gracchus... pingi juberet in æde libertatis, quam pater ejus, in Aventino ex multatitia pecunia faciendam curavit dedicavitque.

[128] Valère Maxime, I, 6 ; Tite-Live, XXV, 16 et 17.

[129] Plutarque, Marcellus, 27.29. Valère Maxime, I, 6 ; Tite-Live, XXVII, 26.

[130] Tite-Live, XXVI, 29 : rapiente fato Marcellum ad Annibalem.

[131] Tite-Live, XXVI, 26 : ...deos immortales, miseritos nominis romani, peperrisse innoxiis exercitibus ; temeritatem consulum ipsorum capitibus damnasse.

[132] Virgile, Æneid., VI, v. 862 et 866. V. aussi la fin de l’élégie 18 du livre III de Properce.

[133] Tite-Live, XXVII, 40, 50, 51.

[134] Fastes, VI, 769.

[135] VII, 53.

[136] Odes, IV, 4.

[137] Tite-Live, XXVI, 19 (qui, du reste, n’y croit pas). Aulu-Gelle VII, 1. Aurel. Victor, 49 — Dion Cassius, I, 202.

[138] Valère Maxime, VI, 9.

[139] Cicéron, Brutus, 19.

[140] Aurelius Victor, loc. cit.

[141] Valère Maxime, loc. cit.

[142] Aulu-Gelle, loc. cit. ; Aurelius Vic., loc. cit. : Polybe, X, 5.

[143] Tite-Live, XXVI, 19 et Polybe. X, 2.

[144] Polybe X, 4.

[145] Tite-Live, XXVI, 18. V. Bouché-Leclercq, Hist. de la Divin., t. IV, p. 240, et Mommsen, le Droit public, récente trad. Girard (t. I des Ant. rom.) p. 115, sur cette irrégularité, et celles du même genre qui ont précédé ou suivi.

[146] Tite-Live, XXVI, 41.

[147] Polybe, X, 11, 14 ; Tite-Live XXVI, 45.

[148] Tite-Live, XXVI, 48.

[149] Tite-Live, XVIII, 45.

[150] V. au VI de la présente étude ; Dion Cassius, I, 214.

[151] Tite-Live, XXIX, 27.

[152] Cœlius Antipater, très crédule. Voir dans Peter, Fragm.

[153] Tite-Live, XXX, 25 fait ainsi parler Scipion : Malgré la perfidie des Carthaginois, qui avaient violé la sainteté de la trêve et le droit des gens dans la personne de ses députés, il ne leur ferait souffrir aucun traitement qui fût contraire aux usages du peuple romain et à son propre caractère. Dion Cassius, I, 215 et 218.

[154] Tite-Live, XXX, 43.

[155] Sur tout ceci, voir le lumineux travail de M. Weiss, professeur à la Faculté de droit de Dijon : le Droit fétial et les Fétiaux à Rome, Paris, 1883, p. 4-5, 11, 15, 18, 41. Remarquons avec M. Weiss, p. 36, que la seconde guerre punique elle-même n’avait pas commencé d’une façon aussi ritualiste, car la déclaration de guerre de Fabius (Tite-Live, XXI, 18), avec les deux fameux plis de sa toge, en est fort éloignée. Il est vrai que les détails de ce dernier récit ne sont pas bien certains, puisque d’après une autre source (Aulu-Gelle, X, 27) une lettre de Fabius aurait donné le choix aux Carthaginois entre un caducée et une lance.

[156] Le Droit public romain, 4e éd. Louvain 1880, p. 183.

[157] Tite-Live, XXX, 1, 21, 27.

[158] Tite-Live, XXX, 38.

[159] Tite-Live, XXX, 40.

[160] Tite-Live, XXX, 45.

[161] Le contemporain Ennius disait (p. 75 de l’éd. Muller, Pétersbourg, 1885) : Quantam statuam faciet populus romanus, quantam columnam, quæ res tuas gestas logoatur ? — On a fait diverses tentatives pour reconstituer les vers désossés dans cette phrase de prose.

[162] Valère Maxime, IV, 1 et VIII, 15.

[163] Voyez, outre l’ouvrage classique de Movers, en français, l’article Phénicie, déjà cité, de M. Ph. Berger dans l’Encyclopédie Lichtenberger ; les deux premiers volumes de l’Histoire d’Annibal du commandant Hennebert ; l’Histoire des Romains de M. Duruy, t. I, p. 414 et s. (p. 414, curieuse observation communiquée par M. Ph. Berger sur un corps de décemvirs religieux qui existait à Carthage comme à Rome).

[164] Diodore de Sicile, l. XXIII, fragm. 13, et la réflexion générale que lui suggère ce fait.

[165] Polybe, III, 11. C’est un récit d’Annibal lui-même à Antiochus, l’hôte et le protecteur de sa vieillesse.

[166] Tite-Live, XXVIII, 12.

[167] M. Hennebert, dans le t. I de son Histoire d’Annibal, p. 263 et 335, a groupé les faits de ce genre, auxquels il attribue peut-être plus d’importance qu’ils n’en ont eu dans la pensée de son héros.

[168] Tite-Live, XXI, 21.

[169] Tite-Live, XXI, 45.

[170] Polybe VII, 9, texte très important, mais qui n’intéresse pas l’histoire de la religion romaine, puisqu’il s’ait d’un traité entre Phéniciens et Grecs.

[171] Valère Max., V, 1 ; Appien, VII, 35 ; Tite-Live XXV, 17 ; Plutarque, Marcellus, etc. Ces derniers auteurs constatent d’ailleurs le doute qui plane sur ces faits.

[172] Cœlius Antipater, par l’intermédiaire de Cicéron, De divinatione, I, 24.

[173] Sur ce point, la perfidie et l’άσέβεια d’Annibal et sur les pillages dont il va être question, v. Polybe, LX, 26 ; Tite-Live, XXI, 4 ; Horace, Odes, IV, 4, 47 ; Ovide, Fastes, III, 148 ; Sil. Italicus, I, 58, etc.

[174] Dion Cassius, éd. Gros. I, 169.

[175] Tite-Live, XXVI, 11 ; Michelet, Hist. rom., éd. de 1866, t. II, p. 48. Notre illustre historien fait du reste confusion entre le temple du Soracte et celui du mont Circeo. (V. Preller-Jordan, t. I, p. 428.) Dans ce dernier temple de Feronia, situé à Terracine, se trouvait un siège de pierre avec cette inscription : Bene meriti servi sedeaut, surgant liberi. (Serv., in En., VIII, 564.) Peut-être avait-il dans celui du Soracte quelque chose de semblable ; et en somme la méprise de Michelet, méprise difficile à expliquer tant elle est contraire aux indications géographiques que renferme le récit de Tite-Live (passage de l’Anio, Capena, Eretum, etc.) ne suffit pas à ruiner son hypothèse sur le scrupule religieux des affranchis, soldats d’Annibal. Seulement rien ne la démontre et, sur ce point, le récit de Tite-Live n’est pas très clair.

[176] Cicéron, De Divin., loc. cit.

[177] Tite-Live, XXVIII, 46.

[178] Rœm. Mythol., t. I, p. 288.

[179] Renseignement de M. Philippe Berger, s’appuyant sur le n° 195 du Corpus Inscriptionum semiticarum, où l’on voit : Matri Magnæ Tanitidi, faciei Baalis, et aussi sur le n° 380.

[180] Valère Maxime, VI, 6.

[181] Diodore, l. XXIII, fragm. 1.

[182] Polybe, VI, 56.

[183] Après Zama, Scipion morigéna durement les envoyés de Carthage, ut tot cladibus edocti, tandem deos et jusjurandum esse crederent. (Tite-Live. XXX, 37 ; Polybe, XV, 17.)

[184] Duruy, t. I, p. 444 ; Polybe, I, 11.

[185] Vol à main armée dit, à propos de la Sardaigne et de la Corse, M. Hennebert appuyé sur Polybe, III, 28.

[186] Tite-Live, XXI, 8.

[187] Polybe, III, 29 et 30.

[188] Tite-Live, XXVI, 17.

[189] Tite-Live, XXVIII, 42.

[190] Appien, VII, 28.

[191] De offic., III, 32 ; Tite-Live, XXII, 61.

[192] Aulu-Gelle, VI, 18 ; Valère Maxime, II, 9.

[193] Tite-Live, XXII, 58. Ce Romain, dit un peu sévèrement M. Bouché-Leclercq (Les Pontifes, p. 175), eût du être mieux apprécié par ses concitoyens il promettait de devenir une des lumières du collège pontifical.

[194] Aulu-Gelle, VI, 18 ; Tite-Live, XXII, 61.

[195] Tite-Live, XXIII, 35.

[196] Tite-Live, XXIV ; Duruy, t. I, p. 608 : Pinarius, en vrai Romain, croyait de bonne foi s’être mis en règle avec les dieux et sa conscience par cette prière.

[197] Tite-Live, XXV, 18.

[198] Tite-Live, XXVI, 23.

[199] Tite-Live, XXVI, 24.

[200] Rœm. myth., t. I, p. 143.

[201] La relig. rom. d’Auguste aux Antonins, t. I, p. 339 ; V. aussi Mispoulet, les Institutions politiques des Romains, t. II, p. 20.

[202] Le Corpus inscript., t. I, p. 160 et s. donne ces inscriptions, et p. 159 la notice les concernant : ... Nec tamen magis pagis his quidquam videtur fuisse præter sacrorum administrationem, quibus etiam ludos constat comprehendi.

[203] Sur ce genre de divination, sur Préneste et son temple, et sur les manières de voir successives du Sénat à ce sujet, v. Bouché-Leclercq, Hist. de la Divin., IV, 146 et s. et Preller-Jordan, Rœm. Mythol., II, 190 et s.

[204] Valère Maxime, I, 3.

[205] Tite-Live, XXIII, 19.

[206] Elle était au premier rang dans cette armée de villes libres dont Rome est le général, si bien définie par M. Taine, p. 59 de l’éd. cit. de son Essai sur Tite-Live.

[207] Tite-Live, XXIX, 36.

[208] Le premier de 243 à 221, le second de 212 à 183.

[209] Bouché-Leclercq, Les Pontifes, p. 300.

[210] Sur la question de savoir — problème peut-être insoluble — si le Palladium se confondait avec les Pénates, v. les Institutions de l’ancienne Rome par MM. Robiou et Delaunay, Paris, 1884, t. I, p. 341 et s. et Lacroix, Recherches sur la rel. des Rom., p. 129. Ce dernier auteur remarque qu’Ovide lui-même place le Palladium, tantôt dans le temple de Minerve, tantôt dans celui de Vesta. Klausen (Eneas und die Penaten, p. 146, 660, 693) constate d’après Denys qu’il existait d’autres images des Pénates, mais que : Minerva wenigstens Theil gehabt haben kann am Heiligsthum der Penaten... mit Vesta in die eugste Verbiudung gesetzt : das Palladium gilt für das Unterpfand der Wohlfahrt des Reichs, wird von der Vesta gehütet, im Tempel dieser Gottinn aufbewahrt, ja das Feuer der Vesta wird der Pallas selbst zugeschrieben... Donc, union étroite et même confusion de ces deux grandes divinités comme protectrices de Rome.

[211] Fastes, VI, 439.

[212] Tite-Live, XIX, sommaire.

[213] Pline, VII, 41.

[214] Tite-Live, XXV, 5.

[215] Tite-Live, XXVII, 8 ; Valère Maxime, VI, 9.

[216] Hist. int. de Rome, trad. Berthelot, I, 432.

[217] Tite-Live, XXVII, 8.

[218] Tite-Live, XXVII, 8.

[219] Tite-Live, XIX épit ; Valère Maxime, I, 1.

[220] Tite-Live, XXVIII, 38.

[221] Dans les Rœmische Alterthumer, le tome III (sur la religion) de la Rœmische Staatsverwaltung. Leipzig, 1878, p. 63 et s.

[222] Tite-Live, XXVII, 6.

[223] Tite-Live, XXVII, 6.

[224] Tite-Live, XXVII, 8.

[225] Tite-Live, XXIV, 8.

[226] Marquardt, loc. cit., visant Tite-Live, XXXI, 50.

[227] Bouché-Leclercq, Hist. de la Divin., IV, 266, visant les recherches de Bardt.

[228] Cicéron, de Divin., II, 36.

[229] Ant. rom. de Marquardt, t. I ; Le Droit public, par Mommsen, trad. Girard, p. 99.

[230] Cicéron, de Senect., 4.

[231] Valère Maxime, I, 4.

[232] Un patricien n’aurait peut-être pas commis la distraction de Coruncanius, qui fit d’un dies ater un jour de férie, comme le rapporte un fragment de Capiton conservé par Aulu-Gelle, IV, 6. Du reste, le collège des Pontifes couvrit l’erreur de son chef en déclarant qu’elle n’avait rien de religieux et qu’il n’y avait as à revenir là-dessus.

[233] Les Pontifes, p. 324 et s.

[234] Bouché-Leclercq, ibid., et Manuel des Instit. rom., Paris, 1886, p. 447.

[235] La religion romaine d’Auguste aux Antonins, t. I, p. 40.

[236] Cicéron, de Orat., III, 33, met Coruncanius au nombre des grands pontifes. Digeste, l. I, titre II, n° 35 et 38.

[237] Bouché-Leclercq, Hist. de la Divination, t. IV, p. 236.

[238] Valère Maxime, II, 8.

[239] Corpus inscript., t. I, p. 458.

[240] Pison, cité par Pline, IV, 126, et Valère Maxime, III, 6.

[241] Tite-Live, XXVI, 21 ; Valère Maxime, II, 8.

[242] Valère Maxime, II, 8.

[243] Tite-Live, XXVI, 21.

[244] Plutarque, Marcellus, 22.

[245] Valère Maxime, II, 8 ; Tite-Live, XXVIII, 9.

[246] Tite-Live, XXI, 62 ; XXVII, 23.

[247] Tite-Live, XXIII, 31 ; XXII, 36 etc.

[248] Tite-Live, XXI, 62, etc.

[249] Tite-Live, XXI, 46 ; XXIV, 10.

[250] Tite-Live, XXII, 36 ; XXIII, 31.

[251] Tite-Live, XXIV, 10 ; XXI, 62.

[252] Tite-Live, XXVII, 4, 10.

[253] Tite-Live, XXI, 62 ; XXIV, 10.

[254] Impetrata pax deum. (Tite-Live, XXVII, 23.) V. Bouché-Leclercq, Les Pontifes, p, 180.

[255] Tite-Live, XXI, 62.

[256] Si légendaire que puisse être ce fait, il n’en est pas sur lesquels les renseignements anciens abondent davantage. V. les fragments d’Acilius, de Calpurnius Piso, de Valerius d’Antium, dans Peter, Hist. rom. fragm., p. 36, 85, 157, Pline, II, 242, compare cette auréole à celle de Servius Tullius ; Valère Maxime, I, 6. Tite-Live déclare n’y pas croire (XXV, 39) : Verni gloriæ ejus etiam miracula addunt. Il parle ici des annalistes que nous venons de mentionner.

[257] Tite-Live, loc. cit.

[258] V. Preller Jordan, Rœm. mythol., Il, p. 18 s. — V. aussi l’Hist. de l’esclavage dans l’antiquité, de M. Wallon, p. 231.

[259] Macrobe, Saturn., 1. 1, 10) dit : Apud majores nostros Saturnalia uno die finiebantur, d’accord avec Tite-Live, XXII, 1 (après l’indication des réjouissances) : populus eum diem festum habere et servare in perpetuum jussus.

[260] Ces deux explications d’un usage attesté d’ailleurs par Varron et par Festus sont données dans Macrobe, Saturn., I, ch. VII.

[261] Macrobe, loc. cit.

[262] Varron, de Ling. lat., V, 165. Velleius Paterculus, II, 38.

[263] Valère Maxime, I, 1 ; Tite-Live, XXII, 57, se servant des Annales de Cassius Hemina.

[264] Pline, VII, 33 ; Suétone, Tibère, 2. Cette légende de Claudia, à laquelle Tite-Live, XXIX, 14, ne croit guère, est longuement racontée dans le quatrième livre des Fastes d’Ovide. Elle n’est oubliée ni par Appien, VII, 56, ni par Valère maxime, VIII, 15, ni par Aurélia Victor, 44. M. Decharme, dans son article Cybèle du Dict. d’antiquités de MM. Daremberg et Saglio, établit par une inscription ultérieure que cette Claudia devint, sous le nom de Nasisalvia, une sorte de déesse protectrice de la navigation du Tibre.

[265] Définition de Virtus et de Honos par Preller (t. II, p. 248 de l’éd. Jordan) : Die kriegerische Tapferkeit und ihre Anerkennung durch bürgerliche Ehre. Tite-Live, XXVII, 25.

[266] Tite-Live, XXIX, 11.

[267] Sur ces monnaies successives et l’époque de leur introduction à Rome, Pline, XXXIII, 13.

[268] St Augustin, De civit. D., IV, 24. Mommsen, Hist. rom., trad. de Guerle, t. II, p. 425.

[269] Bouché-Leclercq, Les Pontifes, p. 51.

[270] Pline, X, 42. Festus, p. 292 de l’éd. Müller.

[271] Noctu Annibalis cum fugavi exercitum

Tutatus hæc, Tutanu Romæ nuncupor.

(Vers de Varron, apud Nonium, 47, 32 ; ou, suivant la leçon de M. L. Quicherat dans son éd. de Nonius Marcellus, Paris, 1872, p. 40 :

Tutatur, hoc Tutanus Romæ nuncupor.

[272] Ch. II du livre V.

[273] Polybe, II, 12.

[274] Tite-Live, XXII, 37.

[275] Plutarque, Marcellus, 8.

[276] Tite-Live, XXIII, 11.

[277] Tite-Live, XXVIII, 45.

[278] Tite-Live, XXV, 1.

[279] Tite-Live, XXV, 12. Ce dernier texte a été restitué en vers saturnins, d’abord par Hermann (cité par Michelet dans les éclaircissements de son Hist. Romaine), récemment par M. Louis Havet (De saturnio latinorum versu, 1880, p. 415) ;  M. L. Havet a réuni, dans ses pages 413 et 414, les textes relatifs à ces prophéties ; dans ses pages 272-279, il discute et justifie sa restitution.

[280] Cicéron, De Divin., I, 40. — Ibid., I, 50, il n’est plus question que d’un Marcius, et, II, 55, de nouveau de Marcii Vates.

[281] Hist. de la Divin., t. IV, p. 128 et suiv. — Pline, VII, 33.

[282] Servius, in Eneid., VI, 70 et 72. — Epist. de Symmaque, IV, 34.

[283] C’est ce que Preller explique très bien (t. I, p. 304, 305) et ce qui résout le différend des écrivains anciens sur cette question. Voyez ce que disent Tite-Live (XXV, 12) et Macrobe (I, 17). C’est en effet quatre ans plus tard, en 208, qu’une peste fut cause, non de la fondation de ces jeux, mais de leur introduction dans le canon des fêtes statives. Il n’en est pas moins vrai que, dès le début, l’invasion carthaginoise est représentée par l’oracle comme un abcès (vomica) qu’il faut guérir.

[284] Macrobe, loc. cit., et Festus, p. 326 de l’éd. Müller. — Teufel, trad. Bonnard et Pierson, p. 6, 7.

[285] Rœm. mythol., t. I, P. 151.

[286] Tacite, Annal., II, 49, fixe le lieu et le nom des édiles ; Velleius Paterculus, I, 14, la date au moyen des Fastes consulaires. Dans les Fastes, V, v. 277 et s., Flora raconte à Ovide l’histoire de sa fête et des deux édiles.

[287] Ovide, loc. cit.

[288] Pline, XVIII, 286 (69 de l’éd. Panckoucke).

[289] Tite-Live, XXVII, 37 ; Preller-Jordan, I, 152.

[290] Tite-Live, XXIV, 43 ; Teufel, trad. Bonnard et Pierson, p. 17, 29 et 130.

[291] Tite-Live, XXVII. 37. — M. Taine regrette avec raison ce scrupule de puriste (Essai sur Tite-Live, p. 65, éd. cit.) — Suivant M. Louis Havet, De Saturn. latin. versu, p. 431, un vers de cette pièce est arrivé jusqu’à nous, un vers que l’on attribue d’habitude à l’Odyssée du même poète : Sancta puer, Saturni filia, Regina.

[292] Preller, loc. cit., et p. 292, s’appuyant sur Festus, p. 333 : Publice adtributa est et in Aventino ædi Minervæ in qua liceret scribis histrionibusque consistere ac dona ponere in honorem Livi, quia is et scribebat fabulas et agebat.

[293] Nous avons pourtant cité plusieurs fragments d’Ennius, mais en tant qu’historien poétique des guerres puniques. A ce titre, en voici encore deux qui ont leur importance (p. 39 et 50 de la récente édition Müller) :

Bello punico secundo Juno placata cœpit favere omonis,

paraphrase de Servius (In Æn., I, 281), qui a été restituée ainsi :

Romanis Juno cœpit placata favere.

L’autre fragment :

Moribus antiquis res stat romana virisque.

[294] Les légendes grecques sur l’Elysée et le Tartare, remarque M. Boissier (La Rel. rom. d’Aug. aux Ant., I, 272), s’appuyant sur M. Marquardt, paraissent avoir été populaires dés les guerres puniques ; si toutefois ils remontent à cette époque, les tombeaux de Tusculum et de Préneste, oui l’on a trouvé des squelettes tenant encore entre leurs dente la pièce de monnaie destinée à payer Caron de sa peine.

[295] Sur cette affaire de Pleminius, Tite-Live, XXIX, 8, 16, 19, 21. — Diodore de Sicile, XXVII, fragm. 4.

[296] Tite-Live, XXIX, 16.

[297] Valère Maxime, I, 1.

[298] Le développement ultérieur de ces cultes à Rome pourrait donner lieu à tout une bibliographie qui sortirait trop de notre sujet. Indiquons pourtant le livre récent de M. Beau Réville : La Religion à Rome sous les Sévères, Paris, 1886, le chapitre II de la première partie.

[299] V. Alf. Maury, Hist. des religions de la Grèce antique, dans le t. III, les chapitres XV, XVI et XVII.

[300] Tite-Live, XXIX, 11.

[301] Histoire romaine, ch. XIII du livre III.

[302] Duruy, t. II, p. 236. — V. aussi Boissier, Étude sur la vie et les ouvrages de M. T. Varron, Paris, 1861, p. 252 et s.

[303] Tite-Live, XXV, 1.

[304] V. Boissier, Varron, p. 200, etc.

[305] Valère Maxime, I, 3. — La plupart des auteurs, Krahner, MM. Boissier, Renan, etc., attribuent cet événement, comme nous venons de le faire sous toutes réserves, au consulat d’Æmilius Paulus, en 219. D’autres, MM. Marquardt, Bouché-Leclercq (Manuel des Institutions romaines, Paris, 1886, p. 476, note 1) le fixent, ou semblent le reporter, un peu plus tard. Beaucoup plus radicale, et non moins compétente, est l’opinion de M. Lafaye (Hist. du culte des divin. d’Alexandrie hors de l’Égypte, Paris, 1883, p. 42). Il croit que ce consulat d’un Æmilius Paulus dont il s’agit est celui de l’an 50 av. J.-C. On n’arrivera probablement jamais à la certitude ; mais M. Lafaye, lui-même, p. 39 et 273, et M. Guiraud (De Lagidarurn cum romanis societate, Paris, 1879), montrent que les rapports déjà établis au nie siècle entre Rome et Alexandrie peuvent très bien laisser supposer une infiltration précoce des cultes égyptiens.

[306] Cicéron, De Leg., II, 8 : Separatim nemo habessit deos ; neve novos, sive advenas, nisi publice adscitos, privatim colunto. D’après ce que vient de dire Cicéron, au eh. 7, de cette défense récente par rapport aux Douze Tables, mais plus ancienne que son temps, il est probable que c’est bien la même que celle indiquée par Tite-Live, XXV, 1, ne quis, in publico sacrovo loco, novo aut externo ritu sacrificaret. M. Boissier suppose que si l’interdiction, sous cette dernière forme, est moins absolue, c’est que Cicéron a donné la disposition légale dans toute sa rigueur, et que Tite-Live est resté sur le terrain pratique. (La rel. rom., I, 347.)

[307] Sur cet événement (en laissant de côté la légende de la vestale Claudia, qu’on a pu lire au ch. V de la présente étude), v. Tite-Live, XXIX. 10, 11, 14. — Ovide, Fastes, IV, v. 179-372, récit excessivement prolixe. — Valère Maxime, I, 1 et VIII, 15. — Aurelius Victor, 44. — Appien, VII, 56.

[308] Lucrèce, II, v. 600 s. — Macrobe, Saturn., I, 21. — V. sur les représentations successives de Cybèle, et sur l’énorme accroissement qu’apporta plus tard à son culte et à ses fêtes l’adjonction du dieu Attis à cette déesse, l’article de M. Decharme sur Cybèle dans le Dictionnaire Daremberg et Saglio.

[309] Tite-Live, XXIX, 10.

[310] Tite-Live, XXIX, 37.

[311] J. Réville, op. cit., p. 62.

[312] Aulu-Gelle, II, 24.

[313] Denys d’Halicarnasse, Hist. rom., II, 19. Denys distingue nettement trois choses : 1° le devoir d’offrir des sacrifices et des jeux à la déesse : les magistrats romains s’en acquittent ; 2° les fonctions sacerdotales dans ces sacrifices, réservées exclusivement à un Phrygien et à une Phrygienne ; 3° les quêtes et les processions eu costume bizarre, se rapportant à ce culte, auxquelles nul Romain ne saurait être astreint.

[314] L’article déjà cité de M. Decharme montre que, par la suite, les Archigalles, prêtres de Cybèle, furent des citoyens romains.