LA GUERRE DE TROIE

 

PRÉFACE.

 

 

Ce livre n'a pas la prétention d'apporter des données scientifiques nouvelles à la question d'Homère et de la guerre de Troie. La description des ruines, au début de la première partie — préface indispensable à toute étude homérique — n'est qu'un résumé des travaux de l'archéologie, dont j'ai cherché à condenser les résultats aussi clairement que j'ai pu, après un examen sur place. Les identifications proposées pour la ville et la plaine sont celles qui ont été indiquées par les auteurs des fouilles et dont j'ai pu vérifier l'exactitude. Je n'ai visité qu'une partie des régions de la Troade et des côtes de l'Asie Mineure dont je parle ; mes notes ont dû être complétées sur ce point par les relations des explorateurs. L'étude du catalogue des Grecs, des Troyens et de leurs alliés, est inspirée par les travaux de deux philologues anglais : T. W. Allen et surtout W. Leaf, que j'ai suivi presque constamment dans mon étude du catalogue troyen. Enfin, l'idée du rôle économique de la citadelle a été mise en avant par V. Bérard et reprise par Ramsay, Leaf et van Gennep.

Mais, au cours de mes nombreux séjours en Grèce et en Asie Mineure, j'ai souvent songé à l'attrait et au profit qu'offrirait une étude de l'Iliade entreprise dans le même esprit que les Phéniciens et l'Odyssée. J'ai été maintes fois frappé, comme le brillant auteur de ce savant ouvrage, par la précision des connaissances que le poète de l'Iliade possédait du monde préhellénique et des concordances générales que les fouilles mycéniennes établissent entre le poème et la réalité. Il m'a semblé que l'Iliade et l'Odyssée avaient été pendant trop longtemps étudiées à un point de vue strictement littéraire et que l'archéologie et la préhistoire donnaient un essor tout nouveau aux recherches homériques. Une conférence que j'ai faite, le 6 mai dernier, à la Société d'Anthropologie de Paris a été l'occasion de ce volume. Je serais heureux s'il pouvait contribuer à provoquer en France un travail qui fût le digne complément de l'œuvre de V. Bérard.

J'ai pensé aussi qu'il serait intéressant de rassembler les idées et les recherches éparses dans des ouvrages ou périodiques spéciaux et d'en présenter à un cercle plus étendu de lecteurs les principales conclusions. Je n'ai pas craint d'entrer dans certains détails, estimant qu'une vulgarisation n'est vraiment féconde que si elle est solide. Je crois que nous avons encore beaucoup à apprendre des anciens et qu'il y a grand profit à faire pénétrer dans le grand public, d'une façon plus vivante, le goût et une connaissance plus approfondie de l'antiquité hellénique. C'est ce que j'ai tenté déjà, dans un ouvrage antérieur.

Il ne s'agit d'ailleurs pas seulement aujourd'hui de science et de culture. L'Asie Mineure a été l'un des plus beaux domaines de l'influence française ; à tous points de vue, nous y avons été des initiateurs. Or ceux qui s'occupent des questions extérieures savent que, depuis cinquante ans, notre activité y a subi un recul dans tous les domaines, malgré les vives sympathies qui nous sont acquises dans le pays, alors que les entreprises allemandes de tous ordres n'ont pas cessé d'y réaliser les plus grands progrès. Dans l'archéologie, dont l'Allemagne a fait un des moyens efficaces de son influence et de son action, nous nous étions laissés peu à peu presque complètement déposséder ; ce n'est qu'en 1913 que nous avons commencé a réparer les fautes commises. Je n'insisterai pas davantage ; notre influence est encore profonde, mais ceux qui s'imagineraient que nos victoires et les avantages qu'elles nous vaudront suffiront à nous faire regagner tout le terrain perdu et que nous n'aurons qu'à recueillir sans peine les fruits de nos succès, commettraient la plus lourde erreur. L'exemple de l'admirable colonisation hellène sur les côtes de l'Asie Mineure, après la guerre de Troie, nous montre à la fois quels efforts sont nécessaires et quels résultats il est possible d'obtenir. Dans le rapprochement entre les événements actuels et ces entreprises du passé, nous ne devons pas chercher seulement un intérêt d'actualité, mais une nouvelle occasion de méditer sur les grandes leçons de l'histoire.

20 juin 1915.

F. SARTIAUX.