L'ASSASSINAT FRANÇOIS DE LORRAINE

 

ÉPILOGUE.

 

 

Coligny et la guerre des Flandres. — Attentat de Maurevel (22 août 1572). — Massacre de la Saint-Barthélemy (24 août)[1].

 

Catherine de Médicis s'était toujours opposée à la guerre des Flandres. Déjà jalouse du crédit de l'amiral, elle n'entrevoyait dans une campagne, même victorieuse, qu'une diminution d'influence pour elle et pas un avantage pour le duc d'Anjou, son fils préféré. A force de reproches et de plaintes, de prières et de larmes, elle sut jeter le roi dans l'incertitude. Alors intervinrent les mauvais conseillers, les courtisans vendus au roi d'Espagne, et bientôt la cour apprit que la campagne des Flandres était indéfinitivement ajournée. Coligny éprouva un vif dépit. Habitué à ne point trouver de contradicteurs autour de lui, il ne sut modérer son humeur. Son insistance devint insupportable au roi, sa présence odieuse à la reine et au duc d'Anjou. C'est le moment que les Guises attendaient pour assouvir leur vengeance.

Le vendredi, 22 août, quatre jours après le mariage du roi de Navarre, vers onze heures du matin, Coligny sortait du Louvre et rentrait à son logis de la rue de Béthisy. En passant le long des murs de l'hôtel de Bourbon, il reçut, une arquebusade à la main droite et au bras gauche. Il désigna froidement la fenêtre d'où le coup était parti et dit à ses compagnons : Voyez quel est celui qui a tiré. La maison, une masure inhabitée, était fermée. La porte fut forcée, mais l'assassin avait disparu par une seconde issue sur le cloître Saint-Germain-l'Auxerrois. Le roi jouait à la paume avec le duc de Guise quand on lui apporta la nouvelle. Vivement ému, il jeta sa raquette et remonta dans ses appartements. Le duc de Guise, bientôt après la reine mère et le duc d'Anjou, plusieurs seigneurs de la cour le rejoignirent pour l'arracher aux conseils de leurs adversaires. Le roi ne savait encore sur qui jeter sep soupçons et personne n'osait prononcer un nom. On découvrit que la maison suspecte appartenait au s. de Chailly, intendant du duc de Guise, que le coupable, François Louviers, dit Maurevel, un assassin à gages, y avait passé trois jours en embuscade et qu'il s'était enfui sur un cheval qu'on lui tenait à la main depuis le matin. Des gentilshommes huguenots, qui avaient poursuivi le meurtrier sans l'atteindre, rapportèrent qu'il avait changé deux fois de monture, à la porte Saint-Antoine et au pont de Charenton. Là, ils avaient perdu ses traces, mais ils avaient retrouvé les deux premiers chevaux et reconnu qu'ils sortaient des écuries du duc de Guise.

Le soir le roi visita l'amiral, en compagnie de ses frères et de sa mère. Tandis qu'il examinait la balle de Maurevel, Catherine observa froidement : Devant Orléans, on n'avait pas pu extraire la balle de M. de Guise. Le roi avait juré de venger l'amiral, mais Catherine de Médicis connaissait les moyens de retourner cette âme tour à tour molle et violente. Le lendemain, elle et ses familiers, le duc d'Anjou, Tavannes, Retz, Birague, le chevalier d'Angoulême, assaillirent le faible prince de plaintes et de rapports alarmants. Les capitaines réformés, rassemblés à Paris pour le mariage du roi de Navarre, étaient en force aux portes du Louvre ; les conseils se succédaient au chevet de Coligny ; l'amiral prétendait disposer de la couronne de France en faveur du roi de Navarre ; déjà Mongonmery rassemblait des compagnies dans le faubourg Saint, Germain ; Il était dangereux de laisser aux conjurés le temps de combiner leurs desseins ; il fallait les prévenir par une détermination hardie ; le salut du roi justifiait leur mort ; le succès était assuré à celui qui prendrait l'avance. Vaincu par les larmes de sa mère, par les objurgations de son frère, par les prétendues informations de ses conseillers, le roi donna, puis révoqua et enfin renouvela les ordres de massacrer les réformés jusqu'au dernier.

Dans la nuit du 23 au 24 août, avant le lever du jour, le tocsin de Saint-Germain-l'Auxerrois donne le signal. Le duc de Guise, le marquis du Maine, le duc d'Aumale et plusieurs seigneurs de leur parti arrivent à cheval à l'hôtel de la rue de Bethisy. L'un des assassins frappe au nom du roi ; la porte s'ouvre et le suisse de garde est égorgé. Les portes intérieures étaient barricadées et un combat s'engage. Les assaillants descellent la grille d'une fenêtre et pénètrent dans l'hôtel. Les Suisses du roi de Navarre se font tuer sur les marches de l'escalier. Un Allemand, nommé Besme, au service du duc de Guise, suivi de deux Italiens et de quelques soldats de la garde du roi, force le porte de la chambre de l'amiral. Coligny était en prière. Les assassins le saisissent pour le jeter par la fenêtre. Comme il résistait, l'un d'eux lui tire un coup de pistolet ; les autres le lardent de coups d'épée et le précipitent dans la cour aux pieds du duc de Guise. Le duc s'approche de sa victime, fait étancher le sang qui couvrait le visage et, suivant quelques relations, le frappe du pied. La foule, attirée par le bruit du combat, remplit la cour. Le corps est lié par les pieds sur une claye, et traîné dans les rues de la ville. Un bourreau lui coupe la tête et des cavaliers promènent le sinistre trophée au bout d'une épée, aux applaudissements de cette foule multitude que la vengeance des Guises avait ameutée contre le chef du parti réformé.

Ainsi se termina la querelle des Guises et des Coligny, si toutefois on peut considérer comme terminée une lutte qui devait engendrer d'autres forfaits. Les réformés accusaient le duc de Guise d'avoir ouvert les hostilités au commencement de 150 par le massacre de Vassy ; moins d'un an après, Poltrot de Meré venge les victimes de Vassy. Les Guises accusent l'amiral de complicité dans l'attentat de Poltrot et la reine refuse de laisser juger le procès ; ils se vengent eux-mêmes à la Saint-Barthélemy. La série criminelle ne s'arrête pas en 1572. Le 23 décembre 1588, à Blois, Henri de Guise est assassiné par ordre de Henri III. Le 1er août suivant, Henri III est poignardé par un sectaire du parti lorrain. L'histoire est une chaîne dont les anneaux se tiennent par une soudure infrangible. Les violences amènent des violences ; les crimes appellent les crimes ; le sang attire le sang. C'est la loi du talion. Plaise au ciel que ce récit rappelle cette loi inéluctable aux Français du XIXe siècle, qui vivent dans un temps aussi troublé que la seconde moitié du XVIe siècle.

 

 

 



[1] Nous n'annotons pas ce récit qui fera l'objet d'une publication beaucoup plus développée.