TURENNE

SA VIE, LES INSTITUTIONS MILITAIRES DE SON TEMPS

 

CHAPITRE PREMIER. — L'ARMÉE FRANÇAISE AU TEMPS DE TURENNE

 

 

Du recrutement des armées. — Les différents corps de la milice française de 1610 à 1675 : maison du roi, cavalerie, infanterie, corps spéciaux. — Formation des armées actives. — Direction et commandement. — Subsistances. — Hôpitaux militaires.

 

Au mois de décembre 1655, Michel le Tellier obtenait pour son fils François-Michel, le futur marquis de Louvois, âgé de quinze ans, la survivance de sa charge de secrétaire d'État de la guerre, et quelques jours après le brevet de conseiller d'État ordinaire. Le 24 février 1662 commençait la carrière de cet homme qui devait être dans l'armée un grand niveleur : il était autorisé par le roi à signer comme secrétaire d'État, et dès lors, collaborateur assidu et infatigable de son père, il s'adonnait avec une énergique application à l'exercice de fonctions qu'il ne devait quitter qu'avec la vie. Il les remplit pendant plus de trente ans, et laissa une œuvre durable, puisque l'état militaire qu'il avait fondé était encore debout en 1792. Son œuvre nous est connue par le livre que lui a consacré M. Camille. Rousset, et nous savons que, s'il apporta dans l'administration des connaissances spéciales très étendues, il ne créa pas tout d'une pièce l'armée française et ses divers services, qu'il essaya tous les rouages qu'il avait sous la main, et qu'il ne les changea qu'après les avoir reconnus mauvais ou usés. Ce sont ces rouages légués par la première moitié du XVIIe siècle que je voudrais faire connaître en montrant les efforts qui avaient été teillés de 1610 à 1661 pour les modifier au fur et à mesure des besoins qui se révélaient.

Le duc d'Orléans, qui a publié en 1842 l'histoire du 71e régiment d'infanterie, a constaté qu'à la mort de Henri IV, c'est-à-dire en 1610, l'armée se composait de douze régiments d'infanterie française, dont un formait la garde du roi, et que ces douze régiments pouvaient former un effectif de dix-huit à vingt mille hommes tout au plus. Si l'on y ajoute quelques escadrons de gendarmerie et de chevau-légers, les garnisons de quelques places fortes, on aura l'indication de toutes les troupes permanentes qui existaient à cette époque. Elles étaient bien suffisantes pour les besoins du temps, puisqu'il y avait peu de ces places qui demandent aujourd'hui des garnisons considérables, et qu'un bon nombre de villes avaient leurs milices bourgeoises. Aucune puissance de l'Europe n'avait d'armée permanente qui pût constituer un système militaire dangereux pour ses voisines. Les autres corps d'infanterie et de cavalerie étaient créés au commencement de chaque guerre et donnés à l'entreprise comme des espèces de concessions. Quand les besoins de l'État exigeaient un plus grand nombre de troupes, le roi faisait délivrer par le secrétaire d'État chargé de la guerre des commissions pour lever soit des régiments, soit des compagnies ; et ces commissions, gratuitement accordées, devenaient, entre les mains des colonels et des capitaines qui en étaient nantis, de véritables titres de propriété qui leur permettaient de disposer des grades inférieurs. Louvois ne put supprimer la vénalité des régiments et des compagnies, mais tout en respectant la propriété militaire, il contraignit colonels et capitaines à remplir toutes leurs obligations.

L'enrôlement volontaire et soldé est donc encore, comme au siècle précédent, la base du recrutement et ce fut le moyeu principal employé par Richelieu et Mazarin pour former leurs armées. On essaya de le soumettre à quelques règles, et nous relevons, dans la grande ordonnance de janvier 1620, quelques articles intéressants sur ce point : Art. 257 : nul soldat ne pourra être enrôlé sans promettre de servir sous les drapeaux six mois au moins. — Art. 510-521 : les mestres de camp (ou colonels) chargés de mettre un régiment sur pied devront recevoir du secrétaire d'État de la guerre un étal signé du roi, spécifiant la province où ils ont à faire la levée, et la localité où ils ont à la réunir. Avant d'agir, ils devront communiquer leurs commissions aux gouverneurs des provinces. Les capitaines chargés du soin de recruter les compagnies sont tenus de ne plus employer de racoleurs et de faire les levées d'hommes, en personne, directement, et en communiquant leurs commissions aux gouverneurs. Ceux-ci doivent leur adjoindre un commissaire pour assister tant à la levée qu'il la conduite des soldats jusque hors de la province. Le même commissaire recevait du capitaine un rôle contenant les noms et demeures des hommes par lui levés.

Le plus bel exemple, à ma connaissance, de milice recrutée par enrôlement volontaire, conformément à la loi et d'après des règles d'ordre, do justice et d'économie, est dû à Fabert, gouverneur de Sedan. Pendant l'hiver de 1644, il mit sur pied, en peu de temps, un régiment d'infanterie de douze cents hommes ; le recrutement de cette troupe, limité au territoire de la principauté, eut lieu par l'intermédiaire d'officiers recruteurs. chargés de procéder à l'enrôlement des volontaires. Chaque homme de recrue fut conduit à Sedan, ou il signa librement son engagement sur le livre du sergent-major, et reçut une prime d'enrôlement en argent, des habillements et des armes. Fabert choisit les officiers parmi des hommes sirs, dont le mérite lui était connu ; il institua une solde fixe que les officiers touchaient le premier de chaque mois, et les soldais le jeudi de chaque semaine ; ceux-ci la recevaient des mains d'un officier préposé aux fonctions de comptable. Cette allocation était fixée d'après un contrôle rigoureusement fait dit nombre des journées de service dans chaque compagnie. Enfin des inspecteurs visitaient les soldats chez les habitants et constataient les délits qu'ils pouvaient commettre. Plusieurs des règles observées dans ce petit corps étaient dues à Fabert, et elles complétaient parfaitement l'ordonnance de 1629. Si l'application eut pu en être généralisée, au lieu de voir trop souvent dans les armées des enfants, des gens contrefaits, des paysans racolés par fraude ou par violence, on y aurait trouvé en grand nombre des gens capables de comprendre la profession des armes, heureux d'en faire leur carrière et propres à la relever et à hâter les progrès de l'organisation des armées[1].

Quoique l'enrôlement volontaire soit le principal mode de recrutement dans les premières années du XVIIe siècle, le service obligatoire, qui avait été l'une des obligations du monde féodal, reparaît par suite des nouveaux besoins que  créent le développement des opérations et l'étendue de l'effectif. Richelieu, Mazarin et Louvois, qui eurent à mettre sur pied jusqu'à cinq ou six armées à la fois, furent souvent contraints de rendre le service militaire obligatoire. Les populations furent, de 1655 à 1675, appelées de force à combler le vide des armées ; les habitants des campagnes et des villes, sous le titre de troupes de milices, les nobles sous le titre d'arrière-ban, furent astreints, pour un temps plus ou moins long, à des services temporaires, soit en France, soit à l'étranger. En 1656, dans l'année dite de Corbie, parce que cette ville tomba au pouvoir des Impériaux qui envoyèrent des partis jusqu'aux portes de Paris, des ordonnances des 4, 5, 6, 8, 9, 11, 14, 15 août appelèrent aux armes indistinctement gens des corps de métiers privilégiés, exempts de taille, gentilshommes, laquais, ouvriers et apprentis, gens de bourgs et hameaux, et prescrivirent des corvées ou exigèrent des fournitures d'armes, de chevaux, des contributions pécuniaires. M. Gébelin, dans une étude sur les milices provinciales, a établi par un bon nombre d'exemples, que l'enrôlement forcé ne fut pas employé seulement pour un cas exceptionnel, mais que, pendant toute la durée de la guerre, sous Mazarin comme sous Richelieu, il servit de ressource habituelle pour combler les vides des régiments ; que la levée des recrues forcées s'appliquait tantôt à tout le royaume, tantôt à une ou plusieurs généralités ou bien à une ou plusieurs élections. Parfois elle ne portait que sur les paroisses rurales ; le plus souvent, elle s'étendait à la fois aux villes ainsi qu'aux bourgs et aux villages, mais il y avait de nombreuses exceptions ou dispenses pour les bourgeois et les maîtres de métiers, tandis que le gouvernement ne témoignait ni ménagements ni scrupules à l'égard des petites gens, et en exigeait rigoureusement les services personnels[2].

L'appel des populations aux armes était facilité par l'existence d'institutions militaires du moyen fige qui subsistaient encore dans quelques villes, telles que les milices bourgeoises, les compagnies d'archers, d'arbalétriers, d'arquebusiers, de couleuvriniers. Fabert, gouverneur de Sedan, par un règlement de discipline militaire (31 mars 1649), fit participer d'une manière directe et active les milices bourgeoises de sa principauté, fortes de cinq mille trois cent cinquante hommes, à la défense locale. Même après le triomphe de l'autorité monarchique dans la seconde moitié du XVIIe siècle, on respecta généralement les milices bourgeoises, tout en les subordonnant à l'autorité du commandant de place ou de l'intendant, mais on supprima peu à peu un bon nombre de confréries, et mi soumit à une surveillance jalouse celles qu'on laissait subsister. Dans la guerre de Hollande, les milices boulonnaises rendirent d'excellents services ; sous Henri IV et Louis XIII, elles avaient été successivement levées et licenciées, et elles avaient servi souvent à compléter les cadres des régiments en y mettant de vieux corps déjà exercés à l'école du soldat. Une lettre de Louis XIV, datée de Saint-Germain-en-Laye, du 11 octobre 1672, prescrivit au duc d'Aumont la levée de deux mille quatre cents hommes de milice boulonnaise dans les proportions suivantes :

Infanterie

Cavalerie

Arras

600

50

Hesdin

200

»

Béthune

200

»

Bapaume

100

»

Douai

300

50

Lille

400

200

Ardres

200

»

Tournai

»

50

Audenarde

»

50

Totaux

2 000

400

Bientôt enrégimentée, cette milice se distingua dans tontes les guerres que Louis XIV eut à soutenir.

Une autre sorte de réserve, que la royauté employa plusieurs fois au tune siècle, mais avec moins de succès, était l'arrière-ban ou levée en masse de la noblesse. Aux termes des règlements du 30 juillet 1655 et du 17 janvier 1659, Louis XIII soumit à la convocation de l'arrière-ban : 1° les détenteurs de fiefs, qu'ils fussent nobles ou roturiers ; 2 ° toute personne faisant profession des armes et vivant noblement qui, sans avoir de fiefs, possédait d'autres biens, soit en roture, soit en rentes. C'était vouloir raviver une institution surannée, et l'expérience n'eut que de déplorables résultats ; Richelieu se plaignit amèrement à Chavigny de l'indiscipline des contingents de l'arrière-ban : Je ne vois guère, disait-il, de pièces à coudre à l'ouverture que la lâcheté de telles gens fait aux affaires du roi. Bientôt il ne restait plus rien de cette cavalerie de hobereaux ruinés, et la Valette écrivait de Château-Salins au même Chavigny : Le peu de cœur et d'affection de la noblesse est la plus infamie chose pour notre nation qui fut jamais. Louis XIV, pressé par les difficultés de la guerre de Hollande, voulut encore recourir à cette armée illusoire comme au plus prompt secours qu'il pût opposer aux ennemis. Tout le monde fut surpris de ce dessein, et quelques sceptiques traitaient de visionnaires ceux qui parlaient de cette affaire comme d'une chose résolue ; mais il ne fut plus permis d'en douter quand on vit paraître, vers la fin du mois d'août, 1674 une déclaration par laquelle on ordonnait à tous les nobles, sujets à l'arrière-ban, de se trouver, toutes affaires cessantes, sur la Meuse, pour joindre l'armée qui devait être commandée par le marquis de Rochefort. Cette déclaration jeta une grande consternation parmi les privilégiés, et, malgré la misère publique, on ne put s'empêcher de rire en voyant le remue-ménage que causait cette convocation ; plusieurs jeunes gens, qui avaient jusque-lit contrefait les nobles, quittèrent humblement leurs rapières pour endosser des manteaux noirs ; d'autres, qui n'avaient. pas fait semblant d'être gentilshommes, prenaient l'épée sans savoir bien de quel côté il fallait la mettre ; on ne voyait partout que nobles se trémousser pour faire leurs équipages ; les uns cherchaient des chevaux, les autres des valets ; tous de l'argent, et leurs amis des excuses pour leur en refuser honnêtement. Les plus embarrassés étaient les baillis et leurs lieutenants qui ne savaient comment interpréter ni comment exécuter la déclaration royale. On finit par en assembler quelques milliers dont on gratifia Turenne, qui les renvoya au bout de huit jours. Créqui, chargé de les ramener en Lorraine, écrivit â Louvois : Je souhaite ardemment que le roi n'ait jamais besoin de rassembler sa noblesse, car c'est un corps incapable d'action et. plus propre â susciter des désordres qu'il remédier à des accidents. Ce qui rapporta le plus de profit au roi, ce fut la sagesse qu'eurent un bon nombre de nobles de se faire dispenser. On les taxa fort, et avec le produit des taxes on leva des compagnies de cavalerie ; l'année suivante on les dispensa tons, mais on leur demanda encore beaucoup d'argent. Dans l'ordre militaire, ce fut la fin de l'ancien régime ; Louvois lui donnait le cote de grâce en remplaçant le service personnel, base et seule justification des privilèges nobiliaires, par une mesure fiscale qui était une exonération à peine déguisée. En acceptant cette exonération, la noblesse s'était suicidée ; il ne lui restait plus qu'un siècle de fiévreuse agonie[3] !

Enrôlements volontaires et levées forcées ne purent suffire aux grandes guerres qui ont rempli les ministères de Richelieu et de Mazarin, ainsi que la première partie du gouvernement personnel de Louis XIV, et il fallut soudoyer des étrangers. On en était lit dans toute l'Europe et l'industrie de marchands d'hommes exigea souvent autant de finesse et d'habileté que la carrière diplomatique. Les belligérants épiaient le moment où ils pouvaient s'enlever leurs soudoyers et l'on voyait la hausse ou la baissa se produire sur le prix des légions suédoises ou allemandes, suivant la fréquence des demandes, les besoins des gouvernements et la fin plus ou moins prochaine de la guerre. Richelieu et Mazarin, grâce â l'habileté de leurs agents, furent souvent, acheteurs aux cours les plus favorables ; vendeurs jamais ; ils avaient toujours besoin de troupes, manquaient rarement d'argent, et quand ils n'en avaient pas suffisamment, ils recouraient à l'habileté de leurs agents pour faire vivre les troupes, ou à l'influence de leurs généraux pour les établir dans de bons quartiers d'hiver et leur permettre d'attendre patiemment l'arrivée de la solde. Si la France put retenir à son service des armées étrangères considérables, elle le dut aux ressources financières qui furent prodiguées à ses gouvernants, et an patriotisme héroïque des populations, qui se résignèrent plus ou moins à se laisser dépouiller par ces soudards du dehors. Quelle moisson de renseignements des plus curieux on trouve sur ce point dans les correspondances officielles de nos hommes d'État et de nos généraux ! Citons quelques exemples : le 27 octobre 1655, le roi s'engagea à payer à Bernard de Saxe-Weimar quatre millions par an pendant la durée de la guerre pour nue armée de six mille cavaliers et de douze mille fantassins, plus une pension de cent cinquante mille livres quand la paix serait faite ; après la mort de Bernard, il acheta, le 9 octobre 1639, son armée et ses conquêtes. Mazarin, qui n'avait pas les mains aussi nettes, n'avait pas toujours des millions en réserve comme Richelieu ; il se débattait perpétuellement au milieu des embarras financiers, et, comme tous les gens qui sont habituellement gênés, il recourait aux expédients. Ainsi, en 1617, comme il était forcé de recruter sur la frontière de Champagne quelques compagnies de cavalerie et trois cents fantassins destinés à renforcer son régiment, il osa demander à Fabert de lui avancer les fonds nécessaires pour payer les nouveaux enrôlés. Le brave Fabert eut le déplaisir de ne pouvoir rendre au cardinal le service qu'il lui demandait, mais il lui promit de seconder ses agents et les aida à mettre sur pied trois compagnies de cavalerie ; il échoua pour l'infanterie.

Pendant son exil à Brühl, Mazarin cherchait à réunir une armée qui l'aidai à rejoindre le roi, et c'est encore Fabert qui dirigea les levées : Le licenciement des troupes de Brandebourg et de Neubourg vous donne le moyen d'avoir de très bons hommes avec peu d'argent, lui écrivait-il le 25 octobre 1651. Mazarin avait deviné qu'il v avait une fructueuse opération à tenter de ce côté. et depuis trois semaines il négociait avec le comte de Waldeck, général de l'électeur de Brandebourg, l'envoi d'un secours de quatre mille hommes de pied et de mille chevaux destinés au roi. Il avait chargé M. de Gravelle de régler les conditions de l'enrôlement des troupes. Celui-ci devait se rendre dans ce but à Maëstricht, Cologne et Clèves. L'instruction qui lui fut remise entre dans des détails minutieux et indique les ressources pécuniaires dont M. de Gravelle pourra disposer. Il réussit à composer une solide armée grâce à l'énergique impulsion de Fabert, qui organisa des levées, sous la conduite d'officiers aussi bien choisis que possible, en Champagne, en Lorraine, dans le duché de Bouillon, l'évêché de Liège, dans le pays messin, eu Alsace et jusqu'à Clèves. Ces recrues devaient être confiées à Turenne pour sauver la couronne de France, en 1652[4].

En 1649 il était moins heureux ; il informait Turenne le 11 janvier qu'il ne pouvait lui envoyer les cent mille écus promis pour lui permettre de profiter du licenciement des armées, mais il se dédommageait le 17 et lui écrivait : J'écris au sieur Hervart de faire aussi un effort pour fournir aussi quelque somme d'argent au comptant, pour tirer quelques troupes de Suède et de Bavière, ainsi que je vous ai mandé que c'étoit l'intention de Sa Majesté, et qu'on vous envoyeroit au plutôt trente mille pistoles, pour y être employées ; et je m'assure que le dit Hervart fera l'impossible dans cette rencontre. Nous voyons par la même lettre que Turenne fera tenir les troupes le plus longtemps possible au quartier d'hiver au delà du Rhin, et si les États de l'empire se plaignent, il tachera do faire contribuer l'Alsace et la Lorraine à leur subsistance ; Hervart, de son côté, engagera tout son crédit et celui de ses amis, pour faire mi fonds de quoi donner présentement quelque satisfaction aux officiers de l'armée, ou assurance en sou propre et privé nom, pour le tirer partie dans peu de temps et partie en des ternies un peu plus éloignés ; et comme je ne doute nullement qu'il 'l'hésitera point à s'engager aveuglément à tout ce que vous lui commanderez, je vous prie de tout mou cœur de ménager le plus qu'il vous sera possible et dans la quantité et dans le temps des payements. Voilà le langage qu'était obligé de tenir en 1649 le ministre qui venait de dicter la paix de Westphalie !

Sous Louvois l'argent continue de rivaliser avec la diplomatie française contre l'Espagne dans les États de l'empire ; ce ministre annonce à Turenne, le 12 juillet 1667, que les affaires sont au mieux du côté de l'Allemagne, que ses meilleurs correspondants l'assurent en termes positifs, et que si l'argent d'Espagne ne vient point, on ne fera rien du tout. Tout le monde sait qu'il ne pouvait point venir, puisque la dot de Marie-Thérèse n'avait pu être payée. Dans une autre dépêche du 15 juillet également adressée à Turenne, Louvois est encore plus précis : Le P. Prégnagni est venu ici ce matin, pour confirmer au roi ce que S. M. avoit déjà appris de ses correspondans, qui est que M. de Bavière nuit fait proposer à la diète de l'empire de déclarer à l'empereur qu'il ne soulfriroit pas que pour secourir la Flandre il mit le feu dans tout l'empire. De plus que M. de Bavière offroit permission de lever cavalerie et infanterie dans ses États, et que l'on les auroit à un très meilleur marché que dans le reste de l'Allemagne ; et enfin que si le roi vouloit lui tonner de l'argent, il entretiendroit une armée dans son pays, toujours prête à s'opposer au passage des troupes de l'empereur, même où il plairoit à Sa Majesté.

L'argent était donc le levier des armées au Syrie siècle, au moins dans la période où je restreins cette étude. Il en résulta pour la France cet avantage qu'elle put s'armer suffisamment pour tenir tête à l'Europe ; mais que de mécomptes cet état militaire lui donna ! Que d'abus il engendrait ! Que de ruines il accumulait au lendemain de la paix ! Ces régiments, recrutés par voie de marchandage, formés pour un objet spécial, destinés à servir sur certaines frontières, restaient agglomérés en armée jusqu'à ce que la fin des hostilités ou une raison d'économie les fit débander, et s'ils ne trouvaient pas à se rengager immédiatement, ils devenaient un fléau pour les populations. Aussi, après chaque guerre, le ministre, qu'il fût Mazarin ou Richelieu, avait-il à prendre les plus grandes précautions pour eu opérer le licenciement. On en trouve de curieux exemples dans la correspondante échangée entre Mazarin et Turenne après la paix de Westphalie et le traité des Pyrénées. De plus, il était fort difficile de les déplacer ; ainsi Turenne, en 1647, dut charger les Weimariens, qui étaient sous ses ordres depuis nombre d'années, pour les décider à le suivre d'Allemagne au nord-est de la France, où il lui était prescrit de se rendre à marelles forcées. En 1645, le duc d'Anguien étant parvenu à conduire l'armée de Flandre en Allemagne, on lui c avait su presque autant de gré que de la victoire de Rocroi ou de la prise de Thionville.

Un autre inconvénient plus fréquent que ces révoltes ou ces refus d'avancer, c'était le caractère même des officiers qui étaient, en général, plus des entrepreneurs que des commandants. Tous les grades s'achetant depuis celui de sous-lieutenant jusqu'à celui de colonel, les officiers assez riches pour acheter le titre de capitaine, par exemple, étaient souvent trop ignorants pour en exercer les fonctions ; dans ce cas, les soldats ne voyaient dans leur chef qu'un financier, forcé de se diriger par les conseils d'un subalterne ; celui-ci commandait réellement, mais il n'avait pas le prestige de l'autorité, et d'ailleurs sans fortune il était sans espoir d'avancement ; les soldats le redoutaient et détestaient le capitaine. De plus, tous les officiers spéculaient sans vergogne et tiraient profit de leurs charges de mille manières pour retrouver le prix d'achat de leur compagnie ou de leur régiment. Les plus consciencieux, ceux en général qu'animait l'amour du bien public, employaient tout ce que le roi leur donnait pour assurer le service et entretenir leur régiment ou leur compagnie, mais le plus grand nombre s'assuraient de gros bénéfices sur la paye des soldats ou par l'usage des passe-volants. Jusqu'à l'ordonnance de 1639, les capitaines des compagnies, ne subissant aucun contrôle, ne se faisaient aucun scrupule de tenir l'effectif de leurs hommes inférieur au chiffre nominal, ce qui leur permettait de faire des gains assez considérables sur les vivres et sur la solde. Pour empêcher cet abus, on établit à demeure auprès des armées les commissaires des guerres, qui devaient faire les montres de l'infanterie de trois mois en trois mois, et vérifier tous les rôles faits à chaque compagnie depuis la montre précédente. Or, pour tromper le commissaire, on imagina de déguiser en soldats, le jour de la revue, des gens sans aveu, des valets d'officiers, des marchands suivant les troupes ; ou bien encore les capitaines se prêtèrent réciproquement leurs hommes et mirent ainsi leur effectif au complet, de sorte que, suivant un mot de Luxembourg à Louvois, les compagnies étaient fortes pour le payement et faibles pour le service. Ce genre do vol était rapidement devenu si commun qu'on avait cessé de le regarder comme diffamant. Il n'en constituait pas moins une dilapidation odieuse, ci, ce qui est plus grave, un danger sérieux en cas de guerre, puisqu'il y avait toujours une disproportion considérable entre l'effectif des contrôles et l'effectif réel, et qu'un général qui croyait pouvoir compter sur dix à douze Mille hommes, n'en avait que cinq à six mille. S'se plaignait, on déclarait les manquants malades, et après la première action il était de règle de déclarer tués les passe-volants qu'on avait fait figurer it la dernière inspection, de même qu'à la suivante on ressuscitait ces morts imaginaires. Ces dilapidations des finances du roi, ou de la solde des troupes, n'étaient point faites pour établir des relations de confiance, de respect et de reconnaissance entre les soldats et leurs chefs, et les ministres énergiques n'ont pas manqué de réagir contre elles. Richelieu lit d'abord prescrire aux commissaires des guerres de comprendre dans leurs revues tous les supernuméraires aussi bien que les hommes effectifs ; puis le 23 août 1635 une ordonnance du roi porta la peine de mort contre les passe-volants, et déclara que toute infraction à la loi de la part des chefs entraînerait pour son auteur la perte de la noblesse. Une autre ordonnance de 1657 prescrivit à tous les officiers de servir avec le nombre d'hommes mentionnés sur leur commission, sous peine d'être cassés honteusement à la tête de l'armée, et de souffrir sur leurs biens la répétition de ce qu'ils auraient ainsi volé à l'État. Mais que pouvait, la loi quand ceux qui étaient chargés de l'appliquer étaient les premiers à la violer ? L'abus des passe-volants était tellement enraciné dans les habitudes militaires, qu'il résista aux dispositions pénales édictées cinq fois par Louvois, de 1665 à 1675, et que les commissaires s'entendant avec les officiers, il fut obligé d'exercer sur tous un contrôle exact et sévère et de frapper à la fois les coupables, les complaisants et. les complices. L'exploitation des hommes et de l'État par les officiers ne pouvait être radicalement extirpée de l'armée que par la suppression de la vénalité des charges ; celle-ci ne pouvait elle-même disparaître que le jour où l'État se substituerait à l'industrie privée des officiers marchands d'hommes et entrepreneurs de soldats. C'eût été toute une révolution, et l'heure n'en était pas venue[5].

 

LES DIFFÉRENTS CORPS DE LA MILICE FRANÇAISE DE 1610-1677.

 

Après avoir esquissé les principaux modes de recrutement en vigueur au temps de Turenne, donnons l'état sommaire de chaque arme et de chaque corps de l'armée française à la même époque.

MAISON DU ROI.

En tête de toutes les troupes, jusqu'à la Révolution française, figurent les corps de la maison du roi et de la gendarmerie de France. Il est hors de doute que de tout temps nos rois, comme les souverains de toutes les nations, ont entretenu un nombre plus ou moins considérable de gardes pour la sûreté de leur personne. Il en existait au commencement de la monarchie, et le nombre eu a été successivement augmenté, principalement sous les règnes de Charlemagne, de Philippe Ier et de Louis VI ; mais leur magnificence et leur éclat, datent des règnes de Louis XII et de François Ier. La maison militaire de ce dernier prince était composée comme suit :

Gardes des gentilshommes

200

Gardes du corps

Compagnie écossaise

100

Archers écossais ou archers du corps

25

Première compagnie française

100

Deuxième compagnie française

100

Troisième compagnie française

105

Cent-Suisses

100

Compagnie des gardes de la prévôté de l'hôte

88

Total

818

Celle organisation fut peu modifiée jusqu'à 1664 ; la compagnie écossaise fut peu à peu composée de Français, et l'on ne conserva de son origine que la coutume de faire les commandements en langue écossaise. Henri IV, en 1609, créa, pour garder le dauphin, une compagnie de deux cent dix gendarmes qui, au mois de juillet 1611, eut le service de la garde du roi ; en 1615 il détacha du corps de la cavalerie légère la compagnie des chevau-légers et en fit une compagnie de sa garde ; elle prit rang dans la maison du roi après la compagnie des gendarmes de la garde et avant les deux compagnies de mousquetaires : en 1600, il créa, pour le service de sa garde, une compagnie appelée carabins du roi ; en 1622, Louis XIII ayant donné le mousquet à cette compagnie, lui fit prendre le nom de mousquetaires, et lui donna un capitaine particulier. Richelieu et Mazarin eurent une garde de mousquetaires et ce dernier fit cadeau de la sienne à Louis XIV, en 1660. Cette seconde compagnie ne fut montée qu'en 1665 pour aller en Lorraine au siège de Marsal, dirigé par le maréchal de la Ferté. Dès cette même année, les mousquetaires étaient au nombre de trois cents dans chaque compagnie. En 1642, une petite garde fut instituée pour la reine-mère, nommée régente du royaume à la mort de Louis XIII. Monsieur, duc d'Orléans, frère de Louis XIV, eut aussi une maison militaire pour sa garde particulière. Ces deux gardes étaient ainsi composées :

Garde de la reine-mère

Demi-compagnie de Cent-Suisses.

Une compagnie de gardes du corps.

Garde de Monsieur

Archers du corps.

Une compagnie de gardes du corps français.

Une compagnie de gardes du corps suisses.

En 1664 Louis XIV transforma complètement la maison du roi et elle fut ainsi composée :

Garde du roi

Gardes du corps (4 compagnies)

680

Cent-Suisses (1 compagnie)

119

Archers du grand prévôt (1 compagnie)

109

Gardes de la porte (1 compagnie)

60

Une compagnie de gendarmes de la garde

213

Une compagnie de chevau-légers

212

Deux compagnies de mousquetaires

663

Deux compagnies de cent gentilshommes

206

Total

2.262

Gardes de la reine-mère

180

Gardes de Monsieur

204

Total

2.646

La transformation ne consista, comme on peut le voir par ce tableau, ni dans une augmentation bien considérable de l'effectif, ni dans le changement, des noms des différentes compagnies, ni dans le recrutement des gardes et dans la mission qui leur fut assignée. A cet égard, elle fut une des œuvres les plus ingénieuses de Louvois. Sous Louis XIII et le ministère de Mazarin, le personnel n'était point formé d'hommes d'élite, mais de fils de bourgeois ou de fermiers qui s'enrôlaient dans ces compagnies pour être exempts de tailles et jouir d'une vie facile et agréable ; ils achetaient même des capitaines les places de gardes. Ils n'allaient guère il l'armée que quand le roi s'y rendait et dans tous les cas jamais pour combattre ; ils n'y étaient réduits comme il la cour qu'a de simples devoirs d'escorte et d'antichambre. La vénalité des charges existait dans ces compagnies comme dans le reste de l'armée. Or, de cette milice d'ornement et de parade, Louis XIV fit une cavalerie d'élite et une pépinière d'officiers supérieurs pour l'armée active. Il remboursa les capitaines qui avaient acheté leurs charges et les remplaça par des gens d'expérience, d'une valeur éprouvée, toujours choisis parmi les maréchaux ou parmi les gentilshommes de la plus hante noblesse. Les officiers subalternes eurent généralement le rang d'officiers généraux on d'officiers supérieurs dans les troupes ordinaires. Les simples gardes devaient avoir plus de vingt-huit ans, et deux ans de service dans les troupes s'ils étaient gentilshommes, et quatre ans au moins s'ils étaient roturiers. Ainsi composée la maison du roi forma l'une des meilleures et des plus redoutables troupes, et elle se signala brillamment dans toutes les batailles et dans tous les sièges où elle fut employée[6].

CAVALERIE.

Cette arme avait de grands avantages sur l'infanterie : chaque cavalier portait sur son cheval des vivres pour quelque temps, provisions que ne pouvait faire le pauvre fantassin chargé de ses armes et de ses hardes ; de plus, une fois que les années étaient éloignées des villes françaises ou alliées, le fantassin malade, blessé, hors d'état de marcher, trouvait difficilement un lieu où se faire soigner en sûreté. Dans tolites les batailles perdues, ou quand elle se laissait surprendre, l'infanterie était ii la merci de l'ennemi et des paysans, tandis que la cavalerie, il peu de soldats près, trouvait toujours le moyen de se retirer. Turenne, dans ses Mémoires, nous dit que Guébriant ayant été tué au siège de Rothweil, Rantzau prit le commandement de l'armée  et fut battu, que sa cavalerie se sauva sur le Rhin, que l'infanterie qui était dans Bothwell se rendit ii discrétion et que celle de son armée fut entièrement détruite. Marienthal et à Nordlingen, l'infanterie fut mise à peu près complètement en déroule. Enfin la cavalerie est homogène et elle a une force réelle, en dehors des armes, l'élan, l'impulsion, le choc, tandis que l'infanterie a deux sortes de soldats, le piquier et, le mousquetaire, et par suite deux armes bien défectueuses contre une charge de cavaliers. La supériorité militaire de la cavalerie était incontestable. Pour ces différentes raisons, vous verrez que dans les deux tiers de la carrière de Turenne son armée est toujours plus nombreuse en cavalerie qu'en infanterie, et que dans ses dernières années, alors même que l'infanterie était beaucoup plus nombreuse, on faisait, encore une très large part à la cavalerie dans la composition des armées actives.

La mise en régiments de la cavalerie française date des dernières années de Richelieu, et elle est la consécration des idées avancées par Fabert, dans un mémoire qu'il avait soumis à Louis XIII. Avant 1635, dit Fabert dans ses Mémoires, il n'y avoit que des compagnies particulières qu'on couploit pour l'aire des escadrons sous les plus anciens capitaines. En d'autres ternies, la cavalerie se composait d'escadrons subdivisés en compagnies, l'escadron étant une formation de marche et de bataille, et la compagnie constituant l'unité administrative. La cavalerie n'était commandée, en l'absence du colonel-général, que par le plus ancien capitaine, ce qui présentait de graves inconvénients. La création du régiment, qui existait depuis longtemps dans les armées allemande et espagnole, avait pour but d'y remédier en instituant un intermédiaire, le colonel, entre le colonel-général de la cavalerie et les capitaines commandant les compagnies. Cette mesure, appliquée d'abord en mai 1655 à des corps de nouvelle levée, fut rendue générale à la lin de cette année, puis abandonnée de juillet 1656 à janvier 1658, époque à laquelle elle fut définitivement appliquée d'une manière régulière à toute la cavalerie[7].

Louis XIV, en 1658, prit relativement au recrutement des officiers de la cavalerie une décision très importante : par suite de la vénalité des charges, il entrait dans l'infanterie, et même dans la cavalerie, des officiers qui n'avaient aucune expérience de la guerre. Pour en finir avec ces abus qui entraînaient des dangers considérables, le roi, par une ordonnance spéciale, défendit qu'aucun officier ne tilt reçu dans la gendarmerie et dans la cavalerie sans avoir fait auparavant deux campagnes dans l'infanterie ; il notifia cette ordonnance à Turenne par une lettre du 13 avril en l'invitant à la faire connaître aux officiers de ses troupes et à tenir la main à ce qu'elle fût observée à la lettre.

En tête de la cavalerie se trouvait la gendarmerie. C'était l'héritière des compagnies d'ordonnances créées par Charles Jusqu'au règne de François Ier on n'y admettait que les gentilshommes pouvant faire preuve de noblesse. Ces compagnies avaient quelquefois cinquante ou soixante surnuméraires ou volontaires qui suivaient à leurs frais, en attendant qu'une place d'homme d'armes vînt à vaquer. François Ier les composa indifféremment de nobles et de bourgeois. Le corps de la gendarmerie de France formait deux divisions : la première, appelée maison du roi, comprenait les quatre compagnies des gardes du corps, celle des gendarmes de la garde et celle des chevau-légers ; la seconde, qui farinait le corps de gendarmerie proprement dit, n'était composée que de six compagnies à la mort de Mazarin, et ce nombre s'éleva à seize par suite de créations faites de 1662 à 1690. Ces seize compagnies donnaient un effectif de douze cent cinquante hommes, dont cent trente officiers, onze cent vingt gendarmes et elles étaient divisées en compagnies de gendarmes et compagnies de chevau-légers. Le roi était capitaine des quatre premières compagnies de gendarmes, qui étaient dites compagnies du roi ; les princes étaient capitaines des six autres compagnies de gendarmes et des six compagnies de chevau-légers, dites pour cette raison compagnies des princes. Tout ce qui ne faisait point, partie de la gendarmerie formait la cavalerie légère, qui était divisée en régiments. En 1655, Louis XIII avait formé six régiments avec les quatre-vingt-onze compagnies de cavalerie légère et les quinze compagnies de carabins existant à cette époque ; dix nouveaux régiments furent créés de 1642 à 1656, et pendant la guerre de Hollande Louis XIV mit sur pied quatre-vingt-dix régiments de cavalerie, dont l'effectif était au 1er janvier 1678 de quarante-sept, mille chevaux.

Jusqu'en 1678 les régiments de cavalerie furent composés de deux, trois ou quatre escadrons ; chaque escadron de trois compagnies ; chaque compagnie d'un capitaine, un lieutenant, un cornette, un maréchal des logis et cinquante maitres ou cavaliers. On nommait maitre cavalier le soldat qui avait été exercé dans cette arme. Les cavaliers ou maîtres étaient pris parmi les hommes les plus robustes de l'âge de vingt-cinq à trente ans. Les principaux régiments de l'arme étaient distingués par le titre de royaux ; exemples : royal Roussillon, royal Piémont, royal Allemand, royal carabiniers. Les autres étaient appelés régiments de gentilshommes et changeaient de nom chaque fois qu'ils changeaient de propriétaire ; ainsi le régiment de Turenne, créé sous le nom de Thianges en 1666, devint Florensac en 1674, Talmont en 1695, puis la Trémouille, enfin Turenne en 1710 et Gramont en 1755. Quelques régiments portaient aussi des noms de provinces ; ils prenaient rang entre eux de la date de leur création. Comme éléments étrangers, il y avait eu beaucoup d'Espagnols et de Basques dans les carabins, mais ils ne formèrent jamais de corps séparés comme les Allemands et les Hongrois. Le nombre des régiments de cavalerie créés de 1635 à 1714 est de quatre cent vingt ; mais la plus grande partie de ces corps créés pour une ou plusieurs campagnes étaient presque toujours licenciés é la paix ; on n'en conservera que cinquante-neuf en 1714[8].

INFANTERIE.

Les premières armées de Turenne, avons-nous dit, étaient composées de deux tiers de cavalerie ; celles de la guerre de dévolution étaient environ pour moitié formées de cavalerie ; en 1672, Louis XIV entra en campagne avec des troupes formées de trois quarts d'infanterie : il ouvrait une nouvelle ère de l'art militaire. L'infanterie augmente dans la même proportion que l'arme aristocratique décroit, et le paysan entre de plus en plus dans la composition de l'armée française.

Un des grands défauts de l'infanterie française avant Louvois, c'est que les soldats ne demeuraient pas dans les mêmes compagnies ; à la fin d'une campagne, ils quittaient à la première fantaisie, au bruit seulement d'une mauvaise garnison, la compagnie où ils avaient servi et ils eu cherchaient une nouvelle. Ces changements les rendaient incapables de discipline, et, quoiqu'ils eussent servi longtemps, ils ne laissaient pas d'être nouveaux dans les compagnies et par conséquent inconnus des officiers. Frappé du préjudice qui en résultait pour le service du roi, Turenne demanda en 1650 que chaque capitaine fût tenu d'entretenir dans sa compagnie au moins vingt soldats durant l'hiver, qu'il flat assuré des sommes nécessaires à leur entretien et soumis à l'inspection des commissaires ; ou aurait ainsi l'avantage de maintenir dans chaque régiment un corps de vieux soldats au contact desquels les recrues se disciplineraient promptement ; dès la fin de janvier les capitaines pourraient mettre leur compagnie en bon état pour le printemps et l'on diminuerait le nombre des soldats vagabonds. Ces propositions, qui tendaient à maintenir presque en totalité l'effectif des cadres pendant l'hiver, ne pouvaient être complètement suivies d'effet dans la situation financière de la France à cette époque.

Comme la cavalerie, l'infanterie du XVIIe siècle se composait de Français et d'étrangers ; comme la cavalerie, elle avait à sa tête une troupe d'élite, les deux régiments des gardes françaises et suisses.

A sa première formation, en 1563, le régiment des gardes françaises, connu sous le nom de dix enseignes de la garde du roi, n'était composé que de dix compagnies de cinquante hommes chacune ; elles furent portées à douze eu 1574 ; à vingt, de quatre-vingts hommes chacune, en 1600 ; à trente, de trois cents hommes, en 1635. Ces trente compagnies existaient encore en 1664, mais elles n'avaient plus la même composition ; vingt-six étaient fortes de cent vingt-neuf hommes : elles formaient un total de trois mille trois cent quarante hommes, officiers compris, et étaient réparties en six bataillons. Ce régiment avait le pas sur le régiment des gardes suisses ; il gardait les portes et les avenues des palais habités par le roi : à l'armée, il choisissait son poste et se plaçait ordinairement au centre de l'infanterie de la première ligue. Pour distinguer les officiers des gardes du corps de ceux des gardes françaises, on appelait les premiers officiers des gardes et les seconds officiers aux gardes.

Le régiment des gardes suisses tient son nom d'un corps de Suisses qui combattit à Arques en 1589, mais il ne fut érigé en régiment qu'en 1616 ; dans un compte de l'extraordinaire des guerres de cette année, Calati est désigné comme colonel du régiment des gardes suisses. Jusqu'alors Louis XIII, comme Henri IV, n'avait eu pour sa garde suisse que deux ou trois compagnies ; on en augmenta le nombre depuis, et en 1664 il était de dix, de deux cents hommes chacune.

Tandis que la cavalerie ne fut organisée en régiments que de 1635 à 1658, l'infanterie le fut dans la deuxième moitié du XVIe siècle, et on la divisa en bataillons en 1655. Nos premiers régiments d'infanterie, formés de 1558 à 1505, étaient composés des anciennes légions de François Ier, qui étaient devenues les bandes de Henri II, et on les appelait pour cette raison vieilles bandes, vieux corps, et plus simplement vieux ; chacun d'eux était désigné en particulier par le nom de la province où avait été formée la légion, d'où il provenait : Picardie, Piémont, Navarre et Champagne. Ils figurent avec ces dénominations dans les comptes de l'extraordinaire des guerres des années 1601, 1604 et années suivantes. Henri IV dut en augmenter le nombre en prévision de la guerre qu'il préparait avant 1610, et quand on licencia ces nouveaux régiments sous la minorité de Louis XIII, on conserva quelques-uns des meilleurs qui avaient à leur tête des personnes de considération ; on leur assigna rang après les quatre vieux, et pour les distinguer de ceux qui furent créés ultérieurement ou leur donna le nom de petits vieux. Il n'y eut sous Louis XIII que cinq régiments auxquels on donnait ce nom : Rambures, Silly, Auvergne, Sault et Épagny. Le privilège le plus important de ces régiments sous Louis XIII était de ne pouvoir être cassés après nue guerre ; ils étaient seulement diminués d'hommes et de compagnies. Deux régiments, ceux de Normandie et de la marine, quoique créés après les petits vieux, ont été placés, à une époque qu'on ne peut préciser, après les quatre vieux et en ont retenu le nom. C'est ce qu'atteste nue ordonnance du 28 février 1660, visée par Louis XIV dans le règlement qu'il fit le 20 mars 1670, sur le rang des régiments d'infanterie ; les douze premiers sont : Picardie, Piémont, Champagne, Navarre, Normandie (1616), marine (1628-1656), Rambures, Castelnau (ancien Silly), Auvergne, Sault, Bandeville (ancien Épagny), Saint-Vallier, Douglas ; régiment du roi, ci-devant Lorraine, etc.

Les régiments désignés par le nom de vieux et de petits vieux tenaient beaucoup à ces sobriquets qui rappelaient l'ancienneté de leur origine, leurs grands services, et quand Louis XIV eut créé, en 1662, son régiment dont il fut colonel, et dont Martinet, officier très entendu dans l'infanterie, fut lieutenant-colonel, il n'osa lui donner le premier rang ; il lui donna le douzième, après l'avoir acheté au régiment de Saint-Vallier, et il le mit sur le pied des petits vieux dont il lui conféra tontes les prérogatives.

Outre ces régiments, il en fut encore créé dix-huit sous Louis XIII, et ce nombre n'a pas été sensiblement augmenté sous Mazarin puisque, à la veille de la guerre de dévolution, les contrôles des régiments sur pied de 1665 à 1606 n'en accusent que quarante-six ; il faut y joindre, pour avoir les ressources d'infanterie disponible à cette époque, treize compagnies françaises, quatre compagnies suisses créées en 1665 et seize compagnies suisses levées en 1606. En y comprenant les régiments des gardes françaises et suisses et le régiment royal dragon, dont je parlerai plus loin, Louis XIV avait sur pied, en 1666, huit cent quatre compagnies donnant un effectif de quarante-sept mille six cent quatre-vingt-quatorze hommes. Le nombre des bataillons et des compagnies était très variable. La compagnie française était de cinquante à soixante hommes : dans les premières guerres du règne de Louis XIV, il y avait douze compagnies par bataillon ; vers le temps de la guerre de Hollande, quinze ; le nombre des bataillons variait de un à quatre ; à partir de 1672, il fut généralement de trois, excepté pour le régiment du roi, qui en avait quatre. Le tiers de l'infanterie était armé de piques et formait le centre du bataillon ; les deux autres tiers étaient armés de mousquets ou d'arquebuses. Ou commença à donner des fusils, à l'exclusion du mousquet et de la pique, aux compagnies de grenadiers créées vers 1670. Les piquiers étaient armés d'une lance de quatorze pieds de long, et poilaient en sautoir un baudrier de cuir de vache qui soutenait leur épée ; les mousquetaires étaient armés de mousquets à rouet, qu'ils appuyaient sur un bâton fourchu qu'ils tenaient habituellement à la main et enfonçaient en terre au moment de faire feu ; des étuis cylindriques, contenant des charges de poudre toutes faites, pendaient à leurs baudriers, et remplaçaient les cartouches ; les officiers qui marchaient devant les compagnies, et les sergents qui escortaient les flancs étaient armés, les premiers de piques de dix pieds de haut, les seconds de hallebardes de huit ; en outre, tous les soldats indistinctement lançaient la grenade ; ce ne fut qu'en 1667 que quatre hommes par compagnie furent exclusivement chargés de cet office, et prirent le nom de grenadiers. Les grenades avaient été inventées sons François Ier, il y avait près de cent cinquante ans.

L'infanterie étrangère était formée en régiments, subdivisés en bataillons et en compagnies. Celles-ci étaient de deux cents hommes chez les Suisses et de cent hommes pour tout le surplus de l'infanterie étrangère, Irlandais et Écossais, Allemands, italiens, Wallons.

Le chiffre total des régiments français et étrangers existant en 1714 était de deux cent soixante-quatre. Dans ce nombre, deux cent vingt-deux avaient été créés sous Louis XIV et quatre-vingt-huit furent conservés sur pied ; réunis aux trente autres créés antérieurement, et qui avaient survécu à toutes les réformes, ils portaient à cent dix-huit le total des régiments d'infanterie, ce qui donnait un effectif général de cent quatorze mille cinq cent quatre-vingt-dix-sept hommes, officiers compris.

Après la paix d'Aix-la Chapelle, il se fit dans l'armée deux changements assez importants. On substitua les grenadiers aux enfants perdus. On appelait enfants perdus des soldats de choix tirés des bandes ou des compagnies, pour marcher en avant des colonnes, monter à l'assaut, éclairer, escarmouches ; ils faisaient, en mu mot, le même service que nos tirailleurs. Ils disparurent en 1658 et on les remplaça neuf ans après par les grenadiers. En 1670, Louis XIV réunit tous les grenadiers de son régiment et en forma une compagnie. Cette compagnie, en supposant le régiment composé de dix-sept compagnies, comme l'étaient en général les régiments à cette époque, formait un total de soixante-Inuit hommes. Ce fut la première compagnie de grenadiers régulièrement organisée. Il en fut fait autant par la suite pour chaque régiment ; les grenadiers, qui devaient former des compagnies d'élite, furent armés rie fusils et de baïonnettes dont les manches de bois s'enfonçaient dans le canon et qu'ils enlevaient pour faire feu. Ce ne fut que dix ou douze ans plus tard que la douille fut inventée.

Un édit du 17 mai 1669 créa un état-major général pour les dragons, troupe bien différente de ce qu'elle est aujourd'hui, puisqu'elle faisait alors le rôle de l'infanterie légère et des tirailleurs. Montés sur des chevaux agiles, armés de fusils, les dragons servaient d'éclaireurs dans les marches et de grand'gardes dans les camps ; sur les champs de bataille ils se portaient rapidement où ils devaient combattre, et, arrivés à portée de fusil, ils attachaient leurs chevaux ensemble et se déployaient en tirailleurs pour inquiéter les mouvements de l'ennemi ou lui disputer une position. Devant les villes assiégées, ils tiraillaient dans les tranchées. Leurs services furent peu à peu appréciés et le nombre de leurs régiments fut porté de deux à quatorze (1669-1678), sous savons que Turenne avait devancé Louvois sur ce point ; en 1659, il avait demandé la création d'un régiment de dragons, et d'une compagnie de dragons par régiment de cavalerie[9].

CORPS SPÉCIAUX.

C'est la partie de nos institutions militaires qui laissait peut-être le plus à désirer avant Louis XIV. Les régiments les plus exercés aux manœuvres de la guerre eurent la garde de l'artillerie tant qu'un corps de troupes ne fut pas spécialement affecté à cette arme. Les Suisses eu furent chargés sous Charles VIII pendant les guerres d'Italie. L'infanterie allemande des lansquenets, réputée aussi pour sa bravoure et sa discipline, succéda aux Suisses ; mais François Ier rendit à ces derniers la garde de l'artillerie et ils la conservèrent jusqu'à l'époque où Louvois modifia cette organisation. Avant les réformes qu'il y opéra, le corps des officiers de l'artillerie et celui des ingénieurs étaient tout à fait distincts de l'armée et n'avaient aucun rang parmi les autres troupes ; les charges, qui étaient toutes vénales, sans aucun rapport avec les grades de l'animée, étaient à la disposition du grand maître de l'artillerie qui avait sur tous les titulaires une autorité absolue. Le canon était servi, sous la direction des officiers, par des maîtres canonniers dont ils formaient des compagnies pendant la guerre et qu'ils licenciaient à la paix. Ces officiers, lors d'un siège, entreprenaient à forfait la construction et le service des batteries ; ils tiraient de gros bénéfices des différences qu'il y avait entre le prix fourni par le roi et la dépense qu'exigeaient les servants et leurs canons. Le grand maître à son tour tirait de beaux profits des villes qui ne capitulaient qu'après avoir été bombardées, puisque tous les objets de cuivre et de fer, excepté l'artillerie, lui revenaient de droit et qu'il pouvait les faire vendre si l'on n'entrait pas en arrangement avec lui.

Tout ce personnel d'officiers et d'ouvriers civils ne se croyait astreint à aucun des devoirs de la profession militaire. Cet état de choses commença à être modifié dans les premières années du ministère de Louvois. En 1668, on forma six compagnies avec les canonniers entretenus, et non enrégimentés, qui avaient été organisés dans les places fortes vers la fin du XVIe siècle. Ces compagnies furent bientôt doublées et placées à la suite du régiment des fusiliers du roi. Ce régiment, ainsi appelé parce qu'il fut le premier armé de fusils, fut créé en 1671 et uniquement destiné à la garde de l'artillerie. Il était composé de quatre compagnies, fortes de cent hommes chacune et dénommées ainsi : la première, compagnie de canonniers ; la deuxième, compagnie de sapeurs ; la troisième et la quatrième, compagnies d'ouvriers. L'année suivante on forma deux bataillons composés chacun de douze compagnies de fusiliers et d'une compagnie de grenadiers. Par la création de ces troupes spéciales, l'artillerie venait d'entrer dans l'armée. Turenne ne put voir le reste des perfectionnements qu'elle devait recevoir de Louvois.

Il n'eut également ü sa disposition aucun corps d'ingénieurs, aucune compagnie d'ouvriers spéciaux ; pour faire un siège sous Richelieu ou sous Mazarin, on cherchait dans l'infanterie des officiers ayant un peu plus d'instruction ou d'aptitude ; ils traçaient les attaques, aidaient les généraux à diriger les travaux, à placer les batteries. Vauban était capitaine dans le régiment de Picardie, et quoiqu'il fût chargé des grands ouvrages de Lille en 1667, il était obligé  de solliciter de Louvois la faveur d'être dispensé des gardes ordinaires. Malgré ses pressantes sollicitations, il ne put faire accepter au ministre qu'en juin 1677 l'idée d'avoir deux classes d'ingénieurs destinés les uns à la construction des places, les autres à la direction des sièges, et il n'obtint pas qu'ils fussent constitués eu corps spéciaux. Fabert, cet esprit si vigoureux et si précis, qui sut trouver plusieurs améliorations que réclamait l'organisation militaire, avait proposé, avant 1655, d'enrégimenter les ouvriers capables de manier les outils employés pour les travaux militaires ; mais sou projet, quoique approuvé par le roi, ne reçut pas d'exécution. Ce n'est que trente-huit ans plus tard que Vauban devait obtenir la création d'une troupe spéciale de ce genre. On devine par ces imperfections combien l'art des sièges était difficile avant les inventions de Vauban et quels embarras devait éprouver un général qui n'aurait pas eu l'occasion d'étudier lui-même à fond, sous une direction éclairée, toutes les opérations de la guerre. Turenne eut la bonne fortune de les étudier à quatre écoles différentes, et il put ainsi suppléer à l'insuffisance des hommes qui l'entouraient et rendre la France d'éclatants services dans la Fronde espagnole.

L'art des fortifications n'était pas aussi insuffisant qu'on pourrait le croire d'après la confusion qui régnait dans ce service. On sait que sous l'ancien régime les quatre secrétaires d'État se partageaient l'administration des provinces. Or, jusqu'à 1667, le secrétaire d'Étal de la guerre n'avait dans son département que les fortifications de l'Artois, .du Roussillon et du Dauphiné, et ses trois autres collègues se partageaient le soin des places qui se trouvaient dans les provinces de leurs départements. Malgré ces divisions bizarres, une partie de la France fut bien fortifiée sous Richelieu ; elle le dut à un administrateur qui prouva que, sans expérience de la guerre, un homme de génie peut avec rapidité embrasser toutes les parties de cette science. Sublet de Noyers avait passé toute sa vie dans des emplois administratifs ; nommé surintendant des fortifications, il appliqua ses dispositions naturelles à l'étude de cet art ; il rivalisa bientôt avec les officiers les plus distingués de l'Europe et il fortifia presque toutes les places des côtes de France sur l'Océan, ainsi que celles des rives de la Meuse ou de la Moselle. L'influence de Richelieu ne fut pas étrangère à ces travaux. Nous savons par sa correspondance et son testament politique, qu'il s'occupait de la construction et de l'amélioration des places fortes et s'y entendait parfaitement ; qu'il voulait de puissantes frontières, et que, malgré la multiplicité et l'importance de ses travaux, il trouva le temps de s'adonner fructueusement à l'art de la fortification[10].

FORMATION DES ARMÉES ACTIVES.

Après avoir fait connaitre les éléments constitutifs de l'armée au X Vile siècle et les avoir étudiés séparément, je dois, pour l'intelligence des récits qu'on va lire, indiquer sommairement suivant quelle méthode ils se combinent pour former une armée active et descendre sur les champs de bataille, et par qui ils sont commandés et administrés.

Les escadrons et les bataillons sont répartis en brigades et, quel que soit le nombre de brigades dont une armée est composée, elle se divise toujours en sept parties. En effet, l'ordre de bataille comprend deux lignes et une réserve ; chaque ligne est composée d'un corps d'infanterie au centre et de deux ailes de cavalerie, et la réserve est formée de troupes des deux armes réunies en un seul corps. Nous dirions en langage moderne qu'il y avait cieux divisions d'infanterie, quatre de cavalerie et une division mixte. Elles connaissaient d'avance leurs places et se formaient sous la direction d'officiers que nous ferons connaître au paragraphe suivant. Les troupes d'élite occupaient des places d'honneur, la maison du roi et la gendarmerie à l'aile droite, les gardes françaises et suisses au centre de la première ligne. Les bataillons et les escadrons étaient séparés les uns des autres par des intervalles ou créneaux, égaux au moins à l'étendue de leur front ; ceux de la seconde ligne et ceux de la réserve étaient disposés en échiquier, de façon que les pleins d'une ligne répondissent aux vides de la précédente.... On avait conservé le principe de la résistance par la masse ; ainsi tandis que l'escadron était formé sur trois rangs seulement, le bataillon était formé sur six, quelquefois même sur huit, les piquiers massés, au centre, les mousquetaires sur les manches ou ailes du bataillon, armés et disposés de façon que leur action ne pouvait être qu'alternative. Quand une troupe de cavalerie s'avançait contre le bataillon, c'était d'abord le mousquetaire qui faisait feu, tandis que le piquier demeurait inutile ; si le feu du mousquetaire n'arrêtait pas la charge, c'était le tour du piquier de se mettre en défense, tandis que le mousquetaire demeurait spectateur oisif, mais non désintéressé du combat ; car si le piquier se laissait vaincre, c'était fait de lui et du mousquetaire en même temps ; sans compter que le piquier, se tirant d'affaire pour son propre compte, laissait souvent le mousquetaire payer pour tous les deux.

On trouvera dans l'Histoire de Turenne des plans de bataille qui permettront de comprendre aisément les dispositions que je viens d'indiquer. Ces dispositions, qui rappellent celles d'Annibal et de César, les seuls maîtres qu'on étudiait alors, ne s'appliquaient qu'aux combats en rase campagne, sur un terrain absolument découvert, et elles pouvaient subir des modifications de détail selon les accidents du champ de bataille et les péripéties du combat. L'artillerie, qui remplaçait les machines des anciens, était sur le front ; elle commençait par canonner l'ennemi afin de l'ébranler, puis la cavalerie des ailes chargeait celle qui lui était opposée, et si elle en avait raison, elle se rabattait sur le centre où les troupes étaient aux prises, et, abordant en flanc ou il revers l'infanterie de l'ennemi, elle achevait la défaite. Tel est le spectacle que présentent les batailles de Lutzen, de Rocroi et des Dunes[11].

 

DIRECTION ET COMMANDEMENT

 

MINISTÈRE DE LA GUERRE.

Avant 1588, il n'y avait pas de ministère spécial de la guerre et chacun des secrétaires d'État s'occupait de toutes les parties de l'administration dans un certain nombre de provinces qui lui étaient assignées. Henri IV eut l'intention de donner aux différents ministères des attributions spéciales et il chargea de l'administration de la guerre Louis Revol (1589-1594).

Malgré cette tentative, les attributions des divers ministères continuèrent d'être confuses jusqu'à l'époque de Richelieu. Nicolas de Neuville, seigneur de Villeroy, et Pierre Brulart, marquis de Sillery, furent chargés d'une partie des attributions du ministère de la guerre ; mais ce fut surtout Sublet de Noyers qui eut, sous Richelieu, de 1656 à 1645, la direction de l'administration militaire ; il fut remplacé par Michel le Tellier, et dès lors il y eut une série de Secrétaires d'État de la guerre jusqu'à la Révolution.

L'établissement des départements ministériels porta un coup mortel à la puissance et a la juridiction des grands offices de la couronne. Désormais, an lieu de dépendre de dignitaires à vie, les grands services administratifs se trouvèrent confiés à des fonctionnaires amovibles, exécuteurs fidèles de la volonté du roi, instruments de son conseil, au sein duquel ils exerçaient eux-mêmes une influence considérable. Le chancelier se vil enlever de la sorte son rôle dans les négociations diplomatiques par le secrétaire d'État des affaires étrangères. L'amiral fut dépossédé d'une bonne partie de ses attributions par le secrétaire d'État de la marine. Le général des galères n'eut plus la disposition des fonds et la nomination de ses officiers. La création du secrétaire d'État de la guerre annula presque toute l'autorité du connétable, dont la charge finit peut être abolie en 1627. Elle rabaissa celle de colonel-général de l'infanterie, qu'à la mort du due d'Épernon, en 1661, le roi s'empressa d'abolir. Désormais tous les officiers d'infanterie, depuis le colonel jusqu'à l'enseigne, durent être nommés ou agréés par le roi ; tous les brevets furent dressés et signés par le secrétaire d'État de la guerre. Ce fut celui-ci qui correspondit avec les chefs de corps, imprima la direction aux opérations militaires, concentra entre ses mains une grande partie de l'administration de l'armée. Ainsi ce qui restait des grands offices militaires de la couronne tendait à se réduire à des prérogatives purement honorifiques. Le grand maitre de l'artillerie devenait un simple chef de service ; et, en 1715, quand le comte d'Eu se démit de cette charge, ce n'était plus qu'une magnifique sinécure. La charge de colonel général de la cavalerie, que Louis XII avait instituée, celle de colonel général des dragons, que Louis XIV avait créée, en 4668, pour Lauzun, subsistaient sans doute, mais leurs attributions furent en fait annulées par l'établissement, en 1694, des huit directions qui se partagèrent l'inspection générale des corps, confiée dans le principe aux colonels généraux. En i 715, les deux charges de colonel général de la cavalerie légère et de colonel général des dragons, possédées l'une par le comte d'Évreux, l'autre par le marquis de Coigny, étaient en fait subordonnées aux directeurs et inspecteurs de cavalerie. Le prédécesseur du comte d'Évreux, le comte d'Auvergne, quoique neveu de Turenne, avait pendant toute sa carrière été, suivant l'expression de Saint-Simon, comme nourri de couleuvres.

Les secrétaires d'État l'emportaient ainsi sur les dignitaires les plus élevés du royaume, et la puissance de ces chefs de départements ministériels devint d'autant plus grande que plusieurs fois le roi conféra au même secrétaire la direction de plusieurs services. Louvois, à sa mort, était à la fois ministre d'État, secrétaire d'Étel du département de la- guerre, surintendant des bâtiments, arts et manufactures, intendant général des fortifications et des haras, général des postes. Ces concentrations ne duraient qu'autant que ceux en faveur desquels elles avaient été admises conservaient pour des services si variés la confiance du monarque. Barbezieux, qui succéda à Louvois, son père, dans ses principales charges, ne les réunit pas toutes[12].

CONNÉTABLE.

Il était le chef suprême de l'armée, et recevait l'investiture de sa charge par l'épée royale, ce qui indiquait qu'elle était confiée à sa garde et à sa valeur. Son pouvoir empêchait l'action du roi de s'exercer librement, tant sur les troupes elles-mêmes que sur l'administration militaire. Voici les plus importantes de ses prérogatives : 1° il marchait à l'armée immédiatement après le roi ; les princes du sang ne prenaient le pas qu'après lui ; le roi lui-même ne devait marcher à l'ennemi que par son conseil ; les autres combattants n'y allaient que par son ordre ; 2° toute offense envers sa personne était considérée pomme un crime de lèse-majesté ; 3° aux entrées des rois, il marchait le premier devant le souverain, tenant l'épée nue a la main ; 4° il avait le droit de prendre une journée sur la solde des cavaliers et des fantassins qui étaient au service du roi, ou qui en retiraient un salaire quelconque ; 5° il avait une juridiction particulière, appelée la connétablie et maréchaussée de France. Ce tribunal tenait ses séances devant la table de marbre qui occupait toute la largeur de la grande salle du palais de justice et connaissait en dernier ressort de tous les crimes, délits et excès commis par les gens de guerre ; des différends survenus entre gentilshommes ; du partage du butin, de la rançon des prisonniers, enfin de tout ce qui concernait la justice militaire. Après la suppression de la charge de connétable, la juridiction de la connétablie fut exercée par les maréchaux de France et présidée par le plus ancien[13].

MARÉCHAL GÉNÉRAL DES CAMPS ET ARMÉES.

Ce titre, intermédiaire entre celui de connétable et celui de maréchal, n'avait été donné, avant Turenne, qu'à Biron et à Lesdiguières.

Les auteurs ne s'accordent, pas entre eux sur les attributions de celle charge ; elle était jointe à celle de maréchal de France, et celui qui en était ponrvti avait., dans un siège, le commandement et toute la direction du siège ; mais si un maréchal général des camps et armées était le cadet d'un autre maréchal de Franco, qui se trouvait au même siège, celui-ci gardait le rang et les prérogatives que son ancienneté lui donnait, sans préjudice des attributions et du commandement particulier dut maréchal général ; si le connétable, était dans la même armée, le maréchal général des camps n'agissait que par ses ordres et même ne faisait point ses fonctions.

Louis XIV fit cesser les doutes qui existaient au sujet de cette charge ; il ordonna, eu 1672, que Turenne ne roulerait point avec les autres maréchaux de France, et qu'il les commanderait tous. Nous verrons eut effet que les maréchaux de Créqui et d'Humières servirent sous ses ordres.

MARÉCHAL DE FRANCE.

La dignité de maréchal de France peut être, considérée comme la première après celle de connétable, puisque la charge de maréchal général était une dignité extraordinaire qui ne fut conférée que cinq fois sous l'ancien régime, connue récompense de services exceptionnels. Les maréchaux étaient grands officiers de la couronne, avaient droit à des appointements fixes, au commandement eu chef des armées, et, quelle que fût leur naissance, ils étaient cousins du roi. Les souverains, dans leurs lettres, leur donnent toujours ce titre. Il y avait un maréchal sous Philippe-Auguste, deux sous saint Louis, trois sous Charles VII, cinq sous François Ier. On les réduisit à quatre sous Henri II et François II, et le nombre en fut successivement augmenté, principalement sous Henri IV. Il était de seize en 1661, et de vingt en 1703.

Cinq jours après la mort de Turenne, le lendemain même de la journée où la nouvelle parvint à Versailles, le roi Louis XIV nomma huit maréchaux de France. Ce fut un étonnement général. Mme de Sévigné, prudente pourtant comme, un diplomate eu matière de cour, laisse échapper cette critique : En voilà huit bien comptés ; je vous laisse méditer sur cet endroit ; et Anne Bigot, dame Cornuel, célèbre par son esprit, s'écrie : C'est la monnaie de M. de Turenne.

Mme, de Sévigné rapporte ce propos qui a été ainsi adapté, mais, suivant la Face. Mme Cornuel aurait dit : Le roi a changé sou louis d'or en louis de cinq sols. Sous cette dernière l'orme, on peut comparer à cette plaisanterie celle adressée, par leurs camarades, aux premiers soldats décorés en France de la médaille militaire instituée en 1852, et qui donnait droit à une pension annuelle de 100 francs ou cinq pièces de 20 francs : Vous êtes des chevaliers de saint (cinq) Louis.

LIEUTENANT GÉNÉRAL.

La charge de lieutenant général n'est pas aussi ancienne que celle de maréchal de France. On en trouve l'origine sous le règne de Louis XIII. Il n'y en avait pas dans tous les corps, et le roi n'en mettait ordinairement qu'un ou deux dans une armée. Le marquis de la Force, qui a servi en qualité de lieutenant général sous le prince de Condé en 1658, et le marquis de l'enquière sous le duc de Longueville, ont été les premiers lieutenants généraux.

C'est sous le règne de Louis le Grand, pendant sa minorité et le ministère du cardinal de Mazarin, que la multiplication des lieutenants généraux commença. Il parait que trois raisons déterminèrent Louis XIV à en augmenter le nombre : la première, parce que c'est un grade d'honneur qu'il crut utile d'intercaler entre le maréchal de France et le maréchal de camp. comme entre le colonel et le maréchal de camp il mit depuis celle de brigadier, afin de satisfaire l'ambition d'un officier qui était longtemps à attendre quelque distinction et quelque titre permanent qui l'élevât au-dessus du rang où il était depuis plusieurs années ; la seconde, parce que les officiers, passant par ces divers degrés, se forment mieux dans le commandement ; la troisième est que, sous le règne de Louis XIV, les armées ont été infiniment plus nombreuses que sons les règnes précédents, et qu'il a fallu multiplier les officiers à proportion de la multiplication des troupes.

Au commencement du règne de Louis XIV, les lieutenants généraux ont porté le titre de sous-lieutenants généraux ; il y en a plusieurs exemples dans les pièces de la collection Cangé, boite C : 19 mars 1645, le comte de Rantzau est qualifié sous-lieutenant général l'armée de Picardie le 24 mai 1650, le comte d'Estrades est qualifié premier sous-lieutenant général de l'armée de Catalogne. Les pouvoirs de ces officiers étaient tout à fait ceux des lieutenants généraux.

Un lieutenant général tient le second rang après le général d'armée, et, dans une bataille, il commande une des lignes ou des ailes ; dans la marche des troupes, un détachement ou un camp volant ; dans un siège, un quartier ; et quand il est de jour, une des attaques.

MARÉCHAL DE CAMP.

Ce grade, intérieur à celui de lieutenant général, est plus ancien. Imbert de Bourdillon, seigneur de la Plâtrière, le comte.de Tavannes et François de la Vieilleville furent les premiers pourvus de cette charge, en 1552.

Jusqu'à Louis XIII, ses fonctions consistaient à ordonner les marches, les campements ; à faire les reconnaissances, à placer les grand'gardes ; à établir le logement et à reconnaître les pays dans lesquels les troupes devaient faire des mouvements. Lorsqu'il n'y avait point de lieutenant général dans une armée, le maréchal de camp était le premier officier général après le commandant en chef.

Les maréchaux de camp furent multipliés sous les règnes de Louis XIII et de Louis XIV, et leurs fonctions modifiées. Elles consistaient à exécuter, sous la direction du lieutenant général, les opérations particulières de la campagne, de l'investissement des places à commander des portions d'armée dans les ordres de bataille, à prendre le commandement des villes menacées. En outre ils étaient chargés des fonctions attribuées de nos jours au chef de l'état-major d'une armée ou d'un corps d'année.

BRIGADIER.

Le brigadier des années du roi est un officier qui commande, une brigade, ou d'infanterie, ou' de cavalerie, et marche après le maréchal de camp.

 Avant l'année 1007, les chefs de brigade, c'est-à-dire d'un groupe d'escadrons et de bataillons, étaient choisis parmi les mestres de camp et les colonels et n'avaient qu'une commission temporaire. La fonction qu'ils exerçaient passagèrement ne constituait pas un grade. Au mois de juin 1667, sur la proposition de Turenne, Louis XIV créa des brigadiers de cavalerie en titre d'office, des brigadiers d'infanterie en 1668, et des brigadiers de dragons en 1095. Ainsi fut définitivement institué le grade de brigadier, ut il fut le premier degré dans la hiérarchie des officiers généraux, oit l'argent ne pouvait donner accès.

Les brigadiers commandent aux colonels et obéissent aux officiers généraux de l'armée ; ils n'ont point d'aides de camp pour porter leurs ordres, mais un major de brigade qui fait exécuter leurs ordres dans l'étendue seulement de sa brigade.

De brigadier on passait maréchal de camp ; de maréchal de camp, lieutenant général ; de lieutenant général, maréchal de France. Cette hiérarchie ne fut bien régulièrement observée, et l'action du pouvoir central ne fut réellement efficace à tous ses degrés qu'après la suppression des grandes charges militaires de colonels généraux, qui étaient considérés, au mime titre que les maréchaux, comme grands officiers militaires de la couronne.

COLONEL GÉNÉRAL DE L'INFANTERIE FRANÇAISE.

Cette charge a été supprimée parce que le pouvoir qu'elle conférait était trop étendu. Il donnait droit au titulaire de nommer à toutes les charges d'infanterie, de faire rendre la justice en sou nom et d'avoir une compagnie dans chaque régiment, qu'on appelait la compagnie colonelle.

Les colonels généraux de l'infanterie française et étrangère furent créés sous François Ier en 1544, et érigés en charge de la couronne sous Henri III, en 1584.

Après la mort de Bernard de la Valette, duc d'Épernon, Louis XIV supprima cette charge par son ordonnance du 26 juillet 1664 et s'en attribua toutes les prérogatives, de sorte que désormais tous les officiers d'infanterie durent être nommés on agréés par lui.

COLONEL GÉNÉRAL DE LA CAVALERIE LÉGÈRE ET ÉTRANGÈRE.

Sous Henri II, on trouve un colonel et un mestre de camp général de la cavalerie : magister equitum, ou tribunes generalis equitum et tribunus equitum.

Mais ces titres n'étaient que des commissions, et l'emploi de colonel général de la cavalerie ne fut institué en titre d'office que sous Charles IX, qui le donna à Claude de Lorraine, duc d'Aumale.

La charge de colonel général de la cavalerie a été en différents teups partagée en deux. Il y avait le colonel général en deçà les monts et le colonel général en delà les monts.

Sous Louis XIII, il y eut aussi en France deux colonels généraux, l'un de la cavalerie française, l'autre de la cavalerie allemande.

La charge de colonel général de la cavalerie française et étrangère donnait à celui qui en était revêtu le commandement général de la cavalerie dans une armée. Il en passait la revue quand il lui plaisait ; il proposait les sujets pour remplir les emplois vacants de tous les grades, jusqu'à celui de lieutenant général ; il avait, en un mot, la haute inspection de toute l'arme : administration, réforme d'hommes et de chevaux, remontes, police. En outre, le colonel général est en droit et possession, tout le temps qu'il est à l'armée, de garder et d'exiger du corps de la cavalerie un escadron pour sa garde.

Les directeurs et inspecteurs de la cavalerie sont obligés d'envoyer au colonel général un extrait de chacune de leurs revues, afin que, de son côté, il en rende compte personnellement au roi.

Le maréchal des logis de la cavalerie est obligé d'apporter l'ordre chaque jour à son colonel général, et de lui demander s'il n'a rien de particulier il lui ordonner.

Il est du devoir de chaque officier de cavalerie d'apporter sa patente, aussitôt qu'elle est expédiée, a son colonel général, afin qu'elle soit visée par lui.

On voit par ces prérogatives que le colonel général de la cavalerie était dans cette arme un chef assez puissant, quoique moins dangereux que le précédent. Louis XIV ne supprima pas cette charge, parce qu'elle était occupée par Turenne ; mais il lui enleva peu à peu ses droits essentiels et la réduisit à des privilèges à peu près honorifiques.

COLONEL GÉNÉRAL D'INFANTERIE DES SUISSES ET GRISONS.

La charge de colonel général des suisses n'était autrefois qu'un emploi passager, et cependant toujours occupé par un prince. Elle fut érigée en titre d'office par le roi Charles IX, en faveur de Charles de Montmorency de Méru, en 1571. Dans cette institution, la compagnie des Cent-Suisses de la garde fut exceptée du commandement que ce chef devait avoir sur toutes les autres de la meule nation.

Cette charge n'était point charge de la couronne ; cependant le titulaire prêtait serment entre les mains du roi. Toutes les troupes de cette nation lui étaient subordonnées. Il nommait à toutes les places de colonels et de capitaines ; mais depuis la mort du comte de Soissons (1675), le roi s'est réservé ce droit.

IPOLONEL GÉNÉRAL DE LA CAVALERIE ALLEMANDE.

Cette charge fuit créée sous Louis XIII, en 1656, en faveur de Jean Stress, qui l'eut par commission. Le baron d'Egenfeld lui succéda ; et après qu'il se, fut retiré du service de France, celte charge cessa et fut réunie à celle de colonel général de la cavalerie légère et étrangère.

COLONEL GÉNÉRAL DES DRAGONS.

Ce titre a été créé par Louis XIV, en 1668. en faveur du duc de Lauzun, et l'édit d'institution établit que ses privilèges dans cette arme seraient à peu près les nièmes que ceux du colonel général de la cavalerie. Cela diminuait d'autant l'autorité de ce dernier.

On mentionne encore sous Louis XIII, dans les étais-majors généraux, le maréchal de bataille, le sergent de bataille, le maréchal général des logis, le major général et les majors de brigade.

MARÉCHAL DE BATAILLE.

Il fut institué par Louis XIII en 1613 ou 1614, et sa principale fonction était de ranger une armée en bataille, selon l'ordre dans lequel le général avait intention de combattre, de recevoir et de transmettre les différents ordres de mouvement. Le chevalier de la Vallière, tué au siège. de Lérida eu 1647, était maréchal de bataille dans l'armée commandée par le duc d'Anguien au siège de Thionville, en 1645. Ce titre s'est éteint vers 1672, et celui de major général paraît lui avoir succédé.

SERGENT DE BATAILLE.

Créé vers 1515, il servait d'intermédiaire entre le grade de colonel et mestre de camp et celui de brigadier. Il remplissait les fonctions qui furent attribuées plus tard aux inspecteurs, et aussi quelques-unes de celles de major général. La Mothe-Houdancourt, que nous retrouverons maréchal de France, fut sergent de bataille en i650. On ne trouve plus ce grade après la paix des Pyrénées.

MARÉCHAL GÉNÉRAL DES LOGIS DES CAMPS ET ARMÉES DU ROI.

Cette charge fut établie en 1644, en mente temps que celle d'officier fourrier, qui servait d'adjoint au maréchal général des logis. Le maréchal général des logis avait pour fonctions de choisir les lieux où l'armée devait camper, et lorsque le général avait approuvé son choix, de distribuer le terrain au major de brigade, qui le distribuait aux majors des régiments. Il marquait le quartier général, le parc d'artillerie de concert avec les commandants de cette arme, le quartier des vivres et celui de l'hôpital. Il formait l'ordre de la marche et le communiquait an général, dont il recevait les ordres tous les jours. Avant la création du MARÉCHAL GÉNÉRAL DES LOGIS, cet emploi était exercé par les maréchaux de camp.

MAJOR GÉNÉRAL.

L'origine de cette charge, qui ne fuit que temporaire, n'est pas très connue. On en attribue la création, sous cette dénomination, à Louis XIV. Il paraît néanmoins qu'elle remonte, sous d'autres titres, au temps de l'établissement des armées permanentes ; mais le document le plus ancien que j'aie trouvé sur cet emploi est une lettre du roi au sieur de Schomberg, auquel il envoie le brevet de major général de l'armée d'Allemagne. Elle est du 29 décembre 101,5, et se trouve dans la collection Cangé, boite C, article : Majors généraux. Nous n'avons rien de plus complet sur cette fonction que l'article que lui a consacré le père Daniel. Il nous dit, entre autres choses, que dans un siège, il avertit les corps qui doivent. être de service aux tranchées, fait tous les détachements pour les attaques et fournit tous les travailleurs dont on a besoin. Dans les marches, il est au campement avec le maréchal de camp de service, prend ses ordres, les donne au major de brigade, qui les transmet aux majors des régiments, et il désigne tons les soirs les détachements et les officiers qui doivent marcher le lendemain. Le jour du combat, il reçoit du maréchal le plan de son armée, la disposition de la cavalerie, de l'infanterie, de l'artillerie, et l'ordre que toutes les troupes doivent tenir.

OFFICIERS SUPÉRIEURS ET OFFICIERS SUBALTERNES DES RÉGIMENTS.

La vénalité des charges subalternes cessa dans l'infanterie quand le roi eut supprimé la charge de colonel général de l'infanterie ; peu à peu Louvois l'interdit dans les autres corps, et dès la seconde année de la guerre de hollande, elle ne fut plus tolérée que dans les corps de la maison du roi, dans la gendarmerie et dans le régiment des gardes. Elle fut maintenue dans toute l'armée pour les charges de colonel et de capitaine qui étaient les deux seuls grades d'officiers supérieurs dans les régiments ; le grade de chef de bataillon ou d'escadron n'existait pas, et s'il y avait dans un régiment plusieurs bataillons ou escadrons, le colonel commandait le premier, le lieutenant-colonel le second, et les plus anciens capitaines le troisième et le quatrième. Nos grades de lieutenant-colonel et de major étaient des titres en dehors de la hiérarchie qui ne sc vendaient pas et que le roi conférait à des capitaines intelligents qui n'avaient pas le moyen d'acheter un régiment. Le lieutenant.-colonel avait une compagnie comme le colonel, et il était le second capitaine du régiment comme le colonel en était le premier. Le capitaine, qui était nommé major, vendait sa compagnie, mais il conservait le rang de capitaine. C'est Henri II qui, en 1553, avait ordonné qu'il cesserait d'occuper celte charge et d'avoir une compagnie dans les bandes, afin qu'il n'eût qu'il s'occuper exclusivement de l'exercice de son emploi de major, qui comprenait tous les détails du service et une partie des fonctions administratives, discipline, exercices, manœuvres, campements, contrôle exact des officiers, sous-officiers et soldats. Il était assisté d'un aide-major pris parmi les lieutenants. Quant au titre de colonel, il remonte a François Ier ainsi que sou équivalent, mestre de camp. Après l'institution de la charge de colonel général de l'infanterie française et étrangère en 1544, les colonels de cette arme prirent le titre de mestre de camp d'infanterie. Quand la dignité de colonel général fut supprimée (1661), les mestres de camp reprirent la qualité de colonel.

Dans tous les corps, le lieutenant est le second officier d'une compagnie : il remplace le capitaine absent. Le sous-lieutenant est le troisième officier d'une compagnie ; il ne date que de Henri IV, et avant 1610 il n'y eut de sous-lieutenants que dans la cavalerie. Anne d'Autriche en plaça dans les mousquetaires en 1645 ; Louis XIV en mit dans les compagnies des gardes françaises en 1657 ; dans les chevau-légers en 1665, enfin dans les régiments d'infanterie en 1668. Supprimés après la guerre de Hollande, ils furent rétablis en 1687 pour faciliter le placement dans plusieurs corps de l'armée de plus de neuf cents gentilshommes que le roi faisait élever à Strasbourg et dans d'autres places frontières. L'enseigne ou porte-enseigne tenait le dernier rang parmi les officiers subalternes de l'infanterie, et il était chargé de porter le drapeau de la compagnie. Les porte-cornettes ou cornettes portaient l'étendard dans la cavalerie, et ils avaient dans quelques régiments le grade de lieutenant, et dans le plus grand nombre celui de sous-lieutenant.

Les sous-officiers étaient le sergent et le maréchal des logis, le caporal et le brigadier, et l'anspessade. Ce dernier terme seul demande une explication. Il vient de l'italien lancia spezzata (lance cassée, rompue) dont on a fait par corruption lance pezzate, lanspassade, lancepesate, anspessade. On donnait à l'origine ce nom au gentilhomme de la gendarmerie qui avait eu son cheval tué et son arme brisée ou perdue dans un combat ; il était placé dans l'infanterie en qualité d'officier après le lieutenant, y conservait sa solde, et y restait jusqu'à ce qu'il fût remonté. Cet usage date de la première expédition de François Ier en Italie. À la fin du XVIe siècle et au XVIIe, ce grade fut la récompense de la bonne conduite, de la bravoure, et de l'ancienneté, et celui qui l'obtenait devenait l'aide du caporal ; il avait une solde un peu plus forte que le simple soldat, et les commissaires des guerres le désignaient dans leurs revues et sur leurs contrôles sous le nom d'appointé. Ce terme finit par remplacer celui d'anspessade.

Depuis l'établissement du règlement de 1619 sur les départements des secrétaires d'Étal, la direction de la guerre était confiée tout entière an secrétaire d'Étal de la guerre, chargé en outre des affaires générales concernant ce service et de la correspondance avec tous les chefs de corps. Pour surveiller les différentes branches d'une administration, qui devenait de plus en plus compliquée à mesure qu'on multipliait les années, il fut nécessaire d'avoir des agents chargés de veiller à l'exécution des ordonnances, particulièrement eu ce qui concernait l'effectif des troupes, la discipline, l'instruction, l'entretien. Voici les principaux :

COMMISSAIRE GÉNÉRAL DES ARMÉES.

Celle charge ne fut pas de longue durée ; et celui qui en fut pourvu le premier n'eut point de successeur ; le comte Bussy-Rabutin en parle ainsi en l'année 1657 : Je vins au rendez-vous d'année à Rethel, où Besançon, commissaire général des années de France, charge créée pour lui et qui fut supprimée en sa personne, parce qu'elle avait trop d'autorité, lit faire revue au régiment de mon père. Il n'en dit rien davantage, et ne descend point dans le détail des fonctions et des prérogatives de cet officier. Il est fait encore mention de ce titre dans la relation du siège de Landrecies en 1056 et il n'en est plus question.

En revanche on trouve fréquemment la mention des commissaires des guerres et des officiers inspecteurs. Les premiers sont mentionnés dès le XIVe siècle, et ils n'étaient que des administrateurs, habiles à connaître de l'effectif, de la solde, des habits, de l'équipement et des armes, mais n'ayant pas qualité pour s'ingérer dans le détail de l'action !inventent militaire. Au contraire les officiers inspecteurs établis par Louvois dans l'infanterie et dans la cavalerie avaient une grande autorité pour la formation du soldat. Leurs principales obligations étaient d'imposer aux officiers la discipline, la subordination, le respect, et d'exiger que les compagnies fussent complètes et composées d'hommes en état de servir par leur instruction, leur lige, leurs habits et leurs armes. Le premier inspecteur de l'infanterie fut Martinet, lieutenant-colonel de régiment du roi, et il fit sa première tournée en 1668. Le premier inspecteur de la cavalerie, le chevalier de Fourilles, lit sa première tournée en 1669.

COMMISSAIRES PROVINCIAUX.

Louis en créa soixante-neuf en 1655 ; Louis XIV les supprima en 1704 et les remplaça en instituant trente offices de commissaires ordinaires des guerres, qui auraient chacun un département particulier dans les généralités du royaume.

Les commissaires provinciaux faisaient seuls, et à l'exclusion des commissaires ordinaires des guerres, les montres et revues des troupes sédentaires et hors ligne. Ils veillaient aussi à la distribution des étapes fournies aux troupes de passage dans les provinces.

COMMISSAIRES ORDONNATEURS.

Ce grade, supérieur à ceux de commissaire des guerres et de commissaire provincial, fut créé eu titre d'office par Louis XIII en 1635 pour récompenser les services rendus par les titulaires des grades précédents.

Les commissaires ordonnateurs étaient chargés dans les places, préférablement aux autres commissaires, des hôpitaux, du logement des troupes, des vivres et des fourrages. Ils avaient l'examen de la comptabilité des entrepreneurs de ces divers services. Ils pouvaient devenir intendants d'armée, et à défaut de ces derniers, ils eu faisaient les fonctions[14].

INTENDANTS D'ARMÉES.

M. Gabriel Hanotaux, dans sou livre sur les origines des intendants de provinces, nous donne des renseignements très exacts sur l'origine de l'institution des intendants d'armée.

Celle-ci doit être reportée au règne de Henri IV, contrairement au dire de nos historiens militaires qui l'attribuent tous à Richelieu. Le premier acte de Henri IV devait être de reconquérir son royaume, et par suite le seuil centre de son autorité et son point d'appui était l'armée. Là était son espérance ; mais là missi était la source des plus grands maux, car les armées de la Ligue comme les armées royales commettaient les excès les plus odieux. Tout en voulant conquérir et pacifier le royaume, Henri IV sentait qu'il fallait porter un prompt remède à ces excès et il eut recours an seul moyen pratique dans ces circonstances, moyen extraordinaire comme les circonstances elles-mêmes qui le faisaient naître, l'usage de fonctionnaires à puissance illimitée et indéterminée. Ces magistrats furent des commissaires adjoints aux commandants des troupes et aux gouverneurs des provinces troublées, et selon le rôle particulier qu'ils avaient à remplir, ils portèrent l'un ou l'autre de ces titres : intendants de justice, intendants d'armée, intendants de justice en telle armée, intendants des finances et des vivres en telle année, ou même réunissant ces diverses appellations, ils portaient le titre complet d'intendants de justice, de police, des vivres et des finances en telle armée. Leurs commissions déterminaient leurs attributions et la région dans laquelle devaient s'exercer leurs pouvoirs. Ils devinrent naturellement et peu à peu les intendants des provinces tout eu conservant le titre et les fonctions d'intendants du utilitaire, qu'ils avaient eus à leur origine ; eu effet, chaque fois qu'une province était troublée, le roi y envoyait une armée accompagnée d'un intendant de justice qui avait à la fois autorité sur l'armée et sur la province ; les troubles apaisés, l'intendant restait et devenait intendant de province. Jusqu'au milieu du XVIIe siècle les charges d'intendants d'année et d'intendants de province ne se distinguaient presque pas, et elles ne furent définitivement séparées qu'à l'époque où commencèrent les guerres de conquête. Richelieu les a donc utilisés et non institués ; il les trouvait et s'en servit comme d'un rouage utile à la réalisation de ses vues, et il en mit dans toutes les années destinées à opérer à l'intérieur comme dans les années destinées à la guerre extérieure, dans l'armée de Languedoc ainsi que dans l'armée de Savoie ; Mazarin suivit si bien cet exemple, qu'en 1648, quand les députés des compagnies souveraines commencèrent leur travail pour la réformation de l'État, ils inscrivirent dans le premier article de leur projet : Les intendants de justice seront révoqués dès à présent. L'orage passé, ils reprirent bientôt leurs fonctions avec des attributions considérables.

Les intendants d'année étaient chargés de pourvoir à la subsistance et au payement des troupes, d'établir des magasins d'approvisionnement de vivres et de fourrages dans les lieux qui leur étaient désignés par le général en chef ou le secrétaire d'État de la guerre, de recevoir l'argent destiné à l'entretien des troupes des mains du trésorier de l'extraordinaire des guerres quand celui-ci peut en fournir, et comme c'est l'exception, il a la mission de surveiller la levée des deniers et des contributions de guerre dans la province et dans les pays occupés par son armée. Pour la justice et la police, il est le conseiller du général près duquel il est placé ; il doit, aux termes de plusieurs commissions, ouyr les parties, les régler et pourvoir sur leurs différends ; ce qui indique une compétence civile, mais par-dessus tout il doit faire le procès aux malfaiteurs qui se trouvent dans les armées et appliquer les sévères règlements de cette époque an soldat en maraude ou an déserteur. Il a encore la surveillance des hôpitaux, des ambulances, des transports et convois de toute nature[15].

 

SUBSISTANCES.

 

Dès qu'on mit en mouvement de grandes armées, le service des vivres devint l'un des plus importants de l'administration militaire, et Richelieu eut raison de l'appeler la magie blanche, de même qu'il appelait justement l'artillerie la magie noire. On croit généralement, et on l'a écrit plusieurs fois, qu'avant Louvois il n'y avait pas eu de mesure régulière pour assurer les subsistances, et que toutes les troupes étaient en proie à ces souffrances de tout genre dont les gravures de Callot et certains tableaux flamands donnent une idée saisissante. Nous n'ignorons aucun des faits douloureux dont l'art a pu immortaliser le souvenir, et nous avons raconté un acte touchant de charité, accompli par Turenne dans la retraite de l'armée commandée par le cardinal la Valette, qui prouve que nous n'avons pas oublié les misères et les douleurs de cette époque. !lais faut-il conclure de tout cela que l'on ignorait l'usage des magasins et qu'on abandonnait au hasard des événements l'approvisionnement des armées ? Voici la réponse à cette question : En 1627, on créa deux commissaires généraux des vivres ; en 1631, l'administration des subsistances militaires fut complétée et elle eut à sa tête un grand maitre et un surintendant général des vivres, munitions, magasins et étapes. Le grand maître eut au-dessous de lui, comme adjoints, deux commissaires généraux des vivres aux corps et armées, et un contrôleur général des vivres. Dans chaque élection était un conseiller intendant des vivres et étapes, et dans chaque paroisse un commissaire garde particulier. Le fonds Béthune à la Bibliothèque nationale, n° 9386, renferme des instructions de la fin du règne de Louis XIII pour tous ces officiers et des mémoires on tout est réglé : le mode d'adjudication des fournitures, la comptabilité des munitionnaires, la formation des magasins dans les grandes places. Richelieu s'était occupé des magasins portatifs et des magasins fixes et l'on avait affecté un fonds spécial à l'entretien de ce service. Une ordonnance de 1641 montre que des magasins étaient organisés sur les différents points du royaume. Un grand nombre d'articles de l'ordonnance de 1629, notamment les articles 252, 255, 262, 265, 268, réglaient et assuraient le service des étapes : les troupes devaient suivre quatre grandes lignes, l'une de la Picardie à Bayonne, l'autre de la Bretagne à Marseille ; la troisième du Languedoc à la Normandie, la quatrième de la Saintonge à la Bresse ; des lignes secondaires reliaient entre elles ces grandes lignes, et les gouverneurs étaient assez tôt avertis du passage des troupes pour faire préparer les vivres et les logements plusieurs jours à l'avance. L'État se chargeait de toute la nourriture du soldat dans les marches : Il sera fourni aux soldats marchant sous leur drapeau à la campagne deux livres de pain par jour, une livre de chair et une pinte de vin, par les commissaires des villes auxquelles il écherra de faire les étapes de leur chemin, sans que pour cela le soldat ait rien à payer (art. 272 de l'ord. de 1629). Dans les garnisons, l'État ne fournissait aux soldats que le pain de munition, avec retenue d'un sol par jour (art. 278). On augmenta de moitié les appointements des capitaines et officiers pour leur ôter tout prétexte de spéculer ou de piller (art. 220). L'une des causes qui favorisaient le plus les désordres des troupes était le manque de solde ; quand les soldats ne recevaient rien ils se dédommageaient en pillant les villes ou en rançonnant les campagnes. Or, l'ordonnance de 1629 porta remède à eu désordre en ordonnant que la solde serait payée par avance et qu'il y aurait dans d'agile régiment un payeur et un commis qui seraient tenus de payer en main propre les soldats de neuf jours en neuf jours (art. 222, 259). Malgré les précautions prises par le gouvernement pour assurer la solde, la nourriture aux étapes, et ré :der l'administration des subsistances, le service des vivres, il faut en convenir, resta entaché d'un vice capital : l'État ne prenait à sa charge les fournitures qu'en temps de guerre, à l'exception d'un petit nombre qu'il faisait aussi en temps de paix ; en principe, le soldat devait s'entretenir et se nourrir avec le montant de sa solde, et le roi ne faisait que veiller à ce qu'il eût à sa disposition des provisions dont il réglait le prix. Que ces provisions fussent fournies par les habitants an moyen de prestations en nature, comme cela se passait sous le régime des commissaires des vivres, ou qu'elles fussent livrées par une entreprise régulière des vivres et des fourrages, comme cela eut lieu à partir de 1648, il eu résultait de graves inconvénients pour le soldat[16].

Ce système favorisait la prévarication ; la surveillance des commissaires des guerres était inefficace, et il y avait trop souvent une connivence criminelle entre les fournisseurs et les officiers, de sorte que le soldat frustré n'avait que la ressource de mendier s'il ne voulait pas mourir de faim, ou de piller et de s'exposer à être pendu. Ce système s'appliquait également à la fourniture des chevaux, des habits, des armes : les capitaines étaient tenus à les fournir, et comme la solde qu'ils recevaient n'était pas toujours suffisante, un bon nombre d'entre eux étaient amenés à violer la loi et à spéculer, si bien que pendant les guerres civiles le désordre arriva à son comble. L'abus de la spéculation pénétra si profondément dans les mœurs militaires que, même encore en 1668, Louvois avait à en constater les déplorables effets.

Ce n'est d'ailleurs pas le seul point de l'administration militaire sur lequel nous avons à constater l'impuissance de la loi à cette époque. Il n'existait pas de casernes avant le règne de Louis XIV ; sous les prédécesseurs de ce prince, les soldats étaient logés chez l'habitant on dans des maisons louées pour cet usage ; Louis XIII, le 10 janvier 1617, prescrivit bien la construction de bâtiments militaires dans quelques places du royaume, mais le manque d'argent força le gouvernement d'abandonner ce projet, et il ne fut repris qu'en 1691, et le soldat continua de loger chez les particuliers. Or, cette coutume entraînait bien des abus, auxquels on avait essayé de remédier par un grand nombre de règlements, et Mazarin fit rendre le 4 novembre 1651 une ordonnance qui rappelait, à l'égard du logement et de la subsistance des gens de guerre, les meilleures dispositions des ordonnances passées. L'année même où elle avait paru, elle était lettre morte, et les quelques intendants qui n'avaient pas été supprimés en étaient réduits à constater leur impuissance en face d'infractions continuelles aux règlements et de désordres flagrants qu'ils étaient appelés à prévenir ou à réprimer.

Le désordre général, que la Fronde avait propagé, s'était étendu aux institutions militaires, et il ne, restait presque rien des sages dispositions édictées par le Tellier, presque rien non plus de ces mesures de génie par lesquelles Richelieu avait ébauché l'organisation des principaux services de l'armée. Faute d'une hiérarchie administrative complète, faute de moyens d'impulsion et de contrôle suffisants, faute de sentiment moral enfin, les plus sages mesures étaient inefficaces, et, malgré sa volonté de fer, Louvois devait être souvent réduit ù se plaindre de l'inobservation des règlements et des lois.

L'armée souffrait d'un mal moral, qui était le résultat d'un désordre général et d'institutions imparfaites, et il serait injuste d'en rendre Mazarin seul responsable ou d'en accuser l'indifférence de le Tellier, et de répéter après d'illustres écrivains que le premier était complaisant aux friponneries des gens de guerre, le second peu soucieux des questions d'administration et de la gloire des réformes. On verra combien ces reproches sont exagérés en lisant les lettres de Mazarin à Turenne publiées par Grimoald ; on le verra mieux encore quand on aura publié une partie des ordonnances et des règlements qui sont, conservés dans nos dépôts publics, et qui nous donnent des renseignements autrement sûrs que deux ou trois lettres écrites dix ans après la mort du cardinal. Sans doute Mazarin et le Tellier ont accumulé les palliatifs sans remonter aux vraies sources du mal ; sans doute ils ont souvent tourné les difficultés sans les résoudre, mais la première faute n'en est-elle pas aux idées, aux principes, aux institutions du temps ? Le remède eût été la substitution de l'État à l'industrie privée en matière utilitaire ; il aurait fallu que l'entretien, comme le recrutement des troupes, fût à la charge de l'État, et en conséquence que le budget de la guerre fût au moins doublé. Mais alors il fallait changer les bases de l'impôt, supprimer les privilèges, réformer la société de fond en comble, en un not, faire une révolution : elle se fera, mais avec le temps ; elle ne pouvait titre que Pieuvre de la nation et non pas l'œuvre d'in homme. On constatera par les rapports de Turenne avec la cour pendant tonte la Fronde espagnole que Mazarin et le Tellier ont fait, dans l'une des situations les plus difficiles où se soit trouvée la royauté au XVIIe siècle, tout ce qu'il était possible de faire pour les gens de guerre. Aux faits que j'ai cités, on pourra en joindre quelques autres rapportés par le colonel Bourelly dans sa belle vie de l'héroïque Fabert, qui lui aussi, pendant quarante-trois ans de fidèles services, se montra un modèle d'humanité, de justice et d'honneur ; il a inspiré l'une des plus sages ordonnances, celle du 20 novembre 1055, qui fut complétée par celle du 25 octobre 1655. Elles resteront l'un des meilleurs témoignages de la sollicitude dut gouvernement pour l'armée. Elles assuraient à l'infanterie et it la cavalerie de bons quartiers d'hiver sans grever les communautés qui étaient dédommagées de leurs avances par une déduction sur leurs impositions de l'année suivante ; elles visaient à l'égalité dans la répartition de la charge du logement entre les personnes et entre les centres de population ; en disséminant les troupes par petits groupes dans l'étendue d'une généralité, elles leur procuraient l'isolement qui devait les porter à vivre en bonne intelligence avec les habitants. et en même temps les rendre impuissantes a exécuter de mauvais desseins. L'homme de guerre devenait ainsi le défenseur de son hôte qui lui rendait en bons offices ce qu'il en recevait en protection. Enfin la solde de l'infanterie était augmentée de neuf cents livres par compagnie, ce qui, pour l'hiver de 1656 à 1657, entraînait un accroissement de quinze cent mille livres pour toute l'infanterie. Ces deux ordonnances organisaient aussi la surveillance active que réclamait l'exécution de ces nouvelles mesures : celle de 1655 assurait à l'intendant une intervention plus puissante dans l'organisation des quartiers d'hiver, prescrivait la délégation d'une partie de ses pouvoirs au commissaire des guerres, et l'envoi dans chaque élection de chefs militaires chargés de représenter l'autorité du général en chef. Celle de 1656 prescrivait de fréquentes visites des quartiers d'hiver par les généraux d'armée, les autres généraux, les intendants et les commissaires des guerres, et pour prévenir les crimes, elle défendait expressément le port des armes à feu en dehors des services commandés.

A l'honneur de Mazarin, je dois reproduire une phrase de la lettre par laquelle il faisait connaître à Turenne les sacrifices qu'exigeait l'ordonnance de 1656 : Je crois que vous ne serez pas l'ache de savoir le traitement que le roi a résolu de faire à l'infanterie. C'est un effort dont je ne croyois pas que nous pussions venir à bout dans l'état où sont les finances ; mais mon avis a été qu'il falloit plutôt reculer toutes les autres dépenses, afin de subvenir à une qui est nécessaire, pour pouvoir continuer la guerre avec succès, et contraindre enfin les ennemis à donner les mains à une bonne paix. En retour de ces sacrifices il exige avec raison qu'on châtie sévèrement les capitaines qui ne mettraient pas leurs compagnies en bon état[17].

Signalons en terminant quelques-unes des mesures prises en faveur de la santé des soldats.

Henri IV avait établi des ambulances à la suite de l'armée en 1591, puis un grand hôpital à Amiens en 1597. Richelieu, qui consacra la plus grande partie de ses forces et de celles de la France à la lutte contre la domination de la maison d'Autriche, ne négligea pas de compléter l'œuvre de Henri IV ; l'article 252 de l'ordonnance de juin 1629 prescrivit que tout régiment aurait un hôpital, des chirurgiens, des aumôniers, et l'archevêque de Bordeaux fut chargé le 15 février 1629 de la surintendance de l'hôpital de l'armée d'Italie. Les hôpitaux de ce genre étaient établis dans les villes les plus voisines des armées, mais quelques malades préférant être soignés dans les camps plutôt que de se rendre à ces hôpitaux, le cardinal fit en 1658 un établissement eu faveur des gens de guerre qui ne veulent pas aller aux hôpitaux ; on y fit que désormais il y auroit dans chaque armée des jésuites et des cuisiniers qui donneroient des bouillons et des potages à tous les malades qui ne voudroient pas aller aux hospitaux, et de plus des chirurgiens et des apothicaires pour soigner et secourir de médicaments ceux qui en auroient besoin. L'année précédente un hôpital avait été établi à Marseille pour les forçats qui tombaient malades sur les galères.

Henri IV et Sully, fondateurs des premiers hôpitaux militaires, furent aussi les créateurs de ces asiles de retraite élevés depuis chez presque tous les peuples modernes pour les guerriers que l'âge et les hasards des combats forçaient de s'éloigner de leurs drapeaux. Ce n'est pas qu'avant eux on eût jamais négligé ces glorieux débris de nos armées ; au moyen âge il y avait déjà des chirurgiens dans les armées de Philippe le Bel, et les soldats blessés et malades étaient recueillis dans ces innombrables hôpitaux qui se trouvaient dans tous les centres de population ; de même, on assurait des moyens d'existence aux vétérans et aux invalides des années, et ils étaient placés, en qualité d'oblats ou de religieux laïques, dans les abbayes royales ainsi que dans celles dont les abbés étaient choisis par voie d'élection, et ils y trouvaient un asile et des moyens d'existence ; la sollicitude des rois guerriers ne négligea dans aucun siècle de notre histoire les souffrances de leurs compagnons d'armes, et un nombre considérable d'édits et d'ordonnances ont été rendus pour soumettre les monastères à l'accomplissement rigoureux de leurs obligations à cet égard. A défaut de toute autre preuve, ce grand nombre de documents suffirait pour attester que moines et soldats ne s'entendaient pas très bien, et que les uns cherchaient à se racheter de leurs devoirs, les autres à trafiquer de leurs droits ; c'est ainsi que nos aïeux ont pu voir errer de porte en porte ces hommes mutilés, estropiés, qui avaient quitté leur place au cloître et que Callot a immortalisés par ses estampes sous les noms de Vie du soldat, les Malheurs de la guerre.

Un roi, qui fut l'une des plus grandes figures du moyen âge, Philippe Auguste, avait eu une belle et noble intention pour ces malheureux : il avait formé le projet de fonder une maison pour servir de retraite à ceux qui auraient vieilli dans le service, et il avait demandé au pape Innocent III que cette maison ne fût point sous la juridiction de l'évêque. Ce projet, aussi juste que généreux, ne put être réalisé par le moyen âge, mais il ne fut point perdu, et Henri IV le reprit en 1597 et le réalisa en fondant la maison royale de la charité chrétienne, rue de l'Ourcine, au faubourg Saint-Marcel, pour recevoir les officiers et soldats invalides sans fortune. Plusieurs édits de 1600 et 1604 relatifs à cette fondation font autant d'honneur au Béarnais que ses plus belles victoires, et, tant qu'il vécut, il fut largement pourvu aux dépenses du nouvel asile, et les invalides y furent traités avec tout le respect dû à leur âge et à leurs services. Ils portaient pour décoration sur leurs manteaux une croix ancrée et brodée de satin ou de taffetas bleu, bordée de soie bleue ; autour de la croix on lisait ces mots glorieux : Pour avoir bien servi la patrie. Ils étaient désignés sous le nom de chevaliers de la maison royale.

Après la mort de Henri IV, la dotation n'étant pas en rapport avec les besoins, on préféra supprimer cette fondation plutôt que d'en élever les ressources, et les chevaliers de la maison royale, comme les nouveaux invalides des guerres de Louis XIII, durent chercher un nouvel abri dans les monastères ; mais Richelieu, qui s'occupait avec une persévérante attention de tons les détails de la vie de soldat, ne pouvait abandonner ces vétérans qui devenaient religieux lais malgré eux. et il leur donna le choix entre les places d'oblats et des pensions de cent livres. La pension fut acceptée par le plus grand nombre et pavée par les monastères. Il lit mieux encore : en i 654, il voulut reconstituer la fondation de Henri IV et la transporter à Bicêtre, mais les graves événements qui remplirent la fin de son ministère l'empêchèrent de donner suite ce projet. Mazarin, aux prises avec les mêmes difficultés extérieures et avec une situation intérieure des plus troublées, pouvait encore moins l'exécuter. Toutefois, l'idée d'ouvrir des hôpitaux pour les blessés et des asiles de retraite pour les vétérans de l'armée était devenue une question d'honneur national, et, loin de disparaitre dans le tourbillon d'intrigues qui remplirent les premières années de Louis XIV, elle donna lieu, en 1614, à la rédaction d'un vaste et magnifique projet qui est d'autant plus curieux que plusieurs sources de revenus, qui y sont indiquées, ont été mises à profit par Louis XIV pour la construction des Invalides. Ce projet, manuscrit est conservé dans la collection Cangé, troisième série, administration militaire, boite I. Hôpitaux, année 1611. Il porte le titre suivant :

Mémoire et instruction, par lesquelles il sera fait voir qu'en France, sans toucher aux deniers du Roy, sans rien prendre sur le public, ny sur le particulier, l'on peut, en exécutant les édits et règlements faits sur ce sujet, trouver avec très grande facilité un revenu assuré et suffisant pour entretenir et faire subsister tous les hospitaux des armées que le Roy entretiendra, tant dedans que dehors son Royaume, de toutes choses nécessaires, et subvenir aux pauvres gentilshommes, capitaines, officiers et soldats estropiés.

L'auteur indique d'abord le but à poursuivre : l'on entretiendra, nourrira, logera à la descharge de S. M., tous les pauvres mendiants estropiés, et un donnera en outre moyen aux gentilshommes, capitaines, officiers et autres estropiés, qui ne se voudront pas réduire en une maison commune, de subsister par les pensions que l'on leur donnera..., et cela en vertu des édits et règlements de Henri IV, Louis XIII, des vœux des États généraux de 1614 et des assemblées de notables.

Les édits et, les règlements faits en faveur des invalides de l'armée ayant suffisamment prouvé combien leur establissement estoit glorieux, honorable, utile et nécessaire au peuple, il ne reste plus, pour en faciliter l'exécution, que d'indiquer les ressources qui doivent y être affectées.

Ces ressources existent et sont d'une perception facile ; ce sont les revenus des maladreries et léproseries, des hôpitaux et aumôneries n'ayant ni pauvres ni malades, et les revenus des places d'oblats de toutes les abbayes et prieurés conventuels. L'auteur ne voit pas d'injustice de la part du roi à s'approprier ces revenus, parce que d'énormes abus, brigandages et voleries se commettent journellement, tant en la recette des revenus que soustraction des titres et usurpation des fonds.

Les ressources indiquées, l'auteur fait voir comment on les recevra et quel emploi en sera fait.

Un receveur général percevra les deniers sus-indiqués, et ils seront distribués selon l'ordre à déterminer.

À Paris, on choisira la maison donnée par Henri IV au faubourg Saint-Marceau, ou celle de Bicêtre, pour loger les pauvres gentilshommes, capitaines et soldats estropiés qui n'ont aucune retraite ailleurs ; un bureau composé de gentilshommes administrera cette maison.

Pour le reste de la France, on instituera vingt et uni bureaux analogues dans les généralités, et ils administreront vingt et une fondations semblables établies dans les maladreries les plus commodes et les mieux logeables.

Les gentilshommes, capitaines et officiers qui ont maison, femme, lieu de retraite, mais qui sont pauvres et incapables de suivre les armées, recevront pension suivant leur qualité et leurs besoins.

L'auteur termine son mémoire par des règlements destinés à assurer le service intérieur et à prévenir les abus.

Le XVIIe siècle ne devait pas s'achever sans que ce plan, qui honore son auteur, fût magnifiquement dépassé. Louis XIV développa le nombre des hôpitaux militaires et, à sa mort, il y en avait plus de quatre-vingts. Il lit mieux encore, il fonda les Invalides, et, par une délicate pensée qui sera l'éternelle gloire du ministre qui l'a inspirée, il en lit non un hôpital, mais l'image d'une place de guerre.

En passant en revue les mesures prises par Richelieu et Mazarin pour le bien-être de l'armée, je n'ai pas eu l'intention d'amoindrir Louvois. Il a mérité sou surnom de grand vivrier de l'armée par les règles qu'il établit et les moyens qu'il employa pour avoir, à proximité des troupes, des magasins bien approvisionnés ; en multipliant les magasins, il a doublé la puissance de nos armées ; en ravivant des vertus affaiblies par les guerres civiles, l'obéissance, l'exactitude, la probité, il les a perfectionnées et les a mises en état de tenir tête à l'Europe. A ce double titre, il joint la gloire d'avoir réalisé la pensée de plusieurs siècles en fondant les Invalides ! Sa mémoire mérite donc de rester et d'are grandement honorée. Elle ne souffrira point de l'hommage que j'ai rendu aux efforts de ceux qui l'avaient précédé, et dont la tâche a été d'autant plus lourde que l'administration générale n'avait pas encore reçu les développements qu'elle eut à partir de 1661, et que le même homme était obligé de diriger à la fois plusieurs services, auxquels il semblait n'être préparé ni par son instruction ni par ses travaux antérieurs. C'est à cette rude école que se sont formés les généraux qui ont fait le grand siècle. Avec peu de ressources, ils ont fait de grandes choses, parce que, avec un profond sentiment de leur responsabilité, ils eurent toujours à cœur de faire pour le soldat autant qu'ils exigeaient de lui, et de ne jamais songer à eux avant d'avoir pourvu à son bien-être. C'est là l'exemple qu'ont donné Guébriant, Fabert, Condé, Turenne, et plus de cent ans après eux on invoquait le souvenir de leur pratique comme d'un salutaire effet pour les généraux du XVIIIe siècle.

On lit, dans un mémoire inédit de la Bibliothèque nationale, ce témoignage concluant pour leur gloire : Ce qui me peut servir d'excuse, c'est l'ignorance de laquelle, depuis le commencement de ce siècle, sont tombés nos généraux en matière de subsistances, ignorance qui les a réduits à la seule ressource de mépriser ce qu'ils ne savaient pas et les a jetés dans l'inconvénient de former à chaque instant des projets qui deviennent chimériques par l'impossibilité de l'exécution, ou par leur peu de combinaison avec les détails. Le grand Turenne ne pensait pas de même ; aussi éloigné que Paul-Émile et César des idées d'Alexandre et de Caton, il ne faisait aucun plan de campagne, aucune opération particulière qui ne fussent concertées avec Jacquier — nom du plus habile munitionnaire du temps de Turenne —. C'est une anecdote dont tout le monde est instruit.

J'ai cru qu'il ne serait pas inutile de la rappeler, et je souhaite qu'elle ne soit jamais oubliée !

 

 

 



[1] Caillet, 578, 564 ; Roussel, 1, 165-167 ; 180 ; Bourelly, I, 240-262.

[2] Gébelin, 17, 18, 19.

[3] Bourelly, I, 309, 66-67 ; Gébelin, 50-31 ; Boutaric, 350 sq. ; Roussel, II, c. 7.

[4] Bourelly, I, 297 ; 386 sq. ; Chéruel, Mazarin, I, 27.

[5] Grimoard, I, 103, 110, 111, 415, 444, 539 ; Duc d'Aumale, Institutions militaires de la France, 1867, page 12 ; Caillet, 566 ; Rousset, I, 170, 198, 180 ; Bourelly, I, 262, note 2.

[6] Daniel, II, 187-189, 197, 218 ; Sicard, II, 67 sq ; Rousset, I, 217 ; Coll. Cange 1er portefeuille D. 2e portefeuille E.

[7] Bourelly, I, 71.

[8] Grimoard, I, 555 ; Sicard, II, 412-456 ; Rousset, I, 220-221 ; Coll. Cange, G, projet pour le rétablissement de la cavalerie en 1657 ; le roi enrégimente la cavalerie, 1638, 1647.

[9] Grimoard, I, 529, 245 ; Sicard, I, 577 ; II, 98-105, 205 ; Daniel, II, 315-318 ; 367, 384, 388, 391, 397 ; Bourelly, I, 147 ; Rousset, I, 224 ; Coll. Cange. F. mémoires concernant l'infanterie.

[10] Rousset, I, 231-257, 241 ; Sicard, III, 222-225 ; Bourelly, I, 72 ; La Barre Duparcq, Richelieu ingénieur, 39-51 ; Coll. Cange, II, Janvier 1601 charge de grand-maître de l'artillerie érigée en office de la couronne ; 23 octobre 1628, brevet d'ingénieur pour le sieur Metezeau.

[11] Rousset, I, 228-234. De nos jours, chaque arme est placée selon le terrain, l'infanterie dans les endroits difficiles, la cavalerie en plaine, l'artillerie partout où elle peut se servir de ses feux avec avantage. L'infanterie est le fond des armées ; elle a sa portion de calalerie pour s'éclairer, sa portion d'artillerie pour l'appuyer, et s'il existe une grosse réserve de cavalerie et d'artillerie, c'est dans les mains du général en chef qu'elle se trouve pour frapper les coups décisifs. Thiers, Consulat et Empire, XX, 745.

[12] Alfred Maury, l'Administration avant la Révolution, Revue des Deux Mondes, 15 octobre 1875.

[13] Sicard, I, 158.

[14] Pour les fonctions décrites ci-dessus, cf. : La Barre Duparcq, Portraits militaires, I ; Sicard, I, 206, 247, 251, 288, 310, 374, 420 ; Rousset, I, 175, 231 ; Daniel, II. 78 sq. ; Coll. Cange, Boîtes A, B, C qui renferment de nombreuses pièces manuscrites et des documents imprimés sur les charges militaires.

[15] Hanotaux, Origines, etc., livres II, III et IV.

[16] Caillet, 367, 371.

[17] Roussel, II, 169, 173, 180 ; Bourelly, II, 155-140.