L’AN MILLE

 

CHAPITRE PREMIER. — De la croyance à la fin du monde dans les mythologies orientales.

 

 

Quand l’homme a commencé à s’élever au-dessus des besoins physiques qui avaient absorbé ses premiers instincts, l’un des sentiments les plus vifs qui aient dominé en lui, a été, en tout temps, en tout lieu, le sentiment religieux. La croyance à l’intervention d’une force surnaturelle dans le développement du monde, dans la marche des choses humaines, apparaît au berceau de tous les peuples, à l’aurore de toutes les civilisations ; elle se traduit en dogmes conformes au génie de la race chez laquelle elle s’élabore, et en manifestations extérieures de sa foi conformes à son état intellectuel et moral. Un autre sentiment, non moins vif et non moins profond, se révèle dans les premiers bégaiements de l’homme, dans les premiers mots qu’il a pu balbutier, l’aspiration vers une destinée qui s’étende au delà des bornes de la vie ; avec ce sentiment se développe le désir ardent et invincible de connaître l’origine des choses et la sienne propre, la formation de ce monde sur lequel il se trouve jeté, le secret de ses révolutions et de sa durée. Que nous nous portions sur les rives du Gange ou sur celles du Nil, que nous nous élevions sur le plateau de l’Iran, ou que nous descendions dans les plaines de la Chaldée, nous trouverons dans les cosmogonies les plus anciennes la trace des efforts que l’homme a faits, dès la plus haute antiquité, pour résoudre ces grands problèmes. Nous la retrouverons également dans les conceptions philosophiques et religieuses de divers ivres et de diverses civilisations plus rapprochées de nous, et nous verrons quelle chaîne mystérieuse relie entre elles des croyances humaines qui semblent, au premier abord, d’autant plus opposées qu’elles sont l’œuvre de sectes et de philosophies bien différentes et bien éloignées les unes des autres. L’étude de la légende religieuse a fourni à la critique historique de merveilleux arguments ; les recherches ingénieuses sur les croyances de l’antiquité, sur la mythologie comparée de la race indo-européenne, ont enrichi la science moderne de conquêtes précieuses et je vais essayer de les mettre à profit, en expliquant l’origine d’une légende qui aurait fait trembler notre monde européen au dixième siècle de son existence.

Les plus antiques souvenirs de la race japhétique, ou indo-européenne, nous reportent aux environs de l’an trois mille avant l’ère chrétienne. Elle était alors concentrée tout entière sur les bords de l’Oxus (Amou-Daria) dans la Bactriane (Balkh), pays voisin du premier berceau de l’humanité après le déluge, et que l’on peut considérer comme la plus ancienne demeure historique de la race à laquelle nous appartenons. Les rameaux issus de Japhet se donnaient un nom commun : celui d’Aryas les vénérables ; ils avaient une existence distincte et parlaient des dialectes différents se rattachant à une langue commune. Ils étaient répartis en deux groupes distincts : à l’est, les Aryas proprement dits, qui peuplèrent plus tard la Médie, la Perse, l’Inde ; à l’ouest, les Yavanas ou les Jeunes, qui furent la souche des Grecs, des Romains, des Celtes et des tribus germaniques et slaves. Vers le vingt-sixième ou le vingt-cinquième siècle, Zoroastre réforma la religion des Aryas et prêcha sa réforme en Bactriane. Sa religion, appelée le mazdéisme, admet la révélation d’une loi bonne par excellence, le Zend-Avesta, l’existence de deux principes : Ormazd, principe du bien, souverain maître du monde qu’il a créé, et Ahriman, créateur du mal et de la mort, éternel dans le passé, mais destiné à succomber dans sa lutte contre Ormazd. Cette réforme ayant engendré des querelles, des luttes et même des guerres religieuses, une séparation s’opéra entre les Aryas les uns, appelés Iraniens, ancêtres des tribus de la Perse, de la Médie et de l’Ariane, adoptèrent les principes de Zoroastre et gardèrent la Bactriane, la Sogdiane et la Margiane ; les autres, demeurés fidèles à l’antique religion védique, que leurs pères avaient professée dans les campagnes de la Bactriane, se retirèrent en masse de l’autre côté de la chaîne de l’Hindou-Kousch, pénétrèrent dans la partie nord de la vallée de l’Indus, d’où leur domination finit par s’étendre sur la totalité des bassins de l’Indus et du Gange. Ils eurent aussi leur réforme religieuse : elle fut opérée par la classe des Brahmanes, qui se disaient issus des sages des anciens jours et s’étaient consacrés aux rites des sacrifices et aux invocations religieuses, et elle s’accomplit du douzième au septième siècle. Au lieu d’admettre deux principes du monde, comme le mazdéisme, le brahmanisme a pour dogme fondamental l’unité de l’être divin, confondu avec le monde qu’on disait tiré de sa substance ; et la manifestation la plus haute de cet être divin et unique fut le personnage de Brahmâ, nouveau dieu suprême, inconnu aux époques antérieures et désormais placé au sommet de l’Olympe indien. Mais le Brahmanisme ne put se débarrasser de vieux mythes, qu’il avait reçus par héritage des âges plus anciens de la race Aryenne, et il conserva des conceptions qui existaient dans la période d’unité de la race indo-européenne. L’une des plus curieuses est la croyance à la fin du monde. Devant les ressemblances frappantes signalées sur ce point par M. J. Darmesteter entre les récits mythologiques de l’Asie et ceux de l’Europe, il était difficile de croire que la même conception se fût des deux côtés développée indépendamment, et il était naturel de conclure qu’elle existait déjà dans la période d’unité. Chaque mythologie emporta avec elle, au moment de la séparation, l’idée d’une destruction et d’une renaissance, et, d’incertaine et flottante qu’elle était à l’origine, elle fut développée et fixée par le génie propre de chacun des peuples sortis du tronc primitif.

Dans le Zend-Avesta, la durée totale du monde est de douze mille ans, c’est-à-dire de douze mois chacun de mille années. La lumière triomphe dans le monde en trois circonstances : après l’orage, après la nuit, après l’hiver. Sa victoire finale est décrite dans le mazdéisme avec les traits de la lumière triomphante après l’orage et après la nuit ; dans la légende de Yima elle triomphe après l’hiver. Yima cumule deux rôles. Homme d’en haut, premier homme, il devint roi légendaire d’une royauté terrestre, éblouissante, mais fatalement bornée et au dénouement sinistre. Le lumineux Yima, aux beaux troupeaux, fut le plus resplendissant des mortels nés pour voir la lumière du ciel : tant qu’il régna, il affranchit de la mort les troupeaux et les hommes, de la sécheresse les eaux et les plantes, rendit inépuisables tous les aliments. Sous le règne du brave Yima’ il n’y eut ni froid ni chaleur,- ni vieillesse ni mort, ni passion haineuse ; père et fils marchaient dans la taille d’un jeune homme de quinze arts, tant que régnait Yima aux beaux troupeaux. Sa splendeur ne put durer : le serpent guetta l’homme d’en haut et le déchira avec la scie de l’éclair. Mais, à côté de cette royauté terrestre, il exerce une royauté céleste dans le Var de Yima, c’est-à-dire dans un quatrième ciel qui s’étend dans les lumières éternelles, et où les justes mazdéens après la mort vont boire l’ambroisie à côté d’Ahura le dieu du ciel. Dans le Var de Yima, auquel donne accès déchaînement du loup Fenrir ; dans sa trompe levée, Heimdall, le père de la race humaine, sonne avec bruit, le frêne sublime tremble ; un frémissement court dans l’arbre antique, car le géant est déchaîné. Le loup court gueule béante, d’une mâchoire touchant le ciel, de l’autre la terre ; le feu sort de ses narines et de ses yeux. La mer déborde ; le serpent du Midgard ou de l’atmosphère aborde à terre ; il vomit le poison dans l’air et dans la mer ; les fils de la région des flammes chevauchent, conduits par Sutur le noir ; devant lui, derrière lui, la flamme ardente. La mêlée s’engage ; d’une part les géants, de l’autre les dieux en armes : dieux et géants s’exterminent, et enfin Sutur lance les flammes sur la terre. Le monde entier se consume.

Dans cette scène le grand vainqueur, c’est comme dans l’han, la lumière, la flamme. La lutte a été précédée d’un épouvantable hiver, auquel on reconnaît l’hiver du mythe de Yima. Enfin le troisième dénouement possible, la fin du monde par la nuit, semble avoir laissé des traces dans le nom même que porte toute cette période finale du monde dans la légende scandinave : elle s’appelle le Ragnarôk le crépuscule des Dieux. C’est cette conception qui domine dans le tableau de la renaissance : le renouveau du monde est une aurore ; d’un bois sortent deux hommes, Lif et Lifthrasir (vie et force vitale), qui s’y étaient cachés durant l’incendie de Sutur et qui se nourrissent de la rosée du matin : le soleil a eu une fille non moins belle que lui-même et qui, après la chute des dieux, suit, lumineuse, la voie qu’avait suivie sa mère. — Le nom du soleil est féminin en germanique —. L’idée de la destruction par le feu survivra au monde oriental qui l’avait conçue : ainsi dans le Muspilli, vieux poème bavarois sur la fin  du monde, christianisé dans la forme, mais païen de fond, Élie, substitut d’Odin, lutte contre l’Antéchrist, le loup, substitut du loup Fenrir ; comme Odin il est vaincu, et, quand son sang coule à terre, les montagnes prennent feu.

La théorie de la fin du monde est décrite dans le brahmanisme avec des traits de même ordre que chez les Iraniens et les Scandinaves. Pour les Brahmanes, le monde et l’homme sont immortels, non parce qu’ils ne meurent pas, mais parce qu’ils meurent sans cesse. L’unité de vie est un mahayuga ou grande période comprenant douze mille années divines ; l’année divine a pour base une journée divine qui est formée de cent années humaines. Non seulement tous les dieux sont émanés de la substance de l’être divin unique, manifesté dans Brahmâ, mais aussi tout ce qui existe en sort par voie d’émanation, et de même que tout en est émané, tout y retournera un jour, les dieux comme le monde. Quand les périodes de la durée de l’univers seront accomplies, monde et dieux cesseront également d’exister ; le premier principe les absorbera de nouveau dans sa substance, d’où ils sont sortis ; puis quand le temps viendra du renouvellement des choses, il produira encore, par voie d’émanation, un autre monde, et d’autres dieux pour y présider. L’imagination indienne se meut avec une incroyable aisance dans un labyrinthe de chiffres pour calculer froidement les périodes infinies par lesquelles passe la transformation de l’univers. Nous nous garderons de la suivre sur ce terrain, et nous dirons seulement comment elle fait finir l’univers, sous la flamme ruisselante, dans les nuées d’orage. Les sept soleils produits par Vishnu brillent en haut, en bas, de chaque côté, et mettent en feu les trois mondes et le Pâtâla (l’enfer). Le destructeur de toutes choses, Hari, sous la forme de Rudra, qui est la flamme du temps, devient le souffle brûlant du serpent Cesha et réduit en cendres l’enfer. Le grand feu marche alors à la terre et la consume. Un vaste tourbillon de flamme ondoyante gagne la région de l’atmosphère et les sphères des dieux, et les enveloppe dans la ruine. Les trois sphères ressemblent à une poêle à frire au milieu des flammes qui les enveloppent et font leur proie de tous les êtres, mobiles et immobiles.... Alors Vishnu, dans la personne de Rudra, ayant consumé le monde entier, lance de son souffle de pesants nuages. Les samvartta, semblables par leur masse à d’immenses éléphants, s’épandent dans le ciel, mugissant et lançant l’éclair, noirs, blancs, rouges, etc. ... Puissants en masses, sonores en tonnerres, faisant tomber des torrents, ils éteignent les feux formidables qui enveloppent les trois mondes, et pleuvant sans interruption cent ans durant, inondent l’univers. Le monde est alors enveloppé de ténèbres et, toutes choses animées ou inanimées ayant péri, les nuages continuent à verser leurs flots pendant plus de cent années. Quand l’univers n’est plus qu’un océan, ils s’arrêtent. Le souffle de Vishnu devient un vent puissant, qui souffle plus de cent ans jusqu’à ce que les nuages soient dispersés. Le vent est alors réabsorbé et celui dont toutes choses sont faites, le Seigneur par qui toutes closes existent, repose, dormant sur le serpent Cesha, au sein de l’abîme.

Il dort sur l’Océan, le Créateur, enveloppé dans le mystique sommeil. Quand l’esprit universel s’éveille, le monde revit ; quand il ferme les yeux, toutes choses retombent sur la couche du sommeil mystique. S’éveillant à la fin de la nuit, Vishnu, le non-né, sous forme de Brahmâ, crée à nouveau le monde.

Nous retrouvons la lutte d’un bon et d’un mauvais principe, le dualisme de Zoroastre, dans la théogonie des Étrusques. Doués d’un esprit contemplatif et de la gravité de caractère qui en est le résultat, ils ont eu la conscience des courtes destinées de l’homme et savaient que les empires meurent comme lui. Ils avaient partagé le temps en âges ou siècles de la manière suivante : remontant au jour assigné comme celui de la fondation de l’état, ils avaient cherché, parmi ceux qui étaient nés ce jour-là, quel était celui qui avait survécu à tous ses contemporains. Le jour de sa mort avait marqué la fin du premier siècle. Ils avaient de même cherché toutes les personnes nées au début du second siècle, et la mort du dernier survivant en avait marqué la fin. Les âges suivants avaient été calculés de la même manière. Les dieux, de leur côté, se chargeaient de les aider dans ces calculs compliqués, en marquant ordinairement la fin d’un siècle par des prodiges. Les augures reconnaissaient ces avertissements du ciel, les consignaient avec exactitude et en instruisaient le peuple. Les aruspices allaient plus loin : ils avaient lu dans l’avenir le nombre total d’âges ou siècles dont la vie du peuple étrusque devait être composée, et ils avaient annoncé que 1’Étrurie devait périr après dix siècles d’existence. Ces prédictions frappaient tellement les Étrusques qu’ils étaient sans confiance dans l’avenir, voyaient de tous côtés de funestes présages et cherchaient à les détourner par des sacrifices. Les phénomènes qui viennent troubler la marche des saisons ou le cours ordinaire de la nature, orages, météores, tremblements de terre, bruits souterrains, naissance d’êtres monstrueux ou difformes, annonçaient la colère des dieux, et il fallait à tout prix les apaiser, même par les plus terribles expiations, par des sacrifices sanglants. Le principe du mal semblait avoir plis la première place dans leur religion : les dieux régnaient par la crainte, et plus ils se montraient redoutables, plus les Étrusques redoublaient leurs hommages et leurs adorations, toujours prêts à lutter contre le sort qui avait mesuré leur vie.

Calme sous le joug et tristement résigné à un sort depuis longtemps prédit, ce peuple n’essaya pas de lutter contre son destin. Il s’étourdit par le luxe et l’amour des arts, sur la perte de sa liberté, et, gardant jusqu’au milieu de ses plaisirs sensuels l’idée toujours présente de la mort, il continua de décorer ses nécropoles de peintures et d’y enfouir des milliers d’objets dont le travail et la matière annoncent une extrême opulence.

D’autres peuples que ceux de la race indo-européenne ont également assuré une limite à la durée de notre planète et cru à la fin du monde. Les Égyptiens fixaient cette grande époque après trente-six mille cinq cents années révolues. L’historien Flavius Josèphe assure qu’Adam ayant prédit que le monde périrait deux fois, l’une par l’eau et l’autre par le feu, les enfants de Seth voulurent avertir les hommes de ce désastre. Ils tirent graver des observations astronomiques sur deux colonnes, l’une de briques, pour résister au feu qui devait consumer le monde, et l’autre de pierre, pour résister à l’eau qui devait le noyer. Josèphe ajoute que la colonne de pierre se voyait encore de son temps en Syrie. Une tradition des anciens Hébreux complétait cette légende en fixant la durée du monde à six mille ans.

Parmi les Arabes, il y a eu des philosophes qui ont pensé que le monde est éternel. Citons entre autres Averroès, Avicenne, Alfarabius, qui ont fait profession de suivre les doctrines d’Aristote. Hafedh, philosophe et théologien mystique, dit à propos de l’éternité du monde : Parlons de nous réjouir et n’entrons point dans ce mystère, car nul homme n’a pu jusqu’à présent déchiffrer par sa philosophie cette énigme. Thabari, dans son histoire universelle, rapporte, sur la durée du monde, la tradition suivante que Manbah dit avoir reçue de Mahomet : Dieu a bâti dès le commencement du inonde une ville qui a douze mille parasanges de tour, dans laquelle il y a douze mille portiques, sous lesquels sont autant de magasins pleins. de graine de moutarde destinés pour la nourriture d’un seul oiseau, lequel n’en doit prendre chaque jour qu’un seul grain ; et lorsque toute cette graine sera consommée, le monde finira par la résurrection générale ; mais ce temps-là est connu de Dieu seul, et si quelqu’un d’entre les hommes le pouvait connaître, ce serait son prophète. L’ignorance du prophète sur ce point délicat n’a point déconcerté ses disciples, et leur imagination inventa les signes auxquels on reconnaîtrait la fin du temps. Le principal est l’apparition du mahadi. Dans son acception générale ce terme signifie directeur et pontife, et il désigne en’ particulier le douzième et dernier imam de la race d’Ali, dont la découverte doit coïncider avec les derniers jours du monde. Il est né l’an 255 de l’hégire, et il a été enfermé à l’âge de neuf ans dans une cave ou citerne par sa mère, qui le garde soigneusement jusqu’à ce qu’il doive paraître à la fin du monde. Voilà ce que les Persans disent de lui ; ils sont assurés que cet imam doit se joindre à Jésus-Christ pour combattre l’Antéchrist, et ne faire des deux lois, chrétienne et musulmane, qu’une seule loi. Il y a des croyants qui disent aussi qu’il a été caché deux fois : la première, depuis sa naissance jusqu’à l’âge de soixante-quatorze ans, époque pendant laquelle il conversa secrètement avec ses disciples sans se faire connaître à d’autres hommes, parce que la plupart des imams, ses ancêtres, avaient été empoisonnés par les Kalifes, qui savaient leurs prétentions et qui appréhendaient la révolte des peuples en leur faveur. La seconde retraite de cet imam date du temps où sa mort fut divulguée, et elle durera jusqu’au jour fixé par la Providence pour sa manifestation. Abulcassen Mohammed ben Abdallah, chef et fondateur de la dynastie des Fatimites, en Afrique, a prétendu qu’il était cet imam et que le temps de sa découverte était arrivé. Les Abbassides l’ont rejeté comme un usurpateur qui n’appartenait pas à la famille de Mahomet, ce qui n’a pas empêché qu’il eût de fervents sectateurs. Ceux-ci ont reconnu sa mission à ce signe indiqué par Mahomet, qu’au bout de trois cents ans le soleil se lèverait du côté du couchant. En effet cet homme commença à paraître dans l’occident, l’an deux cent quatre-vingt-seize de l’hégire, et se rendit maître d’une grande partie de l’Afrique, que les Arabes appellent magreb, c’est-à-dire occident. L’an 300 de l’hégire, il envoya trois armées en Égypte pour la conquérir, mais le kalife de Bagdad défit trois fois ses troupes. Loin de se rebuter de ces insuccès, il alla mettre le siège devant Alexandrie et l’emporta de vive force. Il se contenta de cet avantage et, sans pousser plus loin sa victoire, il fit bâtir auprès de Kairoan une nouvelle ville qu’il nomma de son nom Mahadi, et où il établit le siège de son empire. Située dans une presqu’île, elle était revêtue d’une très forte muraille avec un château, ou palais impérial, accompagné de plusieurs bâtiments magnifiques qui furent construits avec une dépense excessive. Tout cela se passait vers l’an mille de l’ère chrétienne, c’est-à-dire à une époque où, sur un autre point du globe, quelques esprits faibles avaient attendu avec une vague inquiétude la dernière heure du dixième siècle. Les chrétiens aujourd’hui ne songent plus guère au dernier jour de l’humanité ; mais les musulmans n’ont pas perdit les illusions de leur jeunesse, et en ce moment un nouveau Mahadi a paru sur la terre d’Égypte, qu’un faux Mahadi avait déjà conquise au dixième siècle. Comme lui, il traîne à sa suite une foule de sectaires et il ne rêve pas moins que de s’établir à Mahadi ou bien à Alexandrie. Souhaitons pour la civilisation que la crainte chimérique d’une prochaine destruction de l’humanité ne force pas les myriades d’ignorants qui foisonnent dans le Soudan, à mener en triomphe un nouvel et habile imposteur des rives du haut Nil aux rivages de la Méditerranée !