HISTOIRE DE LOUVOIS

TOME SECOND

 

CHAPITRE DOUZIÈME.

 

 

Articles pour la Gazette. — Les meubles d'orfèvrerie portés à la Monnaie. — Note de Louvois sur l'argenterie des églises. — Contributions et levées. — Lauzun général de Jacques II. — Le maréchal de Luxembourg rappelé au service. — Distribution des armées pour la campagne de 1690. — Guerre défensive. — Mort du duc de Lorraine. — Dispositions des alliés. — Le maréchal de Lorge, Monseigneur et Chamlay. — Inaction de l'armée d'Allemagne. — Libelles composés par Chamlay. — Conduite habile du maréchal de Luxembourg. — Dépêche de Louvois au maréchal, du 19 juin. — Passage de la Sambre. — Marche du prince de Waldeck. — Combat de cavalerie. — Bataille de Fleurus. — Manœuvre hardie du maréchal de Luxembourg. — Longue résistance de l'infanterie ennemie. — Résultats de la bataille de Fleurus. — Appréhension de Louis XIV pour Monseigneur. — Victoire navale de Tourville. — Guillaume III en Irlande. — Bataille de la Boyne. — Mort de M. de Schönberg. — Fuite de Jacques II. — Fausse nouvelle de la mort de Guillaume III. — Réjouissances à Paris et dans d'autres villes. — Siège de Limerick. — Belle défense de M. de Boisseleau. — Déplorable conduite de Lauzun. — Son retour en France. — État des affaires en Irlande. — Fin de la campagne dans les Pays-Bas. — Échange de politesses entre le maréchal de Luxembourg et l'Électeur de Brandebourg. — L'armée d'Allemagne passe le Rhin. — Hésitation du maréchal de Lorge et de l'Électeur de Bavière. — Séparation des armées. — Résultats de la campagne de 1690. — Mort de Seignelay. — Pontchartrain, déjà contrôleur général, est nommé secrétaire d'État de la marine.

 

Quand la Gazette de France donnait au public le compliment du président de La Tour au prince d'Orange, et, quelques jours après, un commentaire sur ce compliment, daté de Londres, le public ne s'étonnait pas ; il y avait longtemps déjà qu'il était habitué à trouver dans la Gazette beaucoup de ces informations ; mais ce que le public ignorait sans doute, c'est que, datées de l'étranger pour la plupart, elles lui venaient toutes en droite ligne du cabinet de Louvois. Agir sur l'opinion et s'efforcer de la gagner à soi, en France, et même au dehors, c'était un conseil que Vauban et Chamlay n'avaient jamais cessé de donner à Louvois, que Louvois avait d'abord négligé dans la bonne fortune, mais qu'enfin la nécessité des temps lui avait persuadé de suivre. La campagne de 1689 avait été décisive en ce sens ; c'est à dater de cette campagne malheureuse qu'on trouve dans les papiers de Louvois un grand nombre de ces articles pour la Gazette, inspirés, revus et souvent corrigés par lui-même.

La plupart ont pour objet de révéler au public les dissensions intestines de la coalition, depuis les jalousies des chefs entre eux, et surtout des princes allemands contre le grand essor de l'Empereur, jusqu'aux violences dont s'émeuvent les peuples contraints d'héberger, pendant le quartier d'hiver, des soldats étrangers, pillards, licencieux et cruels. De La Haye, on se plaint de l'arrogance du prince de Waldeck vis-à-vis des États-Généraux ; ou bien c'est la province de Hollande qui réclame, depuis plus d'un an et sans succès, les six cent mille livres sterling qu'elle a prêtées au prince d'Orange pendant l'automne de 1688. De toutes ces informations censées hollandaises, celle qui suit n'est sans doute pas la moins piquante : L'empereur de Maroc témoigne la joie qu'il a eue en apprenant que le prince d'Orange, le plus accompli de tous les Flamands, est devenu maître de la Grande-Bretagne[1].

Ce n'était pas au public seulement que Louvois s'adressait par des voies détournées ; c'était au roi lui-même, lorsqu'il avait à lui faire parvenir des avis qu'il ne se croyait pas en état de lui donner en personne et face à face.

Au mois de décembre 1689, parmi les mesures prises à l'instigation du nouveau contrôleur général, M. de Pontchartrain, afin de retenir et d'augmenter le numéraire qui avait diminué sensiblement en France, un édit avait ordonné aux particuliers d'envoyer à la Monnaie tous ces beaux ouvrages d'orfèvrerie qui faisaient la splendeur des grandes maisons du dix-septième siècle. Louis XIV avait commencé le sacrifice ; princes, princesses, ministres, grands seigneurs et grandes dames suivirent, désespérés de jeter dans la fournaise ces nobles monuments de leur magnificence et surtout de leur goût. Que dites-vous de l'exemple que donne le roi de faire fondre toutes ses belles argenteries ? écrivait madame de Sévigné[2]. Notre duchesse du Lude est au désespoir ; elle a envoyé la sienne ; madame de Chaulnes, sa table et ses guéridons ; et madame de Lavardin, sa vaisselle d'argent, qui vient de Rome. Que dites-vous de tous ces beaux meubles qui vont, après ceux de Sa Majesté, à l'hôtel des Monnoies ? Les appartements du roi ont jeté six millions dans le commerce ; tout ensemble ira fort loin. Madame de Sévigné se trompait, en compagnie de Louis XIV ; au lieu de six millions, la Monnaie en rendit la moitié à peine[3] ; qu'était devenir le reste ? Une fumée, une vapeur, un souvenir, un regret. Les trois millions perdus, c'était cette valeur appréciable que le travail de l'homme ajoute à la matière ; mais qui pourrait, qui oserait évaluer ce je ne sais quoi d'exquis, de délicat et d'idéal, cette fleur d'imagination et de sentiment qui est l'art même ? Il y avait, dans ces orfèvreries de Versailles, des chefs-d'œuvre que Louvois, surintendant des beaux-arts, aurait dû défendre ; il n'y songea même pas ; bien au contraire.

L'édit royal avait épargné les trésors des églises ; Louvois fit un mémoire pour les atteindre, et il appuya son dire de cet argument admirable, que l'on éviterait, par ce moyen, plusieurs sacrilèges qui arrivent souvent dans les églises, par l'espérance qu'ont les voleurs qui y entrent d'y pouvoir trouver l'argenterie. Cependant, avant de faire parvenir indirectement au roi ce mémoire, il eut soin de donner au copiste cette recommandation qui est sur la minute originale : Mettre cela au net, de manière que cela ne paroisse pas venir de chez moi[4]. Louis XIV trouva l'avis bon, excellent, profitable ; et dès lors Louvois, couvert par l'approbation royale, expédia, de concert avec l'archevêque de Reims, son frère, une circulaire aux évêques pour les inviter à faire convertir en espèces l'argenterie superflue des églises[5]. Ce n'est pas à dire que l'archevêque de Reims soit entré avec beaucoup d'ardeur dans le projet du ministre ; car, plus de cieux mois après, Louvois se croyait obligé d'écrire à son frère, pour stimuler son zèle[6] : Je vous prie de me faire part du règlement que vous avez fait pour votre argenterie. M. de Metz a fait des merveilles, en ayant envoyé de la seule ville de Metz dix-sept cent quarante-neuf marcs. Argenterie sacrée, argenterie profane, la recherche qu'on en faisait se réduisait à bien des tracas, sans beaucoup de profit.

Le plus sûr moyen d'augmenter le numéraire en France, c'était encore de l'aller chercher de l'autre côté des frontières, sous forme de contributions. Louvois n'y manquait pas ; mais là aussi les ressources devenaient chaque jour moins abondantes, les rentrées plus difficiles et les frais de poursuite plus considérables ; il fallait multiplier les moyens de contrainte. Le gouverneur de Maubeuge avait pris des otages dans le Hainaut espagnol, jusqu'à ce que les obligations ou lettres de change souscrites par les bourgs et villages fussent acquittées ; ces otages demandaient qu'on leur permît de se faire relever par des gens de bonne volonté qui viendraient à leur place ; c'était à quoi Louvois refusait de consentir ; mais, pour les désennuyer, disait-il[7], Sa Majesté trouvera bon que vous en envoyiez encore enlever d'autres pour leur faire compagnie.

Il y a des esprits mal faits qui ne souffrent pas qu'on tourne en plaisanterie les affaires sérieuses. Les Allemands, parait-il, n'étaient pas, à cet égard, d'aussi bonne composition que les gens de Hainaut et de Flandre ; point de quartier pour les coureurs de partis, pour les brûleurs de maisons ; plus de souci des conventions militaires, ni des cartels d'échange ; à défaut des vrais coupables, la loi du talion prenait des victimes parmi les prisonniers de guerre ! Et quels supplices[8] ! Louvois s'indignait de cette barbarie, sincèrement, naïvement en quelque sorte, et sans se douter qu'il l'eût provoquée lui-même.

C'était pareille inconséquence lorsque, voulant des armées de plus en plus fortes, il s'indignait des violences commises par les recruteurs pour fournir aux levées excessives qu'il avait commandées[9]. Contributions violentes, levées violentes, les unes aidaient aux autres ; l'argent, bon gré, mal gré, faisait des soldats. Sans compter les garnisons et les milices, Louis XIV, en 1690, pouvait mettre en campagne cent quarante bataillons de huit cents hommes[10], et trois cent trente escadrons de cent soixante chevaux.

Une dizaine de bataillons furent d'abord distraits pour être envoyés en Irlande ; c'était le secours que Louvois avait promis, l'année précédente, de faire passer à Jacques II pendant l'hiver. Louvois sentait à merveille combien il importait d'entretenir cette guerre d'Irlande ; encore fallait-il que Jacques II ne fit pas cependant les affaires de Guillaume III. Il les faisait malheureusement, en menant les siennes au rebours de toute raison, avec ce mélange de confiance, d'ignorance et de sottise que la correspondance de M. d'Avaux a déjà fait connaître ; il n'y a plus rien de neuf à dire sur un sujet aussi désagréable. Je ne rends point compte à Votre Majesté de ce que contiennent les lettres d'Irlande, parce que je suis persuadé qu'il suffira qu'elle en entende la lecture à son retour à Versailles, écrivait Louvois à Louis XIV, le 6 avril 1690[11] ; tout ce que je puis dire par avance à Votre Majesté, c'est que, si Dieu ne fait un miracle en faveur du roi d'Angleterre, je crains bien que le prince d'Orange ne fasse la conquête de l'Irlande avec beaucoup plus de facilité qu'il ne se l'imagine.

Louis XIV méritait bien lui-même d'être compté parmi ceux qui faisaient les affaires de Guillaume III. Envoyer en Irlande sept ou huit mille hommes de bonnes troupes[12], et leur donner pour général un fou, un bouffon de cour, sans talent, sans cœur et sans vergogne, un Lauzun, quelle pitié ! Voilà ce que Louis XIV avait fait pour complaire à Jacques II, à la reine d'Angleterre, à madame de Maintenon peut-être, et certainement pour déplaire à Louvois. La glorieuse façon de montrer qu'il était le maitre ! Parmi les allusions qu'on s'obstinait à chercher dans Esther, le sage Mardochée demeurait sans application ; voici Lauzun qui passe d'emblée général, ambassadeur, homme d'État, successeur à la fois de M. de Rosen et du comte d'Avaux, et c'est Louvois qui est forcé de contre-signer ses pouvoirs et de fournir à son triomphe ; Lauzun ne serait-il point un Mardochée à souhait ?

L'escadre qui portait Lauzun, sa fortune et ses troupes, quitta, le 17 mars 1690, la rade de Brest, et mouilla, le 22, devant Cork ; cinq semaines plus tard, elle rentrait à Brest, ramenant le comte d'Avaux, M. de Rosen, et cinq mille huit cents Irlandais appelés à l'honneur de servir dans les armées de Louis XIV[13].

Tandis que Lauzun s'en allait à Dublin faire le général en chef, les grands commandements étaient distribués en France. Deux réputations, qui n'avaient jamais été bien solides, étaient tombées en ruine pendant la campagne de 1689 ; fallait-il s'étonner, après Valcourt, après Mayence, qu'on mit à l'écart les maréchaux de Duras et d'Humières ? Celui-ci, d'ailleurs, n'était pas tout à fait sacrifié. Une dépêche du 3 avril lui apprit tout à la fois qu'il était fait duc et qu'il perdait le commandement de la grande armée des Pays-Bas ; mais il conservait, outre la grand'maitrise de l'artillerie, son gouvernement de Flandre, avec la chance d'avoir, de temps à autre, quelque corps de troupes à ses ordres.

Ce jeu de va-et-vient, qui fait la fortune des uns en défaisant celle des autres, tira de la demi-faveur où il s'était déjà relevé, le maréchal de Luxembourg, et le mit à la place du maréchal d'Humières, abaissé dans une demi-disgrâce. Pour le bien de Louis XIV et de la France, Luxembourg et Louvois s'étaient réconciliés ; ils avaient même renoué, comme s'il n'y avait jamais eu rupture, leur familiarité d'autrefois, un commerce qui jouait l'intimité à s'y méprendre.

Sur le Rhin, le maréchal de Lorge, qui avait eu, dès le mois de septembre précédent, un avancement d'hoirie, recueillait décidément la succession du maréchal de Duras, à titre onéreux, il est vrai, et sauf les honneurs du commandement, réservés à l'héritier de la couronne. A ceux qui l'accusaient de tenir en brassière un fils de vingt-neuf ans, et à ceux qui lui faisaient peur de ce fils, Louis XIV avait voulu répondre à la fois en donnant au Dauphin le commandement de son armée d'Allemagne. C'était donc une démonstration politique ; était-ce aussi bien une démonstration militaire ?

Comparée à la campagne de 1689, la campagne de 1690 devait-elle avoir un caractère plus décidé ? L'une et l'autre appartenaient au même plan général, qui était naturellement et nécessairement défensif. Cette lutte que Louis XIV soutenait seul contre l'Europe ameutée, c'était une guerre de conservation, et non plus de conquête, la défense d'une grande place investie et menacée d'assaut sur tous les points par un ennemi très-supérieur en nombre. La garnison devait être toujours prête, active et vigilante ; mais il importait que ses forces restreintes ne fussent pas prodiguées à l'aventure.

Il est vrai qu'attaquer à propos est souvent le plus sûr moyen de se défendre ; mais cet à-propos, il n'y a qu'un souverain, chef d'armée, responsable à lui-même et à lui seul, qui ait le droit et la liberté de le saisir. Louis XIV, point du tout général, ne pouvait pas avoir cette audace ; encore moins pouvait-il permettre à quelqu'un de l'avoir pour lui. Son principe était donc de tenir les généraux de court ; et s'ils obtenaient une fois l'autorisation de livrer bataille, ce n'était qu'il la dernière extrémité, le plus souvent quand l'à-propos n'y était déjà plus.. Combien y a-t-il eu de victoires vraiment décisives pendant tout ce long règne de Louis XIV ?

Louvois n'aimait pas beaucoup plus les coups de fortune. Les chances d'une bataille gagnée, disait-il, ne valent jamais les chances d'une bataille perdue ; c'est la comparaison des armées françaises et des étrangères, à la fin d'une campagne, qui donne les vrais résultats de cette campagne. Quand Louvois avait mis entre les mains d'un général des contrôles sérieux, avec des munitions et des vivres assurés dans des magasins bien pourvus, à ne lui demandait que de tenir ses troupes clans une discipline exacte, de s'établir sur le pays ennemi afin d'épargner d'autant la dépense, de couvrir les places et les terres du roi, et de barrer seulement le passage aux armées étrangères, lesquelles, sans discipline et sans approvisionnements réguliers, devaient infailliblement dépérir. Il y avait du bon dans cette doctrine, qui était aussi celle de Chamlay et des administrateurs en général ; elle avait seulement le défaut de réduire la guerre à une lutte d'administration ; cependant le canon, le sabre et la baïonnette y sont bien aussi pour quelque chose. Louvois, malgré sa fougue, était donc un temporiseur ; c'est de ce contraste entre son caractère bien connu et sa théorie mal comprise que sont issues contre lui ces accusations de guerres éternisées pour le seul profit de son monstrueux égoïsme. On peut s'assurer qu'il ne méritait pas cette injure.

Défensive comme la précédente, la campagne de 1690 fut réglée d'abord sur les mêmes plans : dans les Pays-Bas et sur le Rhin, deux grandes armées, de force à peu près égale, trente-six bataillons et cent escadrons pour chacune en moyenne ; entre les deux, et pouvant joindre l'une ou l'autre, une armée de la Moselle, assez forte d'ailleurs pour agir seule, puisqu'elle comptait vingt-quatre bataillons et soixante-quatre escadrons ; le marquis de Boufflers la commandait. Tous ces corps n'étant point empêchés de bagages, parce qu'ils avaient derrière eux nombre de places, d'arsenaux et de magasins, avaient une liberté de mouvement qui rachetait amplement la supériorité du nombre dont se targuait la coalition. Si les nécessités de la guerre appelaient sur la Meuse le maréchal de Luxembourg, il devait, en attirant à lui l'armée de la Moselle, laisser au maréchal d'Humières une partie de ses propres troupes, afin de couvrir la Flandre. Du côté des Alpes, le corps de Catinat ne comptait d'abord que treize bataillons et quarante escadrons ; on a déjà vu les peines et la gloire de ce général et de sa petite armée. Enfin, le duc de Noailles devait faire vivre en Catalogne douze bataillons et vingt-quatre escadrons[14]. Quelques réserves de troupes régulières, des milices et des groupes d'arrière-ban surveillaient le littoral ou campaient militairement au milieu des nouveaux convertis.

Ces dispositions étaient déjà faites, que les alliés n'étaient pas encore convenus des leurs. Dans ses articles pour la Gazette, Louvois n'avait pas besoin d'inventer ni d'exagérer même, quand il révélait au public les démêlés de la coalition ; c'était la confusion des langues, des intérêts et des passions de toutes les races de l'Europe. Le grand chef politique de la ligue, le roi Guillaume, lui manquait pour quelque temps encore, et son principal chef militaire, le duc de Lorraine, venait de lui être enlevé pour toujours. Il était mort presque subitement le 27 avril. C'est la plus grande perte que pussent faire les ennemis du roi, écrivait Louvois à l'archevêque de Reims[15], et ils s'en apercevront avant qu'il soit deux mois, étant impossible qu'un autre que lui puisse concilier les esprits des alliés de l'Empereur, qui se mangent les yeux devant que la moitié de la campagne soit passée.

D'abord l'Empereur avait à compter avec ses alliés ; comme il était parvenu à faire élire, au mois de janvier, son fils aîné roi des Romains, les Électeurs entendaient bien se payer de leur complaisance en appliquant au bien de leurs propres affaires le service des troupes impériales ; mais ils furent en cela déçus eux-mêmes, parce que les Turcs, détruits par le prince de Bade l'année précédente, ne laissaient pas de rentrer en guerre avec d'assez beaux restes pour obliger le prince à retenir ou à rappeler sur le Danube les troupes de l'Empereur. Après bien des contestations, il fut décidé que l'Électeur de Bavière aurait le commandement en chef de l'armée du Rhin et que l'Électeur de Saxe lui servirait de second. Quant à l'Électeur de Brandebourg, le plus indépendant de tous les princes, il se réservait de guerroyer tout seul, à son heure et à sa guise, soit sur la Moselle, soit sur la Meuse, soit même dans les Pays-Bas, où le prince de Waldeck et le marquis de Castanaga se dépitaient d'attendre le bon plaisir de Son Altesse Électorale. Enfin, il ne faut pas oublier le petit duc de Savoie, qui se jouait des alliés comme du roi de France, et qui ne s'inquiétait pas de déranger les plans de la coalition pour les refaire à son plus grand avantage, en forçant son cousin de Bavière, l'Empereur et les Espagnols de se dégarnir, afin de lui envoyer des renforts.

Il y eut vraiment, pendant ces longs préliminaires, toute une saison propice dont Louis XIV et Louvois, moins retenus et moins circonspects, auraient pu profiler pour atteindre et ruiner en détail leurs adversaires épars et sans entente. Mais ils avaient réglé tout autrement leur attitude, qui était d'attendre et de voir venir. Pour donner des batailles et aller chercher l'ennemi partout, écrivait Louvois au maréchal de Lorge[16], je crois que vous comprenez bien que cela ne convient pas dans l'état présent des choses. La guerre défensive avait cet attrait pour Louvois que, de son cabinet et sur ses cartes, il se flattait de pouvoir la diriger aussi aisément que s'il eût été sur les lieux mêmes ; il n'y voyait pas beaucoup d'inconvénients dont les généraux se préoccupaient au contraire, sans compter le déplaisir qu'ils éprouvaient justement d'être ainsi tenus en tutelle.

Sec et roide, le maréchal de Lorge ne s'accommodait pas aussi facilement que d'autres d'une situation qui n'était pas nette. Quels étaient ses droits et ses pouvoirs ? Telle était la question qu'il posait à Louvois. Je vous supplie, disait-il[17], lorsque vous m'enverrez des ordres de Sa Majesté, de me les vouloir envoyer bien positifs, afin que je n'y changé rien du tout et que je n'aie point le choix de ne les suivre pas, puisque, aussitôt que je choisis un parti que vous me laissez libre de prendre, je vois, par plusieurs de vos lettres, que Sa Majesté est surprise de tout ce que je fais, bien que je n'aie d'autre intention que de faire le mieux qu'il m'est possible tout ce qui me paroît être nécessaire pour le bien de son service. Ainsi, ayez la bonté, s'il vous plaît, lorsque Sa Majesté ne voudra pas que j'en use de même, de me le mander tout naturellement, afin que je n'y contrevienne en aucune manière, puisqu'en me laissant une liberté apparente, vous y trouvez à redire lorsque je m'en sers.

Conseiller n'est pas enjoindre, répliquait Louvois, vous êtes effectivement libre, partant responsable et sujet à la critique : Quant à ce que vous témoignez désirer que le roi vous envoie des ordres positifs auxquels vous n'ayez pas la liberté de rien changer, je vous ai déjà répondu que cela ne convient point à son service, et que, bien loin de vous en donner de pareils, Sa Majesté ne veut que vous proposer ses pensées, qu'elle vous permettra toujours de suivre ou non, suivant que les démarches des ennemis vous le feront juger à propos ; mais quand vous ne les exécuterez pas, elle s'attend que vous lui en rendrez compte en même temps, et que vous ne lui en laisserez point ignorer les raisons[18]. C'était, si l'on veut bien y prendre garde, une vieille querelle, renouvelée des altercations de Turenne et de Louvois ; malheureusement M. de Lorge, qui était le neveu de Turenne, n'apportait pas, à l'appui de la même cause, les arguments d'un génie pareil.

Ces débats avaient précédé l'arrivée du Dauphin ; quand il eut pris le commandement nominal, dans les, premiers jours de juin, ce fut bien une autre affaire. Monseigneur était venu, assisté de deux et même de trois conseillers intimes, Chamlay, Saint-Pouenges et Béringhen, premier écuyer du roi. Celui-ci, familier de Louvois comme les deux autres, n'avait pas cependant la même autorité ; il n'avait qu'un service extérieur et de parade, tandis que Chamlay et Saint-Pouenges tenaient conseil tous les jours avec Monseigneur et le maréchal. Le commandement de l'armée d'Allemagne était donc exercé par une sorte de directoire où l'élément administratif avait plus de part que le militaire. Cependant, si Monseigneur, qui voulait ou qui était censé vouloir se former dans l'art de la guerre, avait soutenu le maréchal, son instituteur naturel, il aurait fait triompher ses avis.

La vérité est qu'il ne s'en souciait pas du tout, que le conseil l'ennuyait fort, et qu'en fait de stratégie, il ne s'entendait bien qu'à monter à cheval. C'était son unique talent ; mais il en abusait, au dire de Chamlay, dont le témoignage est précieux. Monseigneur, écrivait à Louvois ce mentor sévère[19], Monseigneur se promène trop longtemps, trop régulièrement, et avec trop d'affectation. Ces sortes de promenades affectées et de commande, et ces visites continuelles et journalières de gardes et de vedettes ne me paroissent pas convenir à la dignité de Monseigneur. Il seroit bon que le roi lui en écrivît un mot. Il faut que, lorsque Monseigneur s'ennuie et ne fait rien, le public croie qu'il est occupé et qu'il travaille, et qu'en un mot Monseigneur ne fasse pas son capital de la promenade et croie avoir rempli tous ses devoirs de général quand il s'est promené. Il seroit bon aussi que Monseigneur n'allât pas au grand amble comme il va ; ce train fatigue trop les troupes. J'ai pensé prendre la liberté de lui dire, mais il vaut mieux que le roi le fasse. Ah ! que nous voici loin de ce Monseigneur du siège de Philisbourg, loué par Vauban et qui donnait tant d'espérances !

Dangeau était de ceux qui l'accompagnaient en 1690. En consultant le journal de ce scribe exact, où se trouvent notées toutes les cavalcades de Monseigneur, on peut s'assurer que les remontrances de Chamlay ne servirent de rien. Monseigneur continua de se promener comme devant, et d'assister muet, impassible, étranger d'esprit, aux discussions de son conseil[20].

Fatigué de ces discussions interminables et sans effet, étonné de l'indifférence du Dauphin, Louvois aurait voulu qu'il prît parti. Un éclat lui semblait préférable à cette neutralité morne entre deux influences qui se tenaient mutuellement en échec. Aux demi-confidences que lui faisait, avec la discrétion d'un courtisan, M. de Béringhen, Louvois répondait en réclamant plus de lumière[21] : Après avoir fait réflexion sur ce que vous me mandez des apparences d'orage que vous commencez à apercevoir, je n'ai rien trouvé qui pût mieux convenir, si ce n'est que Monseigneur ne reçût pas bien les avis de M. de Lorge, et que ce dernier fût capable d'en avoir du dépit, ou bien que M. le maréchal de Lorge ne reçût pas bien les avis de Chamlay, et que ce dernier s'en fâchât outre mesure. Expliquez-vous, je vous supplie, clairement, et jamais plus ne m'écrivez à demi.

Cependant, que faisait l'armée, dont les chefs étaient si peu d'accord ? Naturellement rien. A l'exception d'un corps qui était détaché en Alsace, sous les ordres du marquis d'Huxelles, toutes les troupes étaient campées dans le Palatinat cisrhénan. Du 8 juin au 12 juillet, Monseigneur eut son quartier général à Wachenheim, près de Neustadt. Louvois avait pris des soins tout particuliers pour que celte armée ne manquât de rien ; il avait passé un marché avec des entrepreneurs qui devaient fournir de la viande aux soldats seuls, à l'exclusion des officiers et des généraux, lesquels avaient à se pourvoir ailleurs ; et de cette exclusion, Louvois donnait à Saint-Pouenges les meilleures raisons du monde : C'est que, disait-il, si on permettoit aux entrepreneurs de faire ce commerce, toute la bonne viande seroit employée à ce débit, et par conséquent celle que l'on donneroit aux soldats seroit beaucoup moindre[22]. Saint-Pouenges, Béringhen et l'intendant Delafond se firent même rappeler à l'ordre, parce qu'ils s'étaient crus, mal à propos, en dehors de l'exception[23].

On sait que Louvois n'épargnait personne, amis ou enfants, quand il les trouvait en faute. Il me paroit, par ce que l'on me mande de l'armée où vous êtes, écrivait-il à Souvré[24], son second fils, que tout le monde se plaint de votre incivilité et de votre peu de politesse ; si cela continue, nous ne serons pas longtemps bons amis ensemble. Souvré avait d'autant plus tort d'être impoli que toute l'armée lui avait fait de grands compliments pour une petite blessure, suite d'un coup de feu tiré par quelque schnapan, un jour de fourrage[25].

Ces schnapans étaient toujours extrêmement dangereux et cruels ; ils ne faisaient pas de prisonniers pour les mettre à rançon ; ils les tuaient ; on trouva pendus, sur le chemin de Landau, un officier et trois mousquetaires du roi qui s'étaient laissé prendre. Il faut enchérir en inhumanité sur les Allemands, s'ils ne prennent pas le parti de faire une guerre honnête, s'écriait Louvois[26]. Comme c'étaient les incendies qui servaient de prétexte à ces horribles représailles, l'ordre fut donné de ne plus brûler ; mais de saper ; car on ne cessa pas de ruiner ce malheureux Palatinat ; le fer remplaça le feu : c'était un procédé qui causait moins de scandale et qui demandait un peu plus de temps ; voilà toute la différence. Ce que les habitants de Worms et d'Oppenheim avaient essayé de relever pendant l'hiver tomba de nouveau ; on aviva les blessures des grosses murailles qui résistaient encore[27].

C'était, pour les troupes elles-mêmes, une triste et mauvaise besogne ; l'armée s'ennuyait et cherchait des distractions aux dépens de la discipline. Chamlay se crut obligé d'en écrire à Louvois : En général, il règne un esprit de dérèglement que l'on pourroit même qualifier de sédition, auquel il est absolument nécessaire de remédier[28]. Le remède, c'était la vraie guerre, la marche au delà du Rhin, la recherche de l'ennemi, la bataille, toutes choses contraires aux plans réglés à Versailles. D'ailleurs, où était l'ennemi ? Sauf les schnapans et quelques partis de la garnison de Mayence, on ne l'avait pas encore vu ; on ne savait pas même où le prendre. Tout à la fin de juin, on apprit que l'Électeur de Bavière commençait d'assembler ses troupes au camp de Bruchsal, non loin de Philisbourg. L'Électeur de Brandebourg se pressait encore moins, sa principale occupation paraissait être de rançonner l'Électorat de Cologne.

En attendant que l'ennemi se décidât, Chamlay, qui avait l'esprit actif et la plume féconde, composait libelle sur libelle : Réflexions sur les affaires d'Italie ; Lettre d'un milord anglois ; Conversation d'un gentilhomme de qualité italien avec un gentilhomme de qualité François sur les affaires du temps ; Conversation d'un conseiller de Berne avec un conseiller d'Amsterdam. Il désirait naturellement se faire imprimer, et c'était Louvois qu'il avait choisi pour éditeur. Il ne faut pas, lui disait-il[29], négliger ces sortes de choses qui font souvent plus d'impression dans les pays étrangers qu'on ne croit. Mais Louvois, qui, pendant les loisirs du quartier d'hiver, encourageait la verve de Chamlay, déclarait ses produits merveilleux, et les jugeait tout à fait capables de faire un bon effet dans le public[30], Louvois, en plein été, dans la saison des grandes affaires, ne prenait plus le temps de jeter les yeux sur de pareilles fadaises, ni même la peine de ménager au moins, par quelque bonne parole, la vanité de l'écrivain qu'il rebutait. Je vous ai déjà prié, lui disait-il crûment[31], de ne plus vous fatiguer à faire de pareils mémoires pendant la campagne ; je Nous le répète encore ; je n'ai point lu les premiers ; je ne lirai point celui-ci, étant accablé de choses qui sont plus utiles que celles-là. Jamais critique, de mémoire d'auteur, a-t-il plus sommairement exécuté sa victime ?

Il faut dire l'excuse de Louvois ; c'était un autre bel esprit, le maréchal de Luxembourg, dont la correspondance pleine d'intérêt absorbait alors toute son attention bienveillante. Pour bien savoir ce que c'est qu'un habile homme, faut prendre le maréchal de Luxembourg ; et pour bien apprécier l'habileté de Luxembourg, il faut mettre à côté de lui, par comparaison, le maréchal de Lorge. Si l'un des deux avait plus de raison d'en vouloir à Louvois, c'était le premier, sans contredit ; et si, dans la cabale qui s'était formée contre le ministre, quelqu'un pouvait prétendre, par ses griefs et par son esprit, au titre de chef de meute, c'était assurément M. de Luxembourg. Cependant il déclina cet honneur et le laissa tout à son collègue, lequel, fort honnête homme d'ailleurs, avait le sens très-court. Celui-ci ne se fit pas faute, croyant plaire d'autant à Louis XIV, de fronder contre le ministre de la guerre. Luxembourg, bien plus avisé, se donna le mérite de la modération ; Louvois lui en sut gré ; ils renouèrent, et ce fut ainsi que Luxembourg, bien avec le roi, bien avec le ministre, devint général en chef de l'armée du Nord.

C'est ici surtout qu'entre lui et le maréchal de Lorge, la différence d'esprit et de conduite se marque. En se roidissant contre Louvois, M. de Lorge ne s'avise pas que c'est contre Louis XIV lui-même qu'il se roidit, parce que le ministre, habile à sa manière, sait au besoin s'effacer derrière le maître. On reproche à M. de Lorge de contrevenir aux ordres du roi, de faire marcher les troupes sans l'aveu du roi, et de ne pas donner au roi les raisons de sa conduite. Voici Luxembourg, au contraire. À peine en possession de son commandement, dans les premiers jours du mois de mai, il écrit de longues lettres, toutes remplies de ces détails minutieux et précis qui font tant de plaisir à Louis XIV. Et quelle docilité ! quelle souplesse ! Comme il se ménage agréablement entre Louis XIV et Louvois ! Vous savez, monsieur, avec quel plaisir je rechercherai les choses qui pourront plaire au roi, et qui vous donneront lieu d'être satisfait de ma conduite. Je sais trop bien où s'étend ma petite autorité pour croire pouvoir tirer un seul homme d'une place sans vous en avoir écrit auparavant. Le roi m'a commandé de lui envoyer l'ordre de bataille ; je vous l'adresse, monsieur, pour le présenter à Sa Majesté, aussi bien qu'une lettre que je me donne l'honneur de lui écrire, avec cinq règlements différents, pour que l'on ne manque à rien. Je vous supplie, monsieur, de vouloir bien les lui montrer, lorsqu'elle aura quelque temps à perdre. Vous m'avez dit, monsieur, que le roi vouloit que je vous proposasse toutes les vues que je pourrais avoir, et vous me l'avez répété si souvent que je croirois manquer à l'obéissance que je dois à ses volontés, si j'y manquois. C'est pourtant avec quelque répugnance que je me détermine à vous exposer ce qui me passe par la tête, sachant bien que tout ce qu'il y aura de bon à faire ne peut venir que de vous, et ne regardant ce que j'imagine que comme de simples idées produites par l'oisiveté dans laquelle nous vivons ici[32].

On reproche au maréchal de Lorge la licence et l'esprit désordonné de ses troupes. La discipline, au temps jadis, n'était pas le fort du maréchal de Luxembourg ; mais combien il s'en préoccupe aujourd'hui, et sans attendre qu'on lui en parle ! Il coûtera quelque chose au régiment des gardes et au régiment du Roi pour une petite pillerie qu'ils firent hier ; ajoutant à cela un peu de penderie, dès qu'on prendra quelqu'un sur le fait, je pense que cela empêchera ces libertinages, un peu trop usités les campagnes précédentes, selon ce qu'on m'en dit. Aujourd'hui, tous les fourrageurs ont vu passer à leur tête le prévôt avec ses archers et des cavaliers commandés à sa suite, avec un cordelier et l'homme propre à punir sur-le-champ le premier qui auroit voulu passer au delà de l'escorte[33].

N'est-ce pas exemplaire ? Aussi voyez la différence qu'on fait de M. de Lorge et de M. de Luxembourg. Au maréchal de Lorge on envoie Chamlay et Saint-Pouenges, sans compter Monseigneur ; et le maréchal n'est plus que le tiers ou le quart d'un général d'armée. Luxembourg au contraire est seul maitre de ses troupes ; il est agréable[34], il inspire confiance ; on le tient moins de court, et tantôt même on lui lâchera tout à fait la bride ; on lui donnera permission de combattre.

Après avoir assemblé la majeure partie de ses forces, le maréchal de Luxembourg était venu s'établir à Deinse, sur la Lys, au cœur même des Flandres. Il y demeura près d'un mois, du 20 mai au 16 juin, vivant au large sur un riche terroir, et poussant ses partis jusqu'aux portes de Gand. Quand il eut bien rançonné le pays et consommé les fourrages, il se rabattit, suivant les ordres du roi, vers la Sambre, dans la direction de Maubeuge. Il y marchait, lorsqu'il reçut en chemin, le 21 juin, étant déjà sur la Haisne, une dépêche de Louvois, datée du 19 ; c'était une instruction précise, un vrai plan de campagne.

Le ministre connaissait les projets de la coalition : peu de chose à craindre sur le Rhin, moins encore entre la Moselle et la Meuse, beaucoup dans les Pays-Bas. Tandis que le marquis de Castanaga devait, avec un corps séparé, manœuvrer dans les Flandres, la principale armée, une mosaïque de nations, Hollandais, Espagnols, Liégeois, Anglais, Suédois, Hessois, Hanovriens, gens de Brunswick et de Brandebourg, réfugiés français, hélas ! réunis sous Bruxelles aux ordres du prince de Waldeck, devaient se porter sur la Sambre et s'y établir fortement, en attendant la jonction décisive des forces amenées par l'Électeur de Brandebourg en personne. C'était cette jonction qu'il fallait prévenir. A cette fin, le maréchal de Luxembourg avait ordre de détacher aussitôt vers le maréchal d'Humières, opposé au marquis de Castanaga, quatorze bataillons et trente-six escadrons, de passer lui-même la Sambre entre Maubeuge et Thuin, de recueillir à mi-chemin un corps de troupes qui lui seraient envoyées par M. de Boufflers, et de se reporter alors, avec toutes ses forces jointes, quarante bataillons, quatre-vingts escadrons, soixante-dix pièces d'artillerie, sur la rive gauche de la Sambre, en surprenant un passage entre Charleroi et Namur. Vous observerez, disait expressément Louvois, qu'il est capital que vous soyez entre la Meuse et M. de Waldeck, afin d'empêcher que M. de Brandebourg et lui ne jouent de la navette et ne puissent s'envoyer des troupes l'un à l'autre, qu'en faisant un très-grand tour. Vous observerez encore qu'il convient que vous vous rendiez maître d'un passage sur la Sambre, avant que M. de Waldeck puisse s'y opposer ; et afin qu'il ne lui tombe pas dans l'esprit de se camper vis-à-vis de vous, la Sambre entre deux, ce qui lui donnerait moyen, quoique inférieur, de s'approcher de vous impunément. Sa Majesté souhaiterait fort qu'il fit cette folie sans être couvert par une rivière ; car elle espère qu'avec l'armée qu'elle vous donne, vous ne le marchanderiez pas, pourvu qu'il ne fût pas posté avantageusement.

Si M. de Luxembourg fut réjoui de cette dépêche qui prévenait et comblait ses vœux, on n'en saurait douter ; mais il n'en fit point de bruit, et sut donner à l'expression de sa gratitude un tour délicat et modeste. J'ai été surpris, répondit-il à Louvois[35], quand j'ai vu dans votre lettre qu'il ne me resterait que quarante bataillons et quatre-vingts escadrons, après les détachements qu'il faut faire ; ces restes-là ne sont pas mauvais, et j'aurais tort d'en désirer davantage. Il ne changea rien au plan tracé par Louvois, mais il l'exécuta d'une façon parfaite, en attendant l'heure prochaine d'y ajouter du sien.

Le 23 juin, le détachement destiné au maréchal d'Humières était en marche ; le lendemain, le reste de l'armée avait passé la Sambre à Jumont, entre Maubeuge et Thuin ; le 27, elle campait à terpine, au sud-est de Charleroi ; le 28, elle ralliait le corps envoyé par le marquis de Boufflers. Le 29, à minuit, le maréchal faisait plier bagage et se reportait rapidement sur la Sambre, à mi-distance à peu près entre Charleroi et Namur. Ce passage, l'un des rares qu'il y eût sur cette rivière, était tellement indiqué que le gouverneur de Namur y avait fait construire deux redoutes, et fortifier entre deux le château de Froidmont ; mais il avait négligé d'y mettre assez de monde. Les eaux étaient basses ; plusieurs détachements d'avant-garde eurent bientôt pris pied sur la rive gauche ; les redoutes furent enlevées en un tour de main, par des gens qui, je pense, disait gaiement le maréchal, avoient moins d'envie de les prendre que des vaches qui étoient dessous. Le château, occupé par une centaine d'hommes, reçut dix ou douze volées de canon et se rendit. Ainsi fut forcé le passage de la Sambre, avec ce qu'il fallait de canonnade et de fusillade pour mettre en belle humeur le maréchal et ses soldats. Cependant te prince de Waldeck, qui ne se doutait de rien, se retranchait à loisir, à quelque sept ou huit lieues de là, dans le fumeux camp du Piéton.

Le 30 juin, de grand matin, M. de Luxembourg voulut aller lui-même à la découverte ; il marqua d'abord à Velaine un camp ou plutôt un bivouac qu'il fit aussitôt occuper par tout ce qui avait passé la Sambre ; les gros bagages, dont il ne voulait pas s'embarrasser, étaient demeurés sur l'autre bord. Puis, tirant toujours à l'ouest, dans un pays assez couvert et accidenté, il se trouva tout à coup face à face avec une grosse troupe de cavalerie. Qu'était-ce ? Probablement le corps du prince de Nassau, qu'on savait être dans le voisinage et qui marchait pour rejoindre M. de Waldeck. C'était là, du moins, ce qui. se disait autour du maréchal.

Comme il avait avec lui dix-sept beaux escadrons, il fit pousser ces gens-là qui se retirèrent assez rapidement d'abord, mais qui, ralliés par d'autres, au-delà du ruisseau de Fleurus, tournèrent bride et se rangèrent en ligne. On les chargea, on les rompit, on se mit après eux, l'épée dans les reins, mais en grand désordre et chacun pour son compte. Le maréchal suivait cette chasse effrénée, faisant inutilement sonner la retraite, et contenant à grand'peine deux escadrons de gendarmerie, les seuls qui fussent en réserve et qui s'impatientaient beaucoup d'en être. Les autres étaient allés si loin qu'ils découvrirent inopinément toute une armée. C'était le prince de Waldeck qui, sachant enfin les Français du côté de la Sambre, se hâtait, afin de leur disputer le passage ; et c'était son avant-garde que les Français lui avaient ramenée de la sorte ; mais ils furent bien ramenés à leur tour, trop heureux de trouver ces deux escadrons de gendarmerie qui firent des merveilles et leur donnèrent le temps de se remettre. Le maréchal, fort inquiet, avec un air de sang-froid, disposa ses escadrons en échiquier sur deux lignes, chacune d'elles chargeant tour à tour et repassant par les intervalles de l'autre qui cependant avait marché en retraite. On fit ainsi six charges successives, jusqu'à ce qu'on eût repassé le ruisseau de Fleurus, en deçà duquel l'ennemi n'osa pas s'aventurer. Il avait reçu plus de coups dans la première partie du combat qu'il n'en avait rendu dans la seconde ; le prince de Waldeck perdit dans cette journée son meilleur général de cavalerie, le baron de Berlo.

Aussitôt rentré à Velaine, M. de Luxembourg s'occupa d'écrire à Louvois pour lui rendre compte des faits accomplis du 28 au 30. Je n'ai pas le loisir de vous en faire un plus long détail, disait-il ; M. de Waldeck est notre voisin fort proche ; cela m'a obligé à prendre un camp où il y a plus de bois que de fourrage. Je vais chercher quelques endroits où je puisse en trouver, en demeurant en deçà de la Sambre, que je ne veux point qu'il se vante de m'avoir fait repasser. Du lieu où je suis jusqu'à Charleroi, ce sont toutes hauteurs et défilés dans lesquels je ne veux point que M. de Waldeck m'attaque ; c'est pourquoi je vais voir par où je pourrai me tirer d'ici. Avait-il ou n'avait-il pas déjà quelque autre projet en tête ? Ce qu'il y a de certain, c'est qu'au lieu d'un camp, il fit choix d'un champ de bataille. Trois jours après, il écrivait à Louvois : Je ne vous parle point du poste qu'occupoient les ennemis, de celui que nous prîmes d'abord, ni de la marche que je crus devoir faire. Je ne sais si elle fut bien ou mal ; mais dans la situation où j'étois, il me fallut prendre brusquement le parti que j'ai pris.

Le 30 juin, dans la soirée, il avait reconnu lui-même la position occupée par le prince de Waldeck. C'étaient, au delà de Fleurus, des hauteurs au pied desquelles coulait un ruisseau qui se dirigeait du sud-ouest au nord-est vers Sombreffe, en arrosant successivement les villages de Wagnée, de Saint-Amand et de Ligny. Ces deux derniers villages avaient des châteaux gardés par de forts détachements ; une artillerie assez nombreuse couronnait les hauteurs ; et plus loin, autant qu'on en pouvait juger à distance, les troupes alliées, l'infanterie au centre, la cavalerie sur les ailes, se développaient en avant de Mellet, dont le clocher s'apercevait à l'horizon, entre les villages d'Heppignies à leur droite, et de d'agnelée à leur gauche. Quelle était leur force ? M. de Luxembourg lui-même, après la bataille, n'en savait rien[36]. Il est à croire qu'il y avait à peu près égalité de nombre entre les deux armées, plus de cavalerie peut-être du côté du maréchal de Luxembourg.

Le 1er juillet, à minuit, le maréchal fit prendre les armes ; il disposa ses troupes en cinq colonnes, la cavalerie sur les flancs et l'artillerie au milieu. A trois heures du matin, on marcha. M. de Luxembourg avait conçu un projet d'une singulière audace, pour une époque où la guerre se faisait d'après des procédés traditionnels et tout à fait classiques. La bataille régulière devait observer, comme la tragédie, les trois unités d'action, de temps et de lieu ; de même encore, il y avait une distribution hiérarchique des rôles, première ligne, seconde ligne, réserve. C'était l'ordre qu'avait religieusement suivi le prince de Waldeck, persuadé qu'il ne pouvait pas y en avoir d'autre ; et s'il perdit la bataille, il eut conscience au moins d'être resté fidèle à des règles que son adversaire avait témérairement violées. Le novateur, jugeant l'attaque de front trop difficile parce qu'elle était trop prévue, avait résolu de ne déployer devant le prince qu'une moitié de ses forces, mais sur une seule ligne, afin de l'abuser, et cependant, avec l'autre moitié, de faire un détour de plusieurs lieues pour tomber inopinément dans le flanc de l'ennemi. M. de Gournay, lieutenant général, qui commandait les deux colonnes de gauche, et le commandant de l'artillerie, M. Dumetz, eurent seuls d'abord le secret du maréchal.

De Velaine, M. de Gournay se dirigea sur Fleurus, qu'il dépassa, puis il vint se mettre en bataille en deçà du ruisseau de Ligny, faisant face à l'aile droite et au centre du prince de Waldeck, de Wagnée à Saint-Amand. M. Dumetz, qui avait soixante pièces de canon, n'en mit que trente en batterie au-devant de M. de Gournay ; il prolongea les trente autres sur la droite, et commença de tirer dans l'espace compris entre Saint-Amand et Ligny, de façon à faire croire aux alliés que cette artillerie était soutenue par des troupes qu'on ne voyait point, mais qui devaient être quelque part derrière elles, tandis qu'en effet il n'y avait personne. M. de Gournay avait ordre de n'entrer en action que lorsqu'il serait averti, par un signal convenu, de l'apparition du maréchal de Luxembourg à l'autre extrémité du champ de bataille. De son côté, le prince de Waldeck se tenait immobile, attendant d'être attaqué ; des heures se passèrent de la sorte, sans que cette longue attente lui donnât le moindre souci.

Depuis qu'il avait quitté Velaine en même temps que M. de Gournay, le maréchal n'avait pas cessé de marcher, avec les deux autres colonnes et dix pièces de campagne, en divergeant de plus en plus vers la droite ; il avait dépassé le village de Boignée, côtoyé Ligny en laissant quelques compagnies devant ce poste pour tromper ceux qui l'occupaient, franchi le ruisseau entre Ligny et Sombreffe, et continué sa route jusqu'à la grande chaussée de Nivelle à Namur ; certain dès lors de s'être assez élevé sur le flanc de l'ennemi, il avait tourné brusquement à gauche, traversé, non sans peine, un fond marécageux, et gravi des hauteurs d'où il découvrit enfin le terrain sur lequel allait se donner la bataille. Après avoir fait enlever par son avant-garde le village de Wagnelée, où les alliés avaient leur extrême gauche, il fut obligé d'attendre et de laisser respirer ses troupes épuisées par -une marche de sept heures.

Le prince de Waldeck avait bientôt appris ce qui se passait du côté de Wagnelée ; éclairé par cette brusque attaque, et se voyant menacé d'être pris comme dans un étau entre les deux moitiés de l'armée française, il se hâta d'opposer au maréchal, qui n'était pas encore en état de le charger, toute la cavalerie de sa gauche, tandis que son infanterie rétrogradait promptement à travers la plaine. Quand ce changement de front fut achevé, il se trouva que la nouvelle position des alliés faisait à peu près un angle droit avec celle qu'ils occupaient d'abord. Leur droite était un peu en arrière de Wagnée ; leur centre avait à dos le village d'Heppignies et le ruisseau de Thiméon, qui faisait retour à leur gauche, du côté de Mellet.

Dès que le maréchal de Luxembourg eut toute sa cavalerie sous la main, vers onze heures, il fit faire le signal convenu avec M. de Gournay. Celui-ci s'ébranla aussitôt ; malheureusement il tomba mortellement frappé dès la première charge ; ses escadrons, accueillis par une vive fusillade aux abords de Wagnée, s'étonnèrent et, n'étant plus dirigés, reculèrent en désordre. Cette confusion se démêla promptement ; lancés de nouveau sur des points plus accessibles, ils firent payer cher à la cavalerie des alliés leur échec et la mort de leur général. A l'autre aile, la première charge ordonnée par le maréchal de Luxembourg avait tout emporté ; vainqueurs et vaincus tourbillonnaient dans la plaine et jusqu'entre les deux lignes formées par l'infanterie du, prince de Waldeck. C'était cette infanterie qu'il fallait rompre, et jamais on n'en avait vu de si opiniâtre.

Les bataillons français, venant les uns de Saint-Arnaud, les autres de Wagnelée, manœuvraient pour se rejoindre. Les brigades de Champagne et de Navarre qui formaient la gauche, ayant gravi les hauteurs les plus voisines de l'ennemi, se trouvèrent d'abord aux prises avec la première ligne ; elles eurent beaucoup à souffrir d'un feu qui était évidemment supérieur à celui de l'infanterie française. Cependant des charges à la baïonnette et le choc répété de plusieurs escadrons ouvrirent des trouées dans celte ligne dont les tronçons n'en restaient pas moins formidables. On tourna contre eux, à cent pas seulement de distance, six pièces de canon qu'on leur avait prises. Quand un coup leur avoit emporté une file, ou qu'il en avoit tué beaucoup en tirant en écharpe, ces gens-là se resserroient comme si de rien n'eût été. C'est le maréchal de Luxembourg lui-même qui porte ce témoignage ; il continue : Après que j'eus envoyé un trompette et un tambour polir les sommer, auxquels ils ne voulurent point répondre, M. de Chépy, qui étoit auprès de moi, partit à toute bride, disant : Je vais leur parler. Il leur dit qu'ils étaient enveloppés de toutes parts, que j'étois là, et que je leur donnerois bon quartier. Ils lui répondirent : Retirez-vous, nous n'en voulons point, et nous sommes assez forts pour nous défendre. Cinq de ces héroïques bataillons rompirent le cercle qui les pressait, et se retirèrent fièrement, sans hâter le pas, vers les défilés de Saint-Amand et de Ligny. C'était une leçon qu'ils donnaient au prince de Waldeck ; voilà ce qu'il aurait dû d'abord faire.

Cependant, malgré ses fautes, il s'en fallait de beaucoup que le prince de Waldeck fra un adversaire méprisable. Ce partisan des vieilles traditions avait encore sa seconde ligne, qu'il avait ménagée à dessein ; et, tandis que les Français se lassaient à détruire la première, il se préparait-à recommencer la bataille ; il ne désespérait pas de vaincre. Le maréchal de Luxembourg avait envoyé de tous côtés des aides de camp afin de rassembler la cavalerie éparse, de rétablir les escadrons qui étoient assez brouillés, et de les remettre en bataille, pour s'opposer à ce qui pourvoit survenir.

Il était trois heures ; en ce moment, le maréchal aperçut une grosse colonne d'infanterie qui s'avançait du fond de la plaine, dans la direction de Saint-Amand. C'était la seconde ligne des alliés, qui, recueillant sur son passage les débris de l'autre, devenait à chaque pas plus épaisse et plus profonde. Et non-seulement c'étaient des groupes d'infanterie qui se ralliaient à elle ; mais on voyait aussi des cavaliers accourir sur ses flancs et par derrière, se rapprocher les uns des autres et s'organiser en marchant ; des pelotons, puis des escadrons se reformaient ainsi à vue d'œil. En même temps, et sur toute l'étendue de cette plaine immense, il y avait comme un prodige de résurrection soudaine ; là où l'on croyait n'avoir laissé que des morts, des vivants se redressaient, non pour fuir, mais pour combattre. C'était l'armée française  qui semblait menacée d'être enveloppée à son tour. J'ai vu d'autres batailles, disait le maréchal de Luxembourg, mais en pas une ce que j'ai trouvé en celle-ci ; car, après avoir battu les gens qui étoient devant nous, je croyois l'affaire terminée ; cependant nous trouvions des escadrons au' milieu de nous qui ne laissoient pas de nous charger. Dans le temps que j'allois à cette ligne d'infanterie, j'entendis un feu épouvantable à la gauche de notre aile droite. Ce fut M. de Montrevel qui trouva des bataillons et des escadrons bien loin derrière nous, dans un endroit où je croyois qu'il n'y eût personne, et qui marchoient si fièrement à lui, qu'il les battit avec une extrême valeur, et point comme devant avoir l'espérance du succès, parce qu'il avoit affaire à grosse partie. Ces tentatives désespérées de braves gens qui se battaient çà et là, sans ensemble et sans entente, étaient plus irritantes et importunes que vraiment dangereuses.

Le sérieux danger, c'était la marche incessante, régulière, inflexible de M. de Waldeck. Luxembourg, qui ne voulait plus hasarder beaucoup de monde, avait d'abord fait avancer le canon ; le canon manqua son effet ; les coups de mitraille semblaient des coups perdus, et les alliés marchaient toujours. Une ligne de cavalerie, que le maréchal avait déployée, ne leur imposa pas davantage. Elle renversa bien les escadrons qui couvraient le flanc de la colonne ; mais quand elle voulut pousser plus loin, une décharge l'arrêta court. L'infanterie avait fait halte, par le flanc droit, et fourni son feu ; puis elle s'était remise en colonne et continuait de marcher. Il y eut encore d'autres charges, mais sans décision et de plus en plus molles ; la cavalerie française, rebutée par ce grand feu, ne ralliait plus que hors de portée. Pendant une demi-heure, selon le témoignage d'un acteur de ce drame, la chose devint douteuse ; alors M. de Luxembourg vit bien qu'il ne viendrait à bout de ces gens-là qu'en leur opposant un feu égal. Il fit appel à son infanterie.

Les quatre premiers bataillons qui accoururent étaient conduits par le duc de La Roche-Guyon, gendre de Louvois. Les soldats étoient si essoufflés, raconte le maréchal, qu'il me dit, après un moment pour reprendre haleine : Si vous le trouvez bon, nous battrons ces gens-là. Mais je lui défendis d'attaquer jusqu'à ce que j'eusse mis des bataillons à sa droite, dont il n'en falloit pas moins de quinze pour que notre ligne fût égale à celle des ennemis, au delà des quatre de M. de La Roche-Guyon. En même temps Luxembourg fit marcher neuf autres bataillons pour tourner la colonne ; elle s'arrêta enfin et fit face de toutes parts ; mais il fallut, pendant plus d'une heure, un feu roulant de mousqueterie et de canon pour qu'elle donnât quelques signes d'étonnement. Alors M. de Luxembourg fit sonner la charge ; infanterie et cavalerie se ruèrent suries rangs affaiblis de leurs adversaires. Il en fut comme à l'attaque de la première ligne, quelques heures auparavant. Les fragments inégaux de cette colonne disjointe, serrés en masses compactes, se retirèrent, perdant beaucoup de monde, mais toujours en bon ordre. Jamais, dit le témoin déjà cité, jamais infanterie, dans une oppression si grande, n'a montré tant de fermeté.

Luxembourg, satisfait de l'évènement, ne jugea pas à propos de barrer le passage à ceux qui sortaient du champ de bataille, par Mellet, dans la direction de Nivelle. Il se contenta d'arrêter une troupe moins nombreuse, et qui, suivant les apparences, voulait regagner Charleroi. Elle avait atteint déjà l'ermitage de Saint-Fiacre, et n'avait plus à traverser qu'une petite plaine de trois cents pas environ pour se jeter dans des bois où il aurait été impossible de la poursuivre, lorsque le maréchal, qui se trouvait là, pour le malheur de ces braves gens, lança trois escadrons de cavalerie sur leur ligne de retraite ; ils eurent au moins l'honneur de rendre leurs armes au chef même de l'armée qu'ils avaient si vaillamment combattue.

Croyant avoir tout fait, Luxembourg se hâta d'envoyer à Louis XIV et à Louvois, écrite de sa main et datée du champ de bataille, la première annonce de la victoire de Fleurus. C'était toujours un personnage de distinction qui servait de courrier pour ces bonnes nouvelles ; celui-ci était le Grand-Prieur de Vendôme. Il avait bien suivi le prologue, le nœud, les péripéties et le dénouement du drame ; mais il ne s'était pas douté qu'il pût y avoir un épilogue. Il y en eut un cependant, et lui qui croyait tout savoir, il eut encore quelque chose à apprendre du duc de Montmorenci, fils du maréchal de Luxembourg, qui le suivit, à un jour de distance.

On a vu que, dans la première disposition de ses troupes, le prince de Waldeck avait mis de gros détachements d'infanterie dans les châteaux de Saint-Amand et de Ligny ; après le changement de front qu'il s'était vu obligé de faire, ces détachements, qui lui auraient été d'un grand, secours pendant la bataille, étaient restés tout à fait isolés et saris rapports avec lui ; mais ils n'avaient point d'ordre de quitter leurs postes ; ce furent, contre leur attente, les troupes françaises qui vinrent les y relever. Tel était le sujet de l'épilogue, ainsi raconté par Luxembourg à Louvois : J'avois déjà fait partir M. le Grand-Prieur, quand j'appris que dans des châteaux fort près de nous, il y avoit de l'infanterie ennemie ; dans l'un des deux, plus de deux mille hommes se rendirent prisonniers de guerre à M. de Montrevel, que j'y envoyai pour les faire sommer ; et à l'autre où j'allai, ces messieurs se moquèrent de moi. J'y fis venir du canon, pour qu'ils ne nous tuassent personne ; cela ne les fit point parler, et la nuit vint. Je fis environner le château d'infanterie soutenue par des escadrons ; le fis couper les chemins par où ces opiniâtres pourroient sortir, et le les laissai jusqu'au lendemain, qu'ils demandèrent à se rendre. Je ne les voulus prendre qu'à discrétion, à quoi M. de Dohna, qui les commandoit, se soumit[37].

Cette capture porta le nombre des prisonniers à sept mille huit cents[38] ; on compta que les alliés avaient laissé en outre plus de huit mille des leurs sur le champ de bataille. Luxembourg avait recueilli, comme trophées de sa victoire, cent six drapeaux ou étendards, quarante-neuf pièces de canon, cinq pontons, et plus de deux cents caissons ou chariots d'artillerie. L'armée française ne pouvait pas avoir gagné une si rude bataille sans avoir beaucoup souffert. Outre M. de Gournay, un officier général de premier ordre, M. Dumetz, commandant de l'artillerie, avait été tué. Quoique le maréchal de Luxembourg ne connût pas encore exactement, huit jours après la bataille, l'état de ses pertes[39], il ne croyait pas qu'il y eût plus de quinze cents morts ; quant aux blessés, il n'indiquait aucun chiffre ; mais on peut compter que ses troupes étaient affaiblies de cinq ou six mille hommes ; elles avaient, en récompense, la force morale qui est le résultat d'une grande épreuve couronnée d'un grand succès.

M. de Waldeck, écrivait à Louvois, dès le 5 juillet, le maréchal de Luxembourg, M. de Waldeck dit que, dans quelques jours, il sera en état de reprendre sa revanche. Il prétend pour cela avoir les troupes d'Espagne, celles qui lui restent, les Liégeois, dix mille hommes des garnisons d'Hollande, les Anglois et les Brandebourgs ; mais tout cela ne lui fournira pas une infanterie pareille à celle que nous avons défaite. Et pour sa revanche, si Sa Majesté commande qu'on la lui donne, je pense qu'on y courra moins de risque qu'à la première affaire. Était-ce fanfaronnade pure que ce langage du prince de Waldeck ? Non, certes, puisque Louvois ne croyait pas qu'il lui fallût, pour se refaire, autant de temps qu'il en demandait lui-même. Supposant que la défaite de M. de Waldeck est complète, écrivait le ministre au maréchal de Luxembourg, le 3 juillet, Sa Majesté ne croit point qu'il y ait à appréhender que cette armée puisse se rapprocher de vous de plus de huit ou dix jours, quand même elle seroit fortifiée par M. de Brandebourg.

Si c'est à cela que se réduisait l'effet, et, pour ainsi dire, le rayon des plus complètes victoires, était-ce bien la peine de livrer des batailles, et les théories de Louvois, peu favorable à ces grandes rencontres de portée si courte, n'étaient-elles pas justifiées ? Il est vrai qu'à cette époque, l'art ou les moyens de la guerre n'allaient pas encore jusqu'à détruire en détail, par une poursuite lointaine et sans relâche, les derniers débris d'une armée défaite ; sans compter qu'une telle poursuite n'était guère possible dans un pays hérissé de places fortes, comme les provinces belgiques. C'était plutôt à ces places qu'il fallait s'attaquer. Aussi, dès les premières nouvelles, et pour accompagner ses compliments au vainqueur de Fleurus[40], Louvois avait-il improvisé, le 3 juillet, une de ces instructions précises et nettes, comme il savait les faire, pour le siège immédiat de Charleroi ou de Namur.

Louis XIV avait tout approuvé d'abord ; le lendemain, il n'approuvait plus rien ; la nuit avait porté conseil, mauvais conseil. Louvois ne laissa pas d'envoyer au maréchal l'instruction de la veille, mais avec cette addition désolante[41] : La grosse lettre ci-jointe fut dictée hier au soir ; j'eus l'honneur de la lire au roi, avant son souper, et on l'a mise au net pendant celle nuit. Ce matin, Sa Majesté ayant fait réflexion que si l'Électeur de Saxe joignoit M. de Bavière, il pourroit être plus fort que l'armée commandée par Monseigneur, Sa Majesté a trouvé bon de me commander d'ajouter à la susdite dépêche qu'elle ne jugeoit point à propos que vous fissiez aucune des entreprises mentionnées dans ladite lettre jusqu'à nouvel ordre ; et elle juge à propos seulement qu'autant que la situation présente des ennemis vous le pourra permettre, vous essayiez par de gros détachements, sous prétexte de contributions, d'empêcher que l'on jette du monde dans Namur, entre la Sambre et la basse Meuse, sans que cela ait fair d'investiture. Sa Majesté est persuadée que cette lettre vous mortifiera ; mais elle s'attend que vous n'en murmurerez point, puisqu'elle juge, quant à présent, qu'il ne convient pas à son service d'en faire davantage.

Partie remise, le 4 juillet ; le 9, partie abandonnée. Un nouveau fantôme hantait l'imagination de Louis XIV ; c'était l'Électeur de Brandebourg. Que n'arriverait-il pas si cet Électeur insaisissable, qu'on attendait partout sans le voir nulle part, apparaissait tout à coup sur le Rhin, entre le fantôme de Bavière et le fantôme de Saxe ? Quel cauchemar pour Monseigneur ! Il n'y avait qu'un moyen d'écarter ces visions funestes ; c'était de mettre le marquis de Boufflers en état de marcher vers le Rhin au premier ordre. Il fallait donc que le maréchal de Luxembourg lui renvoyât aussitôt les troupes qu'un mois auparavant il lui avait empruntées, et même un peu davantage, sauf à dépouiller à son tour le maréchal d'Humières, qui était, en fin de compte, la victime sacrifiée aux appréhensions du roi pour Monseigneur.

Après ces échanges, l'armée des Pays-Bas devait avoir ; à peu de chose près, le même effectif, un bataillon de moins, trois escadrons de plus[42]. A ne juger que d'après les chiffres, le maréchal de Luxembourg n'avait pas à se plaindre ; à juger d'après les hommes, ce qu'il prenait d'un côté ne -valait pas ce qu'il donnait de l'autre, des soldats de Fleurus. Il se plaignait donc, mais de telle sorte qu'il n'y avait pas moyen de l'en reprendre : Je ne saurois, regretter le départ des troupes, dès qu'il est nécessaire pour le service du roi qu'elles soient ailleurs. Si Sa Majesté jugeoit que je lui fusse utile dans une des redoutes de Dinant, j'irois avec plaisir y servir aux ordres de M. de Guiscard[43]. Et surtout, ne dois-je pas être bien aise encore qu'un corps soit à portée de joindre Monseigneur, rien ne devant péricliter où il se trouve en personne ?[44]

Sans doute la soumission du courtisan couvre et sauve ici le ressentiment du général ; mais quelle différence de cette soumission du maréchal de Luxembourg, légèrement ironique, à ses platitudes d'autrefois, et de ce ressentiment discret à ses anciens emportements ! Il n'avait plus de ces écarts, de ces hauts et de ces bas qui le rendaient également détestable ; la disgrâce et l'âge par-dessus avaient assaini son cœur et tempéré son caractère, au grand bénéfice de son esprit et de ses talents, dégagés des viles passions comme d'une gangue impure. Les gens de bien pouvaient, sans réserve, mêler leurs applaudissements à ceux de la foule reconnaissante au vainqueur de Fleurus.

La première émotion calmée, on savourait à loisir les détails de la victoire, lorsque de nouveaux bruits de batailles éclatèrent dans le public, avec des contradictions et des chocs à secouer de flux en reflux les imaginations affolées. Ce n'était ni des Pays-Bas, ni d'Allemagne que venaient ces bruits, c'était de la mer.

Chamlay, qui s'occupait de tout, avait écrit à Louvois, le 16 juin : Hannibal disoit qu'on ne vaincroit jamais les Romains que dans Rome ; je crois que cette maxime ne vaut rien à l'égard des Allemands, qu'on mettra plus aisément à la raison par l'Angleterre et par la Hollande que dans l'Empire. Je m'explique en disant que le roi ne sauroit trop faire entreprendre par sa flotte contre ces deux nations pour les obliger à demander la paix. Je ne sais pas si la chose sera si aisée à l'égard de l'Angleterre ; cependant feu Ruyter ne s'est pas fait une affaire de l'expédition de la Tamise. J'ai eu l'honneur, cet hiver, de dire au roi une chose qui me paroitroit bien bonne et qui porteroit un coup mortel aux ennemis, qui seroit de se saisir, s'il étoit possible, de la Zélande, et d'en rompre les-digues pour la mettre sous l'eau[45]. Le 23, Louvois avait répondu à Chamlay que la flotte française allait quitter la rade de Brest, au premier vent favorable, avec ordre de chercher l'ennemi et de le combattre : Si, entre nous, ajoutait Louvois[46], Ruyter la commandait, il n'y a rien de bon et d'avantageux que je n'en espérasse.

La flotte mit à la voile en effet, ce jour-là même, 25 juin ; elle ne comptait pas moins de soixante-dix-huit vaisseaux. Celui qui la commandait n'avait pas besoin d'être Ruyter pour mériter plus d'estime que ne semblait fort injustement lui en accorder Louvois ; Tourville n'en était plus à faire ses preuves. L'amiral anglais Herbert croisait dans la Manche avec cinquante-huit vaisseaux, dont vingt hollandais. Après avoir manœuvré pendant plusieurs jours en vue l'un de l'autre, les deux adversaires s'approchèrent enfin, le 10 juillet, à la hauteur de Beachy-Head, sur la côte de Sussex. Les Hollandais, qui tenaient la tête, engagèrent bravement le combat et le soutinrent pendant huit heures, avec l'énergie d'une nation qui avait fourni la meilleure infanterie du prince de -Waldeck à Fleurus. Ils eurent le même sort, et furent glorieusement vaincus ; les Anglais eurent leur part de la défaite, mais non pas de la gloire. Les Hollandois, disait Louvois, résumant pour le maréchal de Lorge les premières nouvelles de la bataille, les Hollandois se sont battus à merveille, et ont fait tout ce que de braves gens pouvoient faire. La plupart des Angrois, lorsqu'ils ont vu que leurs vaisseaux commençoient à être désemparés, se sont mis au large et ont tiré de fort loin. Les Hollandois sont enragés contre eux.

Eu somme, un vaisseau hollandais pris, huit vaisseaux coulés, dont deux anglais seulement, sept autres démâtés, qui s'échouèrent et furent brûlés, les deux ou trois jours suivants, par leurs équipages mêmes ou par les Français, tandis que Tourville n'avait pas un seul navire désemparé : tels furent les résultats matériels de sa brillante victoire[47]. Mais l'exaspération de la Hollande contre l'Angleterre était un résultat moral d'une tout autre importance et qui pouvait être décisif, si, le même jour où l'amiral Herbert compromettait l'alliance des deux nations, et, avec cette alliance, la coalition tout entière, Guillaume Ill n'eût affermi et sauvé l'une et l'autre en Irlande.

Il avait quitté Londres, le 16 juin ; le 23, il débarquait à Carrick-Fergus, amenant au duc de Schönberg, qui s'était maintenu dans le nord de l'ire, des renforts considérables. C'était une véritable armée que la sienne, forte de plus de trente mille hommes ; si l'on met à part les sept mille Français malheureusement confiés à Lauzun, qu'était-ce que l'armée dite royale ? Un ramas de vingt mille faméliques. Bien loin d'avoir fait des progrès, depuis l'année précédente, Jacques Il avait découragé ses plus fidèles partisans. Le 4 juillet, Lauzun, écrivant à Seignelay, n'essayait pas de cacher ses alarmes : Nous ne sommes qu'à huit petites lieues les uns des autres, disait-il ; mais je crois que nous en serons demain bien plus près, sans aucun obstacle que de petits ruisseaux que l'on passe partout. Ainsi le combat n'est pas aisé à éviter, quelque soin que l'on en puisse prendre. Je ferai pourtant ce qui est à ma puissance pour éviter toute sorte d'actions décisives, en prévoyant les conséquences[48].

Le 9 juillet, les deux rois d'Angleterre étaient en présence, Guillaume sur la rive gauche de la Boyne, Jacques sur la rive droite, près de Drogheda. Ce jour-là, un boulet effleura Guillaume à l'épaule ; il en fut quitte pour une forte contusion. Le lendemain, le duc de Schönberg, qui avait pris le commandement, fit ses dispositions pour passer la rivière au-dessus et au-dessous de l'armée de Jacques II, afin de la déborder par les deux ailes. Les premiers détachements n'avaient pas encore atteint la rive opposée que déjà la moitié des Irlandais étaient en fuite. L'expression de bataille de la Boyne ne représente absolument rien qui ressemble en quoi que ce soit à une bataille ; il n'y eut, sur un seul point, qu'une sorte de petit combat, où, par hasard, le duc de Schönberg fut tué ; sans cet accident, qui donna de l'importance à cette affaire, on n'y aurait jamais vu qu'une échauffourée suivie d'une déroute.

Jacques II n'avait pas été des derniers à prendre ses sûretés contre la mort ; les Français, sans avoir, pour ainsi dire, combattu, quittèrent leur poste sur l'ordre de Lauzun, afin de protéger la personne du roi qui ne fut pas d'ailleurs inquiété dans sa fuite. Jacques Stuart s'arrêta deux ou trois heures à peine à Dublin ; il gagna, du plus vite qu'il put, le port de Kinsale, ayant fait soixante lieues presque tout d'une traite, et se jeta dans une frégate française qui le conduisit sain et sauf à Brest, de sorte qu'il fut lui-même le courrier de sa propre honte. Le 25 juillet, il rentrait, comme s'il n'en était jamais sorti, au château de Saint-Germain. Ceux qui aiment le roi d'Angleterre, écrivait à Louvois le maréchal de Luxembourg[49], doivent être bien aises de le voir en sûreté ; mais ceux qui aiment sa gloire, ont bien à déplorer le personnage qu'il a fait. De son côté, Louvois écrivait à Chamlay : Vous apprendrez, par d'autres que par moi, toutes les misères qui se sont passées en Irlande, où l'on n'a point combattu, où l'on n'a point été poussé par l'ennemi ; et cependant on doit au sieur de Zurlauben[50] seul la conservation de quatre mille cinq cents hommes ou environ, qui se sont retirés à Limerick, avec sept ou huit officiers, pendant que les autres, tant généraux que particuliers, visitoient les côtes d'Irlande, depuis Dublin jusqu'à Kinsale[51].

Ce mois de juillet devait compter dans les souvenirs de la foule parisienne. Que de nouvelles coup sur coup ! Le 3, victoire de Fleurus ; le 12, victoire navale ; le 22, défaite d'Irlande ; après l'enivrement, la stupeur. Mais, le 27, réaction soudaine ; qu'on se figure le Paris de 1690, à minuit, silencieux et sombre, en un rien de temps éclatant de lumière et de bruit. On court les rues, on frappe aux portes : Réveillez-vous ! Il est mort ! Le prince d'Orange est mort ! Partout des falots aux fenêtres et des feux de joie sur les places ; partout des tables hors des maisons, des tonneaux qu'on dénonce, le tumulte et l'orgie. Cependant les gens de police, étonnés, confondus, n'ayant point d'ordres, essayent en vain de calmer cette effervescence ; on les entoure, on les embrasse, on les fait boire ; ils se laissent gagner à la foule[52]. Et voilà comment les gazettes étrangères ont pu, selon les apparences, accuser Louis XIV et ses ministres d'avoir provoqué ce désordre. Ils en furent très-fâchés, au contraire, parce qu'ils en sentaient bien l'inconvenance.

De Paris, cette folie gagna toute la France, tandis qu'en Allemagne et dans les Pays-Bas on s'affligeait ; car ce bruit de la mort du prince d'Orange alla partout et dura quelque temps. Dieu le veuille ! s'écriait Chamlay ; c'est le plus grand bien et le plus grand avantage qui puissent arriver au roi. Cependant il me paraît que le roi d'Angleterre s'est bien pressé de s'embarquent[53]. Louvois, dans son particulier, ne se contraignait pas de souhaiter que la nouvelle fût vraie. Je vois, écrivait-il à Béringhen[54], que la mort du prince d'Orange est publique dans le camp des ennemis, quoique j'en doute fort. Vous jugez bien que je n'aurois pas grand regret d'apprendre que je me serois trompé dans le jugement que j'en ai fait.

Le prince d'Orange n'était pas mort. Quelle gloire pour lui que cette douleur des uns et cette joie des autres ! Quel involontaire hommage n'y avait-il pas dans ces jeux funèbres en haine de sa mémoire ! Aussi voyez les représailles de ses partisans rassurés : Que signifient toutes ces extravagances qui ont été faites à Paris, à Rouen, à Caen, à Montpellier, et dans toutes les villes du royaume, sur la fausse nouvelle de sa mort ? On a eu, durant quelques jours et quelques nuits, le plaisir de voir l'effigie du prince et de la princesse pendue, écartelée, brûlée, écorchée par les bouchers, traînée dans les rues, menée sur des ânes avec des inscriptions outrageantes, déchirée par les écoliers des jésuites travestis en démons. On voit encore les galeries du cimetière Saint-Innocent pleines d'estampes de ces deux personnes, en toute sorte de figures scandaleuses, On a bu largement à bon compte à la confusion du défunt ; on a poussé des cris à fendre les airs contre l'usurpateur et pour se réjouir de sa mort. En un mot, qu'on rassemble en un toutes les marques de joie et de détestation en même temps qu'on peut avoir vues autrefois dans un peuple fou et furieux, et l'on ne verra rien d'approchant de ce qui s'est fait ici. La cour ne se justifiera pas de cette affaire, pour en rejeter la faute sur le peuple. Belle vengeance ! Est-ce ainsi qu'on en use à l'égard d'un ennemi brave et qui a autant de réputation dans le monde qu'en a le prince d'Orange ? La grandeur du mérite fait des impressions de respect même dans les âmes les plus ennemies. Ces grandes réjouissances et ces énormes cris de joie sur les faux bruits de la mort du prince d'Orange font voir qu'on le craint au delà de tout ce qu'on a jamais craint un homme. Et il me semble voir une infinité de petits chiens qui aboyent et qui se réjouissent autour du cadavre d'un grand lion mort, dont ils s'attendoient fort bien d'être la pâture, s'il fût demeuré vivant. Malheur à ces chiens, si le lion ressuscite ! Car leurs cris n'auront servi qu'à augmenter sa rage[55].

Malgré tout, et quoiqu'ils eussent le beau rôle, les amis du prince d'Orange n'eurent pas le dernier mot. Grâce à Catinat, les Parisiens, découragés un moment, reprirent leur chant de victoire ; la journée de Staffarde fut une excellente réplique à la journée de la Boyne. D'ailleurs tout n'était pas dit en Irlande. Après avoir protégé jusqu'à Dublin la fuite de Jacques II, les Français s'étaient repliés sur Limerick, puis sur Gallway, où Lauzun voulait s'embarquer. Mais un capitaine aux gardes françaises, qui avait rang de brigadier en Irlande, M. de Boisseleau, s'était promis de sauver au moins l'honneur du nom français. Tandis que le duc de Tyrconnel s'efforçait de rallier quelques milliers d'Irlandais sous les murs de Limerick, M. de Boisseleau faisait autour de la place, dont il avait pris le commandement, des travaux de défense. Au-dessous de Lauzun par son grade, il le surpassait de toute la hauteur d'un homme de cœur sur un lâche. Il y a des mots si terribles que l'historien, qui est un juge, ne les doit prononcer qu'à coup sûr ; à coup sûr Lauzun était un lâche.

Si l'on pouvait oublier que ce triste personnage était le représentant de Louis XIV et de la France, on rirait de lui comme de ces valets de théâtre, peu soucieux de l'honneur de leur maitre, et qui deviennent pathétiques à force d'être. poltrons. Celui--ci avait l'éloquence de la peur. Voici, par exemple, ce qu'il écrivait de Limerick, le 26 juillet, à Seignelay, son patron : Je trouvai milord Tyrconnel fort embarrassé, je ne dis pas à soutenir les affaires, mais je dis à pouvoir sortir d'affaire ; car ses troupes ne reviennent point, les officiers tiennent de mauvais propos, et la plupart songent comment s'accommoder avec le prince d'Orange ; et je ne doute point que s'il marche à nous ou qu'il fasse une proclamation, chacun ne fasse de son mieux pour lui plaire, et que les François ne souffrent un rude sacrifice. Pour moi, je l'ai fait au roi en venant ici ; je finirai comme j'ai commencé. Ce que l'on m'a dit du maréchal de Créqui à Trèves n'approche pas de ce que je vois ; je tâcherai pourtant de me conduire sans emportement ni peur, en faisant le fout pour le mieux, attendant que le roi envoie des vaisseaux pour nous chercher, si le prince d'Orange nous en donne le temps, ou si les Irlandois ne font pas quelque mauvaise démarche. Nous sommes hors d'état de pouvoir faire aucune résistance. Le 10 août, l'ordre d'embarquement n'est point arrivé ; Lauzun écrit de Gallway : J'avois toujours concerté avec M. Forant [chef d'escadre], pour chercher des moyens de nous tirer d'ici, si j'en avois eu les ordres que j'ai attendus du roi. Rien n'est égal à la haine et trahison des Irlandois pour nous, avec une indiscipline qui en doit tout faire craindre, par le méchant choix que le roi d'Angleterre a fait des gens qui sont à leur tête. Je vous avoue, monsieur, que le sacrifice que j'ai fait au roi de venir ici me coûtera cher, et que je ne crois pas de souffrance pareille à celle que j'endure depuis que je suis ici.

Voici, d'autre part, ce qu'un officier général de la marine, M. d'Amfreville, qui était en rade de Gallway, écrivait au ministre, le 29 août : M. de Lauzun m'a dit qu'il ne pouvoit prendre de parti sans ordre de la cour ; mais je crois que ce qui le retient bien, sont les Irlandois qui ne le laissent pas maitre de la ville, et par conséquent de son embarquement, pour lequel la rage est générale. Il faut voir cela pour le croire. Je puis même vous dire qu'il n'y a plus d'obéissance que dans la vue de l'embarquement, et- que le mépris du fantassin pour les généraux est outré.

Mépris pour Lauzun, soit ; c'était justice ; mais non pas pour Boisseleau, que ses compagnons d'armes auraient volontiers rejoint dans Limerick. Il s'était juré de sauver l'honneur de la France ; il se tint parole. Quand les Irlandais se virent commandés par un homme qui payait de sa personne, ils firent mieux qu'on n'osait espérer. Ils surprirent un convoi de munitions et huit pièces de grosse artillerie que Guillaume III envoyait devant Limerick ; lorsque la place fut assiégée clans les règles, ils firent, sous la direction du duc de Tyrconnel et de Boisseleau, de fréquentes et vigoureuses sorties, et cela, au témoignage de Lauzun lui-même, sans avoir un morceau de pain, mais seulement de l'avoine, du froment, de l'orge qu'ils écrasoient et dont quelques femmes de soldats leur faisoient des tourteaux. Il n'y avait ni hôpital ni chirurgien ; les soldats bien blessés se retiroient mourir sans se plaindre. Et Lauzun ajoute : Je n'ai jamais connu des soldats si propres à pâtir. Pour nos François, il est impossible de les faire souffrir les mêmes choses, et c'est ce qui m'a empêché d'y laisser des François, dont j'ai été bien fâché ; mais ils auroient achevé d'y périr, ne leur pouvant fournir du pain[56]. Voilà donc un général qui, pour couvrir sa propre infamie, ne trouve rien de mieux que de calomnier ses soldats ; quelle impudence ! Il était bien fâché, disait-il, oui vraiment ! parce que, contre son attente, Boisseleau s'était fait une gloire qui aurait dû être la sienne ; parce que, avec un seul officier français à leur tête, tes Irlandais avaient sauvé Limerick ; parce que, après vingt-deux jours de siège, Guillaume III s'était retiré. Son armée avait beaucoup souffert ; la campagne était finie.

Lauzun pouvait s'embarquer enfin. Je crois pouvoir prendre la liberté de vous dire, écrivait à Seignelay M. d'Amfreville[57], que l'ordre que j'ai vu de M. de Louvois pour le rembarquement des troupes, en a été envoyé sur des raisons plus pressantes qu'elles n'étoient ici ; et je sais même secrètement que le marquis de Tressan, aide de camp, qui avoit été envoyé en France, avoit ordre de dire surtout que les affaires étoient ici désespérées, ce que je ne vois point, par le peu de lumières que j'ai, s'il y avoit ici un général ou même un homme ordinaire qui n'eût pas la rage de retourner en France et qui n'insultât pas ces gens-ici sur leurs conseils, sans leur en donner jamais.

Le duc de Tyrconnel, qui, à défaut de talents militaires, avait la fermeté d'un honnête homme, venait en France, non pour s'y réfugier, mais pour désavouer Lauzun et supplier Jacques II de ne pas désespérer de l'Irlande. Quatre villes restaient encore fidèles au roi fugitif, Limerick, Siigo, Athlone et Gallway. Pour ce qui est de Boisseleau, lorsqu'il vint à Fontainebleau où était la cour, il fut accueilli avec respect, avec reconnaissance ; Louis XIV lui dit publiquement : Vous avez travaillé pour votre gloire particulière et pour la gloire de la nation ; je vous fais brigadier[58].

Les événements d'Irlande avaient eu leur effet dans les Pays-Bas. La déroute de la Boyne à peine connue, Louvois s'était hâté d'écrire au maréchal de Luxembourg, le 25 juillet : Ce fâcheux événement porte le roi à désirer que la campagne s'achève sans combat, s'il est possible. Quand vous ne trouverez pas occasion de prendre quelque avantage considérable, Sa Majesté sera bien aise que vous donniez le temps aux mauvaises troupes que M. de Castanaga et M. de Waldeck ont ramassées, de périr. Mais, deux jours après, Louvois eut la nouvelle certaine que l'Électeur de Brandebourg, prenant enfin son parti de passer la Meuse, marchait pour se joindre aux alliés dans les Pays-Bas. Ce mouvement devait entraîner celui du marquis de Boufflers vers le maréchal de Luxembourg, et la reconstitution du corps d'armée aux ordres du maréchal d'Humières.

A la fin du mois de juillet, voici quelle était la situation des forces françaises : douze bataillons et trente-six escadrons à Courtrai, sur la Lys ; quarante-quatre bataillons et cent escadrons, entre la Sambre et l'Escaut, au camp de Quiévrain. Les instructions définitives adressées par Louvois au maréchal de Luxembourg, le 31 juillet, étaient celles-ci : Il ne peut être que très à propos que toutes les troupes, et même les officiers généraux de l'armée que vous commandez, soient persuadés que vous avez le même empressement d'attaquer l'armée ennemie que lorsque, au commencement de cette campagne, Sa Majesté avoit donné l'ordre de chercher M. de Waldeck où vous le pouviez trouver. Cependant, vu l'état des affaires en Irlande, Sa Majesté m'a commandé de vous répéter encore que vous ne devez attaquer M. de Waldeck et M. de Brandebourg que lorsque vous trouverez un gros avantage à prendre sur eux, et qu'ainsi, Sa Majesté approuveroit fort que vous vous déterminiez à attendre M. de Brandebourg et M. de Waldeck dans un bon poste, et à profiter des démarches qu'ils pourvoient faire devant vous. Sa Majesté a une telle confiance en vous qu'elle est persuadée que vous ne ferez sur cela que ce qu'elle vous prescrit, et qu'en même temps vous ne manquerez pas l'occasion de battre encore une fois M. Waldeck, s'il vous donne lieu de l'attaquer avec avantage. — Sa Majesté, ajoutait Louvois, le 2 août, vous recommande de n'avoir aucune attention au qu'en dira-t-on ; car il vaut beaucoup mieux leur laisser mettre quelques sottises dans deux ou trois gazettes, que, pour ne leur pas donner lieu de gâter du papier, s'avancer en un lieu où il soit difficile que l'armée subsiste sans dépérir, et où, pour avoir du pain et du fourrage, il faille les aller attaquer dans un bon poste[59].

Selon les informations recueillies par Louvois, le prince de Waldeck, séparé de M. de Castanaga qui demeurait dans les Flandres, vis-à-vis du maréchal d'Humières, ne devait pas avoir plus de dix-huit mille hommes, et la fameuse armée que lui amenait l'Électeur de Brandebourg en comptait douze mille à peine. Il est certain que les alliés ne se trouvèrent pas assez forts pour affronter ni même pour inquiéter l'armée française, qu'entre le maréchal, qui s'était avancé de Quiévrain à Lessines, et l'Électeur retranché sous Alost, la distance était plus que respectueuse, et qu'enfin la campagne s'acheva fort paisiblement, et même avec des incidents tout à fait agréables.

M. l'Électeur de Brandebourg et M. de Luxembourg se sont fait faire beaucoup d'honnêtetés, et se sont fait des présents l'un à l'autre, lisons-nous dans les notes de Dangeau ; et un peu plus loin : M. de Castanaga, à qui M. le duc du Mairie et M. de Luxembourg avoient demandé un passeport pour faire venir des dentelles de Flandre à l'armée, a refusé le passeport ; mais il a envoyé des marchands qui ont porté pour dix mille écus de dentelles, et, après qu'on les cul achetées, les marchands s'en retournèrent sans vouloir prendre l'argent, disant qu'ils avoient cet ordre-là de M. de Castanaga. M. de Brandebourg et M. de Luxembourg continuent à s'entrefaire beaucoup d'honnêtetés[60].

Voici Louvois qui, gagné par cette belle humeur, intervient à son tour dans ce commerce. Le soin que prend M. de Brandebourg de vous avertir que les chevaux qu'il vous a envoyés pourroient être trop sauvages pour vous, écrit-il au maréchal, pourroit enfin vous rendre suspect auprès du roi ; si vous ne vous gouvernez mieux, je crains bien que Sa Majesté ne vous envoie votre congé, quelques jours après la Toussaint. A quoi Luxembourg ne manque pas de répliquer : Mon commerce de Brandebourg est entièrement fini, ce qui fait que je n'ai plus rien à craindre pour l'avenir ; mais pour obliger le roi à me pardonner le passé, j'ai bien envie qu'il veuille entrer en part avec moi pour un cheval polonois que cet Électeur m'a donné.

Suit la description du cheval et de ses qualités ; puis vient le compliment de l'Électeur, tel qu'il a été transmis par un trompette : M. de Brandebourg mandoit que s'il pouvoit gagner une bataille contre moi, il se croiroit fort heureux par la gloire qu'il remporteroit d'avoir eu affaire — pour vous tout expliquer, il faut dire, quoique cela ne soit pas — à un aussi grand capitaine, et il ajouta à cela, comme on ne pouvoit pas tous les jours donner des batailles, mais qu'on pouvoit par hasard se rencontrer avec des troupes en nombre égal, que si cela lui arrivoit et qu'il pût avoir quelque avantage, il seroit encore glorieux pour lui d'avoir battu un si brave homme. En vérité, je ne suis ni l'un ni l'autre ; j'ai grand peur que le monde ne le connoisse et que le roi n'en soit trop persuadé ; mais c'est le discours du trompette qui finit en me disant que s'il y avoit une bataille ou quelque rencontre, M. de Brandebourg me prioit de monter la pie qu'il m'avoit envoyée, parce qu'elle étoit connue de toutes ses troupes qui avoient ordre de respecter celui qui seroit dessus. — Le soin que prend M. de Brandebourg de votre conservation dans une bataille, répond Louvois en hochant la tête, me fait appréhender qu'il ne vous propose de remplir la place du maréchal Dorffling. Et c'est sur cette plaisanterie que se termine le badinage[61].

Du côté du Rhin, qu'avons-nous à signaler ? Moins d'agrément dans le spectacle, mais pas beaucoup plus d'affaires, Monseigneur chevauchant toujours, Chamlay toujours en désaccord avec le maréchal de Lorge[62], l'armée perdue de désœuvrement et d'indiscipline, affaiblie d'hommes et de chevaux, comme si elle eût fait sérieusement la guerre[63], enfin Dangeau, le plus occupé de tout ce monde à noter les inutilités de cette campagne. Cependant, lorsqu'on fut bien assuré que l'Électeur de Brandebourg s'en allait dans les Pays-Bas, Louis XIV permit à son fils de passer sur la rive droite du Rhin. Monseigneur traversa le fleuve au Fort-Louis, le 16 août.

En touchant cette terre illustrée par les admirables campagnes de Turenne et de Créqui, l'armée, depuis les chefs jusqu'au dernier soldat, se sentit plus robuste et plus saine. Si Monseigneur n'était pas fait pour les méditations profondes et les soins assidus, il aimait le mouvement et l'action ; quand il se vit à la tête de toutes ses forces réunies, trente-sept bataillons, cent cinq escadrons, soixante-quatre pièces d'artillerie, il voulut faire quelque chose ; il écrivit au roi son père pour lui demander l'autorisation de combattre. L'armée des Pays-Bas avait eu la journée de Fleurus ; l'armée navale, la journée du 10 juillet ; l'armée d'Italie venait d'avoir la journée de Staffarde ; l'armée du Rhin seule n'aurait-elle donc pas la sienne ? Il faut tenir compte au Dauphin de ce réveil d'une généreuse ardeur. Louis XIV lui répondit, de sa propre main, le 27 août, que, pour sa gloire particulière, il conviendroit de combattre, mais non pas pour le bien de l'État, et qu'il ne devoit rien hasarder, à moins qu'il ne fût sûr d'une victoire certaine[64]. Autant dire qu'il fallait prier les Électeurs de Bavière et de Saxe d'avoir, en considération de Monseigneur, l'obligeance de se laisser battre.

On sait que le maréchal de Lorge n'aimait pas les problèmes ; celui-ci lui déplut tout à fait. Il écrivit à Louvois, le 1er septembre[65] : Je souhaiterois de savoir, tout au plus tôt qu'il se pourra, si Sa Majesté aime mieux que l'on repasse le Rhin plutôt que de hasarder un combat ; car dès que l'on est en présence ou bien près des ennemis, l'on ne peut plus prendre de parti que celui de combattre, si l'ennemi le veut. Cependant je chercherai un poste pour suivre, s'il se peut, l'esprit du roi ; mais c'est ce que je crois très-difficile à trouver. — Le roi, lui répondit Louvois, est bien éloigné de vouloir qu'on repasse le Rhin, si les ennemis s'approchent de Monseigneur, non-seulement parce que cela ne convient point à la gloire des armes de Sa Majesté, ni à celle de la personne de Monseigneur, à laquelle Sa Majesté prend au moins autant de part qu'à celle de ses armes, mais encore parce que Sa Majesté ne juge point qu'il y en ail aucune nécessité. N'était-il pas possible, dans cette étroite vallée du Rhin, de s'adosser aux montagnes et de tomber dans le flanc de l'ennemi, s'il osait s'aventurer entre le fleuve et l'armée[66] ? C'était une solution ; malheureusement pour lui, le maréchal de Lorge ne l'avait pas attendue ; il avait pris le parti, les ennemis étant au nord, vers Rastadt, de marcher au sud, vers Brisach, et de s'établir, le 8 septembre, dans la plaine de Weil, derrière la rivière d'Elz, le dos au Rhin, face aux montagnes ; c'était exactement le contraire de ce que lui conseillait Louvois.

Aussi voyez ce que Saint-Pouenges écrivait au ministre[67] : Il me paroit que nous faisons ici de méchantes manœuvres ; aussitôt que l'on dit que les ennemis marchent en avant, nous décampons, et l'on est si irrésolu qu'il semble que c'est la marche des ennemis qui nous fait marcher. On trouve qu'ils peuvent tout faire avec facilité, et tout difficile à l'armée du roi. Enfin, il me pareil que, lorsqu'on a une aussi bonne et nombreuse armée que celle-ci, l'on devroit marcher avec plus d'audace et ne pas tant faire connoitre à l'officier et au soldat, par les manœuvres que l'on fait, que l'on appréhende que les ennemis ne nous approchent. L'on ne peut jamais rien apprendre de certain par les partis qu'on envoie à la guerre, parce qu'on leur défend de s'approcher de l'armée ennemie, et ils n'ont ordre que de voir de loin, sur les hauteurs, le lieu où elle peut être campée. Vous voyez bien que de cette manière l'on sera difficilement informé des marches que les ennemis feront, si on ne change pas de maxime, ce qui n'est pas aisé à faire faire, par l'opiniâtreté qu'on a sur ce que l'on propose. Il faut ajouter toutefois, pour être exact, que Chamlay, contre son habitude, faisait, suivant l'expression de Louvois étonné, le panégyrique du poste choisi par le maréchal.

Si ce poste était mauvais ou non, c'était à l'ennemi d'en décider. Mais l'ennemi, quoiqu'il se fût rapproché vers Offenbourg, ne semblait pas avoir grande envie de combattre ; au lieu de descendre en plaine, il s'engagea dans les montagnes de la Forêt Noire, comme s'il eût voulu déboucher sur le haut Rhin par les villes Forestières. Le maréchal de Lorge s'était établi, pour l'attendre, entre Brisach et Huningue ; il avait même la satisfaction d'être approuvé ; pour la première fois, de tout le monde, lorsqu'il apprit que les Électeurs séparaient leurs troupes ; ils n'étaient entrés dans les montagnes que pour se faire leurs adieux plus à loisir. Monseigneur- fit les siens au maréchal le 30 septembre, et rejoignit le roi son père à Fontainebleau. Le 27 octobre, Louvois écrivait à Louis XIV[68] : L'armée de Votre Majesté en Flandre dit être achevée de séparer demain ou après-demain ; celle d'Allemagne le sera toute le 30 de ce mois ; de manière que la plupart des troupes de Votre Majesté seront établies dans leurs quartiers entre ci et la fin de ce mois, sans que les ennemis aient rien exécuté de ce qu'ils ont tant prôné des quartiers d'hiver qu'ils devoient occuper dans les terres de Votre Majesté.

A part les affaires d'Irlande, la campagne de 1690 avait été tout à fait bonne pour la France ; et quoiqu'il y ait bien des réserves à faire contre le système de temporisation soutenu par Louvois, il est certain que les armées de la coalition, entrées en campagne beaucoup plus tard que les armées françaises, en étaient sorties beaucoup plus tôt et dans un état incomparablement pire. Luxembourg et Catinat, d'ailleurs, avaient sauvé, par de brillantes exceptions, ce que la règle posée par le ministre de la Guerre avait de trop absolu.

Louvois n'avait rien à revendiquer dans la victoire navale ; celui qui pouvait, après Tourville, participer davantage au triomphe de la flotte, Seignelay, n'eut pas longtemps à s'en donner la jouissance ; il mourut le 3 novembre 1690, à trente-neuf ans, dans le plus grand éclat de son ministère. Quelle jeunesse ! quelle fortune ! quels établissements ! s'écrie madame de Sévigné[69] ; rien ne manquoit à son bonheur. Il nous semble que c'est la splendeur qui est morte.

Dire que Louvois avait repris faveur auprès de Louis XIV, ce serait confondre deux choses distinctes, la faveur et l'autorité ; mais il avait certainement repris de l'autorité ; parmi les dépouilles de Seignelay, il se fit attribuer les haras et les fortifications des places dont, son collègue avait gardé le soin, même celles des ports de mer[70].

Pour la marine, Louis XIV désigna M. de Pontchartrain, déjà contrôleur général ; personne ne s'y était attendu, le nouveau secrétaire d'État moins que personne. M. de Pontchartrain, dit naïvement Dangeau, avoit prié le roi de ne le point charger de la marine, parce qu'il n'en a aucune connaissance ; le roi a voulu absolument qu'il s'en chargeât. Il a présentement tout ce qu'avait M. Colbert, hormis les bâtiments. Louis XIV s'imaginait-il avoir ressuscité Colbert ?

 

 

 



[1] 15 janvier 1690. D. G. 910.

[2] Lettres du 18 et du 21 décembre 1689.

[3] Voyez Dangeau, 12 décembre 1689.

[4] 1er février 1690. D. G. 912.

[5] Cette circulaire ne fut expédiée que le 22 février. La minute indique avec soin les corrections et additions proposées par l'archevêque de Reims. D. G. 910.

[6] 4 mai 1690. D. G. 918.

[7] Louvois à Gournay, 18 janvier 1690. D. G. 911.

[8] Louvois à Nointel, 13 avril 1690 : Le roi a appris que le commandant de Mayence, ayant su que les garnisons de la frontière du côté de Kaiserslautern avoient fait brûler un village qui ne payoit pas la contribution, a envoyé querir deux soldats de celle d'Ebernbourg qui avoient été pris prisonniers, et, après les avoir fait confesser, en a fait brûler un dans la place publique, et a déclaré à l'autre que, la première fois que les François brûleroient une maison, il lui feroit faire le même traitement. Sa Majesté qui ne veut pas souffrir qu'une pareille violence demeure impunie, vous ordonne de prendre vos mesures pour faire renfermer, à une même heure, à Reims et à Châlons, tous les prisonniers des troupes ennemies, tant officiers que soldats, et que vous leur déclariez que Sa Majesté ne pouvant pas tolérer cette inhumanité, si fort contre l'usage de la guerre, elle leur donne un mois pour en procurer la réparation, et que si jamais pareille chose vient à arriver, elle leur fera faire, quoique avec beaucoup de déplaisir, le même traitement qui aura été fait à ceux de ses troupes, avec cette différence que, pour un qui aura été traité avec cette barbarie, elle en fera prendre deux d'entre eux pour subir le même sort. Sur le même sujet, Louvois à Boufflers et à La Bretèche, 13 et 27 avril 1690. D. G. 936-941.

[9] Il y a, sur ce sujet, plusieurs lettres écrites par Louvois au lieutenant de police, M. de La Reynie, pendant les premiers mois de l'année 1690 ; en voici une du 13 avril : Le roi ayant été informé des violences qui se commettent journellement pour faire des enrôlements à Paris, que ceux qui s'en mêlent enlèvent des gens qui passent dans les rues, les jettent ensuite dans des carrosses et les mènent clans des maisons écartées où, à force de les battre et de leur raire peur, on leur fait signer des enrôlements, Sa Majesté m'a commandé de vous faire savoir que son intention est que vous essayiez de faire arrêter les gens qui font de pareilles entreprises et que vous fassiez leur procès, en sorte que l'exemple qui en sera fait empêche qu'à l'avenir il ne s'en commette plus. D. G. 916.

[10] Il entretenait alors douze régiments suisses à trois bataillons.

[11] D. G. 916.

[12] État des troupes envoyées en Irlande avec M. de Lauzun : 341 officiers, 0,951 soldats, 61 officiers et ouvriers d'artillerie, 6 commissaires des guerres, 27 chirurgiens et officiers d'hôpital. 3 février 1690. D. G. 960. — Je trouve, à la date du 17 février 1690, une pièce qui ne manque pas d'intérêt ; c'est un supplément d'instruction pour Lauzun : Le roi ayant observé que l'instruction qui a été, dressée par son ordre pour le sieur comte de Lauzun ne fait point mention de ce que ledit sieur comte auroit à faire, en cas que le roi d'Angleterre vint à mourir, quoique sa Majesté espère que cela n'arrivera pas, elle a néanmoins jugé à propos de lui faire savoir qu'il devroit en ce cas faire tout ce qui pourroit dépendre de lui pour faire proclamer roi en Irlande M. le prince de Galles ; et comme il se pourroit faire que les Irlandois témoigneroient de l'inclination à se soumettre au roi plutôt qu'audit prince de Galles, par plusieurs raisons qu'il est inutile de rappeler ici, l'intention de Sa Majesté est qu'en ce cas-là, ledit sieur comte de Lauzun s'explique que le roi. n'ayant eu d'autre but dans la dépense considérable qu'il a faite pour soutenir l'Irlande que de protéger un roi son allié contre l'usurpation injuste de son gendre, ne peut consentir à dépouiller son fils, et que les ordres que ledit sieur comte de Lauzun a eus de Sa Majesté sont si opposés à tout ce qui pourroit faire quelque préjudice au roi d'Angleterre et au prince de Galles, qu'il ne peut pas même se charger de faire au roi cette proposition, et qu'au contraire il doit employer toutes les forces qu'il a entre les mains pour appuyer le droit légitime du prince de Galles. D. G. 913.

[13] Louvois à Bouridal, 11 mai 1690 : Je vois qu'il y a beaucoup de malades parmi les Irlandois [débarqués à Brest], qu'il faut secourir tout le moins mal que vous pourrez, et charger les commissaires d'obliger les officiers à les faire nettoyer de la vermine qui les mange, et en prendre le plus de soin qu'il se pourra. D. G. 960.

[14] On peut dire tout de suite que la campagne de 1690 fut à peu près nulle de ce côté-là ; les troupes françaises vécurent pendant plusieurs mois aux dépens des Espagnols, mais sans rien tenter contre aucune de leurs places.

[15] 4 mai 1690. D. G. 918.

[16] 14 avril 1690. D. G. 936.

[17] 22 et 28 mai. D. G. 974.

[18] 2 juin. D. G. 936.

[19] 16 juin 1690. D. G. 974.

[20] Pour achever de peindre la vie militaire du Dauphin, Dangeau lui-même y ajoute, naïvement d'ailleurs et sans reproche, un trait nouveau, le jeu : Depuis que Monseigneur est dans ce camp ici, après avoir fait toutes ses affaires et donné l'Ordre, il joue d'ordinaire au reversi.

[21] 20 juin. D. G. 921.

[22] Louvois à Saint-Pouenges, 1er juin. D. G. 936. — Traité pour la fourniture de la viande aux armées d'Allemagne, du 7 mars 1690. Les entrepreneurs s'obligent à livrer jusqu'à 95.000 livres de viande à chacune des deux ou trois distributions qui se Feront chaque semaine, à raison de 2 sols 10 deniers chaque livre de viande. On leur avance la somme de 200.000 livres à déduire sur les cinq premiers mois de la campagne. — Louvois à Delafond, 1er avril : La fourniture doit être de trois livres de viande par semaine pour chaque sergent, soldat, brigadier, cavalier ou dragon effectif. L'on ne doit rien déduire sur la solde du soldat ; mais à l'égard du cavalier, on lui doit retenir sur sa solde 7 sols par semaine, de sorte qu'il en coûtera encore au roi 18 deniers par semaine pour chaque brigadier, cavalier où dragon. Si l'armée entrait dans un pays où elle trouvât abondamment des bestiaux, il n'en faudroit faire fournir ni à l'infanterie ni à la cavalerie et dragons, pendant le temps de cette abondance. La maison du roi doit payer la viande qu'elle prendra. D. G. 935-936.

[23] Louvois à Saint-Pouenges, 24 juin : J'ai appris avec surprise que vous vous faites fournir de la viande et à M. le Premier, par l'entrepreneur de la fourniture de la viande de l'armée. Je vous prie de cesser de l'obliger à vous en donner, du jour que vous recevrez cette lettre, et de faire dire à M. l'intendant qui en a pris comme vous, d'en user de même. D. G. 921.

[24] 15 juillet. D. G. 922.

[25] Journal de Dangeau, 18 juin 1690.

[26] Louvois à Chamlay, 8 juin. D. G. 936.

[27] Louvois à Lorge, 25 avril, 14 juin.

[28] 10 juin. D. G. 974.

[29] 23 juin. D. G. 974.

[30] Louvois à Chamlay, 20 octobre 1689. D. G. 859.

[31] 8 juillet 1690. D. G. 965.

[32] Luxembourg à Louvois, 9, 10, 29 mai 1690. D. G. 912.

[33] Luxembourg à Louvois, 18 mai.

[34] Sa correspondance est si active que Louvois lui-même est obligé de demander grâce. Voyez, par exemple, cette lettre du ministre, datée du 18 juin : Vous me traitez comme le prince de Condé faisoit le capitaine Cravate auquel il demandoit toujours des prisonniers frais. Je ne reçois point de lettre de vous, depuis quatre ou cinq jours, qui ne me demande réponse par un courrier exprès ; cela n'est pas bien commode pour un homme qui a plus d'une affaire ; cependant il faut essayer de vous satisfaire autant qu'il pourra dépendre de moi. A quoi Luxembourg répond, le 22 : Comme vos lettres me feront toujours prendre les bons partis, c'est ce qui fait que je prends la liberté de vous en demander souvent. Je vous supplie pourtant de ne vous en pas contraindre, et je vous demande pardon si je vous suis quelquefois importun là-dessus. D. G. 937-942.

[35] 21 juin. D. G. 942.

[36] Luxembourg à Louvois, 5 juillet : Je ne puis vous dire la force dont étoit l'armée de M. de Waldeck ; car, outre les troupes qu'il y avoit devant nous, il y en avoit d'autres que nous ne voyions point par la situation du lieu. Ce qui est de sûr, c'est que la veille du combat il y en arriva considérablement ; je pense que c'était des garnisons de Charleroi et de Namur. Les prisonniers disent qu'il leur vint 6.000 hommes la nuit.

[37] Luxembourg à Louvois, 1, 2, 3 juillet. — Louvois à Lorge, 3 juillet. D. G. 938-942-965.

[38] Journal de Dangeau, 16 juillet 1610 : Le roi envoie aux galères les 1.500 François qui ont été pris à la bataille de Fleurus.

[39] Luxembourg à Louvois, 7 et 8 juillet : Je ne vous envoie point encore un état des blessés et tués de l'armée du roi. Vous savez qu'à la chaude après une bataille, un méchant capitaine veut couvrir la foiblesse de sa compagnie par un grand nombre de gens qu'on lui a tués. Toute l'armée était dans cet esprit lorsque nous quittâmes le champ de bataille. Je vis de certains escadrons excessivement faibles, et les officiers me disaient : c'est tout ce qui nous reste du combat ; et, dans le camp que j'allai prendre, ils avoient plus de monde que sous leurs étendards. L'affaire même n'étoit pas finie que beaucoup de cavaliers ensemble, chargés de chevaux et de prisonniers, s'en alloient au camp d'où nous étions partis.

[40] Louvois à Luxembourg, 4 juillet : Trouvez bon, je vous supplie, que je vous fasse mes compliments sur ce que vous venez de faire, dont je cannois assez la conséquence pour pouvoir dire que c'est le plus grand service qui pût être rendu au roi et à l'État. Je vous supplie d'être persuadé de la part que j'y prends, etc. — 6 juillet : Je ne puis m'empêcher do commencer ma lettre par des remercîments de la manière dont vous avez traité M. de La Roche-Guyon, que j'ai sentie comme elle le mérite. Dans le peu de temps que j'ai osé retenir M. le duc de Montmorenci, je l'ai écouté avec un grand plaisir, et il me paroît qu'il faut qu'il ait vu ce qui s'est passé, pour pouvoir l'expliquer aussi nettement et aussi intelligiblement. Je vous fais encore mes compliments de tout mon cœur sur les mêmes choses que vous avez faites et sur le grand service que vous avez rendu au roi et à son État. — Luxembourg à Louvois, 8 juillet : On seroit bien heureux, monsieur, d'avoir fait plus qu'une petite chose qui vous fût agréable, puisque vous me savez gré d'une de peu de conséquence que M. le duc de La Roche-Guyon ne pouvoit manquer de s'attirer, et par vous et par lui. Je pense que mon fils a été mieux questionné par vous qu'il n'a répondu ; et comme il y avoit des faits que vous vouliez savoir et que vous lui aurez bien lait comprendre, cela aura fort aidé à la netteté de ses réponses. Je voudrois qu'elles eussent été assez justes pour vous donner quelque opinion de lui. D. G. 938-942.

[41] Louvois à Luxembourg, 3 et 4 juillet. D. G. 953.

[42] Louvois à Luxembourg, 9 et 18 juillet. — De 40 bataillons qu'il avait d'abord, le maréchal de Luxembourg en perdait 19 qu'il envoyait au marquis de Boufflers, et 2 qu'il ajoutait à la garnison de Dinant, mais il en reprenait 20 au maréchal d'Humières. De 80 escadrons, Luxembourg en perdait 41, pour 44 qu'il gagnait. Soit, additions et soustractions laites, un reste de 39 bataillons et de 83 escadrons.

[43] Gouverneur de Dinant.

[44] Luxembourg à Louvois, 21 juillet. D. G. 942.

[45] D. G. 974.

[46] D. G. 936.

[47] Louvois à Lorge, 12 juillet. — Relation du combat naval, 15 juillet. D. G. 922.

[48] Ce qui suit est extrait d'une lettre du 26 juillet. Dans l'extrémité où le roi d'Angleterre avoit ses affaires, à l'arrivée du prince d'Orange, il ne lui restait que deux partis à prendre, l'un de lui résister, ce qui m'a paru toujours impossible, l'autre de brûler Dublin et ruiner entièrement le pays, en se retirant de contrée en contrée. Ce parti lui a paru si cruel qu'il n'a pu s'y résoudre, et a mieux aimé prendre confiance en son armée.

[49] 25 juillet. D. G. 942.

[50] C'était un colonel suisse.

[51] 7 août. D. G. 965.

[52] Louvois à Luxembourg, 28 juillet : Cette nouvelle [que le prince d'Orange est mort] se répandit hier à minuit à Paris ; chacun réveilla son compagnon ; l'on fit des feux de joie, quoique sans ordre, et, l'on but beaucoup de vin. D. G. 938.

[53] Chamlay à Louvois, 1er août. D. G. 975.

[54] 6 août. D. G. 924.

[55] Soupirs de la France esclave, 15e Mémoire.

[56] Lauzun à Seignelay, 9 septembre.

[57] 9 septembre. D. G. 963.

[58] Journal de Dangeau, 12 octobre 1690.

[59] D. G. 938.

[60] Journal de Dangeau, 17 et 29 septembre 1690.

[61] Louvois à Luxembourg, 21 et 27 septembre ; Luxembourg à Louvois, 24 septembre. D. G. 939-943.

[62] Louvois à Chamlay, 16 septembre : Je vous prie de me faire un peu le portrait des conversations que vous avez eues devant Monseigneur, depuis que -vous êtes parti de Stolhofen, car il en est revenu quelque chose à Versailles, et je suis honteux qu'il n'y ait que moi qui les ignore. L'on prétend que vous vous êtes quelquefois assez considérablement échauffé. Je m'attends que vous me manderez naïvement ce qui s'est passé, et que vous ne me laisserez pas même ignorer les choses où vous croirez avoir eu tort. D. G. 965.

[63] Lorge à Louvois, 15 août : Pour la cavalerie, c'est le grand nombre de nouveaux cavaliers, qui n'ont vu l'autre guerre que celle-ci, qui fait qu'ils n'ont pas soin de leurs chevaux, et la haine que la plupart ont contre leurs officiers, lesquels sont ravis de perdre leursdits chevaux pour faire enrager leurs capitaines, et qu'il leur en coûte. Cependant, d'après un état du 18 août, les escadrons ont encore de 150 à 140 maîtres, au lieu de 160, nombre réglementaire. L'infanterie paraît bien plus diminuée, les bataillons n'ayant que 500 hommes en moyenne, au lieu de 800 ; 16.015 hommes pour 32 bataillons. D. G. 975.

[64] Chamlay à Louvois, 1er septembre.

[65] D. G. 976.

[66] Louvois à Lorge, 4 septembre. D. G. 965.

[67] 10 septembre. D. G. 976.

[68] D. G. 940.

[69] Lettre à Bussy, du 13 novembre 1690.

[70] Louvois à Vauban, 6 novembre : Le roi m'ayant commandé de me charger des fortifications des places dont M. de Seignelay avoit la direction, même de celles des ports de nier, j'ai un grand besoin de votre assistance pour essayer de mettre un ordre à ce que vous savez qui n'en avoit pas trop ; ce qui me fait vous prier, si votre santé vous le permet, de venir ici le plus tôt que vous pourrez, sans rien précipiter. D. G. 930.