HISTOIRE DE LOUVOIS

TOME PREMIER

 

ANNEXES.

 

 

I

LETTRES ÉCRITES PAR LOUVOIS, EN 1680, PENDANT SON VOYAGE A BARÈGES.

 

Louvois s'était cassé la jambe droite, le 3 août 1679, pour achever la guérison, qui fut lente, les médecins conseillèrent au ministre d'aller Barèges ; il y alla, en effet, au mois de mai 1680, en compagnie du chevalier de Nogent. Sauf la visite des places de Roussillon, qu'il fit avec Vauban, de Perpignan à Mont-Louis, ce fut un voyage de vacances. Nous avons recueilli, dans le tome 642 du Dépôt de la Guerre, les lettres que Louvois écrivit pendant ce voyage, une ou deux au roi, les autres au chancelier Le Tellier, son père, à l'archevêque de Reims, son frère, et surtout au marquis de Tilladet, son cousin et son plus intime ami. Si l'on voulait donner à ce recueil un titre un peu moderne, on pourrait l'intituler : Journal et impressions de voyage d'un ministre de Louis XIV s'en allant aux eaux. On trouvera, dans ces lettres, un Louvois tout nouveau, détendu, spirituel, familier, et même jovial, en de certains endroits.

1. A M. de Tilladet, du 13 mai 1680, sur le Rhône[1].

Il n'y a pas de jour que nous n'ayons eu envie de vous écrire ; mais l'absence de secrétaire nous en a empêchés, n'en ayant point trouvé, dans les villages, qui voulussent écrire sur d'autre papier clue du papier marqué, et encore n'étoit-ce-qu'en minute ; ils nous disoient que vous pourriez faire mettre leurs actes en grosse par quelque notaire de Fontainebleau. Si j'en avois trouvé un à Bicêtre, je vous aurais mandé que le brancard de ma chaise rompit vis-à-vis de ce beau château ; si je vous avois écrit de Bouron, je vous aurois, parlé des pavés mal entretenus et du mauvais chemin qui est entre. Nemours et Montargis ; je vous aurais dit tin mot ensuite des postes vers Briare, qui sont si proches les unes des autres que M. de Nogent a pissé de la porte d'une dans la basse-cour de la prochaine ; je n'aurois pas oublié de vous dire -que le soleil, en se levant, nous crevoit l'œil gauche, et que M. de Nogent a soupiré après les lunettes des roussins de la Grande-Écurie ; que nous avons trouvé à Changy, qui est un village où il m'y a que dix ou douze maisons, douze filles plus belles les unes que les autres ; qu'entre Moulins et Varennes, nous avons fait trois postes en une heure ; que depuis Roanne jusqu'à Lyon, il en faut mile pour faire une poste ; que le brancard de M. de Nogent a rompu vers Saint-Symphorien ; qu'entre Tarare et Lyon, mon cheval de poste étant demeuré, un beustier m'est venu offrir sa paire de bœufs pour me mener en diligence à Lyon, où grâce à Dieu, nous sommes arrivés ; et, après un léger de notre part, et néanmoins fort magnifique repas de la part de M. l'intendant, nous nous sommes mis, comme les toupies (?), en trois bateaux. L'un est chargé de cinquante-deux passeurs dont on nous a fait présent, l'autre de nos trois chaises, et le dernier de nos personnes, qui voudroient bien être baisées du vent de bise, parce que nous en descendrions plus vite. Vous aurez la suite de cette magnifique et très-véritable relation, si les Languedociens nous donnent le temps d'écrire, pendant que nous serons dans leur pays. Je suis tout à vous. De dessus le Rhône, vis-à-vis la maison de M. Silvecane.

2. A M. l'archevêque de Reims, du 13 mai, sur le Rhône.

Nous sommes partis, il y a environ demi-heure, de Lyon, où je n'ai pas manqué d'embrasser madame Du Gué[2] en votre nom, de quoi elle m'a paru fort touchée, et m'a chargé de vous donner deux accolades à notre première vue. Nous sommes arrivés à Lyon, sur les sept heures du matin, après avoir essuyé des cahots sans nombre ; le Rhône va plus calme, et l'on nous fait espérer de nous débarquer demain à Beaucaire, pourvu que le vent, qui est contraire ; mais faible, ne se rafraichisse pas. Vous serez informé de la suite des aventures de notre voyage, qui, jusqu'à présent, a été assez heureux, à un orage ou deux près, dont l'un nous arrosa de grêle grosse comme les plis grosses noisettes, accompagnée. d'un tonnerre aussi bien servi que l'artillerie l'étoit à Cambray.

3. A M. de Tilladet, de dessus le Rhône, entre Aramon et Valabrègue, ce 14e mai 1680, à une heure après-midi.

Ma relation d'hier finit à la maison de M. de Silvecane. Depuis, nous avons passé le pont de Vienne, qui est beaucoup moins difficile que le pont du Pecq. La jeunesse nous fit grand feu de, mousqueterie ; mais, par bonheur, leurs pères leur avaient ôté les baltes. Nous vîmes ensuite Saint-Vallier, qui est un fort peu agréable château. La nuit nous prit entre Tournon et Tain. Nous avons marché toute la nuit, nonobstant les instructions qui nous avaient été données, et le jour nous a pris vis-à-vis d'Anconne ; nous avons passé les roches du Bourg, sans nous en apercevoir que par quelque frémissement que fait l'eau.

Il étoit cinq heures quand nous avons passé sous le pont Saint-Esprit, qui est beaucoup moins dangereux que le pont de Samois. Il étoit environ midi quand nous avons passé sous le pont d'Avignon. Depuis ce temps-là, le vent du midi nous lanterne de manière que nous avons beaucoup de peine à marcher. Tout le Rhône est couvert de moutons qui, font trembler et craquer le bateau, de manière que M. de Nogent ne peut plus se tenir debout. Il a fait un ex-voto. d'aller à Meudon, dés qu'il sera arrivé à Fontainebleau ; je doute qu'il le tienne, car je crois qu'il passera par Paris, à moins que qui vous savez ne le vienne trouver à Juvisy. Nous abordons présentement pour diner, et donner le temps au vent de se baisser un peu. Embrassez M. le Premier[3] de ma part, et me croyez tout à vous.

4. A M. de Saint-Pouenges, du 16 mai, Perpignan.

Comme je fais état, en partant de Barèges, de me rendre auprès (lu roi le plus tôt qu'il me sera possible, je vous prie, aussitôt que Nous aurez reçu celte lettre, de faire avertir mon maître d'hôtel et mon écuyer que je désire que mon équipage soit, le 13e juin prochain, à Fontainebleau. Avertissez aussi, sil vous plaît, le sieur Nuguet de mettre des chevaux de tournée entre Orléans et Fontainebleau, et de les prendre sur la route d'Orléans à Paris. Il me faut trois relais de cinq lieues en cinq lieues, de quinze chevaux chacun, sans compter Orléans, et que ces relais-là soient posés, ledit jour 13e juin, au soir. Vous me ferez plaisir d'envoyer à Pluviers votre calèche pour ce même jour-là au soir, et de faire mettre un autre relai entre ledit Pluviers et Fontainebleau, où j'aurai bien de la joie de vous embrasser.

5. A M. de Tilladet, du 18 mai, Perpignan.

Ma dernière étoit datée des rives du Rhône, d'où notre flotte, composée de quatre bateaux, aborda à Beaucaire, où je trouvai la fleur du Languedoc et de la Provence. Il étoit environ quatre heures et demie quand je mis pied à terre, et il fallut en passer deux à entretenir M. de Grignan, M. de Montanègre, M. de Vardes, M. l'intendant, MM. les conseillers, et une infinité de gens dont on me dit le nom, que j'oublie un moment après. Sur les six heures et demie, notre équipage fut prêt, et nous nous mimes-en marche. La nuit nous prit à un lieu nommé Génerac, où M. de Nogent ne fut pas mauvais à entendre, quand on l'eut assuré qu'il n'avoit-pas dans le village une poignée de paille. Nous en partîmes au piquet du jour, allâmes dîner à Valmaigne, qui est une abbaye de M. le cardinal de Bonzy, où je trouvai le plus grand dîner que l'on puisse faire, et coucher à Narbonne. On ne compte que vingt-quatre lieues de Languedoc, mais il y a bien aussi loin que de Paris à Blois.

Nous en partîmes jeudi matin, vînmes passer à Salces, qui est un des tristes séjours que j'aie vus de ma vie, et dîner ensuite en cette ville, où j'ai été accablé de visites de darnes. Il y en avoit hier un si grand nombre dans ma chambre qu'on ne trouva pas assez de siéger pour leur donner à toutes ; elles étoient la plupart fort peu agréables ; mais il y en avoit une qui ressembloit fort en beau à madame de Saint-Géran, c'est-à-dire qu'elle est infiniment plus belle qu'elle n'a jamais été. M. de Nogent lui est allé rendre visité aujourd'hui ; pour moi, je n'en ferai que de fort 'sérieuses, qui. Seront madame la comtesse d'Ille, madame la baronne de Montclar et madame de Châtillon.

Je pars demain de bon matin pour aller à Collioure et sur les rochers des environs du Port-Vendres, lundi à Bellegarde et coucher à Céret, mardi à Prats de Mollo ; mercredi je passerai le Pla-Guilain et irai coucher à Villefranche, jeudi à Mont-Louis, vendredi à Quériqut, samedi à Mirepoix. Toutes ces journées se feront à cheval, ou, pour mieux parler, sur un mulet. Là, je reprendrai ma chaise, et j'irai coucher, le dimanche, à Saint-Gaudens, le lundi, j'irai dîner à Bagnères et coucher à Campan. J'espère être, le mardi, sur les dix ou onze heures du matin, dans le bain à Barèges, d'où je fais état de repartir, le vendredi ou le 'samedi de la semaine suivante, pour regagner diligemment Fontainebleau. Je m'attends de trouver de vos lettres à Mirepoix ou à Saint-Gaudens, et qu'après cela j'en recevrai fort ponctuellement. Faites bien des reproches à madame la maréchale [de Rochefort] de son oubli, et soyez, bien persuadé que je suis tout à vous.

6. A M. de Tilladet, du 20 mai, de dessus la mule du Viguier de Cerdagne, en front le Canigou, à droite la montagne de Moisset, gauche le col del Pertus, derrière la Massanne.

Si vous savez bien la géographie, vous devinerez d'abord que c'est de Céret que je vous écris, après avoir vogué sur la mer de Collioure, fait une descente à la plage, où nous avons trouvé des carrosses qui nous ont menés à San Martin del Bobo ; nous avons enfourché les mules, (lui nous ont portés à Bellaguarde, située sur un pain de sucre, entre deux chemins qui vont en Espagne ; nous y sommes arrivés, à la fraîcheur de M. de Vendôme, avons visité la place en même temps, pour éviter le frais, avons fort bien dîné ensuite, et fait, après, une sieste d'heure e mezze ; après quoi, nous étant licenciés de madame la gouvernante, nous sommes venus monter sur nos mules, précédés par quatre fadrins qui avoient, entre eux, deux cents coups à tirer. Nous sommes à la fin arrivés en cette maison, où il n'y a vitres ni portes qui ferment. M. de Nogent travaille à une machine pour transporter le Canigou, avec toutes les fontaines qui sont dessus, dont il veut faire, présent au roi à son arrivée. C'est tout ce que vous aurez de moi pour cette fois.

7. Au roi, du 22 mai, Villefranche.

J'ai marché cinq heures pour faire deux lieues que l'on compte du Fort-des-Bains jusqu'à Prats de Mollo. J'ai passé ce matin la montagne pour venir en cet te ville ; il y a tant à monter et à descendre, que nous avons été dix heures pour faire les quatre lieues que l'on compte de Prats de Mollo ici[4].

8. A M. le chancelier, du 22 mai, Villefranche.

Il y a trois jours que nous marchons dans les montagnes ; nous en avons passé une aujourd'hui qui ne se peut monter en moins de trois heures. Nous avons trouvé la tempête dessus et une neige qui a duré plus d'une heure, laquelle se geloit sur nos manteaux, comme en plein hiver. J'ai retrouvé le printemps en ce lieu, que je crois que je perdrai pour trois jours que je mettrai à aller d'ici à Mirepoix, ou à séjourner au Mont-Louis, où je fais état d'aller dîner demain.

9. Au roi, du 23 mai, Auna.

Les quatre mille hommes qui sont campés séparément à Mont-Louis, sent séparés sur les hauteurs des environs ; les huttes des soldats sont couvertes de planches de sapin et bâties, les unes avec du gazon, les autres avec des claies maçonnées avec de la terre, de manière que six soldats qui logent dans chaque baraque s'y peuvent tenir debout, et y. ont une cheminée pour faire leur pot. Les camps y sont aussi bien dressés que ceux que Votre Majesté a vus en Flandre, et y, sont tous plantés de bois de sapins dont le moindre a douze ou quinze pieds de haut ; et non-seulement il y en a deux allées devant le front des camps, mais il y en .a deux à côté de chaque baraque, sur l'alignement des rues du camp. Chaque régiment a amené une fontaine qui passe dans le milieu du camp, et à la tête et à la queue, il y a un bassin de sept ou huit pieds de diamètre dans lequel cette fontaine passe, C'est le régiment de Vierzet qui a commencé à se mettre de cette manière, et qui a donné envie aux autres de faire de même, à quoi ils ont tout à fait bien réussi.

10. A M. le chancelier, du 25 mai, deux heures après-midi, Sainte-Colombe.

Je suis parti ce matin d'Auna, et suis venu cibler ici, d'où je partirai dans une heure pour aller coucher à Mirepoix ; j'espère aller dîner demain à 'lieux et coucher à Saint-Gaudens, et après-demain coucher au, pied de la montagne qui est en deçà de Barèges, où, quelque impatience que j'aie de me revoir auprès de vous, vous pouvez compter que j'y séjournerai aussi longtemps que les médecins du lieu me le conseilleront.

J'ai oublié de mander au roi que le gouverneur [espagnol] de Puycerda m'a envoyé le lieutenant de roi de cette place, escorté par des officiers de dragons, pour me dire qu'ayant appris mon arrivée, il n'avoit pas voulu manquer de m'envoyer donner la bienvenue, et me dire que si je désirais quelque chose de lui, de la ville et du pays, je n'avois qu'à parler et je serais obéi, et que c'étoit ce que ledit gouverneur l'avoit chargé de me dire expressément. Je vous laisse à juger si cette civilité peu ordinaire aux Espagnols n'étoit pas accompagnée de beaucoup d'inquiétude.

11. A M. de Tilladet, du 25 mai, Sainte-Colombe.

Je ne vous ai point écrit depuis Céret, parce que, quoique je n'aie fait que quatre lieues par jour, je n'ai pas laissé de marcher dix à douze heures, les lieues de ce pays-ci n'étant pas longues quand on n'est que trois heures à les faire. J'allai coucher mardi à Prats de Mollo, qui, quoique situé dans un fond, n'en est pas moins loin[5] du ciel, puisque je montai, huit heures durant, plus d'un demi-pied par chaque deux pas de mon cheval. Le lendemain, je me mis en marche pour Villefranche, où l'on ne compte que quatre lieues, mais on est neuf heures à les faire, dont on en monte trois plus d'un tiers plus droit que n'est la montée du mont Cenis du côté de Lans-le-Bourg.

Au bout de trois heures de marche, nous trouvâmes une feuillée faite avec des sapins ; car il n'y a point d'autres arbres dans ce vilain climat. La pluie nous prit en même temps que l'on apporta de la soupe qui fut noyée en un moment. On vint nous avertir de monter diligemment à cheval, parce que la tempête se formoit ; et, en effet, après avoir monté un quart d'heure, nous trouvâmes la neige avec un si grand froid que tout geloit, et nos manteaux étoffent incrustés de deux ou trois pouces de neige. Après que nous eûmes descendu environ une heure, comme si nous eussions voulu descendre dans Je puits, la neige cessa, et nous n'eûmes plus que de la pluie qui cessoit une demi-heure après. Nous marchâmes encore plus d'une heure devant que de trouver les rossignols qui- ont l'esprit, en ce pays-ci, de ne point habiter les montagnes et les pays qui sont frais. Enfin, à force de descendre, nous trouvâmes Villefranche, dont les fortifications ne pourroient être défendues, si on n'avoit pas couvert les remparts d'une galerie qui porte des pierres qui sont à l'épreuve du mousquet. Nous sommes partis avant-hier de Villefranche pour aller à Mont-Louis. On monte six heures-durant, après quoi l'on trouve un fort joli pays où cette place est située.

Nous avons traversé hier le Capsir, et, dans toute cette marelle, avons été escortés par des fadrins que je ferois toujours marcher devant moi, si je n'étais pas le plus fort avec eux, tant j'ai mauvaise opinion de leur foi. Nous avons vu en chemin le capitaine Labry, qui est à peu près de votre taille ; mais il marche beaucoup mieux à pied, et il est si honnête homme que, pour faire plaisir à un de ses amis, il ne fait point difficulté d'assassiner un homme qui ne lui a point fait de mal. Au bout du Capsir, nous avons trouvé cent paysans de Quériqut qui ont relevé les fadrins du gouvernement de M. de Noailles, lesquels avaient des bonnets gris de lin, et ceux de Quériqut avoient des toques bleues ; ceux-ci me paraissent bonnes gens ; mais je crois que les autres les battroient bien.

Nous sommes partis ce matin d'Auna, et soit qu'on eût oublié de faire boire ma mule, soit que la chaleur que nous avons retrouvée en descendant la montagne l'eût altérée, elle a voulu boire dans une fontaine qui étoit dans le chemin, et, comme sa tête n'y pouvait atteindre, elle s'est couchée. Je me suis trouvé sur mes deux-pieds ; elle m'a laissé retirer d'auprès d'elle fort doucement, et serait encore là si, à force de coups de fouet, on ne l'avoit fait relever. Je suis remonté dessus, et elle m'a amené ici fort honnêtement, où je vais remonter dans ma chaise, dans un quart d'heure, pour ne la plus quitter jusqu'au pied de la montagne de Barèges, où j'espère arriver après-demain, et être délivré, demain au soir, de tous les festins et compliments dont j'ai été relayé depuis dimanche.

Je n'ai pas encore eu de vos lettres, j'espère que j'en trouverai aujourd'hui à Mirepoix et demain à Rieux. Tout le monde me dit que je guérirai promptement à Barèges ; ce ne sera assurément pas- sitôt que je le désire ; car j'ai beaucoup d'impatience de vous revoir. Faites mes compliments à M. de La Rochefoucauld, et assurez madame la maréchale de mes respects.

12. A M. le chancelier, du 27 mai, Campan.

J'ai eu l'honneur de vous écrire de Sainte-Colombe, d'où je partis l'après-midi, pour aller coucher â Mirepoix, où j'ai vu M. de Vardes, qui, à quelques cheveux gris près, ne m'a point paru changé. Je suis parti hier dudit Mirepoix, devant quatre heures. On ne compte que neuf lieues jusqu'à Rieux, et cependant il étoit près d'une heure quand j'y arrivai ; j'en repartis sur les trois heures, et n'arrivai à Saint-Gaudens qu'à onze heures du soir. J'espérois n'y trouver personne et y avoir un peu de repos ; mais il plut à M. l'intendant de Montauban de s'y rendre, et à M. l'évêque de Comminges, qu'il fallut entretenir dans un temps que j'avois bien besoin de me reposer. J'en suis sorti ce matin sur les cinq heures, et suis arrivé à Bagnères vers le midi ; cependant on ne compte que six lieues, mais elles en valent chacune au moins trois de France. J'ai trouvé M. le comte de Gramont à une demi-lieue de Bagnères, avec deux carrosses à six chevaux de sa livrée, qui m'ont mené à sa maison audit Bagnères, où il prend des eaux, et il m'a amené après diner jusqu'ici en même équipage.

J'ai consulté trois médecins auxquels j'ai montré ma jambe ; ils sont tous convenus que je trouverai une parfaite guérison à Barèges ; mais ils veulent qu'après y avoir demeuré huit jours, j'en vienne passer cinq à Bagnères pour y prendre les bains qui, à ce qu'ils prétendent, raffermiront ce que les eaux de Barèges pourroient avoir trop ramolli. 3e me laisserai conduire par celui qui a servi M. le duc du Maine, qui arrivera demain à Barèges quand et quand moi, et vous pouvez être assuré que je ne partirai de ce pays-ci que lorsqu'ils me diront qu'un plus long séjour y seroit inutile.

J'espère dîner demain à Barèges, et commencer à me baigner le soir. Je ne sais si c'est la chaleur qu'il fait depuis quatre jours, qui est très-excessive, qui a fait du bien à ma jambe ; mais je marche mieux que je n'ai encore fait, et ne me sers quasi pas de bidon en montant ni en descendant les degrés. Il s'en faut néanmoins encore beaucoup que les mouvements du pied droit n'aient autant d'étendue que ceux du pied gauche.

P. S. Je vous supplie d'ordonner que l'on envoie copie de ceci à ma femme, parce que je n'ai pas eu le temps de lui écrire aujourd'hui. Je suis, avec le respect que je dois, tout à vous.

13. A M. l'archevêque de Reims, du 29 mai, Barèges.

J'ai reçu votre lettre du 18e de ce mois, par laquelle j'ai av. pris avec beaucoup de plaisir la guérison de M. le chancelier en même temps que son incommodité ; je vous conjure d'essayer de le porter à ne point, tenir le sceau aussi longtemps qu'il a fait jusqu'à présent un même jour, et de vouloir bien aimer un peu plus sa santé que la commodité des officiers du sceau, qui sont créés et payés pour être toujours auprès de lui. Je vous remercie de la part que vous voulez bien me donner de votre traité avec M. le prince Guillaume [de Fürstenberg], et de l'agrément que le roi a eu bien agréable de vous donner de l'abbaye de Saint-Remy ; je ne sais pas ce qu'elle vaut de revenu, mais il ne vous peut "être que d'une très-grande commodité de ne partager avec personne la seigneurie de la ville de Reims et la disposition des cures dans votre diocèse.

Je suis arrivé d'hier ici, après avoir fait un voyage aussi long et aussi pénible que l'on en puisse faire. L'on ne petit imaginer ce que c'est que les habitations de cc lieu-ci. Je crois que j'en partirai le 6 de ce mois[6], pour aller à Bagnères y demeurer quatre jours ; après quoi je reprendrai le chemin de Fontainebleau, où j'espère arriver le 16 ou le 17 de juin. Je ne me suis baigné encore que deux fois dans le bain et deux fois dans la chambre ; cependant je me trouve extrêmement soulagé. Je continuerai, d'ici au jour de mon départ pour Bagnères, à me baigner deux fois dans le bain et deux fois dans la chambre, par chacun jour.

Ce que l'on m'avoit dit des incommodités des vapeurs du bain ressemble fort aux descriptions des dangers du pont Saint-Esprit. J'ai fait agrandir la fenêtre du bain, et une demi-heure devant que j'y entre, l'on en vide l'eau et l'on y eu jette de la fraiche. Je baigne ma jambe dans un vase de bois qui tient environ trois seaux d'eau, moyennant quoi je demeure une heure dans le bain, sans suer.

14. A M. de Tilladet, du 29 mai, Barèges.

Je n'ai commencé à recevoir.de vos lettres qu'à Mirepoix ; depuis cela, j'en ai reçu par tous les ordinaires, hors par un qui arriva avant-hier an soir à Campan. Je vous remercie de toutes vos nouvelles, et je vous prie de continuer me faire savoir ce qui se passera. Dites à madame de Maintenon que je ne trouve point extraordinaire qu'elle ne m'écrive point, vu les occupations qu'elle a, et que je sais bien à qui je me plaindrai de son oubli.

Mon voyage de Rieux ici s'est passé assez heureusement, à un petit accident près, qui est qu'à deux lieues de Rieux, une espèce de bouvier qui menoit ma chaise, ayant voulu tourner court dans une descente, lâcha la longe avec laquelle il tenoit mon cheval, lequel, au lieu de suivre le chemin, prit le plus court, et me descendit par monts et par vaux ; il ne rompit point pourtant, ma chaise, et, Dieu merci aux rênes que j'avois, avec lesquelles j'évitai les plus grands trous, ne me versa point. Une douzaine de consuls qui marchoient à ma suite accoururent, pied à terre, et retinrent si bien ma chaise que le cheval, ne se sentant plus chargé, et étant assez étroitement tenu par les guides, eut la bonté de s'arrêter.

Cela fut suivi d'une demi-journée un peu fastidieuse ; car nous n'arrivâmes à Saint-Gaudens qu'à onze heures du soir, et fûmes obligés de passer deux fois la Garonne dans des bacs qui ressembloient forts à des bachots ; aussi fallut-il démonter les chaises et les mettre sur une espèce d'échafaud que l'on avoit fait sur le bateau, qui le débordoit de cinq ou six pieds de chaque côté. J'ai trouvé le comte de Gramont à une demi-lieue de Bagnères, avec deux carrosses à six chevaux de sa livrée ; il m'en a prêté un pour me mener jusqu'au pied de cette montagne-ci, que j'ai passée à cheval, ne pouvant me résoudre à me voir porter sur les épaules, comme les châsses que l'on porte en procession.

Je me suis baigné hier deux fois ; j'en fais autant aujourd'hui, et en ferai encore autant ce soir. Ce sont quatre bains par jour que je prends, dont deux dans la chambre et deux dans le bain public. Je vous prie de dire à M. de La Rochefoucauld que j'ai trouvé l'invention de ne point suer du tout. J'espère, après sept jours de séjour, aller à Bagnères, y en demeurer trois ou quatre, et, après cela, partir pour me rendre à Fontainebleau, où je crois que je pourrai danser au ballet ; car je me flatte que ces bains-ci remettront ma jambe en bon état.

Je n'ai reçu, depuis vingt jours qu'il y a que je suis parti de Paris, qu'une lettre de madame la maréchale ; faites-lui-en des reproches, et soyez bien persuadé que je suis tout à vous.

15. A M. de Villacerf, du 29 mai, Barèges.

J'espère de me mettre en chemin, le 11, pour regagner Fontainebleau, où je serai ravi de vous trouver avec la petite perruque que le roi vous a permis de porter toujours à l'avenir.

16. A M. de Béringhen, du 31 mai, Barèges.

Si vous saviez ce que c'est que Barèges, vous ne croiriez pas qu'il y eût des apothicaires ; il n'y en a point plus prés que Bagnères, qui est à plus de dix lieues de France d'ici ; et M. de Nogent, qui veut suer dans le bain pendant deux ou trois jouis, a été obligé d'y envoyer quérir une médecine qu'il a prise aujourd'hui.

17. A M. l'archevêque de Reims, du 31 mai, Barèges.

Je demeurerai en ce pays-ci tout autant qu'il sera nécessaire pour ma santé, et pas un jour davantage. Si vous pouviez voir comme ce lieu est affreux, vous conviendriez qu'il n'est pas agréable d'y demeurer inutilement. Je vous remercie de tout mon cœur de vos nouvelles, qui sont d'un grand soulagement dans un pays pareil à celui-ci. Il est si extraordinaire que, depuis que j'y suis, je n'y ai vu aucun oiseau, de quelque nature que ce soit ; ils ont trop bon sens pour s'y établir.

Ces eaux-ci sont merveilleuses et doivent être plus estimées qu'une mine d'or ; cependant elles sont dans un abandon scandaleux, et le bain exposé à être emporté tous les jours par un débordement du torrent, faute de dépenser quatre à cinq cents écus pour l'en mettre à couvert. Ce bain ressemble plus à un caveau à serrer du bois qu'à autre chose. Il y a environ un pouce et un tiers d'eau qui sort par le tuyau qui donne dans le bain, et il s'en perd plus d'un pouce, faute de dépenser cinquante écus, et peut-être la moitié moins, pour la rassembler. Les gens qui gouvernent ces eaux sont si bêtes qu'ils sont persuadés que si l'on y touchoit, l'on en perdroit la source. Cependant il n'y a aucun hasard, et je ne saurois croire qu'il coûtât mille pistoles pour faire deux beaux bains, au lieu de l'infâme qui y est ; et je crois qu'autres mille pistoles feroient un bâtiment capable de donner le couvert à vingt officiers à la fois, lesquels sont obligés de loger dans des cabanes qui sont affreuses.

Je vais faire un mémoire de ce qui se pourroit faire de mieux ici. Je verrai avec des ouvriers du pays ce qu'il coûteroit pour l'exécuter, afin que, si Sa Majesté veut bien avoir cette charité pour les officiers qui la servent, il ne tienne qu'à elle d'ordonner la réparation dont ce lieu a besoin.

Je ne sais maintenant encore au juste combien je demeurerai ici ; mais je ne vois rien qui m'y puisse retenir, ou à Bagnères, passé le 10 du mois prochain.

18. Mémoire de ce qui seroit à faire à Barèges.

Soixante-dix toises de digue de charpenterie remplie de cailloux de rivière, commençant au rocher qui est voisin du pont, et continuant sur le bord de la rivière jusques au delà de l'ancien lit, afin de maintenir le cours de l'eau où il est présentement, et empêcher que, dans les débords, le bain ni les maisons voisines ne soient endommagés. Cela pourra coûter environ dix écus la toise.

Il faudra rallonger le pont au moins de quatre toises, afin que ce qui fait présentement la culée du pont, de l'autre côté de Barèges, soit d'autant reculé, et que l'eau ait d'autant plus de cours. Comme il n'est question que de sept ou huit sapins, et de pierre sèche, à arranger, la vallée fera cela.

Pour faire un autre bain, à côté de celui qui y est présentement, et du côté de la hauteur, de dix pieds en carré, il faut approfondir vingt pieds de haut de rocher sur seize pieds en carré, ce qui fait environ vingt-quatre toises cubes, à douze livres la toise, deux cent quatre-vingt-huit livres.

Pour enfermer le bain d'une muraille de pierre de taille de deux pieds d'épaisseur sur dix pieds de long de chaque sens, et dix pieds de haut, cela fait environ douze toises d'ouvrage, qui, à quarante livres la toise, fera quatre cent quatre-vingts livres.

Pour le mur qui soutiendra les terres qui se trouveront au-dessus de cette hauteur, deux cents livres.

Pour la voûte en cul de four, trois cents livres.

Pour le pavé du bain, qui doit être de pierres de taille jointes ensemble et posées à sec, cent livres.

Pour deux degrés de pierre de taille, de dix-huit pouces chacun, sur quinze pouces de haut, trente livres.

Il faut observer de faire ce bain d'un pied et demi ou deux pieds plus bas que celui qui y est présentement, afin que la douche puisse tomber de plus haut, et que les sources chaudes, qui sont présentement au fond du bain, puissent composer un second conduit à peu près de la hauteur de celui qui y est présentement.

Pour le massif de maçonnerie à faire au-dessus de la voûte, aussi haut que les terres du côté de la hauteur, et venant en pente sur l'autre bain, deux cents livres.

Pour le couvrir d'assises de pierres de taille chevauchant les unes sur les autres, trois cents livres.

Après que ce bain sera en sa perfection, l'on pourra en faire un pareil, en la place de celui qui y est présentement, qui coûtera pareille somme, observant de le tenir un pied et demi ou deux pieds plus profond qu'il n'est présentement, pour la raison expliquée ci-dessus.

Pour approfondir ce que l'on appelle présentement l'antichambre du bain, et la pousser jusques à la profondeur des deux bains, la revêtir, y faire un degré, et la couvrir, deux cents livres.

Pour faire un aqueduc où un homme puisse entrer, qui tourne autour des deux bains, pour en ôter quelques eaux froides, et ensuite servir au déchargeoir du fond des deux bains, quinze cents livres.

Pour visiter les conduits d'eau chaude, les rassembler en une, s'il est possible, du moins en deux, faire un aqueduc de pierres de taille jointoyées avec du ciment par le fond, dans lequel un homme puisse entrer, s'il est un peu long, sinon que l'on puisse découvrir par-dessus, pour voir ce qu'il peut arriver, quinze cents livres.

19. A M. le chancelier, du 4 juin, Barèges.

Je me suis déjà baigné vingt-cinq fois, et je m'en baignerai encore seize, entre ci et vendredi au soir ; après quoi, tout ce qu'il y a ici de médecins et de chirurgiens sont convenus que je resterois ici inutilement. Ils ne veulent pas que je me baigne à Bagnères ; mais, comme une si grande quantité de bains ne peut que m'avoir échauffé, ils ont désiré que je ne me mette en chemin que lundi prochain ; ainsi je serai deux jours à me rendre d'ici à Tarbes, où il n'y a que dix lieues de ce pays-ci, et prendrai la poste lundi, avec ma chaise, pour me rendre, Dieu aidant, à Fontainebleau, le samedi suivant.

20. A M. de Tilladet, du 6 juin, Barèges.

Je vois, par votre lettre du 29e du mois passé, qui me fut rendue hier, que tout le monde croit que je fais mal de ne me pas arrêter à Bagnères ; cependant je suis l'avis du médecin de Bagnères et du sieur Bessière, qui conviennent qu'un plus long s& jour ici que celui que je me suis proposé serait entièrement inutile, et que je ne pourrais recevoir que du mal des bains de Bagnères. Vous voyez que quand on raisonne de loin, on est sujet à se tromper. Je l'ai fort reconnu dans le voyage que j'ai fait, et particulièrement sur tout ce que l'on m'avoit dit de la navigation du Rhône et du danger de la montagne qu'il faut passer pour se rendre ici.

J'espère de repasser cette même montagne après-demain, pour aller coucher à Bagnères ; je m'y reposerai le lendemain jusqu'à trois heurés après midi, que j'en partirai pour aller coucher à Séméac ; le lundi, je me mettrai en voie et irai coucher à Roquefort ; le lendemain, diner à Langon et coucher à Cubzac, sans passer à Bordeaux, pour continuer dans le goût qui m'a pris d'éviter les grandes villes, J'irai, comme je l'espère, le jour suivant à Gourville ; le lendemain, à Châtellerault. ; le jour d'après, deux lieues en deçà ou au delà d'Orléans, et puis à Fontainebleau.

Vous savez qu'il faut mettre, sur de tels projets, Dieu sur tout, comme dans les almanachs, parce qu'une rupture à la chaise me pourvoit retarder pour vingt-quatre heures. Je suis tout à vous.

 

II

LETTRES DE LOUVOIS RELATIVES A DES ACQUISITIONS D'OBJETS D'ART, CURIOSITÉS, LIVRES, ETC.

 

Au sieur de La Tuilière, à Rome, du 7 janvier 1684

J'ai vu les estampes des quatre tableaux de l'Albane que vous m'avez mandé que le sieur Falconière avait mis en gage, lesquels m'ont paru fort beaux. Je vous prie de vous souvenir qu'il ne faut point acheter de statues antiques qui n'aient au moins six pieds et demi de haut.

Au même, du 11 janvier 1684.

Vous aurez vu, par ma dernière, que j'approuvais que vous traitassiez pour faire faire une copie de l'Aiguiseur, et que, nonobstant cette copie, je désirois que vous en fissiez flore les creux. Vous me ferez plaisir aussi de m'envoyer les creux du Sanglier antique et du Chien qui est dans la galerie du grand-duc [de Toscane]. Si vous trouvez quelque sculpteur sur les lieux capable de les bien copier en marbre, vous pouvez y faire travailler, sans que cela vous empêche de m'en envoyer les creux. Vous en devez user de même à l'égard du Bacchus que fit Michel-Ange pour tromper les connoisseurs de son temps, c'est-à-dire le raire copier en marbre et m'en envoyer le creux.

Je serois bien aise de voir une esquisse de la Vénus du Poggie impérial, et des quatre grandes figures couchées qui sont dans la chapelle des Médicis, et vous devez toujours eu user de même, lorsque vous me parlez de quelque figure, c'est-à-dire m'en envoyer des esquisses en même temps que vous m'en parlez, et  faire toujours mention de leur mesure, sur le pied de celle de France.

J'écris à l'abbé Strozzi de demander, au nom du roi, à M. le grand-duc, la permission de faire mouler les belles figures qui sont dans ses États, même de les faire copier en marbre lorsqu'il en sera requis par vous.

L'on a, dans le magasin des creux qui ont été envoyés de Rome, ceux des Lions d'Égypte qui sont au Capitole ; ainsi, il ne les faut pas envoyer. Je serois bien aise de voir une esquisse des autres, auparavant que vous les fissiez mouler. Envoyez-moi, par chaque ordinaire, les esquisses des figures que vous avez fait mesurer dans la semaine, sans attendre à me les envoyer tout ensemble, et à l'égard des creux, ne les faites faire que dans le bon temps. Les deux termes, l'un représentant l'Hiver et l'autre Flore, dont vous me parlez, sont à Sceaux.

Je vous ai adressé, par le dernier ordinaire, la lettre que j'ai écrite au seigneur Paul Bernin, par laquelle je lui mande de remettre à vos ordres la figure équestre, du roi. Je ferai en sorte que, entre ci et un mois ou six semaines, il soit envoyé un profil du roi au sieur Domenico Guidi, qui feroit bien mieux de ne le point faire que de le faire mal, comme il lui arrivera sans doute, s'il le fait sur un tableau.

Je suis surpris de ce que vous ne me mandez rien du Méléagre qu'on m'a dit être toujours à vendre dans une maison proche de la place Farnèse[7].

Au même, du 8 février 1684.

Je vois que vous avez trouvé un mouleur plus raisonnable que le sieur Carlo. Je suis tout à fait de votre avis sur la Vigne de Ludovise, c'est-à-dire qu'il vaut mieux acheter les choses dont on a besoin un peu cher, que de s'en charger de beaucoup qui seraient inutiles.

Je vous ai déjà mandé que vous fissiez copier en marbre une douzaine des plus belles figures dont le roi n'a point les creux, observant de donner six pieds huit pouces, sans compter la plinthe, à celles qui n'ont pas cette hauteur ; je vous le répète encore, et que, si vous trouvez des gens capables d'en entreprendre plus de douze, vous pouvez aller jusqu'à dix-huit, observant toujours de me mander celles que vous ferez copier, et dans quel temps je puis espérer qu'elles seront achevées. Vous devez observer qu'il y a pour le moins la moitié à épargner à faire copier à Rome que de faire venir les marbres ici pour les faire travailler. Vous ne devez pas laisser, ainsi que je vous l'ai déjà mandé, de m'envoyer les creux des belles figures que vous ferez copier en marbre, parce que je veux être en état d'en faire couler en bronze, lorsque le roi l'ordonnera.

Il ne faut point penser à acheter le bois de lit incrusté de lapis ‘et d'autres pierres de cette nature, parce que cela seroit entièrement inutile ici ; mais quand vous croirez avoir à bon marché des pierres propres à orner des meubles et des cabinets pour le roi, vous ne devez point manquer de les acheter. Ne perdez point occasion d'acheter des vases de porphyre, quand ils seront beaux, mais ne précipitez rien, et par l'indifférence que vous affecterez pour cela, vous ferez connoître qu'il n'y a que le grand marché qui vous oblige à donner l'argent du roi. Quand vous trouverez de beaux vases de marbre, vous pouvez les acheter, quoique je ne vous en aie point ci-devant demandé, pourvu qu'ils soient à des prix raisonnables.

L'on me mande de Toulon que la flûte qui doit charger les figures et autres ouvrages de l'Académie est déjà sortie trois fois, sans que les vents lui aient permis de faire sa route à Civita-Vecchia ; je ne doute pas qu'elle ne ressorte, dès que le vent le lui permettra.

Comme je suis persuadé que l'argent comptant aide fort à avoir bon marché, je vous en ferai remettre dès que vous me manderez en avoir besoin. Je vous prie de m'envoyer, tous les mois, un état de la dépense que vous aurez faite et du fonds qui vous restera[8].

Au même, du 31 mars 1684.

Je vois que vous vous disposez à faire copier en marbre le Tibre et le Nil, et que vous n'attendez que des blocs de marbre pour faire commencer cet ouvrage. Je veux espérer que vous trouverez moyen d'en avoir auparavant le mois de septembre prochain, quand même vous devriez payer quelque chose de plus pour les faire venir, dès que la fin du mois prochain aura rendu la mer praticable.

J'approuve fort que vous ne suiviez point le mauvais usage pratiqué jusqu'à présent dans l'Académie ; d'employer du marbre d'architecture pour faire des statues, et que vous preniez tout du plus beau. Si la Vénus que l'on nomme aux belles fesses est bien avancée, je serois d'avis de la laisser achever, quoique le bloc soit un peu taché de noir ; que s'il y a peu de travail fait, vous pouvez la faire recommencer, dans le bloc que vous- nie mandez être de bonne qualité.

Je vois avec plaisir, par ce que vous me mandez, que vous croyez être en état de faire embarquer, au printemps prochain, douze statues. Je vous prie de suivre ce plan, et si les ouvriers vous le permettoient, de vous mettre en état d'en envoyer encore davantage, choisissant tout ce qu'il y a de plus beau pour le copier. Je serois surtout bien aie d'avoir huit on dix termes de bon goût, qui doivent avoir 8 pieds à 8 pieds et demi de haut, et être gros à proportion, pour-pouvoir paroître dans les jardins du roi.

J'approuve que vous achetiez les deux creux de la petite Vénus de Borghèse et de l'autre de Médicis, qui est dans une posture à l'accompagner, et que si vous ne croyez pas qu'en bien empaillant les deux creux, ils puissent se conserver, vous en envoyiez quelques jets qui puissent servir à réparer ce qu'il y auroit de cassé.

A l'égard des figures couchées ou assises, il faut que vous régliez la proportion sur 8 pieds de haut, c'est-à-dire que vous les fassiez faire de la grosseur nécessaire pour que, si elles étoient debout, elles eussent 8 pieds.

J'approuve qu'en cas que vous ne puissiez pas faire mouler de belles statues, vous en fassiez faire des modèles pour les faire copier à Rome, où je conviens qu'ayant la liberté de voir souvent les originaux, l'on pourroit mieux réussir que si, ayant lesdits modèles ici, l'on vouloit les recopier en grand. Je me remets à vous de faire restaurer ou non les enfants qui étoient sur le Tibre.

Je crois qu'il ne faut pas chercher à savoir si par le passé le roi a été trompé dans les achats qui ont été faits à Rome ; il faut seulement vous appliquer à faire qu'il ne le soit plus.

J'approuve l'augmentation de prix des deux vases de porphyre, en considération de la réforme des anses, et j'attendrai les profils et mesures des deux plus petits vases qui sont chez le même sculpteur, aussi bien que le dessin de la navicella que l'on pourroit faire du bloc de porphyre qui est chez le même sculpteur.

N'oubliez point de me donner votre avis sur ce qui regarde l'Académie, c'est-à-dire s'il est plus utile de laisser continuer les choses sur le pied où elles sont à cet égard que de mettre les élèves, que l'on envoie à Rome, en pension chez les meilleurs maîtres, suivant le projet que je vous en ai envoyé.

Si, sans vous commettre en rien, ni y employer M. l'ambassadeur, vous pouvez faire acheter le canon de deux pieds de long, aux armes du roi, que vous avez vu dans la Vigne de Jules III, vous pouvez le marchander, me mander ce qu'il pèse et ce que l'on en demande.

Je serai bien aise de recevoir, par le vaisseau qui portera la statue équestre, le moule de la Daphné et du David de Bernin, et d'avoir aussi celui de la Proserpine et de toutes les autres figures que vous trouverez qui le mériteront.

Je ne me soucie point de quelles mesures soient les tableaux que vous m'enverrez des peintres qui sont présentement en Italie, parce que je veux seulement voir de quoi ils sont capables, pour essayer d'attirer ici ceux qui sont les meilleurs ; et comme je ne les désire pas pour faire des tableaux de chevalet, mais bien pour pouvoir peindre des plafonds, c'est de ceux qui y sont propres que vous m'enverrez des ouvrages.

Je me remets à vous de régler le prix des deux Fleuves du Belvédère, observant seulement, quand vous m'écrirez, de le faire le plus clairement que vous pourrez ; car, par exemple, vous ne me mandez point si les 900 écus romains qu'on vous demande sont pour le travail des deux ou d'un seul, et si l'achat du marbre est compris dans ce prix-là. Si l'on peut épargner les douanes en disant que c'est pour le roi, vous pouvez le faire ; mais j'aime mieux que l'on paye que de se commettre à un refus sur une affaire d'un si petit intérêt.

Mandez-moi quelle réponse on vous fera sur les trois figures, vendre de la succession du cardinal Nini, et comme je serai bien aise d'en avoir quelques-unes, vous pouvez les acheter pour moi, si vous ne trouvez pas qu'elles méritent d'être placées à Versailles. Je vois que vous continuez à vous inquiéter sur ce que, les figures dont je vous envoie les mémoires ne sont pas belles ; je vous répète, une fois, pour toutes, que je ne prétends que vous les indiquer, et, que je me remets à vous de leur choix.

Si l'on pouvoit avoir Germanicus et Cincinnatus, quand elles coûteroient plus de 500 pistoles, vous ne devez pas hésiter à les prendre, puisque vous les trouvez bonnes. Vous en pouvez prendre aussi de celles qui sont à meilleur marché, pourvu qu'elles soient entières et qu'elles ne soient, point estropiées.

L'on a fait venir ici de la pouzzolane ; mais comme personne ne la sait employer, je voudrais bien que vous envoyassiez quelqu'un qui fût capable d'apprendre à des ouvriers à le faire. Mandez-moi combien elle coûte, rendue sur le bord du vaisseau, combien la mesure dont vous me parlez pèse, et combien elle peut faire d'ouvrage.

Au même, du 31 mars 1684.

Je vois que le creux de l'Aiguiseur est fait ; je serais bien aise que vous l'envoyassiez par le vaisseau qui portera la statue équestre. Je ne vous dis rien sur le prix du creux du Bacchus et de celui du Sanglier, parce que je suis persuadé que vous ferez de votre mieux pour les avoir à prix raisonnable. Faites travailler à copier ce Bacchus et ce Sanglier en marbre, et me mandez dans combien vous croiriez qu'ils pourraient être achevés.

Je suis bien aise que la réparation que vous avez faite aux vases de porphyre ait réussi,. et j'approuve que vous achetiez les deux autres vases, si on les veut donner à prix raisonnable. Vous pouvez acheter les deux vases de marbre gris dont on volis demande 300 écus romains, me remettant à vous d'en régler le prix le plus avantageux que vous pourrez.

Je vois avec plaisir l'apparence que nous aurons les tableaux de Falconieri. Je suis persuadé qu'avec de l'argent comptant et de la prudence, vous viendrez à bout de tirer beaucoup de belles choses de Rome.

Il n'y a pas d'apparence d'acheter pour quarante mille écus de statues de la marquise Tassi ; cependant envoyez-moi un inventaire de ce qu'elle a, et à côté de chaque article, marquez-moi la qualité et la hauteur de la figure, et ce que vous croyez qu'elle vaut ; et si cependant elle veut se défaire de ses vases de porphyre et les donner à prix raisonnable, ne manquez pas l'occasion.

Je me remets à vous de faire venir la quantité de blocs de marbre que vous jugerez à propos. Je vous enverrai, par l'ordinaire prochain, un état des statues que je fais copier en marbre.

Je serai bien aise d'avoir les creux des statues de la Daphné, de l'Apollon et du David, de Bernin, et s'il a fait deux Apollons, de les avoir de tous deux.

Vous pouvez traiter avec le fondeur de la reine de Suède pour jeter les statues dont il a le creux, et s'il réussit bien et qu'il ne soit point extraordinairement cher, on pourra traiter avec lui pour d'autres.

Je vois avec un extrême plaisir que vous soyez venu à bout d'avoir les creux de toutes les belles statues de la reine de Suède ; ne perdez pas de temps à les faire faire, de peur qu'elle ne se ravise. Comme j'ai l'intention de faire jeter le Rotator en bronze, si vous pouviez trouver quelque figure qui pût être mise vis-à-vis de lui, vous me feriez plaisir de me l'indiquer[9].

 Au même, du 8 avril 1684[10].

Vous pouvez acheter les deux colonnes d'albâtre oriental. Vous pouvez aussi acheter les deux vases de brèche antique, et faire faire les deux tables que vous proposez du morceau de parangon.

Il ne faut point se presser d'acheter les belles choses qui sont .dans. les Vignes Montalte et Ludovise, puisque vous croyez qu'on en veut avoir des prix excessifs ; mais ne laissez pas perdre l'occasion de les avoir à des prix raisonnables. Vous pouvez acheter des bustes de marbre aussi bien que de porphyre, quand vous les trouverez bons et â prix raisonnable, aussi bien que des figures, et ce sans attendre de mes nouvelles, quand vous croirez qu'en les attendant vous perdrez occasion de faire un bon marché.

J'ai vu avec plaisir que vous ayez conclu le marché des quatre tableaux de l'Albane du sieur Falconieri ; je vous enverrai, par l'ordinaire prochain, une lettre de change de quatorze cents pistoles d'Espagne après quoi, je vous prie de les faire emballer de manière qu'ils ne soient point roulés et qu'ils ne soient exposés à aucune injure du temps. À l'égard des autres tableaux du sieur Falconieri, vous les verrez, et s'il y en a quelques-uns d'extrêmement beaux et qui méritent d'être mis dans le cabinet du roi, vous m'en informerez.

A M. de Barillon, ambassadeur du roi à Londres, du 17 avril 1681.

Le médaillon de l'empereur Pescennius Niger ayant été trouvé bon, j'ai donné ordre au trésorier des bâtiments d'aller porter à madame de Barillon les quarante louis d'or qui ont été payés pour ledit médaillon[11].

Au sieur Dobeil, à Londres, du 13 septembre 1684.

Lorsque l'on pourra avoir le livre intitulé Dissertationes Cyprianicæ ab Henrico Dodwello, Oxoniæ, 1684 ; et celui intitulé Remonstrantia Hibernorum, que vous avez déjà envoyé à M. de Reims, je vous prie de les acheter pour mettre dans la Bibliothèque du roi. Que si, dans l'autre mémoire que vous m'avez adressé, l'on a omis de vous demander le livre intitulé Sancti Cæcilii Cypriani opera recognita et illustrata per Joannem Oxomensem episcopum ; accedunt annales Cyprianici sive tredecim annorum, etc., vous me ferez plaisir de le joindre à ceux que je vous demande.

Au sieur de La Tuilière, à Rome, du 30 septembre 1684.

J'ai vu tous les bronzes du sieur Errard, que j'ai trouvés si mauvais que je les ai tous renvoyés et n'en ai pas pris un. J'approuve fort que l'on donne le temps nécessaire au sculpteur qui travaille à la copie de l'Aiguiseur, pour le faire bien achever. Mandez-moi ce que l'on veut vendre la tapisserie du dessin de Jules Romain, que l'on dit avoir été au dernier duc d'Urbin, et qui représente l'histoire de Pâris.

Je vous ai déjà marqué que si les figures du comte Zagana sont bonnes, le roi les recevra en don, s'il ne les veut pas vendre absolument, et lui fera un présent. Je ne me soucie point d'avoir les petits bronzes dont vous me parlez, n'étant pas possible que, sur de pareils modèles, un sculpteur puisse bien faire une figure en grand[12].

Du 22 février 1685.

Ordre au sieur Leblanc, peintre, d'aller voir les tableaux qui iront à Belœil, chez la princesse de Ligne douairière, et à Bruxelles, chez un ancien intendant de feu M. de Marcin[13].

Du 12 mars 1685.

Ordre au sieur Lachapelle d'essayer de savoir de M. le premier président ce qu'il estime le tableau de l'Albane qu'il a offert au roi, pour le faire payer à celui de ses neveux auquel il appartient. — Ordre d'envoyer à Versailles le Bassan de M. d'Autrive, si le prix est raisonnable.

Du 18 mars 1685.

Ordre au sieur de La Tuilière d'avoir grand soin du moule de la statue et du cheval de Marc Aurèle[14].

Au sieur de La Tuilière, du 4 avril 1685.

Comme le roi ne veut de tableaux que des bons maîtres dont je vous ai écrit ci-devant[15] ; il ne faut point que vous songiez à ceux de Claude Lorrain et du Gaspre.

Du 16 avril 1685.

Autorisation pour le sieur Blanchard d'acheter la Vierge de Van Dyck et la Magdeleine ou Mélancolie de Feti. Le roi ne vent pas du portrait du prince de Barbançon. A l'égard du tableau du Bassan, l'Ange annonçant aux pasteurs, le roi en a un tout pareil du même peintre. Le sieur Blanchard peut aller voir des tableaux à la Haye et en Angleterre[16].

Au sieur Blanchard, du 1er mai 1685.

Le roi ne veut point des douze tableaux de Paul Brille que vous avez vus chez des particuliers à Amsterdam.

Au sieur de La Tuilière, du 4 mai 1685.

Vous pouvez faire faire douze tables pour la galerie de Versailles, observant que, comme cette galerie est le plus beau vaisseau qui soit en Europe et le plus orné, ces tables ne sauroient être trop belles. Il y en peut avoir quelques-unes d'albâtre, d'autres de jaspe, et d'autres de marqueterie[17].

Au même, du 20 juin 1685.

Je suis surpris que vous ne me mandiez rien de l'avancement du groupe de Domenico Guidi. Je vous prie de le faire achever incessamment, sur le pied que le roi doit faire faire ici sort portrait, et qu'on ne le doit point l'aire à Rome.

Du 26 juin 1685.

Ordre au sieur de La Tuilière de ne pas manquer l'occasion d'avoir le Ganymède du Titien, et le tableau du Corrège dont il parle. En quel étal est la négociation pour le Germanicus et le Cincinnatus du cardinal Savelli ?

Du 26 juin 1685.

Ordre au sieur Blanchard de ne pas manquer l'occasion d'avoir le Baptême de saint Jean de Paul Véronèse[18].

Au sieur de La Tuilière, du 23 juillet 1685.

Les tableaux de Falconieri et du cardinal Omodei sont arrivés en parfaitement bon état. Ces tableaux-là sont extrêmement beaux, et je ne doute point que le roi n'en soit très-content. ; Sa Majesté ne les pourra voir de douze ou quinze jours.

Au même, du 29 juillet 1685.

Vous pouvez offrir jusqu'à quinze cents pistoles des statues de Germanicus et de Cincinnatus qui appartiennent au cardinal Savelli[19].

Du 8 août 1685.

Défense au sieur Blanchard de donner plus de huit cents écus on deux mille livres du Baptême de saint Jean de Paul Véronèse. — Ordre de revenir[20].

Au sieur de La Tuilière, du 6 novembre 1685.

Il n'y a rien à répondre sur les quinze mille pistoles que le duc Salviati veut vendre ses tableaux, cette proposition étant si extravagante qu'il ne faut pas appréhender que personne achète son cabinet sur ce pied-là[21].

 Au même, du 4 décembre 1685.

J'ai appris avec beaucoup de plaisir, par votre lettre du 13 novembre, qu'enfin le Germanicus, le Cincinnatus et le tableau du Guide du prince Savelli sont au roi. Vous me marquez qu'ils coûtent cinq cent cinquante écus romains, faisant en monnoie de France dix-sept mille neuf cent dix-neuf livres ; ce qui me fait voir que vous avez voulu dire cinq mille cinq cent cinquante écus romains ; essayez à l'avenir d'écrire plus correctement. M. de Seignelay a ordre du roi de faire trouver, vers la fin de ce mois, une flûte à Civita-Vecchia pour prendre ces statues, le groupe de Domenico Guidi, et tout ce que vous aurez de prêt à envoyer. J'ai prévenu ce que vous désiriez à l'égard des sculpteurs, puisqu'il y en a trois présentement en chemin pour nous aller trouver.

Au même, du 27 décembre 1685.

Le sieur Alvarès m'a mandé que la reine de Suède lui avoit proposé que, si le roi vouloit lui donner 100.000 francs de pension, sa vie durant, elle assurerait à Sa Majesté toutes ses pierreries, même celles qui sont à Hambourg, ses tableaux, ses tapisseries, ses statues, et toutes ses curiosités. Je ne lui ai rien répondu sur cela ; mais j'ai cru vous devoir dire que, si l'on pouvoit savoir en quoi consistent toutes les pierreries, tapisseries, tableaux, statues et curiosités de cette princesse, quelle en peut être la valeur, ce que l'on peut trouver de sûretés qu'il n'en seroit rien détourné, Sa Majesté pourvoit peut-être convenir de donner une pension considérable à cette princesse, pour s'en assurer la propriété après sa mort. Comme vous savez qu'elle est fort piquée contre MM. d'Estrées, vous ne devez leur faire aucune part, ni de ce qui s'est passé entre la reine de Suède et le sieur Alvarès, ni de ce que je vous écris sur cela. Mandez-moi quel tige a cette princesse et quel est l'état de sa santé[22].

Au menu, du 20 février 1686.

Comme je vois que vous avez trouvé, dans la succession du prince Palestrin, des tableaux du Valentin et d'Andrea Sacchi que vous croyez pouvoir acheter pour le roi, je vous répète que S. M. n'en veut que des peintres que je vous ai marqués. Il n'y a point ici d'endroit où l'on puisse mettre le Lion antique de marbre qui est en demi-relief ; ainsi, il sera bon que vous ne l'achetiez pas.

Votre lettre me fait connoitre que ce que le sieur Alvarès m'avoit mandé, concernant la reine de Suède, est sans fondement ; et ainsi je ne crois pas qu'il faille plus faire aucune diligence sur cela.

Au même, du 21 février 1686.

Les creux du Marc Aurèle sont arrivés ; l'on n'a pas cru les devoir mettre à l'air que les gelées ne fussent passées.

Au même, du 27 février 1686.

Il ne faut jamais vous amuser à tâcher de me surprendre, en m'envoyant des choses curieuses dont vous ne m'aurez point averti[23].

Au même, du 8 mars 1686.

J'ai vu le tracas qu'a cause à Rome l'imprudence du sieur Alvarès. Il faut espérer que cela se remettra quelque temps après qu'il sera parti, et qu'en tous cas, on ne refusera pas au roi la permission de faire sortir ce qu'on aura acheté pour Sa Majesté.

En cas que le tableau qui est chez les religieuses de Foligno soit effectivement de Raphaël, vous ne devez pas perdre l'occasion d'en acheter l'original, ou du moins d'en faire faire une bonne copie[24].

Au même, du 16 avril 1686.

Les derniers avis de Rome portent que la reine de Suède y avoit reçu quelque mortification et qu'il étoit échappé à quelqu'un de ses domestiques que cette reine pourroit bien quitter Rome pour aller à Venise ou à Hambourg. Soyez attentif à voir si, dans cette occasion, elle ne voudroit pas se défaire de quelques statues ou autre pareille curiosité[25].

Au même, du 15 juin 1686.

La petite Vénus Callipyge est arrivée, et a été trouvée assez belle, aussi bien que l'Hercule Commode, si ce n'est que les marbres en sont fort tachés. Comme ces figures doivent être mises dehors, il est bien à propos que vous ne les fassiez plus lustrer[26].

A M. de Châteauneuf, secrétaire d'État, du 21 août 1686.

Il y a une figure, dans l'hôtel de ville de Bordeaux, que l'on nomme la Messaline, que l'on croit assez belle pour entrer dans la galerie du roi. Je vous supplie de prendre l'ordre de S. M. pote écrire à M. l'intendant, de cette généralité de porter le magistrat de Bordeaux à l'offrir à Sa Majesté.

Au sieur de La Tuilière, du 27 août 1686.

J'approuve que vous fassiez mouler les chevaux et figures de Monte-Cavallo. Puisque vous avez déjà deux blocs de marbre pour faire deux copies du Lion de Maximin, vous pouvez y faire travailler[27].

Au même, du 15 octobre 1686.

Je serois bien aise que vous pussiez envoyer pour le roi une copie de la figure de Méléagre.

A l'archevêque de Reims, du 23 octobre 1686.

Au sujet d'un voyage fait en Italie, par le P. Mabillon, qui avait été chargé d'acheter des livres pour la Bibliothèque du roi : Je vous dirai, en passant, qu'il me paroît que ces bons pères ont voyagé bien chèrement, ayant dépensé plus de 500 pistoles en quinze mois de temps[28].

Au sieur de La Tuilière, du 3 décembre 1686.

Le roi serait fort aise d'avoir les plus beaux tableaux, statues et curiosités de la reine de Suède. Il n'est question que d'en régler le prix de manière qu'il ne soit pas excessif, et que tette reine ne prétende pas vendre toutes ces choses comme elle pourvoit faire s'il n'y en avoit qu'une et qu'il y eût beaucoup de gens capables de l'acheter. C'est à vous à conduire cette affaire de manière que la reine de Suède, faisant réflexion qu'il n'y a que le roi qui puisse faire un si gros achat tout à la fois, le laisse à un prix raisonnable. Cependant, je vous adresse une lettre pour M. de Nevers, à cachet volant, que vous ne lui rendrez que lorsque l'état des affaires vous le fera juger à propos.

Au duc de Nevers, du 3 décembre 1686.

Le sieur de La Tuilière m'a fait connoitre qu'il croyoit que la reine de Suède avoit envie d'acheter un de vos palais à Rome, si elle croyoit pouvoir en payer une partie du prix en statues, meubles, et autres curiosités. Comme parmi ceux qu'elle a, il y en a qui conviendroient au roi, S. M. m'a commandé de vous faire savoir qu'elle auroit bien agréable que vous fissiez ce qui pourroit dépendre de vous pour faciliter cette négociation, de la manière qui vous sera proposée par ledit sieur de La Tuilière, et de vous assurer de sa part que la valeur à quoi montera ce que ledit sieur de La Tuilière prendra pour S. M., vous sera payée comptant, ici ou ailleurs, à votre volonté.

Au sieur de La Tuilière, du 7 décembre 1686.

Vous pouvez différer de faire travailler aux quatre copies de figures antiques que je vous ai demandées pour moi, jusqu'à ce que vous ayez trouvé quelques sculpteurs plus raisonnables que ceux qui vous ont demandé 400 écus de chacune, sans fournir les marbres[29].

Au même, du 3 août 1687.

Quand vous aurez fait mouler le modèle de Méléagre et que vous en aurez pris un plâtre, envoyez le moule ici, afin que l'on puisse faire couler cette figure en bronze. Ne perdez pas d'occasion d'envoyer le Bacchus de Florence et le Sanglier, dès qu'ils seront achevés[30].

Au même, au 31 décembre 1687.

S. M. étant bien aise de ne faire guère de dépense, désire que vous fassiez achever les ouvrages qui sont commencés, et que vous n'en fassiez point commencer de nouveaux[31].

Au même, du 10 mai 1689.

Le roi a, dans la conjoncture présente, d'autres occasions d'employer son argent qu'à des tableaux ; ainsi il ne faut point songer ceux de la reine de Suède[32].

Au même, du 28 janvier 1691.

J'ai vu, par votre lettre du 16e du mois passé, ce que vous me mandez sur la vente des tableaux du cabinet de la feue reine de Suède. Le roi ne pense point en ce .temps-ci à employer de l'argent à l'achat de pareilles choses, et il n'y faut point songer[33].

A l'ingénieur Valory, du 15 juillet 1691 — veille de la mort de Louvois.

L'on m'a dit qu'il y a à Menin une espèce de tourniquet sur lequel des gens se mettant courent la bague en tournant. Je vous prie de m'expliquer, par des plans et profils, ce que c'est que cette machine, et de la grosseur et qualité des bois[34].

 

III

NOTE SUR MEUDON, ANCY-LE-FRANC, ETC.

 

On a vu tes acquisitions d'objets d'art et de curiosités faites pour le compte de Louvois, et à bon marché, par La Tuilière ; Louvois en faisait aussi quelquefois lui-même. Le 4 juillet 1683, il écrivait, de Strasbourg, au marquis de Tilladet : Nous pensâmes hier nous rompre le col, en allant voir une vieille idole de cuivre, que le chevalier de Nogent a déterrée ici ; elle s'appelle Krusmana, je l'achetai hier à 12 sols la livre, et le tout monte à 150 écus. Nous chercherons quelque place pour la mettre à Meudon.

C'était à la fin de 1679 ou au commencement de 1680 que Louvois avait acquis de M. de Sablé la terre de Meudon ; dès lors ne cessa pas d'embellir le château et d'agrandir le parc, en s'étendant surtout du côté de Chaville, qui était la seigneurie patrimoniale de sa famille ; son projet était de joindre ensemble les deux parcs. Parfaitement situé, à proximité de Paris et de Versailles, Meudon était pour Louvois un séjour de prédilection : rien ne lui coûtait pour l'embellir ; Mansard et Le Nôtre eurent toute liberté d'y faire des merveilles, sans souci de la dépense.

Quatre ans après la mort de Louvois, sa veuve consentit à céder ce magnifique domaine à Louis XIV qui le destinait au Dauphin. Ce matin, lisons nous dans le Journal de Dangeau, à la date du 1er juin 1695, le roi proposa à M. de Barbezieux l'échange de Choisy avec Meudon ; il lui demanda pour combien madame de Lo vois avait pris Meudon dans son partage ; M. de Barbezieux dit qu'elle l'avoit pris pour 500.000 francs ; sur cela, le roi lui dit qu'il en donneroit 400.000 de retour, et Choisy qu'il comptait pour 100.000 francs, si cela accommodoit madame de Louvois ; qu'il le chargeoit de l'aller savoir d'elle ; mais qu'il ne lui demandoit aucune complaisance ; qu'il vouloit qu'elle traitât avec lui comme avec un particulier, et qu'elle ne songeât qu'a ses intérêts. M. de Barbezieux alla à Paris trouver madame sa mère, qui est contente de l'offre du roi, et à qui l'échange convient fort. On signera le contrat au premier jour. On a commencé à ne parler de l'affaire que le matin, et elle fut finie le soir. — Avant-hier, ajoute Dangeau, le 5 juin, quand le roi fut à Meudon, M. Le Nôtre lui faisoit remarquer les beautés de la maison et des jardins, et en le quittant, il lui dit : Il y a longtemps, Sire, que je vous souhaite Meudon ; je suis ravi que vous l'ayez ; mais je serois fâché que vous l'eussiez eu plus tôt, car ils ne vous l'auroient pas a fait si beau.

Louvois avait en Champagne les terres de Louvois et de Montmirail ; il y ajouta des domaines encore plus considérables en Bourgogne. Le 4 novembre 1682, il écrivait à l'archevêque de Reims : J'ai vu Ancy-le-Franc, qui est une des belles maisons qu'il y ait en France, et où il ne manque quoi que ce soit que quelques réparations aux couvertures. Il s'en faut néanmoins beaucoup que les dedans en soient aussi commodes que ceux de Louvois. Ancy-le-Franc plaisait et convenait d'autant mieux à Louvois qu'il possédait déjà, dans les environs, des terres et surtout des bois d'un grand revenu. En 1685, il acheta donc Ancy-le-Franc, et en 1684, le comté de Tonnerre ; l'une et l'autre ventes lui furent faites par François-Joseph de Clermont.

Il vaut voir dans les lettres de M. de Coulanges à madame de Sévigné, surtout dans la lettre du 5 octobre 1694, les grandeurs de Tonnerre et d'Ancy-le-Franc : Il y a un mois que je me promène dans les États de madame de Louvois ; en vérité, ce sont des États, au pied de la lettre, et c'en sont de plaisants en comparaison de ceux de Mantoue, de Parme et de Modène. Dés qu'il fait beau, nous sommes à Ancy-le-Franc ; dès qu'il fait vilain, nous revenons à Tonnerre ; nous tenons partout cour plénière, et partout, Dieu merci, nous sommes adorés ; nous allons, quand le beau temps nous y invite, faire des voyages de long cours pour connoitre la grandeur de nos États ; et quand la curiosité nous porte à demander le nom de ce premier village, à qui est-il ? on nous répond : c'est à Madame ; à qui est celui qui est le plus éloigné ? c'est à Madame ; mais là-bas, là-bas, un autre que je vois ? c'est à Madame ; et ces forêts ? elles sont à Madame. Voir une plaine d'une grande longueur : elle est à Madame ; mais j'aperçois un beau château : c'est Nicei, qui est à Madame, une terre considérable, qui appartenoit aux anciens comtes de ce nom. Quel est cet autre château, sur un haut ? c'est Puy, qui est à Madame, et lui est venu par la maison de Mandelot, dont étoit sa bisaïeule. En un mot, tout est à Madame en ce pays ; je n'ai jamais vu tant de possessions ni un tel arrondissement. Ne croirait-on pas lire le conte du Chat botté ?

Voici, pour terminer, une note sur l'étendue et sur le prix des terrains occupés par l'hôtel que Louvois s'était fait bâtir, à Paris, rue de Richelieu. M. de Louvois possède, dans les rues de Richelieu, Sainte-Anne et Saint-Augustin, 1377 toises de places acquises par Il. Dumonceau, de l'abbé de Saint-Victor, au mois de juillet de l'année 1656, moyennant 41.310 livres. Plus, 1098 toises acquises du curé de la Ville-l'Évêque, ès années 1625 et 1633, moyennant 10.333 livres 6 sols. Cette note est datée du 11 janvier 1677. D. G. 517.

 

FIN DU PREMIER VOLUME

 

 

 



[1] Louvois avait quitté Versailles, le 9 mai.

[2] Une de leurs cousines, qui était femme de l'intendant de Lyon.

[3] M. de Béringhen, premier écuyer du roi.

[4] Suit le compte rendu de l'inspection qu'il a faite avec Vauban des places suivantes : Salces, Perpignan, Collioure, Port-Vendres, Saint-Elne, Bellegarde, le Fort-des-Bains, Prats-de-Mollo et Villefranche. Quelques jours après, il rend un compte spécial des travaux de Mont-Louis.

[5] Il semble qu'il faudrait lire pas plus loin ou pas moins près.

[6] Louvois veut dire le 6 juin.

[7] Minutes de janvier 1684. D. G. 709.

[8] Minutes de février 1684. D. G. 710.

[9] Minutes de mars 1684. D. G. 711.

[10] Avant cette lettre, il y en a une autre, du 3 avril, qui prescrit à La Tuilière d'aller à Venise, afin de voir des statues qui sont à vendre chez des particuliers.

[11] Minutes d'avril 1684. D. G. 712.

[12] Minutes de septembre 1684. D. G. 717.

[13] Minutes de février 1685. D. G. 742.

[14] Minutes de mars 1685. D. G. 743.

[15] Nous n'avons pas retrouvé, par malheur, cette lettre antérieure à laquelle Louvois se réfère souvent.

[16] Minutes d'avril 1685. D. G. 714.

[17] Minutes de mai 1685. D. G. 745.

[18] Minutes de juin 1685. D. G. 746.

[19] Minutes de juillet 1685. D. G. 747.

[20] Minutes d'août 1685. D. G. 748.

[21] Minutes de novembre 1683. D. G. 751.

[22] Minutes de décembre 1683. D. G. 752.

[23] Minutes de février 1686. D. G. 762.

[24] Minutes de mars 1686. D. G. 763.

[25] Minutes d'avril 1686. D. G. 764.

[26] Minutes de mai et juin 1686. D. G. 765.

[27] Minutes d'août 1686. D. G. 767.

[28] Minutes d'octobre 1686. D. G. 769.

[29] Minutes de décembre 1686. D. G. 771.

[30] Minutes d'août 1687. D. G. 785.

[31] Minutes de décembre 1687. D. G. 789.

[32] Minutes des quinze premiers jours de mai 1689. D. G. 847.

[33] Minutes des quinze derniers jours de janvier 1691. D. G. 1022.

[34] Minutes des dix-sept derniers jours de juillet 1691. D. G. 1033.