HISTOIRE DE LOUVOIS

TOME PREMIER

 

CHAPITRE SIXIÈME.

 

 

Mort de la reine. — Les maîtresses de Louis XIV. — Madame de Maintenon. — Mort de Colbert. — Louvois surintendant des bâtiments, arts et manufactures. — Louis XIV et Louvois. — Éducation des enfants de Louvois. — Courtenvaux secrétaire d'État en survivance. — Louvois le fait voyager. — Sentiment de Louvois en fait d'art. — Le personnel de la surintendance renouvelé. — Villacerf adjoint à Louvois. — L'Académie de France à Rome. — Rappel d'Errard. — La Tuilière. — Acquisitions d'objets d'art. — Discipline de l'école de Rome. — Travaux de Versailles. — Surveillance minutieuse de Louvois. — Projet pour amener la rivière d'Eure à Versailles. — Discussion scientifique entre Vauban et Louvois. — Les canaux. — L'aqueduc de Maintenon. — Le tarif des loyers à Maintenon et à Versailles. — Le camp de Maintenon. — Opposition des courtisans contre Louvois. — Fêtes de Meudon et de Sceaux. — Les princes de Conti. — Affaire des lettres. — Maladie de Louis XIV en 1686. — Louvois et le chirurgien Gervais. — Projet et rupture du voyage à Barèges. — Visite de Louis XIV aux travaux de l'Eure. — Maladies épidémiques. — La grande opération. — Relation de Louvois. — Lettre de Catinat. — Les troupes décimées à Maintenon. — Travaux de Trianon. — Mécontentement de Louis XIV. — Louvois aux eaux de Forges. — Levée du camp de Maintenon en 1688. — Les travaux poursuivis jusqu'en 1690. — Affaiblissement des troupes. — Témoignages de Chamlay et de Saint-Pouenges. — Projet de la place Vendôme. — Les manufactures. — Louvois et. M. de La Reynie. — Zèle de Louvois pour la protection de l'industrie française. — Les manufactures de draps. — Les draps rayés. — Opposition des marchands et des gens de qualité. — Le roi adopte le drap rayé. — Le justaucorps du Dauphin. — Efforts de Louvois pour soutenir les manufactures françaises. — L'industrie frappée avec les protestants.

 

En 1683, la France a vu disparaître une reine et un grand ministre, Marie-Thérèse et Colbert. La mort de la reine, presque subite, n'a guère causé que l'émotion de la première surprise[1] ; cette mort n'a pas été un événement politique et n'a pas fait un grand vide dans l'État ; Marie-Thérèse y tenait si peu de place ! Hors de son cercle, elle ne comptait plus, et, dans son cercle même, elle n'était pas toujours en faveur. On me mande que la reine est fort bien à la cour, disait plaisamment madame de Sévigné[2] ; c'était en effet une nouvelle merveilleuse et rare. Dans les allégories du temps, Junon tonnante et triomphante, ce n'est pas la reine, c'est madame de Montespan[3]. Il faut un certain effort d'esprit pour rattacher le souvenir de Marie-Thérèse à celui du roi dont elle fut la légitime épouse.

Trois femmes ont, plus qu'elle, associé leurs noms au nom de Louis XIV, mademoiselle de La Vallière, madame de Montespan, madame de Maintenon. Toutes les trois sont devenues et sont restées des personnes historiques, historiquement et moralement très-différentes. La première en date, mademoiselle de La Vallière, est la plus sympathique, il faut même dire la seule sympathique, parce que sa passion a été la plus désintéressée, la plus naïve, de tout cœur et de toute âme. D'un seul trait, madame de Sévigné a peint admirablement cette petite violette qui se cachoit sous l'herbe, et qui étoit honteuse d'être maîtresse, d'être mère, d'être duchesse ; jamais il n'y en aura sur ce moule[4]. Survient madame de Montespan ; quel contraste ! Celle-ci veut être de tout et partout ; mais son ambition est bien au-dessus de ses moyens, et son caractère bien au-dessous de son esprit. Elle a toutes les apparences d'une faveur puissante et bien fondée ; mais elle frappe, chaque matin, et jette au hasard la menue monnaie de cette faveur. Elle règne dans le royaume de l'étiquette et de la mode ; elle règle le sort des courtisans, elle fait la fortune des uns et la disgrâce des autres. Lauzun, qui veut lutter contre elle, s'en va rejoindre Fouquet dans le donjon de Pignerol ; mais la politique n'est pour rien dans cette affaire ; c'est un duel de favori à favorite, une tempête de cour, rien de plus. La redoutable influence de madame de Montespan ne va pas au delà ; elle n'atteint pas au sérieux ni à l'essentiel.

Un jour vient où Louis XIV se lasse de cette maîtresse altière et frivole ; il est obsédé de ses caprices, de ses hauteurs, de son esprit même ; il s'ennuie et cherche des distractions ailleurs. Alors surgissent des rivales qui osent disputer à l'impérieuse et fatigante Junon la faveur de Jupiter. Il faut voir, dans les lettres de madame de Sévigné, toute cette mythologie galante, Io, qui est mademoiselle de Ludre, Danaé, l'autre merveille, la belle beauté, qui est mademoiselle de Fontange[5], et le reste. Mais ces divinités n'ont qu'un jour ; peu à peu ces visions brillantes et charmantes flottent, s'effacent et disparaissent comme dans un brouillard, et de ce brouillard doucement éclairé se dégage la figure calme et digne de madame de Maintenon. Dès lors plus de mythologie, ni d'allégories, ni de fictions poétiques ; tout est prosaïque, réel et positif. De légère et païenne qu'elle était, la cour redevient chrétienne et sérieuse. Des scandales d'autrefois, il reste bien des preuves actuelles et vivantes, ces fils et ces filles, ces Titans, comme dit Saint-Simon, issus d'un double adultère ; mais la vertu de madame de Maintenon, qui s'est faite leur institutrice, dissimule le vice de leur origine ; en se dévouant à leur éducation, elle les a déjà réhabilités et légitimés d'avance. Avec elle tout rentre dans l'ordre.

Cette personne régulière doit plaire à Louis XIV, qui, de son propre fonds, est le plus régulier des hommes et des rois. L'habitude ici tient la place de la passion ; car il ne s'agit plus d'amour. Madame de Sévigné ne s'y est pas trompée ; elle a bien compris dès le commencement la sorte de faveur de madame de Maintenon. Nul autre ami, écrit-elle à sa fille[6], n'a tant de soin et d'attention que le roi en a pour elle ; et, ce que j'ai dit bien des fois, elle lui fait connoître un pays tout nouveau, je veux dire le commerce de l'amitié et de la conversation, sans chicane et sans contrainte ; il en paroît charmé. Il en fut charmé toute sa vie. La reine meurt ; un mariage discret achève de resserrer et de sanctifier le nœud désormais indissoluble qui joint Louis XIV et madame de Maintenon. Ce mariage de conscience, fait moral, n'a dans l'histoire que des preuves morales ; on ne peut citer à l'appui ni un témoignage authentique, ni une date certaine Mais c'est un de ces faits qui n'ont pas besoin de démonstration ; c'est un axiome.

Il est remarquable que tout ce qui touche à la personne de madame de Maintenon est resté jusqu'ici et parait devoir rester dans la pénombre ; la lumière ne se fait point. Elle sera donc longtemps encore un sujet de controverse, mais elle aura probablement toujours plus d'ennemis que d'amis. C'est sa faute ; elle a toujours cherché le mystère, et rien n'est irritant comme le mystère, surtout quand il a toutes les apparences d'un calcul. Les humbles se cachent, et c'est un mérite ; mais ce n'est point par humilité apparemment qu'on devient la femme de Louis XIV. Des impartiaux, madame de Maintenon a le droit d'attendre la vérité, la justice, le respect ; mais elle ne peut prétendre à la sympathie ; l'attrait, le charme, tout ce qui communique l'émotion lui manque ; elle est de ces personnes froidement vertueuses qui font presque tort à la vertu. Louis XIV lui a dû beaucoup ; elle l'a tiré du désordre et ramené vers Dieu ; elle a pris soin de son âme, dirigé sa conscience, consolé ses chagrins et adouci, autant que possible, les dernières amertumes de sa vieillesse. La France lui doit-elle, pour son compte, de la reconnaissance ou des ressentiments ?

Il est certain que madame de Maintenon a été un personnage dans l'État ; il est certain que sa chambre est devenue un sanctuaire de gouvernement, et que toute la politique intérieure et extérieure de la France y a été réglée ; il est certain que de cette chambre sont issus des ministres et des généraux d'armée ; malheureusement il n'est pas moins certain que ces généraux et ces ministres ont été, pour la plupart, de médiocres sujets, et que cette politique réglée sous les yeux de madame de Maintenon a eu des résulta ts trop souvent déplorables. Madame de Maintenon a donc assisté aux affaires ; y a-t-elle pris directement part, et jusqu'à quel point ? C'est le problème. Il est permis de croire qu'elle a plutôt choisi et tenu le rôle d'une grande confidente ; son goût était moins d'agir que de savoir ; elle voulait être au courant de tout, sans prétendre à tout diriger. C'est justement cette ambition froide et mesurée qui fait le caractère original de cette singulière personne ; en tout elle s'est arrêtée à mi-chemin, non devant quelque obstacle, mais par sa seule volonté.

 Cependant on croit beaucoup qu'étant devant Dieu la femme de Louis XIV, elle souhaitait vivement de l'être aussi devant les hommes, non plus dans le demi-jour d'un mystère facile à percer, mais dans tout l'éclat d'une déclaration publique. Sans l'opposition de Louvois, elle aurait été la reine ; c'est le duc de Saint-Simon qui le dit, et il fait plus que le dire ; il montre Louvois se jetant aux pieds de Louis XIV, et prêt à sacrifier sa vie pour arrêter sur les lèvres du roi l'aveu qui déjà lui échappe. Voilà une scène dramatique et d'un grand effet ; à y regarder de près, elle manque de vraisemblance. Sauf le nom et le costume, les acteurs n'y ont rien de commun avec les personnages qu'ils sont censés représenter. Si Louvois avait eu réellement à jouer le rôle que Saint-Simon lui prête, ce lui serait un grand honneur et une grande gloire ; mais il en est de cette anecdote comme de tant d'autres où Saint-Simon introduit Louvois, simplement sur ouï-dire ; son imagination n'a fait que broder sur des propos de cour, sans autorité, sans valeur, sans contrôle. Entre les gens qui se disent bien informés et les complaisants qui les écoutent, Dieu sait tout ce que la vanité des uns, multipliée par la crédulité des autres, a produit de ces mensonges qui sont la joie du pamphlet et le fléau de l'histoire.

Les premiers rapports de madame de Maintenon avec Louvois datent du temps où, n'étant encore que madame Scarron, elle élevait dans l'ombre les enfants  de Louis XIV et de madame de Montespan. En 1673, son frère, M. d'Aubigny, écrivait à Louvois, du fond de la Hollande[7] : Je ne reçois point de lettre de madame Scarron qu'elle ne m'assure que vous continuez, monseigneur, toujours à nous obliger et que je puis espérer la continuation de votre protection, en servant bien le roi. Ce d'Aubigny était un triste personnage, et si Louis XIV n'avait pas mieux été servi par d'autres que par lui, l'histoire militaire de ce grand règne ne serait pas longue à raconter. Cependant Louvois avait recommandé qu'on le mit tout exprès aux bons endroits ; mais les bons endroits, dans un pays livré au pillage, étaient ceux où il y avait le plus d'argent à prendre et le moins de coups à recevoir. D'Aubigny est fort achevé, disait le duc de Luxembourg ; mais Elbourg [où il commande] ne sera pas attaqué cet hiver et ne subsistera plus ce printemps ; il faut l'y laisser quant à présent[8] ; et par d'autres considérations, on lui laisse faire de petites choses sur l'intérêt qu'on ne souffrir où pas à- un autre ; et il aura, là et à Amersfort, gagné quelque choses[9]. — Je ne sais pas, disait encore l'intendant Robert en s'adressant à Louvois[10], je ne sais pas pourquoi M. d'Aubigny a souhaité que je vous écrivisse quelque chose sur son sujet, parce que je sais bien que cela n'est pas nécessaire ; mais enfin il l'a souhaité, et je m'en acquitte ; et, comme j'ai été obligé de me rendre à Zwoll, je l'ai prié d'achever la négociation que j'avois commencée pour exempter Elbourg du feu, et lui ai promis le quart de la somme qu'il en tirera, ne doutant pas que vous n'approuviez la chose, tant parce que c'est le vrai moyen de faire monter la somme plus haut, que parce que vous m'avez recommandé plus d'une fois de lui faire plaisir dans les rencontres. Louvois ne cessa pas d'obliger le frère et la sœur ; et, lorsque la fortune de celle-ci l'eut mise au-dessus de toute obligation, elle n'affecta pas d'oublier ce que Louvois avait fait pour son frère et pour elle-même[11].

En tant qu'une femme prudente sait montrer ses sympathies, sans entrer absolument dans des ligues, madame de Maintenon fut pour Louvois contre Colbert ; elle n'aimait pas ce grand ministre dont elle était mal satisfaite, parce qu'il avait un peu trop négligé les occasions de lui rendre service. Elle avait contre lui, d'ailleurs, un autre grief moins personnel et d'un intérêt plus considérable : M. Colbert, disait-elle, ne pense qu'à ses finances et jamais à la religion.

Il y avait des gens qui allaient beaucoup plus loin, et qui tournaient contre Colbert les sourdes insinuations dont il s'était servi lui-même pour accabler Fouquet. On laissait entendre qu'il avait de pernicieux desseins ; quels desseins ? On n'en pouvait rien dire ; mais combien ce vague était plus terrible qu'une accusation nette et précise ! C'est un sot discours que les desseins pernicieux qu'il avoit, a dit madame de Maintenon ; grand témoignage sans grand effet ; il y avait quatre jours que Colbert était mort, lorsque madame de Maintenon prenait sur elle de réfuter le sot discours.

Cette analogie de situation entre Colbert et Fouquet nous est confirmée d'ailleurs. Dans les dernières années de sa vie, Colbert voyait beaucoup de monde à Sceaux ; il y tenait une sorte de cour. Rien n'était plus fait pour porter ombrage à Louis XIV, il souffrait des princes tout au plus, mais il ne pouvait pas souffrir d'un ministre qu'il y eût d'autre cour que la sienne. J'ai souvent connu que l'affluence du monde qui alloit à Sceaux ne plaisoit pas au maitre, écrivait Louvois au contrôleur général Le Peletier ; et il ajoutait, pour la gouverne de ce ministre, son ami : Je crois que vous ne pouvez mieux faire que de continuer à l'avenir l'établissement que vous avez fait de ne voir personne, à Villeneuve, que ceux que vous appellerez pour votre travail[12].

Suspect au roi, calomnié par ses ennemis, insulté par la populace, Colbert mourut, le 6 septembre 1683. Cette mort, qui était un malheur public, fut à peine pleurée par quelques-uns ; beaucoup s'en réjouirent ; la foule y demeura surtout indifférente. C'est un lieu commun dans l'histoire que l'ingratitude des rois et des peuples envers leurs meilleurs et leurs plus grands serviteurs ; on s'étonne qu'à force d'exemples, ces maîtres-là ne se corrigent pas de leur insupportable défaut, et l'on admire qu'il y ait toujours tant de gens qui ne se découragent pas de les servir. Les ingrats pensent se tirer d'affaire en raillant les ambitieux ; mais s'il y a trop souvent des ambitions vulgaires, égoïstes et serviles, il y a aussi les grandes et les généreuses, toutes dévouées au bien public ; les contemporains, volontiers, confondent les unes avec les autres ; mais la postérité vient qui fait le départ et qui met chaque chose en sa place.

Colbert et Louvois, rivaux, ennemis, si divers, ont été l'un et l'autre de grands serviteurs, ambitieux pour le bien de tous, passionnés pour la grandeur de leur prince et de leur pays. Ils ont l'un et l'autre élevé leurs enfants pour être les continuateurs de leur œuvre publique, bien plutôt que les héritiers de leur fortune. Mais, pour se survivre ainsi, Colbert ne pouvait plus compter sur le roi ; sa mort h peine connue, on courut aux dépouilles. Seignelay, son fils aîné, n'eut pour sa part que ce qu'il tenait déjà. M. de Seignelay a voulut envahir tous les emplois de M. Colbert, et n'en a obtenu aucun, disait madame de Maintenon[13] ; il a de l'esprit, mais peu de conduite ; ses plaisirs passent toujours devant ses devoirs. Il a si fort exagéré les qualités et les services de son père, qu'il a convaincu tout le monde qu'il n'étoit ni digne ni capable de le remplacer. Seignelay dut se trouver trop heureux alors de conserver la marine avec le titre de secrétaire d'État. Son frère, Blainville, fut tout à fait sacrifié. Il avait, en survivance, la surintendance des bâtiments ; le 6 septembre, le jour même de la mort de Colbert, Louis XIV exigea de Blainville qu'il se démît de sa charge en faveur de Louvois[14]. Quelques jours après, Claude Le Peletier, parent, ami, créature des Le Tellier, reçut l'office de contrôleur général avec entrée au conseil. Seignelay n'y avait pas séance ; Croissy, atteint par la disgrâce de sa famille, n'était ni assez fort ni assez labile pour résister à la faction dominante.

Louvois triomphait ; désormais qui pouvait lui tenir tête ? Depuis qu'il avait renoncé aux femmes, Louis XIV n'avait plus que deux grandes passions, les bâtiments et la guerre ; et Louvois, ayant pris les bâtiments dans la succession de Colbert, tenait Louis XIV par ses deux grandes passions. Mais en ajoutant à sa fortune déjà si haute, il l'ébranla ; en écartant toute rivalité même apparente, il s'exposa. Louvois, agrandi par la mort de Colbert, ne -vit pas combien cette mort lui était funeste, ni tout ce qu'il perdait à n'avoir plus de rival. Outre que la contradiction est toujours salutaire, même à ceux qu'elle irrite, la présence de Colbert avait pour Louvois cet avantage qu'elle divisait l'attention de Louis XIV et lui faisait illusion sur l'autorité qu'il croyait exercer par-dessus ses deux principaux ministres. Entre Louvois tout-puissant et Colbert affaibli, Louis XIV se voyait toujours le souverain maître ; même en décidant toujours pour Louvois contre Colbert, Louis XIV décidait ; il ne sentait pas, il ne soupçonnait pas sa dépendance. Mais du jour où, Louvois demeurant seul en face de Louis. XIV, il n'y eut plus d'autre avis que celui de Louvois, Louis XIV étonné voulut avoir le sien propre, et les discussions commencèrent. Habitué à tous les succès, Louvois se roidit ; habitué à tous les respects, Louis XIV s'indigna. Cependant des années se passèrent encore avant les grands éclats ; il y eut même, parmi les bourrasques, de longues accalmies, et, pour ainsi dire, des saisons entières de bonne intelligence.

 Louis XIV et Louvois s'entendaient bien en 1685 Tandis que les Colbert chancelaient et menaçaient  ruine, aucune maison ne semblait mieux assise que celle des Le Tellier. Trois générations de cette puissante dynastie s'employaient en même temps pour le service du roi : au terme de sa course, le chancelier, comblé de jours ; Louvois, en plein dans la carrière, et à l'entrée, Courtenvaux, l'aîné de ses fils.

Louvois avait voulu que ses enfants fussent dignes de leur aïeul et de lui-même, capables de l'aider dans ses labeurs, et tout prêts à lui succéder sans déchoir. Il leur avait fait subir la forte épreuve de l'éducation publique, sans faveurs ni privilèges au-dessus de leurs condisciples. Vous savez bien, écrivait-il au principal du collège de Clermont, que je ne vous importune point pour des distinctions pour mes enfants[15], et qu'au contraire je désire qu'ils servent d'exemple en tout. S'il arrivait que se sentant fils de ministre, ils s'échappassent en quelque violence, une rude leçon les rappelait au sentiment de l'égalité scolaire : Votre lettre me fait voir la continuation de la mauvaise conduite de mon fils l'abbé, mandait Louvois au précepteur de ses enfants[16] ; je désire que vous l'obligiez à demander pardon publiquement à celui qu'il a frappé, et cependant que vous continuiez à ne le laisser point sortir du collège jusqu'à nouvel ordre de moi. Au besoin, Louvois intervenait en personne, et son intervention laissait des marques : Vous pouvez déclarer à l'abbé que j'irai la semaine prochaine à Paris, et que, si je trouve qu'il n'ait pas profité de la correction que je lui ai faite, il pourra en recevoir une plus rude[17]. Sévère pour ses enfants, Louvois, lorsqu'il était satisfait d'eux, savait les récompenser par des témoignages d'affection qu'il n'est pas commun de rencontrer dans les rapports de père à fils, au dix-septième siècle. Soyez bien persuadé de mon amitié et me croyez le meilleur de vos amis ; je vous embrasse de tout mon cœur, écrivait-il à Barbezieux, le troisième de ses fils et le plus justement préféré[18].

C'était sur l'aîné, Courtenvaux, que Louvois avait dû naturellement fonder ses espérances. Au sortir du collège, il lui fit étudier l'administration militaire et les fortifications ; il surveillait lui-même ses travaux, se faisait représenter ses dessins et ses devoirs, et les corrigeait avec une rigoureuse exactitude : Je trouve toujours beaucoup d'inégalité dans votre écriture, lui disait-il par exemple ; appliquez-vous à faire mieux, et mettez-vous dans l'esprit que, pour faire le métier que je fais, il faut savoir écrire d'une autre manière que vous ne faites. Continuez à me rendre compte de tout ce que vous ferez, tant à l'égard de vos études et exercices que de vos divertissements[19]. Le 5 décembre 1681, Louis XIV voulut bien accorder à Courtenvaux des lettres de survivance à la charge de secrétaire d'État que possédait son père. Courtenvaux n'avait que dix-huit ans ; il lui restait beaucoup à faire pour s'élever à la hauteur de ses futures fonctions.

Au mois d'avril 1682, Louvois l'envoya, sous la conduite de son gouverneur et sous la direction d'un habile ingénieur, M. de Lalonde, visiter foutes les places des frontières du Nord et d'Alsace. Au tracé de l'itinéraire, exactement distribué par journées et par étapes, Louvois avait ajouté pour le gouverneur de son fils, M. d'Hinneville, un mémoire dont certains passages méritent d'être cités. Ils ne prendront point d'autre voiture que des chevaux de poste et de louage, que le sieur d'Hinneville aura soin de payer comme feroit un particulier[20]. Dans tous les endroits où mon fils logera, il ira toujours descendre à l'hôtellerie, d'où il ne sortira que pour aller dans quelque logement plus propre, que les commandants des places lui feront donner, n'acceptant point les offres que lui feront les commandants de loger chez eux, de quoi mon fils et le sieur d'Hinneville s'excuseront honnêtement sur la défense qu'ils en ont, et sur ce que, faisant ce voyage pour apprendre les fortifications, j'ai désiré qu'il fût logé en lieu où il ne pût être détourné des exercices que je lui ai prescrits[21]. Il ira rendre visite au gouverneur ou commandant de chaque place et à sa femme, s'il en a une ; il en usera de même à l'égard des intendants. Mon fils recevra avec beaucoup de civilité les gens qui le viendront voir, et les reconduira suivant leur caractère, observant d'en faire toujours plus que moins. A l'égard des officiers des troupes, il leur fera aussi beaucoup d'honnêtetés. Il ne fera point de difficulté d'aller une fois dîner chez chaque gouverneur ou intendant, quand ils l'en prieront. M. d'Hinneville inspirera aux commandants des places que je leur serai fort obligé de permettre que mon fils y séjourne comme un particulier, et de lui laisser la liberté de faire les choses que je lui ai prescrites.

Je désire que mon fils m'écrive de chaque place où il aura passé, et qu'il me rende compte de ce qu'il aura remarqué en ladite place. Les jours que l'on ne marchera pas, mon fils emploiera chaque jour, aux heures que réglera M. d'Hinneville, une heure et demie à écrire, autant à l'allemand, et une demi-heure à dessiner. Le reste se passera à la visite des places et aux instructions que M. de Lalonde jugera à propos de lui donner. Mon fils visitera exactement à pied les fortifications de chacune des places où il passera. M. de Lalonde prendra un grand soin de lui faire entendre l'usage de chaque pièce de fortification, les raisons pour lesquelles elles ont été construites, ce que l'on  auroit pu faire de mieux, et comment on pourroit raccommoder les défauts qu'il y trouvera. Il lui fera lever quelque partie de plan de place, observant de le lui faire faire avec toute la justesse qu'il se pourra[22]. M. d'Hinneville inspirera à mon fils d'avoir beaucoup d'attention à ce qu'on lui dira et de parler fort peu, et de ne dire son avis sur aucun des ouvrages qu'il verra . Il me rendra compte, par tous les ordinaires, de ce qui se sera passé depuis sa dernière lettre, et me mandera jusques aux moindres choses qu'il remarquera en la conduite de mon fils ; et je désire qu'il m'envoye toutes les traductions, dessins ou morceaux de plan qu'il fera, aussi bien que son écriture 2[23].

Dans le cours de ce voyage, qui ne dura pas moins de sept mois, Courtenvaux reçut de son père plus d'une rude semonce[24] ; cependant, vers la fin, il eut aussi quelques témoignages de satisfaction[25].

Quoi qu'il en soit, il s'en fallait de beaucoup que Courtenvaux fût en état d'aider efficacement sort père dans les détails infinis de l'administration militaire et des fortifications, lorsque Louvois y ajouta résolument les services nombreux et divers dont se composait la surintendance des bâtiments, arts et manufactures de France.

Quelles aptitudes naturelles ou acquises Louvois apportait-il à ses nouvelles fonctions ? Quelle était la somme de ses connaissances et la mesure de son goût dans les arts ? Eu fait d'architecture, il avait surtout bâti des fortifications ; il est vrai qu'il avait aussi vu construire l'Hôtel des Invalides ; et ce fut même là son principal titre pour emporter la surintendance ; mais il tenait plutôt du maçon que de l'architecte. Pour ce qui est de la peinture et de la sculpture, il n'y entendait rien, de son propre aveu. En 1682, ayant à décorer le château et le parc de Meudon qu'il venait d'acquérir, il chargeait un connaisseur, qui s'en allait en Italie, d'acheter pour lui quelques statues : J'ai cru, lui écrivait-il, que vous voudriez bien me faire l'emplette contenue au mémoire ci-joint, pendant le séjour que vous ferez à Rome. Comme je ne suis point curieux, c'est-à-dire que je ne me connois point en peinture ni en statues, je ne vous demande point des statues chères par leur antiquité ; et j'aime mieux une belle copie, d'un marbre bien poli, qu'une antique qui ait le nez ou un bras cassé. Je vous prie de ménager ma bourse sur les statues, en ne les prenant pas extrêmement mauvaises, de ne pas aussi chercher une extrême beauté qui les renchérit considérablement. Si vous trouvez deux douzaines de bustes à un prix raisonnable, ou qui fussent antiques ou qui fussent bien copiés, vous me feriez plaisir de me les acheter aussi[26].

Cette commande, à faire frémir les antiquaires et les artistes, est sans doute de dix-huit mois antérieure à l'avènement du surintendant Louvois ; mais la naïve confession qui l'accompagne et qui l'explique n'en est pas moins piquante. Louvois l'aurait-il faite encore le 6 septembre 1683 ? Peut-être ; car on ne voit pas qu'il ait abusé du pouvoir pour dogmatiser en esthétique ; si ce n'est qu'un jour, en 1688, étant aux eaux de Forges, de par les médecins, et n'ayant rien de mieux à faire, il s'avisa d'examiner en détail et de juger une méchante peinture, quelque Cléopâtre se donnant la mort. Un morceau de critique, de la même main qui avait composé l'instruction pour le siège de Gand, n'est-ce pas une curiosité de quelque prix ? J'ai reçu, écrivait le surintendant des beaux-arts, le tableau du sieur Bedeau, lequel ayant examiné, le groupe de soldats ou gardes m'a paru bien mieux que ce que j'ai vu encore de lui ; mais la Cléopâtre ne m'a point semblé bien dessinée, particulièrement le col, qui est plus long qu'il ne devrait être. La suivante qui lui accommode son diadème est encore moins bien dessinée, et sa tête n'est point aplomb sur son corps, ni son corps sur ses jambes[27]. L'autre suivante qui est couchée n'est point encore bien dessinée ; son col est trop long, son visage d'un mauvais coloris ; ce qui me feroit craindre que Bedeau n'eût copié le groupe de gardes ou soldats qui entrent dans la prison, et que le reste fût de son invention[28].

Aussi bien, Louvois n'avait pas la prétention de régenter dans les beaux-arts ; il avait deux ou trois conseillers auxquels il se confiait, en architecture, Mansard, et Mignard en peinture. Lebrun, qui, du temps de Colbert, avait exercé sur tous les artistes un despotisme insupportable, continua de régner, mais il ne gouverna plus. Mignard eut la patience ou la générosité, d'autant plus méritoire chez un ambitieux qui n'est plus jeune, d'attendre la mort de Lebrun pour hériter de tous ses honneurs ; mais quand il devint -premier peintre du roi, en 1690 ; il avait en fait, depuis six ou sept ans, le gouvernement de la peinture. S'il s'agissait d'acquérir quelque toile de réputation, c'était surtout Mignard qui était consulté[29]. En sculpture, c'était Girardon. Lorsque la statue équestre de Louis XIV, cette œuvre du cavalier Bernin qui devait être un chef4l'œuvre et se trouva être un morceau détestable, fut enfin arrivée en France, ce fut Girardon qui eut à décider ce qu'on en pourrait faire[30]. Enfin,  ce fut de lui que les sculpteurs employés aux gages du roi eurent à prendre les ordres[31].

Peu à peu, tout le personnel de la surintendance fut renouvelé par Louvois. Le coadjuteur de Rouen, deuxième fils de Colbert, assisté de Pignon et de l'abbé Gallois, avait dirigé la bibliothèque du roi et les services qui s'y rattachaient. Louvois fit nommer à sa place, en 1684, son quatrième fis, Camille Le Tellier, avec les titres de maitre et garde de la bibliothèque et d'intendant des médailles[32] ; et comme le jeune intendant, maitre et garde, était encore au collège, la direction de la bibliothèque fut exercée par l'abbé de Varèse, et quelques mois après, l'abbé de Varèse étant mort, par Thévenot. Les médailles, enlevées au bonhomme Carcavy, passèrent sous la garde du médecin Rainssant[33].

Pour l'imprimerie royale, Louvois invoqua les lumières de l'archevêque de Reims, Maurice Le Tellier, son frère, qui était un curieux en beaux livres. L'imprimerie royale, lui écrivait-il le 24 octobre 1683, est sous la direction du surintendant des bâtiments, dans laquelle j'ai ouï dire que l'on a imprimé de fort mauvais livres depuis plusieurs années. J'espère que vous voudrez bien m'aider à faire cette partie de ma charge, en m'indiquant les livres que vous jugerez à propos qui y soient imprimés dorénavant. Et quelques jours après, M. de Reims ayant acquiescé, Louvois le remerciait en ces termes[34] : Je suis très-aise que vous vouliez bien m'aider à diriger l'imprimerie royale et à faire que l'argent du roi y soit employé avec plus de réputation que par le passé.

Enfin, au mois d'août 1686, Louvois, pliant sous le faix, se fit donner pour coadjuteur à la surintendance Villacerf, frère de Saint-Pouenges[35]. Tous deux étaient Colbert ; et il est assez piquant de voir Louvois s'accommoder, pour les bâtiments et pour la guerre, de deux assistants de ce nom ; mais ces Colbert étaient des transfuges, alliés par le sang et joints d'intérêt aux Le Tellier, de sorte qu'ils ne pouvaient plus servir de trait d'union entre les deux familles[36].

La révolution qui renouvelait le personnel de la surintendance porta bien plus loin que Paris et Versailles ; elle atteignit jusque dans Rome le directeur de l'Académie de France, Errard. Après avoir langui, pendant une année encore, sous la surveillance impatiente et insultante d'un héritier présomptif qui s'était attribué, par avancement d'hoirie, le droit de tout régler, il fut rappelé au mois de septembre, 1684. La Tuilière, son successeur, était l'homme de confiance à qui Louvois avait commis le soin de ses petites emplettes en fait d'art ; il y ajouta tout de suite les commandes pour le roi. En révolution, ce sont les subalternes qui sont les plus acharnés contre les serviteurs du pouvoir déchu ; Louvois, en révoquant Errard, sut au moins se tenir en garde contre les entrainements de La Tuilière : J'attends de vos nouvelles, écrivait-il à celui-ci, sur ce que je vous ai mandé concernant le rappel du sieur Errard ; ainsi je ne vous réponds point sur l'injustice que vous me mandez qu'il a faite aux académistes qu'il a congédiés[37]. Déjà, six mois auparavant, il avait coupé court à d'autres accusations : Je crois, avait-il dit[38], qu'il ne faut pas chercher à savoir si, par le passé, le roi a été trompé dans les achats qui ont été faits à Rome ; il faut seulement vous appliquer à faire qu'il ne le soit plus.

Toutes les instructions de Louvois étaient dans le sens de l'économie : Il ne faut point se presser, disait-il, d'acheter les belles choses qui sont dans les vignes Montalte et Ludovise, puisque vous croyez qu'on en veut avoir des prix excessifs ; mais ne laissez pas perdre l'occasion de les avoir à des prix raisonnables. Ne précipitez rien, et par l'indifférence que vous affecterez, vous ferez connoître qu'il n'y a que le grand marché qui vous oblige à donner l'argent du roi. Comme je suis persuadé que l'argent comptant aide fort à avoir bon marché, je vous en ferai remettre dés que vous me manderez en avoir besoin. Je suis persuadé qu'avec de l'argent comptant et de la prudence, vous viendrez à bout de tirer beaucoup de belles choses de Rome[39]. Louvois ne se souciait pas d'acquérir en bloc des collections entières : Le roi, disait-il, n'a point intention d'acheter un cabinet de tableaux tout entier, parce que d'ordinaire ces cabinets sont composés de quelques bons tableaux et de beaucoup de médiocres. Il vaut mieux acheter les choses dont on a besoin, un peu cher, que de s'en charger de beaucoup qui seroient inutiles[40].

Cependant il fut bien tenté un jour d'enlever, d'un seul coup de filet, la collection magnifique de la reine Christine de Suède, laquelle, comme on sait, achevait à Rome son aventureuse existence. Moyennant cent mille francs de rente viagère, disait-on, la reine était disposée à donner au roi de France la nue-propriété de toutes ses richesses, pierreries, tableaux, tapisseries, statues, curiosités de toutes sortes ; et d'après cet avis ; Louvois s'empressait de se renseigner sur l'âge exact et sur l'état de santé de la princesse[41]. L'avis malheureusement était faux ; plus malheureusement encore, tout faux qu'il était, il fit beaucoup de bruit dans Rome, donna l'éveil à la cour pontificale, qui se portait déjà pour légataire de la reine de Suède, et faillit même provoquer le séquestre de tous les objets d'art acquis d'ailleurs pour le compte du roi de France[42].

Quand la rumeur fut apaisée, Louvois revint à son projet d'avoir, non plus le tout, mais les bons morceaux. On disait que la reine de Suède ayant reçu quelque mortification à Rome, il pourrait bien se faire qu'elle s'en allât à Venise ou à Hambourg ; et Louvois s'empressait d'écrire à La Tuilière : Soyez attentif à voir si, dans cette occasion, elle ne voudroit pas se défaire de quelques statues ou autres pareilles curiosités[43]. Christine était assez fantasque pour qu'on pût tout croire d'elle ; mais il ne fallait pas s'y confier ; parce qu'elle avait menacé de quitter Rome, elle y resta. Toutes les négociations que Louvois essaya de nouer ou de renouer avec elle échouèrent.

Quand la reine de Suède mourut, en 1689, il n'était plus question de curiosités ni d'art ; la guerre avait repris possession de Louvois, qui répondait brusquement au zèle importun de La Tuilière : Le roi a, dans la conjoncture présente, d'autres occasions d'employer son argent qu'à des tableaux[44]. Déjà, le 31 décembre 1687, La Tuilière avait reçu l'ordre de ménager avec plus d'économie que jamais les fonds qui lui étaient confiés, et de n'engager plus à l'avenir le roi dans de nouvelles dépenses[45]. Les quatre années précédentes, de 1684 à 1687, les quatre belles années de la surintendance de Louvois, avaient procuré à la France, sinon des chefs-d'œuvre, du moins quelques bonnes toiles, surtout des statues antiques ou d'après l'antique, un grand nombre de moulages, lorsque les originaux n'avaient pu être ni achetés ni copiés, des vases de marbre et de porphyre, des bronzes, des médailles[46], etc.

En même temps Louvois avait continué, pour son propre compte, ses modestes acquisitions. Ce qui n'était pas bon pour le roi l'était bien assez pour lui[47] ; d'ailleurs on a vu qu'il n'était pas curieux d'originaux, et pour cause ; quelques copies de bons tableaux et de bonnes statues, bien faites et pas trop chères, c'était tout ce qu'il souhaitait. La question du nu en sculpture a été bien souvent discutée ; il était réservé à Louvois, indifférent aux raisons de morale et d'esthétique, d'y apporter une solution tout à fait originale, la solution du bon marché. Je vous prie, écrivait-il à La Tuilière, de faire copier pour moi quatre figures qui soient entre cinq pieds et demi et six pieds de haut, que je me remets à vous de choisir telles que vous voudrez, pourvu qu'elles soient de bon goût. Comme il me semble que celles où il y a des draperies doivent être à meilleur marché que celles qui sont nues, vous pourrez prendre de celles-là. Mais il est à noter que, par un scrupule honorable, Louvois ne voulait pas que les sculpteurs de l'Académie fussent employés à d'autres travaux qu'à ceux du roi. Vous observerez, ajoutait-il, que je désire que ces figures soient faites par des sculpteurs de Rome, et qu'aucun de ceux de l'Académie n'y travaille, parce qu'ils ne doivent être employés que pour le roi ; et comme je ne veux pas qu'elles se fassent aux dépens du roi, je ne veux pas aussi que l'on puisse le croire[48]. Parmi bien des passions violentes, Louvois n'avait pas les sentiments bas ou ridicules, la cupidité ni la vanité, par exemple. J'ai reçu, écrivait-il un jour à La Tuilière[49], la copie de la Galatée de Chigi. Je sais gré au sieur Bocquet de la bonne volonté qu'il a de vouloir mettre mes armes au bas de la planche qu'il en a faite ; mais l'on ne me sauroit faire plus de peine que de l'exécuter, et c'est ce que je vous conjure d'empêcher.

Louvois se faisait rendre compte, chaque mois, de tout ce qui se passait à l'Académie ; les pensionnaires, ces cadets de la brosse et du ciseau, étaient rangés sous la discipline aussi rigoureusement que les cadets de l'armée. Malheur aux négligents, surtout aux insoumis ! Il faut chasser de l'Académie, écrivait à La Tuilière l'inflexible surintendant, celui qui a refusé de travailler à la copie du Tibre, et ne lui rien donner pour son voyage[50]. Vous pouvez, outre cela, l'assurer en présence de tous ses camarades, qu'il ne travaillera point pour le roi, lorsqu'il sera de retour ici. Il ne faut point fixer de temps aux académistes pour le séjour qu'ils doivent faire à Rome, parce que, quand ils ont t'esprit assez mal fait pour n'y pas demeurer autant que l'on veut, il n'y a qu'à les chasser[51]. En 1688, année de guerre, l'école subit une bourrasque à tout emporter : J'ai appris avec surprise, écrivait Louvois[52], l'impertinente conduite des pensionnaires de l'Académie. Je vous ordonne de les rassembler tous pour leur lire cette lettre ; vous donnerez aux capucins de Rome un tiers du quartier de leur pension ; et si cela ne les corrige pas et qu'ils ne s'appliquent pas uniquement à travailler, je vous ordonne de les renvoyer tous les uns après les autres, sans leur rien donner pour leur voyage ; et ils pourront s'assurer qu'en arrivant ici, je les ferai mettre à Saint-Lazare pour un an.

A vrai dire, ces procédés, en paix comme en guerre, étaient dans la manière accoutumée de Louvois. Dés son entrée à la surintendance, il avait menacé de la prison un sculpteur dont la statue se faisait trop attendre[53]. Des artistes aux artisans le traitement ne variait guère ; en prison, les menuisiers dont les travaux ne marchaient pas ; en prison, les charretiers qui refusaient d'apporter de la pierre à Versailles ; en prison, et point d'argent. Je vous prie de leur apprendre, s'écriait le terrible ministre, que quand des ouvriers me manqueront, je suis résolu de les faire mettre en prison et de ne vider leurs parties de dix ans[54]. Louvois avait un genre d'éloquence tout à fait persuasif ; en 1685 et 1684, les aménagements intérieurs et la décoration de Versailles furent poussés avec une rapidité merveilleuse. 

Chaque fois que Louis XIV revenait à son séjour de prédilection, n'eût-il été que quelques jours dehors, il était assuré qu'il y avait quelque chose à voir, et, la correspondance de Louvois à la main, comme un programme, il vérifiait en détail ce que Louvois lui avait promis en détail ; rien n'y manquait. Un devis d'architecte ou un compte de serrurerie ne sont pas plus fastidieusement explicites que les mémoires donnés par Louvois à Louis XIV, et renvoyés par Louis XIV à Louvois avec un luxe d'annotations marginales et d'apostilles approbatives. Ce n'est pas trop dire qu'on y compte les clous, les chevilles et les vis ; tout y est passé en revue, les grands et les petits appartements, les garde-robes, les cuisines, les caves, etc. Tous ces détails par  le menu font la joie de Louis XIX ; et Louvois, qui veut lui complaire, s'y complaît évidemment lui-même.

En 1684, le siège de Luxembourg tire à sa fin ; Louis XIV revient lentement de Valenciennes à Versailles ; Louvois a pris les devants. Le 7 juin, le ministre de la guerre écrit au roi pour lui annoncer une nouvelle désagréable : le maréchal de Bellefonds a levé le siège de Gironne ; mais il y a une autre lettre du surintendant qui est faite pour détruire le mauvais effet de la première : tout va bien à Versailles. Cette lettre n'est pas comme les mémoires dont on vient de parler ; Louvois ne fait que d'arriver ; il n'a rien. vu qu'en gros et n'en peut rien dire qu'en général et à la hâte. Mais que de choses en peu de mots ! Je me rendis hier ici sur les deux heures, après avoir vu le chemin de Sèvres. La cour du château est entièrement débarrassée, et tout l'appartement de Votre Majesté, jusques et compris le salon, sera en état pour l'arrivée de Votre Majesté ; j'espère que le cabinet du conseil le sera aussi. J'espère que Votre Majesté sera très-satisfaite de son appartement, qui est grand et très-bien tourné ; la menuiserie en est parfaitement belle. Les deux pièces d'eau du parterre seront demain parachevées. La maçonnerie de la pièce de Neptune s'achèvera entre ci et deux jours ; il faut encore la semaine prochaine pour y porter les terres nécessaires. L'on me promet d'achever cette semaine les aqueducs commencés sur le parterre, après quoi, en deux ou trois jours, il sera remis en état ; mais à l'égard de la pyramide des Couronnes, il faut encore plus de trois semaines pour parachever ce que l'on y a commencé. Je ne rendrai point compte à Votre Majesté de l'avancement de tous les autres ateliers. J'aurai seulement l'honneur de lui dire que j'espère qu'elle en sera satisfaite, et que, quelque idée qu'elle ait de l'orangerie, elle sera surprise de la beauté et magnificence de ce qu'il y en a de fait. Le cabinet des curiosités est extrêmement propre, et les glaces que l'on a mises à la place des tableaux qu'avoit faits le sieur de Boulogne, y font un très-bon effet[55].

Il y avait tout un monde de travailleurs à Versailles et aux alentours ; Dangeau témoigne que, dans la seconde quinzaine du mois d'août 1684, on n'y comptait pas moins de 22.000 hommes et de 6.000 chevaux. A ne regarder qu'aux embellissements de son parc, Louis XIV se félicitait d'avoir fait de son ministre de la guerre le surintendant de ses bâtiments ; les troupes qui venaient de remuer de la terre devant Luxembourg, creusaient des tranchées pour amener aux fontaines magnifiques des jardins royaux les eaux précieusement recueillies à de grandes distances. Ces eaux ne suffisaient pas ; la machine énorme et compliquée que venaient de construire à Marly l'ingénieur liégeois Deville et le charpentier Rennequin Sualem, pour élever les eaux de la Seine, ne donnait encore que des promesses ; les eût-elle tenues et dépassées, Louis XIV et Louvois voulaient encore davantage ; aux fontaines déjà faites ils rêvaient d'en ajouter d'autres.

En 1674, Riquet, l'illustre inventeur du canal des deux mers, s'était fait fort de conduire à Versailles les eaux de la Loire ; examiné par les savants, ce projet avait été jugé impraticable, et la machine de Marly entreprise afin d'y suppléer. Cette image d'un fleuve détourné de son cours et amené de loin frappa Louvois ; devenu surintendant, il reprit l'idée de Riquet, et résolut de l'appliquer, non plus à la Loire, mais à quelque rivière moins distante. Le 19 octobre 1684, il y eut, Dangeau l'atteste, grande rumeur à Fontainebleau : Au lever du roi, dit-il, on parla fort de la rivière d'Eure, que Sa Majesté veut faire venir à Versailles[56] ; on l'a fait niveler, et elle est de quatre-vingts pieds plus haute que les plus hauts réservoirs de Versailles[57].

En tout temps, même au nôtre, l'entreprise eût été considérable ; en son temps, elle parut gigantesque, et l'histoire a conservé jusqu'ici l'impression et l'expression des contemporains, l'une et l'autre excessives. Comparée à nos grands travaux modernes, la dérivation de l'Eure n'a plus rien qui confonde l'imagination ; mais la grande différence est que nos travaux, pour la plupart, ont en vue l'utilité publique, tandis que le projet de Louvois était tout d'agrément et pour la satisfaction d'une vanité royale. C'est donc la fin qui est à blâmer, plutôt que l'entreprise en elle-même.

La rivière d'Eure étant choisie, la prise d'eau devait se faire assez près des sources pour donner au canal de dérivation le plus de hauteur possible, et cependant assez loin pour que, la dérivation faite, la rivière conservât encore un débit suffisant ; car il n'était pas question de l'absorber tout entière. Ces deux conditions se trouvaient réunies près du village de Pontgouin. Au-dessous, l'Eure faisait un tour considérable avant de prendre sa direction vers le nord, de sorte que le tracé partant de Pontgouin et tirant droit à Versailles la rejoignait à mi-chemin, et figurait ainsi géométriquement la corde de l'arc décrit par la courbe de la rivière ; mais les niveaux n'étaient déjà plus les mêmes, et les eaux dérivées par le plus court chemin devaient passer beaucoup au-dessus des eaux abandonnées à leur pente naturelle. Par une heureuse fortune, qui semblait une galanterie du hasard, ce lieu de rencontre s'appelait Maintenon, et les grands travaux qu'il fallait y faire, pour le passage des eaux destinées à l'embellissement de Versailles, devaient embellir d'abord la terre qui avait donné son nom à la première dame de France.

C'était le géomètre La Hire, de l'Académie des sciences, qui avait fait les nivellements et reconnu la direction générale de l'aqueduc ; Vauban, et l'un de ses aides les plus habiles, Mesgrigny, furent chargés par Louvois d'étudier le terrain en détail et d'aviser aux moyens d'exécution[58]. Sur ce parcours de vingt-cinq lieues environ, entre Pontgouin et Versailles, les accidents du sol étaient fréquents et variés ; à Maintenon, surtout, il y avait de grandes difficultés pour franchir la vallée de l'Eure, qui ouvrait, dans le tracé du canal, une brèche large et profonde. Vauban était d'avis d'établir, soit par un coffre en maçonnerie, soit par un système de tuyaux de fer, un aqueduc rampant qui descendrait et remonterait en siphon les pentes opposées de la vallée de Maintenon ; partout ailleurs, il proposait des tranchées à ciel ouvert. Le projet de Louvois était bien différent. Aux tranchées il préférait un conduit souterrain, lequel, une fois fait, n'exigerait plus aucune dépense, tandis qu'une tranchée à entretenir serait, disait-il, une véritable vache à lait 2[59].

L'aqueduc rampant devint surtout, entre Louvois et Vauban, le sujet d'un tournoi scientifique : la physique, l'hydrostatique, l'hydraulique y fournirent aux deux adversaires des arguments qu'ils se jetèrent réciproquement à la tête[60]. Vauban avait envoyé à Louvois un mémoire sous ce titre : Problème sur le poids des eaux dans les aqueducs souterrains ; Louvois, ayant derrière lui l'Académie des sciences, y riposta incontinent par deux ou trois réponses que ses auxiliaires s'empressèrent de lui fournir[61]. J'ai consulté, mandait-il à Vauban, les gens les plus habiles de l'Académie sur le mémoire que vous m'avez envoyé concernant le poids des eaux dans les aqueducs. Et, de peur que ses conseillers ne fussent taxés de pure complaisance, il se hâtait d'ajouter[62] : Afin que le chagrin .de voir votre proposition condamnée ne tombe pas sur moi tout seul, je vous envoie un livre imprimé il y a vingt ans, qui est plein d'expériences qui vous démontreront la vérité de mon opinion et la fausseté de la vôtre. Je ne vous dépêche ce courrier que pour vous faire part du jugement favorable à mon opinion rendu par les savants de Paris, et de la destruction de la vôtre par un livre dont la date ne vous doit pas être suspecte.

S'attacher aux bonnes raisons quand on a pour soi les fortes, et chercher à convaincre son adversaire quand on peut le foudroyer, c'est un mérite. Louvois avait entre les mains tous les genres d'autorité, l'opinion des savants et la volonté royale ; qu'avait-il besoin d'écrire à Vauban la lettre qui précède, lorsque, deux jours auparavant, il lui avait lancé cet argument péremptoire : Il est inutile que vous pensiez à un aqueduc rampant dont le roi ne veut pas entendre parler ; si le mémoire ci-joint n'est pas suffisant pour vous en faire comprendre la raison, la volonté du maitre doit vous empêcher d'en plus parlers ?[63] Nous connaissons assez Vauban pour croire que, s'il se sentit touché, ce fut moins de cet argument-là que des autres.

Quoi qu'il en soit, le 9 juin 1685, madame de Maintenon écrivait à son frère : M. de Louvois revint hier de Maintenon, charmé des facilités qu'il trouve pour son aqueduc. Vauban m'a dit qu'il iroit plus vite et qu'il coûteroit moins qu'il ne l'avoit cru ; mais qu'il avoit été deux mois sans comprendre qu'on pût en venir à bout. Il avait été décidé que la vallée de l'Eure serait franchie directement et de plain-pied, au moyen d'un aqueduc en maçonnerie à trois rangs  d'arcades superposées. De sept mille toises, d'après les premiers projets, la longueur de cet aqueduc fut successivement réduite à deux mille, puis à mille seulement ; pour le surplus, des terrassements en remblai devaient supporter des conduites en fer destinées à joindre l'aqueduc de part et d'autre avec les canaux en amont et en aval. C'était à la persévérance de Vauban qu'était due cette réduction considérable ; il était parvenu aussi à faire triompher presque partout les tranchées à ciel ouvert suries canaux souterrains[64].

Tout en discutant le problème de l'aqueduc, Louvois n'avait rien négligé pour que les travaux commençassent dès les premiers beaux jours de l'année 1685. Maintenon allait devenir le quartier général d'une armée de travailleurs ; quelle fortune pour les habitants de cette petite ville ! Le moindre taudis ne pouvait manquer d'enrichir son propriétaire. Ils bénissaient M. de Louvois qui leur donnait pareille aubaine. Les pauvres gens ! Ils ne savaient pas que M. de Louvois avait des moyens à lui pour prévenir l'enchérissement des loyers, et qu'afin de loger plus facilement son monde, il délogeait les propriétaires et les mettait volontiers en prison. Vous devez faire entendre au bailli de Maintenon, écrivait-il à l'un de ses agents[65], qu'il doit tenir la main à ce que tous ceux qui auront besoin de logement dans ledit Maintenon, en trouvent au prix porté par la taxe ci-jointe, qui est la même que l'on fait observer à Versailles ; et il faut faire entendre à ceux qui en feroient difficulté que l'on les feroit mettre en prison, et que l'on logeroit du monde chez eux qui ne leur payeroient rien, s'ils étoient assez déraisonnables pour refuser des logements au prix de cette taxe.

 Vers la fin d'avril, les bataillons d'infanterie désignés pour ouvrir la tranchée, entre Pontgouin et Maintenon, vinrent occuper leurs campements. Le marquis d'Huxelles avait sur ces troupes le commandement en chef ; Laubanie lui fut adjoint avec le titre de major général. Le 1er mai, dix-huit cents hommes donnèrent, près de Pontgouin, les premiers coups de pioche ; le 17 juillet, Louvois écrivait à Vauban : J'ai vu couler la rivière d'Eure dans deux lieues de son nouveau lit. En même temps on s'occupait d'asseoir, dans les fonds de Maintenon, les deux culées et les quarante-six piles qui devaient former l'étage inférieur de l'aqueduc[66].

Il y avait beaucoup de gens à la cour qui doutaient sincèrement du succès de l'entreprise, et d'autres qui, sans en douter, le redoutaient, en haine de Louvois. Ceux-ci étaient les amis de Seignelay, qu'ils essayaient de remettre à flot, depuis le bombardement de Gênes. Concentré dans le secret des grandes affaires, Louvois y était inattaquable ; mais depuis qu'il s'était éparpillé dans les mille détails de la surintendance, il avait multiplié contre lui-même les chances d'embuscade et de surprise. Tandis que le courtisan était bien forcé de respecter les mystères de la politique et de la guerre, il se dédommageait sur tout ce qui était à la portée de sa critique ; telle construction lui semblait lourde, telle décoration mal entendue ; ce tableau ne valait rien, cette statue était mal faite ; et la rivière d'Eure, quel thème à contradiction ! Jamais M. Colbert ne se fût affolé d'un projet si déraisonnable. Voilà ce qui se disait partout, et le crédit de Louvois, harcelé de ci et de là, commençait à souffrir de ces légères atteintes ; mais aussi, pourquoi s'était-il aventuré sur un terrain si favorable aux cheminements de ses adversaires ?

Les intrigues de cour affectent de cacher de sérieux desseins sous des apparences frivoles ; mais le plus souvent, les apparences ne sont pas plus frivoles que les desseins. C'était une fête qui avait achevé la ruine de Fouquet ; ce fut par une fête que les ennemis de Louvois essayèrent d'ébranler sa fortune. Sollicité par les amis des Colbert, Louis XIV avait permis à Seignelay de lui offrir un divertissement dans les jardins de Sceaux. Comme il fallait du temps pour en faire les splendides apprêts, Louvois en fit de son côté, prit les devants et supplia le roi d'honorer de sa visite les jardins de Meudon. Il y eut donc entre Louvois et Seignelay un duel de magnificence où Louvois eut d'abord l'avantage.

En pareille matière, rien ne vaut le témoignage de Dangeau : Le roi, dit-il à la date du 30 juin 1685, s'alla promener en calèche, avec deux ou trois darnes seulement, à Meudon, qu'il voulut voir en particulier, avant la fête qu'il doit y avoir lundi. Sa Majesté trouva la maison magnifique et les jardins charmants, et revint fort contente de sa promenade. Seignelay, distancé d'abord, n'en eut pas moins sa revanche. Il y eut, dit encore Dangeau, une fête à Meudon, et une quelques jours après à Sceaux ; le vilain temps gâta un peu celle de Meudon ; et celle de Sceaux, du consentement de tous les courtisans, est la plus belle fête qu'on ait jamais donnée au roi. Attentifs à la fortune, les courtisans sont volontiers superstitieux ; la pluie et le beau temps ne sont pas simplement pour eux des sujets de conversation ; ce sont des signes. Environ trois semaines après, survint un événement qui sembla justifier les pronostics défavorables à Louvois.

Au mois de mars précédent le prince de Conti et le prince de La Roche-sur-Yon, son frère, avaient, sans l'aveu formel du roi, et surtout sans avoir pris congé de lui, disparu soudain de Versailles et s'en étaient allés, par un coup de tête, faire campagne en Hongrie[67]. Louis XIV, irrité, sut bientôt qu'ils entretenaient un commerce de lettres avec plusieurs jeunes gens de la cour qu'on ne nommait pas d'ailleurs. Il chargea Louvois, surintendant des postes, de pénétrer ce mystère. Louvois aussitôt donna des ordres, à Besançon, à Strasbourg, à Nancy et à Metz, afin qu'on surveillât tous les courriers extraordinaires venant d'Allemagne ou s'y rendant. Ces précautions réussirent. Vers la fin de juillet, un gentilhomme que le prince de Conti avait dépêché à Paris, s'en retournait diligemment vers son maitre, lorsqu'il fut arrêté à Strasbourg par le baron de Montclar, commandant militaire en Alsace, et dépouillé de tous ses paquets, qui furent aussitôt envoyés à Louvois[68]. Ce fut Louis XIV qui les ouvrit ; la capture était importante. Le roi, dit Dangeau, trouva dans les lettres de M. de La Roche-Guyon, de M. de Liancourt et de M. d'Alincourt, tant d'imprudences par plusieurs endroits et tant de libertinage, qu'après avoir fait voir à M. de La Rochefoucauld et au duc de Villeroi les folies de leurs enfants, il les exila par l'avis même de leurs pères. Pour comprendre ces discrètes expressions d'imprudences et de libertinage, il faut consulter les notes ajoutées par Saint-Simon au texte de Dangeau : C'étoient, dit le commentateur, des plaisanteries sur le roi et sur madame  de Maintenon, sur ses revues de troupes et sur toutes ses occupations et ses amusements, et toutes les nouvelles contées en ridicule.

Sons un gouvernement comme celui de Louis XIV, il y avait là crime de lèse-majesté ; la cour agitée attendait un châtiment digne de l'attentat. L'exil des coupables ne satisfit guère les plus scandalisés[69] ; surtout ils ne comprirent pas comment Louvois, beau-père du duc de La Roche-Guyon, n'était pas entraîné dans la disgrâce de son gendre. Il fallut bien qu'ils en prissent leur parti ; le duc de La Rochefoucauld, père de MM. de La Roche-Guyon et de Liancourt, le duc de Villeroi, père de M. d'Alincourt, et Louvois n'avaient pas fait la faute de combattre le ressentiment du roi justement irrité ; Louvois, pour sa part, avait contribué plus que personne à la découverte du crime[70]. Ils restèrent tous les trois dans la confidence du maitre ; Seignelay ne gagna rien à cette affaire, et Louvois, en dépit des courtisans, continua de mériter la faveur de Louis XIV et de madame de Maintenon, en s'adonnant plus que jamais aux travaux de la rivière d'Eure.

Il les visitait fréquemment, et le plus souvent à l'improviste[71]. En voyant ce qui s'était fait, il songeait à ce qui se pouvait faire, et pour la prochaine campagne il préparait de plus vigoureux efforts, quelque chose comme l'action combinée de trente bataillons, sans compter des milliers d'ouvriers libres. Mais à ces préoccupations, comme à tous les autres soins d'un ministère si vaste et si varié, vinrent s'ajouter, pendant l'hiver, des soucis d'un ordre tout différent.

Au mois de février 1686, Louis XIV se sentit atteint d'un mal qui pouvait devenir grave ; c'étaient les symptômes avant-coureurs de la fistule. Personne n'a été plus avant que Louvois dans la confidence de ce mal. Désireux de contribuer, pour sa part, au soulagement du roi, il se fit médecin, pour ainsi dire, tout au moins l'auxiliaire des médecins[72]. La santé du roi va de bien en mieux, écrivait-il au duc de Villeroi, le 17 mars[73], et l'on espère que dans la fin de la semaine prochaine, Sa Majesté sera en état de sortir et de se promener en toute autre voiture qu'à cheval, où je ne crois pas que Sa Majesté puisse monter avant la fin du mois prochain. A la fin d'avril, au contraire, le mal reparut et s'aggrava. Il y avait des gens qui préconisaient les eaux de Barèges et leur vertu spécialement curative pour le genre d'affection dont souffrait le roi. Louvois s'en était bien trouvé lui-même, dans un cas très-différent, il est vrai ; il se chargea de faire faire des expériences, et le 8 mai, il fit partir pour Barèges un chirurgien de Paris, nommé Gervais, avec un certain nombre de malades pris dans les hôpitaux pauvres gens à qui la plus désagréable des infirmités humaines valait la chance d'être soignés, non pour eux-mêmes, mais pour la guérison d'un roi. Pendant deux mois, Louvois entretint avec Gervais une correspondance assidue, minutieuse, toute chirurgicale[74]. Depuis le départ du chirurgien et de ses patients, Louvois avait entendu parler des Eaux-Bonnes comme étant meilleures encore que les eaux de Barèges ; ordre d'envoyer un des malades aux Eaux-Bonnes ; ordre aussi de rechercher, d'interroger et de visiter même au besoin toutes les personnes que la rumeur publique désignerait comme ayant été affectées du même mal et guéries par les eaux.

Cependant, sans attendre le résultat de ces expériences, Louis XIV, ennuyé, irrité d'une incommodité persistante, avait résolu d'aller à Barèges. Aussitôt Louvois enjoint aux intendants de raccommoder les chemins, et au marquis de Boufflers, commandant en Béarn, de tout disposer pour la sécurité de l'auguste malade. On ne saurait s'imaginer tout ce qu'un voyage de santé, sur la frontière d'Espagne, en pleine paix, exigeait alors de précautions militaires. Le 22 mai, Louvois écrivait à Boufflers[75] : Le roi ayant résolu, pour la plus grande sûreté de la parfaite guérison de son mal, de s'en aller à Barèges, fait état de partir, le 6 du mois prochain, pour s'y rendre en trente-deux jours de marche ou de séjour[76] ; et comme Sa Majesté est informée que ce lieu est sur la frontière d'Espagne, elle a donné ordre à M. de Chamlay de s'y rendre diligemment, pour reconnoitre le pays, en faire une carte, et voir avec vous où l'on pourra poster les troupes nécessaires pour la sûreté de Sa Majesté. Elle a résolu de composer le corps de troupes qui sera employé à sa garde, des bataillons de Touraine, Louvigny, Artois, Larrey, Royal-Comtois et Bombardiers, qui sont les six qui sont à vos ordres, des trois bataillons qui composent le-régiment de Stoupe, et de deux bataillons des gardes françoises et d'un des gardes suisses. Sa Majesté mène encore avec elle ses deux compagnies de mousquetaires, quatre cents gardes du corps, et ses compagnies de gendarmes et chevau-légers. Il y avait là de quoi conquérir toute l'Espagne ; mais l'Espagne n'eut même pas à s'inquiéter : Chamlay en fut pour ses pas, et Boufflers pour ses plans.

En cinq jours, Louis XIV avait complètement changé d'avis ; il n'allait plus à Barèges. Ce voyage solennellement et mystérieusement annoncé, le 21 mai, avait frappé la cour de stupeur ; il y a presque de l'émotion dans la note que Dangeau a consacrée à cet événement. Le roi, dit-il, ne se trouvant pas absolument guéri, a résolu d'aller à Barèges. Il se promena assez longtemps dans ses jardins, où il trouva Monseigneur qui se promenoit de son côté avec madame la princesse de Conti ; il lui dit qu'il vouloit lui parler, et que madame la Dauphine et lui l'attendissent avant que d'aller à la comédie. Sur les sept heures, le roi entra dans le cabinet de madame la Dauphine, et lui déclara sa résolution sur le voyage. Sa Majesté a envoyé un ordinaire à Monsieur pour lui mander cette nouvelle. Le roi partira le lendemain des fêtes de la Pentecôte. Le soir il y eut comédie italienne, où tout le monde étoit fort triste, à cause de la nouvelle que le roi venoit de dire.

Cet air désolé, consterné, presque funèbre, frappa Louis XIV ; Daquin, son premier médecin, et ceux de ses confrères qui étaient, comme lui, opposés au voyage, vinrent à la charge, et Louvois, battu par la Faculté, se vit forcé, le 27 mai, de récrire à Boufflers : Le roi s'est trouvé si bien, depuis ce que je vous ai mandé, que Sa Majesté a résolu aujourd'hui, après avoir fait une consultation de médecins et de chirurgiens, de ne point faire le voyage de Barèges. Le même jour, Louis XIV alla se promener à Marly : il monta même à cheval ; et le soir, la comédie italienne eut beaucoup de succès.

Il faut ajouter, pour clore cet épisode, que l'efficacité des Eaux-Bonnes fut déclarée nulle, celle des eaux de Barèges fort douteuse, et qu'après avoir attendu jusqu'au mois d'octobre, Gervais eut ordre de revenir avec ses malades et de les amener à Versailles, afin de les soumettre à la visite du premier médecin et du premier chirurgien[77].

Louis XIV paraissait se porter à merveille ; il avait repris toutes ses habitudes. Au mois de juillet, il alla voir, sans apparat les travaux de Maintenon, et revint enchanté des travaux et des travailleurs ; les vingt-deux bataillons d'infanterie et les trois-escadrons de dragons qu'il avait passés en revue étaient les plus belles troupes du monde. Au mois de septembre, Louis XIV renouvela sa visite, cette fois avec toute la cour[78]. Les travaux avaient fait de grands progrès ; le canal, suivant une ligne brisée de vingt-deux mille quatre cent soixante-dix toises, était ouvert depuis Pontgouin jusqu'à Berchère ; les eaux dérivées atteignaient le point où commençaient les terrassements de la vallée de Maintenon ; quant à la maçonnerie de l'aqueduc, vingt-neuf piles étaient élevées à hauteur de cintre, et seize un peu moins avancées ; une seule n'en était qu'aux fondations[79].

Malheureusement, ces deux mois d'un travail excessif, dans les jours les plus chauds, avaient été funestes à la santé des troupes ; des maladies s'étaient déclarées en grand nombre ; l'hôpital de Chartres et celui que Louvois avait fait établir dans l'abbaye de Coulombs étaient encombrés. Le 12 août, l'intendant y avait constaté la présence de douze cent trente et un malades et de trois cent cinquante convalescents[80]. On décida que le camp serait levé dès le commencement d'octobre, et la plus grande partie des troupes renvoyée dans les quartiers d'hiver. Les courtisans, qui s'étaient vus forcés d'admirer le travail, prenaient leur revanche sur le dépérissement des troupes ; ils enchérissaient par-dessus les exagérations des officiers, lesquels, fatigués et ennuyés d'un service purement de surveillance, ne se retenaient pas de maudire ceux qui avaient embarqué le roi dans une si déplorable entreprise. Dés lors le camp de Maintenon devint une sorte d'expression proverbiale pour désigner une méchante affaire. Tout cela retombait sur Louvois ; le voyage de Barèges, le camp de Maintenon, il n'en fallait pas davantage pour le mettre en disgrâce. Au mois d'octobre, toute la cour le tenait perdu ; un mois plus tard, il était, après le roi, le héros de la cour.

Si, le 21 mai, la stupeur avait été grande à la nouvelle du voyage de Barèges, ce fut un coup de foudre, le 18 novembre, quand on apprit à Versailles que le roi s'était fait faire, le matin même, la grande opération. Personne à la cour, personne même dans la famille royale, n'avait rien su, rien prévu, rien soupçonné. Le mal avait reparu sans que le roi en eût fait la moindre plainte. Les médecins, madame de Maintenon et Louvois seuls étaient dans le secret. En dehors du service de santé, Louvois était le seul témoin qui eût assisté à l'opération. C'est là ce qui donne d'autant plus de valeur à la relation qu'il écrivit le lendemain et qu'il envoya, comme une pièce historique, aux généraux, aux gouverneurs, aux intendants, aux évêques, à tout ce qu'il y avait de considérable en France.

Cette relation, qu'on va lire, est d'une réalité puissante. Certains mots, certains détails pourront d'abord choquer notre délicatesse ; acceptons-les simplement, comme a fait la grande société du dix-septième siècle. En marquant davantage l'humiliation de la personne physique, ces mots et ces détails relèvent d'autant la grandeur de la personne morale. Ce patient, que nous allons voir dans sa nudité misérable, ne l'oublions pas, c'est le roi ; jamais il ne l'a moins oublié lui-même, jamais on ne l'a moins oublié autour de lui ; jamais, en un mot, il n'a été plus Louis XIV que ce jour-là.

Le roi s'étant senti, à Fontainebleau, plus incommodé qu'à l'ordinaire du mal qui lui a fait garder le lit pendant l'hiver dernier, prit la résolution de se faire faire l'opération à son arrivée en ce lieu, ce qu'il a exécuté hier, sans en avoir donné part à qui que ce soit. Sa Majesté m'ayant commandé de lui amener Bessière, à huit heures du matin, pour que cette opération se fit en sa présence, elle fit sonder son mal par M. Félix, et puis par ledit sieur Bessière ; et tous deux étant convenus que l'intestin étoit percé à un travers de doigt au-dessus de l'anus, Sa Majesté donna ordre que l'on préparât tout ce qu'il falloit pour faire l'opération et vit dresser tout l'appareil ; après quoi, s'étant mise sur son lit, M. Félix la lui fit avec un bistouri qu'il avoit fait faire exprès, qui du premier coup coupa le boyau, depuis l'endroit où il étoit percé jusqu'en dehors, et ensuite il lui donna sept coups de ciseaux dans les chairs vives, pour être plus assuré d'une parfaite guérison. Quand il eut fait, le roi lui ordonna de bien examiner s'il ne falloit point en donner encore quelqu'un ; en-suite de quoi l'on pansa Sa Majesté, et elle ordonna que l'on fit entrer le premier gentilhomme de la chambre, auquel elle dit ce qui venoit de se passer, qu'il pouvoit faire entrer les premières entrées, et dire à ceux qui n'ont pas ce privilège qu'on ne la verroit qu'à son dîner.

Le roi fut saigné sur les onze heures par précaution, entendit la messe à midi, et à deux heures on lui porta un potage qu'une trentaine de personnes lui virent manger. Jusqu'à cinq heures, madame la princesse de Conti, madame de Maintenon, et puis Monseigneur, Monsieur et Madame demeurèrent dans la chambre du roi. A cinq heures on appela pour le conseil, qui dura jusqu'à sept heures du soir, que je laissai Sa Majesté plus tranquille et plus gaie que je ne l'ai vue depuis longtemps. Elle s'endormit sur les onze heures et demie. Les gens qui ont couché dans l'antichambre n'ont rien entendu de toute la nuit. M. le premier médecin, chez qui j'ai envoyé, m'a mandé qu'il avoit hier laissé le roi à onze lieu.res et demie, s'endormant, qui avoit donné ordre que tout fût prêt pour le panser à neuf heures, mais qu'on ne l'éveillât point néanmoins.

Le lendemain, 20 novembre, Louvois ajoutait[81] : Sa Majesté a fort bien passé la nuit, ayant dormi plus de huit heures à deux reprises. La plaie s'est trouvée encore plus belle ce matin qu'hier. Sa Majesté a entendu la messe sur les dix heures, où elle a trouvé bon que tout le monde entrât, c'est-à-dire, autant qu'il en pouvoit tenir dans la chambre ; et elle a donné ordre que l'on se rendît chez elle sur les cinq heures, pour le conseil.

Louis XIV eut à subir encore plusieurs opérations, souvent plus douloureuses que la première. Il les supporta toutes avec la même fermeté, n'interrompant jamais son métier de roi. Enfin, le 27 décembre, Louvois écrivait une dernière circulaire pour annoncer partout la parfaite et absolue guérison de Sa Majesté dont, grâce à Dieu, disait-il[82], la plaie s'est trouvée ce matin entièrement fermée, et de manière que les chirurgiens se sont contentés de laver la cicatrice avec de l'eau vulnéraire. Vous pouvez compter, ajoutait-il expressément, que ce que je vous mande est au pied de la lettre, l'ayant vu de mes yeux.

Il y eut dans toute la France des actions de grâce et des fêtes publiques. Louvois fut accablé de félicita-fions pour le roi, et de remercîments pour lui-même. Une des lettres qu'il reçut alors, se distingue entre toutes par la franchise du sentiment et l'originalité de l'expression ; on la croirait de Vauban ; on ne se tromperait pas de beaucoup : elle est de Catinat. A la nouvelle de la guérison du roi, Catinat, alors gouverneur de Casal, s'était empressé d'en faire la réjouissance : J'en ai, disait-il, de bon cœur célébré la joie, à souper, avec bonne compagnie de notre garnison. S'il m'arrivoit de boire souvent comme j'ai fait ce jour-là, je recevrois bientôt une correction sur mon dérèglement[83].

La première excursion un peu importante que le roi, revenu tout à fait en santé, voulut faire, ce fut une Visite aux travaux de l'Eure, en compagnie de madame de Maintenon et de Louvois ; c'était pour Louvois particulièrement un témoignage de satisfaction, une récompense de ses bons soins. Le roi, mandait-il à l'archevêque de Reims, le 1er avril 1657, projette d'aller à Maintenon, le 16 ou le 17 de ce mois, pour deux ou trois jours ; il y trouvera bonne compagnie, puisqu'il y aura trente-sept bataillons et deux régiments de dragons. Quatre jours après, nouvel avis d'un nouveau voyage plus considérable et qui flattait la gloire du ministre de la guerre, autant que l'autre agréait au surintendant des bâtiments ; le roi venait de déclarer, devant toute la cour, qu'il avait résolu de partir le 1er mai, pour aller se promener à Luxembourg[84]. Ce voyage réussit à merveille ; c'est de Luxembourg que Louvois écrivait au contrôleur général Le Peletier[85] : Sa Majesté a paru satisfaite de tout ce qu'elle a vu ici, et les courtisans, contre leur ordinaire, n'y ont rien trouvé à redire.

Au retour, les courtisans eurent leur revanche. Les nouvelles de Maintenon étaient mauvaises ; les travaux languissaient ; il y avait telle compagnie qui ne fournissait que dix hommes au travail[86] ; où étaient les autres ? Les autres étaient à l'hôpital, où beaucoup mouraient. Il fallut que Louvois y dépêchât son propre médecin, afin de voir ce qu'il y avait à faire pour combattre les différentes sortes de maladies qui déroutaient et décourageaient les officiers de santé[87]. Comparée à la campagne précédente, celle-ci était bien plus meurtrière ; les fièvres et le scorbut avaient fait de plus grands ravages parmi les troupes employées aux terrassements. Le 13 septembre, le marquis d'Huxelles reçut l'ordre de les séparer, sauf quelques détachements des plus valides, que l'on garda pour les travaux de maçonnerie[88].

Louvois jouait de malheur ; toutes les contrariétés lui venaient à la fois. Louis XIV faisait rebâtir Trianon ; certaines choses dans les nouvelles constructions lui déplurent ; il fallut jeter bas les parties condamnées et recommencer sur de nouveaux plans. Pour comble de disgrâce, l'homme nécessaire, Mansart, prenait les eaux à Vichy ; avant son retour, on ne pouvait rien décider. Le 18 septembre, Louvois lui écrivait : Le roi n'ayant pas été content de l'effet que faisoit, du côté du jardin, le bâtiment, lequel étoit élevé à six ou sept pieds de haut, a ordonné qu'il fût démoli. Sa Majesté n'a pas voulu non plus que l'on continuât de poser les combles, lesquels elle a trouvés trop pesants et donner trop -à Trianon l'air d'une grosse maison. Elle a commandé que l'on y mît des combles que l'on ne pût plus voir d'aucun endroit et qui seroient couverts de plomb, et que l'on n'élevât les cheminées qu'un pied au-dessus desdits combles, Sa Majesté aimant mieux qu'elles soient exposées à fumer que si on les voyoit du dehors[89].

Louis XIV alla passer six semaines à Fontainebleau ; il revint, le 13 novembre, à Versailles ; et tout de suite Dangeau nous le montre visitant son bâtiment de Trianon, qu'il trouva fort avancé et fort beau. En dépit de la saison mauvaise, on travaillait pour réparer le temps perdu ; il ne se passait guère de jour où Louis XIV n'allât voir et presser les travaux ; il y alla notamment le 5 décembre, par un temps effroyable, et se promena fort dans les bâtiments dont il est, remarque expressément Dangeau, très-content à cette heure.

Le mal était donc réparé ; mais il suffisait que Louis XIV eût été mécontent, un certain jour, pour que les courtisans eussent fait leur profit de son déplaisir. Il n'est pas même impossible qu'il y ait eu, au sujet d'une fenêtre plus ou moins large, quelque discussion publique et un peu vive entre Louis XIV et Louvois. Par métier, les courtisans sont condamnés à n'être jamais dans la juste mesure ; ils passent leur vie à tourner et à retourner une lunette qui grossit les objets par un bout et les diminue par l'autre. Vus dans le premier sens, les torts de Louvois et les mécontentements de Louis XIV, à propos de Trianon, prennent des proportions énormes ; Saint-Simon survient, l'imagination en travail ; il s'empare d'une scène déjà outrée, il la développe encore ; il en tire tout un drame, vivant, plein d'intérêt, un chef-d'œuvre, et il l'intitule : La vraie cause de la guerre de 1688[90]. Pourquoi chercher si près, et dans de si misérables détails, les grandes et lointaines causes d'une guerre que la politique française, depuis 1679, avait rendue inévitable ? Cette guerre était la conséquence fatale des fautes et des emportements de Louis XIV et de Louvois, de l'interprétation arbitraire et brutale qu'ils avaient donnée aux traités de Westphalie et de Nimègue, des usurpations et des violences qu'ils avaient commises entre 1680 et 1684. La guerre était décidée, dans les conseils de l'Europe, bien avant que Louvois se prit de querelle avec Louis XIV ; il n'était plus au pouvoir ni de l'un ni de l'autre pas plus de la susciter que de la prévenir. Ainsi, quelle que soit la vérité première de l'anecdote racontée par Saint-Simon, la conséquence qu'il en tire n'est ni judicieuse ni fondée. Le grand écrivain qui a pu croire et dire que la guerre de 1688 était sortie d'une fenêtre de Trianon, n'est certainement pas un grand historien ni un- grand politique.

Tant s'en faut que Louvois ait voulu, par une guerre de son invention, contraindre Louis XIV à laisser là la truelle, qu'il s'opiniâtra lui-même, au contraire, à la garder en main plus que de raison, au grand dommage des troupes qui s'épuisaient en des labeurs inutiles et meurtriers. Jamais il n'y eut plus de monde employé aux travaux de l'Eure qu'en 1688. Au mois de mai de cette année, Louis XIV y vint encore, mais seul ; Louvois, tremblant la fièvre, s'était vu forcé de renoncer au voyage[91]. De Pontgouin à Versailles, partout où l'on travaillait, ce mal impitoyable faisait des victimes. Louis XIV n'échappa pas plus que son ministre aux influences morbides. Ceux qui paroissent plus heureux, bien souvent ne le sont pas tant, écrivait à Bussy-Rabutin madame de Sévigné[92]. Demandez au roi et à M. Louvois ; le maître et le ministre sont tous deux chicanés par des retours de fièvres mal guéries par le quinquina, ce qui non-seulement leur donne beaucoup de chagrin, mais en vérité à tout le monde, pour la personne de Sa Majesté.

Presque à la même date, le 14 juin, Louvois adressait à son frère, l'archevêque de Reims, de meilleures nouvelles : La santé du roi se rétablit à vue d'œil, disait-il[93] ; pour moi, je me porte assez bien, et je suis appelant d'un jugement des médecins qui me condamnoient aux eaux de Forges, auxquelles je n'ai point du tout envie d'aller. Les médecins cependant furent les plus forts : Louvois, débouté de son appel, s'en alla, malgré qu'il en eût, à Forges, vers la fin de juillet. Il y trouva grande et fort mauvaise compagnie[94], et, pour se distraire, il entretint avec Fagon une correspondance minutieuse et assidue ; mais, tout en lui envoyant les détails de sa santé, il témoignait s'intéresser davantage à celle de Louis XIV. J'ai, disait-il, beaucoup de joie d'apprendre que le roi se soit résolu à prendre dès hier du quinquina. Vous m'avez fait plaisir de me mander des nouvelles de la santé de madame de Maintenon. Et ailleurs : Il fait un chaud extraordinaire ; le roi s'y expose-t-il pour aller à la chasse ? Je vous prie de le faire souvenir que rien n'est plus mauvais ni plus propre à lui redonner la fièvre[95]. En fin de compte, Louvois s'ennuya beaucoup à Forges, et n'y guérit point. Le 7 août, de retour à Versailles, il écrivait au marquis d'Huxelles : J'arrive de Forges d'où la fièvre m'a chassé ; j'ai eu ma revanche avec du quinquina, car elle me manqua hier.

Cependant, si Louvois s'adressait avec un tel empressement au commandant du camp de Maintenon, ce n'était pas tant pour lui donner de ses nouvelles que pour avoir des siennes. On guérissait encore moins à l'hôpital de Coulombs qu'aux eaux de Forges, et la compagnie, par malheur, y était tout autrement grande. Dès avant le départ de Louvois, un état du 3 juillet lui avait appris qu'il y avait à l'hôpital quinze cent soixante-huit malades, appartenant à trente-trois régiments[96]. Depuis cette époque, le mal n'avait fait qu'empirer ; c'est pourquoi il écrivait au marquis d'Huxelles : Comme je n'ai pas vu mes lettres depuis deux jours, et que l'on m'a dit ici qu'il y a beaucoup de malades à Maintenon, je vous dépêche ce courrier pour vous prier de me mander ce qui en est, et si vous croyez qu'il soit à propos de renvoyer les troupes dès le 15 de ce mois, laissant deux cent cinquante hommes détachés par bataillon, ou si vous jugez plus à propos que l'on exécute le projet qui a été fait avec vous, c'est-à-dire de ne les faire partir que le 1er septembre. Vous ne parlerez, s'il vous plaît, à personne de ce que dessus, parce que je n'en ai point encore rendu compte au roi, et que je ne sais point ce que Sa Majesté ordonnera. Le lendemain, décision prise : J'ai rendu compte au roi de ce que vous me mandez par la lettre que vous avez pris la peine de m'écrire hier au soir. Sa Majesté a résolu de faire décamper ses troupes le 16 de ce mois, à la réserve des deux régiments de dragons et de ceux de Normandie, Auvergne, du Maine et Alsace, lesquels partiront le 1er septembre, et les dragons, lorsque le travail finira. Sa Majesté vous recommande de régler le nombre d'officiers, sergents et soldats qui resteront, de manière qu'il y ait le plus d'ouvriers pour le travail qu'il sera possible, mais aussi qu'il ne soit pas demandé à chaque régiment plus qu'il ne pourra fournir[97].

Cependant les affaires s'embrouillent de plus en plus au dehors ; une crise approche ; tout est à la guerre. Le 20 août, nouvelle et décisive dépêche au marquis d'Huxelles : Le roi ayant résolu de faire séparer incessamment le camp que vous commandez pour faire marcher vers les frontières les troupes qui le composent, je vous en donne avis. Vous devez faire cesser demain les travaux de terre. Le roi veut néanmoins faire achever l'ouvrage de maçonnerie entrepris cette année, ou du moins le mettre en état de passer l'hiver sans se dégrader.

La levée du camp de Maintenon fut d'un grand effet. Quoiqu'il y ait eu encore, l'année suivante, des troupes désignées pour les travaux de l'Eure, et quoique ces travaux aient été poursuivis obstinément jusqu'en 1690[98], le public ne prit même pas garde à ces derniers efforts ; il les ignora tout à fait. Pour lui, la levée du camp de Maintenon fut la fin de l'entreprise de Maintenon, frappée de mort subite. Chamlay, qui pouvait avoir des informations plus certaines, a partagé à cet égard le sentiment du public : La guerre qui commença en 1688, a-t-il dit, interrompit entièrement ce travail. Le parti que le roi prendra sur cela, après le rétablissement de la paix, est ignoré ; mais il y a grande apparence que Sa Majesté ne le reprendra pas pour beaucoup de raisons, et particulièrement parce que, au moyen des grands magasins et réservoirs d'eau qu'elle a pratiqués aux environs de Versailles, et de la machine célèbre qui élève les eaux de la Seine, il semble qu'elle a suffisamment pourvu à la fondation des fontaines de Versailles.

Ainsi Chamlay condamne la dérivation de l'Eure comme une entreprise superflue ; il la condamne surtout comme une entreprise désastreuse qui, même cessée, a eu, pendant longtemps encore, de funestes effets : Ce travail qui, par l'occupation et la subsistance qu'il fournissoit aux troupes, devoit leur être fort avantageux leur a été dans la suite très-funeste, et a produit au roi et au royaume une perte très-considérable, pour ne pas dire irréparable ; en effet, la maladie causée ou par la corruption de l'air et des eaux, ou par la malignité des vapeurs de la terre, fit un grand ravage parmi les troupes et passa ensuite avec elles sur les frontières, où elle emporta et a emporté encore, pendant quelques année, un grand nombre d'officiers et de soldats[99].

Un autre ami de Louvois, Saint-Pouenges, s'adressant à Louvois lui-même, n'est pas moins explicite : Je ne puis m'empêcher de vous répéter encore, lui écrit-il du camp devant Philisbourg, qu'il n'est point possible, pourvu que ce siège dure, qu'on puisse le finir avec l'infanterie qu'on y a destinée, les bataillons qui viennent de la rivière d'Eure n'ayant que quatre cent cinquante hommes chacun, avec les officiers. Ce seroit vous tromper que de vous parler autrement. Un mois après, il revient à la charge : Je suis obligé de vous dire que les régiments de cette armée sont foibles ; il leur faudra plus de trois cents hommes de recrue [par bataillon], surtout à ceux qui ont campé cette année à la rivière d'Eure[100].

Tout cela fut promptement et énergiquement réparé ; il n'en est pas moins vrai que Louvois s'était laissé surprendre, et que la France avait failli porter la peine de cette surprise. Le ministre de la guerre eut fort à faire pour racheter la faute du surintendant, qui s'était attardé aux embellissements de Versailles.

A Paris comme à Versailles, Louvois avait voulu laisser un grand monument de sa surintendance. Les affaires de la maison de Vendôme étant fort embarrassées, il en avait profité, dès 1685, pour acheter, au nom du roi, l'hôtel de Vendôme dont les jardins s'étendaient entre la rue Neuve-des-Petits-Champs et la rue Saint-Honoré[101]. Il avait acheté aussi le couvent des Capucines, situé au delà, mais à charge de reconstruction. Sur ce vaste espace, Louvois avait projeté de faire une place magnifique, ouverte dans toute sa largeur sur la rue Saint-Honoré, encadrée d'ailleurs par trois façades à portiques et toutes semblables, si ce n'est qu'au fond, l'arc d'une porte monumentale, rompant heureusement la monotonie des lignes, aurait laissé voir en perspective le nouveau portail de l'église des Capucines. Exclusivement destinés aux services publics, les bâtiments de la place Vendôme devaient recevoir la Bibliothèque du roi, les Académies, la Monnaie, la Chancellerie et le Grand Conseil. En 1691, quand Louvois mourut, l'église des Capucines était seule achevée ; pour tout le reste, les travaux furent interrompus, condamnés et rasés ; d'autres plans, d'une disposition et d'une destination bien différentes, remplacèrent les projets primitifs et firent la place Vendôme, telle que nous la voyons aujourd'hui[102].

Ces projets, auxquels les magistrats chargés d'administrer la ville de Paris ne pouvaient naturellement pas rester, étrangers, avaient mis Louvois en, rapport avec le prévôt des marchands et surtout avec le lieutenant de police, M. de La Reynie. M. de La Reynie fut aussi le conseiller le plus recherché et le plus écouté par Louvois en tout ce qui touchait à l'administration des manufactures. Il ne faut pas s'en étonner ; l'administration des manufactures était avant tout une affaire de police. Colbert, en mourant, avait laissé l'industrie française emmaillotée, comme au premier jour, dans un réseau de règlements étroits et rigides. Si l'industrie, qui ne demandait qu'à respirer et à vivre, attendait de Louvois qu'il desserrât ses liens et allongeât ses lisières, elle se trompait. L'ancien rival de Colbert, devenu son héritier, ne lit pas, en matière d'industrie, autrement que son devancier ; il suivit ses errements, pour ne pas dire ses erreurs. Ce n'était pas de l'homme qui avait l'amour de la règle pour passion dominante qu'il fallait espérer quelque relâchement dans la discipline industrielle.

Cependant les manufactures souffraient. Louvois consultait à Paris M. de La Reynie, dans les provinces, les intendants les plus expérimentés en ces matières ; il leur recommandait de s'entendre de leur côté avec les marchands et les manufacturiers de leurs départements, et de lui faire connaître le résultat de ces conférences[103]. Le 15 juillet 1685, il écrivait à M. de Bâville, alors intendant à Poitiers : J'ai reçu le mémoire que vous m'avez adressé concernant les manufactures, par lequel j'ai connu les endroits où elles sont établies en Poitou, les différentes étoffes qui se fabriquent en chaque lieu, les contraventions qui se font au règlement des manufactures, et la manière dont vous avez pourvu à ce qu'il fût mieux observé à l'avenir ; sur quoi je n'ai rien à vous dire, si ce n'est que Sa Majesté vous recommande de continuer à y donner les soins, et qu'elle s'attend d'apprendre, par les premiers mémoires que vous lui enverrez, ce que vous croirez qu'il y aura à faire pour l'augmentation des manufactures. Elle approuve fort votre pensée de s'appliquer plutôt à l'augmentation des manufactures qui sont déjà sur pied qu'à en établir de nouvelles. Elle vous recommande d'examiner s'il n'y auroit point quelques droits à diminuer de ceux qui se lèvent sur les étoffes qui entrent dans la province pour être manufacturées, et sur celles qui sortent de la même province après y avoir été fabriquées ; et comme rien ne procure tant le débit des étoffes que de les faire de bonne qualité, vous ne pouvez donner trop de soins pour faire exécuter avec-beaucoup de sévérité le règlement des manufactures[104].

On a vu comment Louvois s'y prenait pour empêcher, à Versailles et à Maintenon, l'enchérissement des loyers. S'il n'est pas intervenu de la même façon dans les transactions commerciales, il faut lui savoir gré de ne l'avoir point fait, et, quoiqu'un tel éloge ait quelque chose d'une injure, il faut le louer d'avoir écrit un jour à La Reynie : Je suis très-persuadé qu'il ne convient point de fixer les prix des marchandises, lesquels il faut laisser négocier entre les marchands et les manufacturiers[105].

Dans les questions relatives aux relations commerciales entre la France et les nations étrangères, Louvois était un zélé protecteur de l'industrie française ; et comme ces questions dépendaient surtout du contrôleur général qui, par les tarifs de douane, pouvait ouvrir ou fermer rentrée du royaume aux produits étrangers, Louvois pesait de tout son poids sur les résolutions du contrôleur général. Ainsi, le 13 janvier 1688, il lui écrivait[106] : Les bestiaux sont présentement à si bon marché que l'on n'en trouve pas le débit ; cependant les fermiers du roi permettent qu'il en entre une très-grande quantité dans le royaume, par le moyen desquels les étrangers en tirent l'argent, et les sujets du roi sont privés de la plupart de leur revenu. Les sujets du roi, dont Louvois prenait ainsi les intérêts, étaient ceux qui s'adonnaient à l'élève du bétail ; il y avait aussi les sujets du roi qui, profitant de la circonstance, mangeaient de la viande à meilleur marché ; ceux-ci même étaient apparemment plus nombreux que ceux-là ; mais Louvois n'en avait pas cure. A tout instant, Louvois réveillait par des cris d'alarme la sécurité, trop confiante à son avis, du contrôleur général[107].

Tant que Louvois ne faisait que réclamer, d'un côté, l'élévation des droits d'entrée pour contenir le flot des marchandises étrangères, et de l'autre, l'abaissement des droits de sortie, pour aider à l'écoulement des marchandises françaises, il se tenait dans les limites de son rôle[108] ; il en sortait lorsqu'il allait attaquer, sur son propre sol et par des moyens frauduleux, l'industrie étrangère, lorsqu'il écrivait, par exemple, à l'ambassadeur de Louis XIV à Londres, au sujet des papeteries d'Angleterre[109] : Si vous pouviez envoyer des mémoires qui expliquassent ce qu'il y auroit à faire pour augmenter, de plus en plus la décadence des dites papeteries, vous feriez chose fort agréable à Sa Majesté. Il est vrai qu'en cette circonstance il ne faisait guère qu'user de représailles, puisqu'il s'agissait de ramener en France des ouvriers qui avaient été débauchés par les Anglais.

De toutes les industries françaises, c'est à la draperie, bien déchue depuis la mort de Colbert, que  Louvois s'est intéressé davantage. Le 1er septembre 1685, il recevait de M. de La Reynie la note suivante[110] : Le sieur Coustard, marchand, est venu chez moi, ce matin, pour me demander s'il pouvoit continuer de faire prendre secrètement des instructions touchant les draperies, par l'homme qu'il a envoyé en Angleterre, et s'il étoit bien vrai qu'il plût au Roi qu'on travaillât avec effet à rétablir celles de France. Il m'a fait voir l'échantillon que je vous envoie d'un drap qu'il a fait travailler en France pour faire un manteau au Roi. Il prétend que ce drap est d'une finesse extraordinaire et que toute l'Angleterre ne sauroit passer cela, que la fabrique en est même si bonne qu'il n'y a point de pluie qui puisse percer cette étoffe, qu'il est surpris de voir ce qu'on lui marque de tous côtés que l'on peut faire en France pour la beauté des fabriques, et il espère de faire voir par des expériences que les Hollandois ni les Anglois ne les sauroient porter à un aussi haut point de perfection. Je vous envoyerai au premier jour, monsieur, ce qui peut être proposé pour commencer à y travailler utilement et sans éclat.

Louvois entra dans ce projet avec ardeur, et contribua de toute son énergie au succès de l'entreprise ; quand il y eut un assez grand nombre de métiers battants, il ordonna que toute l'armée ne fût plus habillée dorénavant qu'en étoffes de France[111]. En 1687, le débit des draps français était assez considérable pour que les Hollandais jugeassent à propos de contrefaire les produits des manufactures d'Elbeuf et de Sedan[112]. Par les avis que l'on reçoit de Hollande et d'Angleterre, écrivait Louvois au contrôleur général[113], il paroit qu'il s'y charge une si prodigieuse quantité de draps pour France qu'il y en entrera, non-seulement pour la consommation de cette année, mais même pour celle de l'année prochaine. Les mêmes avis portent que les marchands se pressent de faire ces achats, parce que les commis des fermiers [de la douane], qui sortent au 1er octobre prochain, leur font bonne composition sur les droits. Comme vous connoissez le préjudice que cela portera aux manufactures de France, je vous conjure d'y apporter un prompt remède.

Il faut dire que Coustard n'avait pas encore tenu toutes ses promesses, et que les draps français, bons pour les soldats et les petites gens, n'étaient pas pour satisfaire les officiers et les gens de cour. Louvois cependant trouva bien le moyen de les mettre à la mode ; vers la fin du mois de septembre 1687, Louis XIV déclara qu'il ne porterait pendant l'hiver que du drap de France[114]. Ce que le roi faisait, il fallait bien que tout le monde le fit ; pour ôter aux gens de qualité toute chance que pas un d'eux n'échappât à l'obligation commune, Louvois avait eu soin de faire fabriquer, tout exprès à l'usage de la cour, des draps rayés qui se reconnaissaient au premier coup d'œil. Cependant il comprenait bien que, pour que cette affaire réussit parfaitement, il fallait que le prix fût raisonnable et la marchandise excellente ; elle était au contraire médiocre et fort chère, si bien que Louvois était forcé d'écrire au sieur Cadeau[115], associé de Coustard : Les premiers draps rayés qui ont été vendus n'étoffent pas de trop bonne qualité, et tout le monde se plaint que les derniers sont encore beaucoup plus méchants, quoique le prix qui a été fixé soit assez haut pour que les ouvriers puissent y trouver leur compte, en les faisant bons, et que vous puissiez les bien payer. Songez à mettre ordre que ce relâchement ne continue pas, parce que ce ne seroit pas le moyen de mettre la manufacture en réputation, et qu'il ne seroit pas possible de la soutenir. — J'écris au sieur Cadeau, mandait-il en même temps à M. de La Reynie, pour l'exciter à faire faire des draps de meilleure qualité qu'ils n'ont été jusqu'à présent, et lui faire connoître de quelle conséquence il lui est de faire faire de bonne marchandise pour le prix qui y a été mis. L'on me mande de Hollande que l'on commence à y travailler à des draps rayés ; il seroit bien important de découvrir qui est le marchand qui en a donné la commission[116]. J'ai appris, disait-il encore, que des marchands drapiers, en dégoûtant des gens de qualité de prendre des draps rayés, leur avoient dit qu'entre-ci et six semaines, tous les draps rayés seroient consommés, et que, les marchands n'en faisant plus faire, il faudrait bien en revenir aux draps d'Angleterre ou d'Hollande[117]. Comme le sénat romain, Louvois paya d'audace ; plus le péril était grave, plus il montra de superbe assurance. Il fit monter de nouveaux métiers, promit de donner de meilleure étoffe à meilleur compte, et décida Louis XIV à se vouer encore, pour un second hiver, au drap rayé[118].

Le dévouement de Louis XIV n'était pas inutile ; car les draps étrangers avaient reparu à la cour, sur les épaules mêmes du Dauphin. Il est vrai que cette protestation s'était faite sans franchise et sous des couleurs simulées, les faussaires ayant imaginé, pour déguiser l'origine de l'étoffe, d'y appliquer des raies peintes. Qu'importe ? Le mensonge ne faisait qu'ajouter au crime. Ce complot de garde-robe fut traité comme une affaire d'État ; Dangeau lui-même en a frémi : Le roi, dit-il, a trouvé fort mauvais que madame la duchesse d'Uzès ait fait peindre des raies sur un justaucorps couleur de feu que Monseigneur avoit[119]. Il veut condamner à l'amende le marchand qui a vendu le drap et le peintre qui l'a peint. Madame la duchesse d'Uzès les justifie en s'accusant seule. Le roi veut que le justaucorps de Monseigneur soit brûlé, et qu'on ne porte plus d'autres draps que ceux de la manufacture nouvelle de France. Ce récit de Dangeau est du 18 novembre 1687 ; huit jours après, la colère du roi n'était pas encore apaisée, puisque Louvois écrivait, le 25, à M. de La Reynie : Sa Majesté désireroit fort que vous fissiez en sorte de savoir le nom de celui qui a rayé le drap dont l'on a fait un habit pour Monseigneur ; son intention est que vous fassiez toutes les diligences nécessaires pour le découvrir et le faire arrêter. Mais bientôt Louis XIV faillit contrevenir lui-même à la loi qu'il s'était faite ; un habit à raies violettes qu'on brodait pour la personne du roi avait été coupé sur une pièce introduite frauduleusement d'Angleterre en France ; heureusement, Louvois fut averti à temps[120].

Les gens qui attendaient avec impatience la fin de l'hiver pour se dépouiller d'un costume odieux furent cruellement déçus ; le 4 janvier 1688, Louvois écrivait à La Reynie : Sa Majesté veut bien ne porter cet été que des étoffes de laine qui se feront dans le royaume. C'était pour achever les courtisans.

Il faut reconnaître que Louis XIV avait beaucoup de mérite à se condamner aux draps français, qui avaient le défaut de se rétrécir et d'autres inconvénients encore : un jour, par exemple, le roi fut obligé de quitter un habit, deux heures après l'avoir mis, parce que le drap avait une odeur désagréable[121]. On crut, de ce coup, les manufactures nationales en disgrâce ; des gens de cour aux marchands drapiers, le bruit courut que le roi, fatigué d'une tentative sans résultat, revenait pour lui-même et permettait à tout le monde de revenir à l'usage des draps d'Angleterre et de Hollande. Ils seront bientôt désabusés, disait Louvois à son confident, M. de La Reynie, puisqu'ils verront continuer de plus en plus les soins nécessaires pour le rétablissement des manufactures de laine dans le royaume et l'exclusion des étoffes étrangères[122].

Louvois ne cessa pas de soutenir les manufactures françaises contre une coalition d'intérêts et de goûts qui, de son côté, ne cessa pas de grossir et de lutter. La fraude avait des complices, non-seulement à la cour, mais dans le sein même du gouvernement ; les agents placés sous les ordres de Seignelay prêtaient les mains à la contrebande maritime. A peine fut-il mort, et M. de Pontchartrain mis en sa place, que Louvois se hâta d'écrire au nouveau secrétaire d'État : Jusqu'à présent, les intendants de marine et principalement celui de Brest ont favorisé l'entrée dam, le royaume des étoffes étrangères ; ayez, s'il vous plaît, agréable de leur donner les ordres que vous estimerez nécessaires pour qu'ils changent de conduite[123].

L'attention qu'apportait Louvois à la fabrication des draps et des étoffes de laine n'était pas exclusive au point de lui faire oublier les manufactures de soieries ni les autres branches moins importantes de l'industrie nationale ; il y donnait au contraire beaucoup de soins ; mais, quoi qu'il pût faire, ses soins étaient condamnés d'avance à demeurer stériles[124]. La guerre survint, toujours fatale à la prospérité du commerce et des manufactures ; cependant la guerre n'était pas le plus grand mal. Rejetés depuis de longues années vers l'industrie et le commerce, c'étaient les protestants qui y avaient porté la vie et la chaleur ; l'industrie, atteinte par les dragonnades, achevée par la révocation de l'édit de Nantes, se mourait, entre les mains de Louvois, des blessures que Louvois, persécuteur des protestants, lui avait faites.

 

 

 



[1] Louvois au marquis de La Trousse, 30 juillet 1683 : Je ne doute point que vous n'appreniez avec la dernière surprise et beaucoup de douleur la perte que le roi a faite aujourd'hui. Il y a trois jours que la reine se trouva mal ; on dit que c'était un clou qui se formoit sous son aisselle dont la douleur lui donnoit un peu de fièvre. Hier, sur le midi, avant de partir de Versailles pour venir ici [à Meudon], j'allai dans son antichambre où l'on me dit que la fièvre étoit un peu augmentée, mais qu'il ne s'en fallait pas inquiéter, parce que la douleur la causait. Ce matin, sur les onze heures et demie, M. de Gourville, venant de Paris, a passé par ici et m'a dit qu'il venoit de rencontrer M. de Briolle qui allait à Paris avertir monseigneur le Prince que la reine était plus mal, et, qu'il y avait du péril. Un moment après, j'ai reçu une lettre de M. de Beringhen, qui portoit que la reine avoit rêvé cette nuit, qu'il lui avait paru quelques marques de pourpre qui avoient disparu peu après ; que l'on la devait saigner du pied, la faire communier, et puis lui donner de l'émétique. Aussitôt après diner, je suis parti dans ma chaise et me suis rendu fort vite à Versailles, où j'ai appris que la reine avait communié sur les dix heures du matin, avait été saignée du pied, contre l'avis de Fagon et des deux chirurgiens, vers les onze heures, et avait pris de l'émétique peu de temps après midi. Je n'ai pas été un demi-quart d'heure dans l'antichambre que l'on a entendu du bruit dans la chambre, dans laquelle étant entré, j'ai trouvé que la pauvre princesse venoit de passer. Le roi est touché au dernier point ; il est parti une demi-heure après de Versailles pour aller à Saint-Cloud, où Monseigneur l'a suivi. Madame la Dauphine est restée à Versailles, et y demeurera apparemment jusqu'à ce que les neuf jours depuis sa saignée soient passés. D. G. 694 et 736.

[2] Lettre du 28 août 1680.

[3] Voir la lettre de madame de Sévigné, du 30 juin 1677.

[4] Lettre du 1er septembre 1680.

[5] Voir, sur Io ou Isis, les lettres des 11, 15, 23, 25, 30 juin, 2 et 7 juillet 1677 ; sur Jupiter et Danaé-Fontange, les lettres des 26 avril, 30 juin et 1er septembre 1680.

[6] Lettre du 17 juillet 1680.

[7] 18 juillet 1673. D. G. 335.

[8] Louvois à Luxembourg, 3 octobre 1675 : Je vous conjure de m'écrire votre sentiment pour moi tout seul sur chacun de ceux qui commandent dans les places qui sont présentement sous votre charge, afin que je puisse faire connoître, à Sa Majesté ceux qu'il sera de sou devoir d'ôter. Je vous dirai que, lorsque vous croirez qu'une place devra être attaquée, vous devez et pouvez envoyer l'homme qu'il vous plaira, nonobstant ce que je vous ai mandé, l'année passée, à l'égard de celui qui commande présentement à Elbourg. D. G. 317.

[9] Luxembourg à Louvois, 15 octobre 1615. D. G. 536.

[10] 30 novembre 1673. D. G. 340.

[11] Il y a eu cependant, vers 1680, des moments d'aigreur entre madame-de Maintenon et Louvois. C'était un temps de crise ; madame de Montespan, en décadence, faisait les derniers efforts pour se raccrocher aux branches. Louvois, qui avait toujours bien vécu avec elle, essaya-t-il de la retenir ? On n'a là-dessus que le témoignage d'une personne trop intéressée dans la question pour être impartiale : c'est le témoignage de madame de Maintenon. Elle accuse quelque part Louvois d'avoir ménagé à madame de Montespan un tête-à-tête avec le roi ; mais elle obtient une entrevue à son tour ; elle détruit les impressions qu'a laissées sa rivale, et elle note son triomphe, le 23 août 1680, avec un sentiment de satisfaction et de soulagement, mais aussi avec l'exagération d'une femme qui vient de courir un certain danger : Cet éclaircissement a raffermi le roi ; je l'ai félicité de ce qu'il a vaincu un ennemi si redoutable ; il avoue que M. de Louvois est un homme plus dangereux que le prince d'Orange. Si l'on ne connaissait pas les circonstances qui donnent leur vrai sens à ces paroles, ne s'imaginerait-on pas une affaire d'État ? Ce n'était cependant qu'une affaire de femmes.

[12] 25 mai 1684. D. G. 723.

[13] Lettre à madame de Saint-Géran, du 10 septembre 1683.

[14] Seignelay, qui avait dans son département la maison du roi, ne put se soustraire à la désagréable mission de transférer à Louvois la succession de son père et de son frère. Louvois lui écrivait le 1er septembre : Je vous renvoie les lettres de provision de la charge de surintendant des bâtiments, afin qu'il vous plaise de les rendre conformes à la copie qui sera ci-jointe de celles qui ont été expédiées à feu monsieur votre père, en observant que le serment de fidélité doit être prêté entre les mains du roi. Nous tue ferez plaisir de me les renvoyer demain au soit, afin que j'aie le temps de les faire sceller, et que je sois en état de prêter ledit serment lorsque vous serez de retour. Je vous supplie d'expédier une ordonnance de fonds, pour la continuation des bâtiments du roi, d'un million huit mille trois cent trente-trois livres six sols huit deniers, et de me la renvoyer aussi par l'ordinaire de demain au soir, afin que j'en puisse solliciter l'assignation. Je m'adresse à vous pour cela, parce que le roi a trouvé bon de régler, cette après-dinée, que vous expédieriez toutes les ordonnances de fonds pour les dépenses des bâtiments. D. G. 696.

[15] 23 Février 1679. D. G. 618.

[16] Louvois à Grey, 17 mai 1683. D. G. 693.

[17] Louvois à Crey, 28 décembre 1685. D. G. 699. — Louvois à Crey, 22 février 1684 : Mon fils l'abbé n'y a pas pensé quand il vous a fait difficulté de dire son bréviaire, et je suis persuadé qu'il n'y manquera pas, parce que autrement. il m'obligeroit d'aller à Paris et se souviendroit assurément de ma visite. Vous lui pouvez lire ma lettre, afin qu'il y ajoute plus de créance. D. G. 710 — Camille Le Tellier, abbé de Louvois, né en 1675, n'avait pas encore neuf ans en 1684 ; mais il était déjà pourvu de bénéfices, et par suite, astreint à l'obligation du bréviaire.

[18] 7 septembre et 9 octobre 1685. D. G. 749-750.

[19] 16 octobre 1681. — Le 25 novembre suivant, il écrivait au gouverneur de son fils. M. d'Hinneville : J'approuve fort votre pensée de l'obliger à s'habiller lui-même ; cela est fort bon à mille choses, et vous pouvez donner l'ordre à ses gens de ne lui faire que ce qu'il lui sera impossible de faire lui-même. D. G. 659.

[20] Il faut, pour bien entendre cette recommandation, se rappeler que Louvois était surintendant des postes, et que, par conséquent, il aurait pu, s'il n'y eût mis quelque délicatesse, faire voyager son fils gratuitement.

[21] Si M. le maréchal d'Humières est à Lille et qu'il désire absolument qu'il loge chez lui, il le fera. Si mondit sieur le maréchal n'était point, en Flandre, il iroit loger chez M. Le Peletier.

[22] Dans les places où on travaillera, il lui fera remarquer les différentes manières dont les ouvrages sont construits, les préparatifs que l'on aura faits l'hiver pour les avancer pendant l'été, et il lui fera dessiner le soir des profils de ce qu'il aura vu de plus remarquable dans la construction desdits ouvrages. Il. lui fera remarquer les différentes manières dont on remue de la terre, et les raisons pour lesquelles on se sert plutôt en un endroit d'une manière que de l'autre. Il essayera de lui faire comprendre comment des écluses sont faites et les raisons pour lesquelles elles sont construites. Il lui expliquera l'usage des différentes portes dont on se sert pour fermer lesdites écluses, et les raisons pour lesquelles elles sont différentes les unes des autres. M. d'Hinneville prendra soin de lui faire voir de temps en temps comment les gardes se montent, comment, ensuite elles se partagent en différents postes, et les sentinelles que l'on en détache pour la sûreté de la place, afin qu'il ait quelque teinture de ce qui se passe à cet égard.

[23] Mémoire pour le sieur d'Hinneville, 2 avril 1682. D. G. 684.

[24] Louvois à Courtenvaux, 13 juillet 1682 : Votre écriture ne me satisfait point ; cependant vous savez de quelle importance cela vous est, si vous voulez être de mon métier. Les fautes d'orthographe ne me chagrinent pas moins, en ce que je vois que vous ne vous appliquez point à vous en corriger. Je ne demande point que les traductions d'allemand que vous faites soient écrites comme ce que vous faites avec mesure ; mais je ne veux pas aussi qu'elles soient griffonnées comme une partie de ce que vous m'avez envoyé. Ayez soin de les écrire lisiblement, et surtout correctement. Votre dessin n'est pas mieux ; et il n'y a point d'écolier de six semaines qui n'en fit autant. — 27 juillet : A l'égard de votre allemand, il est fort mauvais ; ce qui ne peut venir que de votre inapplication de laquelle je suis extrêmement las de voir tous les huit ou dix jours de nouvelles marques. Vous avez d'autant plus d'intérêt de vous appliquer à apprendre cette langue, que vous ne reviendrez point auprès de moi que vous ne la sachiez comme le français. — 26 octobre : Il ne me vient pas de bonnes relations de votre application à parler allemand, et votre orthographe est de plus en plus mauvaise, n'étant pas supportable de voir qu'à l'âge que vous avez, vous ne sachiez pas que palissade ne s'écrit pas par un c, ni que florin ne s'écrit pas par un eu, et Claude par un Clo. D. G. 679-681.

[25] 3 octobre 1682. Mon fils, j'ai reçu votre lettre avec le mémoire sur Fribourg ; je suis fort content, car il m'a paru que vous l'avez fait avec attention, et la plupart de vos remarques sont à propos. Continuez à m'en envoyer de pareils, si vous voulez me faire plaisir. Appliquez-vous, pendant le séjour qui vous reste à faire en Alsace, à vous acquérir la facilité de parler allemand, et comptez que rien ne vous sera plus avantageux que cela. D. G. 684.

[26] Louvois à La Tuilière, 30 mars 1682 : ....Toutes les statues sont pour mettre dans des niches, la largeur et profondeur desquelles est marquée à la marge, vis-à-vis de l'article du mémoire où il en est parlé, afin que les figures que vous choisirez soient d'une attitude propre à étui, contenues dans les susdites niches. A l'égard des sphinx ou autres animaux couchés que je vous demande, pour peu que vous trouviez de difficulté à en trouver, ou qu'ils soient chers, ne vous en mettez point en peine, parce que j'en trouverai ici à un prix assez raisonnable... Je ne vous prescris point de prix, parce que je suis persuadé que vous ferez comme si c'étoit, pour vous. D. G. 675.

[27] Nous devons dire que nous avons fait ici une correction qui nous a paru nécessaire. La minute, écrite à la hâte sous la dictée de Louvois, porte ce qui suit : Sa tête n'est point aplomb sur son corps, ni sa gorge sur ses jambes. D'ordinaire nous respectons les textes ; mais ici l'inadvertance nous a semblé trop évidemment ridicule.

[28] Louvois à La Tuilière, août 1688. D. G. 807.

[29] Louvois à La Tuilière, 5 décembre 1686 : J'ai fait voir au sieur Mignard l'estampe du tableau de Foligno que vous m'avez envoyée. Il dit qu'il l'a vu, qu'il est de Raphaël, et des plus beaux qu'il ail faits, mais qu'il sait que l'on en a fait des copies avec un très-grand soin, et qu'il faut bien prendre garde que les Italiens, qui sont gens fort appliqués à leur intérêt, n'aient ôté l'original et n'aient mis une copie bien faite à la place, qu'ils voudront vendre pour l'original. D. G. 771.

[30] Louvois à Lachapelle, 1er octobre 1685 : La figure équestre du roi du cavalier Bernin est si vilaine, qu'il n'y a point d'apparence, quand le roi l'aura vue, qu'il la laisse subsister comme elle est. Je vous prie, sans vous en expliquer à personne autre qu'au sieur Girardon, de le mener à Versailles pour examiner ce que l'on pourroit faire pour la raccommoder, et de me mander son avis. D. G. 750.

[31] Louvois à Lachapelle, 2 mars 1688 : Je vous prie de déclarer aux sculpteurs qui travaillent à Paris pour le roi que mon intention est qu'ils obéissent en toutes choses au sieur Girardon, et que le premier qui y manquera sera chassé des Gobelins. D. G. 802.

[32] Ce fut encore Seignelay qui eut à enregistrer officiellement ce nouveau succès de Louvois aux dépens de sa propre famille. Louvois lui écrivait. le 13 avril 1684 : Je vous supplie, monsieur, de prendre l'ordre du roi pour expédier, en faveur de mon fils nommé Camille Le Tellier, la charge d'intendant des médailles, de maître et garde de la bibliothèque de Sa Majesté qui a trouvé bon que ces trois charges fussent réunies eu une pour n'être plus à l'avenir séparées, et être exercées par ceux qui en seront pourvus, sous l'autorité et direction de celui qui sera pourvu de celle de surintendant des bâtiments de Sa Majesté. Je vous fournirai entre ci et deux jours la démission de M. Bignon, laquelle il vous plaira faire mettre sous le contre-scel des provisions que vous expédierez à mon fils, avec celle de monsieur votre frère. Je ne doute pas que vous n'appreniez aujourd'hui de M. Odier qu'il aura reçu les trente mille écus qu'il a plu au roi de m'ordonner de payer pour la récompense de ladite charge Je vous prie aussi de prendre l'ordre de Sa Majesté pour expédier un brevet d'assurance de 42.000 écus sur lesdites charges, par lequel il soit porté que nul n'en pourra être pourvu, par la mort ou démission de mon fils, que moi ou mes héritiers ne soient remboursés de ladite somme. D. G. 712.

[33] Rainssant était un homme de ressources ; on en peut juger par ce que Louvois écrivait à l'archevêque de Reims, son frère, le 18 octobre 1683. Après avoir énuméré les avantages qu'il se proposait de faire à Rainssant, il ajoutait : Il peut venir ici quand ii voudra ; et je vous serai fort obligé de m'avoir donné un bon médecin et un homme de bonne compagnie. J'ai vu aujourd'hui un homme qui, en- me disant beaucoup de bien de lui, m'a assuré que, quand je n'en aurai pas besoin, il pourroit encore panser mon vin quand il seroit malade, à quoi l'on dit qu'il se connoit en perfection. D. G. 697. — Le 17 février 1684, Louvois écrivait à Rainssant : Souvenez-vous de me parler, la première fois que je vous verrai des médailles que vous avez reconnu, par l'inventaire de l'abbé Carcavy, qui ont été détournées avant que M. de La Reynie ait apposé le scellé chez lui. D. G. 710.

[34] 27 octobre 1683. D. G. 697.

[35] Louvois à l'archevêque de Reims, 4 août 1686 : Je ne doute pas que vous n'ayez appris que le roi a bien voulu pourvoir à mon soulagement, en commettant M. de Villacerf pour veiller à ce que je ne pourrai faire dans ses bâtiments. D. G. 767. — Voir aussi Dangeau, 1er août 1686 : Le roi donna à Villacerf une charge à laquelle il n'y a point encore de nom ; c'est à peu près d'être contrôleur général des bâtiments sous M. de Louvois, qui, par là, s'est soulagé de beaucoup de détails pénibles qui l'accablaient. Sa Majesté a mis 16.000 francs d'appointements à cet emploi-là.

[36] Ces deux Colbert étaient fils d'une sœur du chancelier Le Tellier, par conséquent cousins-germains de Louvois.

[37] 30 septembre 1684. D. G. 717.

[38] 31 mars 1684. D. G. 711.

[39] 8 février, 31 mars, 8 avril 1684. D. G. 710-711-712.

[40] 8 février 1684, 25 février 1685. D. G. 710-742.

[41] Louvois à La Tuilière, 27 décembre 1685. D. G. 752.

[42] Louvois à La Tuilière, 20 février, 8 mars 1686. D. G. 762-763.

[43] 16 avril 1686. D. G. 764.

[44] 10 mai 1689. D. G. 847. — Cependant La Tuilière revint à la charge ; le 28 janvier 1691, Louvois lui écrivait : J'ai vu, par votre lettre du 16 du mois passé, ce que vous me mandez sur la vente des tableaux du cabinet de la feue reine de Suède. Le roi ne pense point en ce temps-ci à employer de l'argent à l'achat de pareilles choses, et il n'y faut point songer. D. G. 1022.

[45] D. G. 789.

[46] Voir, à la fin de ce volume, plusieurs lettres de Louvois relatives à des acquisitions d'objets d'art.

[47] Louvois à La Tuilière, 31 mars 1684 : Mandez-moi quelle réponse .on vous fera sur les trois figures à vendre de la succession du cardinal Nini ; et comme je serai bien aise d'en avoir ici quelques-unes, vous pourrez les acheter pour moi, si vous ne trouvez pas qu'elles méritent d'être placées à Versailles. D. G. 711.

[48] 25 septembre et 14 novembre 1686. D. G. 768-770. — Cependant il voulait bien qu'on lui envoyât, en les payant, des copies de bons tableaux faites par les élèves de l'Académie, lesquelles, disait-il, serviront à me faire connoitre quelle sera leur application et leur capacité. Le 30 décembre 1686, il écrivait à La Tuilière : Je vous prie de ne manquer aucune occasion d'acheter de borines copies des plus beaux tableaux d'Italie ; je dis de bonnes, car je ne fais point de cas des autres, et je ne veux point d'originaux. D. G. 771. — On voit, par divers endroits de sa correspondance avec La Tuilière, qu'il eut ainsi, entre autres bonnes copies, la Galatée, de Raphaël, un Christ et une Bacchanale de Titien, la Diane du Dominiquin et la Madeleine du Corrège ; mais il ne voulut pas de la Nuit de ce dernier maître. Le 14 janvier 1689, il écrivait à La Tuilière de lui envoyer le plus de dessins qu'il pourrait, de la façon de Pietro Santi. D. G. 859.

[49] 3 juin 1690. D. G. 920.

[50] Louvois à La Tuilière, 13 avril 1685 : Si l'on est aussi content pie vous le dites du sieur Frémery, le roi veut bien que vous lui fassiez donner les vingt pis-tales que Sa Majesté accorde pour le voyage des pensionnaires qui, après avoir servi utilement, reviennent en France. D. G. 744.

[51] 8 et 21 octobre 1685. D. G. 750.

[52] 18 juillet 1688. D. G. 806.

[53] Louvois à Fossier, 18 septembre 1685 : Dites au sieur Dossier qu'il n'aura pas un sol que sa statue ne soit placée, et que, si je n'apprends pas qu'il y travaille avec diligence, je le ferai mettre en prison, pour lui apprendre, après avoir reçu 5.900 livres, de demander encore de l'argent. D. G. 696.

[54] Louvois à Lefèvre, 19 septembre 1685 et 22 novembre 1684. D. G. 596-719. — Le fameux Boulle, unique en son genre, n'était pas ménagé davantage. Boulle promet à Mgr le Dauphin, depuis longtemps, quelques sièges, lesquels il n'achève point. Je vous prie de voir en quel état ils sont, et de lui dire que, s'il ne les achève, je le ferai sortir du Louvre et le ferai mettre au For-l’Evêque à la discrétion de ses créanciers, et que je ferai achever son ouvrage par d'autres. Louvois à Lachapelle, 4 février 1686. D. G. 762.

[55] D. G. 714.

[56] Cette phrase de Dangeau est toute faite pour rappeler un certain passage d'une lettre de madame de Sévigné à madame de Grignan. La première, qui était aux Rochers, répondait, le 13 décembre 1684, à sa fille qui lui avait écrit de Paris : Jamais rien n'a été si plaisant que ce que vans me dites de cette grande beauté qui doit paroître à Versailles, toute fraîche, toute pure, toute naturelle, et qui doit effacer toutes les autres beautés. Je vous assure que j'étais curieuse de son nom, et que je m'attendois à quelque nouvelle beauté arrivée et menée à la cour ; je trouve tout d'un coup que c'est une rivière qui est détournée de son chemin, toute précieuse qu'elle est, par une armée de quarante mille hommes ; il n'en faut pas moins pour lui faire un lit.

[57] Louvois à Daugecourt, 19 octobre 1684 : Le sieur de Lahire, que j'avais envoyé niveler la rivière d'Eure, m'a rapporté qu'en un lieu où elle fait tourner un moulin par-dessous, elle est de quarante pieds plus haute que la grande rue de la Vieille-Église. D. G. 718. — Vieille-Église est à peu près aux deux tiers de la distance entre Pontgouin et Versailles.

[58] Louvois leur avait adjoint Daugecourt, un ingénieur qu'il s'était personnellement, attaché.

[59] Louvois à Daugecourt, 2 février 1685 : Si une tranchée coupe deux ou trois chemins, il coûtera en ponts et en remuements de terre un tiers plus qu'il ne coûte à faire un aqueduc qui ne sera sujet à aucun entretènement, au lieu que la tranchée sera une véritable vache à lait, tant à cause du passage des bestiaux que des terres que les grosses pluies ne manqueront pas de faire tomber dedans. D. G. 742.

[60] Louvois à Vauban, 4 février 1685 : Pour vous expliquer la raison qui me fait vous dire qu'il ne faut point penser à faire un tuyau de maçonnerie, je vous dirai que ce tuyau ne pouvant être moindre de 6 pieds en carré, contiendra 56 pieds de superficie, qui, ayant 210 pieds de charge pour descendre et autant pour remonter, et l'eau pesant 72 livres le pied cube, il s'en ensuivroit que votre maçonnerie devroit être assez forte pour résister au poids d'un million 88,640 livres ; et comme la fluidité de l'eau fait qu'elle pèse en toutes ses- parties également, il s'en ensuivroit que, pour que chaque côté de votre aqueduc pût résister au poids dont il seroit chargé, il faudroit, en supposant que chaque pied cube de maçonnerie pesât 200 livres, ce qui n'est pas vrai, car il n'y a que le marbre dont le pied cube pèse lesdites 200 livres, il s'en ensuivroit, dis-je, qu'il faudroit que chaque côté de votre maçonnerie eût 5.443 pieds d'épaisseur. Je crois qu'en voilà assez pour vous faire voir combien cette pensée est peu digne de vous et de tous ceux que vous avez consultés. Pour revenir présentement aux tuyaux sur lesquels vous vouliez consulter M. Deville, je crois qu'on peut s'assurer qu'il seroit facile d'en faire de fer qui pussent porter le poids de cette eau-là ; mais comme il les faudroit renforcer considérablement, ils coûteroient au moins 70 livres la toise d'un pied de diamètre ; ainsi, 7.500 toises de long reviendroient à 525.000 livres ; et il est assuré que l'aqueduc qui a été projeté, ayant 7 pieds de large et 3 pieds de hauteur d'eau, mènera plus d'eau que 55 tuyaux d'un pied n'en pourroient conduire. Je vous laisse à supputer ce que seroit que 35 fois 525.000 livres. Tout ce que je vous viens de dire vous doit faire connoître qu'il ne faut penser qu'à un aqueduc sur arcades, que toute autre pensée doit être rejetée, et que c'est sur cela seul que vous devez vous appliquer à donner votre avis. D. G. 742.

[61] Il y a deux de ces réponses à la date du 7 février, et une troisième deux jours après.

[62] 9 février 1685.

[63] 7 février. D. G. 742.

[64] Nous donnons ici quelques extraits de la correspondance de Louvois qui marquent les principales phases du projet. Louvois à Vauban, 7 février 1685 : Ne vous inquiétez point de la pente de l'aqueduc sur arcades ; il y en a plus qu'il ne faut de dix à douze pieds que nous sommes en état de lui donner sur 7.000 toises de long. 17 juillet : Je crois le roi résolu de ne faire de maçonnerie que les 2.000 toises les plus voisines de Maintenon, et de faire les 6,400 et tant restant de terre, tout comme les 4.000 qui devaient être faites entre Houdreville et Greffier. Je compte qu'il suffira de donner au lit de- la rivière qui sera en l'air les mêmes dimensions et pente du lit de la rivière qui est creusée dans la terre, moyennant quoi il nous reviendra 4 pieds de pente que nous donnerons aux 2,0 :)0 toises d'aqueduc, de manière qu'au lieu de 3 pieds de pente que ces 2.000 toises auraient eus, si l'on avait exécuté le premier projet, il y en aura 7, moyennant quoi l'on peut s'assurer que l'on fera passer tant d'eau que l'on voudra. Je crois que pour faire cet ouvrage, il faudra remuer 7 à 800.000 toises cubes de terre ; vous me ferez plaisir de joindre un état de ce qu'il faudrait de troupes pour faire ce remuement de terre en trois ans, comptant que l'on commencera à y travailler au 1er avril, et que l'on y finira au 15 novembre de chaque année. — 24 août : Vous avez assez travaillé pour l'aqueduc de Maintenon pour que je vous donne part de ce qui vient d'are réglé pour sa construction. L'on n'en fera que 2.200 ou 2.300 toises de maçonnerie dans sa plus grande hauteur ; le reste se fera en terre. — 26 août 1686 : Le roi a profité de la proposition que vous faites de diminuer l'aqueduc de Maintenon en mettant des conduites de fer, et j'espère qu'à la fin de l'année 1690, la rivière d'Eure arrivera ici (à Versailles). D. G. 742-747-748-767.

[65] Louvois à Merveilhaud, 26 février 1685. D. G. 742.

[66] Les piles avaient 24 pieds d'épaisseur ; les arcades qu'elles séparaient 40 pieds d'ouverture ; la longueur totale de cet étage inférieur était de 500 toises environ.

[67] Ils étaient partis le 22 mars ; voir Dangeau, du 20 au 23. — Déjà, en 1683, le prince de Conti avait fait une pareille escapade, en compagnie du prince Eugène ; mais il s'en était repenti bientôt et n'avait pas tardé à revenir en laissant aller son compagnon. Voici, sur ce sujet, une lettre assez curieuse de Louvois au prince de Condé, du 27 juillet 1683 : Monseigneur, le roi vient d'être averti que Mgr le prince de Conti, étant parti hier d'ici avec M. le comte de Soissons et M. le prince Eugène, laissa M. le comte de Soissons chez lui, conduisit M. le prince Eugène chez un baigneur où il loge et où il le quitta, disant tout haut qu'il alloit voir madame de Roquelaure ; que sur le minuit, M. le comte de Soissons fut averti par un valet de chambre de M. le prince Eugène que monda sieur le prince Eugène était sorti à huit heures du soir de chez lui, en habit déguisé, avec une grande épée, ce qui ayant mis M. le comte de Soissons en peine, il alla à l'hôtel de Conti, où l'on lui dit que Mgr le prince de Conti étoit retourné à Versailles. Ayant envoyé diligemment à Versailles, on lui a rapporté que Mgr le prince de Conti était à Paris, ce qui ayant redoublé son inquiétude, il a été chercher un de ses valets de chambre qui loge dans la rue Traversière, lequel lui a dit que Mgr le prince de Conti sortit hier après huit heures du soir, en habit déguisé avec une grande épée, et avoit pris le chemin des Tuileries. L'on envoya à la poste, où Von a appris qu'à neuf heures du soir un homme vint demander trois chevaux qu'il mena à la porte Saint-Denis ; que deux hommes y étant arrivés dans un carrosse de louage, dont l'un avait un justaucorps rouge, se bottèrent et montèrent à cheval ; le postillon crut que c'était deux filles. Quoique le roi ait bien de la peine à se persuader que Mgr le prince de Conti ait pu vouloir sortir du royaume ni aller en Allemagne sans la permission de Sa Majesté, elle n'a pas laissé de faire dépêcher des courriers pour porter des ordres à Cambrai, à Valenciennes, à Metz, à Nancy, à Brisach et à Strasbourg, pour faire qu'en cas qu'ils y passent, ils y soient retenus jusqu'à nouvel ordre de Sa Majesté. Suit le signalement du prince Eugène qui a l'air fort étranger, le visage fort pâle, les cheveux noirs, et, n'a pas plus de dix-huit à vingt ans. D. G. 694. — En 1685, l'aventure fut complète ; les princes de Conti restèrent cinq mois hors de France ; voici, à propos de leur retour, ce que M. de Chamilly, gouverneur de Strasbourg, écrivait à Louvois, le 30 août 1685, à minuit : Mgrs les princes de Conti sont arrivés ici à six heures du soir ; je n'ai pas été peu surpris de les voir entrer chez moi. Ils sont dans le dessein d'aller jusqu'à Meaux y attendre les ordres du roi ; ils s'en vont en poste, dans une soumission et résignation à toutes les volontés de Sa Majesté, aimant mieux, à ce qu'ils disent, se priver du plaisir de voir finir la campagne que de déplaire plus longtemps au roi. — 31 août : Mgrs les princes de Conti sont partis ce matin avec M. de Turenne ; ils ne se sont pas enrichis des dépouilles des Turcs, car ils n'avoient que la chemise qu'ils avoient sur le dos. D. G. 793.

[68] Louvois à Montclar, 31 juillet 1685. D. G. 747.

[69] Le marquis de Liancourt fut seul envoyé dans la citadelle d'Oléron.

[70] Louvois eut soin d'ailleurs de ne pas se brouiller avec son gendre ; il lui écrivait le 13 août : Comme j'avois cru que vous passeriez par ici pour aller à La Roche-Guyon, je ne vous ai point écrit sur le malheur qui vous est arrivé, croyant bien que vous ne doutez pas de la part que j'y prends et du déplaisir qu'il m'a causé. Je vous prie d'être persuadé de ma vivacité pour tout ce qui sera à faire pour obtenir bientôt votre pardon de Sa Majesté. D. G. 748.

[71] Le 18 septembre 1685, il annonçait au marquis d'Huxelles son arrivée pour le lundi 24, vers midi, à Gallardon ; il se proposait de dîner avec lui chez le commissaire La Coudraye, qui faisait fonction d'intendant ; mais, ajoutait-il, comme je serois bien aise de n'y pas trouver une fête préparée, vous me ferez plaisir de lui dire seulement que vous dînerez avec lui ce jour-là, sans lui dire que j'y serai, et de différer le dîner jusqu'à ce que je sois arrivé. J'irai coucher le soir à Maintenon, et le lendemain mardi, je compte d'aller dîner chez vous à Nigelle, et coucher le soir à Épernon. D. G. 749.

[72] On trouve, par exemple, dans les minutes du mois de février 1686, t. 762, folio 687, la recette pour faire l'emplâtre de madame de La Dobiais, lequel emplâtre fut en effet appliqué à Louis XIV. Voir Journal de Dangeau, 17 février 1686.

[73] D. G. 763.

[74] Voir, entre autres, les lettres des 12, 21, 27 mai, 9 juin, 10 juillet. D. G. 765-766.

[75] D. G. 765.

[76] Vingt-cinq jours de marche et sept de séjour.

[77] Louvois à Gervais, 22 octobre 1686. D. G. 769.

[78] Entre ces deux visites royales, le camp de Maintenon avait reçu les ambassadeurs siamois, le 2 septembre. A cette occasion, Louvois écrivait, le même jour, au marquis d'Huxelles : Sa Majesté vous recommande de prendre de telles précautions que ni leur garde, ni les ouvriers, ni les troupes ne leur disent rien de désagréable. D. G. 768. — Un mois après, le 4 octobre, il écrivait aux gouverneurs des places de Flandre que les Siamois allaient visiter : Sa Majesté vous recommande surtout de prendre les mesures nécessaires pour empêcher que leurs visages, qui sont forts différents de ceux de ce pays-ci, et leur habillement ne donnent pas lieu aux soldats et aux habitants de leur faire des huées. Le même jour, Louvois mandait à l'archevêque de Reims : Les Siamois visitent Versailles depuis huit jours. Il y a un premier ambassadeur qui paroit avoir la compréhension fort vive, et qui loue ce qu'il voit avec beaucoup d'esprit. D. G. 769.

[79] Mémoire sur Maintenon, 5 octobre. D. G. 769.

[80] Louvois à La Coudraye, 13 août. D. G. 767.

[81] D. G. 770.

[82] D. G. 771.

[83] Catinat à Louvois, 7 janvier 1687. D. G. 792. — Il y eut des courtisans, Dangeau par exemple, qui firent leur compliment d'une autre surfe ; on veut parler de ceux qui eurent la chance d'être malades et d'être traités en tout point comme le roi ; heureux qui put se faire faire la grande opération !

[84] Louvois à M. de Reims, 4 avril 1687. D. G. 782.

[85] 23 mai. D. G. 785.

[86] Louvois à Huxelles, 16 juin.

[87] Louvois à La Coudraye et à Duchesne, 5 août. D. G. 785.

[88] Louvois à Huxelles, 15 septembre : J'ai vu depuis deux jours le sieur Charpentier qui m'a dit que tout sen monde étoit malade. Charpentier était le munitionnaire chargé de la fourniture de la viande. — Louvois annonce qu'il a donné l'ordre d'envoyer à Maintenon dix livres de quinquina. D. G. 786.

[89] Il reste à vous parler de ce qui doit séparer la cour d'avec le jardin, vis-à-vis des ouvrages que le roi a ordonné que l'on démolit. Sa Majesté voudroit que ce fût quelque chose de fort léger qui fut soutenu par des colonnes en manière de péristyle ; et c'est de quoi elle vous demandera un dessin à votre premier comprenant bien que, pendant l'usage des eaux, il est difficile que vous vous appliquiez. D. G. 786.

[90] Saint-Simon a raconté deux fois la scène de Trianon, au chapitre 219 et au chapitre 406 de ses Mémoires, édition de 1842.

[91] Voir Dangeau, du 21 au 25 mai. — Louvois à Villacerf, Meudon, 23 mai 1688 : J'ai été bien aise de voir que le roi ait été content de l'état des ouvrages ; je m'attends d'apprendre demain matin que Sa Majesté l'aura été des troupes. Au sujet de son indisposition, il ajoute : J'ai dormi huit heures la nuit passée, mais avec beaucoup d'inquiétude, c'est-à-dire que je me suis réveillé dix à douze fois. J'ai passé toute la journée fort doucement, et nie suis rendu ici sur les cinq heures et demie du soir, où je fais état d'essuyer ce qui voudra venir d'accès de fièvre. J'ai été saigné ce matin, et pion sang s'est trouvé fort bon. — 24 mai, à Barbezieux : J'ai passé une assez bonne nuit, ayant dormi huit heures tout de suite. Je me suis allé promener ce matin à cinq heures ; il faisoit un temps charmant. J'en suis revenu à huit heures et demie, et me suis couché, croyant que la fièvre viendroit vers les neuf heures ; mais au lieu de la fièvre, j'ai dormi deux heures et demie. Je me suis réveillé sans fièvre à onze heures et demie ; mais peu de temps après, elle est venue. Le frisson a été fort doux ; je n'ai point eu de mal à la tête, mais j'ai beaucoup sué, et présentement qu'il est un peu plus de sept heures, il y a plus d'une heure que je ne sue plus, et mon accès est si fort sur son déclin que je ne crois pas en avoir à huit heures. 26 mai, à M. de Reims : Le quatrième accès m'a pris aujourd'hui sur les dix heures et demie. J'ai eu deux heures de frisson sans trembler ni en être incommodé, et vers les six heures j'étois à peu près net de lièvre, de manière que cet accès-ci a été encore plus doux que les précédents, ce qui, joint au désir que j'ai de vous plaire, me fait différer l'usage du quinquina. Messeigneurs de la faculté veulent que je me contente de prendre des remèdes jusqu'après le cinquième accès ; après quoi ils me purgeront, en intention de me guérir de la fièvre ; mais peut-être me la donneront-ils plus forte, auquel cas le quinquina me vengera. D. G. 804.

[92] Lettre du 15 juin 1688.

[93] D. G. 805.

[94] Louvois à Beringhen, 1er août. D. G. 807.

[95] Louvois à Fagon, 22, 24, 26 juillet. D. G. 806.

[96] Bibliothèque du Dépôt de la Guerre, recueil de pièces manuscrites intitulé Tiroirs de Louis XIV, n° 234.

[97] 7 et 8 août. D. G. 807.

[98] Louvois à La Coudraye, 10 mars 1680 : Les troupes qui doivent être employées cette année aux ouvrages de l'aqueduc de Maintenon commenceront à arriver du camp le 1er du mois prochain, et y seront toutes assemblées le 12 du même mois. D. G. 843. — En 1690, l'entrepreneur Robelin écrit à Louvois, le 6 mai, le 10 juin et le 15 juillet, pour lui faire savoir où en est, à ces trois dates, la maçonnerie de l'aqueduc. D. G. 957.

[99] Mémoire sur les événements de 1678 à 1688. D. G. 1183.

[100] 8 octobre et 9 novembre 1688. D. G. 825-827.

[101] Les négociations entre Louvois et l'abbé de Chaulieu, chargé des affaires de la maison de Vendôme, avaient commencé au mois de mars 1685. Le Journal de Dangeau indique l'acquisition comme ayant été faite le 2 avril ; c'est une erreur. Le 15 mai, Louvois écrivait à l'abbé de Chaulieu : Je suis de retour de la rivière d'Eure et en état de finir l'affaire de l'hôtel de Vendôme, de quoi je vous donne avis, afin que vous en fassiez dresser au plus tôt le contrat. Ce contrat fut signé le 4 juillet ; un mémoire porte que l'hôtel de Vendôme et 1.600 toises de place en dehors ont été acquis moyennant 600.000 livres. Voir une lettre de Louvois à Lachapelle. D. G. 745-747-800. — Toutefois, dès le 17 mai, Louis XIV et Louvois avaient arrêté la disposition générale de la place Vendôme. M. de Louvois, raconte Dangeau, nous dit que le roi venoit de régler la place qu'il fait faire dans Paris, où est l'hôtel de Vendôme à cette heure ; il prend aussi le couvent des Capucines ; et cette place-là sera la plus belle qui soit en Europe, et ne coûtera quasi rien au roi, par les places qu'il vendra ; elle sera plus large et beaucoup plus longue que la place Royale.

[102] Avant d'abandonner cette partie de la surintendance de Louvois, j'ai cru devoir recueillir et mettre en note quelques lambeaux de correspondance sur des sujets moins importants que ceux qui ont été traités dans le texte, mais qui peuvent avoir leur intérêt particulier. Ainsi je donne le fragment, suivant d'une lettre adressée par Louvois au procureur général, le 1er février 1685, et relative à ce qu'on peut appeler la gestation du projet de Saint-Cyr : Le roi désirant placer l'abbaye de Saint-Cyr dans les faubourgs de Paris, je vous supplie de me faire savoir le prix auquel MM. les administrateurs de l'hôpital général se sont fixés pour la maison des Enfants-Trouvés, afin qu'en rendant compte à Sa Majesté des différents lieux où l'on pourroit placer cette abbaye, je lui puise dire la valeur de celui-là. D. G. 742. — Je trouve également, à la date du 1er avril 1685, une circulaire de Louvois aux intendants, au sujet des établissements d'éducation publique : Le roi voulant être informé de ce qu'il y a de collèges tant séculiers que réguliers dans votre département, Sa Majesté m'a commandé de vous en demander un état gui fasse mention des villes et bourgs où ils sont situés, du nombre de classes dont lesdits collèges sont composés, de ce qu'il y a à peu près d'écoliers qui les fréquentent, et de ce qu'on leur enseigne. Je vous prie de me mettre en état de lui en rendre compte, entre-ci et le 15 du mois de mai prochain. D. G. 744. — Louvois eut à s'occuper particulièrement d'un établissement d'éducation publique à Paris ; c'était le collège des Quatre-Nations, dont la fondation était due aux libéralités du cardinal Mazarin. Le 17 juin 1687, Louvois écrivait au lieutenant de police La Reynie : Le roi ne jugeant pas que la représentation des comédies dans la rue Guénégaud puisse compatir avec l'exercice qui va s'établir au collège des Quatre-Nations, Sa Majesté m'a commandé de vous écrire d'avertir les comédiens de chercher à se mettre ailleurs, entre-ci et le mois d'octobre prochain. — Et le 6 août suivant : C'est à M. de Seignelay que vous devez envoyer les mémoires qui contiendront ce que vous devez représenter au roi concernant la permission que les comédiens ont eue de s'établir dans la rue de Savoie. D. G. 783-785. — L'inauguration du collège n'eut lieu que l'année suivante. Voir le Journal de Dangeau, à la date du 4 octobre 1688. Louvois prenait grand soin de cet établissement ; j'en trouve la preuve dans une note adressée à Chamillart, le 12 décembre 1701, par M. de Bosquen, principal du collège : Feu Mgr de Louvois ne présenta, dans la première nomination, au roi que des enfants des plus grandes maisons de chaque nation, comme de Flandre, les Sainte-Aldegonde, Noyelles, Lannoy, de Cernay, de Gomicourt, etc. On soutint la chose en honneur pendant tout le temps de M. de Louvois ; elle tomba un peu dans la suite. D. G. 744. Suppl.

[103] Louvois à La Reynie, 13 mars 1685 ; à Bercy, 10 août ; à Basville, 16 septembre. D. G. 743-748-749.

[104] D. G. 747.

[105] Mais, continue-t-il, je crois qu'il est impossible que les manufactures se soutiennent si, en même temps que le marchand de Paris convient avec le manufacturier du prix de la marchandise qu'il lui livre, il ne lui donne pas une lettre de change du montant payable dans six mois, laquelle il soit libre au manufacturier de négocier pour ses besoins. Cependant, si le marchand de Paris veut payer avant l'échéance des six mois, il lui sera libre de le faire en faisant l'escompte sur le pied ordinaire. 16 mai 1688. D. G. 804.

[106] D. G. 800.

[107] Louvois au contrôleur général, 8 août 1687 : Rien ne fera plus L'effet que vous désirez à l'égard des manufactures d'Angleterre que l'exécution ponctuelle de ce qui a été résolu en présence du roi, pour faire payer les draps d'Angleterre ou façon d'Angleterre qui entreront dans le royaume, sur le pied du tarif de 64, soit que ces draps soient apportés par des Anglois, François ou Hollandais ; et je ne sais si vous-rie jugeriez pas à propos d'informer distinctement des intentions du roi sur ce sujet les intendants de Normandie, Picardie et frontière de champagne, Vous vous souviendrez, s'il vous plaît, qu'il fut dit, en présence du roi, que cela se devait exécuter, non-seulement à l'égard des draps qui se font eu Angleterre, mais encore à l'égard des draps façon d'Angleterre qui se font en Hollande. D. G. 785.

[108] Le 1er janvier 1688, il communiquait au contrôleur général un projet pour modifier les droits d'entrée et de sortie sur les verres, lesquels, disait-il, savoir ceux de cristal, payent 3 livres du cent pesant, les petits verres à boire 20 sols de sortie et 30 sols d'entrée. Il serait à désirer, pour le bien des manufactures de France, que l'on les chargeât de 10 livres pour l'entrée et de 1.0 sols pour la sortie. — Il y avait une ligne de douanes entre les provinces de l'ancienne France et les provinces récemment conquises ; Louvois réclamait, pour les produits français, sinon la suppression de cette ligne, tout au moins l'abaissement des tarifs ; Je vous supplie, écrivait-il le 24 janvier 1688 au contrôleur général, de donner des ordres pour que les draps et autres petites étoffes des manufactures de France qui, suivant le tarif de 1671, doivent payer, pour entrer dans les pays conquis, savoir les draps 30 livres du cent pesant, et les autres petites étoffes, 15 livres, ne payent dorénavant, à l'égard des draps, que 3 ou 4 livres, et les petites étoffes qu'une livre et demie ou deux livres. Le 1er février, il prie le contrôleur général d'expédier un arrêt pour augmenter les droits de sortie des laines par les frontières de l'Est, attendu que les manufacturiers de Suisse, et particulièrement de Lausanne, viennent en acheter à Lyon, en Bourgogne et en Champagne. D. G. 800-804.

[109] 19 décembre 1686. D. G. 771. — L'ambassadeur, M. Barillon, annonce à Louvois, le 9 janvier, le 19 mars et le 7 août 1687, qu'il a décidé plusieurs ouvriers à rentrer en France. D. G. 795.

[110] D. G. 795.

[111] Louvois aux inspecteurs, 20 octobre 1686. D. G. 769.

[112] Louvois à La Reynie, 21 juin 1687 ; au contrôleur général, 26 septembre. D. G. 783-786.

[113] 4 août 1687. D. G. 785.

[114] Louvois à La Reynie, 22 et 26 septembre 1687. D. G. 786.

[115] 1er novembre 1687. D. G. 788.

[116] 31 octobre. D. G. 787.

[117] 17 novembre. D. G. 788.

[118] Louvois à La Reynie, 15 novembre 1687 : Sa Majesté trouve bon que vous fassiez avertir les marchands drapiers qu'elle portera encore, l'hiver qui terminera l'année prochaine, des draps rayés, et que Sa Majesté leur veut bien faire dire cela présentement, afin que chacun puisse en toute sûreté y faire travailler dans les différentes manufactures de France. Les échantillons que le sieur Coustard a accommodés lui-même ont été trouvés par Sa Majesté fort agréables. — 17 novembre : Je vous supplie d'examiner s'il ne conviendrait point. de donner ordre au sieur Cadeau de faire faire encore deux ou trois cents pièces de son drap au même prix que l'on lui a payé les cinq ou six cents premières, afin d'éviter de tomber dans l'inconvénient de ne plus trouver de draps rayés chez les marchands. — 21 novembre : Je ne vois point d'apparence que l'on puisse manquer dorénavant de draps rayés, ayant nouvelle qu'outre les métiers du sieur Cadeau, il y en a cent de montés en draps rayés à Sedan et près de cinquante à Abbeville. J'ai fait avertir les sieurs Collier de me faire apporter les pièces de drap bleu et noir, et je les exhorterai de continuer à s'appliquer à la perfection de leur ouvrage. Cependant Sa Majesté a fort approuvé la pensée qu'a eue le sieur Coustard de réduire à 16 livres le prix des draps rayés. D. G. 788.

[119] On lit dans les annotations ajoutées par le duc de Saint-Simon au texte de Dangeau : M. de Montausier, comme ayant été, gouverneur de Monseigneur, étoit demeuré premier gentilhomme de sa chambre et maitre de sa garde-robe, de laquelle il laissoit le soin à sa fille, la duchesse d'Uzès.

[120] Louvois à La Reynie, 19 janvier 1688. D. G. 800.

[121] Louvois à Cadeau, 7 janvier 1688.

[122] 17 février 1688. D. G. 801. — Le 30 août 1689, Louvois écrit encore La Reynie : Vous pouvez assurer les marchands que le roi portera encore du drap rayé cet hiver, et qu'ainsi ils auront occasion de se défaire de celui qu'ils ont. D. G. 855.

[123] 8 novembre 1690. D. G. 950.

[124] En 1688, il s'entendit avec un sieur Silvestre de Sainte-Catherine pour établir dans le midi de la France des pépinières et plants de mûriers blancs ; un article du traité porte que les ouvriers que le sieur Silvestre fera venir d'Italie, soit pour instruire les gens du pays qu'il voudra employer au travail des soies, soit pour établir la manufacture des organsins et autres manières de préparer les soies, seront exempts de taille pendant dix ans. 25 juin 1688. D. G. 805. — On pourrait encore noter, dans la même année, des informations prises et des projets étudiés, afin d'aider les fabricants de chapeaux de castor à disputer aux Hollandais le marché des Indes espagnoles. Louvois à Dalencé, 14 janvier 1688 ; à La Reynie, 20 janvier. D. G. 800.