LES ORIGINES POLITIQUES DES GUERRES DE RELIGION

 

PRÉFACE.

 

 

Voici la seconde et dernière partie d'une œuvre, commencée il y a plus de quatre ans et poursuivie chaque jour, depuis lors, sur les routes de l'Europe. Avant de clore ce qui fut, pour ainsi dire, la maison de notre jeunesse, nous adressons une gratitude émue aux personnes dont les conseils et la bonté favorisèrent notre travail.

On trouvera dans le présent volume un essai sur l'histoire des dernières années de Henri II : c'est la période où s'achèvent les guerres d'Italie, celle aussi où le gouvernement royal détermine par son attitude l'éclosion prochaine et fatale des guerres civiles. On verra bien, nous l'espérons, que ces deux évolutions, qui paraissent distinctes, furent intimement mêlées, et qu'il est impossible de comprendre la seconde sans avoir suivi la première. Les événements se pressaient, nombreux et complexes. Nous avons dû choisir ceux qu'il importait le plus de mettre en relief : choix malaisé, — que l'on sera tenté de critiquer, — mais nécessaire, parce que autrement il eût fallu tracer ensemble l'histoire des phénomènes politiques, économiques et religieux dans l'Europe occidentale. Toute réduite et incomplète qu'elle est, cette étude permettra, nous semble-t-il, de mieux voir, dans une période jusqu'aujourd'hui négligée et obscure, la génération continue des faits. Notre ambition serait satisfaite si le lecteur, en attendant les recherches d'autres travailleurs, trouvait ici de quoi le guider à travers le passage sombre qui conduit de la Renaissance au temps des troubles.

On nous pardonnera de n'avoir point terminé ce travail par une dissertation en forme de conclusion : l'histoire souffre mal les couronnes que lui tressent les philosophes ; elle passe sans arrêt d'un paysage à l'autre, rebelle aux barrages de syllogismes enfantins. Il est vrai que, dans une étude sur les origines des guerres de religion, beaucoup de personnes s'inquiéteraient de la responsabilité des partis. Nous ne nous sommes pas cru capable de juger. Seulement nous avons pris peine de mettre à l'exposé toutes les nuances dont nous disposions, en fuyant le système. Que si quelqu'un veut connaître nos réflexions, les voici simplement, indépendantes de toute thèse : chacun des deux partis en général fut de bonne foi ; on trouve du côté catholique, au début, beaucoup de gens méprisables, parce que, dans l'autre camp, il n'y avait rien à gagner et tout à perdre ; les intentions des protestants français, sous Henri II, apparaissent nettement pacifiques et conciliantes; on ne peut reprocher aux novateurs que des maladresses et des imprudences ; les premières prises d'armes s'expliquent par des causes économiques plutôt que religieuses ; le Roi, en édictant la peine de mort contre tous les dissidents, accula ces derniers à la révolte, mais, suivant l'opinion du temps et la tradition, il eût été monstrueux qu'un souverain, décidément catholique, tolérât la propagation de l'hérésie dans ses États; enfin, à dire vrai, quoi que fissent les hommes, du jour où il y eut deux confessions d'une même religion et où la monarchie, telle qu'elle était au XVIe siècle, opta pour l'une, le choc devint inévitable ; ce choc fut hâté et aggravé par les rivalités de factions purement politiques, par l'influence volontairement néfaste des dynasties étrangères et surtout par l'anarchie qu'avait produite dans le royaume la ruine économique.

Les matériaux employés ici ne sont point d'une autre nature que ceux utilisés dans le premier volume : les archives et les bibliothèques de France et d'Italie nous ont fourni le principal. Toutefois, comme en avançant, nous allions vers un horizon de plus en plus vaste et que nous devions éclairer, non seulement la route suivie jusqu'alors, mais d'autres routes qui la rencontraient, il a fallu demander de la lumière à des foyers nouveaux et différents. On trouvera donc, dans la dernière partie, des renseignements tirés (les archives de Belgique et des archives de Suisse : celles-ci contiennent, sur l'état et le programme des réformés français, quelques preuves qui nous ont paru capitales.

Des lecteurs très doctes ont bien voulu nous faire observer que nous professions un amour peut-être immodéré pour les sources inédites. Cet amour est fondé sur des raisons que voici.

Il n'existe qu'un petit nombre de vraies sources narratives touchant le règne de Henri II, et les éditions que nous en avons n'offrent aucune garantie ; il est donc nécessaire, pour avancer les connaissances historiques, ou bien d'établir de nouveau et de critiquer ces textes, travail dont le résultat est souvent très décevant et qu'on ne peut faire, d'ailleurs, qu'en recourant aux pièces d'archives publiées et inédites, ou bien de construire un récit direct et indépendant sur des fondations neuves. Il convient d'être défiant, lorsqu'on étudie l'histoire du XVIe siècle, même envers les auteurs de recueils fort estimés. L'érudit, qui prend la peine de collationner les documents publiés, éprouve parfois des surprises extraordinaires : l'exactitude est une vertu rare, qui demande, non seulement de l'application, mais du jugement et beaucoup de culture. C'est pourquoi nous inclinons à rechercher toujours les originaux. Aussi bien d'autres motifs nous poussaient dans les archives. Notre dessein ne fut jamais de dresser une synthèse des connaissances plus ou moins acquises : outre qu'une telle tentative révélerait beaucoup de présomption, elle paraîtrait ridicule puisque le travail d'analyse est à peine commencé. Mais, vu que les études fragmentées, dont les chercheurs de notre époque abusent, risquent, dans l'histoire du XVIe siècle, où les événements sont enchaînés d'une façon plus serrée, de masquer la continuité des rapports et de multiplier les divisions d'origine pédagogique, nous avons voulu, sur un sujet autonome et assez ample, faire une œuvre organisée, tout en remplissant étroitement le devoir de l'érudit qui comporte l'exploration et la critique. Or, pour cette époque, les documents inédits sont si nombreux et si considérables, ils ont été utilisés jusqu'aujourd'hui avec tant de hâte, de désordre et de préjugé, qu'on y peut découvrir encore à peu près tous les renseignements qui nous manquent. Au reste, on voudra bien croire que nous n'accordons pas pleine autorité à un témoignage simplement parce qu'il est inédit. Les correspondances du XVIe siècle sont aussi mensongères ou partiales que celles d'autres temps : mais leur grand nombre, la diversité de leurs auteurs et les qualités particulières d'observation qu'on y découvre permettent à l'érudit, qui peut réunir la plupart de ces gazettes, les comparer et les critiquer, d'obtenir une vision concrète et juste. Nous avons indiqué très brièvement en notes la valeur que nous donnions aux sources le plus souvent citées ; il nous a semblé convenable de ne pas insister sur la peine intellectuelle ou physique que coûte tout travail consciencieux.

Pour finir, nous devons dire quelques mots des auteurs modernes qui ont étudié l'histoire du pape Paul IV et du cardinal Carafa. Ce sont MM. Georges Duruy, Ludwig Riess et René Ancel. L'ouvrage de M. Duruy, Carlo Carafa, qui suit de très près le récit de l'ancien historien Nores et y ajoute des pièces importantes tirées de la Bibliothèque vaticane, conserve quelque attrait par la vivacité de l'exposé ; mais, bien que ce livre ne soit pas aussi superficiel et tendancieux que l'ont dit les apologistes de Paul IV, l'érudit ne peut plus guère s'en servir aujourd'hui. La dissertation allemande de M. Riess, Die Politik Pauls IV und semer Nepoten, est en partie une critique du travail de M. Duruy : on y trouve de bonnes rectifications, quelques renseignements utiles, mais non des recherches étendues. Au contraire, Dom René Ancel, de l'Ordre de Saint-Benoît, a complètement renouvelé l'histoire de Paul IV : les articles, publiés par lui dans la Revue bénédictine, dans la Revue des questions historiques, dans la Revue d'histoire ecclésiastique, et surtout les deux volumes, où il a réuni les dépêches des nonces Gualterio et Brancatio, contiennent des documents très nombreux et très précieux. Nous y avons puisé beaucoup.

L. R.

Juillet 1913.